Séance du 11 février 1999







M. le président. Par amendement n° 2, M. Chérioux propose d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 521-3 du code du travail, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art... - En cas de cessation concertée du travail après l'échec des négociations prévues à l'article L. 521-3, les consultations intervenant, le cas échéant, à l'initiative des auteurs du préavis sur le déclenchement ou la poursuite de la grève sont effectuées par un vote au scrutin secret.
« Les résultats du vote sont portés à la connaissance de l'ensemble des salariés du service ou de l'unité de production concernés par la grève. »
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Le droit de grève est un droit individuel : la grève peut donc régulièrement être le fait d'une minorité. La Cour de cassation considère d'ailleurs qu'un arrêt de travail ne perd par le caractère de grève du fait qu'il n'a pas été observé par la majorité du personnel.
Pour autant, les membres de cette minorité peuvent chercher à influencer, par des rumeurs ou des bruits peu fondés, leurs collègues de travail, voire exercer des pressions sur certains d'entre eux.
Bien sûr, si de tels agissements devenaient abusifs, l'employeur pourrait engager une action en justice pour réclamer l'application des sanctions prévues en cas d'entrave à la liberté du travail ; mais la procédure pénale est lourde et il est difficile d'établir les faits ; qui plus est, elle peut aboutir très longtemps après les faits eux-mêmes.
Il est donc préférable de mettre en place des procédures qui, en garantissant la libre expression des opinions, incitent à la disparition des pratiques les plus critiquables. Il est important d'intervenir d'abord dans les services publics où l'exercice du droit de grève remet en cause le principe de continuité du service public. Au demeurant, les salariés des services publics font déjà l'objet d'une mesure dérogatoire à travers l'obligation du dépôt du préavis qui leur est spécifique.
Il paraît normal que ceux qui travaillent dans le service public, lorsqu'ils sont informés qu'un préavis de grève a été déposé et que la grève va être déclenchée, puissent savoir le plus exactement possible combien de personnes sont à l'origine de cette grève.
Comme certains excellents collègues socialistes l'ont souligné au cours des débats en commission, faire la grève est une décision lourde de conséquences, et ce n'est jamais de gaieté de coeur qu'un salarié se décide à arrêter le travail étant donné les conséquences financières qui en résultent pour lui.
Il est donc important que le salarié qui s'apprête à faire le sacrifice que représente pour lui la grève dispose d'informations claires sur les enjeux de la négociation, comme le propose notre rapporteur, mais aussi sur les conditions dans lesquelles le mouvement de grève est déclenché.
Aujourd'hui, le salarié apprend qu'un mot d'ordre de grève est lancé et qu'une assemblée générale a confirmé la grève sans savoir exactement quel est le degré d'assentiment des revendications qui justifient la grève.
Je propose donc de généraliser le principe du vote à bulletin secret sur toutes les décisions relatives au déclenchement ou à la poursuite d'une grève.
Bien entendu, les résultats du scrutin n'ont aucune incidence juridique de nature à empêcher l'exercice du droit de grève par chacun des salariés travaillant dans les services publics. L'amendement ne porte pas atteinte au droit de grève ni à la liberté de fonctionnement du syndicat puisque ce dernier peut décider s'il y a vote ou non. Mais, s'il y a vote, celui-ci doit se passer dans des conditions de transparence minimale vis-à-vis des salariés du syndicat concerné ou même de l'entreprise en général.
Il ne s'agit pas, par ce dispositif, de s'inscrire dans une tradition qui n'est pas la nôtre et d'interdire, comme au Royaume-Uni par exemple, le dépôt d'un préavis de grève dès lors qu'une majorité, dûment constatée par un vote régulier et secret, n'a pas été recueillie au sein de l'entreprise.
Cet amendement ne remet pas en cause le droit de grève. Il rappelle seulement que celui-ci doit être exercé en respectant les principes mêmes de la démocratie qui sont au coeur du fonctionnement de notre République.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Claude Huriet, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. M. Chérioux évoque les principes de la démocratie qui sont au coeur de notre République, et jusque-là je peux le suivre.
Au-delà de ce souci fort louable, cette disposition jetterait, je le crois, la suspicion sur la légitimité des organisations syndicales représentatives du personnel. Je rappelle que la loi définit les conditions dans lesquelles ces organisations sont considérées comme représentatives et leur réserve alors le droit de déposer un préavis de grève.
Une telle remise en cause des syndicats serait lourde de conséquences et pourrait finalement être interprétée comme une tentative de remise en cause de la place reconnue par notre droit aux organisations représentatives du personnel. Dans ces conditions, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2
Mme Gisèle Printz. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Le groupe socialiste votera contre cet amendement, et d'abord pour une raison de principe.
Les salariés, qu'ils travaillent dans une entreprise privée ou dans la fonction publique, sont des citoyens adultes auxquels il appartient de se déterminer comme ils l'entendent. C'est donc à eux seuls que revient le droit de décider selon quelles modalités ils vont choisir de participer ou non à une grève.
C'est aussi à eux seuls de décider comment ils entendent terminer une grève, et je note que l'amendement est, à cet égard, déséquilibré puisqu'il ne prévoit de vote à bulletin secret que pour le déclenchement éventuel d'une grève mais non pour sa fin. Comme si, dans l'esprit de nos collègues de la majorité sénatoriale, il convenait d'encadrer avec vigilance le comportement des salariés lorsqu'ils menacent de se mettre en grève, mais pas lorsque la grève tend à prendre fin. C'est là le reflet d'une vision selon laquelle les salariés ne feraient qu'obéir à d'hypothétiques « meneurs » et seraient, en quelque sorte, entraînés dans la grève persque malgré eux !
M. Jean Chérioux. A vous entendre, ce n'est jamais arrivé !
Mme Gisèle Printz. Quant aux bons salariés, ceux qui seraient réticents devant la perspective de la grève, peut-être risqueraient-ils d'être victimes de menaces de la part de leurs collègues...
Tout cela relève d'une profonde condescendance à l'égard du monde du travail, jugé a priori incapable de s'organiser et de décider de façon démocratique de faire grève ou non.
Cette analyse témoigne aussi d'une méconnaissance à peu près totale des réalités et de la manière dont la grève se décide. Comme l'exposé des motifs le dit, ce n'est pas de gaieté de coeur que l'on décide de faire grève.
M. Jean Chérioux. Ah oui !
Mme Gisèle Printz. Cela se fait à l'issue d'un long processus de discussion parmi les travailleurs. Des personnes qui perçoivent un salaire modeste ne vont pas, dans un moment d'aberration, décider de diminuer encore leur revenu en s'engageant dans une grève dont on ignore au départ si elle va ou non durer.
Pour l'avoir vécu, je peux témoigner que la grève n'est jamais une improvisation. Elle est toujours la marque d'un mécontentement et d'un malaise profonds chez les salariés et elle ne se déclenche jamais, comme les mythiques presse-boutons, par la volonté de deux ou trois personnes.
Quel que soit le mode de décision démocratique que les salariés choisissent, c'est toujours une décision difficile et un engagement fort qu'il convient de respecter. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.) M. Guy Fischer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, mes chers collègues, l'amendement de M. Chérioux ne nous étonne pas en ce sens qu'il témoigne de sa profonde méconnaissance du monde du travail et de son organisation. Pour nous, en effet, la représentativité des organisations syndicales présente un caractère fondamental quant au processus de déclenchement d'une grève. Au-delà d'un acquis, nous y voyons un droit imprescriptible. Nous percevons finalement la proposition formulée par M. Chérioux comme un stratagème qui ne saurait davantage nous étonner.
En effet, en dépit des protestations, le chemin parcouru depuis le dépôt de la proposition de loi de M. Arnaud jusqu'à la proposition formulée par M. le rapporteur démontre bien que l'objectif visé - d'ailleurs, notre collègue, M. About en convient -, consistait à remettre en cause le droit de grève dans le secteur public, notamment dans le domaine des transports publics spécifiquement visés. Comme Mme Borvo l'a fort bien démontré, une telle attitude nous paraît condamnable.
Pour nous, cet amendement est l'expression d'un mépris à l'encontre des travailleurs. Je crois qu'il faut miser sur l'intelligence des organisations syndicales et considérer que le déclenchement d'une grève est toujours l'expression d'une majorité des salariés. Est-il concevable que les organisations syndicales optent pour une conduite suicidaire en lançant des mouvements qui ne susciteraient pas l'adhésion de la majorité des salariés ?
Si votre amendement a toutefois quelques justifications, pourquoi avez-vous cru bon d'affirmer, dans deux paragraphes, qu'il n'avait aucune incidence juridique de nature à empêcher l'exercice du droit de grève ?
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Guy Fischer. Sachez, monsieur Chérioux, que le scrutin secret est employé très fréquemment, et plus souvent que vous ne l'imaginez, lors des conflits. Bien souvent, et depuis très longtemps, c'est à scrutin secret que se décide la reconduction d'une grève. Je pense qu'il ne vous a pas échappé qu'il en va de même lorsqu'il s'agit de conclure un mouvement.
L'objectif final de votre amendement est-il la création des emplois nécessaires à la mise en oeuvre d'une telle procédure ? Je ne vous ferai pas l'affront de répondre par l'affirmative, car vous aggraveriez ainsi les lourdeurs administratives que vous décriez tant.
Nous ne pouvons qu'être opposés à un tel amendement qui s'inscrit dans la droite ligne de tout un débat politique destiné à instaurer un service minimum et à remettre en cause un droit imprescriptible. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, je suis consterné par les réponses qui m'ont été faites (M. Fischer s'exclame.) C'est ainsi que toute l'argumentation de Mme Printz s'articule autour de l'idée selon laquelle le vote à bulletin secret concernerait exclusivement le déclenchement des grèves et non la décision d'y mettre un terme. Je vous fais remarquer qu'en précisant que le vote à bulletin secret concerne la décision de poursuivre la grève, il peut tout aussi bien s'agir de son arrêt éventuel.
M. Dominique Braye. Tout à fait !
M. Jean Chérioux. Par conséquent, madame Printz, votre argumentation, qui reposait sur cette subtile distinction, n'a plus d'objet. La décision de poursuivre pouvant ou non emporter la fin de la grève, votre démonstration est nulle et non avenue.
M. Guy Fischer. Vous vous référez pourtant bien au déclenchement ou à la poursuite de la grève !
M. Jean Chérioux. Epargnez-moi les exégèses de mes propres textes ! Je suis parfaitement capable de les expliquer tout seul !
Par ailleurs, il me semblait au départ que mon collègue, M. Guy Fischer, voyait dans cet amendement une offense à la représentativité syndicale, une position de principe, donc, qui pouvait offrir matière à discussion.
M. Guy Fischer. C'est vrai !
M. Jean Chérioux. En tout état de cause, j'estime qu'il n'est jamais choquant en démocratie d'opter pour le scrutin secret auquel notre collègue, par la suite, a reconnu qu'il était reconnu constamment. Pourquoi donc employer ce ton dramatique à l'égard de ma proposition ?
Mme Nicole Borvo. Parce que ce n'est pas à vous d'en décider !
M. Jean Chérioux. Elle se contente de recommander une pratique, de surcroît excellente et qui est celle des syndicats, auxquels je tire mon chapeau et que je félicite. Je les encourage à poursuivre dans cette voie, comme j'incite mes collègues à voter ce texte qui consacrera une pratique effectivement en vigueur dans les syndicats. (Très bien ! sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas à la loi de l'imposer !
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je n'avais pas prévu de prendre la parole, mais comment pourrais-je me taire après les attaques dirigées contre l'amendement de notre collègue, M. Jean Chérioux, lequel a développé la plupart des arguments que je comptais évoquer, me coupant ainsi l'herbe sous le pied ?
Les éléments qui ont été avancés par ses contradicteurs sont fallacieux.
M. Jean Chérioux. Attristants !
M. Dominique Braye. Comme l'a dit M. Chérioux, la procédure proposée par l'amendement n° 2 concerne à la fois le déclenchement et la poursuite, donc éventuellement, la fin de la grève. Vous interprétez cet amendement pour justifier une argumentation manifestement irrecevable.
Les propos de M. Fischer traduisent fidèlement la dialectique selon laquelle les communistes seraient les seuls à connaître le monde du travail et à ne pas mépriser lestravailleurs.
Etant moi-même fils de cheminot, je me souviendrai toujours de mon père qui, revenant du travail, me disait que, parmi ses collègues, quelques activistes imposaient leurs vues et leurs options à une majorité de personnes qui ne voulaient pas faire la grève.
Or, ce propose veut M. Chérioux, c'est la généralisation du scrutin à bulletin secret, dont vous avez convenu vous-même, monsieur Fischer, qu'il était souvent utilisé et qu'il était de bon aloi.
Par conséquent, pourquoi ne pas le généraliser, afin qu'un certain nombre de leaders - qui sont généralement à vos côtés - ne puissent pas imposer, contre tout esprit de démocratie et de liberté, leur position aux autres travailleurs, qui souvent ne veulent pas faire grève ?
Voilà encore huit jours, la majorité des salariés du réseau de transport urbain du district urbain de Mantes-la-Jolie, que je préside, sont venus se plaindre auprès de moi de ne pas pouvoir travailler parce qu'une minorité de leurs collègues étaient en train de bloquer l'accès au dépôt.
Je trouve cette situation scandaleuse et il me paraîtrait donc excellent de généraliser ce scrutin à bulletin secret dont M. Fischer reconnaît effectivement la qualité. Tout le monde s'exprimerait ainsi en toute liberté et sans aucune contrainte de quelque ordre que ce soit car il s'agit parfois de menaces, voire de pressions physiques, monsieur Fischer. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 2.

Article 3