Séance du 2 février 1999







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. le président de la commission des affaires économiques et du Plan.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Avant que nous passions au vote sur l'ensemble de ce projet de loi, je veux tirer quelques conclusions de ce long débat, de cette longue traversée au cours de laquelle nous aurons examiné quelque 619 amendements.
Je commencerai par vous remercier, monsieur le ministre : le Sénat tout entier a été sensible à votre vigilante mais souriante courtoisie, ainsi qu'à l'esprit d'ouverture dont vous avez fait preuve à l'égard d'un grand nombre des amendements qui vous ont été présentés. Vous aviez promis l'ouverture, promesse tenue ! Je voulais vous en donner acte.
Vous me permettrez évidemment aussi, au nom de tous nos collègues, de remercier M. le rapporteur, qui a accompli un travail énorme malgré le peu de temps dont il disposait. Je ne sais pas comment il a si bien résisté, toujours est-il qu'il nous a tous impressionnés, tout au long des débats, par la connaissance parfaite qu'il avait du texte. Je ne l'ai jamais surpris en défaut d'explication ! Nous avons tous été frappés - et vous aussi, monsieur le ministre, je crois - par l'orientation constructive qu'il a systématiquement voulu prendre.
La majorité du Sénat, on le sait, est dans l'opposition nationale ; il n'en demeure pas moins que, sur un texte comme celui-ci, M. Souplet a oeuvré avec la conscience qui le caractérise - une conscience qui vient de combien de décennies de services rendus à l'agriculture ! - et qu'il a été à la hauteur de sa réputation et de sa compétence. Je tenais, au nom de la commission des affaires économiques, à l'en remercier.
Je voudrais également remercier ceux qui l'ont aidé dans sa tâche, notamment tous les sénateurs, sur quelque travée qu'ils siègent, qui ont pris part au débat. Il me semble, monsieur le ministre, que chacun a montré quel intérêt le Sénat porte aux problèmes agricoles.
Ce débat aura montré la très grande compétence d'un certain nombre de ceux qui siègent dans cet hémicycle, beaucoup d'entre eux, à l'instar des différents rapporteurs de ce texte, ayant consacré une bonne partie de leur vie aux problèmes agricoles. Par conséquent, ils savent de quoi ils parlent, ils ne sont pas ici les représentants de tel ou tel groupe de pression, et ils ont abordé les questions à la lumière de la connaissance intime et vécue qu'ils ont des problèmes agricoles. Je voudrais les en remercier toutes et tous.
Cet excellent travail nous a permis, monsieur le ministre, d'améliorer le texte, comme vous le souhaitiez. Nous y sommes arrivés non seulement au regard de la rédaction, de la forme, qui a été, en bien des endroits, simplifiée et clarifiée, mais aussi au regard du fond, grâce à des apports importants.
Je n'ai pas l'intention de rappeler tout ce qui a été apporté au texte. Je citerai simplement l'introduction de la notion d'entreprise agricole, si importante, à mes yeux, et l'ajout concernant la fiscalité pour les jeunes qui s'installent. Ce volet était absent de la loi ; il y figurera très utilement.
Moyennant ces ajouts, moyennant ces clarifications, ces améliorations de rédaction, les acquis sont importants.
Il y a, bien sûr, le contrat territorial d'exploitation, qui doit permettre à la fois une meilleure répartition et une meilleure adaptation des aides face aux problèmes qui peuvent se poser dans une agriculture aussi diverse, territorialement, que la nôtre.
Je pense à ce qui a été dit - mais l'essai reste à transformer, monsieur le ministre - sur l'assurance récolte.
Dans des régions comme la mienne, où les calamités sont récurrentes, l'assurance récolte est de nature, si on lui donne un vrai contenu, à apporter un immense soulagement aux agriculteurs.
Mais, pour le moment, nous attendrons. Je voulais simplement attirer votre attention sur l'urgence qu'il y a à donner un vrai contenu à ces dispositions.
Je pense naturellement aussi, au chapitre des acquis, à ce qui a été fait en faveur de la qualité des produits et de la sécurité alimentaire. Ce sont des acquis importants auxquels l'opinion publique sera extraordinairement sensible.
Je pense encore au volet qui renforce l'organisation professionnelle et qui, notamment en période de crise, lui donnera un rôle important.
Ayant passé en revue les améliorations, le travail accompli, les acquis du texte, je me dois, au nom de la majorité de la commission, et sans doute au nom de la majorité du Sénat, de vous exprimer aussi les interrogations que nous portons en nous. Elles sont graves et, pour certaines d'entre elles, lancinantes.
Je pense, en particulier, au problème du financement des contrats territoriaux d'exploitation. Ayant assisté, à la fin de la semaine dernière, au congrès départemental de la fédération des exploitants de mon département, j'ai pu constater à quel point ce problème était désormais au coeur des interrogations de ceux-là mêmes qui applaudissent à l'idée du contrat territorial d'exploitation.
A ces interrogations - vous ne m'en voudrez pas de vous le dire, monsieur le ministre - vous n'y avez, nous semble-t-il, pas répondu, en tout cas pas comme nous aurions souhaité que vous le fassiez.
Ces interrogations ne portent pas tant sur l'année 1999 - il faudra du temps pour mettre en route une procédure tout à fait nouvelle - que sur la suite, sur l'espérance que la disposition suscite partout. Nous nous demandons en effet si les financements - entendez les financements de l'Etat - seront au rendez-vous. Car le péril existe d'une double dérive.
Une première dérive consisterait à frapper à la porte de Bruxelles. Si nous plaidions un financement européen pour des actions aussi nationales et locales que celles-là, nous nous mettrions en contradiction avec nous-mêmes, au moment même où nous nous opposons à la renationalisation, qui constitue - nous en sommes bien d'accord avec vous - un grand péril. Cela se traduirait par une fragilisation de la position française à Bruxelles contre laquelle nous souhaitons vous mettre en garde.
L'autre dérive consisterait à frapper à la porte des collectivités territoriales. A cet égard, l'inquiétude s'est répandue chez les responsables de ces collectivités, d'autant que les financements demandés le seraient probablement aux départements et aux régions les plus pauvres, là où le contrat territorial est attendu, là où il peut rendre des services. Faire ainsi appel aux locaux, aux régionaux, le contrat territorial d'exploitation masquait, en fait, un énième transfert de charges, serait évidemment une grave erreur.
Une autre interrogation concerne le contrôle des structures, et vous l'avez bien senti dans les débats que nous avons eus.
Ce n'est pas que nous ne comprenions pas un certain nombre des objectifs que vous cherchez à atteindre et qui consistent, par exemple, à faire en sorte que les sociétés et les particuliers soient traités de la même façon. Il nous semble toutefois que, pour régler quelques cas qui, effectivement, se posent, on a pris des dispositions générales qui, qu'on le veuille ou non - je sais que cela ne fait pas plaisir à entendre - nous font craindre une étatisation - je ne dirai pas une bureaucratisation - de l'agriculture.
A cette première préoccupation s'en ajoute une seconde : la banalisation de la famille. Je ne dis pas que les préfets ne tiendront pas compte des liens de famille qui peuvent exister. Simplement, le fait que cela soit soumis à l'appréciation d'un haut fonctionnaire, si impartial soit-il, nous paraît aller beaucoup trop loin.
Notre troisième préoccupation tient aux lacunes du projet, la principale étant probablement celle qui concerne la fiscalité.
A cet égard, monsieur le ministre, le débat que nous avons eu avant la suspension ne m'a pas particulièrement rassuré. Je vous ai trouvé si peu désireux de soumettre au Sénat les propositions du Gouvernement que je me suis dit que ce n'était peut-être pas tout à fait par hasard ou parce que vous aviez manqué de temps que le volet fiscal était absent du projet de loi. Nous avons le sentiment qu'on ne le verra peut-être jamais.
C'est la raison pour laquelle nous aurions eu tort, cher collègue Pastor, de ne pas imposer au Gouvernement un exercice vis-à-vis duquel il m'a paru manquer d'appétit. Cet appétit, c'est au Sénat de le stimuler !
Telles sont les quelques observations que je voulais faire. Comme vous le constatez, elles sont équilibrées ; je les ai voulues telles. Elles me paraissent traduire le sentiment d'un grand nombre de sénateurs de la majorité.
Je terminerai en faisant observer que l'agriculture est très inquiète, monsieur le ministre - je l'ai senti, en cette fin de semaine. Ce qui l'inquiète, c'est non pas évidemment ce projet de loi, mais les deux échéances qui l'attendent : l'échéance européenne, à savoir la réforme de la PAC, et l'échéance internationale, autrement dit la grande négociation qui va démarrer à l'OMC, personne ne sachant ce qui va en sortir - je ne sais pas si vous-même, monsieur le ministre, pouvez le prévoir !
Cette inquiétude nous fait obligation d'apporter à notre agriculture, au travers de ce projet de loi d'orientation, ce qu'il lui faut d'espérance au moment où elle s'engage pour deux ou trois ans dans un tunnel qui suscitera beaucoup de préoccupations et qui, à ma connaissance, a déjà commencé à freiner le rythme des installations, rythme très étroitement lié à des phénomènes psychologiques, à la confiance ou à la méfiance que les jeunes ont dans leur avenir.
Par conséquent, puisse ce texte être encore amélioré en commission mixte paritaire et puissiez-vous, monsieur le ministre, sur les sujets qui nous préoccupent, apporter les apaisements que, par-delà les élus que nous sommes, l'agriculture attend. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales, saisie pour avis de ce texte, a eu, bien sûr, pour objectif de développer le volet social du projet.
Cet objectif a, je crois, été atteint, car la plupart des amendements que nous avons proposés, qui avaient été adoptés en commission le plus souvent avec un large consensus, et que notre rapporteur M. Dominique Leclerc - qui n'a pu être là ce soir et dont c'était d'ailleurs le premier rapport - a bien défendus, ont été retenus.
Monsieur le ministre, grâce à votre compréhension, voire à un soutien, qui dépassait parfois le simple accord, nous avons pu progresser dans un certain nombre de domaines. Je veux vous en remercier.
Certes, au départ, nous avons commencé par trébucher lorsque nous avons voulu inscrire dans la loi que les pensions de retraite du régime agricole les plus basses seraient portées au niveau du minimum vieillesse. Vous nous avez opposé l'article 40, et cela ne nous a pas étonnés ; nous nous y attendions.
En revanche, nous sommes parvenus à élaborer une rédaction plus satisfaisante de l'article 1er ter relatif à un rapport sur les retraites qui sera plus complet et auquel vous avez d'ailleurs souscrit.
S'agissant de l'installation des jeunes agriculteurs, le Sénat a adopté un amendement de notre commission qui majore le taux d'exonération des cotisations sociales des jeunes agriculteurs.
Notre commission a également été à l'origine de deux dispositions représentant un net progrès social pour le monde agricole : l'une vise à déterminer un montant minimum pour les pensions de réversion agricoles et l'autre étend au régime agricole les règles d'insaisissabilité et d'incessibilité applicables aux pensions et rentes des régimes d'assurance vieillesse, d'assurance maladie et d'assurance invalidité. Ces dispositions vont dans le sens de l'harmonisation des régimes que nous souhaitons tous.
En ce qui concerne les caisses de mutualité sociale agricole, le Sénat a, certes, supprimé, contre votre avis, l'institution d'un commissaire du Gouvernement au sein du conseil d'administration et de l'assemblée générale de la caisse centrale de mutualité sociale agricole.
En revanche, il a adopté un amendement de M. Darcos instituant un conseil de surveillance. Un moyen terme a donc été trouvé. Certes, la tutelle doit s'exercer, mais elle doit être réellement statégique, et non pas prendre la forme d'un commissaire du Gouvernement qui serait là pour éventuellement dénoncer ou sanctionner un certain nombre d'initiatives.
Des amendements ont été adoptés pour déterminer des règles plus simples de fonctionnement des caisses. Cela va dans le sens de la simplification qu'a évoquée tout à l'heure M. François-Poncet.
En matière de droit du travail, la commission des affaires sociales a cherché à rendre plus cohérentes les dispositions du projet de loi, s'inscrivant ainsi dans une démarche plus pragmatique et plus proche du terrain.
Ainsi, une disposition très attendue a été adoptée : l'extension de l'exonération de cotisations sociales aux associations d'aide à domicile intervenant en milieu rural dont les personnels sont assurés par la mutualité sociale agricole.
Nous avions eu un débat sur ce point avec Mme Aubry, ici même, à l'occasion de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale. Nous avions adopté un texte identique qui faisait l'objet d'un amendement de nos collègues du groupe socialiste. Finalement, ce texte a été supprimé. Là, vous avez bien voulu soutenir notre texte et supprimer le gage.
Ce que nous vous demandons, c'est que, dans le cadre de la commission mixte paritaire, la majorité de l'Assemblée nationale ne s'oppose pas au maintien de ce texte, qui est un outil d'harmonisation et qui va aider les associations d'aide à domicile en milieu rural.
Nous avons également proposé d'étendre le champ d'application du Titre emploi simplifié agricole, afin que les mesures de simplification puissent se traduire le plus possible en termes d'emploi.
De même, le Sénat a supprimé, sur proposition de notre commission, deux mesures à la fois bureaucratiques et inutiles. Il n'a pas jugé utile d'inscrire dans la loi une limitation des déplacements des salariés employés par les groupements d'employeurs en agriculture. Il a aussi supprimé l'observatoire de l'emploi salarié, ce nouvel observatoire nous paraissant largement redondant avec des organismes déjà existants.
Enfin le Sénat - et pas spécialement la commission des affaires sociales, bien que cela soit de son domaine - ne s'est pas opposé à la création de deux nouveaux organismes paritaires départementaux, l'un en matière d'activités sociales et culturelles, l'autre en matière de sécurité et d'hygiène. Il a toutefois veillé à ce que la représentativité des membres de ces organismes soit la plus proche possible des réalités locales, puisque nous avons supprimé le niveau national.
En conclusion, je dirai que ce débat a été bon pour tout le monde. Nous avons bien senti, monsieur le ministre, combien vous maîtrisiez votre sujet. Je reconnais que les arguments que vous avez pu nous opposer étaient souvent pertinents, même si cela ne nous empêche pas d'avoir des opinions différentes.
Ce débat a permis d'apporter au projet de loi issu des travaux de l'Assemblée nationale des correctifs ou des compléments qui le rendront plus efficace et plus réaliste. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Vecten, rapporteur pour avis.
M. Albert Vecten, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles avait présenté quelque 53 amendements.
Un seul d'entre eux, monsieur le ministre, s'est vu opposer l'article 40, mais le Sénat n'oubliera pas votre promesse d'augmenter les crédits de stages pour les jeunes qui vont en entreprise. (Sourires.)
Il était tout à fait nécessaire et utile de prendre en compte, dans cette loi, le problème de la formation des hommes, du développement et de la recherche.
La loi votée en 1984 a fait ses preuves. Il n'y avait donc pas beaucoup de modifications à lui apporter, et il faut se réjouir que, depuis quinze ans, l'enseignement agricole professionnel soit assez exemplaire.
Cette loi, nous l'avons quelque peu dépoussiérée, améliorée, sans toucher à l'armature. L'enseignement agricole professionnel, nous allons pouvoir continuer à l'améliorer encore.
Je veux, au nom de la commission des affaires culturelles, remercier mes collègues qui ont adopté tous nos amendements à l'unanimité, comme d'ailleurs nous l'avions fait en 1984. C'est un bon présage.
S'il fallait revoir les structures de nos exploitations, il convenait aussi de ne pas oublier la formation de nos jeunes, non plus que la formation continue. A cet égard, nous pouvons nous réjouir d'avoir continué dans la voie qui est tracée depuis quinze ans. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce vote marque l'achèvement de l'examen d'un projet attendu depuis longtemps par le monde agricole. Il s'agit là du troisième texte d'orientation agricole de la Ve République. C'est dire si l'enjeu est d'importance.
Au-delà de l'adaptation de l'agriculture aux évolutions de l'économie et aux mutations de la société, les objectifs de ce texte sont multiples. Il vise à renforcer la compétitivité de l'agriculture française sur le marché intérieur et sur les marchés mondiaux, à valoriser la diversité et la richesse des potentiels territoriaux ainsi qu'à pérenniser l'activité agricole.
L'agriculture, par le fait d'une loi d'orientation fort attendue, doit marquer une réelle ouverture sur la société française.
L'agriculture affrontera de nouveaux défis qui doivent la conduire à réaliser des performances nouvelles en matière économique, sociale, territoriale mais aussi en matière d'environnement.
Elle affrontera aussi les nouvelles évolutions auxquelles elle ne pourra se soustraire que sont la libéralisation des échanges, l'ouverture de l'économie et l'expansion de la demande mondiale.
Elle affrontera enfin des distorsions qu'il importera encore de corriger, une politique agricole commune dont la réforme engagée aurait sans doute mérité un peu moins d'ardeur à légiférer dans la précipitation.
Nous savons qu'une modification importante, une modification profonde de cette politique agricole commune, si elle avait lieu, aurait des conséquences importantes, voire dramatiques, sur le projet de loi que nous votons ce soir.
M. Philippe François. C'est exact !
M. Jacques Pelletier. Le texte a été modifié par de nombreux amendements afin de répondre aux espérances d'un monde agricole qui ne peut en aucun cas être déçu à un moment où la concurrence mondiale tend à s'exacerber.
Les dispositions relatives au CTE ont été précisées, alors qu'elles nous paraissaient un peu floues dans le texte initial. De même, le renforcement excessif du contrôle des structures a été atténué par nos amendements.
Il est, réaffirmons-le, indispensable de préserver la dimension économique et exportatrice de l'agriculture, qui doit demeurer d'essence libérale : l'agriculteur est avant tout un producteur, un entrepreneur.
L'agriculture ne sera présente sur nos territoires que si elle est présente sur nos marchés. Dans cette perspective, on doit se prémunir de toute tentation visant à sur-administrer l'agriculture et à contrôler à l'excès ses structures. C'est ce que la commission des affaires économiques s'est efforcée de traduire par ses nombreux amendements.
Comment ne pas rendre hommage en cet instant à notre rapporteur, M. Souplet, et au président de la commission des affaires économiques, M. François-Poncet, qui ont accompli un gros travail car, tout en respectant l'architecture d'un texte attendu, ils ont su proposer et consacrer des modifications indispensables à la reconnaissance d'une agriculture moderne et apte à s'intégrer dans une nouvelle politique commune.
Je me plais à souligner la bonne atmosphère qui a régné tout au long de la discussion entre la commission, les membres de notre assemblée et le Gouvernement.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de l'esprit d'ouverture et de coopération courtoise dont vous avez su faire preuve au cours de ces longues journées.
Le groupe du RDSE que je représente ce soir se félicite de la démarche engagée et votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certains travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine. Au terme de cette discussion, je relèverai la richesse des échanges que nous avons eus, monsieur le ministre, même s'il convient d'émettre deux regrets.
Le premier a trait au calendrier, à la tenue entrecoupée de nos travaux.
Le second porte sur la méthode, sur l'invocation un peu trop répétée de l'article 40, qui a quelque peu terni la qualité de notre dialogue républicain.
Nous avons pu faire des avancées notables en faveur des agriculteurs et des agricultrices de notre pays. Sur le plan social, c'est incontestable et nous nous en réjouissons tous.
Sur les autres titres, nos conceptions du rôle et de la place de l'agriculture restent divergentes, et je suis moins optimiste sur le devenir de certaines grandes options que nous nous apprêtons à voter définitivement ici, au Sénat.
Je vous redis ce qui a inspiré le groupe des Républicains et Indépendants dans ce débat : faire une loi d'orientation agricole qui puisse donner l'espoir d'une agriculture remplissant sa fonction primaire qui consiste à produire, tout en préservant notre environnement, sans oublier les marchés mondiaux, les impératifs sanitaires et la modernisation technique qui se développe tous les jours.
C'est ce qui nous a conduits à adopter les propositions de la commission des affaires économiques sur de nombreux points. En effet, et je le souligne en toute sincérité et en toute estime, notre rapporteur, M. Souplet, a fait un bon travail, solide, argumenté, constructif. Je pense notamment au dispositif de contrôle des structures rendu moins contraignant.
Nous avons conservé la notion de contrat entre les agriculteurs et la société, matérialisé par le CTE, tel que l'ensemble des organisations professionnelles agricoles, finalement, l'acceptent.
La rédaction adoptée par le Sénat l'arrime avec raison à l'activité de production et concilie la diversité des situations de notre agriculture, les régions de montagne chères à notre collègue Mme Bardou et les autres. Sur le fonds de financement du CTE, nous avons également clarifié les choses et écarté les risques financiers pour les collectivités locales.
Sur la définition de l'activité agricole, ce fameux article 6, qui avait été accusé de tous les maux dans nos campagnes, je crois qu'il faudra une bonne fois pour toutes engager un bon dialogue entre les parties. Les parlementaires sont prêts à y contribuer, pour aider à l'équilibre des activités et au développement d'une pluriactivité consentie.
Je tiens à saluer également les dispositions que nous avons adoptées sur la fiscalité des entreprises. Elles nourrissent un texte très pauvre sur ce plan. Je suis également heureux que la commission des affaires économiques ait décidé de créer un groupe de travail dans ce domaine.
Nous regrettons que la création du fonds agricole se soit heurtée à l'article 40 de la Constitution, comme, hélas ! bon nombre des propositions qu'a faites la majorité sénatoriale : je pense en particulier aux suggestions très concrètes de revalorisation des retraites agricoles.
Le niveau actuel de formation des jeunes agriculteurs permet d'affirmer la réalité de l'entreprise agricole. Le volet relatif à l'enseignement le conforte.
Sur la qualité des produits, les modifications adoptées permettent de mieux préciser les choses, et nous sommes parvenus à une bonne solution concernant les interprofessions nationales spécifiques. L'article concernant les AOC viticoles a été clarifié, et nous nous en réjouissons.
La mise en place d'un comité de biovigilance peut être le garant de la bonne utilisation de l'ensemble des produits à usage agricole. Nous nous en félicitons. Notre groupe a également souhaité apporter sa contribution aux réflexions en cours sur deux sujets majeurs pour les agriculteurs.
Il s'agit, d'une part, de la mise en place de l'assurance-récolte. Le nouvel article 12 reflète bien notre position de principe, et nous avons modifié le code rural dans un sens favorable à l'organisation d'une meilleure protection des producteurs dans le secteur viticole. Mais nous devons poursuivre notre travail sur ce plan, et j'appelle l'attention de mes collègues et de notre commission sur cette urgence.
D'autre part, afin de promouvoir l'installation, nous nous félicitons de l'adoption du dispositif préretraite et de sa claire destination aux jeunes agriculteurs.
Nous remercions le Gouvenement de ses réponses sur la fixation des prix des loyers des bâtiments d'habitation et d'exploitation et l'encourageons à apaiser les inquiétudes des bailleurs sur la question délicate de l'épandage des boues des stations d'épuration sur les sols agricoles.
Nous sommes convaincus que les modifications apportées par le Sénat à ce projet de loi vont écarter les risques d'affaiblissement de notre agriculture que sa rédaction initiale recelait. C'est la raison pour laquelle le groupe des Républicains et Indépendants adoptera le projet de loi tel qu'il a été remanié par notre Haute Assemblée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme d'un long débat et, le temps nous étant compté, je ne pourrai vous faire part de tous les commentaires que m'inspire cette discussion qui s'achève.
En commençant cette intervention, je me permettrai de vous dire, monsieur le ministre, combien j'ai apprécié votre courtoisie, votre esprit d'ouverture, votre sourire permanent.
Qu'il me soit permis également, en cet instant, de rendre un hommage appuyé à un vieil ami, un ami de quarante ans (Sourires), Michel Souplet, notre rapporteur, qui a fait un travail que tout le monde admire.
Qu'il me soit permis encore de féliciter M. Jean-François Poncet pour la façon dont il a dirigé les travaux de la commission, ce qui ne fut pas toujours facile.
Une question s'est posée à nous avant ce débat : était-ce le moment de présenter ce projet de loi ? Venait-il trop tard ou trop tôt dans le calendrier ?
Finalement, le débat s'est engagé. Il fut riche, et je suis heureux qu'il ait eu lieu.
Sur ce sujet important, nous avons pu nous livrer à des échanges fructueux sans rien renier de nos convictions - et nous en avons - en nous efforçant de nous écouter, mais aussi de nous persuader réciproquement du bien-fondé de notre argumentation.
Je suis heureux que ce débat ait eu lieu parce que l'esprit général du texte consistait finalement à passer un contrat entre le monde agricole et le pays, contrat qui officialise ce que nous savons par les sondages : notre pays aime son agriculture. Ce débat a permis de le montrer.
Il a aussi permis de reconnaître la contribution de l'agriculture à l'aménagement du territoire par la reconnaissance de la pluriactivité des agriculteurs, au maintien de l'environnement grâce à des techniques de développement durable.
Ce débat nous a permis aussi, faut-il le dire, monsieur le ministre, de constater, même si nous le savions dès le début, que ce texte comportait de fortes carences en matière d'économie et de fiscalité.
Enfin, vous me permettrez de vous dire, monsieur le ministre - certains de mes collègues partageront sûrement mon point de vue - que nous avons eu parfois l'impression que vous éprouviez quelques difficultés à reconnaître l'entreprise agricole, voire le rôle d'entrepreneur que jouent les agriculteurs chaque fois que la taille de leur exploitation le leur permet. Les jeunes agriculteurs, croyez-moi, aspirent à devenir des entrepreneurs chaque fois qu'ils le peuvent.
Nous vous avons parfois senti, monsieur le ministre, habité de réserves envers nos différentes conceptions.
Ainsi, vous n'acceptez pas de reconnaître, comme nous, le poids que représente la famille dans la pérennité de cette filière et de ces entreprises.
Vous n'acceptez pas non plus tout à fait, de la même manière que nous, le rôle irremplaçable, incontournable, que joue la propriété individuelle dans ce métier.
Et puis, vous avez invoqué l'article 40 de la Constitution, voire une fois son article 41, ce qui nous a laissé supposer que le ministre n'avait pas toujours les mains libres vis-à-vis du Gouvernement. Cela, nous l'avons compris. Mais nous ne voudrions pas y voir une manifestations de pingrerie de la part du Gouvernement à l'égard de son agriculture. Nous espérons que cette impression n'était que superficielle.
Enfin, vous nous avez paru réservé à propos des dispositifs d'assurance agricole, que je crois pourtant essentiels et qui me paraissent être le mécanisme le mieux adapté, pour l'avenir, aux agricultures des pays développés.
Tout cela, ce ne sont que des impressions d'ambiance. Je voudrais en venir maintenant à l'économie générale du texte, de ce texte dont l'application passe essentiellement par le CTE, sur les conditions de mise en place, de fonctionnement, et bien sûr, de financement duquel nous ne sommes pas complètement rassurés.
Pour 1999, les chiffres ont été donnés. Pour l'année suivante, nous ne savons pas ce qu'il en sera. En fait, nous craignons toujours que, finalement, pour assurer le financement du CTE, vous ne succombiez à une renationalisation des crédits européens.
Au passage, je tiens à vous mettre en garde contre les deux risques que peut faire courir ce financement, c'est-à-dire soit une renationalisation des crédits européens, ce qui reviendrait à fragiliser notre position à Bruxelles, soit le recours au financement par les collectivités locales entraînant une absence de solidarité et une distorsion de concurrence.
Tout cela étant posé, monsieur le ministre, le groupe centriste, au nom duquel j'interviens, votera le texte amendé par le Sénat.
Il le votera parce que ce texte a été amélioré grâce à la contribution des uns et des autres.
Il le votera parce que ce texte est attendu par les organisations professionnelles agricoles les plus représentatives, parce que les dispositions relatives au CTE ont été précisées.
Il le votera parce que ce texte contribue à favoriser l'installation et la formation des jeunes agriculteurs, parce qu'il constitue une avancée remarquable dans le sens d'une meilleure appréhension des situations de chacun des acteurs du monde rural.
Nous souhaitons que le pays continue à aimer son agriculture, et ce texte peut favoriser ce lien.
Nous sommes partisans d'une agriculture dont les objectifs soient connus et dont l'avenir soit éclairé afin qu'elle puisse, par un haut niveau d'organisation professionnelle, en évitant le corporatisme et avec l'aide des pouvoirs publics, assurer sa pérennité ainsi que les revenus de la filière. Nous croyons que ce texte le permet.
Nous croyons aussi que la qualité du débat qui s'est déroulé au Sénat aura une heureuse influence sur la suite de l'examen de ce projet de loi.
Enfin, je pense que ce texte, de par les débats qu'il a suscités, de par les échanges qu'il a fait naître, de par le modèle français de l'agriculture qu'il permet d'esquisser, vous donnera, monsieur le ministre, la ferme conviction de la nécessité de définir un modèle, européen cette fois, d'agriculture, modèle européen dont la définition n'est pas encore achevée mais dont vous aurez besoin dans les négociations de l'Agenda 2000 ou dans celles de l'OMC. Nous espérons que, grâce à cet outil dont nous allons vous doter, vous pourrez être un très bon avocat à Bruxelles ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. André Lejeune applaudit également.)
M. le président. La parole est M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici au terme du débat qui nous a retenus sur un texte important ; attendu par tout le monde agricole depuis maintenant de nombreuses années. J'en suis convaincu, le résultat de nos travaux ne le décevra pas.
En préambule, je saluerai la richesse du débat auquel nous nous sommes livrés et qui nous a permis d'améliorer sinon le texte initial, du moins celui qui nous venait de l'Assemblée nationale.
Je relèverai deux séries d'éléments, les uns positifs, les autres négatifs.
Je commencerai par les éléments négatifs, encore que ce mot soit certainement trop fort pour désigner des points qui, en tout cas, ont montré qu'il existe - c'est normal, c'est le propre de la démocratie - entre les responsables de ce pays un certain nombre de divergences de vue.
La première concerne les notions d'exploitation et d'entreprise qui ont été évoquées au tout début du débat. Certains d'entre vous, en explication de vote, y sont revenus, témoignant de l'existence, dans notre pays, je ne dirai pas d'une agriculture duale, parce que c'est toujours délicat d'opposer les uns aux autres, mais de deux conceptions différentes de l'exploitation agricole. Il est bon que ce texte de loi puisse répondre aux deux catégories.
Oui, peut-être a-t-on parfois trop parlé d'entreprise, même si certains pensent ici que l'on n'en a pas assez parlé.
Je crois que les esprits ne sont pas encore fondamentalement prêts à franchir le pas et qu'ils ne sont pas encore tout à fait disposés à distinguer ces deux notions d'agriculture qui coexistent aujourd'hui sur notre territoire.
Deuxième élément qui peut apparaître comme négatif aux yeux de mon groupe politique : notre assemblée s'est montrée timorée à l'égard de propositions initiales visant à plus de transparence dans l'ensemble des organismes qui gèrent notre agriculture et la notion de pluralisme agricole est restée un peu trop étroite.
Nous le regrettons, mais sans plus. On aurait pu, nous semble-t-il en tout cas, aller un peu plus loin dans cette voie de manière à permettre aux partenaires syndicaux, qui font aujourd'hui partie du jeu démocratique, de participer avec plus de force à l'ensemble de la vie publique agricole.
Enfin, parmi les points qui peuvent susciter quelques regrets, en conclusion de notre débat, même si ce dernier a permis d'enrichir de façon sensible l'ensemble des dispositions relatives à la formation, je citerai une certaine remise en cause des équilibres qui avaient été établis en 1984 entre secteur public et secteur privé ; je le regrette d'autant plus qu'aujourd'hui notre assemblée a, semble-t-il, essayé de franchir un nouveau pas.
A côté de cela, il y a aussi bon nombre d'éléments positifs.
Notre débat a permis d'améliorer le texte qui nous a été transmis. En particulier, le projet concilie deux vocations essentielles de notre agriculture : d'une part, celle de répondre à un impératif de compétitivité - car notre agriculture doit défendre des positions sur le marché mondial - d'autre part, celle qui tourne autour de l'environnement, qui correspond à une exigence de la société d'aujourd'hui et qui suppose le maintien du plus grand nombre possible de petites exploitations.
Un autre élément positif important qui ressort du texte issu de nos travaux - et c'est peut-être le fondement de cette loi d'orientation - réside dans l'affirmation de la nécessité d'une agriculture contractuelle. J'en veux pour preuve le maintien du CTE, axe fort de ce projet de loi d'orientation, et que nous avons collectivement soutenu, même si, ici ou là, un certain nombre d'inquiétudes se sont fait jour, inquiétudes que je partage.
La notion de multifonctionnalité a également été confirmée par notre assemblée.
Je vois encore un motif de satisfaction dans le fait que notre débat a suscité une interrogation positive sur le contrôle des structures. Celui-ci est maintenu et sont assurées les conditions d'une transparence que souhaitait toute notre assemblée.
C'est ainsi que, en fin d'après-midi, un amendement a pu être voté à la quasi-unanimité. C'est un élément fort, qui mérite d'être souligné car il assure non seulement transparence mais aussi la pérennité du contrôle des structures.
Je veux aussi insister sur la véritable avancée sociale que permettent de réaliser des amendements adoptés par le Sénat, qu'il s'agisse de l'exonération de cotisations ou de l'installation des jeunes agriculteurs.
De même, sur toutes nos travées, a été exprimée la préoccupation de voir réunies les conditions d'un équilibre entre le monde agricole et le monde des métiers ruraux.
C'est là, à mes yeux, une préoccupation nouvelle qui devra être au centre du travail que le Gouvernement et le Parlement vont être conduits à accomplir dans le prolongement de cette discussion.
D'importantes améliorations ont également été apportées en ce qui concerne les notions de qualité et de sécurité alimentaires. Là encore, on peut se féliciter de l'exigence de transparence et de collégialité qui sera mise en oeuvre.
Je n'aurai garde d'oublier, dans cette liste des éléments positifs, la mise en place du comité de biovigilance, qui répond à une préoccupation forte.
Nous avons tous eu le souci, malgré des conceptions légèrement différentes, de dynamiser cette loi d'orientation. Le pire eût été, à la fin de ce débat, de nous en remettre à la commision mixte paritaire pour régler l'ensemble de nos différends. Nous avons laissé une porte ouverte pour que le travail qui a été mené par l'Assemblée nationale, puis par le Sénat se prolonge tant au niveau du Gouvernement qu'au sein du Parlement.
Il faut en effet que nous maintenions le contact entre nous. Car une loi n'est pas une photographie, reflet d'un seul moment de la réalité ; c'est quelque chose de vivant, qu'il faut savoir faire évoluer en permanence, dynamiser, animer, adapter à l'évolution de la réalité.
Vous me permettrez de remercier tout particulièrement, après d'autres, notre rapporteur de l'important travail qu'il a accompli. C'est un travail que tous les membres de mon groupe ont beaucoup apprécié.
Je remercie également le président François-Poncet, qui a remarquablement animé nos débats en commission.
Pour vous, monsieur le ministre, cette discussion était, en quelque sorte, un baptême du feu. Sans doute était-ce une chance exceptionnelle d'inaugurer vos fonctions, du moins dans une enceinte parlementaire, avec une loi d'orientation, mais force est de reconnaître que la tâche était tout de même ardue. Je tiens à vous féliciter pour la manière dont vous nous avez permis de trouver une cohésion, une harmonie, afin que soient définis un certain nombre de points d'équilibre.
Compte tenu de ces différents éléments positifs, mais aussi des regrets que nous éprouvons, notre groupe s'abstiendra sur le texte qui ressort de nos travaux. Bien sûr, nous ne voulons pas nous opposer aux améliorations qui y ont été apportées par notre assemblée. Mais nous voulons aussi marquer que, sur certains points, nous aurions souhaité aller un peu plus loin.
De ces longues heures de débat on me permettra de retenir quelques moments forts, et aussi quelques anecdotes, d'autant que je suivais pour la première fois tout le travail d'élaboration d'un texte de loi. Bien sûr, je demande à chacun d'accepter avec humour les rappels que je vais faire.
Ainsi, nous nous souviendrons d'avoir vu un rapporteur défendre un texte, puis ne pas le voter.
Et puis comment ne pas souligner l'habileté dont vous avez fait preuve, monsieur le président, dans la conduite de nos débats ? Juste avant la suspension de séance, nous ne savions plus sur quels textes nous avions voté et sur quels textes nous n'avions pas voté. Nous ne savions plus si nous devions nous prononcer sur un amendement ou sur un article.
Je vous l'avoue, monsieur le président, quand je vous ai vu compter ceux d'entre nous qui s'étaient levés pour voter, cela m'a rappelé un film où l'on voyait quelqu'un compter des gens qui étaient alignés mais qui bougeaient sans cesse de telle sorte que celui qui comptait ne trouvait jamais le même résultat. En l'occurrence, nous, nous ne bougions pas, c'était votre main qui bougeait ! (Sourires.)
Au-delà de cette note d'humour, je dirai que nous avons eu un débat de fond qui a permis à ce texte de se bonifier. Sans doute ne va-t-il pas tout à fait dans le sens que nous aurions souhaité, mais il va tout de même dans le sens d'une agriculture moderne, et de cela, mes chers collègues, je tiens à vous remercier. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de cinq jours de débats sur la loi d'orientation agricole, il me paraît opportun de tirer les premiers enseignements des modifications apportées par le Sénat.
J'ai eu l'occasion de montrer, lors de la discussion générale, que l'intérêt de ce projet de loi résidait tout autant dans son contenu immédiat que dans la portée politique de ses objectifs. Il doit en effet permettre au Gouvernement français de peser sur la réforme de la politique agricole commune en faveur d'une agriculture durable, capable de conjuguer création d'emplois, aménagement du territoire et respect de l'environnement.
Or force est de constater que le texte, remanié par la majorité sénatoriale, a non seulement perdu de son élan et de l'impact que souhaitaient lui donner le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale, mais est, à l'inverse, susceptible de conforter la Commission de Bruxelles dans ses choix et ses positions, rassemblées dans ce qu'il est convenu d'appeler le « paquet Santer ».
Je ne vois pas, pour ma part, de différences notables entre les discours tenus par certains de nos collègues de la majorité sénatoriale et les options ultra-libérales défendues par la Commission européenne.
Il est de bon ton, ici ou là, de gloser sur l'éventualité d'une renationalisation de la PAC et d'un possible cofinancement des aides publiques. Mais, à aucun moment, je ne vous ai entendus, messieurs de la majorité sénatoriale, vous émouvoir de l'injustice de la répartition des aides versées aux agriculteurs.
Notre collègue M. Alain Vasselle nous a seulement fait part de sa crainte de voir les exploitations les plus riches pénalisées par la nouvelle modulation des aides, compte tenu de leur impact économique !
Les petits exploitants, qui restent largement majoritaires dans notre pays, n'en déplaise à certains, apprécieront, je le pense, le sens de la justice et de l'égalité qui caractérise si peu les positions défendues par la droite.
Aussi, la principale leçon que je veux retenir de nos débats est l'incapacité flagrante de la droite à défendre des positions alternatives sans retomber quasi naturellement dans les schémas d'une agriculture productiviste, tributaire des marchés extérieurs, à mille lieues des exigences formulées par la société actuelle en termes de qualité des produits, d'occupation de l'espace rural ou de préservation des ressources naturelles.
Comment peut-on raisonnablement défendre, mes chers collègues, un système qui, aujourd'hui, avantage les plus gros producteurs, spécialisés le plus souvent dans des productions à faible valeur ajoutée, qui contribue à la disparition des petites exploitations, à la suppression des emplois agricoles et à la destructuration de nos territoires ?
M. Hilaire Flandre. C'est une caricature !
M. Gérard Le Cam. C'est la vérité !
Les chiffres records de l'économie agricole, répétés jusqu'à satiété par nos collègues pour justifier le statu quo, ne sauraient cacher l'appauvrissement déjà à l'oeuvre de nos campagnes et le développement des phénomènes d'exclusion en zone rurale.
Les crises porcine et avicole auxquelles nous assistons actuellement contribueront à accélérer ce phénomène, en dépit de la volonté et des efforts du Gouvernement.
Sans oser remettre en cause l'architecture du projet de loi, il faut bien le reconnaître, le « souffle » qu'a souhaité lui redonner la majorité de la commission des affaires économiques a sérieusement modifié l'orientation de ce projet de loi dans le sens d'une agriculture plus durable pour les uns et moins durable pour les autres, qui devront disparaître.
Les amendements défendus par le rapporteur ont, à cet égard, considérablement réduit la portée de ce texte, voire remis en cause un certain nombre de ses dispositions essentielles.
Ainsi, par exemple, le contrôle des structures réactivé par ce projet a été rendu inopérant, inefficace, mais aussi discriminatoire à l'égard des jeunes non issus du milieu agricole.
Si le CTE a été épargné par le Sénat - désireux, sans doute, de ne pas s'attaquer à un dispositif qui a d'ores et déjà reçu le soutien de toutes les organisations syndicales représentatives - la référence aux projets à caractère particulier a été supprimée, alors qu'il s'agissait de prendre en compte les initiatives lancées localement.
La volonté des députés de favoriser l'expression du pluralisme syndical dans toutes les enceintes professionnelles a été remis en question par la majorité sénatoriale.
Le volet social, enfin, a également subi les foudres de la droite : suppression des mesures concernant l'insaisissabilité des biens des agriculteurs en situation d'exclusion, suppression des dispositions favorables aux salariés agricoles, élargissement du TESA et atténuation du contrôle de l'Etat sur la Mutualité sociale agricole. Nous éprouvons cependant une satisfaction sur un point qui n'est pas négligeable, concernant le congé de maternité des agricultrices.
Par ailleurs, j'estime que nos propositions tendant à revoir le mode d'élection à la MSA et favorisant la parité entre salariés et non salariés méritait plus qu'un simple rejet d'un revers de la main de la part de notre rapporteur, qui a visiblement manqué, et je le comprends, d'arguments consistants en la matière.
Le groupe communiste républicain et citoyen a, pour ce qui le concerne, tenté d'améliorer et de renforcer le projet de loi tout en préservant l'équilibre du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Nos propositions, plutôt mesurées, ont été systématiquement écartées au cours de nos débats, sous prétexte d'« incompatibilité », selon le terme utilisé par M. le rapporteur. Aussi, refusant de nous inscrire dans la démarche de nos collègues de la majorité, axée sur une logique d'entreprise que nous ne partageons pas, vous le comprendrez, monsieur le ministre, nous n'avons d'autre solution que de voter contre le texte dans sa rédaction actuelle, un vote qui ne signifie évidemment pas, il s'en faut, un rejet en bloc, compte tenu de notre accord sur de nombreux articles. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme d'un long débat sur ce projet de loi d'orientation agricole, qui, je le rappelle, a été frappé de l'urgence.
Alors que l'agriculture française doit faire face à des défis majeurs, vous nous avez présenté, monsieur le ministre, un texte qui proposait une réponse anachronique, celle de la fonctionnarisation et la sur-administration de l'agriculture française.
En outre, ce texte pose le problème de la cohérence entre la politique européenne du Gouvernement et sa politique nationale.
Alors que la réforme en cours d'élaboration à Bruxelles tend à une renationalisation rampante de la politique agricole commune et à de nouvelles distorsions de concurrence entre les producteurs des différents Etats membres, le Gouvernement propose de nous engager dans un système de modulation nationale des aides et de brouiller la frontière entre le financement communautaire et le financement national.
Alors qu'à Bruxelles le Gouvernement s'oppose aux tendances à la renationalisation de la PAC, il nous lance, à l'échelon national, dans une démarche qui, en quelque manière, l'anticipe.
N'est-ce pas là, monsieur le ministre, s'affaiblir soi-même dans cette négociation capitale pour l'avenir de notre agriculture ?
C'est pourquoi, tout au long de cette discussion, le groupe du Rassemblement pour la République, se fondant sur l'excellent travail de notre rapporteur de la commission des affaires économiques, M. Michel Souplet a souhaité compléter et renforcer sensiblement le dispositif proposé par le Gouvernement et adopté par l'Assemblée nationale.
Nos propositions de modifications ont visé quatre objectifs principaux.
Il s'agit, premièrement, de la transformation du contrat territorial d'exploitation en contrat d'entreprise agricole, liant ainsi les deux fonctions de l'agriculture que sont la production et la valorisation du territoire.
Le CTE - « ossature » ou « épine dorsale » de ce texte - est finalement une fausse bonne idée, car cet affichage politique n'a pas de financement conséquent : on ne nous offre qu'un redéploiement des crédits pour 1999. Qu'en sera-t-il en 2000 et en 2001 ?
Notre groupe, monsieur le ministre, prend date, car on ne trompe pas impunément les agriculteurs : ceux-ci sauront se souvenir des promesses financières non respectées.
Monsieur le ministre, le mirage du CTE ne durera pas longtemps. Je rejoins là le président Jean François-Poncet, qui a exprimé ses doutes, mais également mes collègues MM. Emorine et Deneux.
Je viens d'entendre M. Jean-Marc Pastor, nous dire, dans une envolée superbe, qu'il était tout à fait favorable à certains aspects de ce texte. Je croyais qu'il allait voter avec la majorité sénatoriale. J'ai donc été très déçu d'apprendre qu'il allait s'abstenir. Je le regrette d'autant plus que c'est un collègue dont nous apprécions les uns et les autres toutes les qualités. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Il s'agit, deuxièmement, de l'insertion d'un volet fiscal destiné à encourager l'installation, la transmission et l'investissement.
Il s'agit, troisièmement, de l'assouplissement du contrôle des structures, en vue, notamment, de protéger la transmission des exploitations familiales.
Il s'agit, quatrièmement, du renforcement du volet social. En particulier, l'augmentation des retraites agricoles est, pour nous, un axe prioritaire.
Je tiens d'ailleurs à rappeler que cette démarche s'est inspirée du projet de loi de M. Philippe Vasseur ainsi que de la proposition de loi présentée par notre groupe et l'ensemble de la majorité sénatoriale, puis adoptée par le Sénat en décembre 1997.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RPR votera ce texte tel qu'il a été amendé par notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants de l'Union centriste et ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je voudrais, sans prolonger cette séance au-delà du raisonnable, répondre en quelques mots aux différents intervenants.
Je tiens d'abord à remercier M. François-Poncet pour les mots très chaleureux qu'il m'a adressés, auxquels j'ai été très sensible. Par ailleurs, j'ai vivement apprécié la qualité du travail et l'esprit constructif de la commission des affaires économiques et du Plan du Sénat et de son rapporteur, M. Souplet, ainsi, bien sûr, que les excellentes contributions de MM. Leclerc et Vecten, rapporteurs pour avis.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous dire très simplement que j'ai pris beaucoup de plaisir à débattre avec vous. Nos discussions m'ont paru intéressantes et, pour tout dire, agréables, et elles ont permis d'enrichir le texte.
Le nombre des amendements adoptés, y compris avec l'avis favorable du Gouvernement, prouve de manière très spectaculaire que nous avons pu apporter beaucoup d'améliorations au projet de loi initial, malgré quelques reculs qui tiennent à la nature même du débat démocratique. J'avais cru comprendre, au début de nos échanges, que la majorité ne serait sensiblement pas la même ici qu'à l'Assemblée nationale (Sourires.) , et je ne suis donc pas totalement surpris qu'un certain nombre de divergences soient apparues entre nous.
S'agissant de l'article 40 de la Constitution, monsieur Emorine, je n'ai pas le sentiment d'en avoir abusé : on pourrait sans doute compter sur les doigts de la main les occasions où je l'ai invoqué, alors que 620 amendements ont été examinés.
En outre, vous ne pouvez pas affirmer que l'article 40 ternit le débat républicain, car il s'agit d'une disposition inscrite dans la Constitution, que vous avez probablement votée, ce qui n'est pas mon cas. Par conséquent, puisque l'article 40 figure dans notre loi suprême, je ne vois pas pourquoi le Gouvernement s'interdirait d'y recourir.
Je voudrais dire maintenant quelques mots sur le CTE, qui constitue probablement l'innovation essentielle de ce texte. Ce dispositif central n'a sans doute pas été apprécié à sa juste valeur par M. Gérard. Là encore, c'est la liberté du débat qui le veut !
Cela étant, j'ai bien entendu les avertissements lancés par M. le président François-Poncet à propos des deux dérives qui pourraient apparaître en matière de financement du CTE : la dérive bruxelloise et la dérive régionale ou départementale.
S'agissant de l'éventuelle dérive régionale ou départementale, je répète qu'il n'y a pas d'inquiétude particulière à avoir, puisque le projet de loi n'impose pas aux collectivités locales de participer au financement des CTE. La contribution est ouverte et volontaire,...
M. Charles Revet. A votre bon coeur !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. ... et nous n'avons pas l'intention de revenir sur ce point lors de la réunion de la commission mixte paritaire. Toutefois, mon intuition me dit qu'un certain nombre de régions et de départements accepteront de verser cette contribution, parce qu'ils souhaiteront aider concrètement les agriculteurs à accomplir les missions qui sont les leurs dans l'optique de la multifonctionnalité. Quoi qu'il en soit, il est bien clair que cette démarche sera volontaire.
Quant à la dérive bruxelloise, un certain nombre d'intervenants m'ont accusé d'accepter, au travers du cofinancement des CTE, la renationalisation des aides que je refusais par ailleurs. Or j'ai déjà indiqué qu'il ne s'agit pas d'une innovation due au ministre de l'agriculture et de la pêche du gouvernement de Lionel Jospin ! Le cofinancement des actions de développement rural, vous le connaissez depuis longtemps dans vos cantons et dans vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs. Je l'ai dit à plusieurs reprises, et je pourrais en donner de nombreux exemples, relatifs à l'irrigation, à la création de gîtes ruraux dans les fermes ou aux opérations groupées d'aménagement foncier. Le cofinancement n'est donc pas une innovation du ministre de l'agriculture et de la pêche, qui renationaliserait le deuxième pilier de la PAC.
Je crois au contraire que, très sincèrement, nous pouvons d'autant plus librement poursuivre dans la voie d'une coopération fructueuse avec Bruxelles s'agissant du développement rural que, par ailleurs, nous refusons avec la plus grande détermination la renationalisation de la PAC en matière d'aides directes ! Ce sont deux choses différentes, car dans ce dernier cas il s'agit d'aides aux marchés, aux produits et aux prix, c'est-à-dire du domaine de la compétition économique, où nous ne saurions tolérer de distorsions de concurrence, alors que, en ce qui concerne le développement rural, donc le CTE, le cofinancement existe déjà et ne saurait être mis au débit du gouvernement actuel.
S'agissant du contrôle des structures, j'ai entendu les arguments habituels - mais c'est le débat démocratique qui le veut - sur les risques de banalisation de la famille et d'étatisation de l'intervention publique.
A ce propos, j'ai retrouvé quelques fiches traitant des aides publiques et des primes liées à la PAC : dans ma région, dans un département voisin du mien que je ne citerai pas mais que l'on reconnaîtra, la DDA verse 2,5 millions de francs de primes à certains agriculteurs au titre de la PAC. Que l'on puisse appeler cela du libéralisme me laisse pantois ! Aller chercher à la DDA 2,5 millions de francs de primes en échange d'un formulaire administratif, ce serait donc cela, le libéralisme ? Oublions donc ces querelles sur l'étatisation, et essayons de rester objectifs.
En matière de structures, il faut non pas se payer de mots mais observer les faits dans leurs simplicité. Je n'en citerai que deux, mais on pourrait en évoquer des dizaines.
En premier lieu, 50 % de la SAU nationale est aujourd'hui exploitée sous forme sociétaire. Allons-nous, dès lors, nous cramponner à la forme familiale, alors que la situation évolue très vite ?
En second lieu, chaque année, seulement 6 000 enfants d'agriculteurs au maximum reprennent l'exploitation de leurs parents, alors que le nombre des installations devrait être au moins deux fois supérieur. Allons-nous nous accrocher à cette priorité familiale ? Si nous ne cherchons pas à favoriser l'installation de jeunes qui ne soient pas issus du monde agricole, nous nous condamnons à l'échec !
Par conséquent, je ne suis pas partisan de la banalisation de la famille, mais j'estime que toutes les voies doivent être explorées. Je ne récuse aucunement l'installation familiale, mais il faut éviter de limiter notre réflexion à des schémas qui sont malheureusement déjà en déclin et ne suffiront pas à répondre aux besoins.
J'en viens aux prétendues lacunes que certains sénateurs ont évoquées, à savoir la lacune économique et la lacune fiscale.
En ce qui concerne la lacune économique, j'ai indiqué à plusieurs reprises, au cours des débats, que je ne peux pas oublier que la France est la première puissance agricole européenne et vient au deuxième rang mondial en matière d'exportations, et même au premier pour les produits agricoles transformés, et que notre pays compte, avec les exploitants, les salariés, les conjoints et les aides familiaux, deux millions d'actifs dans le secteur agricole.
Je ne peux donc pas oublier cette réalité, qui fait que l'agriculture française est d'abord une agriculture de production et d'exportation. Nul moins que moi ne voudrait nier ce fait, mais puisque notre agriculture travaille bien, il n'y a pas de raison particulière, je le répète, de procéder à des réorientations la concernant. Dans l'optique d'une loi d'orientation agricole, il convient, au contraire, de poursuivre dans cette voie, qui est plutôt une voie royale.
S'agissant de l'entreprise, je répète que je ne suis pas du tout sûr - je suis même plutôt convaincu du contraire - que, dans le fin fond des cantons des Hautes-Pyrénées - je ne me hasarderai pas dans le Gers, monsieur Rispat, sinon vous m'accuseriez d'impérialisme ! -, la reconnaissance des exploitations agricoles en tant qu'entreprises soit attendue comme la grande nouvelle qui bouleversera le monde rural français. Franchement, je ne le crois pas ! Si vous soutenez que cette reconnaissance est une nécessité, je n'y vois pas d'inconvénient, mais je vous dis : chiche ! Mesurez toutes les conséquences qu'entraînera la mise en oeuvre de certaines propositions que l'on verra peut-être apparaître dans les rapports que nous avons évoqués en fin d'après-midi ou en début de soirée. Au final, tout bien pesé, il faudra bien évaluer ce que d'autres chefs d'entreprise pourront exiger en matière de fiscalité et de charges sociales.
Par conséquent, je laisse le débat ouvert sans le trancher, mais il faut sans doute être prudent en ce qui concerne ce type d'avancées et de propositions.
Quant à la lacune fiscale, je voudrais vous dire, monsieur François-Poncet, que j'ai été très sensible à votre volonté de stimuler mes désirs, pour reprendre vos propres termes. (Rires.) Cela tendrait à prouver que vous aviez deviné que c'était nécessaire ! (Nouveaux rires.)
L'important, c'est la méthode. A cet égard, nous avions pris le parti de commencer par bien définir, dans le projet de loi d'orientation agricole, ce que nous voulions faire, c'est-à-dire comment nous comptions orienter l'agriculture française et européenne. Ensuite, il convenait d'adapter la fiscalité au dispositif législatif retenu. C'est ce que nous allons faire maintenant : nous sommes au pied du mur, et nul doute que le long et fructueux débat que nous avons eu sur le nouvel article 65 nous permettra, monsieur le rapporteur, de progresser très efficacement sur ce chemin.
J'en viens maintenant aux inquiétudes relatives à la PAC et à l'OMC, qui ont été évoquées par certains membres de la Haute Assemblée.
De gros nuages noirs pointent en effet à l'horizon, et les négociations sur ces deux points seront très difficiles. Je ne minimiserai pas aujourd'hui les menaces qui pèsent sur l'agriculture française et sur l'agriculture européenne, et cela doit d'ailleurs nous inciter à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour achever la première négociation. La seconde en sera un peu facilitée.
En effet, rien ne serait pire que d'aborder les discussions sur l'OMC en ordre dispersé.
L'organisation mondiale du commerce représente une menace pour la politique agricole commune et pour la politique européenne. Nous devons donc absolument mener à son terme l'élaboration de la réforme de la PAC et préparer ensuite ensemble la réforme de l'OMC si nous voulons pouvoir résister aux pressions venues d'outre-Atlantique. Je ne peux pas vous dire comment se termineront les négociations sur la PAC. Je sais ce que nous voulons pour l'agriculture française, je sais ce que nous voulons essayer d'éviter, mais je n'ignore pas que le contexte est difficile et que les majorités, sur tous les sujets, sont extrêmement variables et se réduisent souvent à de simples minorités de blocage.
Nous rencontrerons donc, dans les semaines qui viennent, de très graves difficultés, et la représentation nationale devra être unie pour défendre l'agriculture française. Je n'ai pas de doutes à cet égard, car la position que défend le Gouvernement à Bruxelles est soutenue par le Président de la République, ce qui est bien normal, puisqu'il s'agit d'une négociation internationale. Nous devons également resserrer les liens que nous avons noués avec les organisations professionnelles, parce qu'il nous faut avancer d'un même pas avec des partenaires qui ont aussi leur rôle à jouer pour convaincre certains décideurs à l'échelon européen, notamment dans des pays voisins du nôtre.
Devant ces menaces, il nous fallait, d'une manière aussi positive et concrète que possible, construire ce point d'ancrage, cette sorte de môle de stabilité, cette assurance pour l'avenir de l'agriculture française que représente le projet de loi d'orientation agricole. Ce nouvel édifice législatif permettra de conforter le modèle français de l'agriculture auquel faisait allusion M. Deneux tout à l'heure, afin qu'il puisse rayonner et devenir une référence européenne.
En tout état de cause, mesdames, messieurs les sénateurs, je pense que, dans cette optique, nous avons accompli du bon travail. Je n'ai pas trouvé ces débats fastidieux, je le répète, j'ai cru au contraire sentir que, tous ensemble, nous avancions sinon toujours au même rythme, en tout cas dans la même direction, et c'est cela qui est le plus important. (Applaudissements.) M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires économiques.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 71:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 240
Majorité absolue des suffrages 121
Pour l'adoption 224
Contre 16

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)

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