SEANCE DU 1ER FEVRIER 2001


DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion
d'une proposition de loi organique déclarée d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Béteille, que je salue car c'est sa première intervention à la tribune du Sénat. (Applaudissements.)
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat au logement, mes chers collègues, nous voici face à un de ces débats qui ne font pas véritablement honneur à notre République. Je sais bien que certains s'en délecteront mais, hélas !, c'est encore une fois la légitimité de la classe politique qui en pâtira.
Ce texte ne requérait aucune urgence, mais ses conséquences institutionnelles sont graves et mal évaluées. Par ailleurs, il est bien loin, bien trop loin des préoccupations de nos concitoyens.
Que nous disent ceux-ci quand nous les rencontrons chaque jour sur le terrain, dans nos communes, dans nos départements, dans nos régions ? Ils nous disent qu'ils ne comprennent pas que le Parlement consacre tant de temps à des débats institutionnels, alors que tant de textes importants sont attendus ; ils nous disent qu'ils ne comprennent pas l'obstination du Gouvernement : pourquoi retirer de l'ordre du jour le projet de loi d'orientation sur la forêt, pourquoi en retirer le texte sur les sectes ou celui qui est relatif à l'interruption volontaire de grossesse ?
Que pouvons-nous leur répondre ? Que le Gouvernement a voulu punir le Sénat en supprimant ces textes de l'ordre du jour ?
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est la France qu'il punit !
M. Laurent Béteille. Exactement !
Ce sont nos concitoyens eux-mêmes qui sont punis, dès lors que ces textes importants pour leur quotidien ne peuvent être discutés.
Ils nous disent aussi qu'ils trouvent nos débats trop éloignés de leur réalité, et ils ont raison. La réalité, c'est la violence quotidienne, qui a encore frappé ce week-end en proche banlieue et dans la plus totale impunité ; la réalité, c'est l'inquiétude légitime qu'éprouvent nos concitoyens pour leur retraite. Le Gouvernement avait d'ailleurs annoncé un projet de loi sur les retraites en 1997, dans son programme électoral. Qu'en est-il aujourd'hui ? Rien n'a été fait, et le Premier ministre préfère demander aux cabinets ministériels de travailler sur ce texte, qu'il considère comme majeur, plutôt que sur tous ceux qu'attendent vainement nos compatriotes. Cela ne les amusera plus longtemps, et bientôt, je n'en doute pas, vous serez sanctionnés par les électeurs pour ces petites manoeuvres !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. On verra ça !
M. Laurent Béteille. Pourtant, nombreux étaient ceux qui, ici, il n'y a pas encore si longtemps, vous mettaient en garde contre les risques que couraient notre vie politique, notre République et nos institutions dans l'ensemble ; nombreux étaient mes collègues qui vous mettaient en garde contre le danger que représentait l'ouverture de la boîte de Pandore - ainsi que l'avait nommée notre éminent collègue Jean-Pierre Schosteck, sénateur des Hauts-de-Seine - au prétexte fallacieux de vouloir paraître moderne.
En effet, voter le quinquennat, même si l'on pouvait y trouver de bonnes raisons, était le premier pas d'une course effrénée dans laquelle vous vous êtes lancés. Nous n'en sommes aujourd'hui qu'à la deuxième étape. Combien en restera-t-il après celle-ci ? Nous voici invités à traiter cette nouvelle étape qui viserait, c'est le Gouvernement qui le dit, à rétablir une logique - en réalité logique des plus contestables - dans l'ordre des élections.
Quelles seront les étapes suivantes ? Personne ne semble pouvoir sérieusement le dire, puisqu'il est évident que toutes ces réformes ne sont proposées qu'au gré des circonstances, au coup par coup, au gré des prévisions sur les avantages électoraux que tel ou tel croit pouvoir en espérer.
C'est bel et bien une petite manoeuvre politicienne que nous nous efforçons de dénoncer depuis trois semaines maintenant, une toute petite manoeuvre. J'en veux pour preuve cette formule malheureuse du Premier ministre, qui jurait la main sur le coeur qu'aucune initiative en ce sens ne serait prise.
En effet, jusqu'à son intervention du 19 décembre dernier à l'Assemblée nationale, M. le Premier ministre, dont personne ne doute qu'il était trop occupé par les devoirs imposants de sa charge, ne s'était pas aperçu du caractère « fortuit », pour reprendre son propre terme, d'un calendrier électoral qui nous conduirait en effet à élire les députés, puis, ensuite seulement, le Président de la République.
Ce calendrier, qu'il considère aujourd'hui comme aberrant, alors qu'il n'a pas semblé s'en préoccuper pendant près de quatre ans, résulte, avoue-t-il, de deux aléas dont on comprend mal qu'il ne se soit pas aperçu plus tôt.
M. Lionel Jospin se souvient en effet soudain que le Président Pompidou est mort en 1974 et que la dernière dissolution est intervenue voilà trois ans et demi.
Je ne peux m'empêcher, avec vous, mes chers collègues, de me poser une question bien innocente, je l'avoue, mais que je vous livre néanmoins : pourquoi n'en a-t-il rien dit au printemps dernier, lors du débat sur le quinquennat ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Eh oui !
M. Laurent Béteille. Je m'interroge : soit il ne s'en était pas aperçu, et cela prouverait le manque de vue à long terme du Premier ministre ; je ne lui ferai pas l'offense de l'imaginer, même si, comme vous sans doute, le doute m'effleure parfois sur des sujets tels que les retraites ou la sécurité ; soit il ne pensait pas à cette époque avoir besoin d'un stratagème visant à changer la règle du jeu parce que sûr alors de son destin présidentiel ; soit, mais ce serait bien pis encore, il y avait pensé mais il maintenait cachée cette réforme, se réservant d'attendre un moment plus propice pour sortir du bois, craignant que le subterfuge ne paraisse trop gros aux yeux de l'opinion ou des partenaires de la majorité plurielle.
Quelle que soit l'hypothèse retenue, c'est bien d'une réforme de circonstance qu'il s'agit et, comme toujours, c'est notre vie politique qui en fera les frais. Je ne suis pas le seul à penser de la sorte.
L'un de mes collègues de la commission des lois m'a d'ailleurs rapporté qu'un jour, en commission, nos collègues communistes et socialistes n'ont pas souhaité débattre d'un texte qui nous était soumis au motif que, selon eux, il s'agissait d'un texte de circonstance, ce qui était toujours mauvais. Je ne peux bien évidemment que leur donner tout à fait raison ; mais je les invite à être logique avec eux-mêmes et, en retour, à nous rejoindre pour rejeter avec nous cette proposition de loi, qui n'aura d'autre effet que de décrédibiliser la classe politique dans son ensemble.
Tout en effet conduit à penser que ce débat est inspiré par une hypocrisie sans limite.
Le débat est improvisé, puisqu'il a été ajouté bien tardivement à l'ordre du jour, et il est évidemment précipité, puisque le Gouvernement a, une fois de plus, décrété l'urgence ; il semble d'ailleurs que cela devienne une habitude sur les sujets importants. Je ne peux que regretter un tel choix, après nombre de mes collègues, s'agissant d'un texte qui exige aussi peu l'urgence. S'il y avait eu urgence, il aurait fallu s'y prendre voilà quatre ans car, dès juin 1997, nous savions ce que devait être l'ordre des élections en 2002.
Le débat sur les institutions a eu lieu à l'Assemblée nationale dans un pseudo-préalable à la discussion du calendrier électoral, lui-même fictif. M. Patrick Devedjian, s'exprimant au nom du RPR, avait d'ailleurs relevé dans L'Hebdo des socialistes du 8 décembre dernier l'analyse suivante : « Ce n'est pas un débat institutionnel. Il serait difficile d'engager un débat institutionnel de fond en période de cohabitation et à quinze mois des échéances nationales. »
Le prétendu débat institutionnel accordé à l'Assemblée nationale n'était en fait qu'une tentative grossière, et du reste avortée, de mieux faire passer cette manoeuvre électorale.
Quelle n'est d'ailleurs pas ma stupéfaction d'entendre les traditionnels opposants à la logique des institutions de la Ve République se faire aujourd'hui les plus ardents défenseurs de cette logique ! Nous avons donc entendu des déclarations aussi vertueuses que soudaines sur la logique de la Constitution et sur le respect des principes établis par le général de Gaulle. Quel dommage qu'à l'affirmation de ces principes correspondent étroitement les intérêts électoraux de ceux qui prétendent s'en inspirer ! Ces affirmations sont d'autant plus surprenantes qu'elles émanent de ceux qui se déclarent héritiers de François Mitterrand, l'auteur du Coup d'Etat permanent.
Lionel Jospin lui-même ne déclarait-il pas que la Constitution de la Ve République n'était pas sa référence ?
Le Premier ministre comme le ministre de l'intérieur ont affirmé que nul ne pouvait prévoir, à seize mois de distance, le résultat des élections. Ils affichent la meilleure bonne foi et, selon eux, le présent texte peut être voté en l'état puisqu'il n'est susceptible de profiter à aucune des parties en présence.
Néanmoins, je me permets de douter de cette bonne foi lorsque je lis, dans l'excellente Revue socialiste, la non moins excellente analyse d'Eric Perraudeau.
En effet, les socialistes, quoi qu'ils en disent, ne font pas l'économie de prévisions électorales. De telles prévisions, détaillées département par département et circonscription par circonscription, occupent plus de trente pages de la revue déjà citée !
Voici donc ce qu'on peut lire sous la plume d'Eric Perraudeau dans le numéro de novembre dernier :
« Une lecture attentive des trois précédents scrutins depuis 1997 met en évidence un rétrécissement de la base électorale de la gauche plurielle et un recul sensible de ses résultats électoraux.
« En remportant les élections de 1997, les socialistes et la gauche sont revenus de loin. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, chaque scrutin a constitué autant de marches d'une longue descente aux enfers où la gauche perdait irrésistiblement du terrain : régionales de 1992, législatives de 1993, européennes de 1994 ; trois échecs cuisants qui laissèrent des blessures profondes à la gauche.
« Au contraire, les trois derniers scrutins électoraux en France - législatives, régionales et cantonales, européennes - ont permis à la gauche de renouer durablement avec le succès électoral, y compris lors des élections intermédiaires, traditionnellement défavorables au pouvoir en place.
« En nombre de sièges, la progression de la gauche plurielle est incontestable. Pourtant, à y regarder de plus près, cette progression ne traduit pas une consolidation électorale de la gauche.
« Avec 310 députés contre 244 à la droite parlementaire, la gauche dispose d'une avance confortable de 66 sièges. Sa progression fut spectaculaire, à l'image des 112 circonscriptions où Jacques Chirac avait été majoritaire en 1995, et que le parti socialiste est parvenu à reprendre en 1997.
« Signe de ce dynamisme politique, dans les 369 circonscriptions où se sont affrontés au second tour un candidat socialiste - ou divers gauche - et un candidat de la droite parlementaire, le candidat socialiste l'a emporté dans 210 duels contre 159 à la droite.
« Pourtant, on oublie trop souvent que la défaite de la droite en juin 1997 ne s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix. Dans 34 circonscriptions où s'opposaient en duel un candidat socialiste et un candidat de l'opposition, la victoire socialiste n'a été acquise que par un score compris entre 50 et 51,5 % des voix.
« Si ces 34 circonscriptions avaient basculé à droite en 1997, le résultat final en aurait été inversé, et la gauche serait actuellement dans l'opposition. Il aurait suffi pour cela qu'à l'échelle nationale moins de 1 % des électeurs modifient leur comportement.
« A cet égard, les résultats du département de la Drôme sont particulièrement instructifs. En juin 1997, les quatre circonscriptions sont revenues à la gauche. Mais trois sièges ont été remportés avec un score inférieur à 51 % et le dernier l'a été à l'occasion d'une triangulaire avec le Front national. Ainsi, Michèle Rivasi gagne avec 33 voix d'avance sur le candidat de droite, Michel Grégoire avec 57 voix, Eric Besson avec 110, tandis qu'Henri Bertholet l'emporte avec 2 267 voix d'avance, mais dans une triangulaire où le Front national recueille 9 597 voix au second tour. Combien parviendront à conserver leur siège en 2002 ?
« Ce serait donc une erreur de croire que le parti socialiste, malgré le travail réalisé par Lionel Jospin entre 1995 et 1997, a regagné la totalité du terrain perdu entre 1988 et 1993. Dans les circonscriptions où il dépassait 40 % des voix en 1988, le parti socialiste a pu perdre plus de 30 % de ses scores initiaux, et recule de 14 points en moyenne dans les 490 circonscriptions où il a été constamment présent entre 1988 et 1997.
« Cette baisse s'explique en partie par la perte d'influence du parti socialiste en milieu populaire. Il recule massivement en milieu ouvrier - moins 16 points - et dans les classes moyennes salariées - moins 13 points chez les professions intermédiaires et moins 11 points chez les employés. Aujourd'hui, le parti socialiste recueille davantage de voix parmi les cadres supérieurs que parmi les ouvriers.
« Au sein de la gauche, le poids du PS évolue également dans un sens qui ne lui est pas favorable. Alors qu'il représentait 74 % du total des voix de gauche en 1988, 61 % en 1993, il n'en représente plus que 58 % désormais.
« L'analyse comparative des différents scrutins, notamment des législatives depuis 1981, nécessite cependant d'avoir à l'esprit certaines constantes. Les législatives qui suivent des présidentielles ont toujours tiré à la hausse la gauche plurielle, et notamment le parti socialiste. »
Nous y voilà !
« Ce fut le cas en 1981 et en 1988. La mise en perspective avec les scrutins de 1995 et 1997 suggère de maintenir une certaine prudence. Il est surtout difficile aujourd'hui d'anticiper l'effet qu'aura sur le comportement électoral des Français l'inversion des calendriers en 2002.
« On ne sait non plus comment les formations politiques et les candidats à l'élection présidentielle articuleront la campagne des élections législatives avec celle de la présidentielle. Cependant, ce resserrement de la base électorale du parti socialiste ne se constate pas uniquement à l'occasion des législatives. Il s'est vérifié lors des autres scrutins, ce qui traduit bien une tendance plus large.
« Un an après sa victoire de 1997, les élections régionales de 1998 sont venues confirmer cette double tendance : une dynamique politique à gauche, qui lui permet de progresser en sièges au point de rééquilibrer le nombre de régions présidées par la gauche et la droite, mais aussi le resserrement de sa base électorale.
« En effet, malgré son succès, la gauche plurielle a reculé lors des élections régionales de 1998. Son score global diminue dans la majorité des départements par rapport à 1992, qui fut pourtant un échec électoral important, annonçant le revers de 1993.
« Devant le sentiment d'impuissance des politiques, le balancier électoral se retournait particulièrement vite ces dernières années. De plus en plus vite même. Depuis 1981, pas un gouvernement sortant n'aura été reconduit. Tous auront été sanctionnés par les électeurs. Lionel Jospin en a bien conscience. »
On ne fera donc croire à personne que le parti socialiste n'a pas réfléchi à l'intérêt éventuel d'une inversion du calendrier électoral, d'autant que, lors des prochaines législatives, vous pourrez difficilement compter, cette fois-ci, sur le maintien de l'extrême droite au second tour.
D'ailleurs, votre inquiétude est d'autant plus grande que, depuis 1978, aucune Assemblée sortante n'a été reconduite ; la gauche craint, bien sûr, que ce ne soit son tour d'être battue.
Ainsi, M. Jospin aurait les plus grandes difficultés, après avoir perdu les élections législatives, à se poser dès le lendemain en candidat susceptible de l'emporter à l'élection présidentielle qui suivrait.
M. Emmanuelli a d'ailleurs déclaré le 27 novembre, et je salue sa franchise : « Tout le monde sait que ce calendrier tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas vraiment favorable au candidat de la gauche. »
M. Cambadélis, grand théoricien électoral du parti socialiste depuis plus de quinze ans, s'empresse d'ajouter : « On lève aussi l'hypothèque du centre. C'est un élément secondaire, peut-être un peu politicien, mais qu'il faut avoir toujours en tête : soit l'UDF vote le changement de calendrier, et je crains que cela n'induise une crise assez forte au sein de la droite au vu de la réaction du RPR, soit elle ne le vote pas, et l'hypothèse d'une candidature du centre aux élections présidentielles se réduit à néant. »
Je n'invente rien ! Vous pourrez trouver ces paroles inscrites dans L'Hebdo des socialistes du 8 décembre. J'imagine qu'il ne s'agit pas là des lectures quotidiennes de la majorité sénatoriale, mais il est toujours intéressant de se référer aux pensées fortes de ses adversaires.
Il est évident, au regard de tous ces éléments, que les socialistes ne font pas de politique politicienne... n'est-ce pas ?
Le 19 octobre, voilà donc trois mois seulement, le Premier ministre en personne condamnait fermement l'inversion du calendrier électoral : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là. » Eh bien, il n'en est pas resté là !
Dès lors, pourquoi reprocher à l'opposition d'analyser les choses comme le Premier ministre l'a fait lui-même, voilà fort peu de temps ? S'il a compris que son attitude ne pouvait qu'être perçue comme politicienne, nous le comprenons aussi bien que lui !
La vraie question est de savoir pourquoi le Premier ministre, qui affirme toujours qu'il « fait ce qu'il dit », rompt aujourd'hui avec cette règle et fait le contraire de ce qu'il avait dit !
La gauche, en effet, s'est toujours plainte d'une prise de décision sans débat. Craignant l'excès de pouvoir présidentiel, elle pense que des élections législatives préalables renforcent les pouvoirs du Parlement. La gauche a toujours tenu ce discours. Ainsi, M. Jospin rappelait : « Je n'ai pas voté les institutions de la Ve République, ni en 1958 ni en 1962. Je ne suis pas présidentialiste aujourd'hui. »
Or il n'en considère pas moins désormais que l'élection présidentielle doit structurer la vie politique française. Là, c'est non plus d'inversion mais de conversion qu'il s'agit ! Il nous offre le joli paradoxe de vouloir renforcer le pouvoir du Président de la République contre son avis !
L'inversion du calendrier présenterait un second paradoxe. Alors que la gauche, qui aura gouverné pendant cinq ans, s'affirme fière de son bilan, l'examen de celui-ci serait occulté par le débat présidentiel. Car, s'il succède aux élections présidentielles, le débat sur le bilan de cinq ans de socialisme n'aura plus guère de sens. Voilà qui est singulier...
Ainsi les socialistes, mais d'autres aussi, qui ont toujours combattu l'esprit de la Ve République, prétendent-ils lui rendre hommage en « rétablissant la clarté institutionnelle et démocratique » parce que l'élection présidentielle serait « l'élection directrice ».
Cette affirmation doit être pour le moins nuancée, surtout en période de cohabitation. Or celle-ci n'est pas un accident : elle aura occupé neuf années sur vingt et une, et aura eu lieu trois fois en trois mandats présidentiels !
Si les élections législatives se déroulent avant la présidentielle, les candidats demanderont son soutien, dans chaque camp, au candidat présidentiel le plus crédible. Le candidat à la présidentielle continuera donc de diriger son camp et à influencer ses choix politiques.
Il est faux de prétendre que l'ordre des deux élections obéit à une tradition constitutionnelle. Les élections législatives ont précédé l'élection présidentielle à trois reprises. En 1958, les élections législatives se sont déroulées les 23 et 30 novembre, l'élection présidentielle intervenant le 21 décembre 1958, soit moins d'un mois plus tard, et cela à la naissance de la Ve République. Les élections législatives des 23 et 30 juin 1968 ont précédé l'élection présidentielle des 1er et 15 juin 1969, soit un écart de moins d'un an. En 1974, enfin, l'élection présidentielle, qui est intervenue quatorze mois après les élections législatives, n'était évidemment pas prévue, mais on observera que le président Giscard d'Estaing n'avait pas cru devoir dissoudre l'Assemblée nationale pour assurer la prééminence de son programme sur celui des partis qui composaient sa majorité préalablement élue.
Certains objecteront que, dans le premier de ces trois précédents, l'élection présidentielle n'a pas eu lieu au suffrage universel. Cet argument est, à mon sens, sans valeur, car, en 1958, l'influence des partis était encore beaucoup plus forte qu'aujourd'hui.
S'agissant du deuxième précédent, comment peut-on valablement soutenir que onze mois de délai sont convenables, mais que six semaines ne le sont pas ? Il faudrait alors définir le délai admissible !
Le Président tient sa prééminence de la Constitution. Or cette dernière ne fixe aucun ordre dans les élections.
Les socialistes veulent en réalité ajouter à la Constitution, sans même la modifier, des dispositions qui n'ont jamais fait débat depuis 1958.
Les prochaines élections arrivent chacune à leur échéance naturelle. Les législatives interviennent ainsi à l'échéance fixée par l'article L.O. 121 du code électoral, soit dans les deux mois qui précèdent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit l'élection. Il en est ainsi depuis 1958, et il n'y a donc strictement rien à « rétablir ». Quant à la date de l'élection présidentielle, elle est fixée, depuis la mort du président Pompidou, soit depuis vingt-six ans.
Les deux élections viennent donc, M. le rapporteur l'a rappelé, à un moment parfaitement habituel et prévu depuis toujours. Il se trouve qu'elles ont lieu la même année, mais il n'y a aucun hasard à cela, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement. S'il pense ainsi, c'est la date de l'élection présidentielle qu'il lui faut modifier, mais s'il ne le fait pas, c'est parce qu'il n'a pas la majorité constitutionnelle nécessaire. Ainsi, monsieur le secrétaire d'Etat, vous auriez pu le faire à l'occasion de la réforme du quinquennat, mais vous ne l'avez pas demandé !
En définitive, le Gouvernement ne conteste la date légitime et traditionnelle des élections législatives que parce qu'il n'a pas une majorité suffisante pour modifier la date de la présidentielle, qu'il prétend donc illégitime. Il s'agit donc bien d'une loi de convenance.
Le Gouvernement critique le fait que les deux élections aient lieu la même année ; or, cette concomitance résulte de la dissolution de 1997, qui impliquait un renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002. Sa proposition revient en réalité à contester le droit de dissolution.
Implicitement, le Gouvernement et sa majorité contestent les conséquences de la dissolution de 1997, comme si le terme normal de la législature ne pouvait pas être envisagé dès ce moment-là. Or, l'effet le plus évident de cette dissolution est bien le renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002 !
Le droit de dissolution, inscrit à l'article 12 de la Constitution, est absolu et n'est pas soumis à la condition que l'élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives. Rien dans la Constitution ne limite le droit de dissolution.
Il n'y a donc aucun hasard à corriger dans l'ordre du calendrier électoral, qui dépend de trois facteurs constitutionnels, hors d'atteinte d'une loi organique : la dissolution, la démission du Président ou sa mort. Si le Président démissionne - se « démet », aurait-on dit sous la IIIe République - ou meurt dans les six mois suivant les élections législatives, le calendrier est à nouveau renversé.
Vouloir qu'en cas de dissolution les élections législatives soient renvoyées après la présidentielle conduit à modifier la Constitution, ce qu'une loi organique ne peut pas faire.
En outre, quand bien même la présente proposition serait votée, les élections législatives pourraient avoir lieu avant la présidentielle. Il suffirait, par exemple, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre majorité n'en soit plus une et que le Président soit conduit à dissoudre à nouveau. C'est donc la dissolution qui est la matrice du calendrier.
Faute de pouvoir vous en prendre directement au droit de dissolution, vous entendez en corriger les effets accidentels quand ils vous dérangent. Mais d'autres dissolutions ne manqueront pas de survenir. Le président Mitterrand lui-même a usé de ce droit à deux reprises.
L'article 12 de la Constitution dispose qu'en cas de dissolution les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus tard après la dissolution. La Constitution est claire : on ne peut pas changer la date de ces élections par une simple loi organique.
Le Gouvernement soutient que quand les deux élections ont lieu la même année la présidentielle doit précéder les législatives. Le seul moyen de pérenniser ce principe serait de l'intégrer à la Constitution : il deviendrait alors incompatible avec le droit de dissolution.
Il faudrait donc supprimer ce dernier, interdire la démission du Président de la République - voire sa mort ! - quand elle suit des élections législatives. Ou alors il faudrait instituer un vice-président, ce qui reviendrait tout de même à changer fondamentalement la Constitution !
Une troisième voie aurait pu être proposée : on aurait pu envisager que des élections législatives soient obligatoirement organisées dans les deux mois qui suivent une élection présidentielle. Dans ce cas, ni la mort ni la démission du Président de la République, ni même la dissolution, n'auraient pour effet de modifier l'ordre du calendrier, qui resterait immuable. Cette réforme se serait en outre indéfiniment appliquée.
Au lieu de cela, le texte qui nous est proposé n'est valable que pour 2002, et encore sous réserve que les événements que j'ai mentionnés ne se produisent pas d'ici à cette date ! Nul doute qu'un jour ils finiront par se produire et ce qui aura été prévu pour 2002, et pour 2002 seulement, deviendra parfaitement inopérant.
L'inversion du calendrier électoral ne peut donc que conduire à un bouleversement profond de la Constitution. Compte tenu du contexte dans lequel elle nous est présentée, c'est donc bien une loi de circonstance qu'on nous demande de voter.
J'ajoute qu'un tel report des élections législatives est sans précédent sous la Ve République. Il a pour effet de proroger au-delà de cinq ans le mandat des députés sortants. Le Conseil constitutionnel a, certes, déjà accepté des prolongations de mandat, mais uniquement pour des élus locaux, la décision étant prise par le Parlement. Tel n'est pas le cas en l'occurrence, puisque des élus prorogeraient leur propre mandat, ce qui constituerait tout de même un précédent important fâcheux pour une démocratie !
Certes, l'article 25 de la Constitution renvoie à la loi organique pour fixer « la durée des pouvoirs de chaque assemblée », mais il ne permet pas de faire varier la durée de chaque législature au gré de ceux qui la composent.
Le plus choquant moralement est la prorogation par les députés eux-mêmes de leur propre mandat, prorogation d'autant plus discutable qu'aucun événement imprévu n'est survenu : on savait très bien en 1997 que les législatives auraient lieu en 2002.
Encadrée par la Constitution, la loi organique doit assurer une durée juridiquement stable à la législature. Le Conseil constitutionnel a également estimé, dans sa décision du 6 juillet 1994, que la mesure de prorogation devait demeurer exceptionnelle. Or, si les mots ont un sens, le rapprochement de la présidentielle et des législatives n'a, en principe, rien d'exceptionnel.
C'est donc bien, je le répète, d'une loi de circonstance qu'il s'agit, mais, lorsque l'on évoque les problèmes constitutionnels, il n'est jamais inutile de les situer dans une perspective historique.
La IVe République a mis en évidence l'inefficacité spectaculaire du régime parlementaire ; seule la haute administration maintenait le pays, la durée de vie moyenne des gouvernements n'étant que de sept ou huit mois. Il fallait donc à la France un régime qui puisse, au travers de la personnalisation du Président de la République, imposer une politique propre à redresser le pays.
J'indiquais tout à l'heure que nous en étions à la deuxième étape d'une réforme en profondeur - mais qui ne dit pas son nom - de nos institutions. Combien y en aura-t-il d'autres ?
Il s'agit bien de savoir, après l'instauration du quinquennat et maintenant l'inversion du calendrier, quel est l'avenir de la Ve République, surtout après plusieurs cohabitations.
Les socialistes et leurs alliés nous proposent aujourd'hui d'inverser le calendrier électoral en prétendant le rétablir ! Nous sommes en plein dans l'univers du 1984 de George Orwell. C'est bien de Novlangue qu'il s'agit ici : on donne une définition contraire à un mot et on fait croire qu'une chose est très exactement son contraire ! Mais personne n'est dupe.
Nous ne sommes pourtant pas dans le sinistre monde de Big Brother. Les choses ont leur nom : une inversion est une inversion, en aucun cas un rétablissement !
Si vous parlez de « rétablir » le calendrier, c'est que vous souhaitez revenir à la pratique de la Ve République première version, monsieur le secrétaire d'Etat. Dites-le clairement !
C'est, en réalité, un coup politique, et vous acceptez là l'héritage dont M. le Premier ministre avait pourtant prétendu vouloir faire l'inventaire ! Si un inventaire permet de choisir, en l'espèce le choix est celui des manoeuvres florentines !
C'est pour toutes ces raisons que mes collègues du groupe du RPR et moi-même nous ne voterons pas ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à Mme Brisepierre.
Mme Paulette Brisepierre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous allons arriver au terme d'un long débat, passionnant et passionné, débat provoqué par le brusque souhait du Gouvernement de changer les dates des deux échéances électorales les plus importantes qui se profilent : le renouvellement de l'Assemblée nationale et la présidentielle.
Vous me permettrez de déplorer d'abord le vide systématique d'une partie de l'hémicycle tout au long de notre discussion : nos collègues et amis qui ne partagent pas, et c'est leur droit le plus strict, notre point de vue nous auraient certainement apporté des arguments valables - il doit bien y en avoir - qui auraient peut-être modifié la position de certains d'entre nous.
Vous me permettrez ensuite de faire une confidence, monsieur le secrétaire d'Etat. Ce qui m'a incité aujourd'hui à prendre part au débat, c'est un article du Figaro disant que les sénateurs avaient - enfin ! - montré qu'ils pouvaient avoir de l'humour, être de « joyeux drilles » et que la longueur des débats permettait - enfin ! - à des sénateurs obscurs mais néanmoins méritants de s'exprimer en séance.
M. Serge Vinçon. Bravo !
Mme Paulette Brisepierre. Alors le sénateur obscur mais, je l'espère, méritant que je suis a décidé d'intervenir à son tour (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) , et ce - quel délice ! - sans avoir la hantise d'entendre la voix du président lui dire : vous avez deux minutes et demi, ma chère collègue !
M. le président. Vous avez tout votre temps, madame Brisepierre. Prenez-le ! Ne vous en privez pas ! (Rires sur les travées du RPR.)
Mme Paulette Brisepierre. Je l'apprécie !
Nous avons eu la chance, mes chers collègues, contrairement à nos amis députés, d'avoir la possibilité de débattre longuement de l'inversion du calendrier électoral. Cette réforme ne peut en aucun cas être considérée comme étant sans incidence sur la vie de nos institutions et de notre démocratie, comme l'ont prouvé tout au long de la discussion générale l'ensemble des orateurs.
Nous avons pu auditionner bon nombre d'éminents spécialistes dans le cadre des excellents travaux menés par notre commission des lois. Le choix des orateurs a été honnête puisque constitutionnalistes favorables ou hostiles à cette réforme se sont succédé.
Je me permets de revenir sur leurs propos dans la mesure où il m'a semblé que, même dans les interventions des spécialistes les plus favorables à l'inversion du calendrier, on pouvait relever des éléments très intéressants nous autorisant aujourd'hui à douter, d'une part, de la prétendue faiblesse de l'influence de la réforme sur nos institutions et, d'autre part, de l'inspiration constitutionnelle ou institutionnelle à l'origine de la présente proposition de loi organique.
M. René Rémond, membre de l'Académie française et président de la Fondation nationale des sciences politiques, après s'être félicité de l'étendue de la consultation organisée par le Sénat, a d'abord rappelé, pour comme nous le regretter, le manque de débat avant la réduction de la durée du mandat présidentiel. Il a expliqué, ensuite, qu'il souhaitait inscrire sa réflexion dans le long terme, indiquant par là même que l'opportunité d'une réforme du calendrier à tout juste un peu plus d'un an des échéances électorales pouvait susciter des soupçons de manipulation.
M. Rémond a rappelé que le postulat d'intangibilité des règles électorales peu avant une échéance électorale était récent et que des précédents contraires, s'agissant de délais beaucoup plus courts, existaient. Il a cité les réformes des modes de scrutin intervenues en 1927, ainsi que l'adoption de la loi sur les apparentements, en 1951.
Je me demande s'il ne s'agissait pas là d'une façon très pudique, convenable, de laisser entendre qu'il n'est en effet pas illégitime d'avoir des soupçons. C'est ce que mon collègue et ami Jean-Pierre Schosteck appelait, la semaine dernière, la « lecture en filigrane ».
M. Rémond a, en outre, estimé opportun le choix du mois de juin comme date des élections législatives, précisant que les facteurs habituels d'abstention, tels que les ponts et les départs en vacances, lui paraissaient moins fréquents à cette période. Là, en revanche, il ne me semble pas que le mois de juin soit la meilleures période pour obtenir une participation massive des électeurs. C'est le mois, par exemple, des voyages organisés pour les clubs du troisième âge et les étudiants qui viennent de finir leurs examens souhaitent partir avant les juillettistes afin de pouvoir, un travail d'étudiant en poche, gagner un peu d'argent pendant l'été.
M. Emmanuel Hamel. C'est normal !
Mme Paulette Brisepierre. M. René Rémond a relevé que qualifier la modification du calendrier électoral d' « inversion » ou de « rétablissement » était révélateur d'un certain jugement de valeur. Les mots ont un sens, ainsi que le soulignait à l'instant mon excellent collègue Laurent Béteille.
M. Rémond a aussi noté l'impossibilité d'un quelconque pronostic concernant les effets d'une telle réforme sur les résultats du scrutin. Il a dès lors souhaité que les supputations diverses n'occultent pas l'objet de la proposition de loi.
Il a, ensuite, abordé ce qui lui semblait l'essentiel, à savoir les conséquences d'une telle réforme sur l'évolution des rapports entre fonction présidentielle et fonction législative.
M. Rémond m'a pour le moins surprise lorsqu'il a regretté la dissolution de 1997, la qualifiant de « dissolution de convenance ». Le droit de dissolution est plein et entier. En la matière, le Président de la République n'a aucun compte à rendre, si ce n'est devant une éventuelle sanction des électeurs. Il n'y a aucun illogisme avec l'esprit des institutions en la matière. En faire le reproche, c'est remettre en cause le principe même de la dissolution. Pourquoi alors ne pas le dire clairement ?
M. Rémond a encore précisé que le calendrier actuel accentuait l'affaiblissement de la fonction présidentielle et qu'il importait, pour la renforcer, d'élire le Président de la République avant l'Assemblée nationale, ainsi qu'il en avait été décidé en 1958, cela ayant été largement avalisé par la suite par les citoyens.
J'observerai qu'on ne voit pas vraiment en quoi on renforcerait ainsi la fonction présidentielle, car les citoyens peuvent parfaitement élire par la suite une assemblée non conforme au voeu du Président nouvellement élu afin, en quelque sorte, de ne pas mettre, comme on le dit vulgairement, « tous leurs oeufs dans le même panier ».
M. Serge Vinçon. Bon courage alors !
Mme Paulette Brisepierre. M. Rémond, paradoxalement, a d'ailleurs reconnu que l'adoption du quinquennat lui semblait avoir eu pour effet d'augmenter les risques de cohabitation.
C'est M. Guy Carcassonne, professeur à l'université de Paris-X, qui a ensuite pris la parole, ainsi qu'il l'a souvent fait dans la presse, et ce en faveur de l'inversion.
Il a indiqué, tout d'abord, qu'il était convaincu depuis 1997 de l'utilité de l'inversion du calendrier électoral de 2002 et que, à l'inverse du Premier ministre, il l'avait donc prévue.
Il a affirmé que, de son point de vue, le rétablissement du calendrier était à la fois constitutionnellement possible et institutionnellement indispensable.
Il a indiqué qu'à plusieurs reprises des mandats électifs avaient pu être prorogés avec l'assentiment du Conseil constitutionnel, celui-ci exerçant un contrôle sur les objectifs justifiant une telle opération. Il a toutefois observé que le mandat des députés n'avait jamais été modifié sous la Ve République.
Il a néanmoins reconnu que le rétablissement envisagé du calendrier électoral pour 2002 ne pouvait constituer une garantie de pérennité de l'ordre ultérieur des échéances électorales ; il a estimé cette opération indispensable, le calendrier actuel constituant, selon lui, une incongruité politique au regard du fonctionnement institutionnel de la Ve République, caractérisé par le fait majoritaire.
Mais il a observé que l'élection présidentielle intervenue en 1958, après les législatives, ne pouvait être citée comme un contre-exemple dans la mesure où il ne s'agissait pas d'une élection au sufrage universel et où l'autorité du président élu, le général de Gaulle, était incontestable. De ce point de vue, à l'instar de bon nombre de mes collègues qui siègent à la commission des lois, je me suis étonnée d'un argument intuitu personae dans le débat constitutionnel.
Il a évoqué les périodes de 1974 à 1995 au cours desquelles le Président de la République n'a pas sollicité le renouvellement de l'Assemblée nationale par le biais d'une dissolution. C'est ainsi que les gouvernements de MM. Raymond Barre et Alain Juppé s'étaient, selon lui, heurtés à une sorte de dislocation de leur majorité.
M. Carcassonne a estimé que le seul moyen d'assurer la solidité du pacte majoritaire était de faire suivre l'élection présidentielle par les élections législatives. Certes, mais à condition que le résultat des élections législatives soit conforme au voeu du Président nouvellement élu ; s'il ne l'est pas, toute l'argumentation s'écoule comme un château de cartes.
M. Carcassonne a d'ailleurs conclu son propos en estimant que le calendrier électoral n'était pas de nature à infléchir la nature du régime vers un modèle de type plutôt présidentiel ou plutôt parlementaire, et qu'il était également sans effet sur l'importance du rôle joué par le Parlement dans le schéma institutionnel. Il a observé que les périodes ayant suivi les élections législatives de 1973 et de 1993, lesquelles avaient précédé l'élection présidentielle, ne s'étaient pas caractérisées par une revalorisation du rôle du Parlement.
Dans ces conditions, à quoi sert-il d'inverser le calendrier électoral ?
En réponse à une question de notre collègue Henri de Richemont, qui lui demandait si l'inversion du calendrier électoral n'avait pas pour seul objet d'éviter les dissensions au sein de la majorité gouvernementale, le professeur Carcassonne a estimé que pareils objectifs suffisaient à justifier la mesure.
M. Serge Vinçon. Voilà !
Mme Paulette Brisepierre. Mais alors, mes chers collègues, ne se trouve-t-on pas, dans ces conditions, devant la dissolution de convenance que critiquait le professeur Rémond ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Exactement !
Mme Paulette Brisepierre. M. Didier Maus, professeur à l'université Paris-I et codirecteur de la Revue française de droit constitutionnel , a indiqué, pour sa part, que « si on veut que l'élection présidentielle demeure l'acte essentiel de la vie politique, il faut qu'elle ait lieu en premier ».
Bien qu'il ait signalé qu'aucun précédent significatif depuis quarante ans ne pouvait servir d'exemple, qu'il s'agisse des élections de 1969, de 1974, de 1981 ou de 1988, il a estimé que, contrairement au cas présent, où le télescopage des calendriers était annoncé depuis la dissolution de 1997, aucun des enchaînements précédents n'avait été prévu ou annoncé par avance.
On peut, de même, s'interroger sur la pertinence absolue de l'argument qui consiste à indiquer - ce qui est évidemment juste - que le Président de la République est l'élément pilote de la vie politique et qu'il faut assurer sa prééminence. Il convient donc d'éviter ce que M. Maus appelle une « incohérence constitutionnelle », et donc de permettre que la majorité parlementaire soit un fidèle soutien du Président de la République.
Il a, ensuite, relevé plusieurs expressions employées pour qualifier cette modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, évoquant, tour à tour, l'inversion, le rétablissement, la modification, la remise en cause et l'aménagement. Il a constaté que chaque mot était une arme, que l'inversion révélait une connotation péjorative tandis que le rétablissement relevait d'un vocabulaire erroné puisqu'il s'agissait non pas de revenir à une situation antérieure mais d'appréhender une situation à venir.
M. Maus a fait, enfin, valoir que le calendrier pour 2002 issu du texte adopté par l'Assemblée nationale n'était pas rationnel. Il a observé que le premier tour de l'élection présidentielle aurait lieu le 21 avril et le deuxième tour le 5 mai, le mandat du Président de la République, Jacques Chirac, expirant le vendredi 17 mai.
Il a estimé que, dans ce cas, les élections législatives ne pourraient avoir lieu que les 2 et 9 juin. Il a souligné que l'ouverture du dépôt de candidatures serait en conséquence fixée le 6 mai, le lendemain de l'élection présidentielle, et que la campagne législative débuterait le 13 mai, donc avant la prise de fonctions du nouveau Président de la République. Il en a déduit que ce délai serait beaucoup trop court pour que le Président de la République puise façonner une majorité et faire en sorte que les différents camps se positionnent face à lui. Il a rappelé que cette logique avait prévalu en 1981 et en 1988, le Président de la République prenant l'initiative de dissoudre l'Assemblée nationale.
Il a également évoqué la possibilité de modifier en profondeur le code électoral et de faire en sorte que les élections législatives se déroulent les 9 et 16 juin, ce choix s'accompagnant d'une réduction de la durée de la campagne électorale de trois semaines à quinze jours. Il a estimé que cette solution permettrait de faire débuter la campagne après l'installation du Président de la République.
Evoquer tous ces calculs, mes chers collègues, est terriblement destructeur pour nos institutions. Que pourront penser nos concitoyens de nous-mêmes, de nos institutions et de notre Constitution, lorsqu'elle semble à ce point utilisée au service d'intérêts politiques ?
En conclusion, M. Maus a affirmé que la modification du calendrier électoral était souhaitable, constitutionnellement possible, politiquement logique, mais techniquement difficile. Il a insisté sur la nécessité d'attendre que le Président de la République occupe ses fonctions pour entamer les opérations d'organisation des élections législatives. Lorsqu'il dit « constitutionnellement possible », tout est dit. Il s'agit de tordre la Constitution pour essayer d'en obtenir à l'arraché les avantages possibles. Une seule chose est sûre, cette modification est, pour les socialistes, électoralement souhaitable.
M. Pierre Pactet, professeur émérite de l'université Paris-XI, a estimé, pour sa part, que la réforme du calendrier électoral, sans bouleverser le régime de la Ve République, appelait néanmoins de sérieuses réserves tenant à la cohérence institutionnelle.
Regrettant que la révision constitutionnelle relative au quinquennat n'ait pas fait l'objet d'un débat approfondi portant notamment sur ses incidences sur le régime, il a affirmé que celle-ci constituait l'une des plus grandes révisions de la Ve République, comparable à celle de 1962 relative à l'élection au suffrage universel direct du Président de la République et à celle de 1974 ouvrant la saisine du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire.
Il a rappelé que la révision constitutionnelle relative au quinquennat, décidée afin de rendre la cohabitation moins fréquente, ne pouvait avoir cet effet, dans la mesure où le droit de dissolution était maintenu et où le décès du Président de la République - ou sa démission, ce qui serait une circonstance tout de même moins malheureuse - provoquait une nouvelle élection présidentielle du fait de l'absence de vice-président de la République.
Ajoutant que les électeurs, dans le souci d'éviter une trop grande concentration des pouvoirs, pouvaient très bien émettre des votes différents lors des élections législatives et de l'élection présidentielle, il s'est demandé si la motivation du quinquennat ne résidait pas dans une conception nostalgique des périodes de convergence observées au début de la Ve République.
Concernant la logique des institutions de la Ve République, il a noté que le régime, à l'origine conçu en réaction contre le régime des partis, avait beaucoup évolué et était redevenu un régime de partis, semblable en cela aux autres démocraties occidentales. Il a ajouté que le Président de la République ne demeurait la clé de voûte du régime que dans l'hypothèse où il était soutenu par la majorité parlementaire, celle-ci constituant le véritable moteur du régime depuis la cohabitation.
Il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel, puisse être suivi d'un second pas plus accentué, celui de l'inversion du calendrier électoral.
Il a, de plus, regretté le « pointillisme constitutionnel » consistant à réviser la Constitution par réformes successives, au détriment d'une vision d'ensemble des institutions, aboutissant à insérer des dispositions contradictoires dans le texte constitutionnel.
En conclusion, il a noté qu'il n'était pas cohérent de modifier le calendrier électoral sans agir sur le droit de dissolution ni, bien sûr, tenir compte du décès éventuel ou de la démission éventuelle du Président de la République. Il s'est ensuite prononcé contre l'inversion du calendrier électoral, jugeant choquant de chercher à influencer le résultat des urnes en agissant sur la date des élections.
Enfin, la commission a entendu M. Louis Favoreu, professeur à l'université Aix-Marseille-III et autre codirecteur de la Revue française de droit constitutionnel.
M. Favoreu a regretté le penchant français pour les réformes institutionnelles. Il a, en effet, jugé préférable de toucher le moins possible aux institutions, estimant que les conséquences de telles réformes étaient difficiles à prévoir.
Il a indiqué qu'il considérait depuis longtemps que le droit devait encadrer la vie politique et que la réforme des institutions ne devait pas être utilisée pour réaliser des « coups politiques ».
Il a rappelé que le Conseil constitutionnel serait saisi obligatoirement de la présente loi organique et pourrait être sensible à certaines observations effectuées au cours des débats parlementaires.
Il a mis en doute l'existence soudaine d'une conception gaullienne des institutions, imposant une inversion du calendrier, et dénié, en toute hypothèse, toute valeur normative à une telle conception.
M. Favoreu a souligné que l'édifice conçu pourrait être ruiné par une dissolution - cela ne lui a pas échappé non plus, bien sûr -, la Constitution, rappelons-le, prévoyant en pareil cas la tenue d'élections entre vingt et quarante jours après celle-ci. Il a donc observé que le Gouvernement n'avait pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, préférant soutenir une proposition de loi, ce qui lui permettait ainsi d'éviter l'examen du texte par le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres sous la présidence du Président de la République.
Il s'est ensuite attaché à montrer que la réforme entreprise allait à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Ce point est particulièrement intéressant, mes chers collègues, dans la mesure où le Conseil constitutionnel sera notre dernier rempart, car, nous le savons, l'Assemblée nationale aura finalement le dernier mot sur ce texte.
M. Emmanuel Hamel. Un grand rempart !
Mme Paulette Brisepierre. Un grand rempart, heureusement ! D'ailleurs, il est là pour cela !
Les quatre décisions du Conseil constitutionnel sur des reports de dates d'élections sont intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles, et en 1996. Elles concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière, mais les enseignements que l'on peut en tirer s'appliquent a fortiori à la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
M. Favoreu a ainsi observé que le Conseil constitutionnel avait à chaque fois validé la démarche tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle justification, ce que l'on n'observe pas actuellement.
Il a noté que les motifs retenus par le Conseil constitutionnel avaient été, par exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la continuité de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des élections avec une réforme sur le statut des élus, de permettre aux électeurs d'être mieux informés des conséquences de leur choix.
Observant que cette jurisprudence était évidemment transposable au cas d'une élection nationale, il a indiqué que le Conseil constitutionnel serait donc amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée, alors que, en doctrine, il avait été relevé que le début d'un tel contrôle avait été observé justement à propos des décisions précitées de 1990 et de 1994.
M. Favoreu a ensuite récusé l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel aurait donné, par avance, une justification à l'inversion du calendrier dans ses recommandations du 23 juillet 2000, et il a estimé que la seule préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel, à savoir le respect de la date limite de présentation des candidats, pouvait être parfaitement satisfaite par une fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10 mars et par une clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit, pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai. Il a remarqué que le 19 décembre 2000, à l'Assemblée nationale, le ministre de l'intérieur l'avait reconnu explicitement.
Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en conséquence, pas de motif à l'inversion des élections, il a fait valoir que la seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était de surcroît plutôt floue, le contenu de « l'esprit des institutions » variant selon les interlocuteurs. Il en a conclu qu'il flottait comme un parfum de « détournement de pouvoir ».
Il a rappelé que certains avaient estimé que la proposition de loi pouvait apparaître soit comme un coup de semonce en réponse à l'intervention du Président de la République lors de la crise de la « vache folle », soit comme un instrument ayant pour objet réel de favoriser l'élection de certains.
Il a toutefois, lui aussi, souligné que les résultats de l'inversion du calendrier étaient difficilement prévisibles selon les spécialistes.
Il a fait ressortir qu'un projet de loi, à l'instar des quatre projets de loi précédents, aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est évidemment pas le cas de la proposition de loi organique, dont les motifs avancés restent diffus, qu'il s'agisse du respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou de la mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.
En conclusion, le professeur Favoreu a considéré - et c'est important - que, dans un Etat de droit, ce qui, espérons-le, est notre cas, les choix politiques devaient reposer sur des bases juridiques claires, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence.
Ces derniers points étaient particulièrement importants, et c'est essentiellement ce que je souhaite retenir de notre débat.
Tordre la Constitution dans tous les sens pour en obtenir le meilleur parti est une chose. La retourner, en inverser le sens, pour rétablir ses intérêts personnels est une toute autre chose, bien plus grave.
Ce texte est inconstitutionnel ; aussi, à l'instar de bon nombre de mes collègues, j'ai souhaité le démontrer à nouveau. Et c'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, mes collègues et moi-même ne le voterons pas. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe du RPR.)
M. Emmanuel Hamel. Une grande intervention !
M. le président. Madame Brisepierre, en parlant vingt-trois minutes, alors que, en début d'après-midi, les interventions étaient limitées à deux minutes trente, vous avez pris votre temps. Mais, c'est vrai, ce n'est plus le même point de l'ordre du jour !
M. Emmanuel Hamel. Il faut toujours multiplier par dix lorsqu'on parle de Mme Brisepierre, monsieur le président ! (Sourires.)
M. le président. Pourquoi seulement par dix, monsieur Hamel ? C'est infinitésimal !
M. Emmanuel Hamel. Par son intelligence, son assiduité et son éloquence, elle nous est à tous très supérieure !
M. le président. C'est tout, monsieur Hamel ?
M. Emmanuel Hamel. Cela suffit pour le moment, monsieur le président ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. Marest.
M. Max Marest. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme le soulignait dans un grand quotidien du matin Paul-Henri de Liambert, la volonté du Premier ministre de passer en force pour inverser le calendrier électoral apparaît aux yeux de l'opinion chaque jour un peu plus comme une manoeuvre uniquement destinée à mettre dans l'embarras le Président Jacques Chirac, son adversaire de 2002.
Lionel Jospin aura beau jeu, écrivait-il, de brandir la logique des institutions de la Ve République, lui dont les conseillers jusqu'au mois de novembre juraient la main sur le coeur que jamais, au grand jamais, une quelconque initiative en la matière ne viendrait de Matignon. Il a donc surpris ses proches amis, dont François Hollande, en annonçant à Grenoble que, somme toute, il était urgent d'organiser les élections législatives après l'élection présidentielle.
M. Serge Vinçon. Vertige des cimes !
M. Max Marest. Il ne peut plus se rétracter, ajoute l'auteur de cet article, et devra donc attendre le bon vouloir des sénateurs. L'opération de longue réflexion de la Haute Assemblée a au moins un mérite : mettre au grand jour l'impatience présidentielle de celui qui assure ne jamais y penser.
Elle aurait également permis aux différents orateurs qui se sont succédé à cette tribune, en particulier à notre excellent rapporteur, M. Christian Bonnet, qui siège au banc de la commission depuis maintenant trois semaines (Applaudissements sur les travées du RPR), de montrer à nos concitoyens que la procédure suivie dans cette affaire est peu acceptable : le calendrier électoral de 2002 est connu depuis 1997 et le Gouvernement avait tout le temps de se pencher sur cette question.
Après avoir affirmé qu'un « consensus » était nécessaire, le Premier ministre a brutalement changé de position et a imposé un examen précipité du texte par les assemblées, alors même qu'un projet de loi organique était en navette entre l'Assemblée nationale et le Sénat pour tenir compte d'observations du Conseil constitutionnel relatives à l'organisation de l'élection présidentielle ; il a même choisi de ne pas déposer un projet de loi afin d'éviter le passage devant le Conseil d'Etat et le conseil des ministres.
Ce débat a également permis de souligner qu'il était faux d'affirmer que le calendrier électoral de 2002 n'aurait pas été possible sans le « hasard », comme le fait le Gouvernement.
En effet, si tous les présidents de la République avaient achevé leur mandat et si aucun d'entre eux n'avait dissous l'Assemblée nationale, une élection présidentielle aurait été organisée en décembre 1958, en décembre 1965, en décembre 1972, en décembre 1979, en décembre 1986 et en décembre 1993, et des élections législatives auraient été organisées en mars 1963, en mars 1968, en mars 1973, en mars 1978, en mars 1983 et en mars 1993.
Cette longue énumération montre que le respect des échéances prévues par la Constitution aurait abouti, dès 1993, à l'organisation, la même année, des élections législatives et de l'élection présidentielle, les premières précédant la seconde.
En tout état de cause, le texte qui nous est soumis n'empêchera pas le renouvellement d'une telle situation : pour arrêter un calendrier intangible, il faudrait supprimer le droit de dissolution et créer un vice-président susceptible d'achever le mandat du Président en cas de décès ou de démission de celui-ci. Il convient de rappeler que douze des dix-neufs présidents de la République qui ont été élus depuis le début de la IIIe République n'ont pas achevé leur mandat.
Ce long débat aura également permis de montrer que, si les mandats locaux ont été prorogés sous la Ve République, le mandat des députés n'a été prorogé qu'à deux reprises au cours du xxe siècle - d'autres intervenants l'ont souligné avant moi - en 1918 et en 1940. Les circonstances dramatiques de ces prorogations contrastent avec la légèreté et, souvent, le manque de sérieux des arguments invoqués pour justifier ce texte.
En effet, rien ne permet d'affirmer qu'un changement de calendrier électoral mettra fin à la cohabitation souhaitée, par ailleurs, par plus du tiers des Français. L'exemple des Etats-Unis le démontre avec éclat, puisque les Américains, appelés à désigner le même jour le Président et les membres du Congrès, choisissent souvent un Président démocrate et un congrès républicain, ou l'inverse.
Par ailleurs, M. le rapporteur nous a montré, et je l'en remercie, que personne ne semble avoir réfléchi aux conséquences du choix du troisième mardi de juin comme date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Est-il vraiment souhaitable pour le fonctionnement des pouvoirs publics que l'Assemblée nationale se réunisse à la fin du mois de juin pour interrompre aussitôt ses travaux ? Ou bien verra-t-on renaître ces sessions extraordinaires que la session unique du Parlement devait limiter ?
En juin, la procédure d'élaboration du projet de budget est déjà fort avancée, puisque les lettres de cadrage ont été envoyées aux ministres. Est-il vraiment souhaitable que la procédure soit reprise après des élections législatives impliquant un changement de gouvernement ? Autant de questions restées jusqu'à aujourd'hui sans réponse.
Ce long mais nécessaire débat a enfin montré que ce texte était dépourvu de tout motif d'intérêt général. En effet, soit il a un objet constitutionnel qui dépasse son dispositif technique, et une réflexion globale est nécessaire ; soit il répond à une situation conjoncturelle mise en lumière par le Conseil constitutionnel. Or ce n'est pas le cas.
Si le Conseil constitutionnel, dans ses observations du 23 juillet 2000, a souhaité que les citoyens habilités à présenter un candidat à l'élection présidentielle puissent le faire en ayant pris connaissance des résultats des élections législatives, cette recommandation peut être aisément mise en oeuvre sans rien changer au droit existant.
Il suffisait alors que le Gouvernement ne retienne pas, parmi les dates possibles, les plus tardives pour les élections législatives, les 24 et 31 mars, et les plus précoces pour l'élection présidentielle, les 14 et 21 avril.
Il est raisonnable de penser qu'un gouvernement soucieux de favoriser la participation des citoyens aux consultations électorales n'organisera pas le second tour des élections législatives le dimanche de Pâques !
Afin de faciliter le choix par le Gouvernement de dates d'élections permettant d'assurer dans les meilleures conditions le parrainage des candidats à l'élection présidentielle, la commission des lois propose, sans modifier en rien l'ordre des consultations, de prévoir un délai minimal de trente jours entre des élections législatives et une élection présidentielle.
Je soutiendrai bien entendu cette solution, qui allie sagesse et bon sens.
Vous me permettrez, après ce rapide rappel des principaux arguments développés contre ce texte, de revenir sur un point qui mérite de s'y attarder plus longuement.
En effet, ce que les Français reprochent souvent aux politiques, c'est de mentir. Or, dans cette affaire, M. Lionel Jospin a menti. Le 19 octobre dernier, il déclarait ceci : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là », c'est-à-dire au calendrier prévu, « et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises ».
Où a-t-on vu, depuis cette déclaration, une esquisse de consensus ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Pas du côté des communistes !
M. Max Marest. L'opposition à l'Assemblée nationale est très majoritairement hostile à cette inversion du calendrier. Votre propre majorité, monsieur le secrétaire d'Etat, est fortement divisée, et la majorité sénatoriale - ces trois dernières semaines de discussion générale le montrent - y est farouchement opposée.
Quelle est donc la motivation de cette volte-face du Premier ministre ?
Pour la comprendre, il suffit de lire l'article d'Eric Perraudeau dans la Revue Socialiste de novembre 2000 : « On oublie trop souvent que la défaite de la droite en juin 1997 ne s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix. » Notre collègue Laurent Béteille l'a souligné tout à l'heure. « Il aurait suffi pour que le résultat final soit inversé et que la gauche soit actuellement dans l'opposition, qu'à l'échelle nationale moins de 1 % des électeurs modifient leur comportement. »
Quant à l'évolution du rapport de forces politiques depuis 1997, la Revue Socialiste la résume en une formule implacable : « Une progression électorale de la gauche en trompe-l'oeil ! »
Cette argumentation, comme le rappelait dernièrement Alain Juppé, a dû frapper l'esprit des stratèges du parti socialiste. Et l'on comprend, dès lors, les raisons de leur volte-face : devant un risque élevé de défaite aux élections législatives, on a sans doute craint la mise sur la touche du Premier ministre comme champion de la gauche à l'élection présidentielle, ce qui apporte de l'eau au moulin de ceux qui pensent que les deux séries d'élections n'en feront qu'une. D'où la parade : changeons de calendrier !
Vous me permettrez, en cet instant, de paraphraser notre excellent collègue député Pierre Lellouche, qui expliquait avec beaucoup de clarté ce point de vue récemment dans un hebdomadaire bien connu.
En effet, le débat sur l'inversion du calendrier électoral avait été totalement occulté à l'occasion du référendum de septembre dernier sur la réforme du quinquennat. Et voilà qu'il ressurgit aujourd'hui !
Si, comme nous le pensons, cela trottait déjà dans les esprits éclairés de Matignon, il aurait sans doute été plus honnête d'en parler à l'époque pour que nos concitoyens sachent de quoi il retournerait précisément quelques mois plus tard.
Le débat qu'on nous impose aujourd'hui consiste à savoir laquelle des deux élections précédera l'autre. Législatives d'abord, comme l'impose aujourd'hui le hasard né de la dissolution de 1997, ou renversement de l'ordre des élections - présidentielle puis législatives - au nom d'une logique présidentielle des institutions de la Ve République, logique qu'aucun orateur n'aura réussi à nous démontrer dans cette discussion générale.
Ce qui est amusant, c'est qu'en apparence le débat semble se dérouler à fronts renversés : socialistes et certains centristes, hier principaux pourfendeurs du général de Gaulle, se drapent aujourd'hui dans l'étendard de l'esprit de nos institutions, prétendant imposer une version du calendrier, tandis que les héritiers du gaullisme dénoncent les « tripatouillages » de la gauche, pour reprendre l'expression utilisée par certains de mes collègues.
De leur côté, les communistes se retrouvent sur la même ligne que nous, sachant par avance qu'un mauvais score à l'élection présidentielle risquerait d'obérer un peu plus leurs chances aux élections législatives suivantes.
Les Verts sont plus politiques encore et n'ont pas à apprendre grand-chose de leurs aînés. Ils seraient prêts à rallier le Premier ministre, à la condition que celui-ci accepte « d'instiller une dose de proportionnelle ». On connaît la chanson ! De l'art et la manière de raviver la flamme, qui s'éteint enfin, d'une formation politique qui a fait jusqu'aux dernières législatives le jeu de la gauche à toutes les élections depuis qu'en 1986, déjà, le maître en politique de l'actuel Premier ministre avait pris la même initiative « d'instiller une dose de proportionnelle » !
Faute de pensées profondes sur l'avenir de nos institutions, chacun fourmille d'arrière-pensées électoralistes. Chacun prend toutes les assurances possibles pour l'emporter l'année prochaine.
Eh bien, je vais vous le dire, en paraphrasant le nouveau président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, la majorité hétéroclite qui s'est assemblée sur ce texte, c'est l'UAP, l'union des arrière-pensées.
Je ne peux, vous le comprendrez aisément, m'associer à cette manoeuvre destinée à conforter la position du candidat socialiste à l'élection présidentielle.
Je ne peux également, avant de conclure, que regretter - et je me réfère, cette fois-ci, à un grand quotidien du soir - sur l'air de « mange tes épinards, sinon tu n'auras pas de dessert », la volonté du Gouvernement de priver la Haute Assemblée, et par là même les Français, de plusieurs réformes tant que la majorité sénatoriale n'aura pas avalé la version du calendrier.
Le Gouvernement doit vraiment craindre les prochaines échéances électorales pour se livrer à une telle manoeuvre !
Vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette manoeuvre soit méprisable aux yeux des Français et que nous ne puissions y souscrire par respect du corps électoral.
Les Français seront-ils dupes ? Celui qui sera puni, si j'en crois un article de presse paru ce matin, ne sera peut-être pas celui qu'on croit - je parle du Premier ministre et non pas du Sénat !
En tout cas, je crois traduire le voeu des collègues de mon groupe, et d'autres, en refusant de voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, je constate qu'il n'y a plus d'orateur inscrit dans la discussion générale.
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme d'un long débat au cours duquel soixante orateurs se sont exprimés, dont cinq favorables à la proposition de loi organique qui nous est venue de l'Assemblée nationale et cinquante-cinq qui ont marqué leur hostilité à son égard - disparité significative, n'est-il pas vrai, du peu d'enthousiasme des partisans d'une inversion bien à tort qualifiée de consensuelle ! - il est apparu souhaitable au rapporteur de tenter d'en esquisser une synthèse, ne serait-ce que pour faciliter la tâche de M. le ministre de l'intérieur, qui a bien voulu porter à notre connaissance qu'il souhaitait, mardi prochain, répondre aux intervenants.
Aussi bien m'attacherai-je successivement à souligner les questions demeurées en suspens, à regrouper les arguments avancés dans la discussion, à dénoncer, enfin, une méthode difficilement acceptable.
En tout premier lieu, comment ne pas faire état de ma préoccupation face à l'absence de réponse satisfaisante, au plein sens du terme, aux deux objections majeures que j'avais cru pouvoir formuler lors de la présentation de mon rapport ?
La première a trait au choix, évoqué à l'instant par M. Marest, du troisième mardi de juin comme dated'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
A cette date, en effet, la procédure budgétaire est déjà très avancée, les lettres de cadrage adressées aux ministres, et tout devrait donc être repris en cas de changement de majorité.
Si cette date devait être retenue, ces inconvénients ne manqueraient pas d'apparaître en plein jour, mais nous ne pourrions pas revenir en arrière. Il faudrait alors, en effet, soit réduire la durée du mandat des députés, soit l'augmenter de neuf ou dix mois, deux éventualités également inconcevables. Ainsi ne pourrait-on qu'avancer encore un peu plus dans l'année la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
A cet égard, si la date du 1er octobre apparaît séduisante, car elle est celle du début de la session parlementaire, elle soulèverait également des difficultés importantes. Si la majorité changeait à l'occasion d'élections tenues en septembre, la procédure budgétaire devrait être reprise ab initio , alors même que l'Assemblée nationale doit examiner tout projet de budget dès la mi-octobre, et la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui travaille tout au long du mois de septembre - un certain nombre d'entre nous le savent, mes chers collègues - pour examiner le projet de loi de finances en octobre, ne pourrait alors le faire.
Je le dis et le redis : le premier mardi d'avril est une excellente date pour l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. Puisse-t-on ne pas le découvrir trop tard !
En réalité, monsieur le secrétaire d'Etat, à supposer qu'il soit, en règle générale, profitable que l'Assemblée nationale soit élue après le Président de la République, nous devrions bien plutôt réfléchir, comme l'a écrit le professeur Carcassonne, à la date de l'élection du Président de la République et, comme l'a suggéré notre collègue M. About, à l'inscription d'une date fixe dans la Constitution pour l'expiration du mandat du Président de la République.
Ainsi pourrions-nous régler de manière définitive la question du calendrier électoral. En effet, le calendrier pourrait être modifié une fois par une dissolution où le décès d'un Président de la République, mais tout rentrerait dans l'ordre lors des élections suivantes, dès lors que le mandat du Président de la République, comme celui des députés, expirerait à date fixe.
Evidemment, cette réforme impliquerait une révision constitutionnelle soigneusement préparée. Elle ne pourrait donc être appliquée aux prochaines élections. Mais, enfin, le Parlement de la République doit-il rechercher des solutions pour le long terme ou bien adopter une mesure quasiment improvisée au risque de devoir réexaminer cette question plus tôt que ne l'imaginent certains ?
Quant à la seconde objection, relative à la situation que nous devrions affronter dès 2007, il n'y a pas été davantage répondu. Cette année-là, en effet, fortuitement, par le hasard du calendrier, et sauf événement imprévu, sont programmées des élections municipales, des élections cantonales, une élection présidentielle, des élections législatives et des élections sénatoriales.
En 1995, les élections municipales, prévues en mars, ont été reportées en juin pour permettre aux maires de parrainer un candidat à l'élection présidentielle. En 2007, il ne sera pas possible de faire de même si les élections législatives sont prévues en juin.
Ainsi - j'attire votre attention sur cet aspect des choses, monsieur le secrétaire d'Etat - dès 2007, et 2007, c'est déjà demain, la machinerie qui a été imaginée par le Gouvernement se trouvera fâcheusement grippée, condamnant le Gouvernement alors en place à de nouvelles contorsions.
Mais venons-en maintenant aux arguments développés tout au long de la discussion et que, pour la commodité de l'exposé, je regrouperai en quatre rubriques sous forme d'interrogations. Tout d'abord, de quoi s'agit-il ? Les institutions mêmes de la République sont-elles mises en cause ? Existe-t-il une ou deux lectures de la Constitution ? Enfin, où est la vision d'ensemble ?
Première question : de quoi s'agit-il ? On ne saurait mieux faire, pour répondre à cette interrogation, que de reprendre un court passage de l'intervention de M. Philippe Marini : « Je m'interroge aussi sur la finalité de ce débat et, par voie de conséquence, sur son objet même. S'agit-il d'un débat sur la nature même de nos institutions, sur la manière de les comprendre ou bien de la préparation d'une échéance électorale ? Il y a là une ambiguïté, un flou, qu'il faudrait dissiper. »
Deuxième question : tel qu'il est présenté, le texte de la proposition de loi organique porte-t-il atteinte aux institutions ? Oui, vient de laisser à penser Mme Brisepierre.
Tel n'est pas l'avis de notre éminent collègue M. Badinter, qui s'est longuement attaché, avec l'autorité et le talent que chacun se prête à lui reconnaître, à souligner la parfaite conformité de ce texte à la Constitution de la Ve République. Pour lui, « la proposition de loi organique est claire, raisonnable et correspond à la logique de nos institutions ». M. Autexier, de son côté, estime que « le rétablissement du calendrier est une bonne chose pour la démocratie ».
Mais de très nombreux orateurs ne partagent pas ce sentiment.
Ainsi, M. Cabanel de déclarer : « Ce débat est important, car il touche à la conception même de nos institutions. »
Ainsi, notre excellent collègue M. Courtois avance-t-il : « La loi organique qui nous est soumise aujourd'hui porte une atteinte flagrante à la Constitution, qui ne définit nullement l'ordre des scrutins. Il n'est écrit nulle part dans la Constitution que l'élection présidentielle doive avoir lieu avant les élections législatives. Chaque élection doit avoir lieu lorsque son échéance naturelle survient. »
Ainsi, M. Pelchat de déclarer : « C'est un problème pour nos institutions comme pour la démocratie. »
Et M. Gerbaud d'affirmer : « L'inversion du calendrier ouvre un très grave débat institutionnel. »
M. Marini, pour sa part, se veut très offensif : « L'on veut nous faire croire que l'inversion du calendrier électoral est un tout petit sujet, une évidence technique, un misérable petit ajustement qui ne mérite pas de retenir longtemps l'attention du Parlement. »
Quant à MM. Serge Vinçon et Jean Boyer, ils ont mis l'accent, l'un et l'autre, sur l'incongruité que constituait le fait de modifier l'élection du Président de la République en l'écartant, par le biais d'une proposition de loi, d'un débat institutionnel le concernant au premier chef.
M. Emmanuel Hamel. Juste hommage à M. Vinçon !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Nombreux sont ceux de nos collègues qui ont, eux aussi, évoqué cette tentative de dissimuler une réforme constitutionnelle sous l'apparence anodine d'une proposition de loi de deux articles. Le président de Rohan, le doyen Gélard, MM. Schosteck, Leclerc et bien d'autres encore ont stigmatisé cette manière de faire.
Mais une troisième question se pose : existe-t-il une ou deux lectures de la Constitution ? Votre rapporteur avait été amené à souligner qu'il existait bien deux lectures de notre Constitution.
MM. Courtois et Chérioux ont parlé quant à eux d'un système mixte. Et notre collègue M. Carle a parlé d'un régime semi-présidentiel, semi-parlementaire, cependant que M. Karoutchi s'exprimait ainsi : « Vous avez beau lire la Constitution dans tous les sens, vous ne trouverez nulle indication selon laquelle l'élection présidentielle devrait avoir la primauté. »
En s'adressant à tel ou tel de nos collègues, MM. Arthuis et Chérioux ont avancé que c'est « sur le projet, la vision du Président de la République que se déterminent les Français ».
Enfin, M. Vinçon n'a pas manqué, à l'inverse, de faire remarquer très justement que « le général de Gaulle ne s'est jamais fait élire Président de la République avec un programme d'action gouvernementale ».
Pour ma part, j'ai eu l'occasion, au cours du débat, de mettre l'accent sur le fait que, si le Président de la République, gardien de la Constitution, garant du maintien de la République, chef des armées, détient, indépendamment même de l'article 16 de la Constitution, des pouvoirs majeurs tels le droit de dissolution, le référendum, la saisine du Conseil constitutionnel, la convocation de toute session extraordinaire, il n'en reste pas moins qu'en période de cohabitation c'est bien, pour reprendre les termes mêmes de l'article 20 de la Constitution, le Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation ».
Ainsi le Président Mitterrand n'a-t-il pas pu faire obstacle aux privatisations qu'il réprouvait. De même le Président Chirac, bien que favorable au principe d'une réduction du temps de travail, n'a pas pu s'opposer à son application rigide et uniforme.
Il s'agit là de deux exemples parmi tant d'autres qui illustrent le caractère relatif d'une conception aux termes de laquelle le chef de l'Etat demeure toujours l'élément moteur de la République.
Quatrième et dernière question : où est la vision d'ensemble ? Nombre d'orateurs se sont attachés à déplorer le manque de vision d'ensemble dont témoigne la proposition de loi organique.
Ainsi, le président Jean Arthuis, pourtant favorable à la proposition de loi organique, a-t-il été particulièrement sévère. Il a notamment déclaré : « D'aucuns reprocheront en effet la perpétuation, en ce début de siècle et de millénaire, de pratiques surannées et pernicieuses de notre vie politique, surtout lorsqu'il s'agit de s'attaquer au marbre de la loi fondamentale, la Constitution. Ces pratiques consistent à tergiverser, à brouiller le débat par des arrière-pensées politiciennes et des diatribes publiques, avant finalement de procéder à quelques retouches successives qui ne permettent certainement pas à nos concitoyens de dégager un tableau d'ensemble de l'évolution de nos institutions. »
M. Robert Bret, quant à lui, évoquant « une réformette sans vie d'ensemble », a été tout aussi sévère : « La question des institutions est une question globale. Elle recouvre l'ensemble des secteurs de la société et, de toute évidence, cette question des institutions mérite bien mieux qu'un référendum raté ou une belle manoeuvre réalisée dans la précipitation coutumière de la fin du mois de décembre. »
M. Gérard Larcher a parlé pour sa part de « bricolage ».
M. About a souligné que l'on ne peut toucher à un élément de notre système institutionnel sans que cela ait des conséquences sur l'ensemble de l'édifice.
Par ailleurs, de très nombreux orateurs ont souligné le caractère inopportun et irréaliste du débat quand tant de sujets majeurs occupent l'esprit des Français.
C'est ainsi que le président de Raincourt a évoqué la peine qu'il ressent à la pensée que notre Parlement aura célébré l'entrée dans le troisième millénaire en manipulant des calendriers de sortants.
M. le président de Rohan, faussement dubitatif, a posé la question : « De quoi devons-nous discuter ? De l'insécurité, de l'adaptation de notre régime des retraites, des réformes qu'appelle notre système éducatif ? »
M. Gruillot a vu là « un aveu de faiblesse du pouvoir politique, une excuse, pour ne pas affronter les vrais problèmes de notre société ».
M. Raffarin, maniant l'ironie, a souligné qu'« on ne peut arguer d'une pression de l'opinion en faveur de l'inversion du calendrier ».
M. Braye a affirmé que les Français « attendent du Gouvernement qu'il ne fasse pas l'impasse sur leurs inquiétudes en jetant de la poudre aux yeux ».
M. Lanier, après avoir fait un sort au supposé rétablissement de la dynamique de la cohérence, en soulignant que, les événéments disposant, l'inversion du calendrier ne saurait être pérenne, a dénoncé un « décalage évident » avec les soucis de nos compatriotes.
M. Hérisson, quant à lui, s'est interrogé : « Pourquoi tout ce remue-ménage si mal compris de nos concitoyens ? Ses fondements sont inconsistants. »
Et M. de Broissia de confier : « Nul ne m'en a jamais parlé dans mes permanences. »
M. Serge Vinçon. C'est vrai !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Hier soir, M. Vasselle insistait sur une proposition qui ne répond en rien aux attentes des Français, tout comme ce matin l'ont fait M. Ambroise Dupont, M. Jean Chérioux et, cet après-midi, notre nouveau et excellent collègue M. Laurent Béteille.
M. Emmanuel Hamel. Quelle admirable synthèse !
M. Christian Bonnet, rapporteur. N'inversons par les rôles, monsieur le secrétaire d'Etat - n'inversons d'ailleurs rien du tout : ce n'est pas le Sénat qui refuse les réformes, c'est le Gouvernement qui a décidé qu'un seul texte méritait d'être examiné par le Sénat : la proposition de loi organique dont nous débattons.
Car nous sommes prêts, M. About l'a d'ailleurs dit. Sur la forêt, la commission des affaires économiques est prête et, hier matin, la commission des affaires sociales a examiné le projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse alors même que ce texte n'est plus inscrit à notre ordre du jour.
Reste alors à évoquer les conditions dans lesquelles, à la suite du revirement grenoblois soudain de M. le Premier ministre, cette affaire a été portée devant le Parlement.
Pourquoi tant de précipitation ? Pourquoi tenter de faire passer ce texte « à la hussarde » pour reprendre l'expression du président Paul Girod ? Pourquoi cette hâte ? Une hâte telle qu'ainsi que le soulignait notre collègue M. Jean-Claude Carle, même le parti socialiste s'est trouvé pris de court plusieurs jours après son congrès, son site Internet continuant d'afficher la position officielle de ses dirigeants contre l'inversion du calendrier électoral ?
Pourquoi, sur une affaire en apparence ponctuelle mais si lourde de conséquences, cette « absence d'une étude d'impact » dénoncée par notre éminent collègue, le doyen Gélard ? Pourquoi cette absence « de débat en amont » déplorée, hier matin, sur les ondes d'Europe I, par le président du Sénat lui-même, M. Poncelet, en réponse à une question de Jean-Pierre Elkabbach ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'urgence a été déclarée sur ce texte, une urgence qui éveille d'autant plus la suspicion que, comme l'indiquait hier l'amiral de Gaulle, « jamais en République, l'Assemblée nationale n'a d'elle-même prorogé son mandat »
M. Emmanuel Hamel. Jamais !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Au cours de chacune des deux guerres mondiales, seuls exemples que nous fournisse l'histoire, la Chambre des députés - tel était alors son nom - n'a prorogé son mandat qu'après y avoir été invité par le Président de la République et le Sénat.
Où est l'urgence ? Notre collègue M. René Garrec a rappelé avec son humour coutumier cette phrase du maréchal Lyautey ; « Il n'y a pas de problème urgent, il n'y a que des gens pressés. »
Je note au passage que les déclarations d'urgence se multiplient sur les sujets les plus divers : l'intercommunalité, l'aménagement du territoire, la solidarité et le renouvellement urbains, la chasse, les activités physiques et sportives, les nouvelles régulations économiques, même si ce dernier texte mettra près de deux ans à voir le jour.
Comme le souligne notre collègue M. Jean-Pierre Raffarin, « l'urgence est devenue une méthode de Gouvernement qui fait bon marché des droits du Parlement ».
M. Jean-Pierre Schosteck. Tout à fait !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Et le président Jean Delaneau de souligner la contradiction existant entre un texte présenté comme anodin et une déclaration d'urgence décidée pour sa discussion, cependant que notre collègue François Trucy insistait sur la rareté de la faveur ainsi faite à une « simple » proposition de loi. Simple ! Je lui laisse la responsabilité de cet adjectif.
Il n'y a guère que sur la réforme des retraites que l'urgence ne soit pas déclarée, et pour cause : il n'y a aucun projet déposé, aucun en préparation, et l'on constate la gêne qui est celle du Gouvernement, privé qu'il s'est vu depuis quelques jours des 64 milliards de francs grâce auxquels il espérait pouvoir abonder le plus que maigrelet fonds de réserve des retraites, à plusieurs reprises évoqué dans cette enceinte.
Monsieur le secrétaire d'Etat, parvenu à ce stade de mon exposé, je souhaiterais vous faire une confidence fondée sur une expérience déjà ancienne, mais toujours présente à mon esprit, de l'action gouvernementale.
Le Sénat est une institution qui n'apprécie pas d'être bousculée. (M. Estier rit.)
A maintes reprises, il m'est arrivé de l'éprouver à mon corps défendant, singulièrement lors de l'examen, pendant trois sessions, du premier des projets de décentralisation que j'avais à défendre au cours des années 1979 et 1980, celui-là même que l'on omet toujours de citer, exception faite de M. le président Poncelet qui ne manque pas une occasion de le rappeler, et je lui en exprime ma gratitude.
Le Sénat est sensible aux égards. Comme l'a récemment exprimé M. Garrec : « Il y a de la considération à apporter au Sénat. » Pour le séduire, il y faut des manières et, en l'occurrence, elles ont cruellement fait défaut !...
Pourquoi ces propos blessants sur - je cite - « la petite troupe » ou - je cite derechef ! - « la simple faction » qui freinerait le cours de nos débats ?
Voudrait-on donner raison à Benjamin Constant que l'on ne s'y prendrait pas autrement, Benjamin Constant qui écrivait : « Les dépositaires du pouvoir ont une disposition fâcheuse à considérer tout ce qui n'est pas eux comme une faction. Ils rangent quelquefois la nation même dans cette catégorie. »
M. Emmanuel Hamel. Quelle citation !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Notre excellent collègue M. Yann Gaillard a montré, à la faveur de divers exemples saisissants, et en s'appuyant sur le texte d'un auteur particulièrement autorisé, aujourd'hui collaborateur immédiat de M. le ministre de l'intérieur, la légitimité, pour une assemblée, d'user des ressources du règlement, légitimité dont la minorité d'alors à l'Assemblée nationale n'avait pas manqué, en déposant plus de 4 000 amendements, d'user en 1994.
L'un de nos collègues parmi les plus respectés de cette assemblée, celui auquel responsables d'établissements, dirigeants d'entreprises et élus doivent l'heureuse clarification de la distinction entre délits intentionnels et délits non intentionnels - j'ai nommé le président Pierre Fauchon - a porté le fer dans la plaie, et ce qu'il a énoncé à cette tribune mérite d'autant plus considération qu'il s'est prononcé en faveur de la proposition de loi organique.
Après avoir évoqué ce qu'il a qualifié de « procédé », il a affirmé : « Nous sommes, par conséquent, devant une vraie réforme constitutionnelle et on ne saurait accepter de faire passer ce texte pour un simple aménagement de calendrier pour des raisons pratiques. »
Et d'ajouter : « Je n'insisterai pas sur le pitoyable délai concédé à la commission des lois pour examiner le texte. »
Et d'insister : « Mais il y a plus grave » - c'est toujours Pierre Fauchon qui parle - « et cela touche au fond du problème. Est-il correct juridiquement, est-il politiquement convenable de déguiser en une simple proposition de loi, votée à la hâte, un dispositif porteur de telles conséquences pour notre vie politique et qui constitue de ce fait une véritable réforme constitutionnelle, une réforme constitutionnelle sur laquelle on fait l'impasse de l'avis du Conseil d'Etat, de l'examen en conseil des ministres, donc de l'avis du Président de la République, et de l'adoption par référendum ? Pourquoi ? »
M. Fauchon est un homme trop fin pour n'avoir pas répondu in petto à la question qu'il feignait de poser ainsi.
Peut-être, homme de grande culture qu'il est, pensait-il à Antigone, cette pièce dans laquelle Jean Anouilh fait dire à Créon : « Il n'y a rien de vrai que ce qu'on ne dit pas. »
Monsieur le secrétaire d'Etat, tout au long de cette discussion, j'étais tenté de demander à ceux qui se sont succédé à ce banc où je suis heureux de vous trouver ce soir, tel cet animal qui, comme nous, allait son train de sénateur : « De quoi vous sert votre vitesse. ? »
Puisse le répit que lui donne le débat qui se déroule depuis quelque temps dans cette enceinte inciter le Gouvernement à peser avec soin - et tout autant nos collègues députés - avantages et inconvénients, pour l'avenir de nos institutions, d'une proposition de loi organique dont, avec toute l'autorité qui s'attache à sa personne et à son nom, notre éminent collègue, l'amiral de Gaulle, disait, ici même, hier après-midi : « qu'elle vole bas par rapport à l'histoire, à la nature et à la mission de la Ve République ». (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Emmanuel Hamel. Sommet de l'éloquence !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole et à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, je souhaite simplement confirmer au Sénat que le Gouvernement a écouté avec beaucoup d'attention tout ce qui vient d'être dit, notamment la synthèse de M. le rapporteur.
J'ai cru comprendre que la commission des lois se réunira le mardi 6 février pour examiner les amendements.
M. Christian Bonnet, rapporteur. C'est exact.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. A seize heures, M. Daniel Vaillant répondra aux différents intervenants, réponse qui s'inscrira dans la suite logique des travaux du Sénat consacrés à cette proposition de loi organique.
M. le président. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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