Séance du 15 décembre 1998







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Tous deux sont présentés par MM. Lauret et Payet.
L'amendement n° 5 tend à insérer, après l'article 16 nonies, un article additionnel ainsi rédigé :
« 1) Dans le premier alinéa de l'article 575 du code général des impôts, après les mots : "France continentale" sont insérés les mots : "et dans le département de la Réunion".
« 2) Au deuxième alinéa du 1. de l'article 268 du code des douanes, les mots : "et à la Réunion" sont supprimés.
« 3) Le deuxième alinéa du 1. de l'article 268 du code des douanes est complété par la phrase suivante :
« Dans le département de la Réunion, le montant du droit de consommation est déterminé en appliquant les taux mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts aux prix de vente homologués en France continentale ».
« 4) Dans l'article 49 de la loi de finances pour 1997 (n° 96-1181 du 30 décembre 1996), après les mots : "droit de consommation" sont insérés les mots : "perçu en France continentale". »
L'amendement n° 6 tend à insérer, après l'article 16 nonies, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le deuxième alinéa du 1. de l'article 268 du code des douanes est complété par la phrase suivante :
« Dans le département de la Réunion, le minimum de perception est fixé à 350 francs pour 1 000 cigarettes. Il est révisé chaque année en fonction de l'évolution, pour l'année civile écoulée, de l'indice des prix à la consommation pour les ménages incluant les tabacs. »
La parole est à M. Lauret, pour présenter ces deux amendements.
M. Edmond Lauret. Monsieur le président, comme vous l'avez indiqué, j'ai cosigné ces amendements avec mon collègue M. Payet, sénateur de la Réunion appartenant au groupe du RDSE.
Le 26 novembre dernier, à l'Assemblée nationale, M. Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, rappelait à juste titre les ravages du tabac qui nous coûtent chaque année 60 000 morts.
M. Kouchner déclarait que le Gouvernement était attaché à ce que la consommation du tabac diminue, notamment chez les jeunes. Il insista sur la corrélation qui existe entre la hausse du prix du paquet de cigarettes et la baisse de la consommation.
Le 3 décembre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez fait adopter par l'Assemblée nationale un amendement relevant les montants minimaux du droit de consommation sur les tabacs, ce qui, à notre sens, représente une excellente décision.
Or, il s'avère, mes chers collègues, que la décision prise par les députés concerne le seul territoire continental de la France et non les départements d'outre-mer, en particulier la Réunion où les prix du tabac sont anormalement bas, ce qui entraîne aujourd'hui une véritable ruée des jeunes sur ce produit, dont le caractère néfaste est indiscutable.
Mes chers collègues, j'ai entre les mains deux paquets de cigarettes identiques : même marque, même contenance, même présentation.
M. le président. Mon cher collègue, il est interdit de fumer en séance ! (Sourires.)
M. Edmond Lauret. J'ai payé l'un de ces paquets 19,40 francs à Paris, et l'autre 10 francs à la Réunion, alors que ces cigarettes sont toutes fabriquées du même côté de l'Equateur !
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, rien ne saurait justifier une politique de santé outre-mer différente et de moins bonne qualité de celle qui est menée sur le territoire métropolitain ! En effet, le tabac fait, hélas ! outre-mer, au moins autant de ravages sur la population, sur les jeunes en particulier, qu'en France continentale.
J'ajoute que M. Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, faisait aussi remarquer le 23 octobre, à l'Assemblée nationale, qu'outre-mer l'impératif de santé publique n'était pas assuré, notamment par le niveau des taxes frappant le tabac.
Les amendements que nous proposons ce jour ont pour objet de mettre fin à cette anomalie, pour le plus grand bien de notre jeunesse.
L'amendement n° 6 est un texte de repli : il vise à limiter ce minimum de perception aux deux tiers du minimum métropolitain, soit 350 francs pour 1 000 cigarettes, contre 515 francs pour 1 000 cigarettes en métropole.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 5 et 6 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est un sujet complexe à traiter par des personnes qui connaissent insuffisamment ce beau département de la Réunion. Notre collègue Edmond Lauret est assurément mieux placé que les autres membres de cette assemblée pour traduire un sentiment directement issu d'une pratique très concrète et très quotidienne de son département.
Je souhaite rappeler, à la suite de ce qu'il a dit, que les prix publics du tabac à la Réunion sont, comme dans l'ensemble des départements d'outre-mer, inférieurs à ceux qui sont pratiqués en métropole. Cela tient compte des écarts de pouvoir d'achat des consommateurs ; c'est du moins de cette manière que l'on justifie la différence de tarif.
L'article 268 du code des douanes précise que le droit de consommation applicable aux cigarettes doit permettre une vente au détail « à des prix égaux aux deux tiers des prix de vente au détail en France continentale ».
Il paraît donc a priori légitime de vouloir aligner la situation fiscale de la Réunion sur celle de la France continentale.
Cependant, à la lecture de l'amendement n° 6, il apparaît que ces dispositions se traduiraient par des hausses de prix brutales. Elles sont même conçues pour cela ! Le taux moyen d'imposition passerait ainsi de 42 % à 70 %.
La question est de savoir quelles seraient les conséquences de ces hausses de prix brutales. On voit bien qu'en termes de défense de la santé publique, il y aurait un effet direct favorable.
Mais certains estiment que des effets indirects difficiles à analyser pourraient être plus défavorables et que la discontinuité dont il s'agit serait susceptible de se traduire entre les producteurs par l'apparition d'une guerre des prix, dont pourraient découler ultérieurement une baisse des rentrées fiscales, l'affaiblissement du secteur d'activité, le développement de la contrebande et, in fine , l'augmentation de la consommation.
Je ne vous dis pas que je suis moi-même totalement convaincu par ce scénario catastrophe. C'est pourquoi je voudrais, pour m'avancer un peu plus sur ce terrain que je connais, hélas ! trop mal, disposer au préalable, mes chers collègues, de l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 5 et 6 ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'article 16 nonies le montre bien, le Gouvernement est fermement déterminé à lutter contre le tabagisme.
Les amendements n°s 5 et 6 concernent non pas cette question en général, mais le point plus précis de la fiscalité spécifique sur le tabac applicable dans le département de la Réunion, comme dans tous les départements d'outre-mer : en effet, la fiscalité sur les tabacs y est déterminée sur la base de l'article 268 du code des douanes, aux termes duquel le droit de consommation est fixé à des taux permettant la vente des « produits à des prix égaux aux deux tiers des prix de vente au détail en France continentale ».
Je vous apporterai deux réponses, monsieur Lauret.
En premier lieu, il n'est pas souhaitable de dissocier l'île de la Réunion des autres départements d'outre-mer. Il faut garder un régime uniforme. Si ce dernier mérite peut-être réflexion, il n'y a cependant pas de raison de dissocier l'île de la Réunion des autres départements d'outre-mer.
En second lieu, vous avez cité un cas précis, monsieur le sénateur. J'ai donné des instructions très fermes pour que ces règles, qui avaient peut-être été un moment oubliées par les uns ou les autres, soient appliquées avec rigueur. Cela s'est traduit, je crois, par un relèvement des prix du tabac à la Réunion.
Je considère donc l'amendement n° 5 et l'amendement de repli n° 6 comme des appels adressés au Gouvernement pour que les règles destinées à lutter contre la tentation du tabac chez les jeunes soient appliquées à la Réunion avec plus de rigueur. C'est ce à quoi le Gouvernement s'est employé.
Cette satisfaction vous étant donnée, monsieur le sénateur, peut-être pourriez-vous retirer vos amendements qui, je le répète ont pour inconvénient principal de dissocier le sort de l'île de la Réunion de celui des autres départements d'outre-mer ? A défaut, je serais obligé d'émettre un avis défavorable sur ces deux propositions.
M. le président. Quel est, en définitive, l'avis de la commission sur les amendements n°s 5 et 6 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je veux tout d'abord apporter un élément complémentaire dans notre débat.
La commission des finances craint qu'un alignement complet des règles fiscales applicables à la Réunion sur celles de la France continentale ne place les cigarettes à un prix paradoxalement supérieur à celui qui est en vigueur sur le continent.
Il nous faut donc nous assurer de la réalité de ce risque. Je n'ai pas la possibilité de le faire pour l'instant, compte tenu des délais d'examen de ce collectif budgétaire. Il nous faut également nous assurer, dans l'intérêt même du département de la Réunion, qu'une évolution importante du régime des prix du tabac ne fragiliserait pas l'usine de Saint-Pierre, qui emploie cent vingt personnes. Il est clair que tout risque éventuel à cet égard doit absolument être écarté.
Par ailleurs, l'argument de M. le secrétaire d'Etat en vue de la non-dissociation des départements d'outre-mer me paraît déterminant. L'intention de M. Lauret étant tout à fait incontestable, il serait utile, à mon avis, que notre collègue puisse se rapprocher des sénateurs représentant les autres départements d'outre-mer de telle sorte qu'une initiative commune soit susceptible de voir le jour, ce qui nous permettrait alors de légiférer dans des conditions satisfaisantes.
Par conséquent, après avoir entendu le Gouvernement, la commission confirme sa demande de retrait de l'amendement, mais cette demande ne doit pas être interprétée comme un avis nécessairement négatif sur le fond ou comme une fin de non-recevoir. En effet, le sujet mérite davantage d'éclaircissements et il doit sans doute être étudié sur le plan plus global des différents départements d'outre-mer. Le mérite de notre collègue Edmond Lauret aura été, en tout cas, d'avoir appelé notre attention sur un problème réel, qui ne peut manifestement pas rester en l'état.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Edmond Lauret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lauret.
M. Edmond Lauret. Monsieur le rapporteur général, je réponds quatre fois non à vos quatre arguments.
Tout d'abord, s'agissant du coût de la vie à la Réunion, on ne peut plus, depuis que l'égalité sociale a été instaurée, prétendre qu'il est plus bas qu'en métropole.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est vrai !
M. Edmond Lauret. Les fonctionnaires sont surpayés - tout le monde en parle sans cesse - le SMIC et le RMI sont au même niveau qu'en métropole, et on ne peut donc plus parler maintenant de coût de la vie plus bas. Au contraire, certains demandent aujourd'hui des majorations de traitement pour y faire face.
En ce qui concerne la hausse brutale du coût du tabac, je vous dis également non, mon cher collègue, puisque le paquet de cigarettes était vendu à dix-huit ou dix-neuf francs voilà un an et qu'il ne vaut plus que dix francs aujourd'hui. On ne peut donc pas parler de hausse brutale ! Nous demandons simplement que la diminution soit limitée : au lieu de passer de dix-neuf francs à dix francs, le prix du paquet serait fixé à treize francs, ce qui nous permettrait de récupérer la différence. Par mon amendement de repli, je demande ainsi une progression de 30 %. Nous serions alors à treize francs, c'est-à-dire à un prix nettement inférieur à celui qui était appliqué en début d'année.
Quant aux effets indirects pour les fabricants, je suis désolé de répondre encore une fois non : je ne suis pas là pour défendre les fabricants qui importent du tabac étranger à la Réunion, je ne fais que rejoindre M. Kouchner quand il dit qu'il faut baisser la consommation de tabac.
En ce qui concerne la contrebande, enfin, mon cher collègue, vous connaissez la Réunion : vous savez que c'est une île entourée de falaises, qui n'est desservie que par deux ports. On n'y entre pas comme à Compiègne !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il n'y a pas de contrebande à Compiègne ! (Sourires.)
M. Edmond Lauret. Pour ce qui a trait à l'usine de Saint-Pierre, l'argument ne tient pas.
Nous connaissons à la Réunion une situation particulière qui n'est pas celle de la Martinique et de la Guadeloupe : dans ces deux départements, le prix du tabac n'a pas baissé à ce point.
Je maintiens donc mes amendements.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je voudrais poursuivre ce débat avec M. Lauret et confirmer un propos de M. le rapporteur général : si l'amendement n° 6 était adopté - je parle de votre amendement de repli qui prévoit un minimum de perception de 350 francs pour 1 000 unités - cela reviendrait à établir un droit de consommation de 7 francs par paquet de vingt cigarettes, soit une charge fiscale pour ce seul droit de près de 64 % du prix de vente, contre 58,3 % en métropole. Dans votre lutte contre le tabagisme, vous en arrivez ainsi à « pousser le bouchon », si je puis employer cette expression familière, au-delà de ce qui se passe en métropole.
Je crois pouvoir aussi rappeler que la Réunion a connu un épisode de guerre des prix au terme duquel le prix de certaines cigarettes, dont celles que vous avez exhibées, a considérablement diminué.
Grâce aux efforts de tous et, surtout, grâce aux effets de la fiscalité, leur prix est remonté à un niveau plus normal. Peut-être ne faut-il donc pas perturber, monsieur Lauret, cette remontée du prix des cigarettes à la Réunion en allant au-delà d'un mouvement déjà clairement ascendant.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 16 decies