Séance du 7 décembre 1998







M. le président. Par amendement n° II-135, MM. Ostermann, Oudin, Besse, Braun, Cazalet, Chaumont, Delong, Gaillard, Haenel, Joyandet et Trégouët proposent d'insérer, après l'article 67, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans la première phrase du premier alinéa du I de l'article 154 du code général des impôts, les mot : "de 17 000 F" sont remplacés par les mots : "d'une rémunération égale au plus à trente-six fois le montant mensuel du salaire minimum interprofessionnel de croissance".
« II. - Dans le second alinéa du I du même article, le nombre : "trente-six" est remplacé par le nombre : "soixante-douze".
« III. - Les dispositions du présent article s'appliquent aux revenus perçus à compter de l'année 1999.
« IV. - Les pertes de recettes résultant pour l'Etat de l'application des I et II ci-dessus sont compensées à due concurrence par un relèvement des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus à l'article 403 du même code. »
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Lorsque la femme d'un artisan ou d'un commerçant occupe un emploi salarié dans l'entreprise de son mari, son salaire est réintégré, pour une grande part, dans le bénéfice de l'entreprise. Il en est ainsi pour la part de son salaire dépassant 17 000 francs par an, sauf si l'entreprise adhère à un centre de gestion agréé. Une partie plus ou moins importante de son salaire est donc assimilée, fiscalement, à un bénéfice, et non à un salaire.
Cette règle nous paraît absurde sur le plan de l'assurance sociale. En effet, alors que le salaire du conjoint supporte en totalité les cotisations du régime général, notamment les cotisations d'assurance maladie et de vieillesse, une partie de celui-ci est une nouvelle fois soumise à ces cotisations au titre du régime des travailleurs non salariés.
Par conséquent, il est indispensable de mettre un terme à l'anomalie que constitue le plafonnement à un niveau bas de la déductibilité du salaire du conjoint, à savoir 17 000 francs. Le présent amendement vise donc à relever ce plafond à trente-six fois le SMIC pour les entreprises non adhérentes à un centre de gestion agréé et à soixante-douze fois le SMIC pour les entreprises adhérentes.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet amendement a déjà été présenté lors de l'examen de la première partie du présent projet de loi de finances. Nous avions alors dit qu'il soulevait un réel problème. Sur le fond, comme l'a exposé M. Hubert Haenel, le plafonnement aboutit à un double assujettissement aux cotisations sociales de la part du salaire au-delà du plafond : assujettissement, d'un côté, comme rémunération et, de l'autre, comme bénéfice. C'est pourquoi les auteurs de cet amendement demandent le relèvement des plafonds.
Pour résoudre ce problème, il serait peut-être préférable de modifier les règles concernant le droit social de façon que la part du salaire inférieure au plafond fiscal ne soit prise en compte qu'une fois.
La commission des finances, compte tenu de l'importance de la question et, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'absence d'indications claires de la part du service de la législation fiscale quant au coût d'une telle mesure, avait décidé, lors de la discussion des articles de la première partie, de s'en remettre à l'avis du Gouvernement. Il s'agissait d'obtenir en séance publique une indication aussi précise que possible de votre part, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le coût de la mesure. Sans doute n'avez-vous pas eu, lors de l'examen de la première partie, tous les éléments d'appréciation nécessaires, car vous nous avez répondu avec humour : « Le coût est inestimable. » La commission s'en est alors remis à la sagesse du Sénat et l'amendement ayant semé le trouble dans certains esprits n'avait pas été accepté par assis et levé, car une première épreuve à main levée avait été déclarée douteuse par le bureau.
Sur la forme, la commission des finances, qui a examiné une nouvelle fois l'amendement, a constaté qu'elle n'avait toujours pas d'indication précise du Gouvernement sur le coût de la mesure. Cela nous pose problème, monsieur le secrétaire d'Etat. En effet, nous ne pouvons pas délibérer sur de telles questions sans connaître la portée budgétaire de nos décisions. Il est indispensable de savoir où nous nous situons et d'avoir un minimum d'éléments d'évaluation du coût pour les finances publiques, en l'occurrence pour le budget de l'Etat. La commission des finances souhaite donc, monsieur le secrétaire d'Etat, entendre l'avis du Gouvernement avant de se prononcer sur le fond.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Cette disposition concerne la question, fort bien présentée par M. Haenel, du conjoint de l'exploitant. Il faut distinguer deux cas.
Ou bien le régime matrimonial n'inclut aucune communauté, c'est-à-dire que l'on est sous le régime de la séparation de biens, le conjoint est alors un salarié et son salaire peut être déduit sans limite.
Ou bien le régime matrimonial comprend des éléments de communauté, l'épouse est alors associée à l'exploitation. On parle de « salaire du conjoint » mais elle n'est pas à proprement parler salariée, car - c'est une situation hybride - elle travaille dans l'entreprise et est associée à l'exploitation. C'est pourquoi ont été prévus ces fameux plafonds de trente-six fois le SMIC ou de 17 000 francs selon que l'exploitant adhère ou non à un centre de gestion agréé. La justification du dispositif actuel vient de cette différence qui trouve son origine dans les contrats de mariage.
Vous proposez d'aller très au-delà, ce qui soulève des objections. Dans un régime de communauté, il serait possible de cumuler les avantages du salarié et les avantages de l'exploitant. En d'autres termes, vous pourriez faire en sorte que l'on déduise une trop grande part du revenu versé au conjoint. Le dispositif en vigueur me semble équilibré.
Pour savoir quel serait le coût de cet amendement, monsieur le rapporteur général, il faudrait que les services des impôts - qui connaissent pourtant beaucoup de choses...
M. Hubert Haenel. Oh, oui !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... puissent faire la distinction entre les exploitants mariés sous le régime de séparation de biens et ceux qui ont un régime matrimonial excluant une part de communauté. Je suis au regret de vous dire que nous ne disposons pas d'une telle information. Afin d'apaiser notre débat, je pourrais vous dire, un peu au hasard, que cette mesure coûte plusieurs centaines de millions de francs. Mais j'ai l'habitude, lorsque je réponds à la commission des finances de la Haute Assemblée, de dire la vérité autant que l'on puisse la chiffrer. En l'occurrence, je le dis très simplement : nous ne sommes pas capables, parce que nous n'avons pas l'information de base, de vous dire quel est le coût de cette mesure.
Voilà ce que je voulais répondre à M. Haenel. Il faut, pour le conjoint qui travaille dans une entreprise et qui est marié sous un régime de communauté de biens, réaliser un équilibre entre l'association à l'exploitation et le statut de salarié. Or la situation actuelle paraît au Gouvernement convenable de ce point de vue.
Dans ces conditions, je demande le retrait ou le rejet de cet amendement.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il me semble que notre collègue Hubert Haenel pourrait peut-être, au nom de M. Joseph Ostermann, retirer cet amendement, surtout si le Gouvernement nous donnait l'assurance que cette question fera l'objet d'un examen. Nous voyons bien que le fait de traiter différemment, sur le plan fiscal, les couples ayant choisi le régime de la séparation de biens et ceux qui ont choisi un régime de communauté ou de participation aux acquêts n'est pas satisfaisant ! Cela amène d'ailleurs certains époux à changer de régime matrimonial alors qu'ils ne le souhaiteraient pas, et je pense qu'il n'est pas bon que les règles fiscales aient une influence en la matière.
C'est pourquoi il me semble, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'appel qui vous a été adressé à plusieurs reprises mérite une attention particulière.
Vous dites qu'il est difficile, pour les services fiscaux, de connaître quel serait l'impact financier d'une telle mesure. C'est sans doute vrai, encore que je ne sois pas sûr que ce soit totalement impossible puisque, lorsque l'on s'inscrit au registre du commerce et des sociétés, on doit déclarer son régime matrimonial. Grâce à cette obligation, il y a donc sans doute moyen d'obtenir des éclaircissements, même si cela peut être compliqué.
Mais permettez-moi de souligner, monsieur le secrétaire d'Etat, que, personnellement, je ne crains pas beaucoup les abus en la matière pour le budget de l'Etat. En effet, le chef d'entreprise qui sera tenté de sursalarier son conjoint, et en conséquence de passer en charges des sommes importantes, devra acquitter des cotisations sociales qui sont quand même assez lourdes dans notre pays. Et, après tout, faut-il les empêcher d'acquitter des cotisations sociales lourdes ? Ce point reste à examiner.
Par ailleurs, il va bien falloir que le foyer fiscal déclare ces salaires majorés. Et c'est sans doute « inestimable », monsieur le secrétaire d'Etat - encore que je ne sache pas ce que, dans votre esprit, signifie « inestimable » - mais ce n'est peut-être pas aussi important que vous l'imaginez.
Peut-être pourrions-nous accepter - c'est ce que j'indiquais tout à l'heure à M. Haenel - de remettre l'ouvrage sur le métier et de revoir cette question à l'occasion d'une prochaine discussion, mais encore faudrait-il que vous nous envoyiez, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques signaux marquant votre intérêt pour cette question.
Est-il satisfaisant pour le Gouvernement que des couples se voient soumis à des régimes fiscaux différents selon leur régime matrimonial, régime qu'ils ont parfois choisi vingt ou vingt-cinq ans auparavant ? Non, la commission des finances ne le pense pas, et elle souhaiterait connaître, monsieur le secrétaire d'Etat, votre réponse sur ce sujet.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Et avec le PACS ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. J'ai écouté avec attention M. le président de la commission des finances, auquel je précise que la différence est introduite non pas par le droit fiscal, mais par le statut même du conjoint qui travaille dans l'entreprise commerciale ou artisanale. Ce n'est pas la même chose d'être salarié à 100 % ou d'être dans un statut hybride, mi-salarié mi-exploitant !
Je veux bien marquer de l'intérêt pour vos réflexions, monsieur le président de la commission - je le fais d'ailleurs systématiquement - mais, en la matière, je ne vois pas comment on peut progresser. Cependant, si la commission des finances a des suggestions à faire, je l'écouterai volontiers.
Encore une fois, il y a une différence de nature entre un salarié qui est en régime de séparation de biens et un autre qui est en régime de communauté de biens, et cette différence influe sur son statut professionnel.
Cependant, si la commission souhaite pousser plus avant ses réflexions en la matière, le Gouvernement les examinera volontiers.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. A titre tout à fait exceptionnel, monsieur le président, je me permets d'insister, d'autant que je crois savoir que nous ne sommes pas aussi pressés par le temps qu'il nous arrive de l'être en pareilles circonstances.
Je veux verser, monsieur le secrétaire d'Etat, un élément supplémentaire à notre réflexion.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Moi aussi !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Le choix de la séparation de biens pour les époux qui exercent une activité à caractère commercial est souvent lié au souci de permettre à l'un d'entre eux d'échapper, le cas échéant, à la prise en charge du passif. Il ne faut donc pas pénaliser les époux qui acceptent de conserver le régime de la communauté et n'optent pas pour le régime de la séparation de biens afin d'éviter la participation aux dettes éventuelles de l'activité !
C'est ce qui me conduit, monsieur le secrétaire d'Etat, à insister pour que vous preniez en compte la préoccupation que nous exprimons et qu'ensemble - je parle sous le contrôle de M. le rapporteur général, parce que la commission, quels que soient les moyens dont elle dispose, et ils sont grands, n'y parviendra pas sans votre soutien et sans votre aide - nous puissions travailler en commun.
Pardonnez-moi d'insister à ce point, monsieur le secrétaire d'Etat, mais je crois qu'il est important que vous nous laissiez paraître que vous n'êtes pas opposé à ce qu'une réflexion commune soit menée sur ce sujet.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. J'apprécie beaucoup ce dialogue avec M. le président de la commission des finances.
Je voudrais à mon tour apporter deux éléments au débat.
Le premier, c'est que, à ma connaissance, lorsque l'un des deux conjoints meurt, les droits de succession sont différents selon le régime matrimonial,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Non !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... selon qu'il y a ou séparation ou communauté de biens.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Non !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Ce point mérite peut-être d'être vérifié, car il est ambigu.
S'il y a communauté universelle, les droits de succession sont différents de ce qu'ils sont en cas de séparation de biens.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je vous affirme que non !
M'autorisez-vous à vous interrompre, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je vous en prie !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de M. le secrétaire d'Etat.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. La communauté universelle est un régime très particulier, monsieur le secrétaire d'Etat. Or, ici, nous sommes dans le cadre de la communauté légale, celle à laquelle sont soumis tous les Français qui n'établissent pas de contrat de mariage.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je veux simplement dire que, en matière de droits de succession, il peut arriver qu'il y ait des différences selon le régime matrimonial.
Il y aurait peut-être, au demeurant, une solution très élégante pour résoudre la question que vous posez, qui consisterait à inciter les entreprises individuelles à adhérer à des centres de gestion agréés. Je pense que cela serait de nature à aller dans le sens de la transparence, de la bonne gestion, et les abattements fiscaux seraient nettement supérieurs.
Si tous les couples qui travaillent ensemble dans une entreprise individuelle adhéraient à un centre de gestion agréé, cela coûterait, certes, cher à l'Etat, mais je pense que ce serait, de la part tant de l'Etat que de ces entreprises individuelles, un bon investissement. Voilà au moins un point sur lequel nous pourrions être d'accord, me semble-t-il !
M. le président. L'amendement est-il maintenu, monsieur Haenel ?
M. Hubert Haenel. Si M. le président de la commission des finances estime que M. le secrétaire d'Etat vient d'engager un commencement de dialogue et que ce dialogue devra se poursuivre, alors je retire volontiers l'amendement.
M. le président. L'amendement n° II-135 est retiré.
Par amendement n° II-136 rectifié, MM. Ostermann, Oudin, Besse, Braun, Cazalet, Chaumont, Delong, Gaillard, Haenel, Joyandet, Trégouët et les membres du groupe du RPR proposent d'insérer, après l'article 67, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après l'article 726 du code général des impôts, il est inséré un article 726 bis ainsi rédigé :
« Art. 726 bis. - A compter du 1er janvier 2000, les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d'enregistrement dont le taux est fixé :
« 1° à 1 % :
« - pour les actes portant cessions d'actions, de parts de fondateurs ou de parts bénéficiaires des sociétés par actions, autres que celles soumises au taux fixé au 2°, et de parts ou titres du capital, souscrits par les clients des établissements de crédits mutualistes ou coopératifs ;
« - pour les actes portant cessions de parts sociales dans les sociétés, autres que celles soumises au taux fixé au 2°, dont le capital n'est pas divisé en actions ;
« Ce droit est plafonné à 20 000 francs par mutation ;
« 2° à 4,80 % :
« - pour les cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière y compris les cessions de parts ou de titres en capital souscrits par les clients des établissements de crédit mutualistes ou coopératifs à prépondérance immobilière ;
« Est à prépondérance immobilière la personne morale non cotée en bourse dont l'actif est, ou a été au cours de l'année précédant la cession des participations en cause, principalement constitué d'immeubles ou de droits immobiliers situés en France ou de participations dans des personnes morales non cotées en bourse elles-mêmes à prépondérance immobilière. Pour l'application de cette disposition, ne sont pas pris en considération les immeubles affectés par la personne morale à sa propre exploitation industrielle, commerciale, agricole ou à l'exercice d'une profession non commerciale.
« II. - Les pertes de recettes résultant pour l'Etat de l'application des I et II ci-dessus sont compensées à due concurrence par un relèvement des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus à l'article 403 du même code. »
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. L'article 726 du code général des impôts établit une distinction entre les droits exigibles en matière de cession de droits sociaux concernant des sociétés par actions ou d'autres sociétés comme les SARL.
Depuis 1991, les premières bénéficient en effet d'un droit préférentiel de 1 % plafonné à 20 000 francs par mutation, alors que les secondes sont assujetties au taux de 4,8 %.
Rien ne justifie une telle différence de traitement, qui pénalise injustement les petites sociétés, d'artisans ou de commerçants notamment, généralement constituées sous forme de SARL.
Avec le présent amendement, nous proposons donc une harmonisation à 1 %, dans la limite de 20 000 francs, quelle que soit la forme sociétaire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission estime que c'est un excellent amendement, qui porte sur un sujet particulièrement important puisqu'il s'agit de créer un contexte de neutralité fiscale pour la cession des actions ou des parts entre les sociétés anonymes, d'une part, et les SARL, d'autre part.
Chacun sait que, dans notre pays, un nombre considérable de sociétés anonymes ont été constituées pour éviter, notamment, d'acquitter le droit de mutation de 4,8 % sur les cessions de parts applicable aux SARL. C'est l'un des problèmes que soulève le droit des sociétés français, en raison de l'absence de neutralité fiscale sur les formes de cession.
Dans ces conditions, la commission des finances ne peut qu'émettre un avis favorable. Cette mesure est évidemment coûteuse, mais, puisqu'elle est ici prévue en deuxième partie et qu'elle est susceptible de ne s'appliquer qu'en l'an 2000, il est tout à fait concevable que, d'ici là, le Gouvernement fasse les économies nécessaires afin de la financer. (Sourires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Nous sommes là en présence d'un amendement familier, puisque nous l'avons déjà examiné lors de la discussion de la première partie de la loi de finances. Il est vrai que la mesure proposée devait alors s'appliquer dès 1999 ! Avec une obstination que je salue - c'est une grande vertu régionale, voire nationale - M. Haenel propose à nouveau ce dispositif, cette fois pour l'an 2000.
Je persiste à penser qu'il n'est pas légitime d'accroître la différence de traitement fiscal entre les cessions d'entreprises individuelles, d'un côté, et les opérations, souvent assez proches, que constituent les cessions de parts sociales, de l'autre côté.
Vous le savez, l' intuitu personae est beaucoup plus présent dans une SARL que dans une société par actions. Il ne me paraît donc pas bon de s'engager dans la voie que vous nous proposez, sans compter que, comme l'a très bien dit M. le rapporteur général, l'enjeu financier d'une telle disposition ne serait pas négligeable, même si je ne peux pas l'estimer exactement.
Voilà deux raisons qui me conduisent à demander le rejet de votre amendement, monsieur Haenel.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je ne sais pas si je vous convaincrai ce soir, monsieur le secrétaire d'Etat, mais j'insisterai tout de même sur deux ou trois éléments.
Tout d'abord, vous comparez les cessions de parts de SARL aux cessions de fonds de commerce. Vous vous situez donc au niveau de la très petite entreprise, de l'entreprise individuelle, exercée soit en nom propre soit sous une forme sociale qui peut prendre la forme d'une société de personnes ou d'une SARL, et vous vous refusez à prendre en compte la comparaison qui existe de l'autre côté du prisme entre la SARL et la société anonyme.
Ce que je vous disais tout à l'heure est une réalité concrète que peuvent constater tous les professionnels : experts-comptables, conseillers juridiques, avocats, notaires, tous ceux qui connaissent le milieu des PME et les questions juridiques qui le concernent vous diront qu'il existe dans notre pays un nombre considérable - sans doute des dizaines de milliers - de sociétés anonymes fictives. Les sept actionnaires sont, pour la plupart d'entre eux, des actionnaires sur le papier, les assemblées générales et les conseils d'administration ne se réunissent jamais, tout est purement formel. C'est d'ailleurs de bonne gestion, parce que, sous ce régime juridique qui comporte d'autres inconvénients ou d'autres rigidités par ailleurs, les cessions d'actions se font dans le cadre d'un droit forfaitaire plafonné à un niveau bas, ce qui n'est pas le cas pour la SARL, qui est pénalisée par un prélèvement de 4,80 % ad valorem sur les cessions de parts.
Il s'agit d'un problème quotidien que rencontrent tous ceux qui souhaitent constituer des sociétés pour mener à bien des projets d'entreprise dans le domaine des PME, que ce soit dans nos provinces ou nos départements, bref un peu partout.
Vous ne voulez voir, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un aspect particulier de la question en faisant la comparaison avec les sociétés en nom personnel. Mais n'est-il pas préférable de conseiller aux créateurs d'entreprise, s'ils veulent protéger leur patrimoine, de mettre en place la forme d'organisation adéquate, à savoir une forme sociétaire, même si elle est très simple, surtout si l'on assouplit le droit des sociétés pour les petites et moyennes entreprises ? Il est logique de les inciter à sortir du risque total sur tout leur patrimoine, qui est lié au fait de l'exercice en nom propre !
Dès lors, ils se dirigeront tout naturellement vers la constitution d'une société qui, logiquement, puisqu'il s'agit d'une petite entreprise qui n'a pas besoin d'énormément de formalités et qui veut éviter les lourdeurs de gestion, sera une SARL et non une société anonyme, une société de capitaux, avec ses avantages et ses inconvénients.
Mais alors, quand il faudra se céder des parts entre conjoints ou au sein de la même famille et a fortiori quand il faudra en céder à des tiers, on paiera 4,80 % de droits de mutation !
Est-ce normal ? C'est la question que posaient nos collègues et que je me permets de poser de nouveau, tant la réponse que vous avez faite, monsieur le secrétaire d'Etat, apparaît peu satisfaisante à la commission.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, nous faisons du strabisme divergent !
M. Michel Charasse. C'est louche ! (Rires.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Vous, vous regardez du côté de la société anonyme, moi je regarde du côté de l'entreprise individuelle. Il est possible que je ne regarde qu'une partie de la réalité, mais souffrez d'admettre que tel est également votre cas.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-136 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 67.

Article 68