Séance du 10 décembre 1998







M. le président. La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Madame le ministre, ma question vous paraîtra sans doute redondante, mais vous me la pardonnerez, l'actualité commande, et j'insiste.
Les grèves récentes dans les transports publics montrent bien que, si chacun possède un droit égal à faire grève, certains sont plus égaux que d'autres en la matière !
Interpellé à plusieurs reprises ces jours derniers, le Gouvernement s'est posé en défenseur du droit de grève, oubliant au passage les inégalités flagrantes qui caractérisent, en pratique, l'exercice de ce droit.
Certains peuvent ainsi impunément perturber la vie de centaines de milliers de personnes et obtenir des avantages que d'autres, qui n'ont pas ce pouvoir de nuisance, n'obtiendront jamais.
La continuité du service public est bafouée. Sa réputation est dévaluée, quoi qu'on en dise.
Le ministre des transports a dit récemment être « partisan du dialogue social et de la recherche du compromis quand cela est possible ». Très bien !
Mais le non-respect de la réglementation du droit de grève donne à certaines professions un pouvoir de pression tel qu'il est bien plus efficace de recourir à la grève que de se lancer dans quelque négociation que ce soit, nous le voyons tous les jours.
Ma question sera la suivante, madame le ministre : ne convient-il pas de mettre en place une obligation de service minimum dans les transports publics tel qu'il garantisse le droit de grève des agents publics, mais aussi le droit au transport pour chaque citoyen dans notre pays ?
Je conclus.
Proudhon proclamait : « La propriété, c'est le vol. » Prenons garde de n'avoir un jour à dire : la grève, c'est le vol ! Pourquoi ? Parce qu'une grève coûte cher et que le contribuable qui comble sans cesse les déficits des entreprises publiques est volé.
Si le résultat de l'entreprise publique est positif - cela arrive - chaque grève réduit ce résultat, et quand le Gouvernement met sur le marché le capital de l'entreprise - Air France - sa valeur est d'autant plus réduite. Le contribuable est lésé et, pour tous ceux qui ne sont pas contribuables, on peut dire que tout cet argent perdu aurait pu avantageusement contribuer à améliorer les prestations sociales de toute nature, et l'assisté est lésé.
La grève est donc un conflit social mais elle a des conséquences matérielles très importantes.
Sachant que, dans la plupart des cas, les grévistes obtiennent dans la plus grande discrétion le paiement de tout ou partie des jours de grève, le résultat est clair pour les autres : l'entreprise perd de l'argent...
M. le président. Posez votre question, monsieur Trucy !
M. François Trucy. Je l'ai déjà posée, monsieur le président ! (Sourires) ... l'usager est pénalisé, tous les Français paient. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. Michel Duffour. La question !
M. François Trucy. La grève, c'est le vol, sauf pour les avions d'Air France ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, permettez-moi, très respectueusement, de vous dire, en réponse à votre conclusion, que le droit de grève vaut mieux que de telles boutades !
M. Jean-Pierre Schosteck. Pas pour ceux qui prennent le train !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous savons très bien que le droit de grève est un droit imprescriptible. (Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Excusez-moi, mais dire que « La grève c'est le vol sauf pour les avions d'Air France » ce n'est pas à la hauteur des problèmes qui se posent aujourd'hui dans notre pays, je me permets de le dire. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Dominique Braye. Il n'y a que vous qui volez haut, madame le ministre !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je voudrais redire ce que j'ai déjà dit tout à l'heure : il est facile de demander le service minimum quand on n'a plus la capacité de le faire voter ! Vous n'avez jamais défendu cette thèse lorsque vous étiez au pouvoir car vous saviez que le service minimum est inapplicable.
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je me réjouis d'ailleurs d'avoir entendu M. Jean-Pierre Fourcade déclarer hier sur Europe 1, après avoir déposé une proposition de loi en 1992, qu'il avait changé de position depuis car il savait très bien, et je le cite, que « ce n'était pas une bonne approche du problème et qu'il ne fallait pas agiter la notion de service minimum alors que le service minimum est quelque chose de très difficile en matière de transports ».
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. La vérité, monsieur le sénateur, c'est, dans ce domaine comme dans d'autres, qu'il revient à la négociation d'apporter la solution.
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. M. Jean-Claude Gayssot a conscience, comme l'ensemble du Gouvernement, des désagréments qu'apporte la grève de la SNCF aux usagers.
M. le ministre des transports en a appelé à la responsabilité de tous. Je crois, comme lui, que c'est par la négociation, comme à la RATP, comme à EDF, qu'à la SNCF nous trouverons effectivement les moyens de permettre un droit de grève qui porte le moins d'atteintes possible à la continuité du service public.
Je préfère poser la question ainsi, pour la régler autrement que par des boutades qui n'ont pas de raison d'être sur une question aussi sérieuse. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
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