Séance du 19 novembre 1998







M. le président. La parole est à M. Murat, auteur de la question n° 345, transmise à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.
M. Bernard Murat. Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite vous entretenir des conséquences de la situation des producteurs de peaux de moutons français au regard du revenu agricole et, au-delà, de l'industrie et du commerce de cuirs et de peaux.
La situation est très préoccupante, car cette industrie connaît actuellement une crise sans précédent dans le domaine de la peau de mouton. Votre secrétariat d'Etat ainsi que le ministère de l'agriculture et de la pêche étant en charge de ce dossier, je vous remercie d'éclairer notre institution sur les dispositions que vous souhaitez prendre sur ce dossier sensible qui touche, comme nous allons le voir, de nombreux secteurs d'activité.
La production nationale de peaux brutes d'ovins se situe aux environs de 7,2 millions de peaux par an, soit 600 000 par mois. Environ 80 % de la production française est exportée vers la Turquie et l'Espagne pour être alors transformés en vêtements à destination essentiellement de la Russie.
Or, à la fin du mois d'août 1998, la dégradation de la situation économique en Russie a provoqué la fermeture du marché turc. Par voie de conséquence, cette crise a entraîné l'effondrement des cours de ces matières premières.
Les entreprises françaises ont, malgré tout, et il convient de le souligner, continué à acheter régulièrement la production des peaux d'agneaux à leurs fournisseurs. Elles se sont retrouvées, au 30 septembre 1998, avec un stock estimé à environ 2 millions de pièces, soit à peu près un tiers de la production nationale annuelle. Aujourd'hui, ces stocks ne trouvent plus aucun acquéreur, grèvent lourdement la trésorerie des entreprises et perdent leur valeur marchande.
Prenons le cas concret d'une entreprise moyenne qui possède actuellement 180 000 peaux en stock, stock correspondant aux achats de mi-avril à mi-août 1998. Le prix d'achat moyen, à cette époque, était - il importe de le noter - de 45 francs par peau. Aujourd'hui, cela n'a plus aucune valeur. Le marché étant bloqué, l'entreprise détient environ 7,5 millions de francs de trésorerie immobilisée. Les banques ne pouvant la soutenir indéfiniment, si le Gouvernement n'intervient pas, elle n'aura qu'une solution : le dépôt de bilan.
En ce qui concerne l'emploi, les conséquences sont déjà très préoccupantes. Les restructurations imposées par cette crise ont eu pour conséquence immédiate la suppression de 20 % du personnel. A terme, c'est l'ensemble des salariés de ce secteur qui risque de devoir s'inscrire à l'ANPE, avec les chances que vous connaissez de retrouver un emploi, compte tenu de leur très faible qualification.
Ainsi, cette crise commerciale qui intervient en France, et pour la première fois dans ce secteur - cela mérite également d'être souligné - doit être examinée avec la plus grande attention, et ce pour au moins trois raisons.
Tout d'abord, pour l'agriculture, les éleveurs de la filière ovine doivent pouvoir continuer la commercialisation des peaux provenant de leurs cheptels abattus, qui représentent une part très importante du revenu des agriculteurs. Ces producteurs sont particulièrement affectés - vous le savez - par la baisse du cours du mouton, comme c'est le cas dans mon département de la Corrèze, et notre collègue M. Mouly peut en témoigner.
Ensuite, pour l'environnement et la santé publique, une mesure doit intervenir afin que les abattoirs français ne soient pas engorgés par un stockage qui poserait, à terme, des problèmes d'hygiène et d'environnement principalement aux maires ruraux et, de façon générale, à l'ensemble des collectivités locales.
Enfin, et je serais tenté de dire surtout, pour l'industrie, l'activité économique des peaux ne doit pas être condamnée. Les entreprises françaises de ce secteur pourraient ne plus faire face à leurs obligations dans les mois qui viennent si une solution type « prêts-relais » n'est pas mise en place rapidement par les pouvoirs publics.
A défaut, la situation aurait une conséquence directe sur l'image de marque du savoir-faire français dans les métiers du cuir à travers le monde et porterait un coup fatal à la mégisserie française, déjà en grande difficulté du fait de la concurrence des pays en voie de développement, dans lesquels le coût de la main-d'oeuvre est très faible.
Aussi, je vous serais très reconnaissant, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien vouloir éclairer le Sénat sur les solutions que le Gouvernement propose de mettre en oeuvre pour résorber cette crise et, surtout, dans quels délais.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le sénateur, vous avez raison d'évoquer, à la fin de votre question, les conséquences de cette crise sur l'industrie. En effet, les implications ne concernent pas seulement la filière ovine en amont, mais également le traitement en aval. Ainsi, certains problèmes industriels sont directement liés à l'exploitation des cuirs et peaux, exploitation qui fait partie d'un secteur plus vaste comportant habituellement le textile, l'habillement, la chaussure, les cuirs et peaux.
Les pouvoirs publics sont donc conscients des problèmes rencontrés par la filière ovine, en particulier pour sa partie « peaux ». Cette filière est de longue date fragile, en raison de la crise du marché intérieur et du caractère très spéculatif de cette matière à l'échelle internationale. En effet, devant la raréfaction des débouchés intérieurs pour les peaux d'ovins, les opérateurs ont dû se tourner vers la grande exportation - 80 %, vous l'avez indiqué, chiffre qui ne laisse pas d'impressionner - tant pour les négociants en peaux brutes d'origine française que pour les mégissiers qui fournissent des peaux déjà traitées françaises ou étrangères.
Ces derniers mois ont vu la disparition, d'abord du marché asiatique, puis du marché russe, qui s'est effondré pour des causes évidentes, alors qu'il représentait plus de 40 % des débouchés directement ou indirectement, ce qui a accru les énormes difficultés du secteur. Il en est résulté un effondrement des prix et, surtout, un arrêt des ventes, phénomène qui dépasse d'ailleurs le seul cas français, pour atteindre l'ensemble des pays de l'Union européenne.
Stockages et surstockages montrent l'engorgement et le blocage de la filière, puisque, à l'arrêt des ventes et la chute des cours qui en résulte, il faut ajouter d'autres répercussions sur l'amont, jusqu'aux éleveurs de moutons, via les abattoirs.
Les conséquences sur l'emploi sont importantes, vous l'avez déjà souligné à juste titre, notamment pour plusieurs régions, déjà touchées ou en passe de l'être.
La recherche d'une solution est complexe. Loin de moi l'idée de me « défiler », mais je constate que nous recherchons depuis des années à stabiliser ce marché et que l'affermir n'est pas simple. Toute solution implique que l'on en évalue bien les effets, car les enjeux financiers sont considérables, plusieurs dizaines de millions de francs.
Les services concernés du ministère de l'agriculture et de la pêche, du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, du secrétariat d'Etat à l'industrie et aussi - vous l'avez dit à l'instant - du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement procèdent actuellement à une étude attentive du dossier afin d'assurer un fonctionnement plus normal de la filière.
Cela étant, l'Etat, dans le contexte - français et européen - d'économies de marché, ne peut pallier le risque économique normal ni fausser le jeu du marché.
Ce n'est pas pour autant qu'il se désintéresse de la situation dans les mesures qu'il est appelé à prendre.
Vous avez in fine avancé une solution qui fait d'ores et déjà partie de celles que j'étudie avec mon collègue M. Strauss-Kahn. Il faut toutefois remarquer que, si l'Etat peut accompagner le système bancaire, il ne peut pas se substituer à lui. Le système bancaire a, dans le financement des entreprises, ses responsabilités propres, et il n'est pas question que l'Etat se substitue à lui.
Je me suis rapproché de mon collègue ministre de l'agriculture et, ayant entendu la liaison pertinente que vous faisiez avec l'ensemble des maillons de la chaîne, je me rapprocherai du ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je vous propose que nous étudiions ensemble, avec les autres sénateurs et députés concernés dans leur région respective, les mesures concrètes et précises que nous serons appelés à prendre rapidement pour remédier à la situation qui est grave, en effet, et qui nous inquiète.
M. Bernard Murat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de l'intérêt que vous portez à ce problème, dont nous nous sommes déjà entretenus précédemment. Il est vrai qu'il dépasse votre seul département ministériel, car il s'inscrit dans un secteur d'activité plus vaste avec, en aval, l'industrie des cuirs et peaux et, en amont, bien évidemment, les producteurs.
On parle beaucoup de la crise porcine en France, mais on parle très peu de la crise que connaissent les producteurs d'ovins. Pour un producteur, le prix de revient du « cinquième quartier », c'est l'expression généralement employée pour désigner la peau de mouton, varie en fonction de la production. Il est évident que des peaux de l'Aveyron sont vendues plus chères que des peaux de la Corrèze. Reste que, globalement, la peau de mouton représente aujourd'hui une part très importante du revenu du producteur. C'est donc un problème vaste.
Le Gouvernement ne peut évidemment se substituer aux banques. Là aussi, c'est un vaste débat, que l'on pourrait reprendre dans bien des domaines. En effet, lorsque des PME, des PMI et certaines activités économiques ont besoin de banques, ces dernières se mettent toujours aux abonnés absents.
M. Christian Demuynck. Effectivement !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. C'est exact !

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