Séance du 28 juin 2000







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Je me félicite, bien évidemment, que la discussion de ce texte parvienne à son terme dans un consensus que nous avons recherché aussi large que possible, sur le plan politique, entre les deux assemblées. En effet, la difficulté était triple.
Il s'agissait, d'abord, de conforter notre démocratie en rassurant les élus locaux par une meilleure définition des délits non intentionnels.
Il convenait, ensuite, de ne pas créer de législation spécifique pour eux.
Enfin, il importait de ne pas ouvrir de nouveau la plaie douloureuse des familles des victimes dans le cas, notamment, du contentieux transfusionnel.
La pénalisation outrancière de notre vie publique, vécue douloureusement dans mon département, m'a conduit à intervenir à plusieurs reprises dans cette assemblée sur ce sujet et à présenter plusieurs propositions d'aménagement de notre législation actuelle. Certaines de mes propositions, par voie d'amendements ou sous la forme de propositions de loi, ont été écartées, d'autres ont été retenues. C'est notamment le cas de l'amendement que j'avais déposé en première lecture qui prévoyait que les collectivités locales avaient la faculté d'assurer la protection de leurs élus lorsque ceux-ci faisaient l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'avaient pas le caractère de faute détachable. L'Assemblée nationale a accepté cette mesure en la rendant obligatoire, ce dont je me réjouis. Je rappellerai que, dans ma rédaction initiale, cette protection était obligatoire et que c'est à la demande de Mme le garde des sceaux que je l'avais rendue facultative. Je me réjouis qu'un consensus se soit dessiné sur ce point dans nos deux assemblées.
Nous aboutissons donc à un texte qui va plus loin que celui de 1996, qui était lui-même d'origine sénatoriale. Mais nous pouvons malgré tout nous poser la question de savoir si toutes les difficultés ont été pour autant levées. Même en l'absence de dispositions spécifiques concernant les élus et leurs collaborateurs, pourra-t-on éviter certaines interprétations, entraînant la poursuite systématique des élus ?
Quant aux élus locaux qui s'interrogent actuellement sur l'avenir de leur fonction et sur l'opportunité de solliciter à un nouveau mandat l'année prochaine, se sentiront-ils confortés par ce texte ? Nous pouvons l'espérer, mais cela sera-t-il suffisant ?
C'est pourquoi, mes chers collègues, il appartient au Sénat, en sa qualité de grand représentant des communes de France, de continuer à oeuvrer dans ce sens, d'une part en se montrant vigilant sur l'application de ce texte et, d'autre part, en le complétant d'urgence pour offrir à notre démocratie française un véritable statut de l'élu local, ce dont elle a besoin.
Comme l'a déclaré le président Christian Poncelet, la relance de la décentralisation « passe notamment par l'exploration de nouveaux territoires d'intervention pour les collectivités locales ». Il est donc de plus en plus urgent d'élaborer un véritable statut de l'élu. J'ai l'intime conviction que, si nous avions commencé par là, sans doute bien des difficultés que nombre de maires rencontrent au sein des collectivités locales auraient pu être évitées.
Je travaille dans ce sens. J'espère que nous réussirons, au cours de la prochaine session d'automne - d'ici à la fin de cette session, le délai est un peu court, bien entendu - que ce soit sur l'initiative du Gouvernement ou sur la nôtre, à élaborer un texte sur le statut de l'élu car, véritablement, les élus locaux ne peuvent continuer de travailler dans les conditions qu'ils connaissent aujourd'hui. C'est la première initiative que nous devrons prendre prochainement.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous concluons ici, au moins provisoirement - mais il semble que l'Assemblée nationale devrait se rallier à la rédaction transactionnelle retenue aujourd'hui - nos débats sur la définition des délits non intentionnels.
Nous en tirons au moins deux enseignements : premièrement, à vouloir aller trop vite, on finit par aller plus lentement ; deuxièmement, à faire la sourde oreille, on finit par entendre des cris.
On peut être persuadé de se trouver dans le vrai, on peut penser avoir balisé l'ensemble des conséquences d'une modification législative, je reste persuadé que notre travail de législateur, qui est, fort heureusement, de plus en plus public, nécessite un effort effectif de pédagogie en direction des citoyens.
On ne peut pas faire l'économie de l'explication : c'est une attente réelle de nos concitoyens, qui sont de plus en plus éclairés, et l'on doit se féliciter de cet intérêt citoyen pour le travail parlementaire.
Cet effort est d'autant plus nécessaire lorsqu'on se trouve dans un domaine aussi essentiel que celui qui nous a réunis aujourd'hui : il faut alors recueillir le plus large consensus pour favoriser la bonne compréhension et la bonne application de la loi future.
Mieux vaut passer du temps sur la rédaction afin d'aboutir à une loi qui soit durable plutôt que faire vite sur une loi dont les difficultés d'application nécessiteront de la remettre rapidement en question.
Les débats qui viennent d'avoir lieu montrent que, dès lors que l'on s'écoute, les uns et les autres, il est possible d'arriver à un accord.
Aussi, nous nous félicitons qu'il ait été possible de parvenir à une rédaction qui, en permettant de préciser que la distinction entre auteur direct et indirect n'induit pas une hiérarchisation - précision fondamentale quand on sait que, dans certains cas, les causes directes peuvent être l'élément déterminant du dommage - et en retenant la notion de faute caractérisée mais en rendant l'appréciation de la faute indépendante de la gravité du risque, semble équitable pour les uns et pour les autres.
Cette rédaction permet, en effet, à la fois de préserver les droits des victimes d'accidents collectifs, mais aussi d'éviter les situations injustes que la législation actuelle rend possibles.
Nous regrettons d'autant plus les réserves que nous avons pu entendre ici ou là et nous espérons que l'application future de la loi permettra de les désamorcer. Je crois, comme mon collègue Gélard, qu'il faut relever ce défi.
Aujourd'hui, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen se prononceront favorablement, les réserves qu'ils avaient émises jusqu'à présent leur paraissant levées.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous en sommes tous conscients, l'application des dispositions actuelles du code pénal concernant la responsabilité pour les délits non intentionnels soulève des difficultés. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes déclarés favorables au principe d'une réforme dans ce domaine, et nous avons soutenu la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon.
Toutefois, comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, cette réforme ne doit pas aboutir à l'excès inverse, c'est-à-dire à une dépénalisation de comportements dangereux dans des domaines aussi importants que le droit du travail, la santé publique, la sécurité routière ou l'environnement. C'est la raison pour laquelle, afin de poursuivre les consultations et de procéder à un approfondissement pour parvenir à un texte équilibré, vous aviez souhaité, au début du mois de juin dernier, retirer ce texte de l'ordre du jour.
La majorité sénatoriale a tenté d'entraver cette concertation, mais vous avez persévéré dans cette voie, et le groupe socialiste s'en félicite. Il se réjouit également de la volonté du Gouvernement de voir aboutir ce texte avant la fin de la présente session.
Le texte ainsi amendé recueille un large consensus. Il répond à la légitime attente des acteurs de la vie publique et de la vie sociale soumis à une pénalisation excessive, sans toutefois aboutir à une dépénalisation des fautes commises par négligence et des fautes indirectes.
Le groupe socialiste votera donc cette proposition de loi, qui va dans le bon sens et s'inscrit dans une réflexion d'ensemble qui doit être poursuivie sur les mécanismes de garantie des dommages subis par les victimes. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Nombre de nos collègues ont fait part d'une certaine insatisfaction sur le plan juridique. Comme vous l'avez dit, madame le garde des sceaux, cette proposition de loi apporte beaucoup de progrès. Il n'en demeure pas moins que la jurisprudence en ce domaine n'évoluera peut-être pas, comme c'est parfois le cas en d'autres matières, et que ce texte ne changera peut-être pas les habitudes. Nous avons déjà connu cette situation avec la loi de 1996. En effet, nous avons dû remettre le texte sur le métier, puisque, apparemment, il n'avait pas changé grand-chose à la jurisprudence.
S'agissant de la présente proposition de loi, plusieurs points doivent être signalés.
Tout d'abord, ce n'est pas un texte pour les élus, c'est un texte pour tous les décideurs. Il était important qu'il en soit ainsi même si, parmi les décideurs - et la responsabilité du Sénat à l'égard des collectivités locales n'est pas négligeable - les élus sont souvent le plus injustement poursuivis, ce qui ne signifie pas condamnés. La pénalisation de la société a été évoquée. Mais nous en sommes largement responsables puisque l'action publique n'est plus vraiment engagée. En fait, on confie à des associations - je n'emploierai pas les termes de lobbies ou de groupes de pression - le soin de se porter partie civile au nom des citoyens. Dans ces conditions, je ne sais pas s'il est encore possible de parler d'action publique, et donc de directives en matière de politique pénale à prendre par la chancellerie.
Souhaitons que ce texte contribue à une dépénalisation de la société, que nous réclamons tous. Bien souvent, nous le savons, les victimes choisissent, pour intenter leur action, la voie pénale car elles pensent que la procédure ira plus vite, notamment en matière d'expertise. En effet, les procès civils, procédure fort opportunément rappelée dans le texte, tant dans le domaine du droit du travail que dans celui du droit civil, durent trop longtemps. Nous devons engager cette réflexion pour éviter de sanctionner pénalement des fautes qui n'ont pas réellement un caractère pénal et qui pourraient très bien être jugées au civil. Nous l'avons vu en ce qui concerne la responsabilité publique, notamment dans le domaine de la santé.
Ce texte n'est pas parfait mais il est utile. Il devrait constituer un progrès par rapport à notre législation actuelle. C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste le votera, en remerciant tout particulièrement notre rapporteur de son étonnant travail. Chacun connaît son agilité d'esprit et sa grande connaissance du droit.
M. Yves Fréville. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, en l'occurrence, le Sénat a, une fois encore, démontré son utilité. Une fois encore, il a su combler des lacunes de notre droit ou pallier les errements d'une certaine jurisprudence.
Pour la deuxième fois consécutive, nous sommes amenés à revoir l'article 121-3 du code pénal, qui, je le signale, est d'ailleurs une anomalie, pour reprendre ce terme, dans l'ensemble des droits européens. La France est pratiquement le seul pays en Europe à connaître des délits d'une telle nature.
Il était temps de mettre fin à certaines dérives. A cet égard, je tiens, comme Jean-Jacques Hyest, à rendre hommage à notre ami Pierre Fauchon qui, grâce à sa persévérance, a réussi à faire avancer, dans une certaine mesure, notre dispositif répressif.
Je ne crois pas que nous soyons allés au bout des choses. Je crois que nous sommes dans une politique de petits pas. M. Pierre Fauchon devra vraisemblablement nous concocter, d'ici à deux ou trois ans, une nouvelle mouture de l'article 121-3 du code pénal.
Par ailleurs, je crains que certains ne profitent de cette avancée qui pourrait découler d'un texte réputé plus généreux que les dispositions précédentes pour se soustraire à une obligation de précaution ou de prévention face à la mise en péril d'autrui. Il faut fermement attirer l'attention de tous les décideurs. Comme M. Hyest, je précise qu'il s'agit non pas d'un texte pour les élus, mais d'un texte pour l'ensemble de ceux qui décident et même, dans certains cas, pour certaines personnes de droit privé qui exercent une activité n'ayant aucun rapport avec la prise de décision, mais dont le comportement mettrait en péril la vie ou les biens d'autrui.
Je voudrais simplement souligner le fait que la vigilance ne doit pas être relâchée en ce qui concerne les obligations de surveillance, de précaution et de sécurité auxquelles tous les décideurs sont contraints. En effet, ce n'est pas parce que nous avons adopté ce texte que nous devons baisser la garde.
Cela étant dit, ce texte constitue une étape, qui n'est pas parfaite. Je désire simplement que nous avancions et que la jurisprudence en tienne compte.
Pour conclure, je souhaite, madame le garde des sceaux, que l'article 44, alinéa 3, de la Constitution ne reste ici qu'un très mauvais souvenir passager. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité. (Applaudissements.)

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