Séance du 29 octobre 1998







M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Après les événements qui viennent de se passer au Sénat, et qui ont été provoqués par l'annonce d'un licenciement de mille personnes, ma question peut paraître quelque peu anachronique. Elle aborde en tout cas un sujet radicalement différent, puisqu'elle concerne les intentions du Gouvernement à l'égard du général Pinochet.

Je me suis rendu au Chili, quelque temps après Pierre Mauroy, au moment de la campagne pour le référendum qui devait aboutir à l'éviction du général Pinochet. J'ai pu ainsi constater sur place le comportement de ce président-dictateur qui, au moment de sa prise de pouvoir, s'était réjoui de l'assassinat du président Allende, concocté à travers la mise à la disposition de celui-ci d'un avion qui devait par la suite être abattu en vol.
Il s'agit donc là d'un personnage qui, à mes yeux, est coupable de multiples actions dictatoriales destinées à briser ses opposants.
J'aimerais connaître, en tenant compte des derniers éléments en votre possession, madame la ministre, la position du Gouvernement français face à cet homme.
Des familles de victimes françaises d'actions inhumaines - tortures, assassinats, disparitions - ont déposé devant la justice de notre pays des plaintes à l'encontre du général Pinochet ; d'autres l'ont fait en Espagne, en Suisse, en Suède.
Si les magistrats français décident de les instruire, la France envisage-t-elle de demander l'extradition du général Pinochet afin de le juger, éventuellement de le condamner à répondre des actes criminels qu'il a commis ?
Je sais que cette question a déjà été posée à l'Assemblée nationale. Deux jours se sont écoulés depuis. Il est donc important qu'elle soit à nouveau posée au Sénat. C'est pourquoi je me permets de le faire, en insistant sur ce qui me paraît particulièrement choquant, à savoir l'impunité dont pourrait bénéficier tout dictateur qui ferait n'importe quoi.
Certes, je le sais, le général Pinochet n'est pas le seul qui mériterait d'être condamné. Mais, pour l'instant, c'est lui qui est sous les feux de la rampe ; c'est donc à son sujet que je souhaite connaître la position française.
Peut-être le tribunal pénal international serait-il la meilleure solution ? Mais, pour l'instant, nous sommes dans l'hypothèse d'une extradition. Je souhaite donc, madame la ministre, connaître votre position. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Monsieur Sérusclat, vous avez fait allusion, voilà un instant, à une manifestation de personnels en instance de licenciement.
Je voudrais faire connaître à notre Haute Assemblée que j'ai reçu personnellement une délégation de ces personnels.
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est le moins qu'on puisse faire !
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, il est vrai que l'idée d'impunité pour quelqu'un comme le général Pinochet (et d'autres ! sur les travées du RPR) dont nous savons qu'il est responsable de milliers de meurtres, est insupportable.
M. Jean Chérioux. Et le goulag !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Nous avons en mémoire tout ce qui s'est passé au moment du coup d'Etat militaire de septembre 1973 : le palais de La Moneda envahi et bombardé, la mort d'Allende, les militants parqués dans les stades avant d'être conduits à la mort ou à la torture, avant d'être voués à la disparition.
Beaucoup des familles de victimes françaises de ces événements sont tout à fait dans leur droit, bien entendu, quand elles demandent justice. J'ai reçu moi-même la lettre de deux avocats me priant d'engager une demande d'extradition à l'encontre du général Pinochet. Les avocats ont saisi en l'occurrence le procureur de la République de Paris. La justice française est donc compétente.
Comment les choses peuvent-elles se passer maintenant ? Tout d'abord, il appartient aux juges, aux magistrats du siège, de décider de l'envoi d'un mandat d'arrêt et, par conséquent, d'une demande d'extradition à l'encontre du général Pinochet. Evidemment, les magistrats se prononceront au regard des règles de notre procédure pénale.
Certes, se posent des questions juridiques qui doivent être résolues, telles la qualification pénale et la prescription. Mais je puis vous affirmer que si un magistrat me présente une demande d'extradition, je la transmettrai immédiatement. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Que peut-il se passer ensuite ? En vertu de la convention européenne de 1957 sur l'extradition, c'est le pays requis, en l'occurrence le Royaume-Uni, qui décidera s'il autorise l'extradition et, si oui, vers quels pays. Déjà, avant nous, l'Espagne et la Suisse ont adressé une telle demande.
Il est vrai que la Haute Cour britannique a déclaré illégale l'arrestation du général Pinochet, au motif qu'il devait bénéficier de l'immunité diplomatique. Mais il reste en état d'arrestation. Vous connaissez les recours qui ont été introduits. En fin de compte, c'est la Chambre des lords qui décidera. Nous n'avons pas le moyen d'influencer sa décision, qui est de nature judiciaire.
Voilà ce que je puis vous indiquer à ce jour.
Il est exact que cette affaire montre à quel point il est urgent de mettre en place une cour pénale internationale. Sa création a été décidée à Rome, et notre pays a joué un rôle actif dans cette négociation.
Il est également vrai que, de plus en plus, on considère qu'il est insupportable que des personnes ayant du sang sur les mains et s'étant livrées à de telles cruautés et à de telles atrocités puissent échapper à la justice où que ce soit, dans un monde qui devrait être beaucoup plus solidaire en matière de droits de l'homme. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

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