Séance du 27 novembre 1998







M. le président. Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant l'enseignement scolaire.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Il me revient, au terme de cette discussion, de présenter, en ma qualité de rapporteur spécial de la commission des finances, des amendements auxquels vous avez, madame le ministre, fait allusion.
Je me permettrai, en toute sérénité, de vous répondre, ayant lu Les Mémoires d'Hadrien, à seize ans. Ce livre m'avait été remis par mon père qui était enseignant proviseur, un lycée de province, le lycée Gay-Lussac et dont j'ai constaté dans un article paru hier dans Le Monde qu'il avait de très bons résultats pour les préparations à Cachan, et pour d'autres types de concours...
Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire. Cela prouve que nous n'avons pas baissé les moyens !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. J'ai malheureusement le privilège par rapport à vous d'avoir quelques décennies de plus et, madame, d'être un homme, et je crois avoir bien ressenti et bien compris ce livre qui porte sur l'écoulement du temps, le temps qui passe, la vie, l'expérience que l'on acquiert et la sérénité que l'on gagne.
Cette sérénité, je crois que j'en suis empreint, et je l'ai montré au début de cette discussion concernant le budget du ministère de l'éducation nationale.
J'ai cru apercevoir un petit sourire ironique quand vous avez parlé du Val-d'Oise, madame le ministre. Or, vous avez pu noter que mon intervention portait sur le budget de l'éducation dans sa globalité, premier budget de l'Etat, et que je m'étais strictement abstenu d'évoquer toute question locale qui, normalement - je le dis peut-être à mes collègues en même temps qu'à vous - ne doit pas apparaître à ce stade de la discussion budgétaire.
A propos du Val-d'Oise, malgré tout, parce que je ne peux pas ne pas vous donner mon sentiment, nous avons noté vos efforts spécifiques dans ce département et nous avons considéré qu'ils étaient équitables parce que la situation y est dramatique.
Depuis trente ans, je travaille dans le Val-d'Oise, notamment dans le secteur éducatif. Il suffit de citer les noms de Garges-lès-Gonesse, Goussainville, Argenteuil, Sarcelles, Villiers-le-Bel... pour imaginer ce qu'il en est.
Il faut avoir assisté à la mise en place des écoles, des collèges et des lycées, responsabilité que j'ai exercée à tous les niveaux depuis trente ans.
Quelque trente lycées et quelque quarante collèges ont été construits et j'ai toujours travaillé dans la coopération, animé par une conviction certaine.
Ce que vous avez fait était juste, nous le reconnaissons. Nous espérons que vous continuerez, parce que cela répond aux nécessités de la qualification et de la formation des jeunes du Val-d'Oise.
Pour ce qui est des amendements, ne faisons pas semblant de croire que, dans le cadre des institutions de la République et telles que fonctionnent la Constitution et l'ordonnance de 1959 sur les projets de loi de finances et sur la réelle répartition des rôles, des compétences et du pouvoir final de décision en matière financière entre l'Assemblée nationale et le Sénat, nos amendements pourraient conduire à la catastrophe que vous avez évoquée, nous le savons bien. Telle n'est pas la portée de nos amendements, telle n'est pas du tout leur signification.
Je le dis à Mme Luc, comme je l'ai indiqué tout à l'heure à Mme la ministre, j'irai la tête haute sur le terrain, comme je l'ai fait depuis trente ans, avec des références, un bilan et une action dans le domaine éducatif qui n'a rien à envier à personne.
Créer une université nouvelle, dépenser chaque année 400 millions de francs pour reconstruire des collèges à dimension humaine en consentant un réel effort de qualité, rénover et construire des lycées, mettre en place tout le système éducatif de la ville nouvelle : quand vous aurez ces références-là, madame la ministre, vous pourrez peut-être me dire que je ne suis pas capable d'aller sur le terrain !
Mme Hélène Luc. Les lycéens jugeront, les professeurs aussi !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Tout à fait, et je ne crains pas leur jugement !
Lorsqu'il n'y avait plus d'élèves dans les classes, j'étais un des rares élus à dire qu'il fallait accepter les fermetures ! Qui avais-je en face de moi pour refuser ces fermetures et manifester ?
Je connaissais personnellement tous les recteurs et tous les inspecteurs d'académie de la région d'Ile-de-France. Ils me disaient qu'ils prenaient des mesures raisonnables, qu'il fallait bien s'adapter aux situations, en l'occurrence qu'il fallait bien fermer une classe à Pontoise - dans la commune dont j'étais le maire - pour en ouvrir une dans la ville nouvelle. Et j'acceptais cette mesure impopulaire pour ma ville, mais qui relevait d'une bonne gestion des ressources humaines, d'une bonne rationalité, d'une bonne localisation des personnels, indispensable pour accueillir les populations.
Cela étant dit, et en vous demandant de m'excuser, mais j'y ai été conduit à la fois par la réflexion de Mme Luc et par votre dernière expression dans la conclusion du débat, monsieur le ministre, je dois présenter les amendements de réduction, et c'est un rôle difficile.
M. Jean-Louis Carrère. C'est cela, le problème, car ce n'est plus en adéquation avec ce que vous venez de dire !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Il n'est pas nouveau !
M. Jean-Louis Carrère. L'Assemblée nationale ne l'acceptera pas.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Nous l'avons déjà fait l'an dernier ; nous le referons l'année prochaine, parce qu'il est dans le rôle de l'opposition de dresser et d'établir un budget alternatif.
Nous l'avons dit à M. Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; nous l'avons dit jour et nuit à M. Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Nous faisons ce budget alternatif parce que nous ne voulons pas rejeter brutalement l'ensemble des budgets sans discussion. Nous ne pouvons pas faire ce que nous a suggéré de manière tout à fait insidieuse M. Strauss-Kahn, à savoir : ne respectez pas la Constitution, ne respectez pas l'ordonnance de 1959. Tantôt augmentez un budget, tantôt réduisez tel autre. Ce sera un vrai contre-budget, un vrai budget alternatif !
Cette suggestion malicieuse, je pense, de sa part, puisqu'il est d'une intelligence diabolique, bien évidemment nous ne la suivrons pas. Notre seule méthode consiste donc, pour établir un budget alternatif qui réponde à nos objectifs, à travailler sur trois points : réduire les dépenses, réduire les prélèvements obligatoires, réduire les déficits.
Une analyse vraiment objective - regardons autour de nous, ne fermons pas les yeux ! - nous prouve tous les jours la nécessité d'adapter ce budget à une conjoncture qui, malheureusement, n'évolue pas comme nous le souhaiterions.
M. René-Pierre Signé. Elle évolue mieux qu'avant pourtant.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Pour faire aboutir ces mesures, nous devons présenter des amendements.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Monsieur le rapporteur spécial, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Bien volontiers, madame le ministre.
M. le président. La parole est à Mme le ministre, avec l'autorisation de M. le rapporteur spécial.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Monsieur le rapporteur spécial, vous avez fait état de votre expérience à laquelle je rends volontiers hommage.
Je crois que les décisions que nous prenons sur le plan national ont un impact local extrêment direct. Mais je voudrais souligner que ce ne fut pas chose aisée d'obtenir les arbitrages budgétaires que nous avons obtenus avec Claude Allègre.
Nous l'avons fait parce que nous avons la conviction que nous devons lutter pour l'égalité des chances à l'école et qu'un certain nombre de points doivent être rattrapés.
Vous avez fort bien décrit la situation scolaire dans votre département. Vous savez que l'actuel gouvernement en a pris acte précisément et qu'à cette rentrée scolaire, à la prochaine rentrée scolaire et à la rentrée suivante nous voulons rétablir l'égalité des chances en donnant davantage là où les élèves et les équipes éducatives en ont le plus besoin. C'est le fondement même de cette augmentation budgétaire.
Vous le savez ; vous avez même développé une argumentation qui va à l'encontre des amendements que vous allez défendre, monsieur le sénateur.
Mme Hélène Luc. Absolument !
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Vous venez de développer une argumentation que je partage, qui fait état justement d'un besoin scolaire très important, y compris dans le département que vous connaissez bien, et vous allez, à l'instant, défendre des amendements qui précisément nous empêcheront de mener cette politique de justice scolaire !
Monsieur le sénateur, au nom de la logique politique que vous venez vous-même de développer, je vous demande de retirer ces amendements. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur spécial.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Nous donnons acte aux ministres de leur capacité de dialectique et de dialogue avec le Sénat. Nous l'avons constaté à la commission des affaires culturelles, M. le président Gouteyron le confirmera peut-être tout à l'heure. Moi, je l'ai constaté personnellement en commission des finances.
La logique globale de réduction des dépenses porte sur 26 milliards de francs. J'attire votre attention sur le fait que, l'année dernière, vous avez annulé des crédits pour un montant de 21 milliards de francs. C'est là une indication globale. (Mme Ségolène Royal, ministre délégué, et M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, protestent.)
Je ne parle pas du ministère de l'éducation nationale, bien sûr.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Ah bon ! J'ai cru que j'allais avoir une attaque ! (Sourires.)
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Je voulais vous prouver que notre proposition est responsable et raisonnable.
Mme Hélène Luc. Non, elle n'est pas raisonnable !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Par ailleur, nous considérons qu'un certain nombre de relavorisations globales de la fonction publique et que les dépenses globales progressent de manière excessive par rapport au rythme de la production et de l'inflation.
Hier, j'ai eu la même mission difficile pour les crédits du Premier ministre. M. Sautter m'a dit que pour un premier coup d'essai, c'était un coup de maître ! Aujourd'hui, bien sûr, c'est beaucoup plus difficile. Il s'agit de masses financières nettement plus importantes. Cela étant, c'est indispensable pour parvenir à un nouvel équilibre budgétaire.
M. René-Pierre Signé. Mais ce n'est pas un coup de maître !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Monsieur le président, lorsque vous m'y inviterez, je défendrai les amendements.
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : I. - Enseignement scolaire.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 3 323 314 472 francs. »