Séance du 23 novembre 1999






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce. - Débat sur une déclaration du Gouvernement (p. 1 ).
M. le président.
MM. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur ; Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques ; Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères.

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

MM. Jacques Bellanger, Michel Souplet, Jean-Pierre Raffarin, Philippe Darniche, Hubert Haenel, Gérard Le Cam, Jean-Michel Baylet, Jean-Marc Pastor, Jean Huchon, Ladislas Poniatowski, Jean Bizet, Jacques Ralite.

Suspension et reprise de la séance (p. 2 )

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

3. Rappel au règlement (p. 3 ).
MM. Jean-Patrick Courtois, le président.

4. Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce. - Suite du débat sur une déclaration du Gouvernement (p. 4 ).
MM. Jacques Pelletier, François Marc, Philippe François, Aymeri de Montesquiou, Mme Danièle Pourtaud, MM. Gérard César, Adrien Gouteyron.

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur.
Clôture du débat.

5. Répartition des sièges à l'Assemblée de la Polynésie française. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 5 ).
Discussion générale : M. Lucien Lanier, rapporteur de la commission des lois.

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

MM. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement ; Gaston Flosse, Guy Allouche.
Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 6 )

MM. le rapporteur, Guy Allouche, Gaston Flosse, Michel Duffour.
Adoption, par scrutin public, de l'article unique de la proposition de loi organique.

6. Interdiction des candidatures multiples aux élections cantonales. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 7 ).
Discussion générale : MM. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois ; Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement ; Michel Dreyfus-Schmidt.
Clôture de la discussion générale.

Article 1er. - Adoption (p. 8 )

Article additionnel après l'article 1er (p. 9 )

Amendement n° 1 de M. de Broissia et sous-amendement n° 2 de M. Michel Mercier. - MM. Louis de Broissia, Michel Mercier. - Retrait du sous-amendement n° 2.
MM. le rapporteur, le ministre, Michel Dreyfus-Schmidt, Louis de Broissia.

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

MM. Alain Joyandet, Philippe Adnot. - Retrait de l'amendement n° 1.

Article 2 (p. 10 )

MM. Michel Mercier, le ministre, le rapporteur.
Adoption de l'article.

Article 3. - Adoption (p. 11 )

Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.

7. Inscription d'un majeur en tutelle sur une liste électorale. - Adoption des conclusions de deux rapports d'une commission (p. 12 ).
Discussion générale commune : MM. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois ; Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement ; Jacques Pelletier.
Clôture de la discussion générale commune.

INSCRIPTION D'UN MAJEUR EN TUTELLE
SUR UNE LISTE ÉLECTORALE (p. 13 )

Articles 1er à 4. - Adoption (p. 14 )

Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.

INÉLIGIBILITÉ D'UN MAJEUR EN TUTELLE (p. 15 )

Articles 1er à 3. - Adoption (p. 16 )

Adoption, par scrutin public, de l'ensemble de la proposition de loi organique.
MM. le rapporteur, le ministre.

8. Modification de l'ordre du jour (p. 17 ).
MM. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement ; le président.

9. Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 18 ).

10. Dépôt d'un rapport (p. 19 ).

11. Ordre du jour (p. 20 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE
DE L'ORGANISATION MONDIALE
DU COMMERCE

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle.
Mes chers collègues, compte tenu de l'importance du débat que nous allons avoir et aussi du nombre et de la qualité des intervenants - le représentant du Gouvernement, deux présidents de commission, dix-neuf orateurs pour plus de trois heures - je vous propose, si nous n'avons pas terminé à treize heures, de reprendre notre débat à seize heures, pour l'achever aux alentours de dix-sept heures.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous présenter, au nom du Gouvernement, les perspectives des prochaines négociations commerciales multilatérales et les objectifs de notre pays et de ses partenaires européens.
Je suis très heureux de venir devant vous aujourd'hui, car ce débat nous permettra d'établir une analyse plus précise de la situation, moins d'une semaine avant la conférence de Seattle.
Je le suis d'autant plus que vous avez déjà effectué un travail important sur les prochaines négociations à l'occasion du rapport de M. Michel Souplet sur trois propositions de résolution qui furent présentées, réunies et adoptées par la commission des affaires économiques et du Plan.
Le souhait du Sénat d'être associé à cette négociation, souhait qui se concrétisera d'ailleurs par la présence de membres de la Haute Assemblée au sein de la délégation française, rejoint le désir du Gouvernement, manifesté depuis plusieurs mois, d'aborder ces négociations dans la transparence, à l'égard des élus comme de la société civile.
Nous croyons en effet qu'à l'ampleur des enjeux de la mondialisation, qui concerne chacun de nos concitoyens, doivent correspondre, de la part des gouvernements, des méthodes nouvelles de consultation et d'information, pour que les positions prises par notre pays ne reflètent pas seulement les convictions de quelques-uns mais expriment les intérêts de tous.
Avant d'aborder la négociation proprement dite, permettez-moi d'éclairer deux aspects généraux du fonctionnement et du rôle de l'Organisation mondiale du commerce sur les plans institutionnel et économique.
Le premier volet est le rôle institutionnel de l'OMC.
Sur le plan institutionnel, il faut bien comprendre que l'OM n'est pas une organisation supranationale, elle est une organisation interétatique, respectueuse de la souveraineté et fonctionnant sur le modèle du contrat social, un contrat social international.
Les règles issues de l'OMC sont le fruit de la volonté des Etats : ce qu'ils n'acceptent pas n'a pas force de droit. L'OMC n'impose aucun engagement, sinon celui de respecter ses engagements librement consentis.
Même lorsqu'il s'agit de fixer les règles d'ouverture commerciale, grâce à l'OMC, nous pouvons nous accorder sur des concessions équilibrées. Dans tous les domaines, nous pouvons donc considérer que l'existence de l'OMC nous permet, selon le mot célèbre, de substituer « à la liberté qui opprime, la règle qui libère ».
Le fonctionnement contractuel de l'OMC appelle naturellement une fonction juridictionnelle pour régler les différends dans l'application des clauses du contrat.
Des critiques se sont exprimées sur le caractère interne, « endogène », de l'ORD, l'Organe de règlement des différends, qui, étant dans l'OMC, serait à la fois juge et partie.
Certains évoquent, par souci de cohérence des institutions internationales, un recours des décisions de l'Organe de règlement des différends auprès de la Cour internationale de justice.
Permettez-moi de remarquer que seulement un tiers des membres de l'Organisation des Nations unies a accepté que leurs différends soient normalement soumis à la Cour internationale de justice, alors que les 134 membres de l'OMC reconnaissent la juridiction de l'ORD.
En termes d'efficacité et de légitimité, l'avantage est clairement en faveur de l'OMC.
Je me suis déjà exprimé sur les évolutions que doit connaître l'ORD en termes de transparence, d'accès au droit pour les pays pauvres, d'évolution du système des sanctions, qui doit concilier efficacité et justice. Il n'est en effet pas normal que des secteurs, des entreprises et, en définitive, des hommes et des femmes subissent les conséquences de litiges auxquels ils n'étaient nullement parties. Le recours à des compensations, voire à des astreintes, me semble devoir être étudié.
D'une manière plus générale, je voudrais souligner que l'existence de l'ORD ne doit pas nous conduire à un gouvernement économique des juges sur le plan international.
C'est pourquoi les Etats, certes instruits par la jurisprudence de l'ORD, doivent réexaminer périodiquement le cadre normatif sur lequel les juges s'appuient. C'est d'ailleurs une des activités fondamentales de l'OMC que de revisiter ses propres règles.
En bref, la critique externe de l'OMC est stimulante, mais c'est de l'intérieur de l'OMC que l'on pourra vraiment faire progresser la régulation économique dont nous avons besoin.
J'en arrive au second volet, le rôle économique de l'OMC. Là s'opposent une thèse et une antithèse.
La thèse est celle de la théorie économique, confirmée par beaucoup d'observations concrètes.
En s'engageant dans l'échange international, qui permet d'accroître la taille du marché, un pays produira plus, avec une meilleure productivité et avec des coûts plus faibles. Dans le même temps, les consommateurs bénéficient d'une gamme plus large de biens, à des prix moins élevés.
Des études récentes réalisées dans un grand nombre de pays ont montré que les économies ouvertes bénéficiaient d'un taux de croissance supérieur à celui des économies fermées.
L'antithèse considère que la logique du marché ne doit pas être la logique de la vie : c'est la différence entre l'économie de marché et la société de marché.
L'homme ne peut en effet être réduit à une pure dimension d'agent économique, voulant toujours plus de production ou de consommation.
A l'individualisme du marché, on oppose à juste titre l'existence de communautés de vie et de traditions, propres à chaque pays, qui ne doivent pas se dissoudre dans la globalisation et l'uniformisation.
Comment résoudre cette contradiction ? Comment trouver une synthèse entre ces points de vue ?
Il faut se souvenir que les théories du libre-échange sont nées avec la révolution industrielle et correspondent bien à la nature des objets techniques : un bien industriel, une machine sophistiquée par exemple, n'exprime pas une tradition, n'est pas issu d'une culture spécifique à un pays.
Pour ce type de biens, la libéralisation, la spécialisation, les économies d'échelle sont globalement positifs. Et l'on peut en dire de même pour certains services, comme les services financiers.
Mais, pour d'autres biens, les biens culturels, les services publics, l'agriculture également, le raisonnement froidement économique ne peut s'appliquer sans restrictions.
Je ne dis pas qu'il doit être totalement rejeté : personne ne peut être sérieusement partisan d'une autarcie totale en matière culturelle ou agricole. Mais, dans ces domaines, il faut trouver un équilibre entre le respect des identités et l'ouverture raisonnable aux échanges.
C'est ce qui inspire la position du Gouvernement dans les négociations de l'OMC : libéraliser de manière équitable ce qui peut l'être et protéger en même temps nos valeurs, notre organisation sociale, l'équilibre de notre territoire, dans la perspective d'un monde de diversité, d'un monde multipolaire.
M. Emmanuel Hamel. Protégez-les avec fermeté !
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Le reste est question de moyens, qui peuvent être divers. A l'OMC, nous parlons d'agriculture, mais nous n'y négocions pas sur la culture : chaque domaine a sa spécificité.
Je tenais à rappeler ces considérations générales qui me semblent importantes pour comprendre la logique du fonctionnement de l'OMC.
J'en viens maintenant à la préparation de Seattle. A quelques jours de la conférence, la situation se caractérise par une forte incertitude. Le processus qui s'est engagé au début du mois de septembre ne permet pas de déterminer avec précision le contenu d'une plate-forme commune. Plus précisément, nous attendons aujourd'hui encore le premier texte opérationnel qui devra servir de base à nos travaux à Seattle.
Beaucoup d'entre vous pourraient considérer cette situation - assez inédite à la veille d'une grande conférence internationale - comme un signe de faiblesse de l'OMC. Je crois qu'il s'agit de l'effet conjoint de causes diverses.
L'OMC a changé cette année de directeur général à l'issue d'un processus de décision qui a été difficile, comme vous le savez.
L'administration américaine se trouve en année pré-électorale, dépourvue du Fast-track, même si cette dernière n'est pas nécessaire au lancement de négociations, et soumise à un jeu complexe à l'égard du Congrès : tous ces facteurs n'ont pas contribué à permettre aux Etats-Unis d'assurer aussi efficacement que l'on aurait pu le souhaiter les responsabilités de pays d'accueil et de président de la Conférence ministérielle.
Enfin, l'OMC est réellement devenue, comme je l'ai dit, une Organisation démocratique au sein de laquelle quelques-uns ne peuvent décider pour tous. Cela ne renforce pas l'efficacité immédiate de l'organisation, mais établit, au contraire, sa légitimité, que je crois tout aussi indispensable pour une organisation internationale.
Il s'ensuit que la réunion de Seattle aura à répondre, avec succès, je l'espère, à un défi inédit : non pas seulement boucler les derniers détails d'une négociation, mais en établir l'équilibre lui-même. Il est donc probable que les Etats et les ministres aient à travailler sur place sur les grands chapitres du cycle, parallèlement à la conférence générale proprement dite.
Quels sont les points de vue en présence ?
Les pays en développement ont fait de la question de la mise en oeuvre des accords de l'Uruguay un préalable au lancement du prochain cycle. Ils considèrent qu'ils n'ont pas retiré du cycle de l'Uruguay les avantages qu'ils étaient en droit d'attendre. Ils estiment avoir été contraints de signer des accords à la négociation desquels ils n'avaient pas été suffisamment associés.
En réalité, ces reproches ne sont pas tous fondés. Certains pays, on peut le comprendre, font porter à l'OMC, comme vecteur de la libéralisation, une responsabilité dans l'émergence de la crise asiatique ou, plus généralement, dans la persistance du mal-développement. C'est un peu le sens des conclusions des travaux du G 77 qui s'est réuni l'automne dernier à Marrakech.
Je crois que ces difficultés ont bien d'autres causes, des causes financières et monétaires, à l'égard desquelles l'OMC n'a que peu de contrôle, ainsi que des causes internes liées au rythme sans doute trop lent des réformes politiques et juridiques qui doivent accompagner la modernisation de l'économie. Là aussi, l'OMC n'a que peu de prise. C'est sans doute dans une meilleure coordination de toutes les institutions internationales que nous devrons, dans l'avenir, chercher des remèdes.
Même si nous ne devons pas avoir mauvaise conscience, car l'Europe en particulier a respecté ses engagements de Marrakech, nous devons être attentifs aux demandes des pays en développement. Nous sommes ouverts à certaines de leurs revendications et nous sommes prêts à des décisions immédiates à Seattle, en particulier en faveur des pays les moins avancés.
L'OMC met en oeuvre un traitement spécial et différencié au bénéfice des pays en développement. La plupart des accords prévoient la possibilité de périodes de transition. Nous devons en parallèle faire un effort particulier d'assistance technique pour permettre aux pays en développement de remplir leurs engagements et de tirer tous les bénéfices de leur participation au système multilatéral.
Nous devons dans le même temps être attentifs à ne pas rouvrir les accords de Marrakech et les équilibres atteints à cette occasion. Les pays émergents ont bénéficié des accords de Marrakech. La part des pays en développement dans les échanges mondiaux est passée de 12 % à 20 % entre 1970 et 1998. Mais les disparités restent fortes. La libéralisation des échanges doit bénéficier à tous. Tel est l'objectif que défend l'Union européenne à l'OMC.
La question de la différenciation entre les pays en développement méritera d'être traitée dans le cadre du prochain cycle. Il importe que les pays les moins avancés aient un traitement plus favorable - c'est une des propositions de l'Union européenne pour Seattle - et que les pays émergents avancés contribuent davantage au système multilatéral. Beaucoup d'entre eux conservent des barrières douanières élevées qui pénalisent les pays moins intégrés dans l'échange international.
Le groupe de Cairns, de son côté, non sans le soutien implicite des Etats-Unis, a tenté d'imposer un préalable agricole à toute discussion générale avec l'Union européenne. L'Australie et la Nouvelle-Zélande, en particulier, ont à la fois exigé de fixer dès Seattle les points d'arrivée de la négociation agricole et refusé de progresser sur les autres sujets de la négociation.
L'Union européenne, appuyée par différents partenaires, dont le Japon et la Corée, s'est refusée à cette négociation agricole et à cette prise en otage de l'ensemble du cycle.
L'Europe rappelle que l'objectif doit rester, à Seattle, de s'entendre sur une programme de négociation et non de traiter au fond des différents sujets.
Les Etats membres de l'Union européenne sont solidaires sur cette ligne. Les résultats du Conseil de Berlin d'avril dernier et les conclusions du Conseil « affaires générales » du 26 octobre, rappelées lors du Conseil du 15 novembre, sont la base de la position communautaire.
L'Union européenne est prête à reprendre les négociations sur l'agriculture, conformément aux engagements pris à Marrakech. Nos préoccupations relatives aux sujets agricoles non commerciaux - le développement rural, l'environnement, la sécurité alimentaire, par exemple - devront être prises en compte dans la négociation.
L'idée de la multifonctionnalité de l'agriculture synthétise bien nos objectifs. Nous considérons, en effet, que l'agriculture ne peut, comme certains le souhaitent, être banalisée car son rôle social et environnemental est spécifique.
Nous ne pouvons admettre que, dans le domaine agricole, une libéralisation sans limites aboutisse à ce que, emportés dans la course à la productivité, des agriculteurs de moins en moins nombreux s'épuisent dans une guerre des prix qui ne profitera qu'à quelques multinationales de l'agro-industrie.
Cette position de la France et de l'Europe en faveur de la multifonctionnalité de l'agriculture, de son rôle productif mais aussi de son caractère structurant pour l'ensemble de la société, n'est pas issue de la seule définition de nos intérêts. Ce que nous défendons ici, c'est un modèle équilibré, c'est la protection des spécificités nationales, qui correspondent aux intérêts des agriculteurs du monde entier, y compris de ceux des pays les moins développés.
Par rapport aux Etats-Unis, dont les ambitions sont limitées à un cycle étroit, l'Union européenne continue à militer en faveur d'une approche globale de la négociation et d'un engagement unique.
Le débat actuel sur le projet de déclaration de Seattle confirme que la globalité est seule de nature à équilibrer les intérêts de tous les membres de l'OMC.
L'approche américaine, centrée sur la libéralisation de l'agriculture, des services et de certains secteurs industriels prédéterminés dans l'enceinte de l'APEC, n'est évidemment pas à même de satisfaire les demandes des pays en développement, ni, bien sûr, celles de l'Union européenne.
Elle n'est pas davantage susceptible de répondre aux ambitions de l'Union européenne dans la recherche d'un équilibre entre la dynamique de l'ouverture, d'une part, et l'exigence de régulation du système commercial international, d'autre part.
La France et l'Union européenne ont aussi mis l'accent sur la nécessité de renforcer le système commercial.
Le lancement de négociations sur des principes de base relatifs à l'investissement direct étranger, à la concurrence et à la transparence dans les marchés publics peut constituer une première étape de cet approfondissement des règles multilatérales.
Beaucoup de pays considèrent que ces sujets servent de prétexte à l'Europe pour « charger la barque » et retarder la conclusion du cycle. Nous devons leur montrer que ces thèmes sont, au contraire, dans l'intérêt de tous.
Avec des règles meilleures sur les marchés publics, les pays peuvent lutter contre la corruption et faire jouer, pour une bonne gestion des finances publiques, les offres nationales et étrangères. Avec des règles sur l'investissement, les Etats pourront attirer des capitaux en leur offrant un cadre juridique stable et équitable. Avec des règles sur la concurrence, ils pourront mieux lutter contre l'emprise des grandes firmes multinationales.
Ces progrès du droit économique international sont nécessaires, mais ne pourront être que graduels. C'est sur le long terme que l'OMC pourra contribuer à établir des disciplines librement consenties, complètes et efficaces dans ces domaines.
Nous souhaitons que la conférence de Seattle, sous une forme que la négociation devra déterminer, constitue une étape importante pour faire progresser ces sujets.
L'OMC doit aussi répondre aux préoccupations des opinions publiques sur les thèmes de la sécurité des aliments, des questions sanitaires, de l'environnement. La question du boeuf aux hormones ou le commerce transfrontalier des organismes génétiquement modifiés appellent incontestablement des clarifications.
Dans ces questions d'environnement, nous devons chercher un juste milieu entre deux extrêmes : légiférer sur l'environnement à l'OMC, dont ce n'est pas le rôle, et, à l'opposé, se désintéresser du sujet. Ce que nous proposons, c'est que le comité de l'environnement de l'OMC fasse beaucoup plus rapidement qu'aujourd'hui des propositions aux ministres pour clarifier l'articulation entre les règles commerciales et les accords multilatéraux sur l'environnement et entre le travail de l'OMC et celui d'autres institutions comme l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, ou l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS.
Cette meilleure cohérence du système international doit permettre d'améliorer les réponses que nous pouvons apporter aux problèmes transversaux : le développement durable, la lutte contre les inégalités et le besoin d'équité, les problèmes de santé publique ou le respect des normes sociales fondamentales. Certains de ces sujets ne peuvent être abordés que conjointement par des organisations internationales comme le Fonds monétaire international, le FMI, et la Banque mondiale.
C'est aussi le cas pour les normes sociales : nous plaidons pour l'établissement d'un forum conjoint et permanent entre l'OMC et l'Organisation internationale du travail, l'OIT. Nous sommes convaincus que des progrès ne pourront être réalisés que sur la base d'une collaboration effective entre les deux organisations, la définition des normes devant, bien entendu, continuer à incomber à l'OIT.
Sur les politiques économiques et la gouvernance dans les pays en développement, nous avons engagé l'OMC dans un programme de coopération avec les institutions de Bretton Woods dans le cadre de la politique plus générale menée par Christian Sautter en faveur du renforcement de leur rôle régulateur.
Sur la santé, l'OMC et l'OMS doivent procéder à une identification des questions de santé publique liées au commerce. Les deux organisations tiendront une session de travail conjointe le 1er décembre à Seattle sur ces questions et auront l'occasion de présenter publiquement leur programme de coopération.
S'agissant de la diversité culturelle, enfin, l'impulsion de la France a permis l'adoption à l'UNESCO, par cinquante-huit ministres, d'une déclaration sur la spécificité de la culture.
La globalité à laquelle nous sommes attachés pour le prochain cycle de Seattle n'est donc pas seulement la clé d'une négociation purement commerciale. Elle doit répondre aux questions qui préoccupent les pays en développement et les opinions publiques. Elle vise à renforcer la capacité des Etats à maîtriser les conséquences de la mondialisation. Elle est l'occasion d'amorcer une réflexion qui s'impose sur l'avenir du système international.
L'OMC, tout le monde le reconnaît, n'est pas responsable d'une mondialisation qui, si nous savons la maîtriser, est un atout pour la croissance économique et le développement.
Mais cette organisation, dont la France et l'Union européenne ont souhaité la création, est perfectible. Elle doit servir davantage à la régulation. En l'absence de règles, et comme l'a déclaré le Premier ministre, la loi de la jungle l'emporterait.
L'OMC doit s'ouvrir davantage aux préoccupations des citoyens et à la demande de transparence de la société civile. Elle doit faire la preuve qu'elle est capable de répondre aux attentes de tous ses membres.
L'accord entre les Etats-Unis et la Chine adresse un signal positif pour l'OMC, à la veille de Seattle. L'Union européenne, qui soutient cette adhésion, devra s'assurer que les bases en sont conformes à ses intérêts.
Au total, ce développement récent témoigne de l'attractivité de l'OMC en renforçant son universalité. Plus de trente pays sont engagés actuellement dans des processus d'adhésion, parmi lesquels la Russie et l'Arabie Saoudite.
En attendant Seattle, l'Union européenne devra donc continuer à travailler pour un accord sur un agenda large. Pendant la conférence, elle recherchera un ensemble de décisions équilibrées.
Le Gouvernement sera, à Seattle, en contact permanent avec les parlementaires présents, bien entendu.
Nous abordons cette conférence avec calme et détermination. Notre ligne doit être d'obtenir une déclaration opérationnelle qui ouvre, ou laisse ouvertes, les options auxquelles nous tenons. L'exercice ne sera pas aisé, car l'OMC décide sur la base d'un consensus entre 135 membres souverains.
Nous avons beaucoup à gagner à une reprise des négociations. Si nous avons à répondre à des questions difficiles, nous disposons de la durée : la conférence de Seattle doit marquer le démarrage d'un prochain cycle. Seattle sera donc le point de départ d'un travail de négociation qui se poursuivra pendant plusieurs années et que nous mènerons avec la même résolution et le même souci de transparence qui nous ont guidés jusqu'ici. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques et du Plan.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans un article du mois de juillet, Jacques Attali demandait que l'on en finisse avec l'OMC, et c'est par milliers que des représentants des organisations non gouvernementales fustigeront dans quelques jours, dans les rues de Seattle, l'Organisation mondiale du commerce et le cycle de négociations qu'elle s'apprête à lancer.
Faut-il donc vouer l'OMC et le round du Millénaire aux gémonies ? Personnellement, je ne le crois pas, ni vous non plus, monsieur le secrétaire d'Etat, si je vous ai bien suivi.
Certes, on peut s'interroger. Le moment est-il bien choisi pour lancer un nouveau cycle ? N'aurait-il pas fallu, au préalable, faire le bilan du précédent ? Je comprends que l'on en débattre.
Il reste que la France et l'Union européenne ont deux bonnes raisons de ne pas s'en prendre de façon idéologique à l'Organisation mondiale du commerce. La premièr est économique, la seconde politique.
Le verdict de l'économie est clair, en tout cas à mes yeux, même si je sais qu'il arrive qu'on le conteste, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat.
Pourquoi le verdict de l'économie est-il clair ? Parce que la France et l'Europe doivent l'essentiel de leur prospérité, depuis la Deuxième Guerre mondiale, au développement des échanges internationaux.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. C'est vrai !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Les chiffres sont sans ambiguïté : depuis la fin des années cinquante, c'est-à-dire depuis le début des cycles du GATT, les échanges mondiaux ont été multipliés par dix-sept, la production mondiale par quatre et le revenu par habitant de la planète par deux. Cela signifie clairement que c'est le commerce international qui a tiré et qui tire la croissance, celle de l'économie mondiale et, plus encore, celle de l'Europe et de la France. Les échanges internationaux sont le moteur de l'économie, et non l'inverse.
Ce disant, bien entendu, je n'oublie pas le cortège des tragédies dont le libre-échange est responsable, notamment en France : le textile, la chaussure, les chantiers navals, la sidérurgie. Dans mon département comme dans bien d'autres, j'ai vu les dégâts !
Mais, lorsqu'on fait le bilan, que constate-t-on ? On constate que la Communauté européenne, avec 20 % des exportations mondiales contre 16 % pour les Etats-Unis et 11 % pour le Japon, s'est hissée au premier rang des puissances commerciales de la planète. On constate que la France, sans renoncer à ses valeurs, s'est solidement installée au quatrième rang des grands exportateurs mondiaux, et même au troisième rang pour les exportations de services. On constate que 5 millions d'individus, soit 22 % de sa population active, doivent leur emploi à l'activité exportatrice de nos entreprises. Le chômage continue de nous assiéger, c'est vrai, mais chacun sait qu'il a, pour l'essentiel, des causes structurelles internes, auxquelles il faudra bien, tôt ou tard, s'attaquer.
Arrêtons donc de conspuer le libre-échange, dont nos entreprises sont les premières bénéficiaires ! Constatons que la France est devenue structurellement exportatrice, structurellement compétitive, et que les partisans du repli et les nostalgiques du protectionnisme font fausse route.
Voilà une première raison, économique, de ne pas aborder à reculons la négociation qui va s'ouvrir.
Il y en a une seconde, qui est politique. L'OMC, mes chers collègues, n'est pas seulement chargée de promouvoir le libre-échange ; elle a pour mission d'en être le régulateur et l'arbitre. Or, l'intérêt de l'Europe et de la France est de voir les échanges internationaux encadrés par des règles claires et contraignantes. Le grand progrès de l'OMC par rapport au GATT est de comporter une procédure obligatoire de règlement des conflits commerciaux.
L'Europe n'a rien à gagner à la loi du plus fort, à la loi de la jungle. Une Communauté de quinze pays, au sein de laquelle les décisions sont lentes et difficiles à prendre, est congénitalement mal armée face aux pressions unilatérales d'un pays comme les Etats-Unis. La sagesse nous commande d'opter pour des procédures multilatérales qui s'imposent à tous les pays et qui les placent tous à égalité.
N'oublions pas que c'est l'Europe, et non les Etats-Unis, qui a fait naître l'OMC. Bien des différends nous opposent et nous opposeront à cette organisation ; il demeure que l'Europe et l'OMC ont partie liée.
Soyons donc positifs et offensifs dans notre approche du cycle du Millénaire ! Ce qui ne signifie pas, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il faille être complaisant ou naïf, bien au contraire.
La première des naïvetés consisterait à être dupe de l'ambiguïté américaine. Je m'étonne, à cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'ayez pas relevé l'incertitude fondamentale qui pèse sur la position des Etats-Unis. Le président et son administration veulent que le cycle du millénaire s'ouvre à Seattle et progresse, ensuite, le plus rapidement possible. Mais ils ont besoin, pour négocier, d'un mandat que le Congrès leur a jusqu'ici refusé. Négocier avec les Etats-Unis sans que la procédure dite du fast track ait été votée serait une grave erreur. C'est un véritable piège dans lequel il ne faut pas tomber. Le Congrès serait alors libre, en effet, de remettre en cause les résultats de la négociation, après sa conclusion, obligeant le président à revenir devant ses partenaires étrangers pour leur arracher une nouvelle série de concessions.
Le cycle du Millénaire peut, certes, s'ouvrir pour la forme dans quelques jours ; mais il ne peut s'agir que d'un prologue. Les négociations sérieuses devront attendre que le prochain occupant de la Maison-Blanche ait obtenu du Congrès les pouvoirs obstinément refusés au président Clinton. On me permettra d'ajouter que le rejet par le Congrès des Etats-Unis du traité sur l'interdiction des essais nucléaires ne peut que nous inciter à la plus grande fermeté sur ce point. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Une fermeté, monsieur le secrétaire d'Etat, qui s'imposera tout autant sur d'autres points essentiels, que vous avez d'ailleurs relevés.
Le plus important concerne sans doute l'esprit même de l'exercice qui va débuter. Pour l'Europe et pour la France, il doit s'agir d'une négociation d'un nouveau type, différente des précédentes, parce que les temps ont fondamentalement changé.
L'agriculture ne peut plus être considérée, ainsi qu'elle l'a été jusqu'ici, comme exclusivement productrice de denrées alimentaires. Son caractère multifonctionnel doit être explicitement reconnu. Sans une agriculture vivante, il n'y a, en Europe, ni paysages, ni aménagement du territoire, ni équilibre entre l'espace urbain et l'espace rural, un équilibre pourtant vital pour des sociétés confrontées, dans leurs banlieues, à d'angoissants défis sociaux.
En défendant la politique agricole commune, monsieur le secrétaire d'Etat, vous défendrez beaucoup plus que des intérêts ; vous défendrez un modèle de civilisation auquel il ne peut pas être question de renoncer.
Il en va de même - est-il besoin de le souligner ? - de la culture, parce qu'elle touche à l'identité même de notre pays et qu'on ne saurait la livrer à une logique mercantile ou financière.
Agriculture et culture nous opposent aux Etats-Unis. L'environnement et la prise en compte de normes sociales nous opposeront, sachons-le, au tiers monde, qui y voit une forme déguisée de protectionnisme.
Autant dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que la négociation sera longue, agitée et qu'elle n'aura évidemment d'intérêt pour nous, vous l'avez dit, que si elle est globale et équilibrée.
Elle devra, bien entendu, prendre en compte les intérêts légitimes - ils ne le sont pas tous ! - des pays en voie de développement, y compris ceux de la Chine, dont l'adhésion désormais probable à l'OMC conférera, à l'évidence, à la négociation une portée sensiblement accrue.
Pour l'Europe, la partie sera difficile. La Communauté devra veiller à ne pas se laisser isoler. Elle devra surtout maintenir entre ses membres, dont les intérêts et les sensibilités, nous le savons bien, sont souvent divergents, une cohésion sans faille. Ce sera peut-être l'essentiel, monsieur le secrétaire d'Etat, de votre tâche.
Si elle y parvient, le cycle du Millénaire, au lieu d'engendrer les catastrophes que certains annoncent, pourrait, au contraire, inaugurer une ère nouvelle, où liberté et réglementation des échanges s'équilibreraient dans le cadre de procédures contraignantes et d'arbitrages impartiaux. Un objectif aussi ambitieux est-il atteignable ? C'est loin d'être certain. Mais ce qui est évident, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est qu'il est dans l'intérêt de l'Europe et de la France d'y travailler sans faiblesse. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales qui doit être lancé lors de la toute prochaine conférence ministérielle de l'OMC revêt une importance que nous savons tous considérable.
C'est pourquoi mes premiers mots seront pour remercier la conférence des présidents du Sénat et le Gouvernement d'avoir accepté la suggestion que j'avais formulée d'organiser ce débat devant la Haute Assemblée à la veille de l'ouverture de la conférence de Seattle.
Car il va de soi que le Parlement doit être en mesure de s'exprimer sur une échéance aussi importante, comme il devra, demain, être tenu précisément informé et régulièrement consulté, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le déroulement de ce cycle du Millénaire.
Je me contenterai, ce matin, de formuler deux séries d'observations de portée générale sur les enjeux de ces nouvelles négociations commerciales internationales, avant de vous poser, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques questions précises, avec l'espoir que vos réponses seront de nature à mieux éclairer le Sénat.
La conférence de Seattle exige une attention et une vigilance toutes particulières. Elle ne justifie pas pour autant - mon collègue et ami Jean François-Poncet l'a dit - un alarmisme excessif, ni des discours hostiles à l'Organisation mondiale du commerce elle-même ou prônant un refus de participer à des négociations où nous devons, au contraire, faire entendre notre choix haut et fort pour mieux défendre nos intérêts.
C'est précisément parce que la mondialisation suscite, légitimement, beaucoup de préoccupations et de critiques que la communauté internationale dans son ensemble doit l'entourer de règles plus précises et plus équitables.
C'est parce que le développement du commerce international a été et demeure le moteur et le stimulant de la croissance mondiale que ces négociations doivent être entreprises et les réactions frileuses écartées.
C'est parce que la France est la quatrième puissance commerciale mondiale et le troisième exportateur de services que la politique de la « chaise vide » desservirait gravement nos propres intérêts.
L'Organisation mondiale du commerce a été précisément conçue pour mettre en place un système de règles et de transparence dans les échanges entre les nations et pour éviter les excès redoutés de la dérégulation. L'OMC, rappelons-le, est la première institution internationale qui dispose d'un véritable pouvoir d'arbitrage entre les intérêts contradictoires des nations. Et il n'est pas sans intérêt de souligner que les Etats-Unis, en adoptant la mise en place de ce règlement, ont accepté là ce qu'ils ont systématiquement refusé pour toute autre juridiction internationale.
Ne confondons donc pas le danger et le remède qui lui est apporté. Il est légitime de vouloir corriger les excès potentiels d'une mondialisation galopante. Mais c'est précisément l'OMC qui constitue l'instrument le plus adapté pour y parvenir.
Dans ce cadre, le cycle du Millénaire revêtira une importance exceptionnelle. Ces nouvelles négociations multilatérales sont singulières par rapport aux nombreux rounds qui les ont précédées - non pas forcément plus importantes, car je crois que le cycle de l'Uruguay, qui a débouché sur les accords de Marrakech et sur la création de l'OMC, est celui qui a provoqué les changements les plus forts.
Toutefois, ces négociations seront différentes au moins à deux titres.
D'abord, parce qu'elles sont aujourd'hui appelées à s'étendre à des sujets - et la France le veut ainsi - comme les normes environnementales, sociales et alimentaires, encore plus sensibles pour les opinions publiques, et qui revêtent, de ce fait, une importance politique encore accrue.
Ensuite, parce que les pays en développement détiennent aujourd'hui une place numériquement prépondérante parmi les 134 membres que compte l'OMC ; les négociations doivent, dès lors, être plus équilibrées et ne peuvent plus se limiter à un dialogue, ou à un affrontement, entre Européens et Américains.
Comment analyser, dans ces conditions, les enjeux réels du prochain cycle de négociations pour notre pays et pour l'Union européenne dans son ensemble ?
Je crois tout d'abord que l'objectif majeur de cette négociation devra être de convaincre nos peuples du bien-fondé d'une libéralisation équitable et maîtrisée des échanges. Cela suppose une approche à la fois plus humaine et ambitieuse de ce cycle du Millénaire. Cela justifie l'approche large, défendue par l'Union européenne, d'un cycle complet de négociations. Il est nécessaire qu'y soient discutés non seulement les questions relatives à l'agriculture et aux services, mais aussi les nouveaux sujets nécessaires à une meilleure maîtrise du phénomène de mondialisation : normes fondamentales du travail, liens entre commerce et environnement, questions de sécurité alimentaire. Il faudra aussi préserver et promouvoir la diversité culturelle, en particulier lorsque sera abordée - il faudra bien le faire, monsieur le secrétaire d'Etat - la définition d'un accord multilatéral relatif aux investissements.
Cette approche large des négociations justifie aussi l'exigence européenne d'un cycle global et d'un engagement unique, refusant tout accord partiel avant la fin des négociations. Cette approche est en effet seule gage d'équilibre : le compromis est nécesssaire, et seule cette globalité permet le pilotage politique indispensable pour que les différentes parties obtiennent des résultats de la négociation des bénéfices comparables et équilibrés.
Un autre objectif de ce nouveau cycle devra être, à mes yeux, de tenter de conforter le mécanisme de règlement des différends. L'Organe de règlement des différends constitue une avancée du droit, illustrée par le caractère équilibré de ses décisions. C'est ainsi que les Etats-Unis ont été, en septembre dernier, mis en demeure de modifier leur dispositif fiscal d'aide aux entreprises américaines à l'exportation. Il reste que le système, hybride dès lors que l'OMC ne dispose pas de bras séculier pour contraindre les Etats responsables, demeure perfectible. Il faut donc saisir l'opportunité qui s'offre d'améliorer le mécanisme de règlement des différends, en particulier en professionnalisant le recrutement des juges que constituent les « panélistes » et en renforçant la transparence du système.
Par-delà ces données générales, j'évoquerai, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques questions ponctuelles ; les réponses qui y seront apportées conditionneront demain le déroulement des négociations puis la mise en oeuvre des résultats du cycle du Millénaire.
Pouvez-vous d'abord nous donner des précisions, point que M. Jean François-Poncet a rappelé, sur les positions de l'administration américaine ? En particulier, le fait que le président Clinton n'ait pas obtenu du Congrès la procédure de ratification simplifiée que constitue le fast track ne risque-t-il pas de réduire, au cours du prochain cycle, les capacités de négociation américaines ?
Où en est-on, par ailleurs, à la suite du récent accord sino-américain, quant aux perspectives d'adhésion de la Chine à l'OMC ? Si elle est la dernière-née des grandes institutions internationales, l'OMC, pour être un arbitre incontestable, doit pouvoir s'imposer à tous. Il me paraît donc souhaitable qu'une puissance comme la Chine ne reste pas en dehors de l'organisation.
Troisième question : dans quelle mesure les futures négociations de l'OMC pourront-elles influer sur les relations priviligiées - je le souligne - entre les pays d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique et de l'Union européenne, relations dont les dispositions - celles de la convention de Lomé - sont actuellement en cours de renouvellement ? Plus généralement, dans quelle mesure le cycle du Millénaire permettra-t-il aux pays en voie de développement de trouver leur place sur la scène commerciale internationale ?
Mon dernier appel concernera, monsieur le secrétaire d'Etat, l'indispensable association du Parlement au déroulement des prochaines négociations. Une meilleure information des parlementaires sur les grandes négociations internationales est, dans un monde de plus en plus « global », devenue une nécessité. Il ne s'agit pas en l'occurrence, pour le Sénat ou l'Assemblée nationale, d'empiéter sur les pouvoirs de l'exécutif. Il s'agit, dans l'intérêt de tous, de permettre aux parlementaires de jouer pleinement leur rôle d'information, d'explication et de sensibilisation auprès de nos concitoyens qui seront directement concernés par les résultats des prochaines négociations. Ne l'oublions pas : la force diplomatique et la marge de manoeuvre dans les négociations dépendront, de plus en plus, dans l'avenir, du soutien des opinions publiques.
Ainsi seulement parviendra-t-on, par-delà l'OMC, à promouvoir l'approche humaine de la mondialisation qui est indispensable. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le développement du commerce international, l'extension du marché à l'ensemble de la planète et les révolutions technologiques bouleversent la configuration du capitalisme et les formes traditionnelles d'intervention des Etats pour l'encadrer. Si la richesse globale progresse grâce à l'essor du commerce mondial, les acteurs économiques changent de dimension, en particulier face aux Etats nations qui perdent régulièrement leur influence.
Les inégalités entre les pays et au sein même des Etats se creusent sans que nous sachions toujours trouver les outils nécessaires satisfaisant à la fois la solidarité et l'efficacité économique.
Les nouvelles tensions qui apparaissent, les nouvelles situations conflictuelles ou les nouvelles contradictions que nous devons résoudre deviennent globales et plus lourdes de conséquences pour nos avenirs puisqu'elles se généralisent à l'ensemble de notre planète. C'est sans doute pourquoi les problèmes de l'environnement et le principe de précaution prennent maintenant une place si importante. Et plus le monde se globalise, plus il a besoin de règles. Plus la mondialisation se renforce, plus ses règles doivent s'appliquer à tous.
Aussi, la tendance à l'intervention minimale propre à l'idéologie néolibérale ne peut que renforcer le marché par rapport à une société démocratique et conduit à un individualisme destructeur des valeurs de vie en commun, de liberté et de cohésion. Les Etats nations se replient sur eux-mêmes ou disparaissent, faute d'être autre chose qu'une coquille vide incapable de répondre aux phénomènes qui dépassent les frontières nationales. C'est ici que la construction européenne prend toute sa dimension.
Nous refusons le choix d'une France recroquevillée sur son passé et frileuse de l'avenir. Nous refusons le choix d'une France rapetissée, réduite au souvenir d'elle-même. Nous refusons le choix d'une France monégasque. Jamais notre pays n'est aussi grand que lorsqu'il choisit le chemin de l'universalité. Nous voulons la France de Jaurès et de Briand. Nous voulons la France de René Cassin et de Jean Monnet, actrice de l'Europe, inscrite dans le monde, promotrice de la solidarité.
Ceux qui endorment aujourd'hui les Français avec la belle légende d'Astérix et Obélix n'oublient qu'une chose : ils n'ont pas la potion magique et, surtout, ils ne sont pas tombés dedans quand ils étaient petits.
M. Emmanuel Hamel. C'est une question de volonté !
M. Jacques Bellanger. Si le somnifère agissait, le conte de fées deviendrait un cauchemar au réveil. La France et l'Europe ont besoin de leur commerce extérieur, ne serait-ce que pour revenir au plein emploi.
Nous ne serons donc pas de ceux qui montrent du doigt l'OMC pour en faire la responsable de la mondialisation.
Messieurs les souverainistes, vous faites sur ce point le poirier : la tête en bas, les pieds en l'air !
M. Emmanuel Hamel. C'est une injure à l'avenir de la France !
M. Jacques Bellanger. Lorsque M. Abitbol affirme que les décisions de l'OMC sont à 90 % en faveur des Etats-Unis, il a tout faux !
M. Emmanuel Hamel. L'injure n'est pas un argument !
M. Jacques Bellanger. Les Etats-Unis ont perdu neuf procédures et en ont gagné onze ; l'Union européenne en a perdu cinq et remporté huit. En outre, si elle était confirmée en appel, il faudrait rajouter aux procédures perdues par les Etats-Unis celle des « FSC », les dispositifs fiscaux américains d'aide à exportation, et ce n'est pas une petite petite affaire !
Souvenons-nous : après la guerre, le GATT devient le pilier commercial du système d'économie libérale de Bretton Woods. Il enregistre une multitude d'accords souvent bilatéraux, parfois multilatéraux, de secteur ou géographique. Petit à petit, se dégage une forme de jurisprudence, de démarches et d'approche générale débouchant sur les conclusions de l'Uruguay round et l'accord de Marrakech créant l'OMC. Ainsi se constitue l'embryon d'une réglementation commerciale internationale qui va prendre un essor imprévu du fait de la volonté d'universalité de l'OMC et de l'existence en son sein d'un système impliquant le retrait des mesures reconnues comme illégales ou, à défaut, le paiement de compensations ou même de sanctions par les parties qui enfreindraient les règles.
Nous disposons aujourd'hui d'un outil qui peut apparaître comme un prélude à un nouvel ordre juridique mondial en matière de commerce international. Ses normes sont-elles satisfaisantes ? C'est une autre histoire, et nous y reviendrons, mais, face à la jungle du « tout est permis » et du non-contrôle, du libéralisme sauvage, nous disposons d'un instrument de régulation de la mondialisation. Loin de le condamner dans son principe, nous entendons situer notre combat en son sein pour une plus grande justice, pour une plus grande équité et une meilleure solidarité.
Organiser les règles d'échange des marchandises, c'est d'abord les définir, les caractériser, voire les différencier.
Nous refusons l'uniformisation et la marchandisation des sociétés. Les oeuvres de l'esprit et les cultures ne sont pas des marchandises. Les vecteurs matériels qui les supportent et les transmettent doivent donc faire l'objet d'un traitement particulier et je laisserai à ma collègue Danièle Pourtaud le soin d'intervenir sur ce sujet.
La santé n'est pas une marchandise.
Le travail n'est pas une marchandise.
La définition des droits en ces domaines et le respect de normes minimales sociales et sanitaires doivent générer des règles spécifiques. Nous devons aussi prendre en compte l'état de développement de nombreux pays.
Ces normes particulières doivent s'accompagner d'un devoir de solidarité et de la définition d'étapes. Nous voulons le commerce et l'aide, et non pas le commerce sans l'aide.
Nous proposons l'ouverture commerciale aux pays les moins avancés et une aide généreuse, comme en témoigne l'initiative du Conseil européen de Cologne sur l'annulation de la dette des pays les plus pauvres.
Nous souhaitons que les pays riches suivent l'exemple de l'Union européenne et que l'accord de Seattle, s'il y en a un, garantisse l'accès au marché en exemption des droits au plus tard à la fin du nouveau cycle de négociations pour la plupart des produits exportés pour les pays les moins développés.
Cette proposition peut être considérée comme une étape vers la libéralisation multilatérale. Elle doit donc être complétée par la mise sur pied d'intégrations régionales permettant à ces pays de développer leur marché intérieur et leurs exportations sur des bases compétitives, afin de rendre ces pays plus indépendants et plus aptes à défendre leur propre position. La compatibilité entre régionalisme et multilatéralisme doit être assurée.
L'environnement non plus n'est pas une marchandise. Mais nous avons un petit acquis d'avance puisque, contrairement aux normes fondamentales du travail, la nécessité de liens entre le commerce et l'environnement a été reconnue. Le principe de précaution figure même, timidement, dans deux accords de l'OMC.
Il nous faut toutefois constater que l'OMC a plutôt tendance à considérer les réglementations nationales de l'environnement comme des formes déguisées de protectionnisme et à ne pas prendre en considération les grands principes de Rio. Il y a donc encore beaucoup à faire en ce domaine.
De plus, les initiatives récentes visant à établir un droit à polluer négociable et donc - pourquoi pas ? - une bourse des droits à polluer ont des aspects profondément choquants.
Nous nous félicitons de la décision prise par le Gouvernement conduit par Lionel Jospin de s'opposer à l'accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI, qui était par trop favorable aux multinationales. Il leur donnait le droit de porter plainte contre les pratiques qu'elles jugeaient discriminatoires des Etats, et ces mêmes Etats n'obtenaient pas les garanties nécessaires pour préserver leur capacité réglementaire, notamment en matière sociale. Bref, c'était un mauvais accord dans un cadre inadapté, et un accord d'ailleurs contesté aussi par les pays en voie de développement.
Ce n'est pas le principe de l'accord qui a été rejeté. Ce sont ses modalités inadmissibles et inapplicables. Il est donc souhaitable de définir de nouvelles règles multilatérales concernant l'investissement.
Ces règles doivent assurer la stabilité de l'investissement direct étranger dans le monde, définir strictement les critères de développement durable applicables aux différents types d'investissement, préserver, dans le cadre défini, les capacités des pays d'accueil en matière réglementaire et être prises dans une instance où les pays en voie de développement sont représentés. L'OMC me paraît souhaitable.
Il restera ensuite à définir l'outil en charge de la régularisation concrète des investissements. La logique conduirait à profiter de l'expérience acquise à l'OMC.
Nous avons plusieurs fois souligné qu'une des forces de l'OMC était son système de règlement des conflits composé d'une première instance, les groupes spéciaux ou panels, et d'une seconde instance d'appel. Nous souhaitons toutefois formuler sur ce point deux remarques et recueillir l'avis du Gouvernement.
Avant la création de l'OMC en 1995, les négociations commerciales se passaient dans une confidentialité organisée. Les progrès accomplis par l'OMC sont incontestables, mais ils restent trop limités aux gouvernements, et sans doute même à certains gouvernements.
Nous souhaitons pour notre part rendre l'OMC plus citoyenne, ce qui signifie que la société civile et en particulier les ONG puissent faire valoir leur point de vue au cours des négociations sans que le caractère intergouvernemental de l'OMC soit remis en cause. Nous espérons ainsi introduire dans le processus de décision les notions de droit et de protection des consommateurs.
Nous souhaitons également que l'accès au recours des pays les moins développés soit facilité.
Nous sommes en train de voir apparaître, à partir des règlements des différents conflits, une véritable jurisprudence en matière de commerce international. Le Gouvernement partage-t-il ce sentiment et en est-il satisfait ? Comment peut-on concilier la nature consensuelle de l'OMC et la construction, à partir de ses instances, d'un début de droit international en matière de commerce ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, les enjeux de la conférence de Seattle sont d'une grande importance. Sur la route du monde futur, nous sommes à la croisée, du moins à une croisée des chemins. Il est de notre intérêt, de l'intérêt de l'Union européenne, qu'un accord puisse être trouvé et, bien entendu, d'abord sur l'ordre du jour et son contenu.
Nous avons développé notre conception d'une mondialisation maîtrisée avec une OMC qui est l'instrument d'une véritable régularisation du commerce international. Nous savons qu'à Seattle les divergences seront sérieuses. Les Etats-Unis ont aussi des intérêts à préserver, et c'est bien naturel. Mais les conditions politiques prévalant dans ce pays adossées à un calendrier électoral leur feront préférer un débat très encadré dans un délai très restreint.
Les pays en voie de développement, faute d'un vrai bilan des accords de Marrakech, souhaitent limiter les ambitions des négociateurs et obtenir des résultats concrets immédiats. Nous ne pourrons pas concéder des remises en cause fondamentales de nos positions.
Faute de compromis acceptable, ne conviendrait-il pas alors de laisser « du temps au temps » ? Nous serons ainsi en plein accord avec le Premier ministre lorsqu'il déclare : « Rien n'est acquis quand tout n'est pas acquis. » (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après avoir entendu nos deux présidents de commission, MM. Jean François-Poncet et Xavier de Villepin, je crois que nous aurions pu arrêter là le débat, car ils ont tout dit, ou du moins ils ont exprimé ce que pense la très large majorité des sénateurs.
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est vrai !
M. Michel Souplet. Au nom du groupe de l'Union centriste, je voudrais toutefois dire que je me réjouis qu'un tel débat ait lieu au sein de la Haute Assemblée et que l'on reconnaisse, enfin, l'importance de l'avis du Parlement. Car il ne faut pas oublier que les décisions qui seront prises lors du prochain cycle de négociations auront d'inévitables implications sur la législation française.
J'ai noté d'ailleurs avec satisfaction votre affirmation, monsieur le secrétaire d'Etat, lors du dernier débat sur l'OMC à l'Assemblée nationale, selon laquelle le Gouvernement tiendrait informé régulièrement le Parlement de l'avancée des discussions de Genève. Je souhaite qu'en plus de l'information le Gouvernement tienne compte de la volonté du Parlement et de ses propositions.
Nous avons entendu de tout sur l'OMC et sur ses prétendus méfaits à l'approche des prochaines négociations du nouveau cycle du Millénium. Je constate néanmoins que le Gouvernement a aujourd'hui une approche plus réaliste qu'il n'a pu l'avoir auparavant. Quelques électrons libres - et c'est tant mieux s'ils sont libres - continuent de fustiger cette organisation qui, je vous le rappelle, doit sa mise en place non pas aux Etats-Unis, mais à l'insistance de la France en particulier. Au contraire, cette puissance, qui nous donnera bien du fil à retordre, aurait souhaité conserver seule cet accord provisoire qu'était le GATT.
J'observe également que l'on ne peut porter notre discussion autour des seuls Etats-Unis, bien au contraire. Cela s'explique par les récents différends que nous avons eus avec eux. Je pense, par exemple, au commerce de la banane.
A ce propos, j'ai toujours été surpris qu'un pays qui ne produit pas de bananes se batte avec autant d'énergie, essentiellement pour les intérêts commerciaux de grands groupes internationaux à dominante américaine. Ce fut le cas du boeuf aux hormones, du boycott de certains produits français, des surtaxes infligées sur certains produits.
Pourtant, on sait que l'Union européenne a remporté plus de « panels » qu'elle n'en a perdus. A cet égard, puisque l'un des nouveaux sujets que l'Union souhaiterait aborder lors du prochain cycle est la concurrence, il me semble souhaitable de porter notre attention sur une éventuelle réforme du système des sanctions.
En effet, lorsqu'un Etat se sent victime de barrières à l'entrée de la part d'un autre Etat, il peut saisir l'organe de règlement des différends, sorte de système juridictionnel de l'OMC qui statue et constate ou non l'existence d'une violation des obligations prévues par les accords de l'OMC. Or, dans le cas où l'Etat mis en cause ne révise pas sa position, l'Etat victime est autorisé à prendre des mesures de rétorsion, d'où la mise en place de barrières à l'entrée légitimes. On assiste donc, comme l'écrivait Mme Frison-Roche dans un quotidien du soir, à un système hybride, entre le pur rapport de forces et un système de droit où la victime ne disposerait pas de la sanction.
Quelles en sont les conséquences ?
Dans l'affaire du maintien de l'interdiction d'importation du boeuf aux hormones produit par les Américains, ce ne sont pas les producteurs qui ont bénéficié de la barrière à l'entrée qui sont pénalisés ; ce sont les producteurs de roquefort, de foie gras...
Je cite Mme Frison-Roche : « ... ainsi, les producteurs de roquefort voient leur possibilité d'exportation obérée pour sanctionner un comportement qui a bénéficié aux producteurs européens de boeuf. Le sens commun mais aussi le coeur des règles qui légitiment une répression ont du mal à l'admettre. Dans le contexte du droit pénal, on pourrait dire que cela n'est pas juste. » Il est donc important que le sujet soit abordé lors du prochain cycle afin de penser à une réforme du système des sanctions.
Pour clore le débat sur le rôle des Etats-Unis - et Dieu sait si c'est une obsession pour chacun, tous courants politiques confondus - on ne peut que s'étonner de leur attitude isolationniste et protectionniste alors que, selon les dernières estimations de l'OCDE, publiées la semaine dernière, la reprise de l'économie mondiale se confirme et devrait se poursuivre, cela grâce à la vigueur inattendue de la croissance américaine associée à une reprise plus forte que prévue au Japon ainsi qu'en Corée et à une légère amélioration des perspectives en Europe. On n'ose pas imaginer quelle aurait été leur attitude dans un contexte économique moins favorable pour eux !
Cependant, il ne faut pas oublier que les Américains raisonnent dans un contexte de future campagne électorale et n'évaluent donc pas de la même façon que nous la part des risques et la part des opportunités dans les sujets que l'Union européenne veut mettre sur la table des négociations. Mais cela ne serait peut-être pas seulement le fait de l'administration américaine, car nous sommes dans un état d'esprit constructif, à la différence du Congrès, qui, lui, serait agressif, qui n'a d'ailleurs pas donné de mandat de négociation globale à l'administration américaine ; cela vous a été rappelé à deux reprises à l'instant, monsieur le secrétaire d'Etat.
Quels sont donc les points de discorde ? Alors que les Etats-Unis veulent négocier secteur par secteur, l'Union européenne et la France, en particulier, sont favorables à un cycle global de négociations, au terme duquel aucun accord sectoriel ne serait possible avant la conclusion d'un accord global. Comme le souligne le Premier ministre, « rien n'est acquis tant que tout n'est pas acquis ». Sur ce point, il n'y a aucune divergence entre le chef de l'Etat et le chef du Gouvernement.
Par ailleurs, les Américains ne veulent s'en tenir qu'au built-in-agenda, c'est-à-dire à l'agenda incorporé de Marrackech, qui ne comprend que les services et l'agriculture. Lors de la dernière conférence ministérielle à Singapour, de nombreux pays ont souhaité l'inscription de nouveaux sujets à l'agenda du prochain cycle et l'Union européenne soutient cette demande. Elle est claire sur ce point et souhaite que les membres de l'OMC parviennent à s'accorder sur un ordre du jour élargi.
Elle juge ainsi indispensable que soient discutés des droits de douane sur les produits industriels, de la protection de la propriété intellectuelle - j'y reviendrai tout à l'heure, car ce sera l'occasion d'insister sur la nécessaire protection des indications géographiques ; mon collègue Jean Huchon ne m'en voudra pas trop si je déborde légèrement sur le volet agricole -...
M. Jean Huchon. Si ! (Sourires.)
M. Michel Souplet. ... des marchés publics, des obstacles techniques aux échanges, ainsi que de « nouveaux sujets » que l'on doit lier au commerce international, tels que les normes fondamentales du travail, l'environnement, la sécurité alimentaire, l'investissement et le droit de la concurrence.
Je ne reprendrai pas tous les thèmes ; je dirai simplement que des droits de douane, s'ils sont l'un des obstacles à de meilleurs échanges commerciaux, ne sont plus ceux qui provoquent les plus grandes distorsions. Ce à quoi l'Union européenne doit s'attaquer, c'est à des mesures moins transparentes auxquelles certains pays ont recours pour maintenir leur marché fermé et protéger leurs entreprises, moins compétitives, de la pression de l'étranger.
Ainsi, ce nouveau cycle doit aboutir à l'élaboration de règles garantissant l'application transparente du droit de la concurrence par tous les pays. En effet, on ne peut plus permettre aux grosses entreprises de s'adonner à des pratiques discriminatoires ; je pense notamment aux ententes à l'importation, pratiques qui restreignent fortement l'accès aux marchés.
Dans les sujets déjà abordés lors du dernier cycle, il y a aussi le droit de la propriété intellectuelle. Le traité de Marrakech comprend un accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, dit ADPIC. Celui-ci concerne tous les produits, qu'ils soient naturels ou manufacturés, agricoles ou industriels, avec une protection renforcée pour les vins et spiritueux.
Cet accord constitue une avancée majeure dans la protection internationale des droits de propriété intellectuelle qu'il s'agisse des droits d'auteur, des marques, des indications géographiques, des dessins et modèles, des brevets, etc.
Un apport de cet accord est de définir à l'échelon international l'indication géographique et de permettre de fédérer 135 pays autour de cette définition. L'indication géographique « sert à identifier un produit comme étant originaire du territoire d'un Etat membre, d'une région ou d'une localité de ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique ».
Le principe majeur de cette protection générale est d'éviter la tromperie ou la confusion que pourrait provoquer chez le consommateur une utilisation incorrecte ou indue d'une indication géographique ou d'une concurrence déloyale.
Pour ce qui concerne particulièrement les vins et spiritueux, et qui touche particulièrement la France, il existe une protection additionnelle dite « objective », c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire de prouver une tromperie au consommateur ou un acte de concurrence déloyale.
Cependant, la protection des indications géographiques connaît des limites du fait de l'existence d'exceptions telles que, notamment, les noms d'appellation considérés comme génériques ou semi-génériques, comme le « chablis californien », ou le « champagne canadien ».
Sous prétexte que les accords ADPIC ne prévoient pas une obligation d'aboutir, certains Etats tardent à négocier. Le rendez-vous de Seattle doit être l'occasion de relancer ce débat. L'Union européenne doit être offensive : une protection internationale plus efficace des indications géographiques renforcera la compétitivité des exportations agro-alimentaires, tout en valorisant une agriculture de haute qualité.
Dans les thèmes souhaités par l'Union européenne figure la prise en compte des craintes éprouvées par nos concitoyens sur les effets de la globalisation, des craintes relatives à l'environnement et à la protection des consommateurs. Pour ce qui concerne la protection des consommateurs, je pense notamment au principe de précaution consacré par la conférence de Rio et relevant de conventions internationales. Or ce principe n'est pas spécifiquement mis en oeuvre par les règles de commerce international et il faut donc d'urgence inciter à une adaptation de l'accord sanitaire et phyto-sanitaire.
L'OMC autorise ses membres à prendre les mesures sanitaires et phyto-sanitaires qu'ils jugent nécessaires pour protéger la santé et le bien-être de leurs concitoyens. Le traité d'Amsterdam a consacré la protection des consommateurs comme l'un des objectifs fondamentaux de l'Union européenne. Celle-ci doit donc tout mettre en oeuvre pour que la discussion internationale établisse des méthodes communes d'évaluation des risques et définisse des règles pour renforcer et appliquer le principe de précaution.
Par ailleurs, le cycle doit être bénéfique à l'environnement.
Un récent rapport de l'OMC, daté du 14 octobre dernier, fait état pour la première fois des conséquences négatives que peut avoir le commerce sur l'environnement. Les généralisations manichéennes sont autant le fait du milieu des affaires que celui des militants écologistes : le commerce est déclaré soit bon, soit mauvais pour l'environnement alors que, dans la réalité, la vérité est à mi-chemin des deux affirmations.
On doit avoir en tête que le commerce, l'environnement et le développement ont des relations triangulaires, les deux premiers éléments s'épaulant mutuellement en faveur du développement durable. Pour ce faire, il sera nécessaire de passer en revue des préoccupations actuelles relevant de domaines aussi divers que le changement climatique, la biodiversité et, ce qui préocuppe particulièrement l'Union européenne, la compatibilité de l'éco-étiquetage avec les règles de l'OMC.
Enfin, et ce n'est pas parce que je l'évoque en dernier que c'est un sujet qui m'importe moins, je souscris à la volonté de l'Union européenne de mieux intégrer les pays en développement. Ceux-ci n'ont pas la capacité compétitive d'accéder au marché mondial et, contrairement aux arguments du groupe de Cairns et des Etats-Unis, la libéralisation des échanges n'est pas favorable aux producteurs et aux économistes de ces pays. Bien que les pays en voie de développement représentent 20 % environ des produits manufacturés dans le monde, la plupart savent depuis longtemps les rôles seconds qu'on leur fait jouer sur la scène économique mondiale.
C'est pourquoi je souscris à la volonté de l'Union européenne de prendre en compte l'ensemble des besoins et des préoccupations spécifiques de ces pays au travers de ce que l'Union européenne appelle « le programme de développement de l'OMC ». Ce programme propose notamment la franchise de droits pour les pays les moins avancés, les PMA, la négociation de droits systématiques plutôt que limités à certains secteurs.
En effet, les négociations doivent porter sur tous les secteurs présentant un intérêt pour les pays en développement et, dans les nouveaux domaines tels que l'investissement et la concurrence, elles doivent également prendre en compte les problèmes liés au développement. En d'autres termes, j'affirme que la question du développement dans la libéralisation du commerce est un des thèmes récurrents des négociations.
Puisque j'évoque une meilleure intégration des pays en développement, parmi les thèmes que l'on doit lier au commerce international, figure également celui des normes fondamentales du travail. C'est un sujet délicat, car on sait bien que les pays en développement pratiquent ce que nous appelons un « dumping social », notamment au travers du travail des enfants. Nos pays industrialisés ne peuvent pas l'accepter pour des raisons simplement morales. Cependant, les pays en développement ne souhaitent pas que la question des normes sociales soit soulevée à Seattle. En effet, ils considèrent que c'est porter atteinte à leur avantage comparatif, et l'on ne sait jamais si ces normes sont évoquées par les pays industrialisés par souci moral ou bien pour justifier des pratiques protectionnistes.
L'Union européenne, quant à elle, souhaite promouvoir les normes fondamentales du travail définies par les conventions de l'organisation internationale du travail, l'OIT sur le travail des enfants, le travail forcé, la liberté d'association, la non-discrimination, normes qui sont la garantie d'une distribution équitable des bénéfices de la croissance et d'une amélioration des conditions sociales. C'est pourquoi elle insiste pour que l'OIT obtienne le statut d'observateur à l'OMC.
« Mondialisation, globalisation... peu importe le nom que l'on invoque et que l'on utilise por effrayer nos concitoyens et diaboliser l'OMC. Il faut dire que le contexte s'y prête, et l'on a observé une forte effervescence sur les affaires agricoles et sanitaires, notamment en France dernièrement.
On en connaît bien l'origine : les affaires de la vache folle, de la dioxine... Certains semblent oublier que nous évoluons dans un monde caractérisé par l'interdépendance économique et qu'il n'est pas de l'intérêt de la France ni de l'Union européenne de pratiquer la « chaise vide » - M. de Villepin l'a souligné précédemment - voire de sembler aveugles à certains moments de notre existence.
Cependant, il ne faut pas non plus avoir l'autre vision manichéenne du libre-échange, souvent considéré comme synonyme de loi de la jungle.
Si l'Union européenne a pris l'initiative de faire campagne pour l'ouverture d'un nouveau cycle de négociations commerciales dès 1997, c'est qu'elle estime que le système d'échanges multilatéral doit être mieux organisé et plus libéralisé pour répondre à la globalisation grandissante de l'activité économique. Je cite, en effet : « Un cycle global, offrant un ensemble équilibré d'avantages pour tous les membres de l'OMC, pourra concilier les demandes antagonistes de croissance économique, d'intégration plus poussée des pays en développement, de protection de l'environnement et de développement social, et renforcera davantage un système d'échanges basé sur des règles. Poursuivre l'un de ces objectifs au détriment des autres conduira inévitablement à une approche déséquilibrée ».
Le commerce stimule la croissance économique, laquelle crée des emplois. Sur les cinq dernières années de l'Uruguay round, la richesse mondiale a augmenté de 3 % par an, en grande partie grâce à une croissance du commerce international. Il ne faut pas oublier qu'en France un emploi sur quatre dépend directement ou indirectement du commerce extérieur.
L'Union européenne doit être ferme dans ses positions. Elle doit se faire des alliés dans toutes les régions du globe. Elle doit être le fer de lance de la mise en place d'un monde nouveau.
Avant de conclure, je voudrais formuler trois remarques complémentaires.
Premièrement, nous sommes des libéraux, mais parfaitement conscients que le « tout-libéralisme », c'est la loi de la jungle ! Nous assistons actuellement à ce phénomène au niveau des monopoles de fait de groupes multinationaux de la distribution.
La loi de la jungle, c'est la mort du plus faible ; c'est une conception de la liberté que nous rejetons.
Deuxièmement, dans le domaine agricole, l'Europe a accepté deux réformes de la PAC qui ont conduit à une meilleure maîtrise du marché, à une plus grande qualité des produits et à une amélioration évidente de l'environnement. Ce furent des contraintes coûteuses pour les agriculteurs de l'Europe. Qu'ont fait les Etats-Unis pour essayer, dans la même période, de se rapprocher de nous ?
Dans les négociations à venir, il conviendra d'intégrer le résultat des deux réformes de la PAC comme un à-valoir important apporté dans la balance.
Enfin, troisièmement, nous venons d'assister à un revirement extraordinaire de la position de la Chine, qui, à terme, rejoindrait l'OMC. Personnellement, si je m'en réjouis, je n'exclus pas l'émergence de difficultés nouvelles et importantes inhérentes au poids d'un pays détenant à lui seul le cinquième de la population et un potentiel de production considérable.
En conclusion, je dirai qu'il est du devoir de l'Organisation mondiale du commerce de redorer son blason et de restaurer sa légitimité. A travers le monde, le libre-échange est contesté et l'Organisation rendue responsable des maux de la mondialisation. Elle doit reconnaître la nécessité d'introduire des changements, elle doit s'ouvrir davantage et, au passage, devenir plus transparente.
Le Parlement, c'est la voix du peuple et le Gouvernement ne doit pas l'ignorer.
Que serait la France, aujourd'hui, s'il n'y avait pas eu l'Europe ? Que serait-elle, demain, s'il n'y avait pas une ouverture plus grande sur le monde ?
Je défends cependant la légitimité de l'OMC et, comme son nouveau directeur général, Mike Moore, je pose la question : comment l'absence de règles pourrait-elle rendre la mondialisation plus acceptable et à qui pourraient s'adresser les petits et les faibles avec l'espoir d'être entendus ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les propos que je m'apprête à tenir, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, s'inscrivent tout à fait dans la ligne tracée, à la fois par le président Jean François-Poncet et par le président Xavier de Villepin.
Les enjeux de la conférence de Seattle nous concernent en effet directement. De toute évidence, il ne s'agit pas de renoncer aux bienfaits du commerce international comme le disait M. François-Poncet, soyons positifs sans être naïfs. N'oublions pas que, derrière le « tout commerce » de Montesquieu, il y a aussi un violent rapport de force ; soyons-y attentifs.
Monsieur le secrétaire d'Etat, trois enjeux principaux me semblent présider à cette discussion : élargir la négociation ; résister à l'offensive américaine ; enfin, définir la vision française de la mondialisation.
Elargir la négociation : sur ce sujet bien des choses ont déjà été dites. Certes, ne limitons pas à l'agriculture et aux services les sujets inscrits aux débats de Seattle. De toute évidence, doivent figurer également les normes sociales et environnementales. C'est une question majeure pour les relations économiques internes à l'Europe. Il est clair que les limites à la course effrénée à la compétitivité et à la productivité sont, d'une part, les normes sociales, d'autre part les normes environnementales. Dans nos économies, on ne peut parler de compétitivité sans intégrer les charges liées à celle-ci.
Si les choses sont évidentes pour l'espace européen, pour les pays en voie de développement, on ne peut se satisfaire de la vision d'un développement d'où seraient absents le droit à des statut sociaux respectables ou le droit à la sécurité alimentaire.
Quelle est cette vision stratégique des Etats-Unis qui consisterait, d'une part, à diminuer les aides au développement et, d'autre part, à vouloir sous-estimer les aspects social et environnemental dans le monde en développement ? La conquête de liberté de ces pays ne passe-t-elle pas aussi par des statuts sociaux et par des normes environnementales ? Cette notion américaine de la qualité sélective est choquante. Elargissons donc la négociation !
En deuxième lieu, résistons à l'offensive américaine contre la PAC.
Il est évident que les accords négociés à Berlin, sous l'autorité du Président de la République, sont pour nous importants puisqu'ils posent des grands principes auxquels nous sommes attachés.
Les Etats-Unis, eux, ont toujours la même obsession : ils distribuent 8 milliards de dollars à leurs fermiers et, parallèlement, demandent à l'Europe de baisser ses subventions à l'agriculture ! Derrière cette stratégie de l'alignement systématique, on voit bien leur volonté de faire baisser les cours mondiaux.
Si l'on considère qu'il faut faire pression sur le commerce des matières premières pour faire baisser les prix, que devient notre élevage, que devient notre production de fromages si riche en diversité ?
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Il est clair que la ressource tirée de l'agriculture ne peut être fondée sur cette seule loi du prix mondial le plus bas. Pensons au rôle structurant de notre territoire que joue l'agriculture et aux activités économiques qu'elle génère !
Je n'ajouterai pas d'autres considérations sur ce sujet, M. François-Poncet, président de la commission des affaires économiques, ayant tout dit en indiquant qu'il s'agissait d'un modèle de civilisation.
N'oublions pas non plus notre combat pour la qualité. Il va de soi que la reconnaissance, notamment des signes de qualité, c'est la reconnaissance des forces de l'agriculture française.
Il importe donc d'élargir les négociations, de résister à l'offensive américaine contre la PAC, mais aussi - et ce sera le troisième point de mon intervention - de définir la vision française de la mondialisation. Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne vois pas, aujourd'hui, dans les réflexions gouvernementales, quelle est la vision de la France sur la mondialisation. Or, sans vision, on ne peut maîtriser la situation !
Pour beaucoup de Français, cette mondialisation est à la fois un espoir et un choc. Le visiteur qui se promène dans les rues de Pékin et qui découvre que l'on peut y installer, en quelques mois, cinquante McDonald's, s'interroge : comment est-il possible que cette société multiséculaire, avec sa langue hermétique, se laisse ainsi pénétrer ? Ce n'est pas le Poitou qui pourra résister si Pékin s'agenouille ! (Sourires.)
Au fond, cette mondialisation nous préoccupe beaucoup. Mais quelles sont nos ripostes ? Quel est le message de la France face à cette mondialisation ? Ce message, nous le trouverons dans notre histoire et aussi chez nos penseurs. Jean Baudrillard disait : Le mondial et l'universel ne vont pas de pair, ils seraient plutôt exclusifs l'un de l'autre. C'est ce message de l'universel qui est la vraie réponse à la mondialisation, parce la conquête de l'universel se réalise non pas par l'uniformisation, mais par la singularité. Telle doit être la réponse française !
Que signifie, concrètement, la recherche d'un message français qui soit un message d'identité et d'ouverture ? Cela veut dire qu'il nous faut effectuer trois choix.
Tout d'abord, nous devons choisir la diversité culturelle contre l'uniformisation. Il est évident que la banalisation aboutit à la stérilité de la France ; je ne développerai pas ce sujet, mon collègue Ladislas Poniatowski y fera allusion tout à l'heure, au nom de notre groupe. Défendons cette diversité culturelle !
Défendons, ensuite, une éthique des nouvelles technologies ! Leur formidable développement représente, certes, des avantages, mais aussi des risques.
On voit bien cette logique qui s'installe et que je pourrais qualifier, schématiquement, de logique du « con-con » : du concept au consommateur, directement, en supprimant toutes les médiations, tous les intermédiaires. S'agissant de la production, instituons les magasins d'usine ! Pour l'enseignement à distance, dispensons-le sans professeurs ! Plus l'intervention humaine disparaîtrait et plus on serait moderne. Sont-ce là les schémas de l'avenir qui nous sont proposés ?
Pour lutter contre cette fracture technologique qui nous menace, il faut injecter en permanence de l'éthique humaine dans ces dispositifs.
M. François Trucy. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Tel est l'un des messages français ! Nous qui avons le sens du droit et la modernité, faisons en sorte qu'une éthique des nouvelles technologies permette d'anticiper cette nouvelle fracture technologique, fracture non seulement sociale, mais également internationale.
Enfin, outre la diversité culturelle et l'éthique des nouvelles technologies, il nous faudra effectuer un troisième choix : la valorisation des structures à taille humaine.
Aujourd'hui, partout dans le monde s'affirme le fait PME : il n'est pas un seul gouvernement qui ne pense pas que l'avenir de l'emploi dans son pays repose sur le développement des PME. Pourtant, si, à l'heure actuelle, le fait PME est reconnu mondialement, il est terriblement menacé par le gigantisme et les concentrations. Il convient donc d'assurer une protection mondiale du fait PME, qui est lui-même un fait mondial.
Faisons en sorte que les logiques de la concentration trouvent des limites par des dispositifs antitrusts. Tant qu'à prendre modèle sur les Etats-Unis, appliquons une disposition qui introduise des limites au gigantisme et à la concentration, afin de valoriser les structures à taille humaine.
Si les structures à taille humaine, si les organisations économiques et sociales à taille humaine sont partout remises en cause, il est évident que tout ce qui fait la France sera remis en cause, parce que, par définition, la France est porteuse de structures à taille humaine. Veillons à ce que le gigantisme ne nous affaiblisse pas et que l'on trouve cette approche humaine dont parlait tout à l'heure M. de Villepin.
C'est sans doute au travers de cet humanisme libéral que la France doit reconquérir ce message de l'universel, qui aura une dimension internationale et qui sera différent du message de la mondialisation.
Pour la France, il ne peut être question d'avoir une autre vision que celle qui passe par l'acceptation de l'autre, mais qui, en aucune façon, n'oblige au renoncement de soi-même. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à quelques jours de la conférence de Seattle, les orientations qui ont été prises ces dernières semaines par le Gouvernement ne sont rien d'autre qu'un catalogue de bonnes intentions destiné à rassurer ceux qui s'inquiètent, à juste titre, en France, en Europe et chez nombre de nos partenaires francophones, de la dérive mondialiste.
Evidemment, ces négociations auraient pu se dérouler, comme les précédentes, dans l'indifférence générale, si des crises financières répétées - comme celles d'Asie du Sud-Est ou de Russie - si le déferlement de l'américanisation, si la dépossession rampante des souverainetés nationales et si le mépris de la santé de l'humanité, pour le seul profit de quelques multinationales, n'avaient accéléré la prise de conscience des peuples qui souffrent de ces maux.
En conséquence, mes propos s'orienteront autour de plusieurs constats pour déboucher sur un appel au sursaut national par une politique française clairement affichée de la « chaise vide » à Seattle.
Sur la forme, mon premier constat est, avant tout, celui de l'incompréhension et de la consternation.
En effet, la réunion de cette conférence internationale n'est rien d'autre qu'une convocation, qu'un « diktat » des Etats-Unis sur leur territoire, dans la ville de Boeing et de Microsoft, avec comme objectif unique d'asseoir toujours davantage leur suprématie, sous couvert d'une mondialisation synonyme de colonisation et de vassalisation. En réalité, mes chers collègues, quelle est donc l'urgence de s'y précipiter, alors que chacun sait que les accords de Marrakech sont loin d'être tous entrés en vigueur et que ceux qui le sont n'ont fait l'objet d'aucune évaluation, en particulier auprès des pays de l'Est ?
Il est temps d'affirmer clairement la nécessité de dénoncer les ravages de la mondialisation et de défendre nos intérêts nationaux contre l'agressivité avec laquelle les autorités américaines entendent gouverner le monde.
Chacun sait bien, en effet, que la négociation se terminera, comme par le passé, à leur profit. Mieux vaudrait freiner le mouvement que l'accélérer ! L'Union européenne accepte de répondre à cette convocation, parce que cet engagement figure dans les accords de Marrakech. Mais y figuraient également le boeuf aux hormones et la banane jamaïcaine, que, sous la pression de l'opinion publique, l'Union européenne a rejetés !
L'urgence est non pas de faire céder les derniers garde-fous, mais, bien au contraire, de préserver toutes les civilisations du globe et de combattre les iniquités économiques et sociales qu'engendrent de tels accords.
Enfin, c'est non pas la France, quatrième puissance commerciale mondiale et troisième exportateur de services, qui participera à ces discussions, mais l'Union européenne, par la voix - comble de l'ironie ! - d'un de nos compatriotes. Ainsi, la nation qui représente plus de quarante-cinq Etats francophones s'en remet totalement à lui, qui n'aura de comptes à rendre ni au Parlement français ni aux citoyens français, mais seulement à la Commission.
Les Américains doivent admettre qu'outre l'agriculture et les services d'autre sujets doivent être inclus dans les négociations pour que l'OMC joue un rôle dans la résolution des problèmes surgissant dans une économie mondialisée.
Que devons-nous attendre du représentant américain aux négociations, Charlene Barshefsky, qui a averti que l'Europe, déjà premier importateur mondial, serait sous forte pression américaine et asiatique à Seattle pour abandonner ses subventions agricoles et ses aides à l'exportation ? Sachant qu'un agriculteur américain touche, en moyenne, deux fois plus d'aides et de crédits à l'exportation qu'un agriculteur européen, les agriculteurs français s'opposent catégoriquement à toute renonciation en ce sens.
Les sacrifices qui leur ont été imposés par l'Agenda 2000 et la réforme de la PAC de 1992 doivent donc impérativement constituer une limite à ne pas dépasser et non pas être le point de départ de négociations en matière de prix et de maîtrise des productions agricoles.
Pour faire entendre notre voix - ce qui ne sera pas le cas - nous aurions dû combattre ceux qui s'opposent à notre démarche, trouver des alliés et tisser des partenariats solides et durables pour faire front à l'OMC sur des dossiers et dans des secteurs où les Etats-Unis, puis la Chine, joueront simultanément le rôle de meneurs et d'arbitres.
Un seul exemple suffit : au nom de quel principe de « libre-échange » les entreprises textiles et de maroquinerie - je connais le cas dans mon département - qui n'ont rien à y voir, devraient-elles être sanctionnées et pénalisées par une « liste noire » de représailles commerciales américaines dans un conflit qui leur est étranger et qui oppose, depuis des années, l'Union européenne aux Etats-Unis dans la « guerre de la banane » ?
Il ne suffit pas, mes chers collègues, à l'épreuve de l'histoire, de se souvenir de celui qui a dit « non ». Il importe d'agir par des actes symboliques et efficaces pour éviter de passer le reste de son temps à dire « amen » à tout.
Je persiste à penser qu'il est toujours possible, pour un pays comme le nôtre, de s'affirmer en toute souveraineté, de bâtir des partenariats solides par un « espace économique francophone » fort, avec les pays d'Europe centrale et orientale, les pays en voie de développement désabusés par la pente néfaste de l'ultralibéralisme destructeur pour leur économie et leur société, de même qu'il est possible à nos concitoyens de s'opposer à une mondialisation incontrôlée, intolérable et inacceptable qui condamne les modèles régionaux et les identités nationales.
Je m'oppose ici à ceux qui pensent haut et clair, à Matignon, à Bruxelles, à Washington, et demain à Seattle, qu'une libéralisation plus poussée et le développement des échanges dans le cadre de l'OMC pourraient stimuler la croissance. Ce qui est bon pour les Américains ne l'est pas obligatoirement pour les Européens et les Français.
Pour conclure, mes chers collègues, je poserai une seule question aux membres du Gouvernement et de notre assemblée : Pourquoi faut-il participer à un sommet et faire le voyage de Seattle où l'ordre du jour est imposé par les Etats-Unis qui privilégient leurs propres dossiers ?
M. Jacques Bellanger. C'est faux !
M. Philippe Darniche. Par conséquent, je demande solennellement ici, d'abord, l'établissement d'un bilan détaillé des cinq années d'application des accords de Marrakech, afin de tirer les leçons de la superpuissance américaine en matière de libéralisation agricole, ensuite, l'affirmation du refus de tout mandat global sur la libéralisation indifférenciée des services, enfin, et surtout, le report de la négociation.
En effet, ce sommet de Seattle, qui succède au cycle de l'Uruguay et marque le lancement d'un cycle nouveau, celui du « Millénaire », doit devenir non pas celui de l'endormissement, mais bien celui du réveil des nations européennes et des souverainetés face à la domination américaine. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel. Et bruxelloise !
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, aucune négociation commerciale multilatérale n'a soulevé, jusque dans l'opinion publique, autant de questions, de polémiques, d'inquiétudes et d'espoirs que le cycle de discussions au sein de l'OMC qui s'ouvrira dans quelques jours à Seattle.
C'est donc avec une attention extrême que nous prenons part à cet ultime débat, qui achève, pour nous, un travail préparatoire déjà entamé au sein de la délégation pour l'Union européenne, que j'ai l'honneur de présider.
Face à l'ampleur des sujets abordés et à la mesure des enjeux, nous ne pouvions envisager que le Sénat demeure à l'écart de la préparation de ce grand rendez-vous. Toutefois, en accord avec la commission des affaires économiques, nous avons choisi de concentrer notre réflexion sur les « nouveaux sujets » qui figureront peut-être, avec l'accord de nos partenaires, à l'ordre du jour de la conférence.
Il ne faut pas y voir pour autant un quelconque désintérêt de notre part pour les questions agricoles, qui seront, quoi qu'il arrive, au coeur des futures discussions ; cela répond à un simple souci d'efficacité et de bonne répartition des rôles.
Tout d'abord, il me paraît important de souligner combien la création de l'OMC a constitué un progrès réel dans l'organisation et la régulation du commerce international ; MM. de Villepin et François-Poncet l'ont fort bien indiqué.
En effet, quel projet pouvait être plus ambitieux que celui qui consiste à réunir autour d'une même table la quasi-totalité des pays de la planète pour élaborer ensemble, par consensus, les règles régissant les échanges mondiaux afin de promouvoir le développement économique et la prospérité de tous les partenaires ?
Dans un monde de plus en plus gouverné par les flux financiers et commerciaux, qui peut refuser l'idée selon laquelle il faut fixer en commun des règles transparentes et fiables ? Comment ne pas se réjouir que l'on permette aux entreprises et aux acteurs économiques d'opérer dans un cadre défini, sans crainte d'un revirement brutal de la politique commerciale de tel ou tel Etat ?
Bien sûr, je n'aurai pas la naïveté de croire que le tableau est aussi idéal. Nous savons bien que l'égalité théorique des partenaires ne résiste pas à la réalité des rapports de forces.
C'est pourquoi notre délégation s'est déclarée avec force en faveur de l'orientation retenue par l'Union européenne pour faire de l'intégration des pays en développement dans le commerce international le point central et prioritaire de cette négociation.
Il est incontestable que l'écart s'est encore creusé entre pays riches et pays pauvres depuis la création de l'OMC. On peut comprendre que les économies en devenir se soient estimées lésées par une institution qui leur semble faite pour les pays industrialisés.
Or, détenant la majorité au sein de l'OMC, les pays en développement constituent, cette fois, une force nouvelle, avec laquelle il faudra compter, dans la négociation qui va s'ouvrir.
En disposant d'une tribune, ils éviteront que ce nouveau cycle ne soit une réédition du dialogue réducteur Europe-Etats-Unis, que l'on a tant critiqué durant le cycle d'Uruguay.
Pour autant, il est essentiel que l'Union européenne parle d'une seule voix à Seattle, et c'est avec satisfaction et soulagement que nous avons accueilli l'annonce de la définition d'une position commune aux Quinze. L'ambition affichée par les Etats membres pour cette grande échéance aurait en effet été gravement atteinte si les dernières divergences n'avaient pu être surmontées. Comment en effet espérer convaincre nos partenaires du bien-fondé d'un ordre du jour élargi si nous avions nous-mêmes été dans l'incapacité de nous entendre ?
Toutefois, et c'est souvent le cas lorsqu'on élabore un compromis, la rédaction finale n'a pas toujours la précision et l'exigence souhaitées par ses initiateurs. En l'occurrence, la France - mais pas la France seule - s'est trouvée à la pointe sur deux dossiers difficiles sur lesquels j'aimerais m'arrêter un instant.
Le premier d'entre eux - et ce sujet est définitivement devenu le cheval de bataille français - c'est l'exception culturelle, la diversité culturelle devrais-je peut-être dire aujourd'hui puisque c'est la terminologie qui figure désormais dans la déclaration européenne. Lors de sa récente audition devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne, M. Moscovici nous a assuré que cette nouvelle formulation n'était que l'expression plus consensuelle d'une même réalité.
Nous n'avons pas été entièrement convaincus par cet argument. Le sentiment unanime a été de considérer que la « promotion de la diversité culturelle » constitue un net recul par rapport à ce que la France avait obtenu à l'issue des accords de Marrakech en voyant consacrée l'exception culturelle.
Notre souhait est qu'il soit clairement affirmé que les oeuvres de l'esprit ne peuvent être assimilées aux marchandises et qu'elles doivent être, de ce fait même, exclues des négociations, et ce dans tous les volets de celles-ci, en particulier si devait être engagée l'élaboration d'un accord multilatéral relatif aux investissements.
Nous n'avons pas oublié les avatars de l'accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI, qui, avant d'être ajourné dans l'attente de la future négociation de Seattle, avait provoqué de grandes inquiétudes, notamment auprès des professionnels du monde de l'audiovisuel en raison des risques qu'il pouvait présenter pour le financement d'oeuvres culturelles. Nous attendons donc la même vigilance de l'Union européenne lorsque ce sujet sera abordé.
Ce faisant, il n'est pas question, pour nous, d'émettre des réserves sur le bien-fondé de l'établissement d'un cadre multilatéral relatif aux investissements.
Bien au contraire, j'y vois l'intérêt de fixer les règles permettant d'assurer à l'apporteur de capitaux un climat stable et prévisible, sécurisant l'investissement direct à l'étranger, notamment dans les pays en développement qui en sont trop rarement les destinataires.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Hubert Haenel. Le second point dur de la négociation à Quinze a été l'opportunité de définir des normes sociales minimales que s'engageraient à respecter les différents partenaires à l'OMC. Je rappelle que cet « élément social » avait déjà été abordé lors d'une précédente conférence de l'OMC, à Singapour. Il s'était alors heurté à la résistance des pays en voie de développement face à ce qu'ils considéraient - faut-il dire totalement à tort ? - comme une menace protectionniste des pays industrialisés.
Cette question, d'une grande complexité, soulève de très nombreuses interrogations.
Les solutions de compromis trouvées à Quinze consistent à proposer à nos partenaires l'instauration d'un forum permanent entre l'Organisation mondiale du commerce et l'Organisation internationale du travail, l'OIT, chargé « de promouvoir une meilleure compréhension » de ces questions et de conduire « un dialogue de substance » entre toutes les parties intéressées. On notera au passage le flou de cette déclaration.
Pensez-vous vraiment, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette nouvelle manière de dire les choses ait quelque chance de faire progresser la situation dans le monde du travail ? Il avait déjà été décidé, à Singapour, une coopération entre l'OMC et l'OIT sur ce thème, sans qu'il en résulte de réalisation concrète. Je n'ai pas le sentiment d'une réelle différence entre ces deux approches. Mais peut-être pourrez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous apporter les apaisements nécessaires.
Je n'ai pas l'intention d'évoquer devant vous l'ensemble du champ possible de la future négociation, même si de nombreux aspects ont retenu notre attention, par exemple la confirmation du principe de précaution ou les engagements de respect de l'environnement dans la perspective d'oeuvrer pour la promotion d'un développement durable.
Je souhaiterais toutefois insister sur un point auquel nous avons été très sensibles lors de nos travaux au sein de la délégation du Sénat pour l'Union européenne : la propriété intellectuelle.
En dépit des progrès acquis à Marrakech, de nombreux domaines restent encore insuffisamment protégés. Je pense, ici, à la reconnaissance des appellations d'origine.
Notre délégation a été unanime pour souhaiter que l'Europe obtienne, durant les négociations, la reconnaissance de ses produits, qui sont fréquemment copiés ou dont les noms sont usurpés par les producteurs d'autres pays partenaires.
C'est la même préoccupation que nous avons exprimée à l'unanimité voilà quelques semaines, lors de l'examen des conditions d'entrée en vigueur de l'accord commercial conclu avec l'Afrique du Sud, par lequel l'Union européenne risque d'accorder à cet Etat des conditions d'échange très favorables, y compris dans le secteur du vin, sans avoir obtenu en contrepartie d'engagements fermes sur le respect des appellations d'origine de certains alcools spécifiquement produits sur son territoire : porto, sherry, ouzo, grappa...
Avant de conclure, j'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, vous poser une question et vous présenter une requête, qui va tout à fait dans le sens des propos déjà tenus par M. de Villepin.
La question est d'actualité : nous avons appris récemment la signature d'un accord entre la Chine et les Etats-Unis qui préfigurerait, a-t-on dit, l'entrée imminente de ce nouveau partenaire au sein de l'OMC. Qu'en est-il exactement ? Je sais que vous avez déjà abordé ce sujet dans votre discours liminaire, monsieur le secrétaire d'Etat, mais il serait intéressant pour le Sénat que vous le développiez davantage.
Ma requête est la suivante : j'ai parlé tout à l'heure de cet échange à trois partenaires - Europe, Etats-Unis et pays en développement - qui constitue probablement la caractéristique première de ce « cycle du Millénaire ».
Cependant cette observation n'est peut-être pas tout à fait exacte. Un quatrième interlocuteur est aujourd'hui présent. Il s'agit des opinions publiques qui se sentent directement concernées par les conséquences qu'auront les négociations dans leur vie quotidienne : sur la qualité de l'environnement, sur la sécurité de l'alimentation, sur le respect de l'identité culturelle...
Nos concitoyens - comme les nationaux de nos Etats partenaires - veulent être tenus informés de l'évolution de ces négociations, et c'est bien légitime.
C'est pourquoi je souhaite que le Gouvernement puisse nous rendre compte avec régularité des développements de ces discussions durant les trois années - et peut-être davantage encore si, comme je l'espère, l'OMC fait preuve d'ambition dans la fixation de ses objectifs - que durera le cycle du Millénaire. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans une semaine, les représentants des 135 pays membres de l'Organisation mondiale du commerce se réuniront à Seattle pour lancer un nouveau cycle de négociations multilatérales.
L'accord de Marrakech, signé le 15 avril 1994, prévoyait, en effet, avant janvier 2000, une reprise des négociations sur les questions relevant notamment de l'agriculture et des services.
A l'inverse des Etats-Unis qui souhaitent limiter l'ordre du jour de l'OMC à ce programme dit incorporé, l'Union européenne propose de le compléter par de nouveaux sujets tels que l'investissement, l'industrie, les marchés publics, le droit de la concurrence, l'environnement et les normes sociales.
Autant dire que le calendrier et le contenu de la conférence ministérielle, présidée, je le rappelle, par les Etats-Unis, sous le haut patronage de Boeing et Microsoft, seront en grande partie déterminés par les deux premières puissances commerciales : les Etats-Unis et l'Europe. Les pays en voie de développement, auxquels on prétend vouloir accorder une place plus importante, risquent, en réalité, d'être ramenés à un rôle d'alibi ou de faire-valoir, au profit de tels ou tels intérêts, dans la perspective d'une confrontation entre pays riches dont ils n'ont à attendre aucun avantage.
Malgré les dissensions qui apparaissent d'ores et déjà entre les Etats-Unis et l'Union européenne, il existe un consensus général sur le principe d'une libéralisation accrue des échanges commerciaux, censée favoriser le développement et la croissance économique.
Si telle est la réalité, pourquoi, de part et d'autre de l'Atlantique, refuse-t-on de procéder, comme nous ne cessons de le demander, à un audit global sur les accords de Marrakech et les conséquences de la mondialisation libérale ?
Si, effectivement, la libre concurrence était la seule source de richesse et de bien-être, au profit de l'humanité, comment expliquer la montée de ce puissant mouvement populaire de résistance à la mondialisation capitaliste ?
Quelques chiffres valent mieux que de longs discours. Ainsi, en quarante ans, alors que le commerce mondial n'a cessé de s'accélérer, l'écart de revenu entre les 5 % des personnes les plus riches de la planète et les 5 % les plus pauvres a plus que doublé. Les trois personnes les plus riches du monde ont accumulé une fortune supérieure au PIB total des quarante-huit pays les plus pauvres. De 750 millions à 900 millions de personnes sont sous-employées et plus d'un habitant sur six ne mange pas à sa faim. Dans le même temps, les places boursières explosent et - on le constate chaque jour - réalisent des records en matière de transactions.
Dès lors, une question simple se pose : pourquoi le développement des échanges au lieu de profiter au progrès humain engendre-t-il, au contraire, un accroissement des inégalités entre pays riches et pays pauvres ?
Pis, les zones de misère s'élargissent au Sud, alors que des pans entiers de nos économies du Nord disparaissent, laissant place à un tissu social et territorial déstructuré, à un chômage de masse qui touche toutes les couches de la société et à un environnement profondément dégradé.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont récemment déposé sur le bureau du Sénat une proposition de résolution sur l'OMC, dans laquelle ils demandent à la Commission européenne de réaliser un tel bilan et de ne prendre aucun engagement tant que celui-ci ne sera pas achevé. Cette idée - je m'en félicite - a été réintroduite, bien que de façon atténuée, dans la résolution qui a été adoptée par la commission des affaires économiques le 10 novembre dernier.
De même, nous pensons qu'une profonde transformation et une démocratisation de l'OMC sont indispensables. D'abord, dans ses objectifs : les principes de coopération, de solidarité et de partage juste et équilibré des richesses doivent prévaloir sur la logique de mise en concurrence des économies nationales. Ensuite, dans son mode de fonctionnement : les pays du Sud doivent être en mesure de faire valoir leurs exigences, de même que l'OMC doit s'ouvrir aux syndicats, aux organisations non gouvernementales, au monde associatif, à ce que l'on appelle plus largement la société civile. Enfin, dans sa procédure juridique : l'organe de règlement des différends devrait reposer sur des critères de transparence, de justice, d'égalité de traitement et prendre en compte les aspects sociaux, environnementaux et sanitaires des sujets qu'il traite. Nous proposons que l'ORD devienne un organisme paritaire composé des responsables nationaux, des représentants des salariés, des agriculteurs, des associations de défense des consommateurs et de protection de l'environnement.
Notre groupe défend depuis plusieurs années une autre proposition : la taxation des mouvements de capitaux spéculatifs à l'échelon mondial - la taxe Tobin - dont le produit serait réaffecté à l'aide au développement des pays les plus pauvres. La France s'honorerait, je le pense, en défendant cette noble cause, dans le cadre d'une instance internationale dont la vocation est, dit-on, de réguler l'économie mondiale.
Force est de constater que le mandat confié au commissaire européen, M. Pascal Lamy, est loin de répondre à nos attentes. Il est en effet traversé d'une contradiction fondamentale entre, d'une part, la volonté de relayer les aspirations des populations sur la qualité de l'environnement, la sécurité sanitaire et alimentaire, la sécurité d'emploi et de formation et, d'autre part, la recherche frénétique de nouveaux marchés pour satisfaire les multinationales implantées en Europe.
Si elle présente l'avantage d'un certain consensus apparent entre les Quinze, cette orientation contradictoire contribue, selon nous, à rendre peu lisible et finalement peu crédible le message de l'Europe qui pousse au libéralisme et à l'accélération de l'ouverture des marchés, mais pose des questions légitimes sans formuler des propositions précises, résolument offensives.
Ce double visage de l'Europe montre que la mobilisation des citoyens européens - salariés du public et du privé, chômeurs, artistes, agriculteurs et consommateurs - contre la « marchandisation du monde » a ouvert une brèche dans la toute-puissance du capital.
La victoire sur l'AMI, l'Accord multilatéral sur l'investissement, dont la signature aurait signifié la soumission définitive des politiques nationales aux marchés financiers, constitue un point d'appui pour renforcer et poursuivre le combat contre le libéralisme.
Quant au volet agricole du mandat européen, loin de nous rassurer, il nous préoccupe, tant il semble prêter le flanc aux velléités des Etats-Unis.
Les accords de Berlin de mars 1999 sur la politique agricole commune, la PAC, anticipent sur les négociations de l'OMC et, d'une certaine manière, font le jeu des Américains.
Que sont ces accords, sinon l'acceptation d'un alignement progressif des prix garantis communautaires sur les cours mondiaux, la diminution des aides publiques à l'agriculture et la mise en cause de la préférence communautaire ? Ce sont là autant de concessions faites aux Américains, avant même le début de toute négociation !
Si l'enjeu est de sauvegarder la PAC, il s'agit cependant d'une PAC diminuée, affaiblie, privilégiant la conquête des marchés extérieurs au détriment de l'emploi agricole, de l'aménagement du territoire, de la préservation des ressources naturelles et de la qualité des produits.
L'Europe sort également affaiblie par deux décisions récentes de l'OMC consécutives aux conflits de la banane et du boeuf aux hormones.
Les nouvelles propositions de la Commission européenne pour réformer le marché de la banane et les accords préférentiels avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique constituent un triste aveu d'impuissance face à l'hégémonisme américain.
Enfin, s'agissant du conflit qui oppose les Etats-Unis et l'Europe sur le boeuf hormoné, comment l'Union européenne peut-elle, de façon crédible, invoquer le principe de précaution, lorsqu'on constate qu'au sein même de l'Europe ce principe est sacrifié puisqu'il sera désormais autorisé de mettre en vente la viande bovine britannique dont personne, à ce jour, ne peut affirmer qu'elle ne comporte aucun risque pour la santé des consommateurs ?
Tout au contraire, il est nécessaire de rester ferme sur les questions touchant à la sécurité sanitaire et alimentaire à l'heure où l'émergence des biotechnologies, notamment les OGM, organismes génétiquement modifiés, recèle des enjeux futurs lourds de danger pour l'humanité si les finalités ne sont pas inversées.
C'est pourquoi il nous semble essentiel d'assortir le principe de précaution du principe de l'inversion de la charge de la preuve par lequel c'est au producteur, et non plus au consommateur, de justifier que son produit est sain et de qualité. Sans cela, le principe de précaution, mes chers collègues, sera vide de sens et demeurera illusoire.
On le voit, l'Europe peut s'appuyer sur les aspirations convergentes des consommateurs, du monde paysan, des pays à forte tradition rurale pour contrarier les desseins des firmes américaines qui entendent définir le mode de vie de chaque citoyen du monde en ayant la maîtrise totale de l'arme alimentaire, de l'élaboration biologique des cultures jusqu'au contrôle des industries agroalimentaires.
En conclusion, je dirai, à l'adresse du gouvernement français, qu'il ne peut suffire d'accompagner ou de réguler au mieux la libéralisation, qui porte en elle-même la négation des valeurs sociales, environnementales que nous prétendons défendre. De même, je pense qu'aujourd'hui il ne peut suffire, pour contenir le flux du libéralisme, d'échafauder des digues qui seraient autant de lignes Maginot.
Les parlementaires communistes ont le sentiment, tout au contraire, que plus que jamais la voie est ouverte pour inverser la marche du monde, rythmée par les firmes multinationales et par les marchés financiers, et pour promouvoir un modèle de développement tout à la fois durable, juste, partagé et respectueux des droits de tous les citoyens.
Pour cela, face à la mondialisation du capital, il est indispensable qu'une « internationale des citoyens » voie le jour à l'aube du prochain millénaire. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen y prendront toute leur part. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à la veille des négociations commerciales multilatérales dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, les Européens se présentent unis à Seattle. Nous ne pouvons que nous en réjouir, au vu des nombreux enjeux commerciaux et sociétaux qui y seront traités.
Les sujets de division entre les 134 membres de l'OMC sont pourtant nombreux : polémiques sur les OGM, remise en cause des subventions agricoles, contentieux sur la banane, exception culturelle... autant de sujets qui ont été abordés par mes prédécesseurs à cette tribune.
L'enjeu tient surtout à l'importance vitale que représentent la sécurité, la précaution alimentaire et les normes sociales et environnementales. Ce rendez-vous donnera ainsi une chance unique aux Quinze d'exposer un consensus politique fort, face à la crainte d'une mondialisation incontrôlée que nous partageons tous ici et ailleurs.
Le postulat selon lequel « plus il y aura de commerce, et plus il y aura de croissance et de richesse pour tous » apparaît en effet quelque peu dépassé, bien que défendu en d'autres temps par certains. Aujourd'hui, au contraire, le libre-échange profite essentiellement aux plus forts et affaiblit les plus démunis. La spirale du surendettement en Afrique, les ravages de la crise financière en Asie, les fermetures d'usines et les délocalisations nous le prouvent au quotidien.
Ainsi, l'intégration des pays les plus pauvres dans le concert économique mondial s'exprime par une volonté très forte d'assainissement des règles du jeu commercial planétaire.
Si nous voulons que la mondialisation profite à tous, elle doit bien sûr se concevoir à travers la régulation des échanges. Or, en l'état actuel des choses, l'OMC est bien le seul lieu de concertation et de proposition, si imparfait soit-il. Même si certains peuvent le regretter, ce fait est indéniable.
L'OMC, qui tient sa légitimité de son universalisme, se doit donc d'être le lieu d'un nouveau « contrat social » international qu'il nous reste à définir entre partenaires libres et égaux.
C'est en cela que les négociations du cycle du Millénaire doivent contribuer à l'instauration de règles communes équitables, visant à empêcher les entreprises transnationales d'édicter en toute impunité les règles internationales des transactions commerciales.
Ainsi, au moment où la globalisation de l'économie semblait inéluctablement s'imposer à tous, des divergences d'intérêts grandissantes s'expriment au grand jour. Si l'on peut regretter la forme parfois violente que prend le mécontentement des uns ou des autres, il est indéniable qu'il en résulte une lassitude de plus en plus grande face aux excès d'un ultra-libéralisme débridé.
De là est née l'idée d'un contrôle démocratique des marchés financiers à travers la promotion de la « taxe Tobin ».
De ce fait, le front anti-OMC grandit et se prépare à une mobilisation, me semble-t-il sans précédent, visant à obtenir un moratoire sur le round de négociation commerciale.
Cette mobilisation des ONG anti-OMC pèsera lourd dans les débats, j'en suis certain, monsieur le secrétaire d'Etat. Dès lors, il convient d'associer davantage le monde associatif à ces négociations, tout en défendant fermement le rôle des organisations intergouvernementales par essence destinées à réguler les rapports de force mondiaux.
Comme vous l'avez récemment souligné, monsieur le secrétaire d'Etat, « l'OMC ne doit être ni diabolisée ni idéalisée ». Bien au contraire, il importe de combattre toute forme de protectionnisme déguisé qui se ferait aux dépens des « laissés-pour-compte » des réseaux financiers et commerciaux.
Cela est particulièrement vrai à l'extérieur de nos frontières, dans la confrontation commerciale transatlantique vers laquelle nous poussent certains groupes de pression américains. Mais c'est peut-être vrai aussi dans l'Hexagone, où la précarité envahit nos rues.
De la validité des engagements qui seront pris à Seattle dépendra l'avenir de notre concertation sociale. Afin de combattre une « marchandisation » galopante de la planète qui se ferait à nos dépens, notre aptitude au dialogue entre partenaires sociaux et acteurs économiques doit l'emporter sur toute considération purement mercantiliste.
L'enjeu de Seattle est de taille : il s'agit d'assurer le maintien d'un multilatéralisme alliant solidarité internationale et régulation du marché. Ainsi, notre message doit être clair pour s'inscrire précisément contre toute forme d'unilatéralisme latent.
Il importe de défendre un modèle de société fondé sur le postulat d'une économie au service du politique. L'approche globale soutenue par les Européens devra tenir compte d'une régulation des échanges, certes nécessaire à la croissance, mais également perçue comme porteuse de progrès sociaux et de diversité culturelle.
A cet effet, l'équilibre de la société dépendra de la cohésion entre la France et ses partenaires européens. Ceux-ci doivent se défendre face à des groupes dont les intérêts et la vocation se situent à l'opposé des principes qui sont les nôtres en matière de marché et de société.
Dès lors, il importe de réclamer avec fermeté la constitution d'un forum permanent de travail conjoint entre l'OMC et l'OIT. Ce lien entre normes sociales et commerce s'inscrit dans une cohésion communautaire forte autour du respect de clauses sociales universelles.
Notre action vigilante doit ainsi se tourner en priorité vers les pays en voie de développement dont l'intégration dans le concert économique mondial passe par la conciliation entre développement durable et commerce international.
Les pays du groupe des 77 ont d'ailleurs d'ores et déjà formulé des propositions concrètes, qu'il s'agira de défendre avec vigueur contre l'inévitable tentative américaine de limiter le débat au seul accès au marché.
Comment ne pas voir dans ces comportements déjà perceptibles un retour du protectionnisme, tendant à favoriser l'exportation massive de produits américains vers les marchés émergents ?
La maîtrise du cycle large qui s'ouvre à Seattle soulève plusieurs contradictions qu'il importe de clarifier, au moment où l'opinion publique est de plus en plus sceptique sur les vertus du libre-échangisme.
Il est contradictoire d'opposer strictement aide au développement et libéralisation des échanges. Une récente étude du PNUD, le programme des Nations unies pour le développement, tend d'ailleurs à montrer la nécessité d'ouvrir les économies des pays les plus pauvres. Je vous renvoie à cet égard à l'excellent rapport parlementaire rédigé par Béatrice Marre.
Au-delà d'un bras de fer annoncé entre Etats-Unis et Europe, il importe également de garantir aux pays tiers des débouchés commerciaux et culturels nouveaux. Il en va d'une notion élémentaire d'égalité et de solidarité internationale.
Face à la tentation d'un repli identitaire et d'un retour du conservatisme, les négociations de Seattle posent, d'emblée, le problème de clivages sectoriels persistants. La position minimaliste des grands pays agricoles exportateurs du groupe de Cairns apparaît, dans ces conditions, quelque peu irréconciliable avec le développement d'une agriculture maîtrisée, ardemment souhaitée par les Européens.
Par ailleurs, en privilégiant l'éthique et le recours à des règles minimales, les Quinze espèrent englober ce qu'il est convenu d'appeler les « nouveaux sujets de régulation ».
De ce fait, le contrôle démocratique des débats doit accélérer la prise de conscience de nouvelles dimensions dans les relations internationales.
La relance d'une nouvelle forme de dialogue Nord-Sud doit préfigurer l'émergence d'une société ouverte qui tiendrait compte à la fois de préoccupations économiques, environnementales, sociales et culturelles.
Je suis convaincu que le dialogue est possible entre pays développés et ceux qui aspirent à le devenir.
Il conviendra donc, pour la délégation de la commission conduite par Pascal Lamy, d'exposer une détermination sans faille envers ces valeurs que nous croyons universelles. Je pense à la reconnaissance de normes sociales fondamentales, au droit à une alimentation saine et à la défense de notre spécificité agricole.
Nous attendons des négociations du cycle du Millénaire de nouvelles règles en matière de concurrence, de marchés publics et d'environnement, qui doivent s'inscrire, comme le souhait en a été exprimé tout à l'heure, dans la préservation de l'exception culturelle et audiovisuelle.
Notre préoccupation concerne aussi les futures interactions entre les règles de l'OMC et les accords multilatéraux sur l'environnement afin de concilier principes environnementaux fondamentaux et développement commercial, à l'image de la lutte contre la corruption qui, associée à la sécurité des investissements directs étrangers, témoigne d'une ambition nouvelle.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si l'on peut légitimement se réjouir de la présence d'un représentant du continent africain au sein de la direction de l'OMC, comment ne pas percevoir dans la nomination du Néo-Zélandais Mike Moore un avant-goût amer de ce que pourrait être l'intransigeance américaine.
Cela étant, je me félicite de voir que le Gouvernement a souhaité associer les parlementaires au rude combat en faveur de l'affirmation des valeurs humanistes fondamentales au sein d'une économie globalisée mais, je l'espère, régulée. Vous imaginez - vous le savez mieux que quiconque ! - que, pour ce faire, vous aurez le soutien des radicaux de gauche. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, vouloir définir aujourd'hui l'enjeu de l'ordre du jour de Seattle est incontestablement un véritable programme en soi.
Dès le départ, nous devrons tous être imprégnés de cette volonté offensive, qui doit trancher avec les débats de 1992. Un récent déplacement à Washington avec M. le ministre de l'agriculture et de la pêche me conduit à conserver à la fois espoirs pour certains éléments et fortes inquiétudes pour d'autres.
Aujourd'hui, je n'évoquerai que les questions liées à l'agriculture et au monde rural et je ferai quelques commentaires sur l'évolution à moyen terme, en espérant une meilleure compréhension - elle est nécessaire - entre l'Europe et les Etats-Unis.
Il ne faut pas non plus oublier, ne nous le cachons pas, les malentendus actuels qui subsistent sur un certain nombre d'éléments tels que la banane, les organismes génétiquement modifiés, les hormones, etc.
Peut-être est-ce sur l'analyse de ces contradictions et de ces malentendus que nous devrons, ensemble, préparer ce débat devant l'OMC ?
Rappelons tout d'abord qu'il est de notre intérêt, à la suite des accords de Berlin - qui sont exceptionnels et qui ont énormément choqué les Etats-Unis - de débattre des questions agricoles sur le fond et dans la durée. Ne tombons pas dans le piège de la précipitation, où les Américains voudraient nous entraîner !
Nous devrons tenir compte de deux éléments : tout d'abord, l'évolution interne européenne, qui est un élément fort ; ensuite, l'évolution des Etats-Unis dans le domaine de la politique agricole. Aujourd'hui, en effet, le clignotant est au rouge et nous devrions peut-être les montrer du doigt.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean-Marc Pastor. Sur le plan européen, depuis sept ans, rappelons-le, nous n'avons pas cessé de respecter les accords de Marrakech. C'est un de nos atout forts dans ce débat !
Par ailleurs, les réformes successives de la PAC nous ont fait passer d'une agriculture productiviste à une agriculture plus axée sur la qualité : entreprises et consommateurs, aujourd'hui, sont de plus en plus attentifs à la qualité des produits que nous leur offrons.
Rappelons également, dans un esprit offensif, qu'en cumulant l'Agenda 2000 et la PAC 92 les baisses de prix atteignent, dans le secteur agricole, 32 % pour les viandes bovines et 50 % pour les céréales. Cela montre bien que nous avons appliqué les accords de Marrakech !
A cela s'ajoute un découplage accru par une forte réduction du budget européen à l'exportation, qui est passé à 7 % en 1999 alors qu'il dépassait 30 % en 1991.
Rappelons aussi que, pour diminuer la production et l'encombrement du marché, la Communauté européenne a accepté des sacrifices énormes puisque la prochaine PAC nous fera passer à 10 % de jachère, contre 5 % seulement à l'heure actuelle.
Rappelons encore le rôle spécifique de l'agriculture en faveur de l'emploi en milieu rural - et c'est là un élément qui ne se maîtrise pas à travers les prix - mais aussi en faveur de l'environnement ou de la qualité des aliments, autant de points qui devront être débattus à Seattle même si, comme j'ai pu le constater il y a quelques jours, les Etats-Unis ne le souhaitent pas.
M. Raymond Courrière. C'est exact !
M. Jean-Marc Pastor. La Communauté européenne propose un ensemble de dispositifs dans le secteur des services non marchands, favorisant ainsi un tissu social différent. C'est notre conception de la société qu'il va falloir « vendre » dans un débat qui se prolongera sans aucun doute pendant plusieurs mois, et certainement encore après l'élection présidentielle américaine.
C'est ce concept de société et de vie qu'il nous faudra défendre face à des systèmes certes respectacles mais fondés sur d'autres principes - je fais allusion aux schémas américains, australiens, argentins ou même canadiens - et qui s'opposent à notre logique et à l'introduction d'éléments non marchands dans le débat.
Nos choix, nous les faisons pour faire face à l'exode rural. Aussi serait-il absurde de prétendre ou de laisser croire, comme certains l'ont fait, que la solution réside dans la suppression des aides publiques.
Un autre aspect doit être pointé du doigt : l'évolution de la politique américaine dans ce domaine. Les rois du libéralisme ont connu, mes chers collègues, un échec cuisant dans le secteur agricole, où les forces du marché libre non soutenu ont entraîné à la faillite près de 25 % des exploitations, emportant avec elles banques et entreprises.
Aussi, depuis 1997, ils ont changé leur fusil d'épaule, et les aides accrues de l'administration américaine à ses agriculteurs perturbent actuellement la concurrence mondiale. Le soutien à l'agriculture aux Etats-Unis est ainsi passé de 7 milliards de dollars en 1997 à 22 milliards de dollars en 1999. L'aide alimentaire, soutien illégal déguisé au commerce extérieur, a été multipliée par cinq pendant ces mêmes deux ans - je doute que la pauvreté, pourtant grandissante dans ce monde, ait suivi la même progression ! - et le Congrès américain poursuit dans cette voie en accordant des garanties généreuses à l'exportation. Tout cela, il faudra le dénoncer !
Aujourd'hui, nous devons dire avec force que c'est bien l'agriculteur américain qui est le plus subventionné au monde : en 1999, il aura perçu en moyenne 9 500 dollars de soutien, alors que l'agriculteur européen recevait, pour sa part, 5 300 dollars.
Même si nous devons respecter les choix politiques internes américains, nous devons également demander, à Seattle, la transparence dans ce domaine. Il faut que tout soit mis d'emblée sur la table des négociations.
Sachons également tirer les conséquences de nos querelles et de nos divergences. Je pense notamment à la banane, où nous avons un intérêt économique direct.
La Communauté européenne présente des propositions claires dans ce domaine, car il est possible de respecter à la fois les accords de Lomé avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et les accords de l'OMC en veillant à un certain nombre d'équilibres vis-à-vis des distributeurs - je dis bien des distributeurs, et non des producteurs - d'Amérique latine et des Etats-Unis.
S'agissant du boeuf aux hormones, il faut incontestablement poursuivre les études, car la terrible crise du sang contaminé est une expérience française qu'il ne faut pas renouveler. Comme pour les OGM, nous devons faire preuve d'une très grande prudence et, en cas de différend, faire appel aux scientifiques. Malheureusement, ces derniers n'ont pas tous les mêmes critères d'analyse. Nous devrons donc, à Seattle, nous mettre d'accord sur un cahier des charges et sur des seuils communs afin que tout le monde puisse parler le même langage.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean-Marc Pastor. Si nous ne faisons pas cette démarche en liaison étroite avec la Food and Drug Administration, la FDA, nous ne parviendrons jamais à nous comprendre.
Dans le domaine des OGM, même si certains le pensent, il n'y a pas de conflit officiel avec les Etats-Unis. Le marché est ouvert, le consommateur décide et choisit. En la matière, il faut cependant maintenir la transparence grâce à l'étiquetage pour que le consommateur européen puisse choisir tout en respectant l'environnement.
La proposition française de création d'une agence sanitaire européenne, reprise récemment par le président de la commission, M. Prodi, mérite d'être soutenue à cet égard. Mais comment renforcer le dispositif international dans le domaine de la protection ? Cette question fondamentale devra être discutée à Seattle. Le principe de précaution est, en effet, au coeur d'un débat nouveau qu'il conviendra d'aborder dans le respect des règles du commerce, mais aussi en fonction des normes sanitaires et environnementales.
Tous ces volets nouveaux devront être abordés lors du débat de 1999-2000, même si nous savons que tous les partenaires ne sont pas obligatoirement favorables à cette approche. Mais nous ne pouvons nous permettre d'aborder la seule question des prix !
Que dire de plus du marché agricole si ce n'est que la comparaison des budgets européen et américain en la matière fait apparaître que le premier consacre globalement 40 milliards d'euros ou de dollars au soutien de ses agriculteurs tandis que le second y consacre près de 60 milliards de dollars ? Au demeurant, il est difficile d'effectuer une vraie comparaison, ce qui rend nécessaire la transparence des Etats dans ce domaine.
Pour que le débat soit serein, il faut impérativement faire l'inventaire du nouveau schéma d'aide alimentaire, car c'est aujourd'hui un instrument déguisé qui permet aux Etats-Unis de mieux pénétrer certains marchés mondiaux.
Le montant des importations européennes et françaises en témoigne très largement, nous sommes, à l'inverse du marché américain, très ouverts alors que les Etats-Unis ne le sont que sur les produits où ils sont très compétitifs. Dois-je rappeler les droits qui frappent les fromages - 170 % ! -, le beurre - 137 % ! - ou le sucre - 130 % ?
Pour ce qui est du soutien interne, Seattle devra s'adapter aux demandes nouvelles des consommateurs et de l'opinion publique dans le domaine de l'environnement, de la sécurité alimentaire, de l'acte social à proprement parler. C'est ce que nous appelons, en Europe et en France, la multifonctionnalité, élément non marchand qu'il faudra bien aborder à Seattle. Des conclusions de ce débat naîtra une orientation qui nous permettra d'éviter ou non la déperdition rurale.
Les accords de Berlin représentent un atout fort et incontestable de l'unicité européenne, mais nos opinions publiques ont des attentes nouvelles et nous devons y répondre. Au-demeurant, j'avoue franchement que j'ai le sentiment que l'opinion américaine, depuis quelques mois, est en train d'évoluer dans ce domaine et qu'elle peut devenir demain un des nos principaux alliés dans le débat mondial.
La vraie réponse face aux inquiétudes à l'égard de la mondialisation ne peut toutefois se confondre avec l'uniformisation, même si, contrairement à ce qui s'était passé en 1992, la France et l'Europe aborderont cette année le débat en alliés pour faire valoir leur modèle de société. Tous ensemble, ici, nous formulons le voeu que ce mode de vie et de société sera défendu au niveau mondial ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon. Monsieur le président, mes chers collègues, après l'exposé de M. le secrétaire d'Etat et les interventions des deux présidents de commission, MM. François-Poncet et de Villepin, je suis tenté de dire qu'il n'y a plus grand-chose à dire. Aussi ma modeste participation se limitera-t-elle à l'évocation partielle de certains problèmes.
Nous attendons tous, quelquefois avec anxiété, l'issue de ces éventuels accords qui vont conditionner l'équilibre du commerce international pour les années à venir.
Nous parlons tous de la nouvelle situation - d'ailleurs pas si nouvelle qu'on veut bien le dire ! - dénommée « mondialisation ». C'est sans doute inévitable, inexorable, car les moyens de communication, d'information et de transport sont devenus si efficaces, sur notre planète, que ce qui se passe sur un continent provoque presque immédiatement une réaction dans l'ensemble des nations et sur leur économie.
D'aucuns prétendent que cette situation nouvelle doit être vécue sans crainte et que nous devons en tirer de nombreux avantages. C'est mon avis. Hélas ! les faits sont moins faciles à vivre, et, à titre personnel, sur le terrain, je dois supporter les conséquences de cette mondialisation, qui, pour l'instant, « massacre » tout de même l'acte de production en Europe.
En effet, comment prétendre que l'on peut produire sans aller rapidement à la faillite quand on est en situation de concurrence directe, sans barrière, avec des économies où le coût salarial est quasi nul, la protection sociale inexistante et le système fiscal avantageux ?
Je suis dans une région où l'activité industrielle repose essentiellement sur la fabrication de la chaussure et de l'habillement. Depuis plusieurs années, nous assistons à une diminution permanente du nombre des salariés et à des fermetures dramatiques. Encore aujourd'hui, ponctuellement, ce sont près de 1 000 salariés constituant l'effectif de l'entreprise GEP - La Fourmi qui sont menacés par le dépôt de bilan et peut-être même par la liquidation sous les coups de la pantoufle chinoise et de la chaussure taïwanaise.
J'ai beaucoup de mal - c'est d'ailleurs une mission impossible - à faire comprendre aux salariés de cette entreprise que la mondialisation est une bonne chose.
En effet, devant de tels exemples, il est difficile de penser que l'OMC puisse véhiculer autre chose que des catastrophes ! C'est pourtant mon avis : la mondialisation peut être une bonne chose, à condition de ne pas être la jungle du libre-échange. Et c'est précisément le rôle des négociateurs de Seattle que d'arriver à des situations équilibrées où chacun retrouve son compte.
Mon rôle, après l'intervention de Michel Souplet, est de traiter des problèmes agricoles, qui sont au coeur des négociations de l'OMC.
L'agriculture européenne, dans sa diversité, est totalement intégrée dans une économie organisée, avec des contraintes salariales, sociales et fiscales que nous connaissons et qui n'ont, bien sûr, rien à voir avec ce qui est vécu et pratiqué dans la plupart des pays de notre planète. Grâce à l'Europe agricole, nos avons réussi à nous garder de nombreux périls.
L'agriculture vit donc les mêmes difficultés que les industries de main-d'oeuvre, et les exemples sont nombreux où éclate l'impossibilité de survivre pour nos économies occidentales devant les chiffres et les prix qu'autorise l'exploitation de nombre de pays sous-développés.
A titre d'exemple, il y a quelques semaines, je participais, dans le cadre d'une mission sénatoriale, à un voyage d'étude en Amérique du Sud. Nous avons en permanence subi les assauts verbaux des dirigeants politiques et des professionnels argentins désireux de nous exporter la viande bovine dont leurs entreprises et leur pampa regorgent !
M. Gérard César. Tout à fait.
M. Jean Huchon. Mais à quel prix ? Un dollar le kilo, soit trois fois moins cher qu'en France, où les producteurs ont pourtant peine à vivre et doivent être artificiellement aidés. Il suffit d'ouvrir les frontières à ces viandes argentines pour ruiner définitivement les éleveurs français.
Cet exemple démontre la difficulté de l'exercice et la vigilance dont nos négociateurs devront faire preuve avec nos partenaires, et spécialement avec les Etats-Unis, qui abordent les négociations dans un climat agressif et évidemment électoraliste.
Il est d'ailleurs à craindre que l'exécutif américain ne soit pas en mesure ou ne fasse en sorte de ne pas être en mesure de signer un accord avant janvier 2002. En effet, il ne disposera pas d'un mandat de négociation du Congrès, car ce dernier ne votera pas un fast track avant les élections présidentielle et législatives de 2002. Toutefois, les Américains ne manqueront pas d'essayer d'obtenir de l'Union européenne des avancées qu'eux-mêmes ne voudront pas faire.
Il ne faut à aucun prix que les négociations sur l'OMC soient l'occasion d'un démantèlement de la construction européenne menée depuis quarante ans.
A ce titre, il est bon de rappeler les objectifs de départ de l'Europe agricole, qui sont toujours d'actualité, à savoir assurer la sécurité alimentaire des pays membres, respecter la préférence communautaire à l'intérieur de l'Union européenne, assurer un revenu aux agriculteurs et aménager une vocation exportatrice à l'Europe agricole.
Ces objectifs ont été progressivement atteints, mais il est bien évident que l'entrée dans la mondialisation peut tout déstabiliser. En effet, nos partenaires mondiaux n'ont jamais accepté le fait européen, qui, depuis quarante ans, a démontré son efficacité. Le cheminement a peut-être été difficile, mais les faits sont là : l'Europe existe.
Par ailleurs, l'Europe a déjà fait preuve de courage et de discipline en réformant progressivement les règles de la politique agricole commune à deux reprises. Les négociateurs européens ne partent pas de rien et ils devront, au préalable, faire état de ce qui a déjà été fait pour pouvoir discuter avec leurs interlocuteurs. Les réformes successives de la PAC ont déjà imposé des adaptations que nos partenaires d'outre-Atlantique n'ont pas imitées.
Le volet agricole devra recouvrir l'ensemble de la production agricole, Le volet céréalier, qui est simple et ne comporte presque qu'un seul produit, homogène, facile à conserver et à transporter, ne doit pas faire oublier le reste du panel agricole, beaucoup plus compliqué à traiter : viandes, lait, fruits et légumes, etc.
La réforme de la PAC et les accords de Berlin doivent donc servir de base à la négociation. A partir de ce socle, il faut obtenir un accord global. Un bilan soigneusement élaboré doit être établi en exigeant la bonne foi.
Les aides à l'agriculture accordées en Europe et contestées par nos partenaires de négociation, spécialement les Etats-Unis, ne doivent pas nous traumatiser. Nous devons faire la lumière sur le système d'aide massivement pratiqué outre-Atlantique - mon ami Jean-Marc Pastor vient de l'évoquer - les Américains ne manquant jamais de nous reprocher ce que nous faisons dans ce domaine en feignant pudiquement d'ignorer ce qu'ils accordent aux farmers du Middle West.
Dans ce domaine, l'Europe doit avoir une attitude offensive et faire preuve d'une vigilance rigoureuse ; cela devrait nous permettre d'exiger un certain nombre d'éléments fondamentaux pour que l'OMC débouche sur un accord équilibré.
Tout d'abord, il faut assurer la réciprocité des exigences sur deux points importants : d'une part, les problèmes sanitaires et la qualité des produits ; d'autre part, les problèmes de l'environnement et de la qualité de la vie.
Sur le plan sanitaire, nous ne devons pas être naïfs. Pourquoi accepter l'importation de produits sans les contrôler compte tenu des exigences sanitaires et techniques que nous imposons aux producteurs français et européens ? C'est un sujet sur lequel il y a beaucoup à dire et qui demanderait un plus long développement que ne le permet ce débat.
Disons simplement - tous les orateurs l'ont souligné - que les incertitudes scientifiques sont particulièrement gênantes : nous en avons fait et nous en faisons encore l'expérience avec l'ESB et le problème de la viande aux anabolisants.
Il faut que le grand principe de « précaution » - le terme est admirable - soit juridiquement et scientifiquement clarifié, afin qu'on ne vive plus les péripéties actuelles. Des règles simples et précises, établies et acceptées par tous, doivent permettre d'éviter tout accident, que ce soit pour la viande, les animaux vivants, les fruits et les légumes, etc.
Les Etats-Unis, spécialistes des procédures de contrôle à l'importation et des quarantaines largement utilisées, doivent comprendre que la réciprocité doit être la règle.
Les négociations de l'OMC devront également inclure un volet environnemental dans le cadre d'accords multilatéraux. Il est souhaitable, par exemple, de clarifier les exigences liées aux méthodes de fabrication et aux règles d'étiquetage des produits.
Le volet social ne doit pas être oublié, tout le monde l'a dit. C'est l'occasion de tenter - y parviendrons-nous peut-être - de traiter le formidable problème des inégalités. Il s'agit, en réalité, de l'intégration des pays en voie de développement dans l'économie mondiale, en les faisant participer de façon plus active au système commercial multilatéral.
Cest pays sont de plus en plus producteurs, mais ils jouent toujours un rôle secondaire, c'est-à-dire un rôle d'exploités, sur la scène économique mondiale. Cette situation est injuste et l'impact de leur marginalisation se ressent partout. Le progrès économique ne peut qu'être un facteur important de l'amélioration sociale dans le monde et un point clé du développement durable.
Il faut également faire des avancées dans le domaine des droits de l'homme, de la primauté du droit et du respect des normes du droit fondamental au travail. Je pense tout particulièrement au travail des enfants, au travail carcéral, au travail forcé, ou encore à l'absence du droit d'association et de négociation collective.
Il faut que les accords futurs fixent des règles de commerce qui permettent l'accès au marché de tous les opérateurs et que soit mis en place un système de contrôle des pratiques anticoncurrentielles internationales. Je veux parler des cartels mondiaux et des organismes à position dominante et fortement concentrés, comme la grande distribution, qui est maintenant largement mondialisée. Ces contrôles font défaut actuellement, et c'est une situation qui nuit aux pays les plus faibles.
Il n'est pas question, comme cela a déjà été dit, de faire en sorte que l'OMC devienne une autorité mondiale. Elle n'en a ni la vocation ni les moyens. C'est simplement un cadre dans lequel doivent fonctionner des politiques de concurrence équilibrée.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de dire, après bien d'autres, que notre souhait le plus vif est que ces négociations se réalisent dans la plus grande transparence.
Elles vont être longues, voire difficiles. Nous sommes des parlementaires sérieux ; nous demandons à être informés des étapes qui vont être franchies et des obstacles qui vont se lever. Nous pensons être de bons relais auprès de nos concitoyens. Or, vous aurez besoin de l'appui de l'opinion publique.
Au moment où vont s'ouvrir ces pourparlers, qui provoquent le doute chez les uns et l'espoir chez les autres, je veux être résolument optimiste. Je ne peux m'empêcher de rappeler la citation de Montesquieu tirée de L'Esprit des lois et reprise récemment dans un grand quotidien du soir : « Le commerce guérit des préjugés destructeurs ; et c'est presque une règle générale que partout où il y a des moeurs douces, il y a du commerce ; et que partout où il y a du commerce, il y a des moeurs douces. » (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, alors que les négociations de Seattle vont s'ouvrir dans quelques jours, un premier constat s'impose : rarement un débat public n'aura été entaché d'autant de préjugés et d'idées fausses.
Je m'efforcerai donc, si vous le permettez, dans un premier temps, de préciser des thèmes aujourd'hui récurrents dans le débat public mais très largement galvaudés : la mondialisation, d'abord, l'Organisation mondiale du commerce, ensuite.
Je développerai, enfin, un point qui m'apparaît particulièrement fondamental, tant le sort qui lui sera réservé à Seattle déterminera la place et les prétentions de notre pays à l'aube du troisième millénaire. Je veux parler de la propriété intellectuelle, ferment de notre identité et de notre culture, qui doit être défendue avec une vigueur inégale.
Première idée fausse : la mondialisation est une réalité.
La mondialisation, voilà un terme à la mode ! Il ne se passe pas un jour sans que ce concept soit mentionné dans toutes les sphères, privées comme publiques, par tous les responsables politiques, de droite comme de gauche. La mondialisation, je suis tenté de dire que voilà la nouvelle idéologie du xxie siècle ! Il y a ceux qui sont pour, il y a ceux qui sont contre. Que l'on s'y oppose ou qu'on la loue, c'est bien la référence absolue, indispensable. Et, pourtant, que recouvre ce concept, employé par tous, mais défini par personne ?
La mondialisation fait référence à l'échange généralisé entre les différentes parties de la planète. Elle implique, à terme, l'émergence d'un « village global ». Elle suppose la disparition des frontières, elle postule l'uniformisation des modes de vie et de pensée.
Il n'y a pas de vision plus erronée de l'environnement international. Il n'y a pas de perception plus fausse de la réalité des échanges.
La mondialisation est un leurre. Elle procède d'une simplification outrancière et erronée de l'environnement international.
Jamais les divergences économiques, sociales et politiques entre les Etats n'ont été aussi grandes : l'extrême pauvreté côtoie l'extrême richesse. Le commerce ne profite pas à tous les pays dans la même mesure. Il met en jeu des Etats qui n'ont pas atteint, loin s'en faut, le même niveau de développement économique. Jamais les revendications identitaires n'ont été aussi fortes et aussi exacerbées. La montée des intégrismes, les guerres ethniques, la défense des exceptions culturelles... Vous voyez, mes chers collègues, que le monde n'est pas unifié et n'est pas en voie de l'être !
La mondialisation est un terme qui devrait être banni. Ce à quoi nous sommes confrontés, c'est à l'interdépendance croissante des économies, dans un contexte de libéralisation accrue des échanges.
Seconde idée fausse : l'Organisation mondiale du commerce serait le cheval de Troie des prétentions hégémoniques américaines.
Rien n'est plus erroné ! Une telle affirmation traduit une incapacité totale à saisir la nature profonde de l'OMC, ses fonctions, ses mécanismes fondamentaux. Une telle affirmation traduit une méconnaissance du sujet, une méconnaissance coupable pour un responsable politique. Que les Etats-Unis et l'Europe se livrent une guerre commerciale terrible, c'est un fait. Qu'il nous appartienne d'être extrêmement vigilants et inflexibles pour défendre nos intérêts vitaux, c'est incontestable.
Mais l'OMC n'est pas l'instrument de domination des Etats-Unis. Au contraire, seule l'OMC peut substituer aux rapports de force le primat de la règle de droit. Seule l'OMC peut discipliner les Etats en exigeant d'eux le respect des règles de droit commerciales qu'ils ont librement négociées et acceptées.
Plusieurs d'entre vous y ont fait allusion : l'analyse minutieuse de toutes les décisions rendues par l'organe de règlement des différends de l'OMC montre, contrairement aux idées reçues, que les Etats-Unis ont non seulement été plus souvent mis en cause que l'Union européenne, mais ont fait aussi l'objet de plus de condamnations.
De ce point de vue, la dernière décision rendue par l'ORD le 17 septembre 1999 est particulièrement significative. Elle met en cause les pratiques fiscales américaines à l'exportation. L'enjeu est autrement plus important que pour les affaires de la banane et des hormones, qui, réunies, ne touchent que 1 % à 2 % du commerce entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Les pratiques fiscales américaines représentent en effet, chaque année, une aide directe de 2 milliards de dollars aux exportateurs américains. Le préjudice subi par les Etats-Unis risque donc d'être considérable en cas de confirmation de la décision par l'organe d'appel de l'OMC.
L'OMC est bien une instance impartiale, et c'est cette impartialité qui fait toute sa crédibilité. Dans un contexte de libéralisation sans précédent des échanges, alors que la compétition entre les Etats n'a jamais été aussi exacerbée, les anti-OMC font preuve d'ignorance et d'aveuglement. Ils doivent savoir que le désordre mène à l'anarchisme. L'anarchisme engendre malheureusement très souvent la violence. La violence conduit presque toujours à l'appauvrissement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, alors que les négociations qui s'ouvrent à Seattle vont toucher aux intérêts vitaux de notre pays, il importe, face à nos principaux partenaires commerciaux, d'être particulièrement vigilants et pugnaces si nous ne voulons pas brader nos intérêts. La défense de notre conception du droit d'auteur illustre avec force tout l'enjeu des négociations de Seattle.
Si l'enjeu est considérable, alors que les progrès des technologies modernes et l'apparition de nouveaux modes de circulation et d'exploitation du savoir amènent les Etats à se doter de législations nouvelles, il est surtout éminemment symbolique : derrière le choix du système de protection de la propriété littéraire et artistique, c'est la question du rôle de l'OMC à l'aube du troisième millénaire qui est posée.
L'OMC doit-elle seulement s'efforcer de promouvoir un commerce débarrassé de toute entrave et soumis aux seules lois du marché, ou bien doit-elle veiller aussi à encourager le respect des identités et des différences, et donc promouvoir une libéralisation plus humaine des échanges ?
Cela pose à nouveau avec force le problème de la protection de la propriété littéraire et artistique, alors que l'on s'oriente de plus en plus vers des économies de l'immatériel, tant la création est appelée à jouer un rôle essentiel.
Deux grandes conceptions du droit d'auteur existent. La conception française, largement inspirée par le droit romain, d'essence civiliste, qui privilégie la gestion collective et droit moral, et la conception anglo-saxonne, qui se fonde sur le copyright.
Ces deux conceptions du droit d'auteur restent fondamentalement opposées. Privilégier l'approche française sur le système américain du copyright est primordial dans la mesure où elle protège plus efficacement les droits des créateurs.
La conclusion de l'accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce a été considérée comme un succès remarquable. Pourtant, cet accord n'édicte pas à proprement parler de normes nouvelles sur ce point précis, se contentant de renvoyer aux conventions internationales en vigueur, notamment la convention de Paris sur la propriété industrielle et les marques, adoptée le 14 juillet 1967, et la convention de Berne sur les droits d'auteur, adoptée le 24 juillet 1971.
L'Union européenne doit se montrer beaucoup plus exigeante que les Etats-Unis, notamment en matière de respect des droits moraux. Les Etats-Unis, on le sait, s'opposent à l'élaboration de règles nouvelles, soucieux de ne pas avoir à modifier leur législation nationale. Il faut adopter une position résolument offensive.
Les approches juridiques divergent profondément. La conception européenne du droit d'auteur met l'accent sur la protection de la personnalité de l'auteur, témoignant de la « supériorité du droit moral » sur les droits pécuniaires. L'oeuvre est considérée comme un prolongement de la personnalité de l'auteur, lui conférant deux séries de prérogatives : droits pécuniaires, dont le principal est droit de reproduction, et le droit moral, qui implique le droit au respect de l'oeuvre et le droit au nom. Dans le système du copyright, en revanche, on est en présence d'une tout autre philosophie. L'oeuvre étant radicalement détachée de la personne physique, elle acquiert une autonomie juridique absolue. Il en résulte que, appréciée comme un produit, elle peut mener une existence économique libre. De fait, elle peut faire l'objet d'un transfert sans aucune réservation, restriction ou limitation. Le droit d'auteur est essentiellement conçu comme une prérogative économique : il s'agit du droit pécuniaire d'autoriser ou non la reproduction. Le système du copyright tend par conséquent à investir l'employeur des droits sur l'oeuvre, et ce à titre originaire, qu'il s'agisse d'une personne morale ou non. Cela, nous ne pouvons l'accepter.
Veiller à ne pas évincer l'auteur de son oeuvre est une priorité, alors qu'il est de plus en plus soumis aux pressions des producteurs, diffuseurs et concepteurs. Ces derniers, qui s'apprêtent à envahir l'espace culturel de la planète avec leurs produits, considèrent en effet l'auteur comme un obstacle à la rentabilité et au développement de leurs commerces.
Monsieur le secrétaire d'Etat, à Seattle, il faut donc faire prévaloir la conception française du droit d'auteur, plus favorable au créateur ; celle-ci repose sur le droit moral et sur la gestion collective.
Seul le droit moral confère une protection renforcée à l'auteur. L'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle de 1992, qui leur reconnaît un droit à l'intégrité de l'oeuvre, précise en effet que le droit moral est « inaliénable ». En l'absence de droit moral, l'oeuvre peut être défigurée, mutilée, transformée à l'idée du marchand, sans que l'auteur ait la possibilité d'intervenir.
Les sociétés de gestion collective désignent tout organisme dont le seul but ou l'un des buts principaux consiste à gérer ou à administrer des droits d'auteur ou des droits voisins du droit d'auteur.
Parfois mise en cause, la gestion collective reste pourtant un système irremplaçable, seul à même de préserver efficacement les intérêts du créateur et de l'auteur. Il est bien évident en effet que, si l'auteur conservait l'exercice de ses droits, il serait plus exposé aux pressions des exploitants, soucieux d'obtenir de lui la cession de ses droits. Assurer un exercice efficace de la gestion collective vise donc fondamentalement à protéger l'auteur. L'affaiblissement de la gestion collective entraînerait celui de la protection des ayants droit. Comment, en effet, les sociétés d'auteurs pourraient-elles efficacement défendre les droits des auteurs à l'égard des usagers de leurs oeuvres, si ces mêmes usagers pouvaient obtenir directement des auteurs individuellement des conditions d'utilisation de leurs oeuvres que les sociétés d'auteurs leur refusent ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, excusez-moi d'insister sur ce point, mais il s'agit d'un enjeu fondamental. Tout glissement vers un passage du droit romain au système du copyright doit être absolument évité, à Seattle et dans les mois qui suivront. Ce ne sera pas chose aisée, ni pour vous, ni pour le commissaire européen chargé de défendre les intérêts de Bruxelles.
Au-delà des lobbies professionnels qui, mus par des considérations économiques, cherchent à faire valoir une telle orientation, les interventions des Etats-Unis sur la scène internationale vont également dans cette direction. L'influence considérable de ce pays auprès des organisations internationales pousse à promouvoir l'application du copyright auprès des pays non encore signataires de la convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, au détriment de la gestion collective.
Les négociations entreprises à l'occasion de l'Uruguay round remettent en cause pour l'instant toute possibilité de faire prévaloir au plan international la conception française du droit d'auteur. Les Etats ne sont pas encore parvenus à s'accorder sur le droit moral. L'article 6 bis de la convention de Berne a été exclu purement et simplement de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Il reconnaît pourtant les droits extrapatrimoniaux des auteurs et créateurs. Une telle exclusion constituerait une grande concession de la Communauté européenne aux Etats-Unis, désarmant l'auteur au bénéfice de l'industrie. Elle marquerait une orientation vers un droit d'auteur d'entreprise, à l'opposé de notre conception traditionnelle.
Face à l'intensification des échanges et aux nouvelles technologies des réseaux, la France a réaffirmé clairement sa position : les oeuvres ne sont pas des marchandises et la création n'est pas seulement l'acte économique de production d'un bien. Les développements potentiels de la société de l'information ne pourront être effectifs sans des contenus de qualité, ce qui suppose que les titulaires de droits y trouvent leur compte. L'information libre de droit sur les réseaux est un leurre dangereux. Pour soutenir la création française, il faut donc veiller à ce que les auteurs et les titulaires de droit soient efficacement protégés, afin que prévale la conception humaniste et personnaliste française de la création.
Il faut donc interdire toute réglementation ou tout accord autorisant, sous couvert d'un libéralisme commercial sauvage, à piller nos répertoires dans un seul but de profit.
La tâche qui vous attend, monsieur le secrétaire d'Etat, ne se limitera pas à un travail de trois ou quatre jours, je veux dire simplement à Seattle. C'est une tâche de trois années qui va commencer le 1er janvier à Genève, et elle sera particulièrement rude ! Vous aurez, en tous les cas, le devoir de défendre notre identité et notre culture. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je me réjouis de l'organisation devant la Haute Assemblée d'un débat consacré à l'ouverture, très proche désormais, d'un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales.
C'est avec la plus grande attention que nous avons suivi le déroulement des discussions préliminaires, tant avec les Etats membres de l'Union européenne qu'avec nos partenaires extérieurs, et nous sommes conscients de l'ampleur et de la complexité de la tâche qui nous attend à Seattle.
A l'instar de mes collègues, j'ai pris connaissance, avec satisfaction et soulagement, de la concrétisation d'une position commune européenne sur l'orientation qu'il conviendrait de donner à cette négociation.
Je garde également l'espoir d'une plus grande sensibilité de nos partenaires quant au bien-fondé de l'ouverture d'un large champ de négociations pour ce cycle du Millénaire, c'est-à-dire sortir de l'agenda intégré, même si nous savons combien la bataille risque d'être rude.
Il est, en outre, un point qui m'inquiète fort et que j'aimerais évoquer dès maintenant sur un sujet tout à fait connexe à celui qui nous réunit ce matin. Nous venons d'apprendre la signature d'un accord entre la Chine et les Etats-Unis qui, si j'en crois les commentateurs, signifierait l'imminence de l'adhésion de ce pays à l'OMC après des années d'âpres discussions préparatoires.
Je suis quelque peu inquiet quant à l'effet d'annonce que les Etats-Unis viennent de réaliser à travers cet accord bilatéral. S'il se révèle que nous sommes là dans le cadre d'une procédure classique d'adhésion, c'est-à-dire d'une négociation bilatérale, qui devra ensuite être déclinée avec les principaux pays de l'OMC, je crains que les Etats-Unis n'utilisent la médiatisation de cet accord pour influencer ce nouveau partenaire dans le cadre des futures négociations multilatérales.
On veut voir aussi, bien sûr, dans cet accord le signe des progrès accomplis par la Chine dans la voie du libéralisme et de l'ouverture économique, et j'adhère à l'idée que l'OMC gagnera en crédibilité en accueillant ce nouveau membre, partenaire essentiel dans l'équilibre mondial de demain.
Rappelons, il n'est pas inutile de le faire, que la Chine est la dixième puissance économique mondiale et qu'elle représente le plus grand marché du monde par le nombre de ses consommateurs.
Aussi, j'aimerais savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, quel est votre sentiment sur cet événement considérable et connaître les suites qui, à votre connaissance, devraient lui être réservées.
Je n'ai pas l'ambition d'être exhaustif sur le contenu de ce que pourrait être la négociation de Seattle dans la perspective retenue par l'Union européenne, et je me bornerai à évoquer les trois ou quatre points qui me tiennent particulièrement à coeur, même si mon propos vous semblera de ce fait parfois décousu.
Nous sommes tous très conscients que la réussite de cette négociation suppose une réelle participation des pays en développement au dialogue traditionnel Europe - Etats-Unis pratiqué jusqu'alors. Lorsque l'on compare l'évolution économique des hémisphères Sud et Nord - la récente conférence de la CNUCED à Genève est là pour nous le rappeler -, comment ne pas être consterné par le fossé qui continue de se creuser entre ces deux mondes ? Comment ignorer, au-delà des considérations humanitaires que nous partageons tous, les dangers dont il est porteur pour la stabilité mondiale ?
Bien sûr, quelques économies émergentes sont parvenues à tirer partie de la mondialisation, mais la plus grande part des pays en développement, notamment dans la zone ACP, ont continué de s'appauvrir.
Je souhaite ardemment que le souci exprimé par l'Union européenne de placer l'intégration des pays en voie de développement dans le commerce international au premier rang des priorités soit pargagé par nos partenaires. Je suis convaincu que ceux qui rejettent l'idée même d'un nouveau cycle, au nom de la préservation des pays en retard de développement, effectuent un contresens et que la négociation de Seattle peut être une véritable occasion de corriger, dans une direction favorable, l'évolution des échanges commerciaux et des flux financiers.
Elle doit également rouvrir le dossier relatif à la protection des acquisitions intellectuelles. Je dois vous avouer combien je suis attaché à la défense de la propriété intellectuelle, qui me paraît encore trop insuffisamment protégée, en dépit de l'entrée en vigueur de l'ADPIC obtenu à Marrakech. Il est indispensable que la négociation de Seattle aborde la question des brevets, les inégalités relatives aux conditions d'enregistrement, de reconnaissance et de protection nous pénalisant trop souvent, et ce d'autant plus que 50 % du commerce mondial portera désormais sur des produits protégés par des brevets !
Je ferai une observation similaire concernant la reconnaissance du principe de précaution, qui n'a pour l'heure fait l'objet d'aucune transcription en droit international ou communautaire. J'attends - ou plus exactement nous attendons tous, avec impatience les conclusions d'un rapport commandé par M. le Premier ministre auprès des professeurs Kourilsky et Viney.
Ce concept, formalisé à l'origine pour prendre en compte des considérations liées à l'environnement, a désormais essaimé dans tous les secteurs, notamment dans l'alimentaire, et rend indispensable une définition commune qui soit connue et respectée par tous les partenaires.
Il convient d'appliquer le principe de précaution avec précaution, oserai-je dire, et de l'assortir d'un certain nombre de corollaires pour encadrer sa mise en oeuvre : adaptabilité, proportionnalité, voire compensation. Si l'on ne procède pas ainsi, le risque est évident de passer du principe de précaution au principe de suspicion et, enfin, au principe de l'inaction.
Vous me permettrez un commentaire sur le volet agricole pour considérer l'importance qu'il revêt pour la France.
Premier pays exportateur de produits agricoles transformés, la France a, depuis quelques années, suscité de violentes réactions des Etats-Unis, qui, au travers du FAIR Act de 1996, ont assigné à leur agriculture la mission de reconquérir des parts de marché et ainsi replacé les Etats-Unis au tout premier rang du commerce agroalimentaire mondial. Il conviendra donc de clarifier les mesures de soutien outre-Atlantique, que ce soit l'aide alimentaire, les subventions à l'exportation ou le monopole de certaines sociétés d'Etat à l'exportation, tout cela pour assurer une transparence totale entre pays.
Il importera de défendre un modèle agricole européen d'agriculture compétitive, diversifiée et multifonctionnelle assurant le développement de l'ensemble de nos territoires et de ne considérer en aucun cas le secteur de l'agriculture et de la pêche comme une monnaie d'échange.
Enfin, concernant le Codex Alimentarius, je me devais de faire part de mes inquiétudes quant à l'éventualité d'une prise en compte excessive, à mes yeux, de contingences non scientifiques dans la définition de certaines normes alimentaires.
Le rôle croissant de cette organisation internationale au sein des négociations de l'OMC exige de la part de la France et de l'Europe, d'une part, une présence plus active près de cette instance, de la part tant des administrations que des organisations professionnelles, d'autre part, une extrême vigilance dans la définition des critères à prendre en compte pour la définition des normes alimentaires. N'oublions pas, en effet, que les échanges internationaux de produits alimentaires se chiffrent annuellement entre 350 milliards de dollars et 400 milliards de dollars.
Si nous pouvons nous attendre à un cycle de négociations très dur avec des chances de succès aléatoires, il est un point qui me paraît un bon présage pour le déroulement des futures discussions : c'est le fait que, cette fois, il a été confié à la Commission une mission définie, délimitée, propre à encadrer de manière claire son mandat.
J'y suis particulièrement sensible, car je dois avouer que je conserve un très mauvais souvenir des accords des Blair House en 1992, accords au cours desquels les initiatives de la Commission, en excédant les prérogatives qui étaient siennes, ont induit certaines conséquences proprement catastrophiques.
L'une d'elles, qu'il ne faut pas oublier, est que nous importons désormais 76 % des besoins alimentaires de la filière animale en protéines végétales, ce qui nous place dans une situation de dépendance tout à fait déplorable, tant sur le plan économique que sur le plan sanitaire au travers de la traçabilité des productions.
Enfin, je ne voudrais pas conclure mon propos sans exprimer ma satisfaction de voir les parlementaires associés, en tant qu'observateurs, à cette négociation.
J'y vois le signe d'une volonté de transparence et le souci d'informer, notamment par notre entremise, nos concitoyens qui, d'une manière inconnue jusqu'alors, portent à cette négociation un intérêt grandissant et se sentent partie prenante à ce grand projet, même si certaines réactions de rejet peuvent sembler excessives.
Je souhaite que notre débat d'aujourd'hui contribue aussi à leur information, apaise les craintes qui pourraient être infondées, mais nous éclaire également sur les véritables enjeux de cette conférence historique.
Si je suis favorable au fait de donner au public l'information à laquelle il peut légitimement prétendre, vous me trouverez réservé sur l'oreille - oserai-je dire trop complaisante ? - accordée aux ONG. J'ai lu que 800 ONG seraient présentes en qualité d'observateurs à Seattle, dont 40 % d'origine américaine. Vous ne m'empêcherez pas d'y voir là un risque de lobbying ...
M. Emmanuel Hamel. ... de pressions. Parlez français !
M. Jean Bizet. ... peu compatible avec le souci de transparence que les différents partenaires veulent donner pour la première fois, et je m'en réjouis, à cette « négociation du Millénaire ». (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je trouve très bien que, comme l'année dernière pour l'AMI, le Sénat tienne ce débat sur l'OMC. J'interviens, sans bien sûr l'isoler de l'ensemble des questions de société, sur la culture, qui, dans les dernières négociations commerciales internationales, a joué un grand rôle et a réussi des percées dans la prise en considération de sa spécificité.
La culture n'est pas une marchandise comme les autres. Une poétesse russe a utilisé une métaphore sur cette spécificité, à laquelle on ne touche pas sans blesser la société et les individualités, le statut de l'esprit, la civilisation. C'est comme une fable que La Fontaine aurait intitulé : « La chaussure et l'Art ».
Le matériau des chaussures, le cuir, peut-être estimé, il est fini. Le matériau d'une oeuvre d'art, l'esprit, ne peut être estimé ; il est infini. Il n'existe pas de chaussures pour toujours. Chaque vers de Sapho est donné une fois pour toutes. Des chaussures incomprises, cela n'existe pas, tandis que des vers incompris, ô combien !
Cela dit, ceux pour qui tout cela n'est que babiole continuent leur offensive, et dans plusieurs réunions sur la culture, l'Europe et la mondialisation, je les ai souvent entendu dire que le marché était naturel comme la marée et que les nouvelles technologies étaient naturelles comme la gravitation universelle.
Nous serions ainsi contemporains d'un monde où les moteurs naturels, fatalement fatals, de la vie culturelle, de la vie tout court, seraient le marché et la technologie inventés, je le rappelle, par l'homme et la femme pour s'en servir et où les êtres humains ne seraient que des éléments subsidiaires, des invités de raccroc.
Le GATT à l'origine, l'AMI, le NTM, la convergence ont, tour à tour, voulu asseoir « comminatoirement » une république mercantile universelle sans qu'il y ait, face à elle, une république démocratique universelle. La société serait surpeuplée d'impératifs financiers et dépeuplée de trop de droits de l'homme.
Les artistes n'ont pas cédé et se sont rassemblés pour refuser tout à la fois la fuite en avant, le repli identitaire et l'impuissance démissionnaire. Ils pensaient qu'un peuple qui abandonne son imaginaire aux grandes affaires se condamne à des libertés précaires, comme le disait, dès le 17 novembre 1987, la déclaration des droits de la culture ratifiée devant un Zénith des états généraux de la culture aux 6 000 participants.
Pendant que d'autres noircissaient du papier, les artistes éclairaient du papier en commençant à écrire une alternative. Leur mouvement puissant, et le contenu de ce mouvement, repris par François Mitterrand et le gouvernement Balladur, aboutissait à l'exception culturelle ; repris par Lionel Jospin, faisait capoter l'AMI ; repris par le Premier ministre et Jacques Chirac, faisait retirer le NTM ; repris par Catherine Trautmann, battait à la conférence de Birmingham l'idée grossière de la convergence qui veut que, le transporteur étant le même, les transportés aient le même statut. Vous savez, vous prenez votre voiture, votre femme vous y rejoint et, selon cette théorie, elle... deviendrait un homme. (Sourires.)
Et voilà l'OMC dont, sans illusion, nous n'attendons - je parle toujours de la culture - que ce que nous y mettrons.
Je souhaite avancer quatre idées.
La première : sous les formes les plus variées, les artistes et les passeurs de culture ont multiplié les actions dont l'ampleur a conduit les relais gouvernementaux et européens à continuer d'agir comme en témoigne, pour la culture, l'esprit du mandat de la Commission européenne donné à Pascal Lamy. Pour dire vrai, je l'aurais voulu plus net en reprenant la notion d'exception culturelle. Et je pense qu'à Seattle la délégation gouvernementale française doit être activement vigilante et exigeante, d'autant qu'il y a ces incertitudes dont vous avez parlé, monsieur le secrétaire d'Etat.
Mais je veux dire un mot, précisément, des actions des artistes et de ceux qui les soutiennent.
Ces derniers six mois, nous avons eu - et j'ai participé à toutes - l'organisation d'une conférence internationale par les Verts européens à Bruxelles les 27 et 28 mai, une conférence de l'UNESCO sur l'exception culturelle les 14 et 15 juin, une conférence des états généraux de la culture en Avignon le 26 juillet et, cet automne - j'en oublie ! - l'assemblée - avec présence de l'OMC, de la Commission européenne et des Américains - de l'ARP à Beaune, en Bourgogne, les 22 et 23 octobre, la table ronde des cinquante-huit ministres de la culture à l'UNESCO le 2 novembre, le forum du cinéma européen au Parlement européen à Strasbourg le 16 novembre, le forum mondial des cinémas à Bastia ce dernier 20 novembre, sur l'initiative de la société des réalisateurs de films, où se sont retrouvées et se sont mises d'accord les associations de cinéastes de vingt-trois pays.
Je terminerai par le texte de Marie-Claude Tjibaou et Paul Vergès, publié dans Le Monde du 14 novembre, qui osent - comme ils disent avec modestie - lancer de deux îles de l'océan Indien et de l'océan Pacifique un appel pour la sauvegarde de la diversité culturelle.
J'interprète ce texte venu du Sud comme un souhait que se tienne, à l'image du « Rio de l'environnement » de juin 1992, un rassemblement mondial de la culture. Et mon ardent désir est que, pour fin 2000-début 2001, le Premier ministre décide, au moment où s'ouvre à Seattle la troisième conférence de l'OMC, décide, oui, comme une symbolique se souvenant de l'avenir, que Paris sera le lieu de ce rassemblement jamais réalisé où toutes les cultures de la « pomme ronde », comme disait Claudel parlant de notre planète, feraient le plus beau et le plus grand bouquet composé des cultures, ce qui n'est pas contradictoire avec l'idée que je partage fort de traiter des conditions de la diversité culturelle à l'UNESCO et non à l'OMC.
Deuxième idée : chacun l'a noté, l'expression « diversité culturelle » remplace dans les textes officiels l'« exception culturelle ».
Je vois bien la stratégie : c'est le pluralisme culturel qui est à maintenir et à épanouir. Mais l'exception culturelle ne doit pas être mise de côté ni à la retraite. D'abord, parce qu'elle est symbolique : voilà six ans qu'elle nourrit nos actions, six ans qu'elle est une pratique dont nous devons nous féliciter. Elle est la traduction de cette idée de Michel Torga : « L'universel, c'est le local sans les murs. »
Mais elle est plus encore. Elle est l'ébauche d'un espace public où le marché, pour être présent, n'est pas autoritairement roi. Le Premier ministre, récemment, déclarait reconnaître l'économie de marché, mais pas la société de marché. Précisément, pour que cette société de marché ne soit pas reine en culture, il faut l'exception culturelle à l'économie de marché.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Jack Ralite. C'est un éclat d'avenir que je sens sourdre aussi dans le domaine sportif et dans le domaine du vivant. C'est la naissance d'une responsabilité publique en culture, à tous les échelons de la société, et peu importent les chemins qui y ont mené : comme à la marelle, on va toujours vers le ciel à cloche-pied !
D'ailleurs, il n'y aura pas de diversité culturelle sans exception culturelle. Je sais bien que nous ne sommes pas à une séance du dictionnaire de l'Académie, mais quand on dit : « Je vous aime » à une femme, on lui dit qu'elle est une exception. Lui dire qu'elle est un élément de la diversité féminine, c'est en deçà du coeur ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. C'est bien vrai !
M. Jack Ralite. Je veux ici féliciter Mme Trautmann, ministre de la culture, qui ne cesse de montrer l'incontournable liaison entre les deux expressions, comme elle l'a encore fait samedi dernier à Bastia.
Troisième idée : à Seattle, nous voulons préserver l'existant, les acquis du GATT, comme on dit, et éviter les risques de contournement.
Il y a en effet un contournement principal, les nouvelles technologies, qui se présentent sous la forme du commerce électronique.
J'ai été frappé, à la réunion de l'ARP à Beaune, quand Jack Valenti, le patron du cinéma américain, est intervenu. Il a dit à peu près ceci : « Sur ce qui existe, nous arriverons, je crois, à nous entendre, mais cela n'est pas le plus important. L'essentiel sur quoi nous allons concentrer nos efforts, ce sont les nouvelles technologies. »
Je crois que les Américains se préparent à nous présenter une démarche du type régulation a minima pour ce qui existe et pas de régulation du tout pour le nouveau.
Sur cette question, il faut organiser la parade à partir, premièrement, des acquis du GATT - les services audiovisuels ne se différenciaient pas selon la nature du transporteur ; deuxièmement, de l'accord sur les télécommunications de base adopté en 1997 par l'OMC ; troisièmement, du rejet de la convergence à la conférence européenne de Birmingham le 18 avril 1999.
Il faut aussi, et dans un même mouvement, poser beaucoup plus fort et au niveau suffisant, sans doute sans fascination mais surtout sans frilosité, les questions posées par les nouvelles technologies. Et c'est valable pour notre pays, qui est en train de corriger son engagement retardataire, et pour l'Europe qui fait d'autant moins qu'elle en parle plus et qui devrait consacrer beaucoup plus de moyens - je cite un chiffre à la hauteur des exigences : 1 % du PIB - à l'audiovisuel, aux logiciels et à l'informatique.
Selon Jack Valenti, il faut aussi, en rapport avec ces nouvelles technologies, mettre en avant la piraterie ; c'est un vrai problème ! Mais, à Bastia par exemple, les représentants du cinéma américain ont voté contre les conclusions pour le pluralisme culturel, au nom de la liberté de leur cinéma, qui possède en Europe 85 % des programmes.
Oui, il y a des pirates et il faut les combattre, mais il y a aussi des corsaires dont nous devons nous méfier, notamment sur les questions de l'investissement et sur les questions de subventions, qui sont deux autres manières de contourner les idées qui nous sont chères.
Pour conclure sur cette troisième idée, je dirai que j'attends beaucoup d'une initiative internationale des Etats généraux de la culture qui auront lieu en l'an 2000 sur le thème : la culture, l'humanité et les nouvelles technologies, avec l'objectif de civiliser ces nouveaux mondes issus de l'oeuvre civilisatrice et de faire valoir que le droit d'auteur, le droit moral et patrimonial, droit de l'homme fondamental, est parfaitement compatible avec les nouvelles technologies.
Je finis sur la quatrième idée. Toujours du point de vue de la culture, certaines questions avancées par les artistes, longtemps presque seuls, sont aujourd'hui portées dans des secteurs de la vie différents par d'autres citoyens, organisés ou non. Je pense notamment aux membres des ONG, aux agriculteurs, avec la confédération paysanne, aux salariés, avec l'association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens, l'ATTAC. Si leurs expressions vont dans le même sens, elles sont forcément diversifiées. Ils ont intérêt à se rencontrer et, par exemple, après Seattle, nous tiendrons à Aubervilliers un banquet des états généraux de la culture réunissant paysans, artistes et salariés.
Il y a là une richesse du mouvement à dimension internationale qui veut que l'OMC soit un construit social avec des régulations humaines et non un mécanotechnico-financier avec une autorégulation vaine.
Permettez-moi, pour clore ce propos, de recourir à deux personnalités aujourd'hui disparues. D'abord, Maurice Schumann : « La seule faute que le destin ne pardonne pas au peuple est l'imprudence de mépriser les rêves. » Ensuite, Federico Fellini : « Ce qui est le plus important pour l'homme d'aujourd'hui, c'est de tenir bon, de ne pas laisser aller la tête sous l'eau, mais surtout de savoir regarder au-delà du tunnel, en inventant, si besoin est, un but de salut par notre imagination, notre volonté et, surtout, par notre confiance. Je crois que, vue sous cet angle, l'activité des artistes est aujourd'hui indispensable. »
C'est de tout cela qu'à Seattle je témoignerai. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Paul Girod.)

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Jean-Patrick Courtois. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai entendu dimanche soir, sur une chaîne télévisée, M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, faire un commentaire sur les rapports des commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat, et j'avoue avoir été profondément choqué par les termes qu'il a employés en la circonstance.
Il a, en effet, fait état de fuites, de rapports rendus publics avant l'heure, de divulgation irresponsable du nom d'un informateur du préfet Bonnet.
Je tiens d'abord à rendre hommage aux membres de la commission d'enquête du Sénat, qui, pendant les six mois au cours desquels celle-ci s'est réunie, n'ont fait aucune déclaration publique sur ses travaux, ainsi qu'aux fonctionnaires de notre assemblée qui étaient placés auprès d'eux ; pendant ces six mois, aucun document émanant de la commission n'a été remis aux médias, ce qui nous a d'ailleurs été reproché.
Le rapport du Sénat a été rendu public mercredi dernier, après que le président du Sénat lui-même en eut pris connaissance et après que notre assemblée en eut été informée. Les règles qui s'appliquent en la matière ont été scrupuleusement respectées, et je m'étonne que le ministre de l'intérieur puisse faire un amalgame entre ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale - et que, pour ma part, je juge scandaleux - et l'attitude du Sénat, qui s'est montré parfaitement responsable puisque notre règlement a été observé à la lettre.
S'agissant de l'indicateur dont le nom aurait été révélé et dont la vie se trouverait ainsi menacée, je tiens à rappeler de manière solennelle que, dans le rapport du Sénat, il ne figure d'autres noms que ceux qui ont été cités dans le cadre des procédures judiciaires, et dont la presse a eu connaissance ; en aucun cas, le Sénat ne pourrait donc être tenu pour responsable de la divulgation du nom en question.
De même, eu égard au contrat moral passé avec les personnes qu'elle avait convoquées, la commission d'enquête du Sénat, a décidé, à l'unanimité de ses membres, de ne publier aucun des procès-verbaux des auditions auxquelles elle a procédé.
Je vous prie donc, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien vouloir considérer que les règles de procédure applicables en l'espèce ont été strictement respectées par le Sénat et de demander à l'ensemble des membres du Gouvernement, en particulier à M. le Premier ministre, de ne pas faire d'amalgame avec des rapports qui ont été publiés à des fins politiques, qui ressemblent à des règlements de compte et qui ne sont pas acceptables pour la démocratie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Acte vous est donné, mon cher collègue, de ce rappel au règlement.

4

CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE
DE L'ORGANISATION MONDIALE
DU COMMERCE

Suite du débat sur une déclaration
du Gouvernement

M. le président. Nous poursuivons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur la conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la conférence des présidents a fixé à trois heures le temps de parole réservé à tous ceux d'entre nous qui souhaitaient intervenir dans ce débat. Dans la mesure où nous avons pris un certain retard, j'invite les orateurs qui doivent encore s'exprimer à la plus grande concision possible.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Je vais m'efforcer d'accéder à votre souhait, monsieur le président.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la conférence de Seattle, troisième du genre depuis la création de l'Organisation mondiale du commerce en 1995, sera un moment important pour les nouvelles négociations sur la libéralisation du commerce mondial.
Je félicite vivement notre collègue Michel Souplet pour son excellent rapport, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, et je partage pleinement la proposition tendant à faire de Seattle l'amorce d'un cycle de négociations d'un style nouveau.
Il s'agit, en effet, de parvenir à un accord global de négociations, et non plus à des accords sectoriels, pour aboutir à des solutions équilibrées et profitables à tous les membres de l'OMC.
Les négociations doivent non pas se restreindre à l'agriculture et aux services, mais aborder l'ensemble des sujets liés à la libéralisation du commerce mondial : travail, environnement, sécurité alimentaire, investissements, concurrence, finances, assurances, etc.
Cette conférence doit tirer les leçons des précédents cycles, qui avaient, hélas ! vu essentiellement l'affrontement des Etats-Unis et de l'Union européenne, délaissant les pays en voie de développement.
Il s'agit désormais d'imposer un jeu plus ouvert, afin que le progrès soit partagé par tous. C'est pourquoi nous pouvons nous féliciter de la prochaine entrée de la Chine dans l'OMC : il paraissait difficile de laisser de côté 20 % de la population mondiale !
L'Union européenne dispose d'un poids considérable étant donné sa place nouvelle sur l'échiquier international. C'est en valorisant son exemple, fondé sur la prise en compte des différences et des intérêts de chacun de ses pays membres, que l'Union européenne doit négocier à Seattle, de manière que le prochain cycle considère justement et équitablement les approches de chacun des adhérents de l'OMC.
Une attention particulière doit être portée aux pays les plus pauvres. Il convient non seulement de favoriser leur expression démocratique au sein d'une instance de « gouvernance mondiale », mais aussi et surtout de faciliter leur intégration, qui est hautement nécessaire.
Nous le voyons chaque jour davantage, les conflits qui ensanglantent le monde, qu'ils soient ethniques, religieux, culturels ou économiques, annihilent les espoirs de développement des populations.
Il s'agit d'accorder une priorité à l'insertion des pays en voie de développement dans les échanges commerciaux internationaux en tenant compte de leurs particularismes, tout en opérant une distinction entre pays émergents et pays les moins avancés, de façon à traiter les uns et les autres de manière différenciée.
Le libéralisme absolu, sans frein, est une catastrophe pour les pays les moins avancés, qui voient leurs matières premières brutes, c'est-à-dire leur unique source de revenu, payées à vil prix.
C'est en facilitant leur intégration dans le concert des pays « riches » que nous leur éviterons la spirale infernale vers le repli sur soi et la crispation des différences. Il semble donc indispensable de leur accorder une représentation démocratique équitable au sein de l'Organisation. Or, actuellement, nombre de pays en voie de développement ne disposent pas du droit de vote ou le partagent à plusieurs.
Nous nous posons constamment en « donneurs de leçons » du monde contemporain. Quelle peut être notre crédibilité auprès de certains pays, notamment ceux du Sud, si nous ne sommes pas capables de mettre en pratique nos principes fondateurs au sein des instances décisionnaires mondiales ?
Le développement, comme le souligne le très bon rapport de la députée Béatrice Marre, est une priorité pour aboutir à un monde multipolaire.
Ainsi que l'a affirmé récemment le ministre des affaires étrangères, « nous ne pouvons accepter ni un monde politiquement unipolaire, ni un monde culturellement uniforme, ni l'unilatéralisme de la seule hyperpuissance américaine ». A cela, poursuivait fort justement M. Védrine, « nous opposons la définition de la règle du jeu par la négociation et les procédures de règlement multilatéral des différends ». Et il précisait encore, non moins justement : « A l'uniformité, nous opposons le droit à la diversité et même sa nécessité. »
Le nouveau cycle entend imposer une libéralisation du commerce mondial en postulant que seule la liberté des échanges est facteur de progrès. Je m'interroge sur l'esprit de cette libéralisation mondiale, sachant que l'OMC a autorisé l'imposition de droits de douane de 100 % sur certains produits européens en réaction au refus de l'Union d'importer de la viande aux hormones.
Je m'interroge également sur l'avenir d'un secteur menacé par la libéralisation du commerce mondial : la santé.
Les dépenses de santé explosent en Europe, en partie à cause du vieillissement de la population, phénomène qui est appelé à s'accentuer au cours des décennies prochaines. Or les négociations de Seattle pourraient conférer une position hégémonique à des entreprises pharmaceutiques américaines et, à terme, provoquer la destruction des systèmes européens de protection sociale.
Si ces négociations ne parviennent pas à définir des normes communes, acceptées par tous et appliquées uniformément, les conséquences humaines, sociales ou environnementales d'une mondialisation sans règles seront désastreuses.
Il est nécessaire d'imposer des règles sociales minimales en matière de commerce international parce que la justice sociale est fondamentale pour assurer la paix universelle et une croissance économique durable.
Il convient également de renforcer les liens entre la libéralisation commerciale et la protection de l'environnement et de confirmer le droit du recours à des mesures restrictives fondées sur le principe de précaution quand la santé des citoyens, la protection des consommateurs ou la préservation de l'environnement le justifient.
Nous connaissons les conséquences de la mondialisation sur l'accroissement du fossé entre pays riches et pays pauvres, mais aussi entre riches et pauvres d'un même pays.
Ces écarts provoquent une exclusion irrémédiable des plus démunis et amènent en retour une exacerbation des extrémismes de toute nature : politiques, sociaux, ethniques, religieux. N'y a-t-il pas des exemples criants et récents d'une exclusion sociale qui a été récupérée par l'intégrisme religieux et s'est transformée très vite en guerre civile ?
On peut craindre l'effritement de notre « modèle social » européen, ainsi que celui de la capacité de nos gouvernements, ou collectivement de notre Union, à se faire entendre si les accords favorisent une plus grande libéralisation du marché dépourvue de régulation.
Les prévisions de Marx, annonçant l'échec du capitalisme par ses contradictions, seraient confirmées si nous n'imposions pas une régulation pragmatique des lois du marché au lieu et place de leur seule application brutale.
Il faut aussi que nous fassions prévaloir notre conception de la culture pour que celle-ci ne soit pas un bien marchand comme les autres. La diversité culturelle est menacée par l'uniformisation d'une production de masse. Réduites à des marchandises, les expressions multiples de la création humaine sont annulées, parce que n'est jugé recevable que ce qui se vend beaucoup et rapidement.
La richesse de l'humanité est l'expression de la diversité des productions culturelles, y compris celles qui sont minoritaires. L'imposition d'une production unilatérale acquise aux valeurs marchandes risque, comme pour le commerce, d'exacerber les particularismes et les extrémismes.
La culture procède le plus souvent du dialogue entre l'universel et le particulier.
La reconnaissance des différences de chacun nous fait vivre dans un monde d'acceptation de l'autre et de meilleure connaissance de soi : c'est la condition d'une humanité riche de diversité.
En ce qui concerne, enfin, le volet agricole, il s'agit, en opposition avec les partisans d'une remise en cause de la politique agricole commune réformée - démantèlement de toute forme de soutien, libéralisation totale des échanges -, d'adopter une attitude offensive. Il faut que les règles internationales applicables au commerce des produits agricoles soient complétées et renforcées sur certains points.
La reconnaissance du principe de multifonctionnalité de l'agriculture européenne est un préalable pour le respect des espaces ruraux, pour la protection de l'environnement, pour la qualité des produits et, indirectement, pour l'emploi.
Il convient également de renforcer les normes de sécurité et de qualité des aliments, ainsi que de proscrire certaines pratiques restrictives, telles les modalités contestables de certaines formes d'aides alimentaires ou le recours abusif aux crédits à l'exportation des produits agricoles.
Notre avenir social, culturel et économique en dépend. Nous devons défendre nos acquis et nos conceptions du progrès, qui sont avant tout fondés sur le bien-être humain.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avec le groupe du Rassemblement démocratique social et européen, je dis « oui » à Seattle, « oui » à l'Organisation mondiale du commerce, mais à la condition impérative que la discussion soit globale et que soit mis en place un système de régulation qui permette aux plus pauvres de ne pas toujours être écrasés par les plus forts.
On entend dire que la mondialisation profite aux consommateurs et que c'est donc globalement une très bonne chose. Je n'en suis pas si sûr, car le consommateur est aussi un homme et la mondialisation fait peu de cas de l'homme.
Les OPA monstrueuses auxquelles nous assistons depuis quelques années, en simples spectateurs, et qui ont pour but de prendre le contrôle mondial d'un secteur économique, ont des conséquences dramatiques sur la vie des hommes : suppression de dizaines, de centaines, de milliers d'emplois, délocalisations, vulnérabilité des salariés, notamment des cadres, plans sociaux en série avec des mises à la retraite anticipées, parce qu'à cinquante-cinq ans, voire quelquefois à cinquante ans, on n'est plus rentable.
Tout cela n'est pas bien pour l'homme. Tout cela est trop rapide, car les Etats n'ont pas eu le temps de susciter et d'accompagner d'autres gisements d'emplois.
M. le président. Mon cher collègue, j'en suis désolé, mais vous devez conclure !
M. Jacques Pelletier. Je conclus, monsieur le président !
Pourtant, ces gisements d'emplois existent, nous les voyons naître. Mais il faudra encore de nombreuses années pour concevoir et aider la mutation de nos économies et de nos sociétés.
Alors, n'allons pas trop vite dans cette course à la mondialisation et n'oublions pas que les critères de cohésion et de justice sociales doivent rester notre priorité absolue, aussi bien au sein de l'Union européenne qu'à l'échelon de notre planète. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'enjeu du prochain cycle des négociations de l'OMC sera d'apporter des réponses aux questions qui préoccupent aujourd'hui les acteurs économiques et l'opinion publique, en ce qui concerne aussi bien l'organisation des échanges mondiaux que le meilleur contrôle des transactions, sans oublier la nécessaire évolution de la transparence et de la démocratie dans la prise de décisions.
S'agissant de cet enjeu multiple, nous avons le sentiment que le mandat confié aux représentants de l'Union européenne est aujourd'hui clairement affirmé : nécessité d'un cycle global, multilatéral ; prise en compte, au-delà des agrégats commerciaux, de tous les principaux paramètres du développement et des échanges, notamment la propriété intellectuelle.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, attirer plus particulièrement votre attention sur une question essentielle à mes yeux, celle de la préservation des intérêts agricoles de la France.
Le rappel effectué le 21 octobre dernier par le Premier ministre et le ministre de l'agriculture de la position française à l'abord des négociations de Seattle est assez largement partagé dans le monde agricole.
Par ailleurs, il me paraît essentiel que l'Union européenne ait su dégager, grâce aux accords de Berlin, un front uni entre Etats membres pour la défense de la politique agricole commune renforcée. Si la PAC n'avait pas été réformée, nos négociateurs se seraient présentés à l'ouverture des discussions en position de faiblesse, privés de soutien politique et dépourvus d'un mandat crédible de négociation. On peut simplement regretter que le Conseil européen ne soit pas allé aussi loin que la France l'aurait souhaité, par exemple en matière de dégressivité des aides.
Si l'on porte attention à ce qui s'est passé depuis l'Uruguay round, on ne peut manquer de noter que les Américains ont, ces dernières années, renié leurs engagements de façon permanente, alors que l'Europe a scrupuleusement respecté les siens, qu'il s'agisse de l'accès au marché, des aides à l'exportation ou du soutien des prix. Avec les mécanismes des deficiency payments et la compensation des baisses de revenus des paysans, les Etats-Unis en sont aujourd'hui arrivés à verser des aides publiques à l'agriculture supérieures de 50 % à celles qu'octroient les Européens.
Monsieur le secrétaire d'Etat, à la suite des récentes décisions de la PAC, l'agriculture française est aujourd'hui confrontée à un processus d'adaptation particulièrement exigeant. Conformément aux accords de Berlin, la colonne « recettes » des producteurs agricoles a, en effet, été amputée de façon spectaculaire : baisse des prix - moins 20 % pour la viande bovine et moins 15 % pour les produits laitiers - réduction du soutien global et forte diminution des restitutions à l'exportation.
Certaines régions françaises vont subir de plein fouet ces pertes considérables de recettes ; je pense, notamment, à la Bretagne - en ce qui concerne, par exemple, sa spécialisation dans la filière du poulet « grand export », cette seule production représente 31 000 emplois dans la région - qui perçoit, à ce jour, 85 % des restitutions versées par l'Union européenne aux exportateurs avicoles européens.
Pour ce qui est, par ailleurs, des filières laitière ou porcine, l'actualité démontre, s'il en était besoin, que, faute d'un soutien européen à l'exportation, la production française va se trouver confrontée à un risque d'accentuation d'une crise profonde, dont nul ne sait aujourd'hui quel sera l'aboutissement.
Pour ces évidentes raisons, la PAC réformée doit constituer la limite maximale du mandat de négociation de la Commission européenne. Contrairement à ce que réclament les Américains et le groupe de Cairns, il n'est pas imaginable de voir l'Europe aller au-delà de ce qui a déjà été convenu au sein de la PAC réformée.
L'Union européenne ne saurait renoncer à toute forme de restitutions aux exportations : les ventes aux pays tiers constituent, en effet, un débouché essentiel pour bon nombre de producteurs. L'interdiction totale de toute forme de subvention obligerait les Etats membres à porter le taux de jachère à des niveaux insupportables, à durcir le régime des quotas et à démanteler des pans entiers de l'industrie agroalimentaire, par exemple la filière « volaille d'exportation ».
Face à l'offensive prévisible des Américains pour réclamer la suppression du dispositif de la « boîte bleue », les négociateurs européens devront développer une stratégie de recherche d'alliances destinée à unir les efforts de tous ceux qui ont intérêt à s'opposer avec fermeté aux pratiques déloyales ou détournées des Etats-Unis.
Monsieur le secrétaire d'Etat, on ne peut, bien sûr, ignorer la préoccupation généreuse de rééquilibrage du commerce agricole mondial en faveur des producteurs des pays en voie de développement : c'est là une ambition louable à laquelle on ne peut que souscrire.
La mise en oeuvre d'un tel rééquilibrage suppose toutefois, comme condition préalable, que l'OMC dispose de moyens réels pour préserver ces pays en voie de développement des appétits sans cesse grandissants des ultra-libéraux.
Il importe par ailleurs que, dans le court et le moyen termes, le modèle agricole européen soit aidé à reconvertir ses pratiques grâce à la préservation d'un dispositif financier susceptible de procurer aux agriculteurs des conditions raisonnables de rémunération.
Il s'agit là, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, d'une condition essentielle de l'adaptation réussie de l'Europe agricole aux exigences d'un xxie siècle plus solidaire et plus généreux. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales est accueilli, il faut bien le dire, avec plus d'inquiétude que d'espoir par beaucoup de nos concitoyens. Il est dans notre rôle de tenir compte de cette inquiétude diffuse, qui porte sur la capacité de ce que l'on commence à appeler le « modèle européen » à faire face à une ouverture commerciale accrue.
Il y a, bien sûr, le domaine social. La mondialisation des échanges et la disparition des barrières commerciales paraissent nous placer devant un redoutable dileme : ou bien remettre en cause notre système de protection sociale, ou bien voir de nombreuses entreprises européennes délocaliser de plus en plus tout ou partie de leurs activités.
Il y a également le domaine agroalimentaire, dont on a beaucoup parlé aujourd'hui. Un accord s'est dégagé au sein de l'Union européenne sur la reconnaissance du caractère multifonctionnel de l'agriculture européenne qui, tout en se montrant compétitive, doit participer à l'aménagement équilibré du territoire, en particulier dans les zones de montagne, doit contribuer à la vitalité du monde rural et doit aussi, et surtout, répondre aux attentes des consommateurs en matière de qualité des produits, de sécurité sanitaire et de protection de l'environnement.
Il est clair que les entreprises agricoles ne peuvent accomplir ces diverses tâches que leur assigne la collectivité sans bénéficier de soutiens publics importants. Or, bien que les négociations n'aient pas officiellement débuté, les soutiens européens à l'agriculture se trouvent d'ores et déjà sur la sellette, comme s'ils constituaient le principal obstacle au développement du commerce mondial.
De plus, la condamnation de la Communauté européenne par l'OMC dans l'affaire du boeuf aux hormones a donné à nos concitoyens le sentiment que le principe de précaution n'était pas suffisamment pris en compte.
Beaucoup craignent, par ailleurs, que les négociations n'entraînent une remise en cause de l'« exception culturelle », ce qui conduirait à l'aggravation d'une forme d'impérialisme dont nous sentons déjà, et depuis longtemps, les effets.
Enfin, nombreux sont ceux qui s'inquiètent des effets de la mondialisation accrue des échanges sur l'équilibre des sociétés, devant des phénomènes comme l'ampleur des mouvements spéculatifs, la multiplication des paradis fiscaux, le développement de la délinquance financière internationale, entre autres.
Bref, autour des négociations commerciales multilatérales se cristallisent les inquiétudes sur l'avenir d'un « modèle européen » qui est fait, précisément, de la recherche d'un équilibre entre l'économique et le social, l'ouverture et l'identité, la productivité et l'environnement, le marché et la redistribution.
Dans un tel contexte, l'OMC est une cible facile ; elle devient aisément le symbole des aspects redoutables de la mondialisation.
Or, de toute évidence, il s'agit là, mes chers collègues, d'une grande méprise. Certes, le fonctionnement de l'OMC est loin d'être parfait et de meilleures garanties de transparence et d'impartialité doivent lui être apportées, mais la création de l'OMC a constitué un progrès : elle a marqué le succès du multilatéralisme, défendu par les Européens, contre l'unilatéralisme. Ce sont les Européens, je vous le rappelle, qui sont à l'origine de l'OMC.
En réalité, loin d'être, comme on le dit parfois, l'instrument d'une dérégulation à tout va, l'OMC est, au contraire, un organe régulateur, puisqu'elle tend à garantir l'égalité de traitement entre tous.
Enfin, le système de l'OMC laisse aux Etats une marge de manoeuvre entre l'attribution de compensations aux partenaires lésés ou la mise en conformité.
Nous devons donc entrer dans les négociations de l'OMC sans complexes.
Je crois d'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, exprimer le sentiment de beaucoup en disant que nous sommes las d'être les perpétuels accusés des négociations commerciales.
C'est d'abord vrai de l'agriculture. En effet, si l'on tient compte des aides directes dites « exceptionnelles », mais votées année après année, et des divers encouragements à l'exportation, les soutiens à l'agriculture aux Etats-Unis sont largement équivalents à ce qu'ils sont en Europe. Et il faut beaucoup de mauvaise foi pour affirmer que les aides américaines, quant à elles, relèvent de la fameuse « boîte verte » censée ne pas créer de distorsions sur le commerce mondial, tandis que les aides européennes, et elles seules, seraient au contraire source de distorsions.
Il est vrai que le FAIR Act américain a mis en place des aides directes fondées notamment sur des références historiques par exploitation, donc sans lien direct avec la production effective. Mais, en réalité, les producteurs américains dont le revenu est ainsi soutenu peuvent écouler leur production à un prix artificiellement bas. Et que dire du mécanisme du marketing loan, qui garantit aux producteurs américains de percevoir la différence entre le prix effectif et un prix de référence ? Grâce à la fixation d'un prix de référence élevé pour le soja, les surfaces cultivées en soja aux Etats-Unis se sont accrues de 25 %, entraînant une forte baisse des cours mondiaux. N'est-ce pas là le type même d'une distorsion ?
L'Union européenne, quant à elle, a déjà engagé avec l'Agenda 2000 une nouvelle réduction de fait de la préférence communautaire. Dans les négociations qui vont s'ouvrir, nous n'avons aucune raison d'accepter de faire figure, une fois de plus, de « mouton noir ». A qui veut-on faire croire que l'adoption par l'Europe du type d'agriculture des Etats-Unis ou de l'Australie ferait l'affaire du paysan algérien ou nigérien ? Peut-on dire sérieusement qu'un dépeuplement encore accru de notre espace rural contribuerait au développement des pays les moins avancés ?
M. Lucien Lanier. Très bien !
M. Philippe François. Je crois que nous devons aborder ces négociations avec détermination, car nos priorités sont fondées.
Ainsi, vouloir faire appliquer le principe de précaution pour l'utilisation des biotechnologies dans les produits alimentaires rencontre les préoccupations de très nombreux consommateurs : au minimum, nous devons obtenir que le consommateur puisse choisir grâce à un étiquetage approprié.
De même, nous sommes fondés à vouloir que le respect de normes sociales minimales soit une des questions débattues dans le nouveau cycle. Pouvons-nous être indifférents, par exemple, au fait que quelque 120 millions d'enfants dans le monde travaillent à plein temps, se trouvant ainsi privés, entre autres choses, de toute scolarité ?
Ceux qui prétendent qu'aborder de telles questions relève du protectionnisme ont, en réalité, une attitude dangereuse. A force de déclarer que c'est être protectionniste que de se préoccuper de sécurité sanitaire ou de lutte contre l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile, on finira par accréditer l'idée que le protectionnisme est une bonne chose !
De même, de très nombreux pays me semblent prêts à admettre avec nous que les productions culturelles ne peuvent être soumises au régime des marchandises. Les Européens ne sont pas les seuls à tenir à la diversité culturelle et à estimer qu'elle justifie un régime d'exception. Vous devez l'affirmer avec force, monsieur le secrétaire d'Etat.
La cause que nous avons à plaider est bonne, et j'ajouterai que, s'il y a une occasion à saisir pour affirmer l'existence de l'Europe sur la scène internationale, c'est bien celle-là. Nous savons tous que la politique extérieure et de sécurité commune se cherche encore, qu'elle n'en est qu'à ses débuts. Mais, en matière commerciale, la situation est différente : la Communauté existe depuis plus de quarante ans, et elle a forgé des intérêts communs. Le moment est venu pour elle de s'affirmer comme un partenaire à part entière, qui négocie sur un pied d'égalité.
Devons-nous accepter, par exemple, que l'administration américaine s'engage dans les négociations sans la mise en place du fast-track, qui seul permet que la négociation ne soit en permanence suspendue aux décisions du Congrès américain ? Est-il acceptable que nous apprenions, tout d'un coup, que les Etats-Unis se sont chargés de définir les conditions auxquelles la Chine pourrait adhérer à l'OMC ?
Mais une approche plus offensive que par le passé des négociations commerciales suppose aussi des objectifs bien définis et une vigilance des autorités politiques.
Les travaux du Conseil de l'Union européenne ont, bien mieux que lors des précédents cycles, précisé les objectifs européens. Je n'insisterai pas sur ces objectifs, ayant le sentiment que la résolution adoptée par la commission des affaires économiques du Sénat a mis l'accent sur tous les aspects essentiels.
Je crois en revanche impératif d'insister sur la vigilance nécessaire des autorités politiques. Que le Conseil définisse des objectifs justes et suffisamment précis ne sert de rien si, ensuite, il n'assure pas un contrôle effectif de la Commission européenne, qui négocie au nom des Quinze.
Nous avons tous en mémoire le compromis de Blair House, qui avait mis le Conseil devant le fait accompli, et les efforts considérables qu'avait dû déployer le gouvernement d'Edouard Balladur, après les élections de 1993, pour obtenir que ce compromis soit rediscuté.
M. Aymeri de Montesquiou. C'est vrai !
M. Philippe François. De telles situations ne doivent plus se reproduire. La Commission, livrée à elle-même, aura toujours la tentation de conclure des accords au rabais parce que son rôle institutionnel s'en trouve alors conforté. Si nous voulons que la volonté du Conseil soit respectée, il faut que les gouvernements s'assurent en permanence que la Commission rentre bien dans les limites de la mission qui lui a été confiée.
Mais le devoir de vigilance ne s'impose pas seulement aux gouvernements, il s'impose aussi aux parlements qui ont, sans sortir de leur rôle, à faire valoir de manière régulière les préoccupations des populations qu'ils représentent.
A cet égard, il est très positif qu'une présence parlementaire ait été organisée pour la conférence de Seattle. De même, je me réjouis que le Sénat ait adopté le principe de la création d'un groupe de suivi des négociations, associant la commission des affaires économiques et la délégation pour l'Union européenne, principe que j'avais proposé la semaine dernière au président du Sénat. Je suis persuadé que, lorsque les parlementaires exercent pleinement leur mission de contrôle, ils pèsent d'un plus grand poids qu'on ne le croit. Les négociateurs américains savent très bien mettre en avant les contraintes que leur impose le Congrès ; pourquoi les négociateurs européens ne pourraient-ils, eux aussi, faire valoir qu'il existe des parlements et des opinions publiques en Europe ?
Pour conclure, je voudrais m'en tenir à un simple appel : n'entrons pas dans cette négociation, comme nous avons eu tendance à le faire dans le passé, avec pour principale volonté de limiter les dégâts. Nos préoccupations comme notre conception du commerce international sont justes. Elles renvoient à une démarche ambitieuse et positive qui peut être partagée par de nombreux pays.
M. le président. Il vous faut conclure, mon cher collègue.
M. Philippe François. Je termine, monsieur le président.
Je suis convaincu que, si nous faisons l'effort d'explication et de persuasion nécessaire, nous pourrons aboutir à de vrais progrès dans la direction d'un commerce international à la fois plus ouvert, mieux régulé, plus équilibré et plus juste. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce débat doit permettre au Gouvernement de mieux prendre en compte, par l'intermédiaire de la représentation nationale, les attentes des Français lors des prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce.
Le Gouvernement a justement souhaité associer des parlementaires à la délégation qui se rendra à Seattle ; je suis heureux d'y prendre part. Ce sera une opportunité pour les élus de s'informer et de faire part aux collègues des autres pays présents dans cette enceinte des inquiétudes et des espoirs de nos concitoyens.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mon propos portera exclusivement sur le volet agricole des négociations. Il sera toujours temps de confronter nos points de vue dans un débat franco-français à l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2000, mais, à Seattle, présentons un front uni.
Quel est l'enjeu de ces négociations pour l'agriculture ? La poursuite ou non du modèle agricole européen. Comment trouver des points d'accord entre des modèles d'agriculture expressions de deux philosophies économiques et sociales différentes ou, du moins, affichées comme telles ?
D'une part, l'Union européenne défend principalement une agriculture céréalière subventionnée, porteuse d'une vocation sociale et d'aménagement du territoire. D'autre part, le groupe de Cairns, les Etats-Unis et certains pays en voie de développement veulent la suppression des barrières douanières et des aides dans un contexte de cours mondiaux.
Quelles sont les mesures indispensables au regard des structures et des coûts pour que la France et l'Europe puissent participer à cette compétition à armes égales ?
Pour ce qui est des structures, il est impossible pour la plupart des régions, en particulier celles du Sud, d'atteindre la taille dite optimale de 600 hectares à 700 hectares sous peine de désertifier et de dévaster nos campagnes.
C'est donc sur les coûts qu'il faut agir. En cas de suppression des barrières douanières, la France et l'Europe subiraient de plein fouet une concurrence fondée uniquement sur le prix. En effet, les coûts de production de nos concurrents sont sans comparaison avec les coûts européens, en particulier français. Seule une forte baisse des charges sociales accompagnée d'une baisse du prix des intrants permettrait à nos agriculteurs d'être concurrentiels. Le Gouvernement est-il prêt, monsieur le secrétaire d'Etat, à prendre les mesures fiscales et de baisse des charges indispensables car vitales ?
Le processus de baisse continue des prix et des subventions, notamment dans le cadre de l'Agenda 2000, a été extrêmement sévère pour nos agriculteurs. Ce sont déjà des concessions très importantes faites à nos partenaires des pays industrialisés ou en voie de développement.
Le Gouvernement a déclaré que les limites fixées à Berlin n'étaient pas négociables : les agriculteurs comptent sur sa détermination.
Ils ne comprendraient pas, et ils auraient raison, qu'on ne défende pas le caractère multifonctionnel du modèle agricole européen. Ils ne comprendraient pas davantage qu'on ignore la sécurité alimentaire et l'environnement. Ils comprendraient encore moins que l'on veuille une campagne sans paysans.
En conclusion, à Seattle comme ailleurs, l'agriculture ne saurait être traitée comme n'importe quelle autre activité commerciale. La régulation des échanges agricoles, indispensable au niveau mondial, doit se faire dans le respect des identités régionales. C'est la condition de la réussite de ce nouveau cycle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. « Réintroduire le règne du commercial dans des univers qui ont été construits, peu à peu, contre lui, c'est mettre en péril les oeuvres les plus hautes de l'humanité, l'art, la littérature et même la science. » Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est ainsi qu'en octobre dernier Pierre Bourdieu ouvrait la réunion annuelle des soixante-dix plus grands dirigeants de l'audiovisuel mondial.
Chacun sait combien notre pays est attaché au principe de l'exception culturelle dans les négociations internationales, qui, comme l'a très bien dit Catherine Trautmann, n'est que le « moyen juridique d'atteindre l'objectif de diversité culturelle ».
Le combat pour l'exception culturelle a été initié par la France en 1993, au moment des négociations du GATS, l'accord général sur le commerce des services. Comme l'a rappelé excellemment mon collègue Jacques Bellanger ce matin, les oeuvres culturelles, le cinéma, les programmes de télévision, le livre ou, plus généralement, les oeuvres de l'esprit ne sont en aucun cas de simples marchandises et ne doivent pas être traitées comme des biens comme les autres.
Les accords de Marrakech, en 1994, ont heureusement permis de maintenir en dehors du périmètre des négociations commerciales les secteurs de la culture et de l'audiovisuel. Concrètement, cela signifie que l'Union européenne et tous les Etats membres restent libres de définir et de mettre en oeuvre souverainement les instruments de leur politique culturelle et audiovisuelle.
Seule la confirmation de l'exception culturelle dans les négociations de l'OMC pourra permettre à l'Europe de défendre son industrie audiovisuelle et sa création culturelle. Il ne s'agit en rien d'une attitude protectionniste : tous les pays doivent rester ouverts aux cultures du monde, mais doivent aussi pouvoir conserver une identité culturelle propre.
Or, l'identité culturelle de la majorité des Etats, et par là même la diversité culturelle, se trouve menacée par ce que l'on peut appeler « un abus de position dominante », pour ne pas dire la tentation hégémonique des Américains. Les chiffres sont éloquents : le déficit des échanges de services audiovisuels entre les Etats-Unis et l'Europe ne cesse de se creuser depuis dix ans, passant de 2 milliards de dollars en 1988 à 6,5 milliards de dollars en 1998. La part de marché moyenne des films américains en salle oscille entre 54 % et 92 % en Europe, dont 70 % en France, alors que la part de marché du film européen aux Etats-Unis n'est que de 3 %.
Faut-il rappeler que depuis les négociations du GATS et en particulier lors des négociations de l'AMI l'année dernière, les cinéastes, les créateurs de l'audiovisuel et, plus généralement, les artistes furent de tous les grands combats en faveur de l'exception culturelle.
Une fois encore, samedi 20 novembre, dans le cadre du forum mondial des cinéastes à Bastia, les vingt-trois pays présents, dont la France, la Grande-Bretagne, le Canada et l'Australie, ont signé une déclaration demandant à leurs gouvernements « de refuser tout accord qui limiterait la capacité des Etats à réglementer et à soutenir les industries cinématographiques et audiovisuelles ». Seuls les représentants des Etats-Unis n'ont pas signé cette pétition, au motif que « l'exception culturelle constituerait un frein à la libre expression du cinéma américain en Europe ». Au regard des chiffres, voilà une position pour le moins paradoxale !
C'est pour se prémunir contre un risque d'uniformisation et de standardisation de la création que les oeuvres de l'esprit doivent pouvoir continuer à bénéficier d'un traitement d'exception.
Dans le secteur audiovisuel, l'Union européenne ne saurait revenir sur les acquis de Marrakech : nous devons continuer à refuser tout engagement de libéralisation de ce secteur et maintenir un régime de dérogations au principe de la clause de la nation la plus favorisée.
Mon collègue et ami M. Marcel Vidal, rapporteur pour avis des crédits du cinéma et du théâtre dramatique, souligne dans son rapport les dangers d'un renoncement à l'exception culturelle : cela « interdirait les accords de coproduction avec certains pays, ou encore l'instauration de quotas de diffusion d'oeuvres selon leur origine, ou l'octroi de subventions sélectives ». C'est pourquoi l'Union européenne ne saurait accepter la remise en cause d'outils d'aide à la création comme la directive Télévision sans Frontières, Eurimages ou le programme Média.
Il serait également inadmissible d'autoriser la libéralisation du secteur culturel. Dans le domaine musical par exemple, il nous faut continuer à protéger les petits labels. Les quotas de diffusion de chansons françaises sont également nécessaires à la promotion des jeunes talents et des nouvelles productions dans notre pays. Quant aux services des musées, des bibliothèques ou des archives, ils ne survivent - faut-il le rappeler ? - que grâce aux subventions publiques.
Défendre la diversité culturelle s'avère d'autant plus nécessaire avec l'avènement du numérique et le développement d'Internet.
Dans l'ère numérique, on compte aujourd'hui plus de 400 chaînes de télévision européennes, alors qu'il y en avait seulement 150 en 1994, et le processus est loin d'être terminé. Cette révolution technologique devrait logiquement donner un vrai coup de fouet à la création européenne, à l'industrie européenne des contenus, mais il n'est pas certain que ces nouveaux médias préféreront valoriser des contenus nationaux ou européens.
Il y a plusieurs raisons à cela, que vous connaissez bien, mes chers collègues.
Tout d'abord, les programmes américains, déjà largement amortis sur le territoire national, se vendent en Europe à des prix défiant toute concurrence. Pour toutes ces chaînes nouvelles, souvent dotées d'un faible budget, ils sont évidemment plus attractifs.
Ensuite, le volume des productions européennes, même si de réels progrès ont été faits ces dernières années, peut sembler insuffisant pour faire face aux besoins de tous ces nouveaux « tuyaux », si vous m'autorisez cette facilité de langage.
A cela s'ajoute enfin, et c'est à la fois une cause et un effet, la suprématie de la langue anglaise, que ce soit dans les programmes audiovisuels et bien plus encore dans les services proposés sur Internet.
On voit bien qu'il y a là un formidable défi à relever pour nos industries de contenus du secteur de l'image ou des logiciels. Nous ne devons pas renoncer au droit de soutenir nos créateurs et leur liberté de création par rapport au marché mondial.
Quant au développement du commerce électronique, il constitue un enjeu crucial. Les Etats-Unis tenteront sans doute de faire entrer les services diffusés sur Internet, et plus particulièrement les services audiovisuels, dans la catégorie des biens virtuels, des marchandises immatérielles. Les transactions ne relèveraient plus alors du GATS en tant que services, mais du GATT, ce qui durcirait les règles de libéralisation applicables.
La France et l'Union européenne soutiennent au contraire que le mode de diffusion d'un service ne modifie en rien la nature de celui-ci : quel que soit le support, un film ou un programme audiovisuel mis en ligne reste un film ou un programme audiovisuel. C'est là le principe de neutralité technologique, qui doit d'ailleurs être défendu lors du cycle du Millénaire.
Si nous ne parvenons pas à faire valoir ce point de vue dans les négociations, il y a fort à parier que les Etats-Unis saisiront cette occasion pour contourner l'exception culturelle et qu'une bonne partie de notre législation n'y survivra pas.
Par ailleurs, la diffusion d'oeuvres de l'esprit sur Internet soulève d'autres problèmes. Je pense notamment à la loi sur le prix unique du livre, en vigueur dans quelques pays de l'Union européenne. Je pense également à la piraterie qui, particulièrement dans le domaine de la musique, peut mettre en péril toute la filière de la création. Je pense encore à l'offensive contre le droit d'auteur et les droits voisins, à laquelle M. Jack Ralite faisait allusion ce matin, avec le talent que chacun lui connaît. Peut-être pourrez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous apporter quelques élements de réflexion sur ces questions ?
Quoi qu'il en soit, si l'Union européenne parvient à faire acter l'exception culturelle, nous savons bien que le combat pour la diversité des cultures ne s'arrête pas là. Il nous faudra passer à une phase plus offensive. Il est en effet nécessaire de mieux soutenir les industries de contenus nationaux et de renforcer les aides financières à la production et à la diffusion en Europe.
En conclusion, je tiens à dire que la mondialisation est un fait et je souhaite vivement qu'elle soit non pas une fatalité mais plutôt une chance pour toutes les cultures du monde. Il appartient plus que jamais aux pouvoirs publics de lutter contre l'homogénéisation et la standardisation des contenus, de garantir le pluralisme, pour préserver et promouvoir la diversité des identités culturelles. Nos sociétés ont besoin de vivre dans un imaginaire vivant, diversifié, sans cesse renouvelé, accessible à tous les individus.
Pour ma part, je souhaite que l'article 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme devienne une réalité : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer aux progrès scientifiques et aux bienfaits qui en résultent. »
Comme vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, nous devons convaincre l'ensemble des pays, parties à la négociation de l'OMC, que c'est l'intérêt de tous. Nous serons au côté du Gouvernement pour l'appuyer dans sa volonté de ne pas signer un accord qui ne respecterait pas l'exception culturelle. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nul n'ignore maintenant que parmi les sujets inscrits à Seattle pour l'agenda de ce nouveau cycle figure notamment la reprise des négociations sur l'agriculture.
M. Pascal Lamy, le commissaire européen qui mènera les négociations au nom de l'Union européenne, vient de présenter les grands principes de la position européenne sur ce dossier hautement sensible : prendre part à l'expansion du commerce mondial en négociant un abaissement des barrières commerciales, améliorer les possibilités d'accès au marché pour nos exportateurs, obtenir une protection pour les produits communautaires dont la réputation de qualité est liée à une origine ou à une indication géographique, substituer aux subventions à l'exportation de nouvelles formes de soutien interne et donner à l'agriculture des fonctions qui ne sont pas toutes des fonctions du marché mais qui contribuent à l'environnement, à l'aménagement du territoire et à l'équilibre du tissu social.
Force est de constater que ces principes, issus d'un premier compromis entre tous les partenaires européens, sont aux antipodes de ceux qui ont été édictés et présentés par les Etats-Unis et par le groupe de Cairns. En effet, ces derniers souhaitent remettre en cause ce qui avait été accepté lors du dernier cycle à Marrakech et exiger une suppression totale des subventions à l'agriculture.
Il est clair que leur objectif principal et avoué est d'accroître leurs opportunités commerciales en réduisant la protection et le soutien de l'agriculture.
Devant ce constat, la négociation ne peut sérieusement démarrer que si la France parvient à imposer la reconnaissance par nos partenaires et concurrents du modèle agricole européen.
C'est bien ce modèle agricole, fondé, d'une part, sur la préférence communautaire qu'il faut rappeler sans cesse, élément central de la politique agricole commune, et, d'autre part, sur l'affirmation d'une stratégie exportatrice, qui garantit la qualité de plus en plus affirmée des produits et la sécurité alimentaire - c'est aussi la vocation de l'agriculture de nourrir le monde par la qualité, la quantité, la régularité et la proximité - ainsi que la survie et l'essor de nos secteurs agricoles et agroalimentaires.
Alors que l'agriculture européenne est d'ores et déjà entrée dans la mondialisation des échanges, l'ouverture des marchés doit être considérée comme un véritable défi collectif pour l'ensemble de nos partenaires européens.
C'est la raison pour laquelle l'Union européenne se doit de maintenir une politique agricole spécifique, à l'instar des grands pays producteurs. Face à la volatilité des cours mondiaux, elle se doit de jouer un rôle efficace dans l'organisation et la régulation des marchés.
L'enjeu de ces négociations est donc bien économique, la France étant le premier pays exportateur agroalimentaire en Europe et occupant la deuxième place sur le plan mondial. Notre pays joue dans ces négociations l'avenir de sa balance commerciale et doit se situer aux avant-postes de cette position européenne offensive.
Par ailleurs, l'Union européenne doit être offensive pour obtenir la protection internationale des produits français, les appellations d'origine contrôlée, les AOC, les indications géographiques protégées, les IGP, ainsi que pour obtenir l'extension à d'autres produits de la protection additionnelle réservée aux vins et spiritueux.
J'observe malheureusement que la politique actuelle du Gouvernement en matière agricole ne répond pas exactement à cet enjeu essentiel et vital pour l'économie de notre pays. Pis encore, cette politique affaiblit la position française à la veille de ces négociations dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.
Je pense ici tout particulièrement au projet de budget pour l'année 2000 relatif aux industries agroalimentaires. Il est en effet en baisse de 5 millions de francs pour la Sopexa, qui concerne la promotion des produits agricoles français, et de 9 millions de francs pour la recherche appliquée aux industries agroalimentaires.
Cette baisse est d'autant plus alarmante quand on sait que les Etats-Unis ont débloqué, pour la promotion et le développement de leurs produits alimentaires, des aides d'un montant de 2,3 milliards de dollars en 1993, puis 6 milliards de dollars en 1999 ; aujourd'hui, 8 milliards de dollars sont budgétisés pour l'an 2000.
Je pense également au projet de budget du ministère de l'agriculture et de la pêche pour l'année 2000, qui n'est pas prioritaire aux yeux du Gouvernement, qui diminue de 0,5 % à structure constante et qui, surtout, est consacré exclusivement aux contrats territoriaux d'exploitation. Ces derniers se voient attribuer 950 millions de francs pour leur financement et ce sont autant de crédits en moins en faveur des actions économiques, notamment pour l'installation des jeunes agriculteurs, alors que la baisse du nombre de ces installations prend une allure inquiétante, voire dramatique, dans certains départements.
S'ajoutent à cette somme, de nouveau, 950 millions de francs d'aides européennes toujours destinées à financer les contrats territoriaux d'exploitation.
Ce sont donc près de 1,9 milliard de francs que le Gouvernement engage en faveur de la mise en oeuvre et du développement de ces nouveaux outils agricoles, considérés aujourd'hui par une grande majorité des acteurs agricoles concernés comme des outils antiéconomiques et de véritables usines à gaz s'agissant de leur mise en place.
Je pense, enfin, au programme de promotion des produits agroalimentaires européens, d'un montant de 15 millions d'euros, qui est toujours bloqué devant la Commission européenne et qui, pourtant, serait un véritable levier pour l'Union européenne à la veille de la réunion de Seattle.
M. Jean Bizet. C'est exact !
M. Gérard César. Cette politique menée par le Gouvernement en matière agricole affaiblit donc la position française dans ces négociations commerciales multilatérales.
Plus largement, ce constat est significatif d'un manque de stratégie française. D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne comprends pas pourquoi M. Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, ne sera pas présenté à Seattle, pour ces négociations qui représentent un rendez-vous capital pour l'agriculture française, alors que d'autres ministres, pourtant moins concernés, font partie de la délégation française.
Les négociateurs, qui, comme moi, veulent défendre le modèle français d'exploitations familiales et les emplois dans le monde rural, pour une agriculture forte et exportatrice, tout en respectant la sécurité alimentaire, ne doivent pas céder à la facilité. Chacun de nous l'a dit aujourd'hui : les négociateurs doivent faire preuve de fermeté pendant les négociations qui risquent d'être longues et ardues. Il en va de nos intérêts agricoles, de nos intérêts économiques et, bien sûr, de l'intérêt de la France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - M. Bernard Joly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors des négociations de l'Uruguay round, ce n'est que in extremis, et grâce à la position très ferme de la France, que l'Union européenne avait obtenu d'exclure l'audiovisuel et les services culturels des secteurs sur lesquels elle s'engageait à proposer des mesures de libéralisation dans les limites de l'accord général sur le commerce des services.
Nous avions pu croire, alors, que nous avions réussi à faire comprendre et admettre que les biens culturels n'étaient pas des marchandises comme les autres, même si nous savions que cette « exclusion » - qui n'était pas vraiment une exception - devrait être réexaminée lors de la nouvelle négociation du millénaire.
Cependant, avant même cette échéance, à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui, la malheureuse entreprise de l'AMI nous a démontré la fragilité de l'avancée de 1993. Certes, la négociation de l'AMI a finalement capoté, en grande partie, d'ailleurs, grâce à la mobilisation des créateurs et des défenseurs de la spécificité culturelle. Mais il n'est guère rassurant rétrospectivement de constater que nous étions alors engagés dans un processus de négociation dont personne, apparemment, ne s'était avisé dès l'abord qu'il mettait en péril l'ensemble des dispositifs nationaux et européens de soutien à la création, les principes fondamentaux de la propriété littéraire et artistique et jusqu'au droit de chaque Etat de protéger le pluralisme et l'indépendance de la presse écrite et audiovisuelle. Vous comprendrez donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous souhaitions être assurés que l'on a bien tiré les leçons de cette aventure.
Nous nous félicitons de voir que, depuis l'Uruguay round, nombre de pays nous rejoignent dans notre combat pour la sauvegarde du droit à l'expression culturelle et à la création. Mais le chemin sera long et semé d'embûches. Il ne suffira pas, je le crains, de nous être présentés en bon ordre sur la ligne de départ. Nous devrons rester sur nos gardes, faire preuve de vigilance et ne pas nous cantonner dans une position uniquement défensive.
Nous paraissons aujourd'hui mieux préparés à défendre nos positions. Nous sommes aussi, c'est l'essentiel, moins isolés que nous ne semblions l'être voilà quelque années.
D'une part, le mandat donné par le conseil à la Commission donne clairement mission de maintenir la position prise lors de l'accord de Marrakech.
D'autre part, d'autres pays nous accompagnent, ou nous ont rejoints, dans notre combat pour la spécificité culturelle. Seuls dix-neuf pays ont fait des offres de libéralisation dans le secteur des services audiovisuels. Nous avons d'ailleurs pu constater l'écho que recevaient nos préoccupations dans le monde francophone, mais aussi dans des Etats du continent américain, en Inde ou en Australie.
Cela suffira-t-il ? Je n'en suis pas sûr. Nous voudrions aujourd'hui insister auprès de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que le Gouvernement fasse preuve à la fois de volontarisme et de vigilance.
Le volontarisme doit se manifester dans plusieurs directions.
Il faut d'abord poursuivre notre effort de démonstration. Nous répétons que les biens et services culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. On connaît la formule. Nous avons raison, bien sûr, mais, comme le soulignait déjà André Malraux, le cinéma est aussi une industrie. Et la réalité disparaît souvent derrière les gigantesques enjeux économiques que représente, à l'heure de la société de l'information et de l'explosion des moyens de communication, le marché du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique, des logiciels.
Peut-être devrions-nous rappeler plus clairement que ce qu'il importe de préserver, ce qui doit échapper aux lois du commerce, de la concurrence, de la rentabilité, ce sont les actes de création qui sont à l'origine de cette énorme activité et ne pas les dissimuler derrière les enjeux économiques.
C'est le droit pour chaque pays, pour chaque créateur, de faire entendre sa voix, d'exprimer le message dont il est porteur, qui reflète son histoire, sa vision du monde, le génie propre de sa langue et de sa civilisation. En termes de culture et de création, il n'y a pas d'« avantage comparatif », il n'y a pas d'économies d'échelle. Et, peut-être, monsieur le secrétaire d'Etat, ferions-nous mieux passer ce message dans la négociation de l'OMC si nous nous efforcions d'abord d'en persuader l'ensemble de nos partenaires européens.
Pendant le second semestre de l'an 2000, première année du cycle du Millénaire, c'est la France qui assumera la présidence de l'Union européenne. Ne pourrions-nous mettre à profit cette coïncidence pour faire progresser les politiques communautaires de soutien à la création, pour tenter de persuader la Commission de ne pas envisager seulement le droit d'auteur comme une entrave à la libre circulation, pour faire progresser, en somme, la promotion de la diversité culturelle au sein même de l'Union européenne ?
Quant à notre devoir de vigilance, il doit notamment s'exercer, lors des négociations, contre les risques de contournement de nos positions. Après Mme Pourtaud, je veux évoquer, moi aussi, ce dossier.
Nous savons déjà, en effet, que les Etats-Unis s'efforceront de remettre en cause nos positions sur la diversité culturelle en les cantonnant aux supports traditionnels et en déplaçant le débat de la libéralisation sur les nouveaux supports, dont ils souhaitent qu'ils soient couverts par l'accord sur le commerce des marchandises et non pas par l'accord sur le commerce des services.
Nous retrouvons là, en somme, le débat sur la convergence sur lequel la Commission avait pris - on s'en souvient - des positions tout à fait inquiétantes. L'accord de 1997 sur les télécommunications de base, en consacrant le principe de la neutralité technologique, allait dans le sens de la spécificité culturelle. Nous devons donc rappeler que ce principe constitue une garantie essentielle pour toutes les industries de contenu et pour la lutte contre le piratage.
Et à ce propos, monsieur le secrétaire d'Etat, j'espère que la Commission défendra, au nom de l'Union européenne, la prise en compte des acquis des traités OMPI, Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, de décembre 1996, qui, s'ils n'ont peut-être pas répondu à toutes les attentes, n'en comportent pas moins des avancées positives en matière de protection du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.
Enfin, la France souhaite, comme l'Union européenne, que la négociation permette l'élaboration, dans le cadre de l'OMC, de règles sécurisant les investissements. Sur le principe, je l'avais déjà dit lors du débat que nous avions eu sur l'AMI, on ne peut nier l'intérêt de définir, au plan international, des règles susceptibles d'encadrer la libéralisation des investissements. Mais encore faut-il écarter le risque que ces règles ne permettent pas, elles aussi, de priver de toute portée nos dispositifs d'aides à la création. Monsieur le secrétaire d'Etat, cette vigilance est d'autant plus nécessaire que, dans le cadre de l'OMC, nous ne pourrons pas défendre nous-mêmes nos intérêts.
J'emprunterai la fin de mon propos à un grand cinéaste de notre temps, Pier Paolo Pasolini, qui, voilà près de vingt-cinq ans, nous mettait déjà en garde de façon lucide, et, me semble-t-il, visionnaire, contre ce qu'il appelait « la normalisation de la culture » pour conclure que ce nouveau modèle « ne se contente plus d'un homme qui consomme mais prétend par surcroît que d'autres idéologies que celle de la consommation sont inadmissibles ».
C'est pourquoi la voix de la France telle que nous la concevons doit apporter à la froideur du calcul marchand ce supplément d'âme, cette vision éthique de l'homme face à tout ce qui tend à l'uniformiser.
Il ne s'agit nullement d'un quelconque « repli », d'un intégrisme de la différence, mais d'une quête, en fait, de l'universel, tel que nous le concevons tous, un universel qui n'est pas l'exclusion des différences et encore moins la sacralisation d'identités conçues comme irréductibles.
Cet universel que nous revendiquons ne peut s'exprimer qu'à travers une diversité qu'il transcende sans pour autant l'abolir. Sa perspective, pour reprendre une phrase elle aussi visionnaire du général de Gaulle, doit promouvoir « la domination offerte à toutes les âmes sur toutes les matières ». (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, du RDSE, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
(M. Jacques Valade remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d'abord souligner la qualité des interventions, notamment celles des deux présidents de commission qui ont, à mon sens, bien présenté et résumé les enjeux de ces prochaines négociations commerciales multilatérales.
Je ne suis pas étonné par la haute tenue politique de ce débat qui concerne un sujet essentiel et de très grande actualité : comment conjuguer une plus grande libéralisation des échanges, porteuse de croissance, avec la régulation nécessaire de la mondialisation ?
J'ai constaté que dans les interventions des présidents de commission un consensus quasi général se dégage sur le refus de la politique de la chaise vide, sur le refus de la frilosité et du repli sur soi. Je me félicite de cette attitude qui rejoint la mienne et celle du Gouvernement français pour lequel l'OMC est le lieu nécessaire pour fixer des règles. C'est effectivement, monsieur Baylet, le lieu du contrat social entre partenaires libres et égaux.
Comme vous le soulignez, monsieur de Villepin, l'OMC a été conçue précisément pour mettre en place un système de règles et de transparence dans les échanges entre les nations et pour éviter les excès redoutés de la dérégulation.
M. Bellanger a indiqué, à juste titre, que, plus le monde se globalise, plus il a besoin de règles. C'est précisément pour empêcher la loi de la jungle, c'est-à-dire la domination des plus forts sur les plus faibles, que nous avons défendu la création de l'OMC qui est l'un des éléments les plus positifs du bilan du cycle de l'Uruguay.
M. Raffarin a critiqué l'absence de vision de la France sur la mondialisation. Cette critique ne me paraît pas justifiée et je voudrais le rassurer. Nous tenons au contraire un discours très clair sur le nécessaire équilibre qui doit résulter des prochaines négociations entre les objectifs de poursuite de la libéralisation et la nécessité de répondre aux nouvelles préoccupations de la société civile qui ont été largement évoquées ce matin, en particulier les questions environnementales, la sécurité des aliments, le respect de normes sociales fondamentales et la défense de la diversité culturelle.
Plusieurs d'entre vous ont souhaité un cycle de négociations plus généreux et plus attentif aux préoccupations des pays en voie de développement. M. François-Poncet en indiquant qu'il faudrait prendre en compte les intérêts légitimes, mais pas tous, des pays en voie de développement.
M. Bellanger a évoqué le « devoir de solidarité » en faveur des pays en voie de développement, tandis que M. Souplet a plaidé pour une meilleure intégration de ces derniers dans le système mondial.
Nous partageons ces objectifs. Nous soutenons le lancement d'une initiative vis-à-vis des pays les moins avancés afin que l'ensemble des membres de l'OMC s'engagent à leur offrir un accès en franchise de droits pour l'essentiel de leurs produits avant la fin du prochain cycle.
L'Union européenne est en avance dans ce domaine. Nous devons entraîner nos partenaires dans cette direction.
Par ailleurs, nous estimons indispensable de donner un cadre prévisible au programme d'assistance technique mis en place par l'OMC. Nous souhaitons donc inclure ces activités dans le budget régulier de l'OMC.
Enfin, nous souhaitons que soient effectivement mises en oeuvre l'ensemble des dispositions relatives au traitement spécial et différencié et nous nous sommes déclarés prêts à examiner, à la demande des pays en voie de développement, dans le nouveau cycle de négociations, les questions ayant trait au fonctionnement et à la mise en oeuvre des accords.
En ce qui concerne la position unie de l'Europe, plusieurs d'entre vous - comme M. Gouteyron voilà encore un instant - ont souligné que l'Europe abordait ces négociations de façon plus unie qu'elle ne l'avait apparemment été dans le passé.
C'est une réalité et, comme l'ont souligné MM. Bizet et Baylet, c'est effectivement notre force. Le négociateur européen, M. Pascal Lamy négocie sur la base des conclusions qui ont été adoptées par le conseil « affaires générales » du mois dernier et qui constituent très clairement son « mandat ».
Les ministres des quinze Etats membres seront à Seattle - j'y serai personnellement - et ce seront eux qui diront in fine à la Commission si le résultat des négociations est acceptable ou non. Je rappelle à cet égard que tout ne sera bien évidemment pas réglé à Seattle. Si nous arrivons à nous entendre sur le lancement d'un cycle de négociations, celles-ci dureront au minimum trois ans. Comme me l'a rappelé ce matin M. Poniatowski, ma tâche ne sera pas de trois jours, mais bien, en effet, de trois ans au moins ; j'en ai parfaitement conscience.
Je confirme ce qu'a dit M. Bellanger, c'est-à-dire que nous ne sommes pas prêts non plus « à concéder des remises en cause fondamentales de nos positions à Seattle ».
Vous avez souligné à juste titre la nécessité d'être associés au processus de cette négociation : comme je l'ai rappelé ce matin, ce souhait se concrétisera par la présence de membres de la Haute Assemblée au sein de la délégation française à Seattle. Je tiens à réaffirmer que, ainsi qu'il l'a fait avant Seattle, le Gouvernement poursuivra après Seattle sa politique de transparence. Je serais, bien sûr, moi-même à la disposition du Parlement pour poursuivre le dialogue sur ce sujet.
Je vais maintenant essayer de répondre à un certain nombre de questions spécifiques qui ont été posées et tout d'abord sur l'agriculture.
Je partage tout à fait l'analyse de Jean-Marc Pastor et de François Marc sur le rôle spécifique de l'agriculture et sur les différentes fonctions qu'elle remplit, sur ce que nous regroupons sous le thème de « multifonctionnalité de l'agriculture ».
Comme je vous l'ai indiqué ce matin, l'idée de la multifonctionnalité synthétise bien nos objectifs. Nous considérons, en effet, que l'agriculture ne peut être, comme certains le souhaiteraient - en particulier les pays du groupe de Cairns - banalisée.
Je suis également d'accord avec vous sur la nécessité de mettre tous - je dis bien « tous » - les soutiens à l'agriculture sur la table des négociations. Cela concerne en particulier, bien sûr, en particulier les crédits à l'exportation, l'aide alimentaire, les monopoles d'Etat et d'autres formes moins transparentes de soutien aux exportations.
M. Huchon a souligné que la réforme de la PAC et l'accord de Berlin constituaient la base et le socle de la négociation pour l'Union européenne. Je veux le confirmer à MM. de Montesquiou et César : c'est bien notre position. Nous serons, comme il l'ont demandé, « attentifs et vigilants » de façon à préserver le modèle d'agriculture européen. Et j'ai bien compris que c'était aussi la préoccupation de M. François.
S'agissant de la propriété intellectuelle et des appellations d'origine, j'ai bien noté la préoccupation, exprimée en particulier par Michel Souplet et Hubert Haenel, de progresser dans le domaine des appellations d'origine. C'est aussi notre souci : cela fait partie du mandat de l'Union européenne.
Les questions laissées de côté à la fin du cycle de l'Uruguay devront être examinées plus à fond, par exemple le dépôt des brevets. Nous nous efforcerons d'apporter des modifications supplémentaires à l'accord ADPIC - accord sur des aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce - tout en étant très attentifs à ne pas ainsi remettre en cause l'acquis du cycle d'Uruguay.
J'ai bien noté, enfin, la préoccupation de M. Poniatowski sur les droits d'auteur et, de façon plus générale, sur la propriété littéraire et artistique.
J'en viens à un sujet qui nous a beaucoup occupés dans ce débat : la diversité culturelle.
Je partage totalement l'analyse selon laquelle, comme Jack Ralite l'a souligné, la culture n'est pas une marchandise comme les autres.
La France a obtenu la reconnaissance de cette réalité dans les conclusions qui ont été adoptées par le Conseil des ministres européens au mois d'octobre.
M. Haenel a affirmé ce matin que le Gouvernement français avait « reculé » en parlant maintenant de diversité culturelle au lieu d'exception culturelle. Je crois sincèrement que le Gouvernement s'est déjà clairement exprimé et expliqué sur cette question : la diversité culturelle est l'objectif visé, l'exception culturelle est le moyen d'atteindre cet objectif à l'OMC. Je vous rappelle que l'expression « exception culturelle » n'a jamais figurée en tant que telle dans les accords de Marrakech !
C'est précisément parce que nous n'avons pas fait d'offre sur l'audiovisuel dans le cadre de l'accord sur les services et que nous avons demandé des dérogations à la clause de la nation la plus favorisée dans ce secteur que nous pouvons parler d'exception.
Par conséquent, nous avons l'intention de continuer à ne pas traiter de l'audiovisuel et des politiques culturelles au sein de l'OMC, afin de préserver notre objectif qui est de sauvegarder la diversité culturelle. C'était aussi le souhait de Mme Pourtaud, qui a excellement présenté cette problématique.
Quant aux normes sociales fondamentales du travail, plusieurs orateurs, notamment M. Pelletier, qui y a consacré une part importante de son intervention, ont souligné la nécessité de les promouvoir au sein de l'OMC.
Certains - je pense à M. Haenel - semblent penser que notre détermination a faibli en ce domaine. Je puis vous assurer qu'il n'en est rien. Nous rencontrons cependant clairement une difficulté pour progresser dans cette voie : elle tient à la très forte opposition des pays en développement à toute évocation de ce thème à l'OMC. La situation était d'ailleurs, vous vous en souvenez sûrement, la même à Singapour.
Nous devons poursuivre sans relâche notre travail de persuasion vis-à-vis de ces pays pour faire valoir que nous ne visons pas, en la matière, des objectifs « néoprotectionnistes » ou protectionnistes déguisés.
En ce qui concerne le principe de précaution et l'environnement, Gérard Le Cam a insisté sur l'importance de ce principe et de sa reconnaissance dans le cadre des prochaines négociations.
Une approche de précaution est en réalité déjà possible à l'OMC dans le cadre des accords dits SPS et OTC. Néanmoins, il nous faut rechercher une reconnaissance plus générale du principe de précaution à l'OMC, ce qui peut prendre différentes formes.
Il faut également mettre l'accent sur la déclinaison et l'approfondissement de ce principe dans les enceintes appropriées - accords multilatéraux sur l'environnement, Codex alimentarius - et veiller à leur bonne articulation avec l'OMC.
Ces questions sont essentielles pour nous. Il est important également de ne pas permettre que cela se retourne contre nous et qu'une utilisation abusive du principe de précaution aboutisse, par exemple, à une remise en cause des exportations de produits fabriqués à base de lait cru.
La question de la position des Etats-Unis a été abordée à plusieurs reprises.
Vous avez soulevé, messieurs les présidents de commission ainsi que plusieurs d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, cette question compte tenu de l'absence de fast track.
Comme vous le savez, l'absence de fast track n'empêche pas juridiquement l'administration américaine de se lancer dans des négociations. C'était d'ailleurs le cas pour les deux cycles précédents ! Néanmoins, nous avons bien conscience que cette situation impose à l'administration américaine de mettre le Congrès dans les dispositions de voter le fast track le moment venu, même au détriment d'intérêts plus larges. Tel est bien le problème !
C'est pourquoi l'administration américaine adopte un discours offensif sur l'agriculture, européenne notamment. C'est pourquoi elle plaide également pour un cycle réduit au minimum et concentré sur l'accès au marché.
Nous sommes bien conscients de cette réalité. C'est pourquoi, comme je le rappelais tout à l'heure, il est hors de question de prénégocier à Seattle sur le contenu de la négociation agricole.
De même façon, nous ne serons pas en mesure d'accepter à Seattle, il faut le dire très clairement, un résultat médiocre et très en deçà de nos ambitions.
S'agissant de la question de l'adhésion de la Chine à l'OMC, plusieurs d'entre vous - M. de Villepin, M. Haenel, M. Bizet - se sont interrogés sur ses perspectives et ses conséquences. Nous ne pouvons, bien sûr, que nous féliciter de ce qui constitue une étape importante avec la signature de l'accord entre la Chine et les Etats-Unis en vue de l'adhésion chinoise à l'OMC.
Mais il s'agit maintenant que nous poursuivions, pour notre part - c'est-à-dire pour ce qui concerne l'Union européenne -, nos propres négociations bilatérales avec la Chine. Nous serons attentifs à ce que les intérêts proprement communautaires soient pris en compte dans le résultat de ces négociations, qui ne pourront de toute façon pas être conclues avant Seattle, ni à Seattle même.
La volonté de la Chine d'adhérer à l'OMC est, en tout état de cause, une réponse significative par rapport à ceux qui mettent en cause l'intérêt même pour les pays en développement d'être membre de l'OMC.
La Chine, comme elle l'avait été lors du précédent cycle, sera présente à Seattle comme observateur. La Commission européenne a cependant clairement indiqué qu'elle ne serait pas en mesure de négocier et qu'elle ne le pourrait pas avant la réunion de Seattle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais dire, en conclusion, qu'avec vous je suis conscient que les négociations du prochain cycle ne sont pas seulement un enjeu commercial mais qu'elles sont aussi un enjeu planétaire de croissance mieux partagée, comme l'a indiqué M. Pelletier en exprimant sa préoccupation envers les pays en voie de développement.
Dans ces négociations, nous devons être offensifs, fermes, sans complexe, bref, ambitieux sans naïveté, d'autant plus qu'aujourd'hui encore à Genève nous avons eu le sentiment que, décidément, nous n'avançons guère et que nous ne disposerons pas de document de travail préalable à la réunion de Seattle proprement dite.
La cohésion des positions européennes nous aidera cependant - avec la convergence des points de vue dans notre pays, qui doit nous conforter au sein de l'Europe - à ce que, dans la grande tradition de notre pays, l'universalisme et les valeurs d'humanisme soient la réponse commune à la mondialisation. (Applaudissements.)
M. le président. Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 86 et distribuée.

5

RÉPARTITION DES SIÈGES À L'ASSEMBLÉE
DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

Adoption des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 76, 1999-2000) de M. Lucien Lanier, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi organique (n° 471, 1998-1999) de M. Gaston Flosse et les membres du groupe du Rassemblement pour la République tendant à améliorer le régime électoral applicable à la formation de l'Assemblée de la Polynésie française.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d'une proposition de loi organique concernant l'Assemblée de la Polynésie française.
Déposée le 30 juin dernier sur le bureau du Sénat, ce texte comporte trois articles.
L'article 1er modifie la composition et la formation de l'Assemblée territoriale de la Polynésie française, quant au nombre et à la répartition des sièges. Il s'agit du coeur même du sujet dont nous débattons aujourd'hui.
Quant aux articles 2 et 3, ils modifient le mode de scrutin et l'âge d'éligibilité.
Pour mieux comprendre le sujet dont nous avons à débattre, il convient d'abord de rappeler que la Polynésie française est sur le point de devenir un « pays d'outre-mer », le seul jusqu'à présent si, bien entendu, le projet de loi constitutionnel, qui fut voté en termes identiques par nos deux Assemblées - et, pour le Sénat le 12 octobre dernier - est adopté par le Congrès, convoqué à Versailles le 24 janvier prochain.
En ce sens, cette proposition de loi organique vient à son heure pour prendre en compte les conséquences de la réalité démographique et géographique de ce futur pays d'outre-mer.
Rappelons également que la Polynésie française est située à 18 000 kilomètres de la métropole, au sein de 5,5 millions de kilomètres carrés d'océan, avec seulement 4 200 kilomètres carrés de terres émergées réparties en 118 îles. Elle présente une spécificité géographique évidente, à laquelle doit répondre une spécificité politico-administrative adaptée à cette immense dispersion insulaire et tenant compte de la diversité de ses composants, que la carte jointe au rapport écrit qui vous a été distribué peut aider à comprendre.
Le statut de la Polynésie française, que nous avons voté en 1996, détermine cinq archipels, constituant autant de circonscriptions électorales fort différentes démographiquement et économiquement.
Au sein de ces archipels, on dénombre quarante-huit communes : les îles du Vent comptent treize communes, dont la capitale, Papeete, à Tahiti ; les îles Sous le Vent comptent sept communes, dont la plus connue est Bora-Bora ; les îles Marquises comptent six communes, les îles Tuamotu et Gambier dix-sept et les îles Australes cinq.
La répartition des sièges de l'Assemblée territoriale a périodiquement évolué depuis sa création en 1946, en fonction des mouvements démographiques constatés au cours de ces cinquante-trois dernières années. Or les dernières modifications datent de 1985, voilà maintenant près de quinze ans, quinze ans de transformations démographiques. Un ajustement paraît donc aujourd'hui nécessaire, et même indispensable.
Les répartitions successives des sièges de l'Assemblée de la Polynésie française entre les cinq circonscriptions ont tenu compte des quatre recensements effectués respectivement en 1946, 1952, 1956 et 1983.
Dès lors, comment se présente aujourd'hui la réalité démographique ?
Les îles du Vent ont connu la plus forte poussée démographique, due en grande partie à un phénomène bien connu : l'effet d'attraction de Papeete. Ainsi, logiquement, cette circonscription a bénéficié, lors de chacune des révisions, de la plus importante augmentation de sa représentation en sièges à l'Assemblée de la Polynésie française.
En effet, en cinquante ans, sa population est passée de 29 438 à 162 686 âmes. Elle représente près des trois quarts de la population totale de la Polynésie française - environ 74 %. Le nombre de sièges de la circonscription est passé de dix à vingt-deux.
Pendant la même période, les quatre autres circonscriptions ont connu une évolution démographique plus linéaire, moins importante.
La population de la circonscription des îles Sous le Vent a plus que doublé ; elle représente 12 % de la population globale actuelle. Les sièges de la circonscription à l'Assemblée sont passés de cinq à huit.
La population de la circonscription des îles Tuamotu et Gambier a également progressé ; elle représente actuellement 7 % de la population totale. Les sièges de la circonscription ont été portés de deux à cinq, en proportion de cet accroissement.
La population des îles Australes a également augmenté, de près de deux tiers ; le nombre de sièges est ainsi passé de un à trois. Cette circonscription représente actuellement 3 % de la population totale.
Enfin, la circonscription des îles Marquises a vu sa population multipliée par 2,7, pour atteindre aujourd'hui 3,7 % du total. Ses sièges sont passés de deux à trois.
Ces statistiques, telles que résumées dans le tableau inclus dans le rapport que j'ai cité, montrent bien qu'il existe une corrélation entre le poids démographique des circonscriptions et leur représentation en sièges au sein de l'Assemblée ; mais ce lien n'est pas exactement proportionnel, pour les raisons spécifiques à la Polynésie française que j'ai précédemment indiquées, à savoir l'éloignement, l'insularité, la diversité, dont on ne peut pas ne pas tenir compte.
En tout état de cause, rien n'ayant été fait depuis 1985, un nouvel ajustement du nombre de sièges et de leur répartition au sein de l'Assemblée est nécessaire, en considération à la fois du principe constitutionnel de l'égalité des suffrages et d'une application spécifique à la Polynésie française de ce principe.
En effet, le Conseil constitutionnel a fait reposer la jurisprudence garantissant l'égalité du suffrage sur trois critères : premièrement, la prise en considération des évolutions démographiques ; deuxièmement, la prépondérance du critère démographique pour la répartition des sièges ; troisièmement, la possibilité de pondérer une telle répartition en considérant dans une mesure convenable, les impératifs d'intérêt général.
Il nous faut donc tenir compte, pour un nouvel ajustement, des deux premiers critères, traduction de la réalité institutionnelle, et du troisième, qui évitera de marginaliser la représentation en sièges à l'Assemblée des quatre circonscriptions autres que celle des îles du Vent, ce qui serait contraire à l'indispensable cohésion de la Polynésie française, qui est bien l'impératif d'intérêt général que prend en compte la jurisprudence définie par le Conseil constitutionnel.
M. Gaston Flosse. Très bien !
M. Lucien Lanier, rapporteur. C'est aussi ce à quoi tend la proposition de loi qui nous est soumise, à laquelle la commission des lois souhaite d'ailleurs apporter de raisonnables modifications.
Quelles sont ces modifications ?
Tout d'abord, un ajustement plus important de la répartition des sièges entre les cinq circonscriptions, qui fait l'objet de l'article 1er de la proposition, article essentiel, je le répète, parce qu'il traite le fond du sujet.
La circonscription des îles du Vent - essentiellement Tahiti et Papeete - regroupant 74,1 % de la population totale, se verrait attribuer 59,6 % des sièges de l'Assemblée, soit vingt-huit sièges, au lieu des vingt-deux sièges actuels.
La répartition des sièges entre les quatre autres circonscriptions demeurerait inchangée afin d'éviter leur marginalisation.
Cette modification reconnaîtrait la poussée démographique des îles du Vent. Elle aurait également pour effet de réduire l'écart maximum de représentation entre les archipels, répondant ainsi aux normes définies par le Conseil constitutionnel.
Enfin, l'augmentation de six du nombre total des sièges porterait à quarante-sept le nombre des élus de l'Assemblée, pour une population de 220 000 habitants. Cela reste très raisonnable au regard des cinquante-quatre membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie pour une population de seulement 197 000 habitants et, il faut le reconnaître, beaucoup moins dispersée que celle de la Polynésie française.
Reste le mode de scrutin, prévu à l'article 2, qui constate que la loi du 19 janvier 1999, modifiant en métropole le mode d'élection des conseillers régionaux, n'a pas été étendue, volontairement, à la Polynésie française. Le mode de scrutin pour l'élection de l'Assemblée demeure donc celui qui est prévu par la loi du 21 octobre 1952 et par l'article L. 338 du code électoral, c'est-à-dire le scrutin de liste à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. L'article 2 procède donc à une simple clarification formelle, mais il paraît dépourvu de lien réel avec le coeur du sujet, à savoir la nouvelle répartition des sièges à l'Assemblée.
En conséquence, il paraît logique de réserver ce type d'ajustement à la législation métropolitaine au débat à venir sur le futur projet de loi pour l'outre-mer.
Enfin, l'article 3 de la proposition de loi organique tend à abaisser à dix-huit ans révolus l'âge d'éligibilité à l'Assemblée de Polynésie française, actuellement fixé à vingt et un ans.
Or, le Sénat, lors de l'examen des projets de loi organique et ordinaire relatifs au cumul des mandats et des fonctions et à leurs conditions d'exercice, a, à deux reprises, repoussé les dispositions introduites par l'Assemblée nationale et tendant à abaisser à dix-huit ans l'âge d'éligibilité des maires, des conseillers généraux et régionaux, et des parlementaires. Le Sénat a préféré, en effet, ne pas traiter à la sauvette un tel sujet. Telle était également la position de la commission des lois.
Nous proposons au Sénat de maintenir cette position et, ainsi, de ne pas rouvrir ce débat à l'occasion d'une proposition qui traite essentiellement d'une nouvelle répartition des sièges à l'Assemblée de la Polynésie française entre les cinq circonscriptions électorales.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter la proposition de loi organique, mais en un seul article ainsi rédigé.
« Article unique. - L'article 1er de la loi du 21 octobre 1952, relative à la composition du Gouvernement et à la formation de l'Assemblée de la Polynésie française, est ainsi rédigé :
« Art. 1er. - L'Assemblée de la Polynésie française est composée de quarante-sept membres élus pour cinq ans et rééligibles. Elle se renouvelle intégralement.
« La Polynésie française est divisée en cinq circonscriptions électorales. Les sièges sont répartis conformément au tableau ci-après :
« Iles du Vent : 28 sièges ;
« Iles Sous le Vent : 8 sièges ;
« Iles Tuamotu et Gambier : 5 sièges ;
« Iles Marquises : 3 sièges ;
« Iles Australes : 3 sièges ;
Total : 47 sièges. »
Telles sont les conclusions soumises à l'approbation du Sénat.
M. Gaston Flosse. Très bien !
(M. Paul Girod remplace M. Jacques Valade au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président

M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée manifeste de nouveau aujourd'hui l'intérêt qu'elle porte à la Polynésie française puisqu'elle débat d'une « proposition de loi organique tendant à modifier la loi du 21 octobre 1952 pour rééquilibrer la répartition des sièges à l'Assemblée de la Polynésie française ». Cette proposition est présentée par votre rapporteur, M. Lucien Lanier, au nom de la commission des lois.
En raison - vous le savez peut-être - d'un déplacement prévu de longue date à Bruxelles, où il accompagne les élus des régions ultrapériphériques, qui rencontrent le président de la Commission, M. Prodi, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, m'a demandé de le remplacer pour ce débat.
M. Lucien Lanier a très clairement souligné les raisons qui motivent cette proposition. Je présenterai la position du Gouvernement sur ce sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'initiative de votre commission des lois, qui fait suite à une proposition de M. Gaston Flosse, a pour objet de rééquilibrer, au sein de l'Assemblée de la Polynésie française, la représentation de la circonscription électorale des îles du Vent. Cette circonscription comprend les îles de Tahiti et de Moorea.
La modification de la répartition des sièges entre les cinq circonscriptions, en particulier au profit de celle des îles du Vent, est souhaitée par tous.
Lors de son récent déplacement sur le territoire, Jean-Jack Queyranne a recueilli un large consensus sur le principe de cette réforme.
Il est en effet indispensable que la démocratie représentative s'exerce en Polynésie française dans le respect du principe consitutionnel d'égalité devant le suffrage universel tout en assurant une juste représentation des différents archipels.
Or, tel n'est pas le cas aujourd'hui.
La composition de l'Assemblée de la Polynésie française a, certes, évolué depuis 1946, année où la Polynésie française est devenue un territoire d'outre-mer. Mais cette évolution n'a pas suivi celle de la démographie.
La loi du 21 octobre 1952 avait fixé à vingt le nombre des membres de l'Assemblée territoriale.
Les îles du Vent, avec dix sièges sur vingt, disposaient de 50 % des sièges, alors que la population de cette circonscription électorale représentait 51,70 % de la population du territoire au recensement de 1946. C'était une représentation équitable.
La loi du 26 juillet 1957 a porté à trente le nombre des membres de l'Assemblée, dont seize pour les îles du Vent, soit 53,33 % des sièges, alors que la population de cette circonscription était de 54,77 % de la population totale.
Les recensements de 1962, 1971 et 1977 font apparaître une progression constante de la population des îles du Vent par rapport à la population totale : 58,89 % en 1962 ; 70,49 % en 1971 ; 73,80 % en 1977.
C'est seulement en 1985, par la loi du 18 décembre, que le nombre des conseillers a été fixé à quarante et un, dont vingt-deux aux îles du Vent, soit 53,65 % des sièges, alors que cette circonscription électorale représentait 73,80 % de la population du territoire.
La répartition est actuellement la suivante : 22 conseillers pour les îles du Vent, 8 pour les îles Sous le Vent, 3 pour les îles Australes, 3 pour les îles Marquises et 5 pour les îles Tuamotu et Gambier.
Le pourcentage de la population des îles du Vent, qui comptent 164 953 habitants, par rapport à la population totale du territoire, qui est de 223 752 habitants, est resté stable depuis la loi de 1985. En effet, il était de 73,97 % au recensement de 1988 et de 73,72 % au recensement de 1996.
Cette analyse est éclairante : la circonscription des îles du Vent a, depuis 1946, une représentation correspondant à environ la moitié des sièges de l'Assemblée territoriale, alors que son poids démographique est de 73 % de la population totale depuis plus de vingt ans.
Il existe donc un déséquilibre manifeste au détriment de la représentation de la population des îles du Vent.
Or, la nécessité de procéder à un rééquilibrage de la représentation des îles du Vent est une exigence institutionnelle. La jurisprudence du Conseil Constitutionnel est bien établie dans ce domaine : une assemblée doit être élue sur des bases essentiellement démographiques.
Le législateur peut tenir compte d'impératifs précis d'intérêt général, dans une mesure limitée, pour s'écarter d'une stricte proportionnalité entre la population et le nombre de sièges de chaque circonscription, comme en attestent les décisions n° 85-196 et 197 DC des 8 et 23 août 1985 et la décision n° 86-208 DC des 1er et 2 juillet 1986.
Toute modification doit donc tendre vers le respect d'une proportionnalité entre la population et le nombre des élus.
Dès lors que l'objectif est clairement imposé, il s'agit de déterminer les modalités d'un rééquilibrage respectant cette exigence constitutionnelle.
Deux propositions de loi organique ont été déposées.
Celle de M. Gaston Flosse vise à attribuer quatre sièges supplémentaires aux îles du Vent qui en auraient donc vingt-six. L'assemblée comprendrait alors quarante-cinq conseillers au lieu de quarante et un.
Une autre proposition de loi organique avait été déposée auparavant par M. le député Emile Vernaudon. Elle concerve le nombre total de conseillers, tout en augmentant la représentation des îles du Vent de vingt-deux à vingt-neuf élus. Elle diminue en conséquence la représentation des quatres autres circonscriptions électorales. Cette réforme permettrait de réduire très sensiblement les écarts de population constatés.
La proposition de loi organique dont nous débattons aujourd'hui est celle de M. Gaston Flosse, reprise et modifiée par le rapporteur de la commission des lois. Elle porte à vingt-huit le nombre des conseillers des îles du Vent, soit une progression de six sièges. La représentation des autres archipels n'est pas modifiée. En conséquence, l'assemblée compterait quarante-sept conseillers. La représentation des îles du Vent passerait de 53,66 % à 59,57 % des sièges pour 73,72 % de la population.
On pourrait aller plus loin vers le rééquilibrage en augmentant de façon plus significative le nombre total des sièges de l'assemblée de la Polynésie. Cela permettrait de réduire encore plus nettement les écarts entre les moyennes des ciconscriptions et la moyenne territoriale.
Il importe en effet de concilier la nécessité de rééquilibrer la représentation des îles du Vent sans pénaliser celle des archipels éloignés, sous prétexte qu'ils sont plus faiblement peuplés.
Il convient en effet de tenir compte de la très grande diversité de ce territoire, qui s'étend, sur une superficie égale à celle de l'Europe, d'Oslo pour les Marquises à Bucarest pour les Gambier.
Les distances entre le chef-lieu du territoire et les archipels sont considérables. C'est ainsi que l'île la plus au sud de la circonscription des Australes, Rapa, est située à 1 200 kilomètres de Tahiti, que l'archipel des Gambier est éloigné de 1 700 kilomètres et que l'île de Ua Pou aux Marquises est à 1 500 kilomètres.
La possibilité reconnue par le Conseil constitutionnel de prendre en compte des impératifs précis d'intérêt général va dans le sens d'une représentation des archipels éloignés.
Cette prise en compte d'une géographie et d'un peuplement que l'on ne rencontre que dans le Pacifique se justifie d'autant plus que la population de certains archipels, ceux des îles Sous le Vent et des îles Tuamotu et Gambier, connaît aujourd'hui une forte augmentation en raison du développement de l'activité touristique et perlière notamment.
La loi du 5 février 1994 d'orientation pour le développement économique, social et culturel de la Polynésie française a pour objectif un développement mieux équilibré. Diminuer la représentation des archipels irait à l'encontre de cette volonté de rééquilibrage.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la modification de la composition de l'assemblée de la Polynésie française est aujourd'hui indispensable après de très longues années de statu quo.
Après ces observations qui portent sur le fond du texte, je ferai une remarque sur la forme de la proposition.
Pour procéder à une modification de la répartition des sièges de conseiller à l'assemblée de la Polynésie française, il est nécessaire d'utiliser la voie législative organique comme cela vous est proposé. En effet, l'article 74, deuxième alinéa de la Constitution, dispose que « les statuts des territoires d'outre-mer sont fixés par des lois organiques qui définissent, notamment, les compétences de leurs institutions propres, et modifiés dans la même forme après consultation de l'assemblée territoriale intéressée ».
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 avril 1996, a précisé qu'ont un caractère organique « les dispositions qui définissent les compétences des institutions propres du territoire, les règles d'organisation et de fonctionnement de ces institutions... ». Tel est bien le cas de la répartition des sièges de l'assemblée territoriale entre les circonscriptions.
La consultation de l'assemblée de la polynésie française est également obligatoire. Le Conseil constitutionnel sera automatiquement saisi du texte, après son adoption par les deux assemblées. Il appréciera si la délibération de l'assemblée de la Polynésie française du 27 mai 1999 vaut consultation pour l'article unique de la proposition de la commission des lois.
Le voeu contenu dans cette délibération précise que la modification de l'article 1er de la loi du 23 octobre 1952 qui pourrait être proposée devrait « respecter le découpage et la répartition des sièges actuels à l'exception de la circonscription des îles du Vent ».
La proposition qui vous est présentée est conforme à cet objectif, même s'il existe une différence entre le voeu et la proposition en ce qui concerne le nombre des sièges des îles du Vent, vingt-six au lieu de vingt-huit, et le nombre total des sièges de l'assemblée, quarante-cinq au lieu de quarante-sept.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'actuelle assemblée de la Polynésie française a été élue pour cinq ans le 12 mai 1996, Son mandat se terminera donc en 2001. Le Gouvernement estime très souhaitable que la réforme sur la répartition des sièges au sein de l'assemblée puisse s'appliquer dès cette échéance électorale.
Il s'en remet à la sagesse du Sénat sur la proposition de votre rapporteur, mais il estime que le nombre de conseillers territoriaux doit être augmenté de manière significative.
Si aucune des propositions de loi organique déposées n'était votée rapidement, le Gouvernement ferait une proposition de rééquilibrage dans le projet de loi organique statutaire qui devrait être déposé au printemps prochain, après l'adoption du projet de loi constitutionnelle par le Parlement, convoqué par le Président de la République en Congrès le 24 janvier 2000.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs les indications que le Gouvernement vous livre sur la base de la proposition de loi organique soumise à la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Flosse.
M. Gaston Flosse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre rapporteur vous a présenté de manière remarquable, comme à l'accoutumée, l'objet, les raisons et les modalités de notre proposition de loi. Celle-ci, comme vous le savez, fait écho à un voeu émis par l'assemblée de la Polynésie française, qui a souhaité explicitement une modification dans la représentation des cinq circonscriptions électorales existant en Polynésie.
Dans chacune de ces circonscriptions, le régime électoral est le scrutin de la liste à la représentation proportionnelle. Les îles du Vent élisent vingt-deux conseillers, les îles Sous le Vent huit, les îles Tuamotu et Gambier cinq, les Marquises et les Australes trois chacune.
L'assemblée de la Polynésie française a souhaité que le nombre de conseillers dans la circonscription des îles du Vent soit augmenté sans modification de la représentation dans les autres circonscriptions.
Nous partageons ce point de vue et c'est ce que je souhaite vous expliquer.
Tout d'abord, je voudrais évoquer le cas des deux circonscriptions les plus isolées, celle des Australes, distante de quelque 800 kilomètres de Tahiti, et celle des Marquises, près de deux fois plus éloignée.
Peut-on imaginer de réduire une représentation qui n'est déjà que de trois élus pour chacun de ces archipels ? Trois élus sur quarante et un conseillers à l'assemblée de Polynésie ! Quelle personne sensée peut vouloir réduire ce nombre à deux, sauf si son objectif est de bâillonner l'expression de leur population ?
Je pense, mes chers collègues, que ce n'est pas dans notre assemblée qu'une telle proposition pourrait voir le jour !
Mais il est vrai qu'une application brutale de la proportionnalité démographique devrait conduire à une réduction du nombre d'élus de ces archipels.
Fort heureusement, nous le savons bien ici, la démographie n'est pas le seul critère retenu par le Conseil constitutionnel lorsqu'il a à connaître de lois de répartition électorale. Le critère géographique, auquel le secrétaire d'Etat à l'outre-mer a d'ailleurs fait explicitement référence lors de son audition par la commission des lois, constitue, particulièrement pour la Polynésie française, un élément essentiel à prendre en compte.
Ce critère s'applique pour les Marquises et les Australes, mais également pour les îles Tuamotu et Gambier, dispersées sur environ 2 millions de kilomètres carrés, près de quatre fois la superficie de la France, et représentées par cinq conseillers à l'assemblée.
Pour cette seule raison, je n'imagine pas que l'on puisse réduire le nombre de conseillers de cet archipel, mais ce n'est pas la seule.
En effet, la démographie s'inscrit dans une évolution dont je vais maintenant vous parler et qui modifie les conclusions que l'on peut tirer d'une simple photographie de la situation.
L'histoire démographique récente de la Polynésie française se décompose en trois phases.
La première, de 1946 jusqu'au recensement de 1956, c'est-à-dire avant l'installation du centre d'expérimentations nucléaires, se caractérise par une relative stagnation dans la répartition de la population.
La deuxième est celle des contre-coups de « l'économie du nucléaire ». L'émigration des archipels vers Tahiti, faible jusque-là, s'accélère, et la population des îles du Vent passe, de 1956 à 1988, de 58 % à 74 % de la population totale, celle des îles Sous le Vent de 20,2 % à 11,7 %, celle des Tuamotu et Gambier de 13,3 % à 6,5 %, celle des Marquises de 5,4 % à 3,8 % et celle des Australes de 5,4 % à 3,4 %.
Or, bien que cette période ait été caractérisée par des mouvements démographiques considérables, le législateur n'a pas choisi de modifier la représentation des circonscriptions, comme l'indiquait M. Lemoine lors des débats devant notre assemblée en 1985.
La loi du 12 décembre 1985, en effet, ne changeait pas la proportion fixée par la loi du 26 juillet 1957. C'est ainsi que les îles du Vent restaient au même niveau de représentation au sein de l'assemblée de la Polynésie française, soit 53 %, alors qu'elles constituaient 74 % de la population.
Alors, mes chers collègues, devons-nous corriger intégralement aujourd'hui ce que la loi de 1985 n'a pas cru devoir faire, au risque d'étouffer la voix des archipels ? Je le pense d'autant moins que l'évolution démographique n'est désormais plus la même.
Lorsque les élections de 1991 ont porté au pouvoir le gouvernement que j'ai l'honneur de diriger en Polynésie française, un de nos soucis prioritaires, outre l'indispensable redressement économique et financier qu'il fallait conduire, a été de rééquilibrer le développement en faveur des archipels. Le pacte de progrès lancé dès la fin de 1991, concrétisé par la loi d'orientation et confirmé par le programme stratégique pour la Polynésie française, a donc prévu dans tous les domaines un effort d'équipement sans précédent et des incitations financières et fiscales au retour dans les îles.
Les efforts d'équipement se sont manifestés notamment par les nouveaux aérodromes nécessaires au désenclavement, l'amélioration des routes et des quais, une politique de logement social spécifique aux archipels, la généralisation des télécommunications et de la télévision, l'implantation de collèges et de lycées dans les îles les plus importantes.
Les ressources économiques ont été développées, comme la perliculture, essentiellement dans les îles Tuamotu et Gambier, la pêche, l'agriculture et le tourisme, en particulier au travers d'une petite hôtellerie familiale dont la croissance a été extrêmement rapide.
Ces efforts ont commencé à porter leurs fruits, et l'évolution démographique s'est infléchie. Du recensement de 1988 à celui de 1996, le poids des îles du Vent a légèrement diminué, celui des îles Sous le Vent est passé de 11,7 % à 12,2 %, celui des Tuamotu et Gambier, de 6,5 % à 7 %. Seuls ceux des Australes et des Marquises ont stagné. Mais les considérables travaux entrepris dans ces deux derniers archipels et le début d'essor touristique que connaissent les Marquises changent désormais cette situation.
Il me semble ainsi que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui concilie tous les impératifs que nous devons avoir présents à l'esprit.
En augmentant de six conseillers - c'est-à-dire deux de plus que ce qu'avait souhaité l'assemblée de la Polynésie française - la représentation des îles du Vent, elle la rééquilibre sans excès coûteux et, rendant compte des évolutions passées, elle n'injurie pas l'avenir.
Mon groupe votera donc la proposition qui nous est présentée par notre commission des lois et je souhaite que tous nos collègues s'y associent, sans esprit partisan. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher ami rapporteur, chers collègues, à l'occasion de la séance mensuelle réservée, la majorité sénatoriale a décidé d'inscrire la proposition de loi organique déposée sur le bureau du Sénat le 30 juin dernier par notre excellent collègue M. Gaston Flosse dont l'initiative parlementaire, au demeurant fort légitime, tend essentiellement à ajuster la répartition des sièges attachés à chacune des circonscriptions électorales afin d'améliorer le régime électoral applicable à la formation de l'assemblée de la Polynésie française.
Par la voix de son rapporteur, notre excellent collègue M. Lucien Lanier, que je tiens à féliciter pour la qualité du rapport qu'il nous a présenté, la commission des lois a reconnu le bien-fondé de cette initiative parlementaire tant il est vrai que la répartition actuelle des sièges ne correspond plus ni à la spécificité polynésienne au regard de sa dispersion géographique, de l'immensité de son territoire et de la démographie de chacun des archipels, ni au strict respect du principe constitutionnel de l'égalité du suffrage, principe constamment rappelé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et applicable sur l'ensemble du territoire de la République.
Cette proposition de loi organique vient à son heure, a dit, à l'instant, notre excellent rapporteur. Pour ma part, je dirai qu'elle est prématurée et inadaptée.
Elle est prématurée, parce qu'elle aurait dû être débattue après l'adoption de la réforme constitutionnelle par le Congrès qui se réunira le 24 janvier 2000, précisément lors de la discussion des projets de loi organique et ordinaire relatifs au statut d'autonomie renforcée de la Polynésie française.
Je suis d'ailleurs étonné que notre rapporteur adopte cette démarche pour l'article 2 de cette proposition de loi organique en réservant l'examen de cet article, à la discussion du futur projet de loi relatif au statut de la Polynésie et qu'il ne le fasse pas pour le dispositif qui se trouve au coeur de la proposition de loi dont nous débattons ce jour.
Enfin, je tiens à préciser que le respect du délai d'un an fixé par la loi de 1992 s'impose, cher ami rapporteur, autant pour la répartition des sièges que pour le mode de scrutin.
Les réformes électorales ne sont pas des réformes mineures. Et, à l'instar de ce qui a été accompli pour la Nouvelle-Calédonie, il aurait été bon d'ouvrir une vaste concertation avec les autorités territoriales et les principales forces vives du fenua, du territoire en langage polynésien, comme l'engagement en a été pris.
J'ai encore quelques souvenirs de merveilleux séjours accomplis en compagnie de M. Lucien Lanier en Polynésie, voilà quelques années !
La représentativité de la future assemblée polynésienne mérite que l'on se donne le juste temps de la concertation.
Pour la complète information du Sénat, je me dois de rappeler que la proposition de M. Gaston Flosse n'est que la reprise d'un voeu adopté par l'assemblée du territoire. Cette proposition de loi organique apparaît comme la réponse, en tout cas le contrepoint de celle qui a été déposée en mars 1999 à l'Assemblée nationale par M. Emile Vernaudon, député, sur laquelle je reviendrai.
Cette proposition de loi est inadaptée, car elle ne correspond pas aux critères retenus par la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat. Le rapport rappelle celle-ci à la page 9 : « L'organe délibérant d'une commune de la République doit être élu sur des bases essentiellement démographiques résultant d'un recensement récent ». Pour la Polynésie, il s'agit du recensement de 1996. Il est en outre précisé que les considérations tenant compte d'autres impératifs d'intérêt général ne peuvent cependant intervenir que dans une mesure limitée.
A l'aune de ces critères, le juge constitutionnel vérifie que « les écarts de représentation entre les secteurs selon l'importance de leur population telle qu'elle ressort du dernier recensement ne sont ni manifestement injustifiables ni disproportionnés de manière excessive ».
Sans m'attarder sur le recensement de 1999, dont nous connaîtrons les résultats dans quelques semaines, je considère que l'augmentation du nombre de sièges pour les îles du Vent demeure disproportionnée et, dans mon esprit, beaucoup trop faible au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La Polynésie française constitue un territoire éclaté sur 118 îles ou îlots dans cinq archipels. Ces archipels sont dispersés sur une superficie comparable à celle de l'Europe, et on imagine aisément les difficultés de toutes natures - M. Gaston Flosse a eu raison de les rappeler - qui en découlent pour la vie quotidienne de nos compatriotes polynésiens et, surtout, pour leurs représentants à l'assemblée du territoire.
A cette dispersion géographique naturelle s'ajoute une caractéristique de nature démographique puisque, si la population s'accroît rapidement, elle se concentre essentiellement dans les îles du Vent, singulièrement sur Tahiti, accentuant les disparités démographiques entre les archipels.
Etendue du territoire, dispersion géographique, disparité démographique constituent, entre autres, la spécificité, voire l'exception polynésienne.
Ces éléments particuliers avaient déjà justifié, en 1985, l'augmentation du nombre de conseillers à l'assemblée du territoire de trente à quarante et un, soit onze sièges de plus, ce qui n'avait pas paru excessif.
La situation a encore évolué en l'espace de quinze ans. Force est de reconnaître que la répartition des sièges actuellement en vigueur ne respecte plus le principe de l'égalité des suffrages rappelé par le juge constitutionnel. Il était donc légitime que nos deux collègues parlementaires polynésiens, MM. Emile Vernaudon et Gaston Flosse, cherchent à établir une représentation plus juste et plus équitable de chacun des archipels au sein de la future assemblée du pays d'outre-mer que deviendra dans quelques semaines la Polynésie française.
L'inconvénient, à mes yeux, est que le respect du principe d'égalité est relégué au second plan tant il est évident que la priorité est accordée à la préférence que d'aucuns qualifieront de partisane quand d'autres parleront de l'avantage politique que l'on peut en tirer.
Si la proposition de M. Emile Vernaudon paraît plus satisfaisante en ce qu'elle respecte davantage les critères établis par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, elle minore et sous-représente gravement - j'insiste sur ce mot - les archipels des Marquises, des Tuamotu et Gambier, des Australes et des îles Sous le Vent.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Guy Allouche. Et c'est là que le bât blesse.
M. Jean-Jacques Hyest. Et voilà !
M. Guy Allouche. La spécificité polynésienne commande - j'insiste sur ce terme - de ne pas toucher à la représentation actuelle de ces archipels.
M. Gaston Flosse. Bravo !
M. Lucien Lanier, rapporteur. Très bien !
M. Guy Allouche. Mais cette proposition procède de l'analyse politique de notre collègue député. Sans pour autant la partager, loin s'en faut, je reconnais qu'elle répond à une logique politique respectable.
La proposition de répartition des sièges de notre collègue sénateur procède d'une autre finalité politique. Si louable soit-il, cher Gaston Flosse, l'argument selon lequel toute forte augmentation du nombre des sièges entraînerait des dépenses importantes ne résiste pas à une analyse sérieuse car, s'il y a des économies de gestion à réaliser - et je suis persuadé qu'il y a des gisements d'économies à exploiter - ce ne doit pas être au détriment du respect de l'égalité des suffrages, qui a valeur constitutionnelle. Votre crainte d'installer une assemblée délibérante pléthorique ne saurait vous conduire à restreindre la juste représentativité de cette dernière.
En vérité, la logique politique de M. Gaston Flosse est plus subtile ; je n'étonnerai personne en disant cela. Dans un système proportionnel à la plus forte moyenne, plus on limite l'augmentation du nombre de sièges, plus on élève le quotient électoral et plus on réduit la représentation des minorités.
C'est là la subtilité politique de M. Flosse !
M. Gaston Flosse. Mais pas du tout !
M. Guy Allouche. Cette modalité en apparence de technique électorale n'est rien d'autre qu'un moyen légal de contenir la poussée de l'opposition polynésienne. C'est en tout cas l'analyse que je fais.
M. Jean-Jacques Hyest. Vous avez l'esprit un peu compliqué !
M. Guy Allouche. Vous pouvez contester cette analyse, monsieur Hyest, mais au fond de vous-même je vous entends dire que, après tout, ce n'est pas tout à fait faux. (Sourires.)
M. Alain Joyandet. Ce qui est redoutable, c'est qu'il le dit avec le sourire !
M. Guy Allouche. Bien sûr, monsieur Joyandet. Entre nous, nous parlons librement et cordialement !
Mes chers collègues, l'outre-mer connaît une évolution institutionnelle et politique sans précédent grâce à l'approche volontariste et pragmatique du gouvernement de Lionel Jospin. La Polynésie française s'inscrit naturellement dans cette évolution, son avenir a besoin d'un regard nouveau. L'autonomie renforcée va de pair avec le respect du pluralisme et la nécessaire mise en place de contre-pouvoirs. L'analyse montre qu'une démocratie renforcée, harmonieuse passe par une juste et équitable représentation des populations de chaque archipel au sein de la future assemblée polynésienne, dont les pouvoirs seront accrus en raison des compétences transférées et de sa capacité de voter prochainement des « lois de pays » soumises au contrôle direct du Conseil constitutionnel.
La correction apportée par notre rapporteur, M. Lucien Lanier, qui reconnaît explicitement que la proposition de loi de M. Flosse est insuffisante, ne répond toujours pas aux critères établis par la jurisprudence du juge constitutionnel, qui s'applique - est-il besoin de le rappeler ? - sur l'ensemble du territoire de la République. L'application de ces critères conduit à affecter à l'archipel des îles du Vent trente-six sièges et non pas vingt-huit, soit quatorze sièges de plus par rapport à la situation actuelle, ce qui aboutirait à une assemblée de cinquante-cinq membres pour une population de 220 000 habitants. Ce n'est pas excessif.
Je vous rappelle, pour mémoire, que le congrès de la Nouvelle-Calédonie compte cinquante-quatre sièges et trois circonscriptions pour une population de 196 000 habitants et que la Corse, avec son statut particulier, dispose de cinquante-quatre sièges et une seule circonscription pour 230 000 habitants.
Monsieur le rapporteur, je vous sais gré d'avoir rappelé les résultats du recensement de 1996. Vous mettez l'accent sur le fait que les îles du Vent, Papeete et Tahiti, représentent 75 % de la population, comme nous l'avons constaté.
M. Gaston Flosse. Exactement 74 % !
M. Guy Allouche. Je vous le concède !
La simple logique arithmétique devrait conduire à attribuer au moins les trois quarts des sièges,...
M. Lucien Lanier, rapporteur. En métropole, oui !
M. Guy Allouche. ... mais, pour tenir compte de cette spécificité polynésienne, ma proposition visant à affecter trente-six sièges est en deçà de cette logique, dont l'application tendrait à aller jusqu'à quarante-deux sièges.
Par ailleurs, je rejoins tout à fait Gaston Flosse, qui recommande de ne pas modifier les autres archipels, lesquels représentent un quart de la population et conserveront, avec ma proposition visant à affecter trente-six sièges, plus d'un tiers des sièges.
Ils seront donc surreprésentés par rapport aux îles du Vent.
Dois-je vous dire, mes chers collègues, qu'une erreur matérielle m'a empêché de déposer, dans les délais impartis par la conférence des présidents, un amendement que j'aurais souhaité présenter pour aller jusqu'à trente-six sièges. Aussi, je lance presque une supplique à notre collègue rapporteur, M. Lucien Lanier, et je lui demande de reprendre cette modification à son compte, au nom de la commission, comme il en a le pouvoir, afin que le juge constitutionnel considère que nous avons respecté sa jurisprudence.
Notre volonté, la vôtre comme la nôtre, en la circonstance, est en effet d'être constructifs. Ce n'est pas parce que le Sénat aura voté une proposition de loi organique de l'un des siens - et je ne peux que m'en féliciter - que ce texte aura automatiquement force de loi. Avant même le contrôle de droit par le Conseil constitutionnel de cette proposition de loi organique, ma conviction profonde est que, si le Sénat vote ce que propose notre rapporteur au nom de la commission des lois, nos collègues députés ne nous suivront pas.
Or je souhaite qu'ils nous suivent. C'est la raison pour laquelle je vous demande de tenir compte de cette jurisprudence et de ses critères. Si nos collègues députés ne nous suivent pas, ce n'est pas parce que ce texte vient du Sénat ; c'est parce qu'ils vont mettre l'accent sur le non-respect de la jurisprudence du juge constitutionnel. Aussi, j'insiste pour que la commission des lois, par la voix de son rapporteur, tienne compte des remarques positives que je formule.
Le groupe socialiste, au nom duquel j'ai l'honneur de m'exprimer, n'est animé que par un seul souci, mes chers collègues : favoriser la réussite de l'autonomie renforcée de la Polynésie française et son avenir économique, son avenir social, son avenir culturel, maintenir et accroître dans les meilleures conditions cette cohésion politique dans ce pays d'outre-mer que sera la Polynésie dans quelques semaines.
Aussi, mes chers collègues, notre vote final tiendra-t-il compte des réponses que, peut-être, le Gouvernement apportera à ma déclaration. J'attends avec intérêt la réponse que délivrera notre rapporteur, au nom de la commission des lois, à l'appel de l'article unique de la proposition de loi organique, avec l'espoir que mes remarques seront prises en considérations (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le rapporteur et M. Flosse applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.

Article unique

M. le président. « Article unique. - L'article 1er de la loi n° 52-1175 du 21 octobre 1952 relative à la composition et à la formation de l'Assemblée de la Polynésie française est ainsi rédigé :

« Art. 1er. - L'Assemblée de la Polynésie française est composée de quarante-sept membres élus pour cinq ans et rééligibles. Elle se renouvelle intégralement.
« La Polynésie française est divisée en cinq circonscriptions électorales. Les sièges sont répartis conformément au tableau ci-après :
Désignation des circonscriptions et nombre de sièges :
« Iles du Vent 28
« Iles-Sous-le-Vent 8
« Iles Tuamotu et Gambier 5
« Iles Marquises 3
« Iles Australes 3

« Total 47
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. L'article unique, qui est la seule proposition que la commission des lois soumet à la Haute Assemblée, me permet de répondre à la fois à notre collègue M. Allouche et à M. le ministre.
Monsieur Allouche, j'ai applaudi...
M. Guy Allouche. J'ai remarqué !
M. Lucien Lanier, rapporteur. ... votre péroraison parce qu'au fond, en vous écoutant, je me suis aperçu que nous étions d'accord.
Nous le serions même pleinement si vous ne commettiez une profonde erreur sur votre façon d'appréhender la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà !
M. Lucien Lanier, rapporteur. En effet, vous extrapolez la décision du Conseil constitutionnel, vous la précédez, vous la lui dictez presque, ce qui n'est pas tout à fait l'usage ! De plus, vous pensez que le Conseil constitutionnel appliquera précisément sa jurisprudence comme en métropole.
Je tiens à vous rappeler qu'il y a trois critères, non seulement les deux premiers sur lesquels vous vous appuyez, mais également un troisième, qui est précisément l'intérêt général. C'est ce critère que vous avez parfaitement développé dans le début de votre discours, dans la mesure où vous avez montré l'insularité, la dispersion des îles,...
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Lucien Lanier, rapporteur. ... l'éloignement de ces archipels perdus au milieu d'une immensité de mer, car le Pacifique n'a aucun rapport avec le lac de Genève ou simplement le bassin du Luxembourg !
M. Jean-Jacques Hyest. Même la Méditerranée !
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je pense par conséquent que vous commettez une erreur d'appréciation de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et je vais vous dire pourquoi.
Compte tenu de ce qui a été développé, par vous comme par moi, en parfait accord, d'ailleurs, sur la spécificité de la Polynésie française, la seule variable d'ajustement est la modification de la répartition des sièges entre les cinq circonscriptions naturelles telles qu'elles existent. Lors de la dernière réunion de la commission des lois, vous aviez dit que, peut-être, cinq circonscriptions n'étaient pas tout à fait ce qu'il fallait, vous référant à la Nouvelle-Calédonie, mais, aujourd'hui, vous ne les avez pas remises en cause.
L'essentiel est de ne pas marginaliser - vous l'avez vous-même soutenu avec force - les archipels autres que ceux des îles du Vent, c'est-à-dire les Marquises, les Tuamotu, les Gambier et les îles Australes. Il faut donc maintenir la cohésion de l'ensemble polynésien, et, le Conseil constitutionnel ne pourra pas ne pas prendre en compte cette cohésion de l'ensemble polynésien en appliquant systématiquement les deux premiers critères de la jurisprudence. Il existe une spécificité géographique - vous l'avez encore mieux dit que moi - qui nous a véritablement surpris, nous qui ne connaissions pas, ou qui connaissions mal, la Polynésie quand nous nous y rendîmes.
Effectivement, je suis tout à fait conscient que le Conseil constitutionnel sera saisi automatiquement, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi organique, et j'en suis heureux. En effet, cela lui permettra peut-être d'appliquer sa jurisprudence en fonction des critères qu'il a lui-même définis, en fonction, en tout cas, du troisième.
Enfin, s'agissant des écarts de représentation - je réponds en même temps à M. le secrétaire d'Etat - je tiens à dire que la répartition proposée permet pratiquement de revenir à l'écart maximal qui avait été accepté par le Parlement en 1985 pour la Polynésie française, c'est-à-dire un rapport de 2,66 entre les îles du Vent et les îles Australes, qui est l'archipel ayant connu la plus faible progression démographique.
Cette répartition permet également de réduire à moins de 2 l'écart de représentation entre, d'une part, les îles du Vent et les îles Sous le Vent et, d'autre part, les îles du Vent et les îles Tuamotu et Gambier. Or la décision du Conseil constitutionnel concernant la Nouvelle-Calédonie a censuré un découpage consacrant un écart de représentation supérieur à 2 entre la région de Nouméa et chacune des trois autres régions. Nous respectons donc parfaitement les normes implicitement définies dans cette décision du Conseil constitutionnel.
Enfin, le Conseil constitutionnel en la matière n'exerce qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation et n'a jamais fixé de critères arithmétiques. Laissons-lui donc le soin de définir - il est mieux à même que nous de le faire - la jurisprudence qui doit être suivie.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez déclaré que la solution du problème qui est, pour moi, urgent peut attendre l'examen du nouveau statut. Mais je crains que l'adoption définitive de ce dernier ne risque d'intervenir trop tard compte tenu de la prochaine échéance électorale fixée à mai 2001.
C'est la raison pour laquelle vous avez été soutenu par notre éminent collègue M. Allouche, mais je demande instamment au Gouvernement, au nom de la commission des lois, d'inscrire la proposition de loi organique à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Vous avez eu tort, monsieur Allouche, de dire qu'en tout état de cause l'Assemblée nationale ne prendra pas en compte l'urgence de cette affaire. Ce n'est pas à vous de dicter à l'Assemblée nationale ce qu'elle doit faire ou de brandir une majorité absolue qui ne répondra peut-être pas à votre voeu.
L'intérêt général veut que cette affaire soit traitée le plus rapidement possible et que l'on n'attende pas, pour en constater les résultats, qu'il soit trop tard pour les élections de 2001.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article unique de la proposition de loi.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Les remarques de notre excellent rapporteur m'amènent à apporter les précisions suivantes.
Tout d'abord, je n'ai pas dit qu'il fallait toucher aux archipels autres que les îles du Vent. J'ai même précisé qu'avec ma proposition ces archipels continueraient à être bien représentés puisque, au regard de leur population, leur représentation irait au-delà des critères du juge constitutionnel. De même, monsieur le rapporteur, je n'ai jamais dit, en commission, qu'il fallait revenir sur les cinq circonscriptions ; elles existent, on les maintient.
Je suis sénateur et j'essaie de tenir simplement ma place : je n'ai aucune injonction à adresser au Conseil constitutionnel ni à nos collègues députés.
Je ne sais pas ce que ceux-ci décideront mais puisque c'est aujourd'hui le ministre des relations avec le Parlement qui est au banc du Gouvernement, en remplacement de M. Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, je suis tenté de lui demander de faire en sorte que cette proposition de loi soit très rapidement inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il y a en effet des délais à respecter, et je souhaite que nos compatriotes polynésiens soient très vite fixés sur la façon dont ils doivent préparer les prochaines élections territoriales, afin qu'ils puissent prendre leurs dispositions. N'oublions pas que, le 24 janvier prochain, nous allons presque unanimement, du moins je l'espère, engager la Polynésie dans un processus nouveau.
C'est parce que je souhaite que les choses aillent vite et que nos collègues députés ne s'arrêtent pas trop sur les critères, que je demande la prise en compte de ma suggestion. Si nos collègues députés refusaient, nous reviendrions à la case départ et nous prendrions du retard.
La logique arithmétique voudrait que l'on aille jusqu'à quarante-deux sièges, mais ce n'est pas ce que je propose. Ce que je propose, c'est qu'on s'en tienne à un nombre acceptable par tous, à savoir trente-six sièges.
Je le répète, en l'occurrence, le souci du groupe socialiste du Sénat est de voir tout cela aboutir rapidement, de façon que nos compatriotes polynésiens, notamment Gaston Flosse, avec l'ensemble de l'équipe qui l'entoure sur place, disposent enfin d'un texte pour préparer les prochaines échéances. Cependant, je crains que l'Assemblée nationale ne refuse de nous suivre dans notre proposition.
J'ai cru comprendre que M. le rapporteur n'était pas prêt à accéder au souhait que j'avais formulé. Toutefois, dans la mesure où le groupe socialiste ne saurait s'opposer à cette réactualisation du nombre de sièges, je l'indique dès à présent pour ne pas avoir à reprendre la parole, nous nous abstiendrons sur l'ensemble de la proposition de loi.
M. Gaston Flosse. C'est bien !
M. Guy Allouche. Nous nous abstiendrons, et la navette fera son travail.
M. Gaston Flosse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Flosse.
M. Gaston Flosse. Nous avons suivi avec beaucoup d'intérêt la démonstration de Guy Allouche, démonstration dans laquelle notre collègue a repris les termes de la proposition de loi de M. Vernaudon. J'espère toutefois que la démarche de M. Allouche n'est pas la même que celle de M. Vernaudon, lequel a déclaré publiquement que, s'il demandait la modification de la répartition des membres de l'Assemblée de Polynésie française, c'était, pour l'opposition au sein de l'Assemblée de la Polynésie française, le seul moyen de battre Gaston Flosse aux prochaines élections.
L'objectif de M. Vernaudon était donc purement politicien. J'espère que mon ami Guy Allouche ne suit pas cette même logique.
M. Guy Allouche. Non, non, non, trois fois non !
M. Gaston Flosse. Je vous remercie, monsieur Allouche.
Cependant, lorsqu'on examine les chiffres que propose de retenir M. Vernaudon et ceux que vous avancez, on arrive à peu près aux mêmes conclusions.
M. Vernaudon, dans sa proposition, enlevait sept sièges aux archipels et les « transférait » aux îles du Vent. M. Allouche, qui connaît bien la Polynésie française et qui est un fin politique, dit qu'il serait malvenu de supprimer des sièges au titre de la représentation des archipels, mais il veut augmenter la représentation des îles du Vent de quatorze sièges, ce qui, en pratique, revient au même.
Bien sûr, dans toute sa démonstration, Guy Allouche n'évoque que le critère démographique, parlant de logique mathématique. Mais il n'y a pas que cela ! Il y a aussi le critère géographique et, d'une manière générale, l'aspect humain du problème. Si l'on accordait trente-six conseillers aux îles du Vent et seulement dix-neuf aux archipels, monsieur Allouche, on écraserait les archipels, on les ferait complètement disparaître !
Je pense que la proposition du rapporteur est celle qui tient vraiment compte de l'intérêt général et celui des archipels, sans négliger pour autant, bien sûr, le critère démographique. J'espère donc que mon collègue et ami Guy Allouche interviendra auprès de ses amis de l'Assemblée nationale, où il a sûrement beaucoup d'influence, pour que la proposition de loi organique soit adoptée dans les termes que va sans doute approuver le Sénat dans quelques instants. En tout cas, je remercie le groupe socialiste de son abstention, quand bien même j'aurais préféré qu'il vote dans le même sens que nous.
M. Michel Duffour. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Notre groupe ne prendra pas part au vote.
Nous estimons en effet, nous aussi, que ce débat est prématuré. Cette attitude ne résulte pas d'une analyse des propositions faites par M. Flosse. Nous pensons simplement qu'une décision sur une nouvelle répartition des sièges au sein de l'Assemblée territoriale de la Polynésie française ne devrait être prise qu'après un débat approfondi, tel celui que nous aurons sur les nouveaux statuts du territoire.
M. le rapporteur a fait état des positions du Conseil constitutionnel et, à n'en pas douter, il convient de prendre en compte la spécificité de la Polynésie française. Cependant, la décision récente du Conseil constitutionnel sur la Nouvelle-Calédonie nous a malheureusement montré qu'il lui arrivait de prendre bien peu en compte l'environnement dans lequel s'inscrivaient des décisions.
C'est bien pourquoi nous pensons qu'un débat approfondi sur le futur statut aurait été le bienvenu en préalable à notre discussion d'aujourd'hui.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je souhaite simplement que ce débat, qui n'est pas prématuré, puisse rester empreint de la totale sérénité qui sied au travail du législateur.

Intitulé

M. le président. La commission des lois propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi organique : « Proposition de loi organique tendant à modifier la loi n° 52-1175 du 21 octobre 1952 pour rééquilibrer la répartition des sièges à l'Assemblée de la Polynésie française. »
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 16:

Nombre de votants 304
Nombre de suffrages exprimés 221
Majorité absolue des suffrages 112
Pour l'adoption 221

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du RPR.)

6

INTERDICTION DES CANDIDATURES
MULTIPLES AUX ÉLECTIONS CANTONALES

Adoption des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 62, 1999-2000) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur :
- la proposition de loi (n° 465, 1997-1998) de M. Bernard Joly visant à généraliser l'interdiction des candidatures multiples aux élections ;
- la proposition de loi (n° 482, 1997-1998) de MM. Philippe Marini, Louis Althapé, Jean Bernard, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Charles Ceccaldi-Raynaud, Gérard César, Désiré Debavalaere, Daniel Eckenspieller, Bernard Fournier, Alain Gérard, François Gerbaud, Daniel Goulet, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Bernard Hugo, Roger Husson, Edmond Lauret, Guy Lemaire, Maurice Lombard, Paul Masson, Jacques de Menou, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Victor Reux, Roger Rigaudière, Jean-Pierre Schosteck, Martial Taugourdeau et Alain Vasselle portant diverses dispositions relatives aux élections municipales cantonales et législatives ;
- la proposition de loi (n° 493, 1997-1998) de M. Michel Dreyfus-Schmidt et des membres du groupe socialiste et apparentés tendant à interdire les candidatures multiples aux élections cantonales ;
- la proposition de loi (n° 494, 1997-1998) de M. Michel Dreyfus-Schmidt et des membres du groupe socialiste et apparentés relative à l'élection des députés et à l'élection des conseillers généraux ;
- la proposition de loi (n° 548, 1997-1998) de MM. Georges Gruillot, Jean Bizet, Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Gérard César, Désiré Debavalaere, Jacques Delong, Christian Demuynck, Charles Descours, Michel Doublet, Bernard Fournier, Philippe de Gaulle, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Daniel Goulet, Bernard Hugo, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André Jourdain, Jean-François Le Grand, Pierre Martin, Paul Masson, Jacques de Menou, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Roger Rigaudière, Jean-Pierre Schosteck et Martial Taugourdeau relative aux conditions d'éligibilité des candidats aux élections cantonales et aux déclarations de candidatures au deuxième tour des élections cantonales et législatives.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les propositions de loi dont nous sommes saisis témoignent toutes de l'ingéniosité de leurs auteurs pour offrir des solutions de nature à corriger ce qu'ils estiment être soit des lacunes, soit des défectuosités du code électoral.
Toutes ont trait aux conditions de présentation des différents scrutins. Hormis celle de M. Pelletier, que j'évoquerai tout à l'heure et qui est applicable à l'un et à l'autre tour, trois concernent le premier tour et trois le second.
J'aborderai d'abord les trois propositions qui ont trait au premier tour.
Notre excellent collègue Bernard Joly a, le premier, - rendons à César ce qui appartient à César ! - levé le lièvre de la fâcheuse possibilité laissée à des candidats aux élections cantonales de se présenter dans plusieurs cantons. Il a, le 11 juin 1998, déposé une proposition tendant à mettre fin à de telles pratiques.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le 2 juin 1998, et non le 11 juin !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Le 2 juin, en effet.
Il ne s'en est d'ailleurs pas tenu là puisqu'il a, d'un même mouvement, proposé d'étendre non seulement aux cantonales mais également aux municipales, dans les communes de moins de 3 500 habitants, l'interdiction des candidatures multiples.
Il a en même temps souhaité instituer des peines d'amende en cas d'infraction à cette interdiction.
Il ambitionne enfin de rendre inéligibles les membres non renouvelables d'une assemblée lors d'un renouvellement partiel ou d'une élection partielle de cette assemblée.
Une autre proposition, ciblée, elle, sur le seul scrutin départemental, émane de M. Dreyfus-Schmidt et des membres de son groupe.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Proposition en date du 11 juin 1998 !
M. Christian Bonnet, rapporteur. En effet !
Elle vise à étendre aux élections cantonales l'interdiction de candidatures multiples.
Concernant également le premier tour, une troisième proposition, qui date de juillet 1998, est le fruit des réflexions de M. Georges Gruillot et de plusieurs de ses collègues. Outre l'objet précédemment évoqué, elle vise à exiger d'un candidat aux élections cantonales qu'il soit domicilié ou inscrit au rôle des contributions directes dans le canton où il se présente.
Pour ce qui est des propositions relatives au second tour, nous y retrouverons deux des protagonistes déjà nommés, MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Georges Gruillot, mais aussi M. Philippe Marini.
M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres de son groupe souhaitent que soit instituée, s'agissant des élections tant législatives que cantonales, la limitation à un seul tour lorsque le candidat arrivé en seconde position se retire et que le troisième ne remplit pas les conditions de seuil voulues pour participer au second.
M. Georges Gruillot, qui n'est pas à court d'idées, estime, quant à lui, que, pour les élections cantonales, seuls pourraient se maintenir les deux candidats arrivés en tête après retrait éventuel d'un candidat plus favorisé, avec suppression du seuil de 10 % des inscrits, et que, pour les élections législatives, la même règle serait adoptée, avec maintien toutefois du seuil de 12,5 % des inscrits.
M. Philippe Marini, enfin, porte à 15 % des inscrits le seuil de recevabilité des candidatures au second tour pour les législatives, les cantonales et les municipales, avec la possibilité, pour le candidat arrivé en troisième position, de se maintenir si l'un des deux premiers se retire. Il émet aussi le voeu que soit portée de 5 % des suffrages exprimés à 10 % des inscrits la possibilité pour une liste de fusionner avec d'autres.
J'ai la certitude que vous m'avez tous suivi sans peine dans ce dédale. (Sourires.)
Les trois premiers textes ont un caractère relativement technique. En revanche, les trois autres relèvent d'une ambition plus vaste et ils aboutiraient, s'ils étaient retenus, à ébranler, sur des points majeurs, l'architecture même du code électoral. Aussi vous inviterai-je à les aborder de manière différente.
Interdire aux cantonales, comme elles le sont aux législatives, les candidatures multiples me semble, comme à nos excellents collègues Bernard Joly, Michel Dreyfus-Schmidt et Georges Gruillot, de nature à combler une lacune du code électoral. Je vous proposerai donc l'adoption de cette mesure, d'autant que, si elles ne sont pas nombreuses, ces candidatures sont en augmentation depuis l'ouverture à un financement public des élections dans les cantons de plus de 9 000 habitants.
Pour illustrer ce propos, sachez qu'en 1998, sur 3 850 cantons renouvelables, on a pu constater vingt-neuf fois deux candidatures, huit fois de trois à cinq candidatures, six fois douze candidatures et une fois vingt-huit candidatures.
Pour autant, je ne suis partisan ni d'exiger une domiciliation au canton, car le conseiller général est l'élu d'un département, ni d'étendre cette mesure aux communes de moins de 3 500 habitants, ne serait-ce que parce que les candidatures n'y sont pas enregistrées, ni de rendre inéligibles les membres non renouvelables d'une assemblée lors d'une élection partielle, ni d'étendre aux cantonales les peines d'amende prévues aux articles L. 169 à L. 171 du code électoral pour les législatives.
L'approche pour les textes relatifs aux conditions d'organisation du second tour sera différente. Il est vrai qu'à la différence de celles qui concernent le premier tour, et tout en posant quelques problèmes non négligeables, elle aboutirait, au détour des propositions n'ayant fait l'objet d'aucune réflexion des formations politiques ni d'aucune concertation avec le Gouvernement, dans une matière où la sensibilité est toujours très vive, et à l'approche d'une succession d'échéances électorales importantes, à modifier assez sensiblement l'architecture du code électoral.
J'ajouterai que la pluralité des formules contenues dans les propositions en cause rend délicate la possibilité de se prononcer en toute clarté sur un ensemble cohérent.
De surcroît, si chacune de ces formules a sa vertu propre, chacune suscite aussi quelques interrogations.
La proposition de M. Dreyfus-Schmidt d'éviter un second tour aux législatives comme aux cantonales paraît, de prime abord, séduisante.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le premier mouvement est le bon !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Mais est-il vraiment nécessaire de légiférer à la marge puisque le cas visé par notre collègue n'a intéressé que 32 cantons sur 3 856 renouvelables en 1998, 1 513 cantons ayant fait l'objet d'un second tour ?
De surcroît, les conditions suivantes devraient être réunies : un seul candidat a satisfait à la condition du seuil, celui qui est arrivé en deuxième position ne se maintient pas et le troisième n'est pas autorisé à se maintenir par le code électoral.
Autrement dit, le résultat des élections dépendrait moins du vote des électeurs que de la décision d'un candidat, sans préjudice du fait qu'il faudrait attendre le mercredi suivant le premier tour à zéro heure une au moins - pour les élections législatives, cela nous conduirait vraisemblablement à une heure sensiblement plus avancée de la nuit - pour prononcer l'élection, et tous les marchandages deviendraient alors possibles.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas du tout !
M. Christian Bonnet, rapporteur. A titre d'exemple, un candidat pourrait se maintenir, mais ne pas faire campagne et ne pas remettre de bulletin de vote à son nom le jour du second tour. Pour utiliser un qualificatif dont on use beaucoup aujourd'hui, il y aurait, en quelque sorte, un candidat « fictif ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est déjà le cas !
M. Christian Bonnet, rapporteur. La proposition de M. Gruillot est, elle, extrêmement ambitieuse ; elle vise essentiellement à appliquer aux élections législatives et cantonales la formule de l'élection présidentielle : seuls pourraient se maintenir les deux candidats arrivés en tête, éventuellement après le retrait de candidats plus favorisés.
Il y aurait, toutefois, une petite complication, à savoir que le seuil exigé pour les cantonales - 10 % des inscrits - serait supprimé, mais celui des législatives - 12,5 % des inscrits - serait maintenu.
Certes, on écarterait toute triangulaire, mais il s'agirait là d'une réforme fondamentale, qui plus est, fondée sur une expérience limitée à six scrutins présidentiels, ce qui rend délicate toute appréciation sur ce que pourraient être les conséquences d'une telle transposition.
Tout aussi fondamentale serait l'innovation proposée par M. Marini : elle tend à harmoniser, en les portant à 15 % des électeurs inscrits, les seuils, tant pour les législatives que pour les cantonales et les municipales, et à relever de 5 % des suffrages exprimés à 10 % des inscrits le minimum requis pour une fusion des listes dans les communes de plus de 3 500 habitants.
On observera que, sur ce point, la tendance actuelle ne va pas dans ce sens, même s'il est permis de le déplorer. En effet, pour les élections régionales récentes, quand le Gouvernement souhaitait 10 % des suffrages exprimés pour le maintien de la liste, finalement, l'Assemblée nationale a fait prévaloir 5 %, et, quand le Gouvernement souhaitait 5 % des suffrages exprimés pour une fusion de listes en vue du second tour, l'Assemblée nationale a fait prévaloir 3 %.
En conclusion, votre rapporteur vous propose un dispositif simple, clair et qui comble une lacune évidente du code électoral : l'extension de l'interdiction des candidatures multiples aux cantonales, comme le proposent MM. Joly, Dreyfus-Schmidt et Gruillot.
Je me dois d'ajouter que, saisie par MM. Mercier et Trégouët d'un sous-amendement à un amendement sur lequel elle avait émis un avis défavorable, la commission vient de décider de reprendre ce sous-amendement à son compte, car elle est parfaitement consciente qu'il s'agit d'un problème qui appelle une solution. Nous pourrons certainement évoquer de nouveau cette question lorsque l'article 2 viendra en discussion.
En revanche, la commission ne se sent pas en mesure de se hasarder à retenir, s'agissant du second tour, une proposition plutôt qu'une autre, car elles soulèvent toutes une question fondamentale qui nécessite une réflexion au sein des formations politiques et une concertation avec le Gouvernement (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la commission des lois a examiné cinq propositions de loi en matière électorale portant sur la présentation des candidatures à différents scrutins.
Je souhaite vous indiquer d'emblée que le Gouvernement a apprécié le sérieux du travail de la commission des lois et est disposé à se rallier à la position exprimée par M. Christian Bonnet.
Les propositions de loi de MM. Dreyfus-Schmidt et Joly tendent, toutes les deux, à mettre fin à la possibilité de présenter des candidatures multiples aux élections cantonales.
Le code électoral interdit aujourd'hui les candidatures multiples à toutes les élections, sauf aux élections cantonales et aux élections municipales dans les communes de moins de 3 500 habitants. Dans les petites communes, il n'y a pas d'interdiction possible, puisqu'il n'y a pas d'acte de candidature formel et obligatoire. Il reste donc le cas des élections cantonales.
Il faut bien dire que, jusqu'à ces dernières années, ces différences de traitement entre scrutins pour les dépôts de candidature n'ont pas posé de véritable problème. Comme la simple symétrie des dispositions du code électoral entre les différents scrutins ne justifie pas, à elle seule, de légiférer, le Gouvernement n'aurait pas été favorable à une évolution de la législation en la matière si des éléments nouveaux n'étaient pas intervenus dans la période récente.
Le premier de ces éléments est le financement public des campagnes électorales. Depuis 1990, les candidats aux élections cantonales dans les cantons de 9 000 habitants et plus peuvent recevoir des dons, déductibles des revenus des donateurs, et doivent rendre un compte de campagne. Depuis la loi du 19 janvier 1995, les dépenses électorales de ces mêmes candidats font l'objet d'un remboursement forfaitaire par l'Etat égal à 50 % du plafond prévu par la loi.
Par ailleurs, la même loi de 1995 a supprimé l'obligation de déposer un cautionnement lors du dépôt des candidatures aux différents scrutins, y compris aux élections cantonales.
Cette évolution législative va dans le sens d'une grande facilité accordée aux candidats et justifie, pour maintenir le sérieux des candidatures, l'adoption de mesures complémentaires interdisant les candidatures multiples.
C'est d'autant plus vrai que l'on a assisté, lors des dernières élections cantonales, à des initiatives individuelles dont le développement pourrait avoir des conséquences fâcheuses : on a ainsi constaté des dépôts de candidatures simultanées d'une seule personne dans tous les cantons renouvelables d'un même département ou même des dépôts de candidature de la même personne dans deux départements. Au total, quarante-trois personnes se sont présentées dans plusieurs cantons en 1998 et ces candidatures ont concerné deux cent vingt et un cantons.
Le trouble reste limité, mais les nouvelles règles de financement pourraient encourager le développement de tels comportements, qui sont de nature à générer la confusion.
La démocratie n'est pas la loterie : il ne suffit pas de jouer un grand nombre de fois pour augmenter ses chances. Mais le fait que certains candidats adoptent ce comportement est de nature à brouiller les enjeux de l'élection et à troubler les électeurs.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est favorable à l'interdiction des candidatures multiples aux élections cantonales comme aux autres élections.
Au point de vue technique, le dispositif proposé par la commission des lois me paraît très satisfaisant. Les candidatures multiples seront, comme pour les autres élections, détectées lors de l'enregistrement des candidatures à la préfecture. Les préfets refuseront l'enregistrement de la candidature d'une personne qui s'est déjà présentée dans un autre canton. Les traitements informatiques des candidatures permettront d'informer les préfets en cas de dépôt d'une même candidature dans plusieurs départements, comme cela est d'ores et déjà le cas pour les élections législatives.
C'est donc, en définitive, une amélioration qui est apportée au code électoral par le texte en discussion.
S'agissant de l'article 2, qui évoque une difficulté réelle à l'occasion de certaines fusions de cantons, je m'exprimerai tout à l'heure, lors de l'examen des articles.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dirai tout d'abord quelques mots sur la procédure.
Lorsqu'un sénateur dépose une proposition de loi grâce à la « niche parlementaire » créée par la réforme constitutionnelle, il peut espérer que le Sénat sera appelé à se prononcer sur ce texte, même, d'ailleurs, s'il appartient à la minorité. Le bureau du Sénat a, en effet, considéré qu'il était normal que, de temps à autre, une proposition de loi présentée par des sénateurs minoritaires puisse venir en discussion dans le cadre de cette « niche » parlementaire », comme nous l'appelons.
En vérité, la commission des lois nous fait aujourd'hui, qu'on me passe le mauvais jeu de mots, une « niche », car le Sénat va se prononcer non pas sur les propositions de loi que nous sommes plusieurs à avoir présentées, mais sur les conclusions de la commission des lois.
M. le président. C'est le règlement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Effectivement ! Je souligne, précisément, cette anomalie du règlement : le Sénat se trouve ainsi privé de la possibilité de se prononcer sur les propositions de loi qui ont été retenues pour figurer à l'ordre du jour. Il est vrai que cela fait bien longtemps ; certains disent qu'elles viennent en discussion un peu tard et qu'il va y avoir beaucoup d'élections. Je précise que, lorsque l'on a parlé de la proposition de loi du 2 juin, celle de Bernard Joly, et de la proposition du 11 juin, celle du groupe socialiste - dont je suis le premier signataire - on a omis de dire qu'il s'agissait du mois de juin 1998 !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Et juillet 1998 pour M. Gruillot. C'est comme la grippe, une véritable contagion ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien sûr, car c'était immédiatement après des élections cantonales qui avaient attiré notre attention ; je vais y revenir dans un instant.
Reste que, en l'état actuel des choses, je me sens frustré, car je n'ai même pas à essayer de convaincre le Sénat du bien-fondé de l'une des deux propositions de loi dont je suis le premier signataire, puisque le Sénat, en tout état de cause, n'aura pas à se prononcer sur elles.
Monsieur le président, je pense qu'une modification du règlement serait à cet égard la bienvenue car, autrement, il y a un déséquilibre par rapport à la situation qui prévaut à l'Assemblée nationale.
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, il vous est toujours possible de déposer une proposition de résolution en ce sens, créant une chapelle dans la niche ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je vous remercie, mais vous le voyez, j'ai déjà tellement de mal à obtenir qu'une de mes propositions vienne en discussion que je préférerais que ce soit le bureau qui se saisisse de cette question. C'est d'ailleurs pourquoi j'attire particulièrement votre attention, monsieur le président, sur cette anomalie.
Je me contenterai donc d'explications sur les deux propositions de loi n°s 493 et 494.
En ce qui concerne la première, effectivement, lors des élections cantonales, notamment en Haute-Saône, on a vu un même candidat se présenter à la fois à Belfort-Nord et à Lure-Nord. J'ai trouvé cela anormal et cela m'a amené à déposer une proposition de loi toute simple prévoyant, puisque, en général, les candidatures multiples sont interdites, de les interdire en la matière.
M. le rapporteur nous disait que les cas de ce genre étaient peu nombreux, mais, nous venons de le voir, il y en a de plus en plus et, de toute façon, n'y aurait-il qu'un cas que cela demeurerait choquant.
J'avais pensé que la même idée était venue à notre collègue M. Joly pour la même raison. En fait, un autre candidat s'était présenté dans deux cantons de la Haute-Saône.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Deux fois deux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Donc, notre attention avait été attirée par les mêmes élections.
Mes chers collègues, nous l'avons échappé belle. Il était temps qu'un vote intervienne. On ne voit pas pourquoi, en effet, tel leader de tel ou tel mouvement n'irait pas déposer sa candidature dans tous les coins de France !
Il faut rappeler tout de même que, si les candidatures multiples ont été interdites aux législatives dès le siècle dernier, c'était contre le général Boulanger, qui, précisément, usait de cette possibilité pour les législatives. On l'a donc échappé belle !
Quoi qu'il en soit, il n'est jamais trop tard pour bien faire et je suis heureux de constater que la commission et le Gouvernement sont d'accord sur ce point.
Permettez-moi également deux mots d'explication sur la seconde proposition de loi, qui ne sera pas soumise au vote du Sénat, mais qui résultait, elle aussi, d'une observation de bon sens. Lorsqu'on lit dans la presse les comptes rendus d'élection pour constater que M. Untel est élu avec 100 % des voix et d'ailleurs, généralement, avec un nombre de suffrages très maigre par rapport à celui des électeurs inscrits, on se dit que c'est ridicule. Et c'est ridicule, d'une part, parce que cela coûte cher, - outre les frais de campagne, on mobilise beaucoup de monde, non seulement les élus pour les bureaux de vote, mais aussi les personnels pour organiser ces bureaux de vote, et tout cela pour rien, puisque l'on est sûr que le seul candidat sera élu - d'autre part, parce que ceux qui tiennent à faire leur devoir électoral doivent se déplacer et peuvent en être gênés.
Bref, la solution la plus simple n'était pas, à mon avis, de changer les règles ni de dire que le troisième pourrait se présenter si le deuxième ne se présentait pas ou de modifier les taux, non, il s'agissait simplement de considérer que, dès lors qu'il n'y a plus qu'un seul candidat, il n'y a pas de raison de ne pas le déclarer élu d'autant que, bien souvent, il le sera finalement avec plus de voix au premier tour qu'il n'en aurait obtenu au second...
Que m'oppose-t-on à cela ? Je regrette de ne pas avoir eu l'occasion d'en discuter plus longtemps avec vous, monsieur le rapporteur, mais vous me répondez que cela n'empêcherait pas, dans certains cas, le candidat arrivé en seconde position de déposer sa candidature, mais sans faire campagne. Ce serait vraiment marginal. Rien n'empêche, aujourd'hui, que cela se produise !
Or, dans les trente-deux cas concernant les cantonales de 1998 et dans les douze cas concernant les législatives de 1997 que vous citez dans votre rapport, y en a-t-il un seul comme celui-là ? Je ne crois pas. Or c'était d'ores et déjà possible.
Vous avez parlé de manoeuvre. Je ne vois pas de quelle manoeuvre il s'agit. Si quelqu'un veut déposer sa candidature et ne pas la soutenir, tant pis ! Il sera candidat tout de même, et il y aura peut-être des électeurs pour voter pour lui. Mais les cas les plus fréquents, ceux qui sont choquants, ce sont ceux où il n'y a plus qu'un seul candidat pour faire campagne !
La solution que nous proposions nous paraissait aussi simple que l'oeuf de Colomb. La commission ne l'a pas considérée, le Sénat ne peut pas en délibérer aujourd'hui, mais, faites-moi confiance, il aura à le faire ! (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er

M. le président. « Art. 1er. - Après le troisième alinéa de l'article L. 210-1 du code électoral, il est inséré deux nouveaux alinéas ainsi rédigés :

« Nul ne peut être candidat dans plus d'un canton.
« Si le candidat fait, contrairement aux prescriptions de l'alinéa précédent, acte de candidature dans plusieurs cantons, sa candidature n'est pas enregistrée. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article additionnel après l'article 1er

M. le président. Par amendement n° 1, M. de Broissia propose d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :

« I. - L'article L. 191 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 191. - Chaque canton du département élit un membre du conseil général ainsi qu'un suppléant appelé à le remplacer en cas de décès ou de nomination à des fonctions incompatibles. »
« II. - Après le premier alinéa de l'article L. 210-1 du code électoral, il est inséré trois alinéas ainsi rédigés :
« Cette déclaration doit également indiquer les nom, prénoms, date et lieu de naissance, domicile et profession de la personne appelée à remplacer le candidat élu en cas de vacance de siège. Elle doit être accompagnée de l'acceptation écrite du remplaçant ; celui-ci doit remplir les conditions d'éligibilité exigées des candidats.
« Nul ne peut figurer en qualité de remplaçant sur plusieurs déclarations de candidatures.
« Nul ne peut être à la fois candidat et remplaçant de candidat. »
« III. - Au premier alinéa de l'article L. 221 du code électoral, le mot "décès", est supprimé.
« IV. - Dans le même alinéa, les mots : ", L. 209 et L. 210" sont remplacés par les mots : "et L. 209". »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 2, présenté par MM. Michel Mercier et Trégouët, et tendant à compléter le texte présenté par le I de l'amendement n° 1 pour l'article L. 191 du code électoral par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu'un nouveau canton est créé par la fusion de deux cantons et que les anciens cantons n'appartiennent pas à la même série de renouvellement, nonobstant ce fait il est procédé à une élection ouverte à tous les candidats afin de pourvoir le siège du nouveau canton.
« Le conseiller général de l'ancien canton non renouvelable, s'il n'est pas élu au siège du nouveau canton, achève son mandat jusqu'à son terme légal. »
La parole est à M. de Broissia, pour présenter l'amendement n° 1.
M. Louis de Broissia. Je n'aurai sans doute pas le talent oratoire de notre collègue M. Michel Dreyfus-Schmidt pour défendre les procédures qui ne permettent pas aux parlementaires de profiter des niches que la réforme voulue par M. Séguin puis adoptée par le Congrès nous a permis d'ouvrir. En tout état de cause, moi, en tant que sénateur, je m'installe dans la « niche » que m'offre aujourd'hui la discussion d'une proposition de loi relative à la réforme du mode électoral des conseillers généraux et j'en profite, je ne le cache pas, pour « ressortir » une proposition, que j'avais déposée il y a fort longtemps - il y a dix ou onze ans - sur le bureau d'une autre assemblée. Tout le monde me disait à l'époque, et tout le monde me dit depuis qu'elle était excellente. Mais il n'y avait toujours pas de « niche » ! La niche étant aujourd'hui ouverte, je m'y installe allègrement pour convaincre mes collègues de l'intérêt de cette proposition, même si la commission a pu, pour des raisons que je comprends fort bien, considérer qu'elle ne s'inscrivait pas dans la logique de la discussion d'aujourd'hui.
M. le rapporteur l'a dit, il y a des lacunes et des imperfections dans le code électoral. L'une d'elles est de taille : en dehors du Président de la République, un seul élu dans la République, un seul, le conseiller général, ne bénéficie ni d'un remplaçant ni d'un suppléant. Pour le Président de la République, c'est par référendum que le peuple français a tranché : il n'a pas de suppléant et il n'y a pas de vice-président de la République. En cas de décès, l'intérim est assuré par le président du Sénat.
Le maire, dans un conseil municipal, a des adjoints et, lorsqu'il est empêché, on sait bien, dans nos communes, lui trouver un successeur.
De même, le conseiller régional a un remplaçant automatique, puisque c'est le suivant de liste. Le député a un suppléant élu, le sénateur aussi ; j'ai eu le bonheur d'être élu sénateur voilà un an et j'ai une suppléante qui a été élue au titre d'un « ticket ». Enfin, le député européen a un remplaçant automatique.
Seul donc le conseiller général - je ne le compare pas au Président de la République - n'a aucun suppléant désigné.
Je pense qu'il est temps de corriger cette bizarrerie de notre code électoral. J'ai donc suggéré que, à l'occasion des renouvellements, chaque conseiller général puisse faire équipe avec un suppléant, de telle sorte que la continuité soit assurée : si un conseiller général décède, il est alors automatiquement remplacé.
Le mandat de conseiller général est important et on a pu constater, dans de nombreux conseils généraux, les difficultés auxquelles donne lieu la situation législative actuelle. Au moment où l'on veut renouveler la démocratie locale - et je crois profondément au statut du conseiller général élu par une population et par un territoire qui se reconnaissent en lui - il est temps de modifier le code électoral.
Je ne sais pas si le Sénat retiendra cette proposition. Elle me semble cependant s'inscrire tout à fait dans la logique de cette niche parlementaire. Je suis donc tout à fait déterminé à faire en sorte que, à cette occasion ou à une autre à venir, cette anomalie extrêmement ancienne soit corrigée.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour présenter le sous-amendement n° 2.
M. Michel Mercier. M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur ayant bien voulu reprendre à leur compte, dans l'article 2, ce sous-amendement, je n'ai plus qu'à le retirer, me réservant de parler sur l'article 2.
M. le président. Le sous-amendement n° 2 est retiré.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 1 ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je n'aurai pas l'hypocrisie de dire à notre excellent collègue M. Louis de Broissia, comme tous ceux qui lui ont fait cet honneur par le passé, combien sa proposition est intéressante. C'est que la commission des lois est d'un avis quelque peu différent.
Nous vivons en effet sous la « dictature » des instituts de sondage et il n'est pas mauvais que, de temps à autre, il y ait un coup de sonde grandeur réelle !
Au demeurant, on nous raconte parfois que les taux de participation pour les élections cantonales partielles sont faibles, ce qui est très exact dans les cantons urbains. Il en va tout autrement dans les cantons ruraux et je ne voudrais pas omettre quelques pourcentages de nature à vous éclairer sur l'intérêt que les électeurs portent encore à des élections partielles.
Les élections cantonales partielles qui se sont déroulées entre octobre 1998 et octobre 1999 ont permis de constater des taux de participation élevés, avec 82,8 % à Montredon-Labessonnié, dans le Tarn, 81,6 % à Noroy-le-Bourg, en Haute-Saône, 72,6 % à Lunas, dans l'Hérault, 68,2 % au Russey, dans le Doubs, 67,4 % à Nesle, dans la Somme, 66,5 % à Génolhac, dans le Gard et, il y a dix jours, à Sainte-Geneviève-sur-Argence, dans l'Aveyron, 75,6 % au second tour.
La commission des lois estime qu'il est intéressant de pouvoir disposer d'un sondage d'opinion en grandeur réelle tout au long d'une année, à l'occasion d'élections cantonales partielles. L'avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. L'institution de suppléants a été prévue pour les députés et les sénateurs notamment en raison de l'incompatibilité édictée par l'article 23 de la Constitution entre les fonctions de membre du Gouvernement et l'exercice d'un mandat parlementaire. Or aucune disposition homologue n'empêche un conseiller général de cumuler son mandat avec des fonctions au sein de l'exécutif du département.
Par ailleurs, la création d'un suppléant du conseiller général n'irait pas sans inconvénients. Outre qu'elle est étrangère à une tradition républicaine plus que séculaire, ce qui, pour moi, n'est pas déterminant en raison de la volonté de réforme de ce gouvernement, elle ne manquerait pas de porter atteinte au lien personnel très fort qui existe, en particulier dans les cantons ruraux, entre les électeurs et le conseiller général qu'ils ont désigné.
La réforme proposée n'aurait pas toutes les vertus que lui prête l'auteur de l'amendement en termes d'économies d'élections partielles, car le nombre de celles-ci ayant lieu pour cause de décès représente sensiblement moins de la moitié des élections cantonales partielles. En effet, les vacances provoquées par des démissions consécutives à une option en cas de cumul prohibé des mandats ne doivent pas permettre au suppléant de succéder au titulaire du mandat, contrairement à ce que prévoit l'amendement. Un tel système permettrait en effet à une personnalité connue de se faire élire dans le seul but de mettre en place un « homme - ou une femme - de paille », sans audience réelle, en contournant la législation limitant le cumul des mandats, ce qui constituerait une tromperie à l'égard des électeurs.
Telles sont quelques-unes des raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comme vient de le dire M. le ministre, l'institution de suppléants a effectivement été prévue pour les députés et les sénateurs notamment en raison de l'incompatibilité édictée par l'article 23 de la Constitution entre les fonctions de membre du Gouvernement et l'exercice d'un mandat parlementaire.
En vérité, on pourrait s'interroger sur l'objet de cette incompatibilité. C'est bien évidemment pour que l'exécutif supérieur puisse tenir ses ministres, puisque quand on n'est plus ministre, on n'est plus non plus député ou sénateur. Si M. de Broissia nous proposait une réforme constitutionnelle tendant à supprimer les suppléants pour les parlementaires, je le suivrais. En revanche, je ne puis accepter la création de suppléants pour les conseillers généraux. Aussi, je voterai contre l'amendement.
M. Louis de Broissia. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia. Je ne suis absolument pas convaincu par la démonstration de M. le ministre. En revanche, je suis beaucoup plus intéressé par l'argumentation de la commission.
La démonstration du Gouvernement est d'une grande faiblesse. En effet, si l'on invoque, comme l'a fait M. le ministre, une tradition multiséculaire, alors il ne faut rien changer. Dans ces conditions, quel est le rôle du législateur ? En l'occurrence, nous sommes réunis pour corriger - je reprends les propos de M. le rapporteur - les lacunes et les défectuosités du code électoral. Aussi, ce premier argument du Gouvernement ne doit pas être retenu.
Par ailleurs, et cela m'a choqué, je ne vous le cache pas, monsieur le ministre, vous avez parlé d'homme ou de femme de paille. Cela n'est pas correct.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pour les cantons ruraux ! (Sourires.)
M. Louis de Broissia. Ainsi, chaque fois qu'une personne a un suppléant, ce serait un homme ou une femme de paille. Cela me gêne quelque peu. Je veux bien croire qu'un tel abus de langage est dû à la discussion parlementaire et je vous pardonne. Votre propos dénature l'esprit même de ma proposition.
Compte tenu de ma longue expérience de député, je puis vous dire que le lien entre le député et ses électeurs dans une circonscription limitée n'est pas affaibli par l'existence d'un suppléant. En mathématiques, c'est ce que l'on appelle une démonstration par l'absurde. Aussi, je ne peux l'admettre.
Comme je l'ai déjà dit, je suis beaucoup plus intéressé par l'argumentation de la commission. En effet, force est de reconnaître que les élections cantonales partielles sont un baromètre de la démocratie locale. Toutefois, monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous le dire, vous vous êtes contredit vous-même. En effet, vous avez affirmé qu'il faut se méfier des sondages mais vous avez ajouté que les élections cantonales partielles sont des sondages. Or, convenons-en, il s'agit de sondages très aléatoires puisqu'ils tiennent à la mortalité des conseillers généraux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela peut arriver !
M. Louis de Broissia. Certes.
Selon moi, ce dispositif correspond à une anomalie de la démocratie. C'est dans cet esprit que j'ai déposé cet amendement. Il ne s'agit pas de désigner un homme de paille.
Monsieur le ministre, actuellement a lieu le congrès de l'Association des maires de France. On va chercher des candidats pour les prochaines élections. Dans des cantons ruraux il faudra préparer des candidats longtemps à l'avance, car ils devront effectivement assumer leurs responsabilités. Je suis persuadé qu'être suppléant est une bonne préparation pour exercer ces responsabilités, comme être adjoint est une excellente préparation à la fonction de maire, et j'en sais quelque chose.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut un suppléant pour le maire !
(M. Gérard Larcher remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. Alain Joyandet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Je ne sais pas si notre collègue M. Louis de Broissia maintiendra son amendement, mais la discussion à laquelle ce dernier a donné lieu est intéressante. Cependant, nous sommes quelque peu gênés, malgré l'avis de la commission et celui que le ministre a émis. En effet, je ne suis absolument pas convaincu par les arguments que j'ai entendus.
Monsieur le rapporteur, tout à l'heure, vous nous avez fait l'honneur de citer le département de la Haute-Saône, que M. Joly, le premier cosignataire de la proposition de loi, et moi-même représentons dans cette enceinte. Dans ce département, le conseil général comprend seize élus de la majorité et seize élus de l'opposition. L'élection partielle à laquelle vous avez fait allusion tout à l'heure était due non pas à un décès mais à une invalidation. Compte tenu de la date à laquelle est intervenue celle-ci, le conseil général de notre département a été présidé pendant plusieurs mois par un président d'âge. Ce dernier a assuré l'exécutif de ce département alors qu'il était politiquement minoritaire. Voilà la situation absurde dans laquelle nous nous sommes trouvés.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comment peut-on être minoritaire avec seize élus de la majorité et seize élus de l'opposition ?
M. Alain Joyandet. Seize moins un puisque l'invalidé appartenait à sa tendance.
Pendant les trois mois qui se sont écoulés jusqu'à l'élection du nouveau conseiller général, nous avons eu un président qui a assuré l'exécutif, qui a pris quotidiennement des décisions alors qu'il était politiquement minoritaire.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Cela vaut mieux que d'en signer depuis sa prison !
M. Alain Joyandet. En tout cas, il s'agit d'un véritable problème. C'est pourquoi l'instauration de suppléants me semble une bonne idée. On y avait d'ailleurs déjà pensé depuis un certain temps.
Vous avez parlé d'homme de paille, monsieur le ministre. Or, qu'avons-nous constaté ces derniers temps ? Certaines têtes de liste, dans des grandes villes, n'ont pas été maires dans les heures qui ont suivi l'élection. De même, toutes les têtes de liste des dernières élections européennes ne siègent pas au Parlement européen. Un certain nombre y siègent, d'autres y ont renoncé ou ne s'y rendent jamais. Dans un certain nombre d'élections à la proportionnelle, les têtes de liste - et c'est un véritable problème - ne siègent pas. Ces deux arguments ne sont absolument pas convaincants.
Monsieur de Broissia, si vous retiriez votre amendement, cela nous arrangerait beaucoup. En effet, il est difficile de voter contre cet amendement et contre la commission. Je le répète : le problème que vous avez soulevé a conduit à une discussion très intéressante.
M. Philippe Adnot. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Je suivrai la commission. En effet, ce sujet n'a jamais posé de problème. Lorsque quelque chose ne pose pas de problème, il ne faut pas y toucher !
M. le président. Monsieur de Broissia, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Louis de Broissia. Non, monsieur le président, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.

Article 2

M. le président. « Art. 2. - L'article L. 192 est complété par deux nouveaux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsqu'un nouveau canton est créé par la fusion de deux cantons et que les anciens cantons n'appartiennent pas à la même série de renouvellement, nonobstant ce fait il est procédé à une élection ouverte à tous les candidats afin de pourvoir le siège du nouveau canton.
« Le conseiller général de l'ancien canton non renouvelable, s'il n'est pas élu au siège du nouveau canton, achève son mandat jusqu'à son terme légal. »
Sur l'article, la parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Je voudrais tout d'abord remercier la commission et M. le rapporteur d'avoir repris le sous-amendement que M. Trégouët et moi-même avions déposé. Ils permettront, je l'espère, à ce texte d'arriver à la vie juridique.
Le problème auquel nous souhaitons apporter une solution est complexe. Avec votre permission, monsieur le président, je le présenterai en quelques mots au Sénat.
Actuellement lorsque le Gouvernement, en se fondant sur les dispositions de l'ordonnance de 1945, procède à un remodelage de la carte cantonale en créant un nouveau canton par l'absorption de deux cantons n'appartenant pas à la même série de renouvellement électoral, les règles relatives à la désignation de l'élu du nouveau canton ont été, en l'absence de dispositions législatives expresses, dégagées par la jurisprudence.
Les juridictions, tenues par la durée du mandat du conseiller général qui n'appartient pas à la série renouvelable, ont été amenées à décider que le conseiller général de l'ancien canton dont le mandat n'est pas achevé devient l'élu du nouveau canton sans qu'il soit procédé à une élection et alors que l'on repousse l'élection qui est prévue dans le canton renouvelable.
Le conseiller général sortant de l'ancien canton renouvelable ne peut pas tenter sa chance auprès de ses électeurs ; il n'a même pas la faculté de se présenter aux élections du nouveau canton trois ans plus tard. C'est ce qui ressort des dispositions d'un arrêt de section du Conseil d'Etat, commune d'Allos.
La situation ainsi créée n'est pas satisfaisante. D'un côté, il existe un vide législatif ; de l'autre, le Conseil d'Etat essaie de pallier ce vide en établissant des règles qui se rattachent à la législation en vigueur concernant la durée du mandat d'un conseiller général.
Le texte qu'a bien voulu reprendre la commission est clair : lorsque la création d'un nouveau canton répond à l'évolution démographique par l'absorption de deux cantons qui n'appartiennent pas à la même série de renouvellement des conseils généraux, il est procédé à une élection ouverte à tous les candidats afin de pourvoir le siège du nouveau canton. On laisse aux électeurs le choix de l'élu. On ne fait pas choisir ce conseiller général par le préfet. Sont bien entendu conservés les droits du conseiller général de l'ancien canton puisqu'il est prévu que le conseiller général de l'ancien canton non renouvelable, s'il n'est pas élu au siège du nouveau canton, achève son mandat jusqu'à son terme légal.
La situation que j'expose est un peu complexe. Elle ne se produit pas très souvent, mais elle peut se produire. Il est bon, je crois, de profiter de l'examen du présent texte pour apporter une solution démocratique à un problème qui se pose de façon pratique.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. En effet, monsieur le sénateur, les fusions de cantons posent une difficulté réelle lorsque la date de renouvellement n'est pas la même pour les cantons concernés.
Le Gouvernement partage votre souci de définir des règles propres à faire de l'électeur le seul arbitre. Il va donc étudier dès à présent, à partir des textes et de la jurisprudence du Conseil d'Etat, la possibilité de résoudre cette difficulté en maintenant la durée du mandat de conseiller général élu jusqu'à son terme.
Cette adaptation est nécessaire. Vous le comprenez, elle exige un travail qui ne peut être mené à bien lors de la présente séance. Mais le Gouvernement devrait être en mesure de proposer un dispositif convenable, que nous mettons à l'étude, je le répète, dès aujourd'hui.
Pour l'heure, il s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Il s'agit d'une solution démocratique, qui est proposée pour tenter de résoudre un problème d'une complexité diabolique, qui se pose rarement mais qui risque de se poser véritablement dans le département du Rhône.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Article 3

M. le président. « Art. 3. - La présente loi est applicable à Mayotte. » - (Adopté.)

Intitulé

M. le président. La commission propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi : « Proposition de loi interdisant les candidatures multiples aux élections cantonales ».
Il n'y a pas d'opposition ?...
L'intitulé est ainsi rédigé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité.

7

INSCRIPTION D'UN MAJEUR EN TUTELLE
SUR UNE LISTE ÉLECTORALE

Adoption des conclusions
de deux rapports d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 63, 1999-2000) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi (n° 185, 1998-1999) de M. Jacques Pelletier, permettant au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous tutelle à être inscrit sur une liste électorale, et des conclusions du rapport (n° 67, 1999-2000) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi organique (n° 186, 1998-1999) de M. Jacques Pelletier relative à l'inéligibilité des majeurs sous tutelle.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l'ai indiqué précisément dans mon rapport écrit, la proposition de notre excellent collègue M. Jacques Pelletier ne vise spécifiquement ni le premier tour ni le second tour. Il est apparu à notre collègue qu'à l'interdiction faite au majeur en tutelle de voter « manque une nuance eu égard à certaines situations individuelles ».
Sans nul doute son expérience de médiateur de la République est-elle à l'origine des présentes propositions de loi organique et ordinaire permettant, dans certains cas, au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous tutelle à être inscrit sur une liste électorale sans pour autant le rendre éligible.
L'article 501 du code civil permet au juge, lors de l'ouverture d'une tutelle ou postérieurement sur l'avis du médecin traitant, d'énumérer certains actes que la personne en tutelle aura la capacité de faire, soit elle-même, soit avec l'assistance du tuteur ou de la personne qui en tient lieu.
Cette possibilité de personnaliser la tutelle est fondée sur le fait que les troubles ou les handicaps qui affectent les majeurs protégés n'exclut pas nécessairement qu'ils puissent agir avec discernement dans certains domaines.
Sans doute n'est-il pas inutile de préciser qu'il n'est pas fréquemment fait application de la formule de la tutelle allégée, prévue par l'article 501 du code civil.
Quoi qu'il en soit, la proposition de loi de notre collègue Jacques Pelletier ne fait que reprendre la recommandation qu'il avait déjà faite en tant que médiateur de la République, laquelle avait reçu, il n'est pas inutile de le souligner, un avis favorable de principe du ministère de la justice.
Dans le même temps, c'est-à-dire en 1993, le Sénat avait adopté une proposition de loi de notre collègue Claude Huriet qui s'inscrivait dans le droit-fil de la préoccupation de la médiature.
Si notre collègue Jacques Pelletier la reprend, c'est parce qu'à l'époque l'Assemblée nationale n'avait pas cru devoir lui réserver une suite favorable, alors qu'il est aujourd'hui permis d'espérer qu'il en ira autrement.
La situation des personnes sous tutelle est en effet marquée aujourd'hui par la contradiction existant entre la rigidité de l'article L. 5 du code électoral et la souplesse de l'article 501 du code civil, qui ouvre la possibilité d'une protection personnalisée.
La situation devient quasiment ubuesque, monsieur le ministre, à partir du moment où l'on mêle à l'affaire le code de la santé publique et le code rural.
L'article 326-3 du code de la santé publique emporte qu'une personne atteinte de troubles mentaux et hospitalisée sans son consentement conserve la possibilité d'exercer son droit de vote si elle n'est pas placée en tutelle.
Quant à l'article L. 223-19, troisième alinéa, du code rural, il prévoit qu'une personne en tutelle peut être autorisée par le juge à recevoir - dans la Nièvre ou ailleurs - un permis de chasse. Or chacun conviendra qu'il est moins périlleux pour la collectivité d'autoriser une personne protégée à tenir entre ses mains un bulletin de vote plutôt qu'un fusil !
Face à une telle situation, la proposition de notre collègue Jacques Pelletier apparaît bienvenue, étant précisé qu'à la différence de ce qui est prévu par l'article 501 du code civil la citoyenne ou le citoyen sous tutelle autorisé par le juge à déposer un bulletin dans l'urne devra le faire bien évidemment seul, sans « l'assistance du tuteur ou de la personne qui en tient lieu ».
Par ailleurs, l'inéligibilité des personnes concernées serait expressément mentionnée, alors qu'elle résulte aujourd'hui automatiquement du fait qu'elles ne peuvent s'inscrire sur une liste électorale.
Cette brève analyse achevée, une observation s'impose : à force d'accumuler les textes dans un code et dans un autre sans s'assurer d'un minimum de coordination, l'inflation législative donne naissance à des situations aberrantes, comme celle à laquelle il vous est proposé, grâce à notre collègue Jacques Pelletier, de mettre un terme aujourd'hui.
La proposition de loi ordinaire se doit, en la matière, d'être assortie d'une proposition de loi organique. Celle-ci vise à inscrire dans l'article L.O. 130 du code électoral l'inéligibilité du majeur en tutelle pour l'élection des parlementaires nationaux et européens.
Elle vise tout autant - dût-on en sourire, mais il est bon de prendre toutes les précautions - l'inéligibilité de ces majeurs en tutelle pour l'élection du Président de la République.
Il va de soi que votre rapporteur vous propose d'adopter les deux articles consacrant cette inéligibilité sans y apporter quelque modification que ce soit.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'article L. 2 du code électoral prévoit que seuls sont électeurs les citoyens français jouissant de leurs droits civils et politiques et n'étant dans aucun des cas d'incapacité prévus par la loi.
Le principe de l'incapacité des majeurs sous tutelle en matière de droit de vote et d'éligibilité est sous-tendu par un triple objectif : protéger ces personnes contre toute forme d'influence, garantir un vote personnel et secret, n'élire que des personnes physiquement et psychologiquement capables d'assumer leur mandat. Il s'agit, en réalité, de s'assurer de la sincérité du scrutin, tant dans son déroulement que dans ses conséquences.
Ainsi, l'article L. 5 du code électoral interdit l'inscription sur les listes électorales des majeurs en tutelle.
Le régime général qui s'applique au majeur sous tutelle connaît cependant des assouplissements. Un majeur sous tutelle est une personne qui a besoin d'être représentée d'une manière continue dans les actes de la vie civile, selon l'article 492 du code civil. Il ne peut donc agir seul ni exprimer par lui-même sa volonté.
Pour autant, l'article 501 du même code prévoit un dispositif de tutelle allégée : sur avis du médecin traitant et avec l'appui constant du ministère public à chaque étape de la procédure, le juge peut, à tout moment, énumérer certains actes que la personne en tutelle aura la capacité de faire elle-même, seule ou assistée.
La présente proposition de loi prévoit d'assouplir les dispositions du code électoral applicables à ces personnes sous tutelle et relatives aux règles de droit civil de la tutelle.
Elle s'inscrit dans une réflexion déjà ancienne, suggérée dès 1994 par le sénateur Pelletier, alors médiateur de la République. Votée par le Sénat et rejetée par l'Assemblée nationale compte tenu de l'incertitude pesant sur la possibilité pour un majeur sous tutelle d'exercer en toute connaissance de cause ses droits de citoyen, cette proposition de loi est de nouveau à l'ordre du jour.
Aujourd'hui fondées sur l'article 501 du code civil pour ce qui concerne le droit de vote - lequel prévoit une loi ordinaire et une loi organique destinées à garantir le régime des inéligibilités qui s'impose aux majeurs sous tutelle pour l'ensemble des scrutins locaux et nationaux, et mentionne expressément l'inéligibilité de tous les majeurs sous tutelle - ces dispositions apparaissent désormais complètes et cohérentes.
De fait, autoriser le juge des tutelles à permettre à celles des personnes non dépourvues de discernement de voter revient à lui conférer un pouvoir d'appréciation très large quant à leurs facultés corporelles ou mentales et leurs capacités de discernement. En encadrant strictement cette faculté du juge des tutelles par un corpus juridique précis, la proposition de loi permet de concilier les droits civiques de l'individu et la singularité du droit électoral.
Le Gouvernement, soucieux d'accompagner les évolutions visant à assouplir autant que faire se peut le caractère absolu de certains dispositifs légaux, notamment afin de favoriser l'expression de la citoyenneté, n'a pas d'opposition de principe à cette proposition, à une remarque près : une décision de tutelle allégée autorisant une personne à s'inscrire sur les listes électorales ne doit en aucun cas contrevenir au principe selon lequel le vote est personnel et secret. C'est pourquoi le juge des tutelles ne doit pouvoir autoriser l'exercice du droit de vote qu'aux majeurs ayant la capacité, par eux-même et seuls, d'exercer leur droit de vote, à l'exclusion de l'assistance d'une tierce personne.
Ainsi, la précision apportée en ce sens par votre commission des lois à la modification de l'article L. 5 du code électoral est d'une importance majeure et le Gouvernement souscrit à cette rédaction.
On doit toutefois noter qu'un groupe de travail interministériel chargé de proposer une réforme globale du régime des majeurs sous tutelle a été constitué sur l'initiative du ministère de la justice, en juillet dernier. La question du droit de vote de ces personnes fait naturellement partie des domaines de réflexion de ce groupe, qui devrait rendre son rapport final en février 2000.
Le Gouvernement considère qu'il pourrait être utile d'attendre la publication de ce rapport pour inscrire cette proposition de loi dans un ensemble de portée plus générale, mais il est d'accord sur les principes énoncés dans les conclusions de votre commission des lois et s'en remet à la sagesse du Sénat sur la question du calendrier.
M. le président. La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'ont dit M. le rapporteur et M. le ministre, c'est dans le cadre de mes fonctions de médiateur de la République que mon attention avait été appelée sur la situation des majeurs en tutelle qui ne sont pas admis à exercer leur droit de vote.
En effet, à une personne âgée mise sous tutelle à sa demande qui m'avait saisi de ce qu'elle considérait comme un dysfonctionnement de l'administration, j'avais été contraint de répondre qu'en l'espèce les pouvoirs publics ne faisaient qu'appliquer des dispositions législatives claires, dans le strict respect de la jurisprudence.
Le code électoral prévoit en effet une interdiction générale d'inscription sur une liste électorale à l'encontre de tous les majeurs en tutelle, qu'ils soient incapables physiques dotés de toutes leurs facultés intellectuelles ou incapables mentaux. Or les causes de mise sous tutelle sont très diverses et, je l'ai dit, le majeur peut demander lui-même à être protégé.
En outre, le régime de la tutelle est susceptible de s'appliquer à des personnes très différentes et concerne aussi bien un jeune handicapé physique qu'une personne âgée, en passant par des malades atteints par des psychoses limitées.
L'article 501 du code civil qui en résulte permet ainsi au juge, lors de l'ouverture de la tutelle ou par un jugement postérieur pris sur avis du médecin traitant, d'énumérer les actes que la personne en tutelle aura la possibilité d'accomplir seule ou avec l'assistance de son tuteur.
Cet article du code civil ne précisant toutefois pas les types d'actes pour lesquels une dérogation est possible, la jurisprudence a eu à s'interroger sur l'éventualité d'une interaction entre l'interdiction générale posée en droit public par le code électoral et la possibilité d'adaptation au principe de réalité ouverte au juge en matière civile.
Or, dans une décision du 9 novembre 1982, la première chambre civile de la Cour de cassation a finalement exclu toute possibilité de combinaison entre ces deux dispositions législatives, ce qui fait qu'aujourd'hui il n'existe aucune manière pour les majeurs en tutelle d'éviter la radiation des listes électorales, même si leur médecin traitant et leur juge des tutelles y sont favorables.
Cette rigueur de la loi m'avait paru tout à fait excessive, le majeur protégé dont les capacités de raison ne sont pas atteintes pouvant légitimement ressentir sa radiation des listes électorales comme une mesure vexatoire.
Aussi, si je n'ai pas été en mesure de trouver dans l'immédiat une solution satisfaisante aux difficultés de ma correspondante, il m'a semblé opportun de faire usage du pouvoir reconnu au médiateur de la République de formuler des propositions de réforme, ce qui fut fait en 1994.
Considérant, en effet, que l'équité commande d'individualiser des mesures de protection au sein de la tutelle et de ne pas recourir à des régimes par trop rigides s'appliquant uniformément à des citoyens capables de remplir leur devoir civique, je souhaitais, dans ma proposition de réforme, permettre au juge des tutelles d'autoriser un majeur en tutelle à être inscrit sur une liste électorale.
Après avoir rencontré, à l'époque, un accueil pour le moins frileux de la part de la Chancellerie et du ministère de l'intérieur, j'ai relancé cette proposition en 1996 et en 1997. A l'occasion de réunions interministérielles, il est alors apparu que le Gouvernement était désormais ouvert à cette disposition, pour autant qu'il soit bien précisé que, si le majeur en tutelle peut être électeur, il ne pourra, en revanche, en aucun cas être éligible.
Cela a compliqué le problème, car les dispositions relatives à l'inégibilité relèvent, pour partie, de la loi ordinaire et, pour partie, de la loi organique.
Dès lors, le vecteur législatif permettant d'adopter facilement les modifications nécessaires du code électoral ne pouvait facilement être trouvé.
Vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, que, à la recherche d'une solution, j'avais déposé, en octobre 1998, avec Paul Girod, Bernard Joly et André Boyer, une série d'amendements sur les projets de loi ordinaire et organique relatifs à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice.
Il me semblait en effet que ces deux textes, qui modifiaient le code électoral, étaient les supports tout trouvés pour faire prospérer ma proposition de réforme.
Or, rapportant la position de la commission des lois sur ces projets de loi, M. le président Larché avait expliqué que l'attitude globale et générale de la commission, qui souhaitait se consacrer uniquement aux dispositions ayant trait à la question principale soulevée par les projets de loi, à savoir le cumul des mandats, lui interdisait d'être favorable à ces amendements.
Insistant toutefois sur la raison formelle qui justifiait cette position, M. Larché avait très aimablement invité les auteurs des amendements à élaborer des propositions de loi sur le thème évoqué, s'engageant à ce que la commission les rapporte dans les meilleurs délais et demande leur inscription à l'ordre du jour de nos travaux.
Me rangeant à ce sage conseil, j'ai donc déposé ces textes le 2 février dernier, et je veux remercier le président de la commission, son rapporteur, tout comme mes collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, d'avoir oeuvré pour que ces propositions arrivent aujourd'hui en séance publique.
Je forme d'ailleurs le voeu que l'Assemblée nationale, le cas échéant « aidée » par le Gouvernement, adopte rapidement ces textes, de manière à ce qu'ils puissent être mis en oeuvre dès l'an prochain pour les élections municipales.
S'agissant de l'Assemblée nationale, je crois utile de rappeler en quelques mots le funeste destin qu'a connu la proposition de loi tendant à autoriser un majeur en tutelle à être inscrit sur une liste électorale et à voter si le juge l'y autorise, proposition que, sur l'initiative de notre ami Claude Huriet, le Sénat avait adoptée le 16 juin 1994.
En effet, le 28 septembre suivant, conformément aux conclusions de son rapporteur, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait adopté la question préalable, rejetant ainsi l'ensemble de la proposition de loi, sans discussion.
Deux considérations avaient présidé à cette décision, considérations que je crois d'ores et déjà utile de contester.
Il avait d'abord paru improbable aux députés, compte tenu des conditions cumulatives nécessaires au placement sous tutelle, qu'un majeur placé sous ce régime puisse être à même d'exercer en toute connaissance de cause ses droits de citoyen.
Or, il doit être observé que l'article 501 du code civil permet précisément d'individualiser le régime applicable à chaque majeur placé en tutelle.
Il autorise en effet le juge, à l'ouverture de la tutelle ou par un jugement postérieur, à énumérer, sur l'avis du médecin traitant, certains actes que le majeur aura la capacité de faire soit seul, soit avec l'assistance de son tuteur ou de la personne qui en tient lieu.
Ainsi, le législateur a déjà admis qu'un majeur sous tutelle puisse administrer ses biens ou en disposer, se marier, divorcer, conclure un contrat de travail, percevoir un salaire, etc.
J'ai même relevé qu'un article du code rural dispose que le visa du permis de chasser n'est pas accordé aux majeurs en tutelle, à moins qu'ils ne soient autorisés à chasser par le juge des tutelles. Qu'un majeur sous tutelle puisse avoir un permis de chasse mais non une carte d'électeur me paraît choquant. (Sourires.)
Les députés avaient par ailleurs considéré que les spécificités du droit électoral interdiraient par principe tout pouvoir d'appréciation au juge en matière de capacité d'être électeur ou d'éligibilité, seule la loi définissant elle-même les critères objectifs - conditions d'âge, nationalité, résidence, incapacités, causes d'inéligibilité - encadrant ou limitant l'universalité du suffrage. Ce second argument n'est pas plus recevable que le premier, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, il convient de rappeler qu'avant 1968 la restriction au droit de vote des personnes sous tutelle était décidée par le juge : il existait donc, précisément, une interdiction judiciaire laissée à l'entière appréciation du juge qui, si elle a été remplacée par une interdiction absolue, n'en altère pas moins la théorie du rapporteur de l'Assemblée nationale quant à la « tradition de principe » du droit électoral en la matière.
De plus, et surtout, l'article 6 du code électoral interdit l'inscription sur la liste électorale, pendant le délai fixé par le jugement, de ceux auxquels les tribunaux ont interdit le droit de vote et d'élection, par application des lois qui autorisent cette interdiction ; on constate ainsi qu'il existe bien une personnalisation de l'interdiction du droit de vote laissée à l'entière appréciation du juge.
Au reste, je ne vois pas quelles raisons d'ordre public ou d'opportunité pourraient s'opposer à la mesure préconisée par les deux propositions de loi que nous examinons ce soir. L'inscription sur la liste électorale ne sera pas un droit du majeur en tutelle ; elle résultera d'une décision de l'autorité judiciaire prise après avis de l'autorité médicale.
Au-delà de cet encadrement très strict, le juge ne prendra pas une décision à caractère pérenne et il pourra, naturellement, en tant que de besoin, la rapporter.
Enfin, la loi exclura complètement que le majeur en tutelle puisse être candidat à l'une quelconque des différentes élections politiques auxquelles il pourrait voter.
Il me semble ainsi que toutes les précautions sont prises pour que l'assouplissement que je préconise ne soit pas susceptible d'aboutir à des excès ou à des situations absurdes qui affecteraient le caractère solennel du vote.
Au contraire, tout comme hier, je vois aujourd'hui plusieurs avantages, sur le plan des principes, à la disparition du régime d'interdiction absolue.
D'abord, pour le corps électoral lui-même, car il ne me paraît pas bon qu'il puisse être amputé d'une de ses parties, aussi minime soit-elle, si elle dispose des facultés de discernement indispensables au vote sincère et serein.
Ensuite, pour ceux de nos concitoyens qui vivent, à juste titre, leur mise sous tutelle comme une sanction civique ; ils n'en comprennent pas les motivations.
Il me semble donc indispensable de supprimer cette sanction déguisée, qui heurte le bon sens, va à l'encontre du principe de dignité des citoyens et concerne des personnes dont, précisément, la fragilité impose que la solidarité nationale leur accorde une attention particulière.
J'ajoute, pour finir, que, au-delà des principes, c'est aussi et surtout la situation des individus qui m'importe, dans la réalité de leur vie quotidienne.
A ce titre, je suis convaincu que, pour tous ceux des majeurs en tutelle qui pourront, je l'espère, prochainement, se voir autorisés par le juge des tutelles à être inscrits sur une liste électorale, la décision que nous allons prendre aujourd'hui va être forte en symbole. En leur permettant de participer aux élections qui ponctuent la vie politique nationale, elle les convaincra que leur mise sous tutelle ne les exclut pas de notre collectivité, que les représentants de la nation leur accordent autant d'importance qu'aux autres citoyens et que leur voix pourra encore être entendue.
Je pense qu'ainsi c'est un formidable signe d'espoir que nous leur adresserons et que leur handicap, leurs difficultés physiques, leur âge seront, peut-être, un peu moins lourds à porter.
Dans cette perspective, c'est avec beaucoup de plaisir qu'avec le groupe du RDSE je voterai les conclusions de la commission des lois sur ces deux propositions de loi, qui permettent de donner satisfaction à la proposition que j'avais élaborée, il y a cinq ans, en tant que Médiateur de la République.
Monsieur le ministre, je vous invite, avec votre collègue garde des sceaux, ministre de la justice, à inciter les députés à se saisir rapidement de ces propositions. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.

INSCRIPTION D'UN MAJEUR EN TUTELLE
SUR UNE LISTE ÉLECTORALE

M. le président. Nous passons à la discussion des articles des conclusions du rapport sur la proposition de loi permettant au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous tutelle à être inscrit sur une liste électorale.

Article 1er

M. le président. « Art. 1er. - L'article L. 5 du code électoral est complété, in fine, par les mots : ", à moins qu'ils ne soient autorisés par le juge des tutelles à exercer seuls le droit de vote selon la procédure définie à l'article 501 du code civil". »

Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Articles 2 à 4

M. le président. « Art. 2. - I. - Dans le texte de l'article L. 199 du code précité, la référence : "L. 5," est supprimée.
« II. - L'article L. 200 du code précité est ainsi rédigé :
« Art. L. 200. - Les majeurs en tutelle ou en curatelle sont inéligibles. » - (Adopté.)
« Art. 3. - Le troisième alinéa (2°) de l'article L. 230 du code précité est ainsi rédigé :
« 2° Les majeurs en tutelle ou en curatelle. » - (Adopté.)
« Art. 4. - La présente loi est applicable à Mayotte.
« Les articles 1er et 3 sont applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
« L'article 1er est applicable dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna. » - (Adopté.)

Intitulé

M. le président. La commission des lois propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi : « Proposition de loi permettant au juge des tutelles d'autoriser un majeur en tutelle à être inscrit sur une liste électorale. »
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

INÉLIGIBILITÉ D'UN MAJEUR EN TUTELLE

M. le président. Nous passons à la discussion des articles des conclusions du rapport sur la proposition de loi organique relative à l'inéligibilité des majeurs sous tutelle.

Article 1er

M. le président. « Art. 1er. - Le dernier alinéa (2°) de l'article L.O. 130 du code électoral est ainsi rédigé :

« 2° Les majeurs en tutelle ou en curatelle. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Articles 2 et 3

M. le président. « Art. 2. - I. - Dans le premier alinéa du II de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel :
« - les mots : "L. 5 à L. 7," sont remplacés par les mots : "L. 6, L. 7," ;
« - les mots : "L. 199, L. 200," sont supprimés.
« II. - Après le premier alinéa du II de cet article, il est inséré un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« Les articles L. 5, L. 199 et L. 200 du code précité sont applicables dans leur rédaction en vigueur à la date de publication de la loi organique n° ... du ... relative à l'inéligibilité des majeurs en tutelle. » - (Adopté.)
« Art. 3. - I. - L'article 5 de la loi n° 52-1175 du 21 octobre 1952 relative à la composition et à la formation de l'Assemblée territoriale de la Polynésie française est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les majeurs en tutelle ou en curatelle sont inéligibles. »
« II. - Il est inséré dans la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d'outre-mer un article 13-2-1 ainsi rédigé :
« Art. 13-2-1. - Les majeurs en tutelle ou en curatelle sont inéligibles. »
« III. - Le I de l'article 195 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est complété par un nouvel alinéa (5°) ainsi rédigé :
« 5° Les majeurs en tutelle ou en curatelle ». - (Adopté.)

Intitulé

M. le président. La commission des lois propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi organique : « Proposition de loi organique relative à l'inéligibilité des majeurs en tutelle ».
Il n'y a pas d'oppsition ?...
Il en est ainsi décidé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique.
Je rappelle que, en application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 17:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 319
Majorité absolue des suffrages 160
Pour l'adoption 319

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Monsieur le ministre, permettez-moi de compter sur vous pour que, en votre qualité de ministre des relations avec le Parlement, vous fassiez en sorte que ces textes, qui viennent tous deux d'être adoptés à l'unanimité, et avec l'accord du Gouvernement, puissent être rapidement inscrits à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Le maximum sera fait, monsieur le rapporteur !

8

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Le Gouvernement demande au Sénat que l'ordre du jour de la séance de l'après-midi de demain, mercredi 24 novembre 1999, à quinze heures, débute par l'examen des quatre projets de loi portant ratification des ordonnances relatives aux mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer et se poursuive par l'examen des propositions de loi relatives au régime local d'assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle applicable aux assurés des professions agricoles et forestières.
M. le président. Acte est donné de cette communication.

9

TEXTES SOUMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Proposition de décision du Conseil accordant une garantie de la Communauté à la Banque européenne d'investissement en cas de pertes résultant de prêts en faveur de projets pour la reconstruction des régions de la Turquie frappées par le séisme.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1339 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un accord entre la Communauté européenne et le Royaume du Cambodge sur le commerce de produits textiles.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1340 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Proposition de règlement du Conseil relatif aux contributions financières de la Communauté au Fonds international pour l'Irlande.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1341 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Proposition de décision du Conseil concernant la mise sur le marché et l'administration de la somatotropine bovine (BST) et abrogeant la décision n° 90/218/CEE du Conseil.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1342 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Lettre rectificative n° 4 à l'avant-projet pour 2000 - Section III - Commission.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1343 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Proposition de règlement du Conseil relatif aux actions d'information dans le domaine de la politique agricole commune.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1344 et distribué.

10

DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu de M. Charles Descours, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
Le rapport sera imprimé sous le n° 85 et distribué.

11

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 24 novembre 1999 :
A neuf heures trente :
1. - Discussion de la question orale européenne avec débat de M. Hubert Haenel à Mme le ministre de la jeunesse et des sports sur la politique européenne en matière de sport (n° QE-6).
M. Hubert Haenel expose à Mme le ministre de la jeunesse et des sports que l'arrêt « Bosman » de la Cour de justice des Communautés européennes a profondément modifié les conditions dans lesquelles s'exercent certaines activités sportives, avec le risque de compromettre les valeurs sportives et le rôle social et éducatif du sport. Il souligne par ailleurs que l'efficacité de la lutte contre le dopage paraît, dans certains cas, entravée par une insuffisante harmonisation des pratiques au sein des Etats membres de l'Union européenne. Il estime nécessaire, en conséquence, une reconnaissance dans le droit européen de la spécificité des activités sportives et la mise en oeuvre de mesures permettant de restaurer l'éthique du sport.
Observant que les réflexions menées à l'échelon européen n'ont guère eu jusqu'à présent de suites concrètes, il demande quelles initiatives sont envisagées par le Gouvernement pour favoriser la mise en place d'un cadre européen plus protecteur des valeurs sportives.
La discussion de cette question orale européenne s'effectuera selon les modalités prévues à l'article 83 ter du règlement.
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
2. - Discussion du projet de loi (n° 420, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-522 du 24 juin 1998, n° 98-731 du 20 août 1998, n° 98-773 du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Rapport (n° 72, 1999-2000) de M. Jean-Louis Lorrain, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
3. - Discussion du projet de loi (n° 421, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-580 du 8 juillet 1998, n° 98-582 du 8 juillet 1998, n° 98-728 du 20 août 1998, n° 98-729 du 20 août 1998, n° 98-730 du 20 août 1998, n° 98-732 du 20 août 1998, n° 98-774 du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Rapport (n° 75, 1999-2000) de M. Jean-Jacque Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
4. - Discussion du projet de loi (n° 422, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-524 du 24 juin 1998, n° 98-525 du 24 juin 1998, n° 98-581 du 8 juillet 1998, n° 98-775 du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Rapport (n° 81, 1999-2000) de M. Henri Torre, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
5. - Discussion du projet de loi (n° 423, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-520 du 24 juin 1998, n° 98-521 du 24 juin 1998, n° 98-523 du 24 juin 1998, n° 98-526 du 24 juin 1998, n° 98-776 du 2 septembre 1998, n° 98-777 du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Rapport (n° 77, 1999-2000) de M. Jean Huchon, fait au nom de la commission des affaires économiques et du plan.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à une discussion générale commune pour ces quatres projets de loi.
6. - Discussion des conclusions du rapport (n° 73, 1999-2000) de M. Jean-Louis Lorrain, fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi (n° 494, 1998-1999) de MM. Joseph Ostermann, Daniel Eckenspieller, Francis Grignon, Hubert Haenel, Jean-Louis Lorrain, Daniel Hoeffel et Philippe Richert relative au régime local d'assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle applicable aux assurés des professions agricoles et forestières et la proposition de loi (n° 36, 1999-2000) de Mme Gisèle Printz et M. Roger Hesling relative au régime local d'assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle applicable aux assurés des profession agricoles et forestières.
Aucun amendement à ces conclusions n'est plus recevable.

DÉLAI LIMITE POUR LES INSCRIPTIONS DE PAROLE
DANS LA DISCUSSION GÉNÉRALE
DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000

Le délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale du projet de loi de finances pour 2000 est fixé au mercredi 24 novembre 1999, à dix-sept heures.

DÉLAI LIMITE POUR LE DÉPÔT DES AMENDEMENTS
AUX ARTICLES DE LA PREMIÈRE PARTIE
DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000

Le délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2000 est fixé au jeudi 25 novembre 1999, à douze heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Situation de l'enseignement bilingue français-breton

660. - 19 novembre 1999. - M. Pierre-Yvon Trémel attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur les moyens nécessaires à mettre en oeuvre pour faire face à la croissance constatée de l'enseignement bilingue français-breton. Le souhait de 88 % des habitants de Basse Bretagne de conserver la langue bretonne, l'avis favorable de 80 % d'entre eux à son enseignement, sont des signes évidents de la volonté des habitants de Bretagne de maintenir un élément essentiel de leur culture. Dans la partie bretonnante, les 5 000 élèves des classes bilingues (public, privé et Diwan) représentent 1,7 % de la population scolaire. Au rythme actuel de 18 à 20 % d'augmentation annuelle des enfants dans les classes bilingues, cette proportion sera vraisemblablement de 5 % en l'an 2005. Dès lors, il est indispensable de prendre en compte les prévisions d'effectifs pour les années à venir, et de créer ainsi des conditions favorables au développement de l'enseignement bilingue, autant du point de vue de l'ouverture des classes que du point de vue du recrutement et de la formation des enseignants. En ce qui concerne l'école associative Diwan, il est utile de rappeler que son action est complémentaire aux autres filières de l'enseignement bilingue, grâce notamment à son système pédagogique par immersion. Malheureusement, son développement est menacé par un statut mal adapté ; en témoigne la décision récente de M. le préfet de la région Bretagne de porter devant la juridiction administrative une délibération du conseil régional subventionnant la rénovation de bâtiments municipaux de Carhaix, destinés notamment à l'accueil d'un lycée. Aussi, la rentrée 2000-2001 se préparant dès à présent, l'association Diwan s'inquiète, à juste titre, de son futur statut. En conséquence, il lui demande quelles mesures il entend prendre pour répondre aux attentes des parents des filières bilingues en matière d'ouverture de classes, de recrutement et de formation des enseignants. Il lui demande également de bien vouloir lui faire un point de la situation sur les négociations en cours avec l'association Diwan.

Développement des magasins d'usine

661. - 19 novembre 1999. - M. Jean-Pierre Raffarin demande à Mme le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat quelle est la politique de l'Etat quant au développement des magasins d'usine en France.

Financement des travaux sur les routes nationales
dans la région Auvergnes

662. - 24 novembre 1999. - M. Guy Vissac attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur la nécessité pour la région Auvergne que soit maintenu le taux de participation de l'Etat pour les travaux routiers du réseau national, et ce à équivalence du dernier contrat de plan. Il lui rappelle que, tandis que se négocient actuellement les crédits du futur contrat de plan Etat-région, le taux de participation de l'Etat en faveur des travaux routiers du réseau national atteindrait 50 %, laissant ainsi aux autres collectivités locales la moitié du financement. Ceci est d'autant plus discutable que le réseau des routes nationales relève uniquement de l'Etat. Il lui demande donc de lui préciser les intentions du Gouvernement en la matière tout en lui rappelant qu'une participation plus lourde de la région Auvergne dans ce secteur risque de compromettre d'autres programmes d'équipement ou l'obligerait à revenir sur sa résolution de maintenir les taux d'imposition actuels.

Problèmes de l'élevage ovin

663. - 23 novembre 1999. - M. René-Pierre Signé souhaite faire partager à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche son inquiétude et ses réflexions sur la situation très précaire de l'élevage ovin, tout particulièrement celui qui est implanté dans la vaste zone du bassin d'élevage de bovins allaitants. En effet, dans ces régions, l'élevage des ovins fut, et reste dans une certaine mesure, surtout le fait d'éleveurs bovins à l'herbe, qui trouvaient là une activité idéalement complémentaire à leur spéculation principale. Nul n'ignore l'évolution désastreuse subie par cette activité. De la concurrence néozélandaise, dès la fin des années 1970, à la politique agricole commune de 1992, en passant par la trop faible organisation de producteurs morcelés et par le changement des habitudes de consommation, les causes du déclin sont aussi anciennes que multiples. Elles dépassent non seulement le cadre de cette question, mais encore, hélas, les possibilités d'une relance, aussi déterminée soit-elle. La concurrence entre les viandes n'oppose désormais que la viande bovine, d'une part, le porc et la volaille, d'autre part. L'agneau et le mouton semblent à présent voués à occuper une frange non négligeable, mais néanmoins secondaire, du marché des produits carnés. Cependant, plusieurs éléments positifs pour l'élevage ovin sont apparus ces dernières années. La baisse continue des cours de l'agneau a conduit les éleveurs à réduire leurs coûts, en inventant par exemple les bergeries tunnels ; elle a également accéléré l'émergence de filières de produits de qualité. D'autre part, l'élevage d'ovins retrouve beaucoup de sa pertinence dans le contexte des contrats territoriaux d'exploitation. En effet, cette production permet de valoriser les surfaces herbagères sans recourir à l'extensification quasi permanente dont on observe les effets pervers en élevage bovin allaitant. Il revient aujourd'hui aux partenaires publics et professionnels d'explorer ces pistes. Il souhaite donc connaître son point de vue sur les perspectives des élevages mixtes d'ovins et de bovins allaitants. Il aimerait aussi savoir si une action volontariste de l'Etat en vue d'encourager et d'accompagner la relance de ce profil d'exploitations agricoles semble pertinente au Gouvernement.

Taxe professionnelle de Pantin

664. - 23 novembre 1999. - Mme Danielle Bidard attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le contentieux existant entre la ville de Pantin et son ministère, concernant le versement de recettes de taxe professionnelle. En effet, dès 1992, la municipalité de Pantin a engagé une procédure judiciaire pour obtenir le paiement des compensations prévues par la loi, suite à la réforme de la taxe professionnelle et d'exonérations accordées aux entreprises. Le ministre du budget accepte de verser la somme de 7,5 MF sur la base de l'évaluation des services fiscaux, mais ne prend pas en compte l'actualisation de cette somme. La ville a procédé à l'évaluation de son préjudice et l'a estimé à 20 MF de l'époque soit 41 MF en francs d'aujourd'hui. Elle lui demande de restituer à la ville de Pantin l'intégralité des compensations réactualisées auxquelles elle a droit.



ANNEXES AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du mardi 23 novembre 1999


SCRUTIN (n° 16)



sur l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi organique tendant à rééquilibrer la répartition des sièges à l'Assemblée de la Polynésie française.

Nombre de votants : 303
Nombre de suffrages exprimés : 220
Pour : 220
Contre : 0

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
N'ont pas pris part au vote : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :
Pour : 17.
Abstentions : 5. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin et Gérard Delfau.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Paul Girod, qui présidait la séance.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :

Pour : 98.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Christian Poncelet, président du Sénat.

GROUPE SOCIALISTE (78) :

Abstentions : 78.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Pour : 52.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :

Pour : 46.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :

Pour : 7.

Ont voté pour


Nicolas About
Philippe Adnot
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Jacques Donnay
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Charles Pasqua
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Alain Peyrefitte
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Jean-Jacques Robert
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac

Abstentions


François Abadie
Guy Allouche
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Marcel Bony
André Boyer
Yolande Boyer
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
Yvon Collin
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Louis Le Pensec
André Lejeune
Claude Lise
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Paul Raoult
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Simon Sutour
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber

N'ont pas pris part au vote


Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Danielle Bidard-Reydet
Nicole Borvo
Robert Bret
Michel Duffour
Guy Fischer
Thierry Foucaud
Gérard Le Cam
Pierre Lefebvre
Paul Loridant
Hélène Luc
Jack Ralite
Ivan Renar
Odette Terrade
Paul Vergès

N'ont pas pris part au vote


MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Paul Girod, qui présidait la séance.


Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : 304
Nombre de suffrages exprimés : 221
Majorité absolue des suffrages exprimés : 112
Pour l'adoption : 221
Contre : 0

Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés conformément à la liste ci-dessus.

SCRUTIN (n° 17)



sur l'ensemble de la proposition de loi organique relative à l'inéligibilité des majeurs en tutelle.

Nombre de votants : 319
Nombre de suffrages exprimés : 319
Pour : 319
Contre : 0

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Pour : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Pour : 23.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :

Pour : 97.
N'ont pas pris part au vote : 2. _ M. Christian Poncelet, président du Sénat, et M. Gérard Larcher, qui présidait la séance.

GROUPE SOCIALISTE (78) :

Pour : 78.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Pour : 52.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :

Pour : 46.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :

Pour : 7.

Ont voté pour


François Abadie
Nicolas About
Philippe Adnot
Guy Allouche
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Bernard Angels
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Robert Badinter
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Michel Bécot
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Claude Belot
Georges Berchet
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
Marcel Bony
James Bordas
Didier Borotra
Nicole Borvo
Joël Bourdin
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Yolande Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Robert Bret
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Jean-Louis Carrère
Auguste Cazalet
Bernard Cazeau
Charles Ceccaldi-Raynaud
Monique Cerisier-ben Guiga
Gérard César
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Yvon Collin
Gérard Collomb
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Raymond Courrière
Roland Courteau
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Marcel Debarge
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Bertrand Delanoë
Jean-Paul Delevoye
Gérard Delfau
Jacques Delong
Jean-Pierre Demerliat
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Dinah Derycke
Charles Descours
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
André Diligent
Claude Domeizel
Jacques Dominati
Jacques Donnay
Michel Doublet
Michel Dreyfus-Schmidt
Alain Dufaut
Michel Duffour
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Claude Estier
Hubert Falco
Léon Fatous
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Guy Fischer
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Thierry Foucaud
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Serge Godard
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Jean-Noël Guérini
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Claude Haut
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Roger Hesling
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Roland Huguet
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Journet
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Philippe Labeyrie
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Dominique Larifla
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Gérard Le Cam
Jean-François Le Grand
Louis Le Pensec
Dominique Leclerc
Pierre Lefebvre
Jacques Legendre
André Lejeune
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Claude Lise
Paul Loridant
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Hélène Luc
Jacques Machet
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Kléber Malécot
André Maman
François Marc
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Marc Massion
Paul Masson
Serge Mathieu
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Gérard Miquel
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Michel Moreigne
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Charles Pasqua
Jean-Marc Pastor
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Guy Penne
Jean Pépin
Daniel Percheron
Jacques Peyrat
Alain Peyrefitte
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Xavier Pintat
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jack Ralite
Paul Raoult
Jean-Marie Rausch
Ivan Renar
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Roger Rinchet
Yves Rispat
Jean-Jacques Robert
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Gérard Roujas
André Rouvière
Michel Rufin
Claude Saunier
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Simon Sutour
Martial Taugourdeau
Odette Terrade
Michel Teston
Henri Torre
René Trégouët
Pierre-Yvon Tremel
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Paul Vergès
André Vezinhet
Jean-Pierre Vial
Marcel Vidal
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac
Henri Weber

N'ont pas pris part au vote


MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Gérard Larcher, qui présidait la séance.
Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes à la liste de scrutin ci-dessus.