Séance du 23 mars 2000







M. le président. La parole est à M. Badré (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Denis Badré. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Après cinq rapports et trois ans de consultations, vous proposez des « orientations » sur le problème des retraites, qui pourraient laisser entendre qu'il est urgent d'attendre...
Pour donner tout de même à votre discours un ton de combat, vous vous portez avec détermination au secours du principe de répartition, qui, pourtant, n'était attaqué par personne. (Oh ! sur les travées socialistes.)
Mais lorsque vous dites vouloir défendre ce principe en dotant de 1 000 milliards de francs le fonds de réserve créé en 1999, vous ne nous rassurez pas ; parce que, pour réunir cette somme, vous faites un pari, celui que la croissance forte et le plein emploi sont garantis pour l'avenir ; parce que ce n'est pas ce fonds de réserve qui traitera le problème dans la durée ; parce que c'est chaque année que le financement des retraites exigera 300 à 400 milliards de francs.
Votre proposition serait bonne, à condition que le beau temps persiste. Mais les Français attendront leurs retraites même si le temps doit se couvrir, et ils ne veulent pas qu'elles dépendent d'un pari.
La croissance étant revenue, c'est bien maintenant qu'il faut attaquer les réformes de structure, même si elles apparaissent moins pressantes. C'est aujourd'hui, en tout cas, qu'elles peuvent être conduites dans les conditions les moins difficiles.
M. Raymond Courrière. Si vous l'aviez fait hier, nous ne serions pas obligés de le faire aujourd'hui !
M. Denis Badré. Vous annoncez des concertations, notamment avec les fonctionnaires. Elles sont indispensables. Mais vous savez désormais, vous aussi, que le fait de les engager ne garantit pas leur succès !
Vous ne proposez rien pour résoudre durablement le déficit croissant des régimes spéciaux. Est-ce un oubli ?
Enfin, vous écartez la possibilité pour tous les Français de se constituer un complément de retraite par capitalisation. Cette formule, aujourd'hui parfaitement connue, a pourtant été adoptée par la plupart des pays développés. Elle correspond à une attente réelle de nos compatriotes. Etes-vous suffisamment riche ou assez sûr de vous pour continuer à vous priver de ce complément de ressources ?
Votre parole ne suffit plus pour rassurer les Français, inquiets pour leurs retraites. Le temps n'est plus aux plans sur la comète ni à ce que certains appellent avec humour les « modifications conservatrices ». Au-delà de vos orientations, la question demeure entière : quelles ressources pour quelles prestations ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Claude Estier. Et vous que proposez-vous ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, en effet avant de prendre des décisions, le Gouvernement fait des diagnostics, et je crois que c'est une bonne façon de travailler.
Le Premier ministre a repris avant hier un diagnostic qui n'est pas éloigné de celui du rapport Charpin puisque les déficits tels qu'ils ont été présentés - de l'ordre de 100 milliards de francs par an pour le régime général à partir de 2001, de 120 milliards de francs pour les fonctionnaires de l'Etat et de 40 milliards de francs pour les agents des collectivités locales - correspondent aux hypothèses de l'ensemble des instituts économiques, tant en termes de croissance qu'en termes d'emploi.
A partir de ce diagnostic, nous avons engagé des consultations mais nous avons aussi pris ce temps pour expliquer aux Français - car je crois, et le passé récent, notamment l'année 1995, l'a démontré, que ce n'est pas avec des coups de menton que l'on règle le problème des retraites - où était la difficulté et quels étaient les différents instruments qui nous permettaient d'avancer.
Le Premier ministre a dit clairement que si la croissance, la baisse du chômage et l'augmentation des cotisations pouvaient nous permettre de faire une partie du chemin, ce n'était pas suffisant et qu'il fallait effectivement que nous répondions au problème de nos retraites, c'est-à-dire que nous les garantissions sans faire peser sur les jeunes générations qui nous succéderont soit une augmentation de cotisations très forte, soit une baisse du niveau des retraites, et ce en agissant dans plusieurs domaines.
Il a fixé des principes que je crois bons pour que la négociation puisse s'engager.
Premier principe : la progressivité dans la mise en oeuvre. En effet, si l'on peut penser, par exemple, dans la fonction publique, à augmenter la durée de cotisations, cela ne peut se faire que progressivement, avec équité, c'est-à-dire en n'oubliant pas que certains ont exercé des tâches pénibles et sont donc usés aujourd'hui par le travail, et en discutant des contreparties qui constituent un nouveau pacte social dans la fonction publique, par exemple l'intégration des primes dans le calcul des pensions.
Deuxième principe : le respect de la diversité et de l'identité des régimes.
Je crois que, là aussi, marcher tous au pas cadencé - et parfois vous le rappelez - n'est pas une bonne méthode.
M. Serge Vinçon. Nous n'avons jamais dit cela !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Si ! Vous l'avez dit dans d'autres matières !
Il existe déjà des pactes sociaux dans les entreprises ; il faut aboutir à un nouveau pacte social sur les régimes de retraite par répartition, seul à même de garantir la solidarité entre les générations, voie vers laquelle nous devons nous engager.
Et puis, nous devons faire en sorte qu'il y ait de la souplesse en fonction des choix des individus : retraite progressive, décision de partir plus tôt ou plus tard en fonction de ses souhaits personnels et conséquences à en tirer en termes de niveau de retraite.
Le Premier ministre a dit clairement que nous devions avancer. Nous allons le faire par la négociation. Il a dit qu'il faisait confiance aux organisations syndicales. Je le fais aussi pour une raison simple : les Français sont conscients des problèmes et ils ont envie d'apporter une réponse au problème des retraites.
Monsieur le sénateur, ce n'est pas en défendant la retraite par capitalisation, c'est-à-dire une épargne individuelle réservée aux plus aisés (Protestations sur les travées du groupe du RPR), comme c'était le cas avec la loi Thomas, vidant la sécurité sociale de cotisations en transférant les salaires vers le capital, gérant ces fonds de manière non pas collective mais individuelle,...
M. Serge Vinçon. C'est une caricature !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... que nous progresserons.
C'est la raison pour laquelle le fonds de réserve, sur lequel le Premier ministre a donné des détails, est bien une façon de faire en sorte que la solidarité nationale aide au règlement des problèmes de retraite.
M. Alain Gournac. M. Jospin a dit qu'il n'y avait pas de problème !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mille milliards de francs en 2020 pour le régime général, et sans doute plus pour les autres régimes ! Voilà une bonne façon d'avancer dans la solidarité et sans traiter différemment les plus riches et les plus pauvres. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Serge Vinçon. Caricature !

RÉFORMES EN COURS DANS L'ÉDUCATION NATIONALE