Séance du 9 mars 1999







M. le président. La parole est à M. Pelchat, auteur de la question n° 452, adressée à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Michel Pelchat. Monsieur le ministre, permettez-moi, à travers vous, de m'adresser directement à Mme le garde des sceaux.
Voilà quelques semaines, nous avons reçu au Sénat Mme Rigoberta Menchu, prix Nobel de la paix, tandis que c'était hier la Journée internationale des femmes. Autant d'évènements qui consacrent la place que doit occuper la femme dans notre société.
Sans chauvinisme aucun, je dirai que, dans ce domaine, la France est certainement la championne de l'universalité des droits de l'homme. La Déclaration des droits de l'homme de 1789, la Déclaration universelle de 1948 et la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 ont autant de chartres auxquelles elle a contribué et dont elle peut être fière.
Aucune discrimination ne saurait être tolérée sur notre territoire, de quelque nature qu'elle soit, dans quelque domaine que ce soit, notamment en matière de statut familial.
L'égalité dans le mariage est reconnue en France depuis maintenant de nombreuses années. La pleine capacité des époux nous paraît aujourd'hui être une exigence d'ordre public international et avoir une vocation universelle.
Le préambule de la Constitution de 1946, longuement évoqué ici voilà quelques jours, précise d'ailleurs bien que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ».
Nous savons, hélas ! que l'égalité entre hommes et femmes n'est pas effective dans tous les pays et qu'elle n'existe notamment pas en Algérie, ce pays si proche de la France, géographiquement bien sûr, mais aussi dans nos coeurs.
En Algérie, depuis 1984, un code de la famille régit le statut familial en cantonnant la femme à un rôle subalterne, en ne lui accordant des droits et des capacités que bien inférieurs à ceux de son époux.
Or, madame la ministre, la juriste que vous êtes n'est pas sans savoir que, si un litige doit en principe être tranché par une loi étrangère qui contient des dispositions dont l'application est jugée inadmissible par le tribunal français saisi, celui-ci a la faculté d'écarter cette loi étrangère au nom des principes fondamentaux des droits de l'homme. C'est ce qu'on appelle « le respect de l'ordre public international ».
Ainsi, au nom du principe monogamique sur lequel repose l'organisation de la famille dans notre République, nous écartons, en vertu de l'ordre public international, les lois étrangères qui admettent la polygamie.
Nous refusons également d'appliquer les lois étrangères fondées sur des distinctions de races ou de religions, parce que nous considérons que de telles prohibitions sont contraires aux libertés individuelles.
En outre - est-il utile de le préciser ? - l'incapacité de la femme prévue par le code de la famille algérien est contraire aux principes des droits de l'homme qui sont consacrés notamment par des conventions - telle la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 que je rappelais tout à l'heure - et qui ont une valeur juridique supérieure au droit interne pour le juge français, chose que, malheureusement, celui-ci a souvent tendance à oublier !
Madame la ministre, nous avons le devoir d'admettre que l'incapacité de la femme mariée, telle qu'elle existe en Algérie, révèle une discrimination fondée sur le sexe, attentatoire à la dignité humaine.
Un refus de la France d'appliquer le code de la famille algérien apporterait, j'en suis convaincu, un soutien considérable au peuple algérien, qui souffre, en particulier aux femmes algériennes, qui luttent courageusement pour leurs droits élémentaires de femmes et pour la paix et la démocratie dans leurs pays.
Ces femmes, réfugiées sur notre territoire, se sont mises sous la protection du droit français. Il n'y a aucune excuse pour la France à les soumettre à des textes de loi algériens discriminatoires, donc contraires aux droits de l'homme !
C'est pourquoi, à l'heure où l'Algérie est en proie à la terreur, je vous demande, madame la ministre, quelle mesure vous comptez prendre afin que le juge français refuse catégoriquement l'application, d'une part, de ce code inique et, d'autre part, des jugements rendus en Algérie sur la base de ce même texte.
En outre, je souhaite savoir quelle mesure vous entendez prendre pour faire respecter les droits matrimoniaux, patrimoniaux et de liberté de circulation des Français binationaux par les autorités algériennes, qui ne reconnaissent aujourd'hui à ces derniers, ni en fait ni en droit, la nationalité française.
Quelle mesure comptez-vous prendre pour que ces autorités n'empêchent pas la France d'exercer en Algérie, comme partout dans le monde, cette obligation d'assistance qu'elle doit à tous ses ressortissants ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu interroger ma collègue ministre de la justice sur le respect des droits, notamment matrimoniaux, des Français binationaux par les autorités algériennes, et elle vous en remercie. Posée au lendemain de la Journée internationale des femmes, votre question est mise particulièrement en relief par l'actualité.
Ne pouvant être présente, Mme Guigou m'a chargé de vous apporter les éléments suivants.
Vous avez raison de souligner que l'égalité juridique des époux n'existe pas encore dans le statut familial de certains systèmes étrangers et qu'il nous importe de veiller à ce que telles discriminations choquantes et incompatibles avec notre conception des rapports entre époux ne puissent produire des effets sur notre territoire.
A cet égard, Mme Guigou peut vous indiquer que, si l'article 3 du code civil prévoit en principe l'application en France pour les femmes algériennes de leur loi nationale, ce principe connaît de nombreuses exceptions permettant chaque fois d'éviter de voir ces femmes soumises à un statut qui serait discriminatoire.
Je vous en donne quelques exemples.
Ainsi, en matière de divorce, l'article 310 du code civil prévoit l'application de la seule loi française lorsque les époux étrangers ont l'un et l'autre leur domicile sur le territoire français. Mais, de façon plus générale, lorsque l'application d'une loi étrangère heurte nos valeurs fondamentales, au rang desquelles figure l'égalité de droit et de responsabilité des époux, les juges ont la possibilité et le devoir d'écarter une telle législation au profit de la loi française quand il s'agit d'acquérir un droit en France.
Enfin, en présence de décisions judiciaires algériennes qui consacreraient un statut discriminatoire, le juge français est en mesure de refuser de donner effet sur notre territoire à de telles décisions en raison de leur contrariété à notre ordre public, en application de la convention franco-algérienne du 27 août 1964 relative à l' exequatur et à l'extradition.
Dans ces conditions, il ne paraît pas nécessaire au garde des sceaux de prendre des mesures particulières pour éviter l'application en France à des femmes étrangères des éléments discriminatoires de leur statut personnel, le juge ayant déjà, selon Mme Guigou, les moyens d'éviter les effets pervers de ces discriminations.
En ce qui concerne le droit d'assistance par nos autorités diplomatiques et consulaires pour assurer le respect par les autorités algériennes des droits et libertés des Français binationaux, Mme Guigou n'a pas manqué de rappeler déjà son importance à son collègue du Gouvernement qui a la responsabilité de cette question : le ministre des affaires étrangères, qu'il m'arrive de rencontrer assez souvent et à qui je pourrai dire l'importance que vous attachez à cette question, monsieur le sénateur.
M. Michel Pelchat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je vous demande de bien vouloir remercier votre collègue Mme Guigou de tous les éléments que vous m'avez apportés. Je les connaissais déjà pour ainsi dire : ce sont des éléments de droit international et c'est l'ordre international qui les impose.
Si j'ai posé cette question, c'est parce que ces principes ne sont pas toujours appliqués, loin s'en faut, notamment pour les femmes algériennes résidant en France, par rapport au code de la famille, surtout quand le mari est resté en Algérie - cela arrive un certain nombre de fois - ou lorsqu'elles divorcent pour venir en France. A ce moment-là, le problème des enfants se pose et c'est le code de la famille algérien qui leur est souvent appliqué par l'administration française. Un rappel est donc nécessaire.
Je peux vous garantir que les droits patrimoniaux, matrimoniaux ou de déplacement des binationaux ne sont pas respectés sur le territoire algérien. L'action de la France est bien timide face aux contraintes qu'ils subissent. Un rappel serait là aussi nécessaire.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)