Séance du 20 juin 2000







M. le président. « Art. 39. - La cinquième partie du code général des collectivités territoriales est complétée par un livre IX ainsi rédigé :

« LIVRE IX

« MESURES D'ADAPTATIONS
PARTICULIÈRES AUX DÉPARTEMENTS
ET AUX RÉGIONS D'OUTRE-MER

« TITRE UNIQUE

« LE CONGRÈS

« Chapitre Ier

« Composition

« Art. L. 5911-1 . - Dans les régions d'outre-mer qui comprennent un seul département, il est créé un congrès composé des conseillers généraux et des conseillers régionaux.
« Les députés et les sénateurs élus dans le département, qui ne sont membres ni du conseil général ni du conseil régional, siègent au congrès avec voix consultative.
« Tout membre du congrès dispose d'une seule voix délibérative, indépendamment de sa double qualité de conseiller régional et général.

« Chapitre II

« Fonctionnement

« Section 1

« Réunions

« Art. L. 5912-1 . - Le congrès se réunit à la demande du conseil général ou du conseil régional, sur un ordre du jour déterminé par délibération prise à la majorité des suffrages exprimés des membres de l'assemblée.
« La convocation est adressée aux membres du congrès au moins dix jours francs avant celui de la réunion. Elle est accompagnée d'un rapport sur chacun des points inscrits à l'ordre du jour.
« Le congrès ne peut se réunir lorsque le conseil général ou le conseil régional tient séance.

« Section 2

« Organisation et séances

« Art. L. 5912-2 . - Les séances du congrès sont publiques.
« Néanmoins, sur la demande de cinq membres ou du président, le congrès peut décider, sans débat, à la majorité absolue des membres présents ou représentés, qu'il se réunit à huis clos.
« Sans préjudice des pouvoirs que le président du congrès tient de l'article L. 5912-3, ces séances peuvent être retransmises par les moyens de communication audiovisuelle.
« Art. L. 5912-3 . - Le président a seul la police du congrès.
« Il peut faire expulser de l'auditoire ou arrêter tout individu qui trouble l'ordre.
« En cas de crime ou de délit, il en dresse procès-verbal et le procureur de la République en est immédiatement saisi.
« Art. L. 5912-4 . - Le procès-verbal de chaque séance, rédigé par un des secrétaires, est approuvé au commencement de la séance suivante et signé par le président et le secrétaire.
« Il contient les rapports, les noms des membres qui ont pris part à la discussion et l'analyse de leurs opinions.
« Les procès-verbaux des séances du congrès sont publiés. Ils sont transmis au conseil général et au conseil régional par le président du congrès.
« Tout électeur ou contribuable du département ou de la région a le droit de demander la communication sans déplacement et de prendre copie des procès-verbaux des séances du congrès et de les reproduire par voie de presse.

« Chapitre III

« Le président

« Art. L. 5913-1 . - Lorsque les conditions de sa réunion sont remplies conformément aux dispositions de l'article L. 5912-1, le congrès est convoqué et présidé, le premier semestre de chaque année, par le président du conseil général et, le deuxième semestre, par le président du conseil régional.
« En cas d'empêchement, le président du conseil général ou le président du conseil régional est remplacé, respectivement dans les conditions prévues à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 3122-2 et de l'article L. 4133-2.
« Art. L. 5913-2 . - L'assemblée dont le président est issu met à la disposition du congrès les moyens nécessaires à son fonctionnement ; ces moyens doivent notamment permettre d'assurer le secrétariat des séances.

« Chapitre IV

« Garanties attachées
à la qualité de membre du congrès

« Art. L. 5914-1 . - Les articles L. 3123-1 à L. 3123-6 et L. 4135-1 à L. 4135-6 sont applicables respectivement aux conseillers généraux et aux conseillers régionaux en leur qualité de membre du congrès.

« Chapitre V

« Rôle du congrès

« Art. L. 5915-1 . - Le congrès délibère de toute proposition d'évolution institutionnelle, de toute proposition relative à de nouveaux transferts de compétences de l'Etat vers le département et la région concernés, ainsi que de toute modification de la répartition des compétences entre ces collectivités locales.
« Art. L. 5915-2 . - Les propositions mentionnées à l'article L. 5915-1 sont transmises au conseil général et au conseil régional dans un délai de quinze jours francs, qui, avant de délibérer, consultent obligatoirement le conseil économique et social du département et le conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement. Elles sont également transmises au Premier ministre.
« Art. L. 5915-3 . - Le conseil général et le conseil régional délibèrent sur les propositions du congrès.
« Les délibérations adoptées par le conseil général et le conseil régional sont transmises au Premier ministre par le président de l'assemblée concernée.
« Le Premier ministre en accuse réception dans les quinze jours et fixe le délai dans lequel il apportera une réponse.

« Chapitre VI

« Consultation des populations

« Art. L. 5916-1 . - Le Gouvernement peut, notamment au vu des propositions mentionnées à l'article L. 5915-1 et des délibérations adoptées dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 5915-3, déposer un projet de loi organisant une consultation pour recueillir l'avis de la population du département concerné sur les matières mentionnées à l'article L. 5915-1. »
Sur l'article, la parole est à M. Lise.
M. Claude Lise. Comme je l'ai indiqué au cours de la discussion générale, la démarche qui a inspiré l'article 39 du projet de loi a suscité dans les DOM, notamment aux Antilles, la constitution d'un véritable front du refus associant aussi bien indépendantistes que partisans du maintien du statut actuel de département d'outre-mer.
A ce stade de la discussion, le constat que l'on peut faire, c'est que ce front a trouvé un écho des plus favorables au sein des formations de droite composant la majorité sénatoriale.
A quelques exceptions près, les collègues appartenant à ces formations ont adopté toutes les mauvaises raisons déjà avancées par ceux qui, pour des motivations parfois opposées, ont intérêt à ce que les citoyens des DOM ne disposent pas d'un instrument d'évolution institutionnelle légal et démocratique.
L'article 39 ne prévoit, en effet, pas autre chose qu'un tel instrument. Et il suffit de se donner la peine de l'examiner objectivement pour se rendre compte qu'il n'est pas possible de réduire cet article à la seule institution d'un congrès et qu'il n'est pas correct de limiter ce congrès à n'être que ce qui arrange ses détracteurs.
Avant tout, il importe de se rappeler que l'objectif recherché est d'apporter une réponse à ceux qui, dans les trois départements français d'Amérique, DFA, souhaitent une évolution institutionnelle allant plus loin que ce que permet l'article 73 de la Constitution.
Il s'agit d'apporter une réponse en termes de procédure et non en termes de projet. En effet, qui peut dire quel est le projet souhaité par les Guadeloupéens, les Guyanais ou les Martiniquais ?
En outre, de quel droit s'autoriserait-on à en élaborer un, ici, à Paris, ou à en entériner un qui ne serait l'affaire que d'une minorité agissante s'arrogeant abusivement le rôle de porte-parole légitime du peuple ?
La procédure prévue à l'article 39 a ceci d'éminemment démocratique qu'elle est conçue pour débuter dans l'un ou l'autre des trois DFA au sein d'une instance représentative des citoyens et pour trouver son aboutissement dans ce même département par une consultation de la population concernée.
Quelles sont les étapes de la procédure ?
La première étape consiste à recueillir une majorité en faveur d'un projet, au sein de la réunion en congrès des élus du conseil général et du conseil régional, et au terme d'un débat pour lequel ce congrès est spécialement convoqué.
La deuxième étape tient dans la prise en compte par le Gouvernement qui décide de la suite à donner.
La troisième étape réside dans la consultation de la population concernée.
Enfin, la quatrième étape consiste, en cas d'accord de cette population, dans la mise en oeuvre éventuelle par le Gouvernement de la réforme institutionnelle, laquelle passe, bien entendu, par la réforme constitutionnelle appropriée.
C'est, sans conteste, sur la première étape que se concentrent toutes les attaques et, plus précisément, sur le congrès.
Ainsi, on s'interroge sur l'opportunité de lui confier l'initiative de la procédure. Mais on ne fournit aucune proposition alternative d'instance locale qui serait plus légitime que celle-ci, où chaque citoyen est représenté deux fois.
Autre critique : on fait remarquer que les deux assemblées locales n'ont pas besoin, pour se réunir, que cela soit prévu par une loi. C'est évident !
Mais qui peut sérieusement prétendre qu'un gouvernement va accorder la même valeur à un projet élaboré hors de tout cadre légal qu'à un projet réalisé dans des conditions bien définies par un texte législatif ?
Qui ne voit donc que la loi ouvre en fait au congrès un véritable droit à proposition institutionnelle ?
Par ailleurs, comment comprendre ceux qui, tout en estimant que la réunion, en dehors de tout cadre légal, des deux assemblées locales pour débattre de questions institutionnelles est quelque chose de tout à fait banal, s'empressent pourtant de crier à l'anticonstitutionnalité dès que cette même réunion est prévue par la loi ?
Nouvelle critique : on accuse le congrès de constituer une troisième assemblée, voire une troisième collectivité locale !
Cela ne résiste absolument pas à l'analyse puisque le congrès n'a aucun caractère permanent, aucune structure, aucun moyen propre, ni aucun pouvoir décisionnel.
Enfin, quand on ne voit plus sur quel point attaquer, on s'en prend au terme même de congrès, prétendant, sans rire, que la confusion serait possible avec le Congrès de Versailles ou le Congrès américain !
Je m'empresse, à cet égard, de dire qu'on pourrait sans difficulté ajouter un qualificatif et parler, par exemple, de « congrès local » ou de « congrès territorial ». Mais chacun peut, après tout, y aller de son idée tant qu'il ne s'agit que de modifier l'appellation.
Comme le dit le proverbe chinois : « Peu importe le nom de la rose pourvu qu'elle garde le même parfum » ! (Sourires.)
En réalité, je reste convaincu que, derrière l'opposition apparemment ciblée sur le congrès, ce qui est en cause, c'est l'ensemble de la procédure prévue à l'article 39 et, plus précisément, la consultation des populations concernées.
Cette procédure ne peut évidemment convenir ni à ceux qui veulent en fait contrecarrer toute évolution institutionnelle, ni à ceux pour qui toute évolution ne peut se faire que d'en haut, en court-circuitant les populations.
Elle correspond bien, en revanche, à l'exigence de ces populations de pouvoir maîtriser totalement, du début à la fin, tout processus de changement institutionnel.
Et c'est en fonction de cette exigence que la Haute Assemblée devrait se déterminer !
Mes chers collègues, il serait vraiment dommage que le Sénat, reproduisant l'erreur d'octobre 1982 lors du débat sur l'assemblée unique, se méprenne sur les véritables enjeux et passe, une nouvelle fois, à côté de l'attente des départements d'outre-mer.
M. le président. Sur l'article 39, je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 33 est présenté par M. Balarello, au nom de la commission des lois.
L'amendement n° 124 est déposé par M. Lanier, Mme Michaux-Chevry, MM. Lauret, Reux et les membres du groupe du RPR et apparentés.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° 254, MM. Larifla, Désiré, Lise et les membres du groupe socialiste proposent, dans le texte présenté par cet article pour l'article L. 5915-1 du code général des collectivités territoriales, après les mots : « d'évolution institutionnelle », d'insérer les mots : « et statutaire ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 33.
M. José Balarello, rapporteur. L'amendement n° 33 tend à supprimer l'article 39 tendant à la création, dans les régions d'outre-mer monodépartementales, d'un congrès réunissant le conseil général et le conseil régional et chargé de faire des propositions d'évolution institutionnelles.
La commission des lois a estimé que le projet de création de congrès est loin de faire l'unanimité puisqu'il a notamment suscité l'avis défavorable de six des huit assemblées locales concernées.
En outre, la procédure envisagée serait particulièrement lourde en nécessitant la réunion solennelle du conseil général et du conseil régional en congrès, puis la délibération de ces deux assemblées sur les propositions du congrès et, ensuite, la transmission au Premier ministre en vue d'une éventuelle consultation de la population locale.
Cette procédure, qui risque d'être difficile à mettre en oeuvre, pourrait de surcroît aboutir, de fait, à la création d'une troisième assemblée, dont le rôle serait ambigu.
Enfin, nous nous interrogeons sur la constitutionnalité de cette procédure.
J'ai bien entendu l'intervention de notre collègue Claude Lise quant à l'appellation de la nouvelle assemblée et je suis très heureux qu'il ait reconnu in fine que d'autres appellations seraient préférables au terme de « congrès ».
M. le président. La parole est à M. Lanier, pour défendre l'amendement n° 124.
M. Lucien Lanier. Cet amendement est identique à celui qui vient d'être défendu. Je n'ai rien à ajouter à l'argumentation de M. le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Lise, pour défendre l'amendement n° 254.
M. Claude Lise. Il y a une forte quête de changement dans les départements d'outre-mer. Les élus, membres du congrès, doivent avoir la possibilité de faire des propositions non seulement sur l'évolution institutionnelle, mais également sur l'évolution statutaire. Il ne s'agit pas simplement de pouvoir demander des compétences supplémentaires. Il s'agit bien d'indiquer qu'il peut être question, au congrès, d'un changement de statut de tel ou tel département d'outre-mer, notamment de tel ou tel département français d'Amérique, donc qu'il peut être possible de sortir du cadre départemental pour aller, par exemple, vers une collectivité locale sui generis .
C'est pourquoi nous tenons à insérer, après les mots « d'évolution institutionnelle », les mots « et statutaire ».
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 254 ?
M. José Balarello, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 33, 124 et 254 ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. La commission des lois propose, par l'amendement n° 33, la suppression pure et simple de l'article 39 du projet de loi. Sans revenir sur les points qui ont été évoqués au cours de la discussion générale, je souhaite insister sur l'importance du vote que les membres de la Haute Assemblée vont exprimer dans quelques instants. J'évoquerai trois séries d'arguments qui motivent la position du Gouvernement en faveur de l'article 39, donc contre sa suppression.
Comme je l'ai dit mercredi dernier, le Gouvernement entend reconnaître, dans ce projet de loi, le droit à l'évolution des départements d'outre-mer qui souhaitent proposer des modifications institutionnelles ou statutaires, ce que confirme d'ailleurs l'amendement de M. Larifla. Le Gouvernement a pris parti pour l'abandon du modèle unique au profit du « cousu main », pour reprendre l'expression du rapporteur M. Balarello. Je me félicite de constater que, sur ce point, les opinions ont évolué dans le bon sens.
Ce droit à l'évolution, pour être effectif, doit, me semble-t-il, être précédé d'un débat démocratique et éclairé. En effet, qui est capable aujourd'hui de définir la forme que, demain, devrait prendre le statut de la Guadeloupe, de la Martinique ou de la Guyane, sinon les élus et les populations des départements concernés ?
C'est précisément l'objet de l'idée avancée par le député M. Michel Tamaya et par le sénateur M. Claude Lise : avec le congrès, il s'agit de permettre l'expression de propositions émanant des départements français d'Amérique eux-mêmes avant de consulter les populations.
Le Gouvernement tient particulièrement à ce projet, car nous savons que, grâce à cette méthode, celui-ci marquera une étape décisive dans la relation entre les Antilles françaises et la Guyane avec la métropole.
Je passerai assez vite sur les arguments d'inconstitutionnalité qui ont été évoqués très rapidement au cours des débats. Je pense que la constitutionnalité du projet n'est pas douteuse, et les débats nous ont renforcés dans cette conviction.
D'abord, le congrès est une réunion souple et légère du conseil régional et du conseil général ; ce n'est pas l'assemblée unique que nous avions proposée en 1982 et que le Conseil constitutionnel, saisi par l'opposition d'alors et d'aujourd'hui, avait censuré.
Par ailleurs, le congrès ne porte atteinte à aucun principe constitutionnel et notamment pas à la libre administration des collectivités territoriales puisque les deux conseils, après la réunion commune, conserveront leur pleine et entière capacité d'initiative et de proposition, leur délibération étant nécessaire à l'examen par le Gouvernement de la proposition du congrès.
A cet égard, votre rapporteur a indiqué mercredi dernier que « nous avons le sentiment que le Gouvernement a été à l'extrême limite de ce qui était juridiquement possible ». N'est-ce pas la preuve que le projet ouvre des pistes d'évolution, dans le respect de la Constitution ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant que vous vous prononciez sur l'amendement proposé par votre commission, je souhaite insister sur le sens de votre vote et sur l'impact qu'il aura dans les départements d'outre-mer.
La suppression de l'article 39 équivaudrait d'abord, en maintenant le statu quo, à fermer la porte à des évolutions institutionnelles et statutaires que tout le monde appelle de ses voeux. Il faudra expliquer comment on peut faire du « sur-mesure » ou du « cousu main » en refusant toute perspective d'évolution.
L'amendement proposé par la commission des lois prive les responsables locaux de l'instrument qu'ils attendent pour exprimer, département par département, leurs aspirations.
Nous voulons un débat démocratique, transparent, organisé par la loi. C'est donc aux élus qui ont la légitimité dans le cadre de chaque département - conseillers généraux et conseillers régionaux - qu'il appartient de donner des orientations que le Gouvernement pourra ensuite examiner.
Ces évolutions envisagées doivent être adaptées à la réalité de chaque département, d'où l'intérêt du débat local. C'est en ce sens que nous préférons ce débat local, éclairé à un modèle unique imposé d'en haut. Je pense que le congrès est l'outil qui permet les évolutions.
Enfin, on a beaucoup comparé le congrès avec le Congrès de la Constitution de 1958 et avec le Congrès des Etats-Unis. Mais derrière cela, il y a aussi la possibilité de consulter les populations concernées sur les propositions qui auront été formulées, dans les limites posées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qu'il s'agisse de la clarté et de la loyauté des questions posées ou du caractère purement consultatif de la procédure. Dans le cadre des principes du préambule de la Constitution de 1946, le Gouvernement a entendu se tourner vers les populations d'outre-mer pour leur permettre, par leur vote, d'exprimer leur sentiment et de renouveler en direction des autorités nationales le pacte républicain qui nous unit à l'outre-mer.
Il faudra donc, si la consultation est refusée, dire pourquoi la parole n'est pas donnée aux départements d'outre-mer et à leur population, et pourquoi les enjeux locaux seront tranchés à Paris.
Ce n'est pas une bonne méthode. C'est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements tendant à supprimer le congrès.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 33 et 124.
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. La création d'un congrès dans chacune des régions d'outre-mer qui comprennent un seul département était l'une des principales propositions du rapport de nos collègues MM. Lise et Tamaya.
Dans le contexte où n'était pas envisagée la modification de l'article 73 de la Constitution, ce congrès devait rendre possible « une plus grande coopération entre les collectivités régionale et départementale » et permettre « d'initier le processus en conduisant à une éventuelle évolution statutaire en adressant au Gouvernement des propositions en ce sens ».
Dans le projet de loi présenté à l'Assemblée nationale, les prérogatives de ce congrès étaient réduites par rapport aux propositions du rapport Lise-Tamaya, propositions pourtant déjà considérées par beaucoup comme insuffisantes au regard des aspirations et des attentes des populations en termes d'émancipation et de responsabilisation.
La commission des lois du Sénat et plusieurs amendements de la droite nous proposent de supprimer l'article 39 instituant cet organe, en arguant, d'une part, d'une procédure lourde et sans efficacité et, d'autre part, d'un manque de consensus sur la question.
Mais quelles propositions alternatives apportent ceux qui veulent supprimer cet article au nom de la volonté de défendre la démocratie ? Aucune, il faut bien en convenir.
N'est-il pas contradictoire de mettre en avant le manque d'ambition institutionnelle de ce texte ainsi que le manque d'évolution proposée pour une responsabilisation des populations des DOM et de défendre, durant ce débat, essentiellement des mesures qui vont dans le sens d'un assistanat renforcé pour les entreprises, tout en refusant les quelques avancées concernant le volet institutionnel, même si celles-ci sont loin d'être suffisantes, j'en conviens ?
Si le congrès est loin de répondre aux attentes des populations, sans doute peut-il constituer une étape vers plus de coopération entre les collectivités territoriales et pour préparer d'éventuelles modifications statutaires ?
Il reviendra donc à l'Assemblée nationale de remettre le congrès dans le texte, et nous espérons que des avancées seront obtenues pour élargir sensiblement ses prérogatives.
Nous voterons contre la suppression de cet article.
M. Lucien Lanier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous venez, une nouvelle fois, de développer, avec beaucoup de conviction et de précision, les arguments qui militent en faveur de ce congrès. Je passerai, bien entendu, sur l'appellation, qui risque de donner des ambitions infondées, mais c'est un détail.
Ce qui est beaucoup plus important, c'est le fond de la question. Si nous refusons le congrès, ce n'est absolument pas parce que nous sommes des immobilistes, et nous vous l'avons prouvé maintes fois, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est, au contraire, parce que nous sommes partisans du mouvement et que nous souhaitons donner une diversification à ces départements.
De quoi vient votre idée de congrès ? C'est, et cela figure d'ailleurs dans le rapport même de M. Lise, une tentative pour essayer in fine d'aboutir à une seule assemblée dans chacun des départements. L'idée est assez uniforme, permettez-moi de vous dire. Chacun des départements mérite-t-il une seule assemblée ou autre chose ? Je n'en sais rien ! Où est la diversification ?
Par ailleurs, je comprends très bien votre idée. Nous n'étions pas contre une seule assemblée, je le répète, je vous l'ai déjà dit. La seule question, c'est la méthode pour y parvenir.
Il y a dans cette affaire de congrès trois obstacles majeurs.
D'abord, vous créez, et vous ne pouvez pas le nier, une troisième assemblée. Elle est consultative, il n'est pas nécessaire de modifier la Constitution, dites-vous. Elle n'a aucun pouvoir, ce qui est une tare. Quand vous créez une assemblée vous savez quand vous la créez, mais vous ne savez pas quand vous pourrez la dissoudre, car chacun s'accrochera.
Dès lors, nous risquons de voir une troisième assemblée s'établir au moment même où vous voulez réduire à une le nombre des assemblées à l'intérieur des départements et au moment où demanderont à se maintenir les deux autres assemblées : le conseil général et le conseil régional.
Permettez-moi de vous le dire : ce n'est pas très sérieux. Vos arguments ne nous convainquent pas. Vous n'avez d'ailleurs pas dit franchement que c'était l'étape vers une assemblée unique.
Ce n'est pas la bonne méthode, vous allez encore enkyster, compliquer le dispositif. Je passe d'ailleurs sur la procédure à laquelle donnera lieu cette troisième assemblée. Comme celle-ci n'a pas de pouvoir délibérant, elle essaiera de mijoter des opinions parfaitement contradictoires entre le conseil régional et le conseil général, qui, sur certains points, se regardent en chiens de faïence. Je ne sais pas ce qui pourra sortir de cette idée. C'est ma première remarque.
Intervient ensuite un processus compliqué : les délibérations qui seront prises par le congrès seront transmises à chacune des assemblées qui auront formé celui-ci, c'est-à-dire aux mêmes élus, à qui il reviendra d'en débattre à nouveau !
A ce moment, on aborde une deuxième étape, qui risque d'être, elle aussi, inextricable, car on peut reprendre d'une main ce que l'on aura donné de l'autre, c'est-à-dire qu'une assemblée, conseil général ou conseil régional, pourra fort bien estimer qu'elle s'est trompée lors du congrès, qu'elle n'est pas tout à fait d'accord avec ce qui a été dit.
Enfin, pour arbitrer le tout, on transmet le « paquet » soigneusement ficelé au Premier ministre, chef du Gouvernement, en lui disant que c'est à lui de se « débrouiller » avec tout cela, c'est-à-dire que, obligatoirement, on lui demande, non pas d'arbitrer une question, mais de régler la situation d'une manière régalienne. Or, c'est ce que nous ne voulons pas ! C'est l'Etat qui tranchera en définitive, et qui fera naturellement autant de mécontents, et peut-être même davantage, que de gens satisfaits. Cette procédure complexe constituait le deuxième point s'opposant à l'idée de congrès.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, il faut être conscient de ce que vous avez voulu, comme nous d'ailleurs, c'est-à-dire recueillir un accord des populations sur cette affaire. Or cet accord, vous ne l'avez pas ! L'autre jour, au sujet de la Réunion, on a essayé de nous prouver que des accords avaient été signés par toutes les parties. Mais les gens ont le droit de changer d'avis au fur et à mesure de l'évolution des choses. C'est la première chose que je veux dire.
De surcroît, vous n'avez pas obtenu l'accord des populations, puisque seulement deux assemblées sur les huit que comportent les départements d'outre-mer vous ont donné leur accord. Si c'est cela un consensus, monsieur le secrétaire d'Etat, je dois réapprendre à compter ! Ce n'est certainement pas sur un consensus général que vous fondez ce projet. Vous essayez de le faire passer en force ; vous êtes sûr de votre majorité et vous vous dites que, de toute façon, que l'on dise oui ou que l'on dise non, cela n'a plus aucune importance. C'est cela que je vous reproche !
Vous n'avez pas vraiment essayé de combattre nos arguments au fond, parce que vous avez les vôtres, auxquels vous croyez fermement, et vous vous dites que, après tout, c'est la seule vraie disposition que contient votre volet institutionnel et que vous ne pouvez donc pas la lâcher, sinon, il n'y aurait plus rien, ce qui est un peu vrai.
Voilà qui m'amène d'ailleurs - permettez-moi de vous le dire avec beaucoup de courtoisie - à formuler un second reproche : il aurait peut-être fallu procéder de manière différente, c'est-à-dire présenter d'abord une sorte de canevas juridique, économique et social dont les assemblées auraient alors débattu. Au lieu de quoi, on s'est défaussé, on n'a donné aucun conseil, et on a simplement demandé des avis.
Et maintenant, vous allez être confronté à une situation relevant de la cour du roi Pétaud, dans laquelle personne ne retrouvera plus ses petits !
Voilà exactement ce à quoi nous arriverons, et c'est la raison pour laquelle je ne crois pas, et ce dans mon for intérieur - il n'y a aucun sous-entendu politique ou politicien derrière l'avis que je donne, au nom de mon groupe - que ce soit la bonne voie pour arriver à une réforme institutionnelle.
M. Claude Lise. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lise.
M. Claude Lise. Parce que nous sommes devant une question extrêmement importante pour les départements d'outre-mer, notamment pour les départements français d'Amérique, je voudrais, au moment d'expliquer mon vote, dire, comme M. le secrétaire d'Etat tout à l'heure, que le Sénat doit bien mesurer la responsabilité qu'il prend.
Je rappelle à nos collègues ce qu'ils ont fait en 1982. Au cours des débats, j'ai entendu M. Lanier, qui sait la sympathie que je lui porte, dire qu'il vaudrait mieux avoir une assemblée unique. Mais, en 1982, le Sénat a voté contre l'institution d'une assemblée unique. (M. Lanier lève les bras au ciel.) Mais oui, mon cher collègue. Par conséquent, il a pris cette responsabilité.
M. Lucien Lanier. Combien cela fait-il d'années ? Presque vingt ans ! Alors...
M. Claude Lise. A l'époque, les sénateurs de droite ont fait preuve de la même surdité qu'aujourd'hui.
En fait, cher collègue Lanier, j'ai le sentiment que vous n'avez écouté aucun des arguments que j'ai repris ce matin !
Vous parlez d'assemblée unique. Mais qui a dit que le congrès devait donner aux populations des départements français d'Amérique une assemblée unique ? Vous voulez prédéterminer la solution alors que nous, nous voulons donner la parole aux populations. Là est toute la différence ! Vous voulez décider d'en haut, faire un statut pour les départements d'outre-mer et les départements français d'Amérique qui veulent évoluer vers une autonomie plus grande. En fait, j'ai bien compris au cours des débats en séance publique et en commission des lois que vous êtes nombreux à être convaincus de la nécessité de faire glisser les départements français d'Amérique vers le statut de territoire d'outre-mer, considérant que cela coûtera moins cher au budget de la nation. C'est cela, et il faut avoir le courage de le dire. Vous voulez, je le répète, décider d'en haut, alors que nous souhaitons, quant à nous, que les populations se déterminent. Il n'y a donc pas de prédétermination s'agissant d'une assemblée unique.
Je ne reprendrai pas l'argument de M. Lanier concernant la troisième assemblée, car il ne tient pas la route.
M. Lanier a par ailleurs considéré que le système était compliqué. Oui, mon cher collègue, la démocratie est compliquée. Mais je préfère un système compliqué donnant la parole au peuple à un système simple la lui enlevant ! Telle est la conviction qui nous anime.
Enfin, l'argument selon lequel six assemblées sur huit ont donné un avis négatif ne tient pas non plus. Il n'y a d'ailleurs que les six assemblées des départements français d'Amérique qui sont concernées par cette affaire, puisqu'il n'y a pas de demande analogue à la Réunion. Il faut d'ailleurs rappeler ici ce qui s'est passé. Les trois présidents de région - Mme Michaux-Chevry, en Guadeloupe, M. Karam, en Guyane et M. Marie-Jeanne, en Martinique - ont fait tout ce qui leur était possible pour empêcher un débat normal sur l'examen du texte, notamment sur cette partie, pour la bonne raison qu'ils sont alliés dans cette alliance contre nature qui va, chez nous, des indépendantistes au RPR, alliance qui a été à l'origine de ce que l'on a appelé « l'appel de Basse-Terre », en faveur d'un changement de statut puisqu'il se réfère au modèle « Açores, Madère, Canaries ». Dans le même temps, ces trois présidents de région sont contre tout instrument d'évolution démocratique, tout instrument légal, démocratique et transparent, mais ils ont déjà prévu leur statut qu'ils veulent imposer en se servant de vous.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, nous ne pouvons que voter contre les amendements n°s 33 et 124, qui tendent à supprimer un article fondamental. Si cet article disparaît du texte, nous considérerons alors que celui-ci a été complètement dénaturé.
M. Edmond Lauret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lauret.
M. Edmond Lauret. Le Gouvernement et mes collègues de gauche ont fortement insisté sur la nécessité de tenir compte de l'avis de la population et des élus. Je suis d'accord.
Mais pourquoi, à la Réunion, la population n'est-elle pas suivie quand, par deux fois, elle est consultée et qu'elle se déclare par sondage hostile à tout changement de statut, que cela concerne le congrès ou la bidépartementalisation ? Il en est de même pour tous nos élus qui, à l'unanimité, se sont prononcés contre le congrès.
Je voterai donc les amendements n°s 33 et 124 tendant à la suppression de l'article 39.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 33 et 124, repoussés par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 81:

Nombre de votants 291
Nombre de suffrages exprimés 290
Majorité absolue des suffrages 146
Pour l'adoption 196
Contre 94

En conséquence, l'article 39 est supprimé et l'amendement n° 254 n'a plus d'objet.

Intitulé du titre VII (suite)