Séance du 29 avril 1999






CONVENTION SUR LA LUTTE
CONTRE LA CORRUPTION
D'AGENTS PUBLICS ÉTRANGERS

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 172, 1998-1999) autorisant la ratification de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, faite à Paris le 17 décembre 1997 [Rapport n° 305 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui au vote de votre assemblée un projet de loi destiné à autoriser la ratification de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, que j'ai signée avec M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à l'occasion de la conférence de signature organisée à Paris, à l'OCDE, le 17 décembre 1997.
Cette convention a pour objet de permettre aux pays membres de l'organisation de coopération et de développement économiques d'agir de façon coordonnée pour l'adoption de lois nationales d'incrimination de la corruption d'agents publics étrangers.
Elle a été négociée dans le cadre du comité de l'investissement international et des entreprises multinationales pour la mise en oeuvre d'une recommandation adoptée le 27 mai 1997 par le Conseil des ministres de l'OCDE.
Pour parvenir à cet engagement de lutte coordonnée des Etats contre la corruption, la convention contient une définition de la notion d'agent public - à la différence des instruments élaborés par l'Union européenne, que le Gouvernement présentera tout à l'heure, textes qui renvoient au droit national de chaque Etat membre - et développe des éléments d'incrimination limités à la corruption active, que les Etats membres s'engagent à couvrir dans leurs lois nationales.
La différence avec les textes élaborés par l'Union européenne, qui retiennent tant la corruption active que la corruption passive, s'explique par le caractère universel de la convention OCDE. Les textes de l'Union européenne ne visent que les fonctionnaires nationaux des Etats membres ; le texte de l'OCDE s'applique à tous les fonctionnaires, quel que soit leur pays d'appartenance.
C'est la raison pour laquelle l'incrimination de la corruption n'est envisagée par l'OCDE que du côté du corrupteur - c'est-à-dire de la corruption active - l'OCDE laissant aux Etats dont il relève - notamment ceux qui ne sont pas membres de l'organisation - la responsabilité de sanctionner et de juger le fonctionnaire corrompu.
Surtout, une procédure d'évaluation du respect de l'engagement des Etats membres est organisée dans le cadre du suivi de la recommandation adoptée par les ministres de l'OCDE en 1997.
S'agissant du contenu, les Etats parties à la convention s'engagent, de même que dans le cadre de l'Union européenne, à prévoir des sanctions pénales applicables efficaces, proportionnées et dissuasives incluant des peines privatives de liberté, ainsi qu'à permettre une entraide judiciaire effective et l'extradition. Le blanchiment des infractions de corruption d'agent public étranger est visé par la convention, au même titre que celui qui concerne les infractions de corruption d'agent public national.
La convention énonçant que les mêmes règles de compétence des Etats membres applicables à la corruption des agents publics nationaux s'appliquent à la corruption des agents publics étrangers, la France n'est pas obligée, à la différence des instruments de l'Union européenne que nous allons examiner dans un instant, d'effectuer une déclaration précisant la mise en oeuvre des dispositions de l'article 113-8 du code pénal.
Il est à noter également que la convention peut servir de base légale à l'entraide judiciaire ou à l'extradition lorsque les Etats parties à la convention ne sont liés par aucun autre traité bilatéral ou multilatéral en la matière.
Des modalités particulières d'entrée en vigueur de la convention sont énoncées par le texte pour garantir l'entrée en vigueur simultanée entre les principaux pays exportateurs. Compte tenu des dépôts de ratification déjà enregistrés auprès du secrétariat général de l'OCDE - Etats-Unis, Allemagne, Japon, Royaume-Uni, Canada, Corée, Norvège, Finlande, Grèce, Hongrie, Islande et Bulgarie - la convention est entrée en vigueur le 15 février dernier.
S'agissant de la France, la convention entrera en vigueur le soixantième jour suivant la date du dépôt de son instrument de ratification. Au plan interne, il convient de relever que, de même que pour les instruments négociés dans le cadre de l'Union européenne se rapportant à la corruption, l'absence actuelle dans notre code pénal de dispositions couvrant la corruption active d'agents publics étrangers nécessite l'adoption d'une loi d'adaptation, pour en assurer l'incrimination et conférer la compétence nécessaire aux juridictions françaises.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, faite à Paris le 17 décembre 1997, et que le Gouvernement a l'honneur de soumettre à votre approbation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian de La Malène, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné avec une attention toute particulière - et ce n'est pas une clause de style - cette convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales signée par les vingt-neuf pays de l'OCDE, ainsi que par l'Argentine, le Brésil, la Bulgarie, le Chili et la République slovaque.
Le thème de la corruption connaît un écho grandissant au sein des organisations internationales, qui dénoncent ses effets sur l'équilibre politique et le développement économique de nombreux pays et tentent de promouvoir ce que l'on appelle la « bonne gouvernance ».
La convention élaborée dans le cadre de l'OCDE témoigne d'un angle de vue quelque peu différent, à savoir un objectif de transparence de la concurrence commerciale internationale. Elle s'inscrit donc dans un contexte bien particulier : celui de la réglementation de la compétition internationale pour la conquête des marchés à l'exportation. C'est dire son importance pour notre pays, quatrième exportateur mondial, dont près du quart du produit intérieur brut dépend du commerce extérieur.
Destinée à sanctionner les actes de corruption à l'égard d'agents publics étrangers, elle a vocation à s'appliquer prioritairement aux domaines du commerce international, où la décision politique est prépondérante : travaux publics, énergie, communications, aéronautique, armement, autant de domaines dans lesquels nos industriels ont fait la preuve de leur performance.
Je ne reviendrai pas sur le dispositif de la convention, analysé dans mon rapport écrit. Il est au demeurant extrêmement simple, puisqu'il s'agit, pour les Etats signataires, de s'engager à créer dans leur droit pénal une incrimination de la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions internationales assortie de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, comme vous l'avez dit, madame le garde des sceaux.
J'insisterai surtout sur les réflexions, les observations, voire les réserves de la commission face à ce texte. En effet, si l'objectif de moralisation de la convention ne peut qu'entraîner l'adhésion générale, son application soulève en revanche des problèmes complexes et suscite des inquiétudes que nous ne pouvons passer sous silence et sur lesquelles nous souhaitons alerter le Gouvernement, car c'est lui, en définitive, qui portera la responsabilité de la mise en oeuvre de ce texte.
Tout d'abord, à l'évidence, ce texte ne saurait faire disparaître les phénomènes de corruption, car il n'est signé que par trente-quatre pays et ne concerne pas tous les autres, qui, eux aussi, participent au commerce international. Il n'agit que sur « l'offre » susceptible d'émaner d'entreprises exportatrices et reste sans effet sur ceux qui décident de l'attribution du marché et qui sont, le plus souvent, les véritables initiateurs et les bénéficiaires de la corruption.
On touche ici du doigt une première limite et une faiblesse importante de la convention. Face à des pays qui ont pour ainsi dire élevé la corruption au rang de droit d'accès à leur marché et qui ne modifieront pas du jour au lendemain leur comportement, les entreprises des pays signataires pourraient se retrouver placées « entre le marteau et l'enclume », compte tenu du renforcement des législations pénales dans leurs Etats respectifs.
Notre première crainte est que, pour échapper à ce dilemme, apparaisse ce que l'on pourrait appeler une « zone grise », dans laquelle pourraient subsister des formes moins visibles, plus complexes et plus sophistiquées de corruption utilisant par exemple des sociétés écrans et les paradis fiscaux. Bien entendu, seules les très grosses sociétés seraient en mesure d'utiliser de tels procédés, mais il y aurait là un véritable contournement de la convention.
L'impact réel de la convention dépendra des mesures de transposition prises par chaque Etat signataire et de la plus ou moins grande fermeté avec laquelle elles seront appliquées.
Les Etats-Unis possèdent depuis 1977 une législation réprimant la corruption d'agents publics étrangers par des citoyens ou des entreprises américaines en vue de l'obtention d'un marché. Dans mon rapport écrit, j'ai précisé les principales caractéristiques de cette législation, qui est directement à l'origine de la convention qui nous occupe aujourd'hui, les Etats-Unis souhaitant que des règles comparables s'imposent aux autres pays exportateurs.
On a souvent souligné que les industriels américains se considéraient pénalisés face à leurs concurrents, affranchis de toute menace de sanction pénale, mais on a également souvent relevé que cette législation, pourtant sévère dans son principe, avait donné lieu à très peu d'applications concrètes - on peut discuter les chiffres - : une vingtaine de dossiers examinés en vingt ans...
M. Emmanuel Hamel. Un par an !
M. Christian de La Malène, rapporteur. ... cinq poursuites engagées et des sanctions prises, dont la plus sévère se limitait à une année d'emprisonnement avec sursis.
La France, pour sa part, a préparé un projet de loi de transposition modifiant le code pénal et le code de procédure pénale et relatif à la corruption, déposé au mois de janvier au Sénat.
Ce projet introduit dans le code pénal l'incrimination de corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, assortie d'une peine de dix ans d'emprisonnement et d'un million de francs d'amende. Il prévoit des peines complémentaires pour les personnes physiques et un régime de responsabilité des personnes morales. Ce régime de sanctions pénales envisagé par la France est particulièrement rigoureux, plus sévère même que celui de la plupart de nos partenaires.
Le projet de loi comporte deux dispositions qui me paraissent particulièrement importantes.
D'une part, il dispose que les poursuites ne pourront être exercées qu'à la seule requête du ministère public, ce qui signifie que le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile ne suffira pas à mettre en mouvement l'action publique.
D'autre part, le dispositif pénal ne s'appliquera qu'aux contrats conclus après l'entrée en vigueur de la loi et ne couvrira donc pas l'exécution d'engagement pris dans les limites de contrats antérieurs à cette promulgation.
Au travers de ce qui existe déjà aux Etats-Unis, c'est-à-dire une législation complète mais peu appliquée, et de ce qui est envisagé pour la France, nous voyons qu'en réalité chaque Etat signataire disposera d'une certaine marge d'appréciation pour la transposition de la convention. Or l'objectif recherché, à savoir une concurrence loyale dans un environnement assaini, ne peut valablement être atteint que si la convention est appliquée de manière similaire par l'ensemble des parties.
Telle est la justification du principe d'équivalence sur lequel repose toute la crédibilité de cette convention. En effet, que le régime des sanctions diffère, que l'interprétation des textes soit souple ici et rigide ailleurs ou que la propension des parquets des différents pays à poursuivre soit par trop disparate, la convention créera d'inacceptables distorsions de concurrence au lieu de les réduire.
C'est sur ce point que réside notre plus forte inquiétude, car il y a un risque réel de distorsion dans la transposition de la convention par les différents pays. On constate déjà une certaine variété dans le régime des sanctions pénales. Les pénalités encourues par les personnes morales ne sont pas partout du même ordre.
Ce risque de distorsion réside surtout dans la mise en oeuvre des actions pénales qui obéissent, selon les pays, à des règles et des traditions juridiques différentes.
Je ne citerai que le cas des Etats-Unis, où le monopole des poursuites en matière de corruption appartient au département de la justice sous l'autorité de l'attorney general. Encore ce dernier doit-il convaincre un « grand jury », en lui apportant les éléments de preuve dont il dispose, avant d'être autorisé à engager les poursuites, l'ensemble de cette procédure ne donnant lieu, par ailleurs, à aucune publicité. C'est dire qu'un filtrage sévère, dans lequel le pouvoir discrétionnaire de l'attorney general qui apprécie l'opportunité des poursuites joue un rôle prépondérant, s'applique avant toute mise en oeuvre de l'action publique. Qui plus est, l'entreprise qui serait mise en cause a toujours la possibilité d'éviter un procès, nous le savons, en pratiquant une transaction pénale, c'est-à-dire en plaidant coupable sur un délit de moindre importance.
Qu'en sera-t-il en France ?
Certes, le projet de loi déposé au Sénat exclut l'automaticité des poursuites liée au dépôt de plainte avec constitution de partie civile. Le monopole des poursuites appartiendra au ministère public mais, en l'occurrence, chacun des cent quatre-vingt un procureurs sera juge de l'opportunité des poursuites. Une circulaire de politique pénale de la Chancellerie suffira-t-elle à uniformiser les pratiques des parquets ?
Il paraît clair que, dans les trente-quatre pays signataires, la propension des parquets à poursuivre prendra une intensité variable, d'autant que les faits incriminés auront été commis dans un pays tiers, c'est-à-dire que le préjudice porté à l'ordre public national ne sera pas évident.
La seule réponse apportée par la convention à la question fondamentale du respect du principe d'équivalence réside dans la mise en place d'un groupe de travail chargé du suivi de l'application du texte. Ce groupe, composé de représentants de tous les pays signataires, aura pour mission de surveiller les pratiques nationales et l'on espère qu'il saura déceler et dénoncer les éventuelles distorsions dans l'application de la convention. Je pense, pour ma part, qu'il n'y a pas lieu de placer des espoirs exagérés dans un tel mécanisme.
J'en arrive aux conclusions de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur une convention qui, vous l'aurez compris, ne saurait susciter une adhésion sans réserves, malgré ses bonnes intentions.
Ces réserves sont nombreuses et découlent du risque, trop important à nos yeux, d'application déséquilibrée de cette convention. Pour autant, elles ne nous sont pas parues de nature à remettre en cause sa ratification.
La commission souscrit, bien entendu, à l'objectif de la convention, à savoir lutter contre une corruption qui, outre ses méfaits dans les pays qui la pratiquent, entretient dans le commerce international un manque de transparence dont nos entreprises exportatrices se passeraient bien. Au demeurant, nos principaux partenaires, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, le Japon ou le Canada l'ont déjà ratifiée.
La commission a donc émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi, mais elle a assorti cet avis de quatre observations, qui sont autant de demandes à l'adresse du Gouvernement, afin qu'il fasse preuve d'une vigilance particulière dans la mise en oeuvre de cette convention. Il y va de nos industries exportatrices et, au-delà, de l'emploi.
La première observation adressée au Gouvernement vise à lui demander de militer, dans les différentes enceintes internationales, pour une extension géographique des dispositions de la convention, par exemple à tous les pays de l'organisation mondiale du commerce. C'est un objectif que pourraient utilement se fixer les pays de l'OCDE afin de généraliser à l'ensemble du commerce international les règles qu'ils ont imposées à leurs exportateurs.
La deuxième observation concerne la transposition de la convention dans le droit pénal français. Cette transposition doit à notre sens être stricte, c'est-à-dire pleinement conforme à la convention, tout en ayant le souci de respecter le principe d'équivalence, qui suppose une mise en oeuvre similaire de la convention dans tous les pays signataires. Il faudra pour cela s'en tenir à la définition des actes de corruption donnée par la convention et veiller à établir un régime de sanctions pénales comparable à celui de nos partenaires. Il faudra également veiller à ce que l'engagement des poursuites soit réservé au ministère public, ce qui est le minimum exigé chez nos partenaires. Il nous semble que ces conditions sont satisfaites par le projet de loi déposé au Sénat. Encore faut-il que l'équilibre réalisé par ce projet de loi soit préservé.
La troisième observation tient à la date d'entrée en vigueur de la convention. Il nous semble qu'il serait néfaste, d'un point de vue de sécurité juridique, que la convention entre en vigueur avant la loi interne, car il y aurait alors une période d'incertitude sur le plan juridique. Il serait donc sage d'attendre l'adoption du projet de loi interne pour déposer les instruments de ratification de la convention. Ainsi, une seule et même date serait retenue pour l'entrée en vigueur de la convention et celle de la loi interne. Le Gouvernement peut-il nous donner des assurances en ce sens ?
Enfin, la quatrième observation s'adresse également au Gouvernement pour lui demander d'accorder une vigilance spéciale à la procédure de suivi de l'application de la convention, seul moyen dont nous disposerons pour nous assurer que cette application sera uniforme dans l'ensemble des pays concernés. Pour cela, il faudra envoyer au groupe de travail chargé du suivi des représentants parfaitement conscients et mobilisés sur les enjeux de cette convention pour nos entreprises exportatrices.
C'est en insistant fortement sur ces observations, qui, elle l'espère, seront entendues par le Gouvernement, que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique . - Est autorisée la ratification de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, faite à Paris le 17 décembre 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

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