Séance du 28 octobre 1998







M. le président. « Art. 2 decies . _ L'article LO 149 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. LO 149 . _ Il est interdit à tout avocat inscrit à un barreau, lorsqu'il est investi d'un mandat de député, d'accomplir directement ou indirectement par l'intermédiaire d'un associé, d'un collaborateur ou d'un secrétaire, aucun acte de sa profession dans les affaires à l'occasion desquelles des poursuites pénales sont engagées devant les juridictions répressives pour crimes et délits contre la chose publique ou en matière de presse ou d'atteinte au crédit ou à l'épargne ; il lui est interdit, dans les mêmes conditions, de plaider ou de consulter pour le compte de l'une des sociétés, entreprises ou établissements visés aux articles LO 145 et LO 146 ou contre l'Etat, les sociétés nationales, les collectivités ou établissements publics. »
Par amendement n° 13, M. Jacques Larché, au nom de la commission des lois, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Allouche. C'est l'article anti-avocat !
M. Jacques Larché, rapporteur. La rédaction qui nous est proposée serait lourde de conséquences : le parlementaire ne pourrait plus plaider devant la Haute Cour de justice ou devant la Cour de justice de la République.
Cette disposition me paraît malvenue ! En effet, si l'on peut penser que la Haute Cour de justice ne se se réunira jamais, la Cour de justice de la République risque, hélas ! de fonctionner ! Et l'on interdirait à l'un d'entre nous, parce qu'il serait parlementaire, d'aller défendre l'un de ceux qui vont comparaître devant la Cour de justice de la République ?
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le rapporteur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Jacques Larché, rapporteur. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Hyest, avec l'autorisation de M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest. Selon une règle ancienne et générale, un avocat parlementaire ne peut pas plaider contre l'Etat. Il ne me paraît donc pas judicieux de souhaiter que les parlementaires avocats puissent plaider devant la Haute Cour de justice ou devant la Cour de justice de la République. Tel n'est d'ailleurs pas le cas actuellement !
M. Jacques Larché, rapporteur. Ce n'est pas mon interprétation !
M. Patrice Gélard. L'avocat a le droit de plaider devant la Haute Cour de justice !
M. Jean-Jacques Hyest. Personnellement, je m'interroge.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Jacques Larché, rapporteur. L'article 2 decies me semble avoir les conséquences que j'ai indiquées. Je demande donc sa suppression.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Le Gouvernement s'en remet, comme précédemment, à la sagesse du Sénat, étant entendu qu'il n'y a pas lieu, à son avis, de restreindre les dispositions de l'article LO 149.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 13.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. L'amendement adopté par l'Assemblée nationale nous entraîne dans une direction très dangereuse : on ne pourrait plus être à la fois parlementaire et avocat. C'est en effet à peu près le résultat auquel on aboutirait.
Cette voie, dans laquelle se sont engagés un certain nombre de parlementaires en déposant toute une série d'amendements, est extrêmement périlleuse. En effet, elle amène à remettre en cause les bases de la démocratie. Où alors, allons jusqu'au bout du raisonnement : quand on est parlementaire, on ne peut exercer aucune autre fonction ! La conséquence logique est alors de devenir parlementaire à vie. (Sourires sur les travées du RPR.) Ce sera véritablement le seul moyen d'exercer correctement sa fonction !
M. Joseph Ostermann. Très bien !
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Lorsque j'étais avocat stagiaire, j'ai appris qu'un avocat devenant parlementaire ne devait pas plaider au pénal, où les poursuites sont engagées par la puissance publique, sous peine de se trouver dans une situation assez équivoque. Cela n'empêche pas l'avocat d'exercer son métier par ailleurs puisqu'il existe de nombreuses affaires civiles, commerciales, prud'homales, etc.
Je reste donc fidèle à cette idée qui me paraît fondée : quelle que soit la juridiction concernée, qu'il s'agisse ou non de la Haute Cour de justice, nous sommes toujours dans le domaine pénal, domaine où une poursuite est exercée au nom de l'Etat et de l'intérêt général contre un particulier. Par conséquent, je ne crois pas convenable qu'un parlementaire avocat, qui se trouve donc quand même dans une situation assez ambiguë, intervienne dans de telles circonstances. C'est pourquoi j'estime, pour ma part, que le texte de l'Assemblée nationale n'est pas mauvais. Je ne voterai donc pas l'amendement.
M. Jacques Larché, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Larché, rapporteur. Quelle est la portée exacte de ce texte ? L'article LO 149, dans sa rédaction actuelle, pose certes le principe de l'interdiction de l'intervention de l'avocat, mais il prévoit une exception s'agissant de la Haute Cour de justice ou de la Cour de justice de la République. Or, cette exception, nous ne la retrouvons pas dans la rédaction proposée par l'Assemblée nationale.
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
M. Jacques Larché, rapporteur. Comme je le disais tout à l'heure, je constate donc que l'on interdit désormais à un avocat parlementaire - et cela me semble fâcheux - de plaider devant la Cour de justice de la République.
M. Patrice Gélard. Voilà !
M. Charles Jolibois. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jolibois.
M. Charles Jolibois. Aux termes de l'article LO 149, dans sa rédaction en vigueur, l'avocat a le droit de plaider dans la majorité des affaires pénales. Certes, dans certaines affaires pénales - mais dans certaines seulement...
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Charles Jolibois. ... il ne peut pas intervenir : il en est ainsi lorsque, par exemple, « des poursuites pénales sont engagées devant les juridictions répressives pour crimes ou délits contre la nation, l'Etat ou la paix publique ou en matière de presse ou d'atteinte au crédit ou à l'épargne. » Par conséquent, le contentieux ne lui est pas interdit de manière générale dans le droit actuel !
J'ajoute que M. Jacques Larché a eu raison de nous rappeler que, aux termes de l'article LO 149, le député avocat a le droit d'intervenir devant la Haute Cour de justice ou la Cour de justice de la République. Par conséquent, ce qu'a voté l'Assemblée nationale constitue une extension considérable des incompatibilités de l'avocat, qui équivaut à rendre pratiquement incompatible le métier d'avocat avec celui de parlementaire.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 2 decies est supprimé.

Article 3