Séance du 16 novembre 1998







M. le président. « Art. 11 bis . - I. - L'article 575 A du code général des impôts est ainsi modifié :
« 1° Dans la deuxième ligne du tableau, le taux : "58,30" est remplacé par le taux : "59,9" ;
« 2° Dans l'avant-dernier alinéa, la somme : "230 francs" est remplacée par la somme : "345 francs".
« II. - Au dernier alinéa de l'article L. 241-2 du code de la sécurité sociale, les mots : "et par la loi de finances pour 1998" sont remplacés par les mots : ", la loi de finances pour 1998 et la loi de finances pour 1999". »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 57, M. Charasse propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 7, M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales, propose de rédiger comme suit cet article :
« I. - Après l'article L. 245-12 du code de la sécurité sociale, il est rétabli une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Taxe de santé publique sur les tabacs
« Art. L. 245-13. - Il est créé au profit de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés une taxe de santé publique de 2,5 %, sur les tabacs fabriqués en France et sur les tabacs importés ou faisant l'objet d'une acquisition intra-communautaire et une taxe additionnelle de 7 % sur les tabacs à fine coupe destinés à rouler les cigarettes. Ces taxes sont assises et perçues sous les mêmes règles que la taxe sur la valeur ajoutée.
« Un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et du budget pris après avis du conseil d'administration de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés fixe les conditions d'application de ces taxes aux actions de prévention et notamment de lutte contre le tabagisme. »
« II. - Les dispositions du I s'appliquent à compter du 1er janvier 1999. »
L'amendement n° 57 est-il soutenu ?...
La parole est à M. Descours, rapporteur, pour présenter l'amendement n° 7.
M. Charles Descours, rapporteur. Cet amendement tend à remplacer une hausse générale des droits sur le tabac, proposée par l'Assemblée nationale, par la création d'une taxe additionnelle de santé publique.
Madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous allez voir que j'essaie d'aller dans le sens des départements ministériels dont vous avez la responsabilité.
Il s'agit exactement du même dispositif que celui qui avait été adopté par l'Assemblée nationale et par le Sénat lors de la première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998. Si les sénateurs avaient émis des réserves quant à sa conformité au droit communautaire, M. le secrétaire d'Etat avait su les rassurer. Puis cette taxe avait été malheureusement écartée par le Gouvernement en nouvelle lecture.
Nous reprenons donc ce dispositif parce que la hausse générale des droits sur le tabac figurant dans le texte adopté par l'Assemblée nationale n'a pas un grand intérêt sanitaire : elle ne rapporte en effet que 100 millions de francs à l'assurance maladie pour 900 millions de francs au budget général de l'Etat.
Par conséquent, l'instauration dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale d'une taxe dont les neuf dixièmes tombent dans le budget général de l'Etat est vraiment un faux semblant !
Il est donc nécessaire de prévoir une taxe spécifique affectée entièrement à la sécurité sociale. Cela fera certes une taxe de plus, mais la transparence y gagnera.
Le système actuel n'est pas satisfaisant. Il serait plus clair de prévoir deux taxes : une pour l'Etat - il faut bien qu'il vive - et une pour la sécurité sociale. Trop de droits ont été perçus sur le tabac sans que la principale victime financière de ses ravages, l'assurance maladie, puisse en profiter.
Je lisais tout à l'heure, dans le quotidien Le Monde paru cet après-midi - il est décidément très instructif ! - que, aux Etats-Unis, les fabricants de tabac allaient verser 300 milliards de dollars pour éviter les poursuites judiciaires. Nous n'en sommes pas encore là en France. Mais il faut arrêter de verser des taxes sur le tabac et sur les alcools, dont les répartitions sont mesurées au trébuchet et qui ne sont connues que de certains spécialistes. Je me rappelle en avoir discuté avec M. Chadelat lorsqu'il était président du Fonds de solidarité vieillesse. Il n'y avait guère que lui pour savoir quel centième de pourcentage était versé plutôt à l'assurance maladie qu'au budget général de l'Etat !
Je vous propose donc, sans revenir sur l'augmentation du tabac décidée par l'Assemblée nationale, de substituer à une taxe traditionnelle sur les tabacs, qui est en fait un impôt déguisé destiné à alimenter le budget général de l'Etat et qui n'a quasiment rien à voir avec la santé, une taxe de santé publique qui donnerait 1,4 milliard de francs à l'assurance maladie et qui paierait les dégâts occasionnés par le tabac, responsable, je le rappelle, de 60 000 morts par an.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Défavorable.
M. Charles Descours, rapporteur. Nous donnons acte à M. le secrétaire d'Etat à la santé de sa solidarité gouvernementale !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7.
M. Jacques Oudin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Pour ma part, je n'ai aucune affection particulière pour l'industrie du tabac. Cela étant dit, je souhaite exprimer mon point de vue quant à l'inadaptation de la façon dont l'Assemblée nationale a voté cette taxe, avec de bons sentiments mais peut-être de mauvaises conséquences.
Tout à l'heure, l'un de nos collègues n'a pu défendre un amendement, mais l'exposé des motifs de ce dernier me paraissait tout à fait juste.
La lutte contre le tabagisme est en effet une priorité de santé publique, et nous sommes tous d'accord sur ce point.
Mais l'article 11 bis du projet de loi de financement de la sécurité sociale permettra-t-il d'atteindre cet objectif ? Pour ma part, je ne le crois pas.
En effet, en augmentant brutalement la fiscalité des cigarettes, l'article 11 bis risque de créer les conditions d'une guerre des prix entre fabricants, guerre des prix dont on a pu mesurer, en 1993, les effets profondément déstabilisants en termes de santé publique.
Il faut en effet rappeler que, dans la structure fiscale actuelle, qui est presque exclusivement proportionnelle - le montant des taxes est un pourcentage du prix de vente au détail des produits - plus la taxe est élevée, plus les fabricants arrivent à faire supporter par l'Etat les effets d'une baisse des prix éventuelle : si la proportion des taxes sur le tabac représente aujourd'hui près de 80 % de leur prix de vente, il en résulte que l'Etat finance en fait près de 80 % de toute baisse des prix !
Par ailleurs, la guerre des prix se traduit historiquement par une augmentation de la consommation du tabac des plus jeunes, pour qui le prix du tabac est un facteur discriminant important.
C'est pourquoi cet article me semble avoir été voté hâtivement par l'Assemblée nationale. Une véritable politique de prévention passerait plutôt par une information et une éducation des jeunes gens et des jeunes filles, pour lesquels un effort particulier doit être consenti.
En outre, sur le principe qui consiste à voter des taxes de santé publique sur des produits nocifs, je me permets une mise en garde : si nous nous engageons dans cette voie, nous allons voter des taxes de santé publique sur les alcools bien qu'il existe déjà des droits sur les alcools ; nous allons voter des taxes sur le tabac, bien qu'il existe déjà des droits sur le tabac ; nous ferons cela également pour le sucre, au nom du risque du diabète, bien entendu,...
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... pour l'amiante...
M. Jacques Oudin. ... et nous pourrons continuer longtemps ainsi.
J'en viens enfin à la portée de cet article.
Tout d'abord, je ne suis pas persuadé qu'on ait analysé à fond les conséquences de l'instauration de cette taxe par rapport au droit communautaire.
Par ailleurs, dans l'espace ouvert qu'est l'Europe, avec Internet de surcroît, n'importe qui peut maintenant commander dans un autre pays européen des tabacs à un prix inférieur à celui qui est pratiqué en France et se les faire livrer quasiment gratuitement.
Je demande donc à nos amis de la commission des affaires sociales de bien réfléchir : les bons sentiments peuvent avoir des conséquences tout à fait détestables en termes financiers.
Voilà pourquoi je m'abstiendrai.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Si j'ai répondu brièvement tout à l'heure, je ne peux pas laisser passer le propos tenu à l'instant par M. Oudin.
Tout d'abord, son raisonnement sur l'augmentation du prix du tabac - tabac dont je tiens à rappeler le caractère nocif et les 60 000 décès par an, en France, qui lui sont directement imputables - n'est pas acceptable. De la même manière, le discours selon lequel la hausse des prix provoquera la contrebande, n'est pas davantage acceptable. En effet, la contrebande, qui est un argument extrêmement souvent employé, n'existe que dans des pays où, en effet, les prix sont les plus bas ; mais c'est simplement que l'accès au territoire est plus facile.
En outre, monsieur le sénateur, dans six des quinze pays de l'Union européenne, les prix des cigarettes sont infiniment plus élevés qu'en France : ainsi, en Grande-Bretagne, ils le sont deux fois plus.
J'ajoute que la commande par Internet, qui, permettez-moi de le dire, comporte certains frais de livraison, ne se fait pas aussi facilement qu'on le pense et ne concerne pas le même public.
Notre objectif est que la consommation du tabac baisse chez les jeunes. L'année dernière, nous avons augmenté le prix du tabac à rouler. Eh bien, monsieur le sénateur, il en est résulté une diminution de moitié de la consommation du tabac à rouler dans notre pays, chez ces jeunes justement. Nous savons très bien, et nous l'avons démontré plusieurs fois - c'est prouvé dans tous les pays, et il n'est pas acceptable en termes scientifiques et en termes de santé publique de dire le contraire - que l'augmentation des prix entraîne une baisse de la consommation, singulièrement chez le public que nous visons, c'est-à-dire les jeunes.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Très bien !
M. Jean-Louis Lorrain. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Il est extrêmement délicat, surtout lorsque l'on fait partie de la commission de contrôle de la loi Evin, d'aller à son encontre et de défendre la consommation de tabac, ce qui d'ailleurs n'est absolument pas mon cas.
On se retrouve, s'agissant du tabac, avec les mêmes états d'âme que pour les problèmes de l'armement. Lorsque, dans une ville, les ateliers d'armement ferment, tout le monde descend alors dans la rue ! Récemment, des mouvements ont eu lieu, à Morlaix et à Tonneins, à l'occasion de la restructuration de la SEITA. Par conséquent, les choses ne sont pas aussi simples que cela.
Il serait souhaitable que les prélèvements effectués soient clairement identifiés et explicitement attribués à des secteurs de prévention. Lorsqu'il existera une parfaite identification de l'action de prévention et du prélèvement, les choses seront alors beaucoup plus claires.
J'en viens aux prix : malheureusement, le tabac est toujours associé aux situations d'exclusion - la toxicomanie, par exemple - et le coût des prélèvements pèse donc particulièrement sur les plus démunis. La solution consisterait à développer une véritable politique de prévention, dotée de moyens suffisants.
M. Claude Huriet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Je voterai l'amendement de la commission des affaires sociales.
Je tiens à dire à M. le secrétaire d'Etat que je partage son analyse quant au ciblage de ces dispositions sur les jeunes. De telles dispositions ne peuvent toutefois pas - chacun en est bien d'accord - résumer une politique de lutte contre le tabagisme.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Bien sûr !
M. Claude Huriet. C'est évident ! C'est dès la jeunesse que le consommateur va prendre un certain nombre d'habitudes en s'imaginant, contrairement à toutes les expériences dont on peut se prévaloir, qu'il pourra échapper à la dépendance. Or c'est précisément la dépendance qui fait du tabagisme un fléau !
S'il pouvait y avoir consommation épisodique, pourquoi ne pas accorder à ceux qui le souhaiteraient le plaisir de fumer une cigarette ? Mais on sait - c'est un fait sur lequel le Haut comité de la santé publique a mis l'accent à de nombreuses reprises - que le danger du tabagisme, c'est l'accoutumance et, ensuite, la dépendance.
Nous aurons d'autres occasions de discuter du développement de la lutte contre le tabagisme, même si, depuis des années, cette politique est progressivement mise en place. Mais gardons à l'esprit le fait que ce sont les jeunes fumeurs qui, insidieusement, passent du plaisir à la dépendance. A un moment donné, nous devrons donc débattre d'autres dispositions, concernant par exemple le développement de la tabacologie et la prise en charge de médicaments qui, c'est désormais prouvé, peuvent aider ceux qui le souhaitent - et ils sont nombreux - à sortir de cette situation de dépendance.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. François Autain. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Nous voterons, bien sûr... - pardonnez-moi : nous ne voterons pas (Sourires) - cet amendement.
M. Alain Gournac. Lapsus révélateur !
M. François Autain. En fait, nous sommes un peu embarrassés car, effectivement, nous pensons que cet amendement va tout de même dans le bon sens.
Quoi qu'il en soit, je voudrais vous faire part de mon souhait qu'à l'avenir une plus grande part, pour ne pas dire la totalité, de cette augmentation soit affectée au budget de l'assurance maladie. En effet - et j'approuve là les propos de certains des intervenants qui m'ont précédé - compte tenu des conséquences que peut avoir l'utilisation du tabac sur la santé de nos concitoyens, il est tout à fait normal que la sécurité sociale puisse bénéficier de ces fonds pour pouvoir faire face au surcroît de dépenses occasionné par l'utiliation du tabac.
Nous voterons... - pardon : nous ne voterons pas (Sourires) - l'amendement, je le répète, mais nous souhaitons qu'une évolution intervienne dans l'affectation de ces recettes l'année prochaine.
M. Jean Chérioux. Votez l'amendement, allez jusqu'au bout !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 11 bis est ainsi rédigé.

Article 11 ter