Séance du 20 juin 2000







M. le président. « Art. 1er. - Après l'article 6-1 de la loi n° 52-1175 du 21 octobre 1952 relative à la composition et à la formation de l'assemblée territoriale de la Polynésie française, il est inséré un article 6-2 ainsi rédigé :
« Art. 6-2 . - Sur chacune des listes, l'écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un. Chaque liste est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe. »
Sur l'article, la parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. le rapporteur a fait état des travaux de la commission des lois, rappelant à juste raison - comment, en effet, ne pas l'approuver ? - que les membres de cette dernière ont considéré la décision prise par l'Assemblée nationale d'amender un article qui avait été adopté conforme comme un détournement de procédure.
Outre le fait que le Conseil constitutionnel a validé le principe de l'alternance dans la loi ordinaire et qu'il n'y a aucune raison objective pour que les femmes polynésiennes aient à connaître une situation dérogatoire au droit commun, en métropole et outre-mer, je tiens à souligner la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le droit d'amendement.
Nous avons appris, c'est exact, qu'un texte ayant fait l'objet d'un accord en commission mixte paritaire ne peut être amendé, sauf avec l'accord du Gouvernement.
Mais, aux termes de l'article 44, alinéa 1, de la Constitution, les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement. La Constitution ne fixe elle-même aucune limite à l'exercice de ce droit d'amendement.
Dans sa décision n° 88-251 du 12 janvier 1989, le Conseil constitutionnel relève « que le droit d'amendement est le corollaire de l'initiative législative », que celui-ci « peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45 » - c'est-à-dire selon qu'il y a accord ou non en commission mixte paritaire - « s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que, toutefois, les adjonctions ou modifications ainsi apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution, n'être sans lien avec ce dernier, ni dépasser par leur objet et leur portée les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ; ».
Il me semble donc, mes chers collègues, que l'Assemblée nationale a cru, peut-être à bon droit, devoir revenir sur la rédaction de cet article 1er qui avait été adopté conforme.
Une interrogation se pose à nous, et M. le rapporteur a eu raison, me semble-t-il, de poser le problème tel qu'il l'a fait devant nous à l'instant. Comme il l'a dit - et il me pardonnera de le rappeler après lui - s'agissant d'un projet de loi organique, le Conseil constitutionnel sera automatiquement saisi, et nous aurons donc dans quelques jours, voire quelques semaines, la réponse à cette question. Ainsi, les membres de l'Assemblée nationale et du Sénat seront tous fixés sur leur droit d'amendement.
M. Dominique Braye. Merci, monsieur le professeur !
M. le président. Par amendement n° 1, M. Cabanel, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« Après l'article 6-1 de la loi n° 52-1175 du 21 octobre 1952 relative à la composition et à la formation de l'assemblée territoriale de la Polynésie française, il est inséré un article 6-2 ainsi rédigé :
« Art. 6-2. - Chaque liste comporte un nombre égal de candidats de chaque sexe à une unité près. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Cabanel, rapporteur. Tout d'abord, je souhaite, en réponse aux propos comme toujours très courtois de mon collègue Guy Allouche, lui dire qu'il n'y a rien à rajouter.
Ce n'est d'ailleurs pas de gaieté de coeur que j'évoque un problème extrêmement délicat : lors de la commission mixte paritaire, l'article 1er n'était plus en discussion, puisqu'il avait été adopté conforme en deuxième lecture par les deux assemblées, et il n'y avait donc aucun moyen légal de l'amender, lors de l'examen du texte par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. Par conséquent, je suis un peu gêné.
Je tiens ces propos non pas du tout pour guerroyer sur la parité. Nous savons pertinemment que la loi du 6 juin 2000 a été promulguée et que le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la formule retenue par l'Assemblée nationale. Pour nous, c'est la loi, et il n'y a pas de discussion à cet égard.
Toutefois - j'attire l'attention de mes collègues sur ce point - la procédure adoptée par l'Assemblée nationale constitue un détournement de procédure qui remet en cause les principes mêmes de l'organisation des discussions parlementaires, fondés sur les navettes d'assemblée à assemblée : la loi est élaborée par adjonctions successives d'articles votés dans les mêmes termes par les deux assemblées. Et, en principe, on ne peut reprendre le processus législatif à l'envers et revenir sur ce qui a été voté en termes identiques.
Je reconnais que l'Assemblée nationale a peut-être voté par inadvertance ; mais c'est tout de même l'amendement d'un membre de la majorité plurielle qui avait été voté et qui correspondait au libellé de l'article 1er selon le Sénat. On peut avoir tous les regrets, mais on peut difficilement détourner la procédure fondamentale du système des navettes.
Dominique. C'est une tricherie !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Pour ma part, je regrette que nous ayons une discussion un peu plus longue que prévu, mais il nous faut, pour le Conseil constitutionnel qui examine systématiquement toutes les lois organiques, expliciter cette procédure qui est tout de même assez innovante dans la mesure où un amendement déposé à l'article 1er, pourtant déjà adopté conforme, a permis de rappeler ce dernier en discussion. Pour l'heure nous n'avons pas trouvé de jurisprudence permettant de procéder ainsi.
C'était un dilemme pour l'Assemblée nationale : fallait-il étendre à tous les territoires le système simplifié, voté pour la Polynésie française ? Cela ne me gênait pas dans la mesure où un certain nombre de sénateurs élus de Polynésie française, de Wallis-et-Futuna ou de Nouvelle-Calédonie nous ont indiqué à quel point il sera très difficile d'appliquer la parité, et encore plus difficile de l'appliquer dans sa complexité maximale.
A mon sens, l'existence des articles 74 et 77 de la Constitution permettait d'établir un régime particulier pour les collectivités d'outre-mer, d'instaurer une phase intermédiaire qui n'avait pas pour objet - rassurez-vous madame Terrade - de constituer un dernier baroud d'honneur eu égard aux principes reconnus par le Conseil constitutionnel ; tel n'est pas, en effet, mon état d'esprit en intervenant ici.
Nous sommes donc obligés d'en revenir au texte que nous avions précédemment adopté. Puisque nous sommes maintenant dans un système où l'on revient sur les articles votés, système nouveau en matière de débats parlementaires, notre amendement n° 1 vise à un retour au texte initial, prévoyant une composition paritaire des listes sans contrainte supplémentaire sur l'ordre de présentation des candidats.
Au nom de la commission des lois, je vous serais donc reconnaissant, mes chers collègues, de bien vouloir voter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Sagesse.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je voudrais abonder dans le sens de M. le rapporteur et dire que la sagesse, en l'occurrence, s'exprime par sa voix.
Nous avons effectivement entendu en commission des lois des sénateurs de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna. Tous nous ont dit qu'il était irréaliste de vouloir mettre en place le système de la « parité stricte », pour reprendre les termes de M. le rapporteur.
J'ajouterai que, dans cette affaire, l'étude d'impact nous a manqué ; elle n'apparaît pas, nous ne l'avons pas eue. Cependant, il est au moins une conséquence du vote de la loi sur la parité que l'on peut d'ores et déjà tirer : nous allons interdire, et pendant les dix années qui viennent, tout accès à la politique des éléments masculins. C'est un effet que nous n'avions pas prévu lorsque nous avons voté la parité, mais il commence à se manifester. (Mme Terrade s'exclame.)
Tous ceux qui, à l'heure actuelle, sont en train de constituer des listes savent très bien qu'ils doivent remercier des hommes qui n'ont pas démérité et qu'ils doivent dire à toute une génération de jeunes hommes qui voudraient faire de la politique, que, malheureusement, cela ne sera pas possible...
Mme Odette Terrade. Les femmes non plus n'ont pas démérité au début du siècle !
M. Patrice Gélard. ... et qu'ils seront obligés de recourir à des recrutements féminins.
Je suis bien obligé de le dire, madame Terrade...
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Patrice Gélard. ... parce que c'est la vérité.
M. Dominique Braye. C'est vrai !
M. Patrice Gélard. Je crains que nous n'ayons pas examiné avec suffisamment de profondeur le dispositif qui a été voté à l'Assemblée nationale et, parfois, au Sénat.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole et à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Par rapport à d'autres collègues, j'ai eu la chance de me rendre et en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. (Exclamations amusées sur les travées du RPR.) Je ne suis pas encore allé à Mayotte ni à Wallis-et-Futuna, mais peut-être cela viendra-t-il. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Bonnes vacances !
M. Alain Gournac. Oui !
M. Dominique Braye. Vous faites des voyages, c'est bien !
M. Guy Allouche. Si je dis cela, mes chers collègues, c'est parce que j'ai pu constater sur place (Murmures continus sur les travées du RPR), par tous les contacts que j'ai eus au cours de la mission du Sénat (M. Braye s'exclame)...
Cela ne vous dérange pas que je m'explique, monsieur Braye ?
M. Dominique Braye. A franchement parler, si !
M. Guy Allouche. Vous pouvez sortir et aller vous rafraîchir les idées, cela vous fera du bien ! (M. Braye s'exclame.)
J'use de mon droit d'expression au sein de cette enceinte, mon cher collègue.
J'ai donc pu constater sur place qu'il y avait énormément de femmes !
Mme Odette Terrade. Bien sûr !
M. Guy Allouche. En termes statistiques, il y a beaucoup de femmes, aussi bien en Nouvelle-Calédonie qu'en Polynésie française. Nous avons même constaté que nombre de femmes étaient partie prenante des contacts que nous avions eus.
Peut-être que, ici ou là, à tel ou tel endroit, se pose une difficulté : mais cette même difficulté, nous avons entendu nombre de nos collègues nous dire, lors du débat sur la parité, qu'ils allaient la rencontrer en 2001. Est-elle d'ailleurs vraiment insurmontable ? Sûrement pas ! Il faudra certainement faire oeuvre de conviction et de persuasion...
M. Dominique Braye. Ah oui !
M. Guy Allouche. ... pour inciter certaines femmes à s'inscrire sur les listes électorales. Mais de là à dire, comme certains le laissent supposer, qu'il y a un manque de femmes outre-mer, ce n'est pas exact.
M. Dominique Braye. Oh non !
M. Patrice Gélard. Personne n'a dit cela !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.

Article 2