Séance du 16 février 1999







M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 433, adressée à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mes chers collègues, je vous indique qu'à la demande de Mme Beaudeau, auteur de la question, et en accord avec le Gouvernement, l'intervention de Mme Beaudeau et la réponse de Mme Nicole Péry sur le respect et la défense des droits des sourds feront l'objet d'une traduction en séance en langue des signes à l'attention des sourds et malentendants qui sont présents dans nos tribunes ou qui suivent nos travaux sur Canal Assemblées.
Vous avez la parole, madame Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, une nouvelle fois, j'interpelle le Gouvernement pour lui demander quelles mesures il envisage de prendre pour permettre à près de 3,5 millions de nos concitoyens, dont 500 000 sont exclus du monde des entendants, de pouvoir intégrer ou réintégrer la communauté nationale. Parmi ces derniers, 100 000 sont atteints de déficiences auditives profondes, au niveau de 90 décibels, et 350 000 de déficiences auditives sévères, au niveau de 70 décibels.
Pour ces 500 000 citoyens sourds profonds, des mesures sérieuses doivent être prises pour qu'ils retrouvent la parole, la possibilité d'intervenir, la liberté de se former, d'agir, d'exercer un métier à part entière, de se distraire, de faire du sport... La communauté nationale, en ne répondant pas à cette exigence, se prive de la richesse humaine de sourds qui ont besoin, pour s'épanouir, d'accéder à l'autonomie.
Au nom des associations et en mon nom propre, je remercie la présidence du Sénat d'avoir permis à un interprète de traduire mes propos comme, tout à l'heure, ceux de Mme la secrétaire d'Etat. Il est des mesures qui, pour être très onéreuses, expriment une volonté. Ainsi, en ce moment, pour suivre le débat qui se déroule au Sénat, tous les citoyens sont sur un pied d'égalité. Je souhaiterais que les séances de questions d'actualité et les grands débats retransmis bénéficient de la même mesure. Les 80 000 sourds maîtrisant la langue des signes pourraient être, de ce fait, des citoyens à part entière.
Au demeurant, il est dommage que Mme la ministre de la culture et de la communication, qui était présente, n'ait pu demeurer parmi nous, car je pense qu'elle pourrait nous aider à trouver des solutions pour faciliter les retransmissions télévisées.
Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans sont venus à ce banc où vous siégez, madame la secrétaire d'Etat, pour faire des constats, prononcer des banalités, souvent des promesses, mais jamais aucune mesure valable n'a été prise. Les sourds, comme nous-mêmes, ne se contenteront plus d'études, d'enquêtes, de plate-formes, de l'énoncé de propositions, qui sont prêtes, connues, diffusées. Aujourd'hui, les sourds attendent un plan d'action comprenant des mesures concrètes.
Je vous poserai donc trois questions très précises que les associations considèrent comme prioritaires.
Ma première question concerne la langue des signes pratiquée par 80 000 sourds. Le Gouvernement est-il décidé à la reconnaître dans les pratiques administratives et sociales en prenant en charge les frais d'interprétariat, à l'école, en rendant possible l'apprentissage pour les familles qui le souhaitent, par son intégration dans les programmes scolaires et sa reconnaissance aux examens ?
L'article 23 du nouveau code de procédure civile exige un interprète lorsque le juge ne comprend pas la langue mais - et c'est inadmissible - cette disposition reste inapplicable faute de crédits. Je rappelle qu'une vacation de traducteur est de l'ordre de 600 francs.
Je remercie le mouvement des sourds de France, M. Bruneau d'avoir accepté d'effectuer bénévolement ce matin le rôle d'interprète, mais aussi le docteur Le Bauvy pour les propositions qu'il a formulées au nom du BUCODES.
Dans une réponse à l'une de mes questions en date du 3 décembre 1998, Mme Ségolène Royal affirme que la demande de prise en compte de la langue des signes au baccalauréat reflète les grandes difficultés rencontrées pour la maîtrise des enseignements, à la fois en langue française et dans plusieurs langues étrangères.
Dans les 115 propositions figure ce droit à la reconnaissance de la langue des signes, assorti d'une exigence de qualification et de professionnalisation des enseignants ; cela devrait répondre aux inquiétudes de Mme Ségolène Royal.
Cet apprentissage peut être poursuivi, ensuite, par le langage parlé complété et prépare enfants et jeunes à l'intégration scolaire ou sociale.
Nous regrettons que le budget de l'éducation nationale n'ait pas chiffré ces demandes formulées par toutes les associations de sourds. L'acquisition du matériel éducatif spécifique pour les sourds nécessite évidemment la mise à la disposition des établissements scolaires des crédits nécessaires.
Ma deuxième question porte sur les mesures financières à prendre en matière de TVA et de remboursement de sécurité sociale. Bien entendu, les deux mesures ne peuvent pas être dissociées.
La sécurité sociale rembourse deux prothèses auditives jusqu'à seize ans ; ensuite, le remboursement ne concerne plus qu'un seul appareil, ce qui est en contradiction complète avec l'expérience vécue et l'opinion des professionnels.
Il faut donc que la sécurité sociale inscrive au TIPSS un second appareil de correction auditive pour les adultes lorsque la stéréophonie est indiquée. Sinon, ce serait admettre qu'un monocle est suffisant pour les malvoyants sous prétexte qu'on voit bien d'un seul oeil.
Ma troisième question porte sur le problème de l'accès à l'information et à la connaissance, je veux parler du télétexte. Il faut reconnaître que les malentendants possédant un téléviseur ancien, sans fonction de télétexte, ne peuvent que difficilement acquérir un décodeur du type Ceefax. Si ces décodeurs bénéficiaient d'un taux de TVA réduit à 5,50 %, nous corrigerions une inégalité, madame la secrétaire d'Etat. Un système existe. Il ne concerne que les malentendants, et ne peut être utilisé par d'autres.
Les associations proposent également l'extension de 20 % par an du volume de programmes sous-titrés STT ; et la mise en place de ce STT sur la chaîne Arte. Ne pourrait-on inscrire au cahier des charges de toutes les chaînes l'obligation de sous-titrage ? Par ailleurs, les sourds étant de fait des téléspectateurs privés d'émission, ne faudrait-il pas également les faire bénéficier d'une réduction de 50 % du montant annuel de la redevance télévision ?
La prochaine loi sur l'audiovisuel public nous permettra-t-elle de prendre ces mesures ? Mais, d'ores et déjà, il faut chiffrer leur coût et prendre l'engagement que les financements et pertes de recettes seront inscrits dans le projet de loi de finances.
Madame la secrétaire d'Etat, cette interpellation doit se conclure, vous l'aurez compris, par des engagements financiers.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Madame la sénatrice, le Gouvernement se félicite de disposer, grâce au travail important réalisé par Mme Dominique Gillot, d'un document qui fera date sur la réalité des problèmes que rencontrent les personnes sourdes au quotidien.
Il s'agit là, en effet, du premier rapport faisant l'analyse globale de la situation de cette population relativement méconnue, au handicap peu visible même si ses répercussions sociales sont particulièrement aiguës.
La richesse de l'analyse à laquelle s'est livrée Mme Gillot, étayée par la très large concertation qu'elle a engagée à cette occasion, notamment avec les associations représentatives des personnes sourdes, l'a conduite à proposer des mesures concrètes qui s'inscrivent dans le cadre des orientations spécifiques de la politique que Mme Martine Aubry et M. Bernard Kouchner entendent développer à l'égard de ces personnes.
La particularité du handicap auditif, du fait de l'importance des problèmes de communication, justifie, en effet, une prise en charge ciblée à leur endroit.
Certaines des propositions du rapport qui nécessitent que des instructions soient données aux services concernés sont d'ores et déjà en préparation.
Je citerai ainsi les dispositions relatives à la création de centres d'information sur la surdité, à la prise en charge des enfants bénéficiant d'implants cochléaires, à la sensibilisation des instances d'orientation des personnes handicapées, à la spécificité de la prise en charge des déficients sensoriels et à l'amélioration de l'accueil des personnes sourdes à l'hôpital par le développement d'un réseau de « services-ressources » sur le modèle de celui qu'a créé à la Salpêtrière le professeur Herson.
D'autres mesures, plus nombreuses, relèvent en revanche d'une démarche interministérielle, d'où la création de groupes de travail qui se réuniront très prochainement afin d'examiner les conditions techniques de mise en oeuvre des mesures proposées.
Elles viseront trois objectifs majeurs : améliorer la vie sociale et l'insertion professionnelle des personnes sourdes, développer les techniques de compensation de la surdité et les modes de communication, enfin favoriser l'éducation et l'intégration scolaire des enfants sourds.
Il s'agit là d'un travail important, qui réunira les ministères compétents, auxquels s'adjoindront les représentants des usagers, des personnes sourdes et parents d'enfants sourds, ainsi que des personnes qualifiées. Les travaux des groupes seront coordonnés par un comité de pilotage, auquel sera associée Mme Gillot en qualité d'expert.
Le Gouvernement attache la plus grande importance à l'aboutissement de ce travail, marquant ainsi l'intérêt que les pouvoirs publics et la société en général portent aux personnes sourdes.
Vous me permettez, madame la sénatrice, d'ajouter quelques mots à titre personnel.
Je vous ai écouté avec grande attention et j'ai beaucoup apprécié la précision de vos questions et de vos commentaires.
A l'évidence, ce sujet est d'ordre interministériel. Il aurait fallu que se trouvent à ce banc Mme la ministre de la culture et de la communication, en charge de l'audiovisuel, M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, M. le secrétaire d'Etat à la santé et à la santé sociale...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Et Bercy !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle. ... ainsi que, je l'ai bien noté, madame la sénatrice, le tout-puissant Bercy, avec le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Dominique Strauss-Kahn, et le secrétaire d'Etat au budget, M. Christian Sautter.
Je ne peux évidemment pas m'engager au nom de l'ensemble de ces ministres et secrétaires d'Etat qui ont chacun compétence directe sur toute une série de sujets que vous avez évoqués. Néanmoins, je suis certaine que le dialogue parlementaire que nous menons en cet instant et la précision de vos propos devraient permettre une évolution concrète et rapide de l'ensemble de ces questions.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse, bien qu'elle me paraisse, je vous l'avoue, décevante. Vous-même avez d'ailleurs reconnu que les 115 propositions concernent différents ministères et qu'une réunion interministérielle serait nécessaire pour trouver des solutions.
Vous n'avez pas contesté le bien-fondé des revendications exprimées. Les 115 propositions ne sont pas remises en cause, au contraire. Ma déception tient au fait qu'aucune mesure vraiment novatrice n'est intervenue depuis le dépôt de ces propositions, l'été dernier.
Des chiffrages doivent maintenant être réalisés et des choix budgétaires arrêtés, car aucune dépense ne semble, pour l'heure, engagée.
Vous avez bien voulu dire que beaucoup de précisions étaient apportées dans ma question. Ces précisions se traduiront, lors de la discussion du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale et du prochain projet de loi de finances, par des amendements, que déposera mon groupe. En effet, il faudra bien que, à un moment donné, des décisions financières soient prises.
Madame la secrétaire d'Etat, une grande manifestation doit se dérouler le samedi 27 février dans les rues de Paris. A cette occasion, les sourds et leurs associations feront part de leur appréciation sur le débat de ce matin et sur les propositions que nous faisons.
Je m'en remets, bien entendu, à leur jugement, mais j'affirme ici, comme je l'ai fait devant les représentants de toutes les associations que j'ai reçues ces derniers jours afin de préparer ce débat, que mon groupe apportera son soutien total à cette manifestation, à laquelle je participerai d'ailleurs personnellement.
M. le président. En votre nom, mes chers collègues, je remercie la personne qui a traduit dans le langage des signes les interventions de Mme Beaudeau et la réponse de Mme le secrétaire d'Etat.
Il s'agissait là d'une première dans notre assemblée, mais je suis sûr que l'expérience sera renouvelée.

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