SEANCE DU 4 AVRIL 2001


LOI D'ORIENTATION SUR LA FORÊT

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 408, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt. [Rapport n° 191 (2000-2001) et avis n° 190 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. César.
M. Gérard César. Même s'il existe, comme vous l'avez indiqué à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, un décalage entre l'objet de ce projet de loi, qui est d'inscrire la forêt dans une logique de long terme, et l'exigence de court terme qui s'exprime chaque jour sur le terrain dans les régions sinistrées par les tempêtes de fin décembre 1999, on peut tout de même s'étonner, pour le regretter, que le texte ne tienne pas compte des effets de ces événements climatiques pour remettre à niveau la politique forestière et préparer une vraie charte du xxie siècle.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, l'Aquitaine, particulièrement la Gironde, a payé un lourd tribut, et, un an après, le bilan s'est aggravé puisqu'il a fait apparaître 5 millions de mètres cubes de chablis supplémentaires. Ce sont ainsi 31,5 millions de mètres cubes de bois à terre, au lieu des 27 millions estimés pour l'Aquitaine, dont 19 millions pour la Gironde.
Aujourd'hui, les propriétaires forestiers sont excédés : en effet, ils ne sont pas encore sortis de la crise profonde où les a précipités cet ouragan, et les promesses faites ne sont pas toutes tenues.
Ainsi, les aides pour la mobilisation des chablis sont parvenues avec retard et après bien des difficultés.
Par ailleurs, les indemnisations et les mesures fiscales exceptionnelles et appropriées en faveur des sylviculteurs sinistrés qui ont dû faire face aux surcoûts liés à l'exploitation des chablis et aux impôts payés sur des revenus qui n'existent plus se sont fait attendre. Aujourd'hui encore, les mesures de déduction fiscale restent défavorables aux propriétaires dont la propriété est gravement sinistrée. Que déduire lorsqu'il n'y a plus de revenus professionnels ? Or, sans ces aides, il sera difficile de nettoyer les forêts et de les replanter.Le risque est grand de laisser s'installer un reboisement naturel, propice aux incendies, avec les conséquences économiques, sociales et environnementales que l'on sait.
Les forestiers sont excédés et déçus, car ils pensent que les remèdes attendus ne viendront pas de cette loi. Les propriétaires privés restent, en effet, les grands oubliés de ce texte. Pourtant, il existe bien une diversité de la forêt en France, et la forêt d'Aquitaine n'est pas celle du Centre, de la Normandie ou de l'Est : elle est privée à 90 %, et une large majorité de propriétaires ne possèdent qu'entre quelques ares et 25 hectares. La moyenne de la propriété forestière est de 4,5 hectares de bois en Dordogne, de 2,5 hectares dans les Pyrénées-Atlantiques et de 20 hectares dans le massif des pins. Considère-t-on ces propriétaires forestiers suffisamment nantis pour ne pas leur venir en aide ?
Certes, les fonctions socio-économique et environnementale de la forêt sont reconnues par le projet de loi. Il faut dire que l'ensemble des activités de la filière bois-papier regroupe 30 000 emplois dans notre région - 500 000 sur le plan national - et réalise un chiffre d'affaires de 17 milliards de francs, soit l'équivalent de celui des vins de Bordeaux. Mais reconnaître la fonction économique de la forêt, c'est aussi accepter que le sylviculteur poursuive un intérêt financier. La notion de rentabilité, absente du texte, doit intervenir comme support, comme moteur de l'investissement de la gestion durable des forêts privées ; sinon comment et avec quels moyens peut-on les reboiser, les aménager et les entretenir ?
Certes, la fonction d'intérêt général de la forêt est reconnue ; mais, dans le même temps, on multiplie les charges et les contraintes pesant sur les propriétaires forestiers au nom de la multifonctionnalité : celles qui concernent le reboisement, le défrichement et le rétablissement de la taxe, les coupes, la certification des garanties - et j'en passe - relèvent d'une politique forestière bureaucratique, centralisée, qui méconnaît la rentabilité et n'incite pas l'exploitant forestier à une gestion participative et durable de sa forêt.
Cette notion de gestion ne me semble pas suffisamment définie dans le texte. La gestion de la forêt se fait essentiellement sur la durée, et les propriétaires forestiers savent qu'il faut exploiter correctement la forêt pour maintenir en l'état le patrimoine familial. Il conviendrait plutôt de parler des moyens mis en oeuvre pour encourager tous les principaux acteurs de la filière. Appuyés par l'Etat, ceux-ci doivent impérativement investir, conquérir de nouveaux marchés, mieux valoriser leurs produits et promouvoir l'usage du bois, qui devient un impératif prioritaire.
Or, quels outils financiers nouveaux et puissants propose le texte pour maintenir l'investissement en forêt et la gestion de cette dernière à long terme ?
Le plan épargne forêt, préconisé par le rapport Bianco en 1998, et dont les événements climatiques de l'année suivante avaient démontré la pertinence, y est absent. La défiscalisation des sommes déposées dans ce plan et dédiées uniquement à l'investissement en forêt, de même que la possibilité de bénéficier de financements à des taux intéressants seraient une incitation déterminante - et la moins coûteuse pour l'Etat - pour le succès de cette idée. La Norvège, dont la forêt est privée pour 80 %, a su se doter dans ce domaine d'outils financiers efficaces qui permettent de renforcer l'investissement à long terme. La France se doit, elle aussi, de mettre en place un dispositif adapté.
Quelle garantie proposent les auteurs du texte aux propriétaires face à la charge des risques que ces dernières doivent assumer au cours de la gestion forestière ?
Un dispositif, à l'exemple du fonds de calamités agricoles, capable d'indemniser les préjudices consécutifs aux circonstances exceptionnelles, tel le fonds de calamités forestières, préconisé par les sylviculteurs, est absent de ce projet de loi. En effet, pour assurer un avenir à l'investissement forestier, il convient de revoir le dossier « assurances risques en forêts », en considérant la couverture des risques en fonction de la longueur des cycles forestiers, comme cela a déjà été fait avec l'assurance incendie dans le Sud-Ouest. De plus, la création de ce fonds serait un geste de solidarité envers ceux qui ont tout perdu, en particulier les petits sylviculteurs ou les retraités agricoles.
Dans cette même logique de prévoyance, la défiscalisation de la taxe de défense de la forêt contre l'incendie permettrait d'inciter, de susciter une véritable politique de prévention qui est toujours moins coûteuse que la réparation. L'expérience de notre région le démontre depuis cinquante ans. Les efforts faits en matière non seulement de lutte contre les incendies, mais aussi d'aménagement du territoire mériteraient d'être encouragés.
Le regroupement des producteurs de bois doit être favorisé par des aides spécifiques et volontaristes incitant les propriétaires sylviculteurs à s'unir au travers de structures techniquement, commercialement et financièrement fiables et efficaces. La tempête de décembre 1999 a permis de montrer la capacité des coopératives forestières, telle la CAFSA, la coopérative agricole et forestière sud-atlantique, à rendre plus efficace les aides publiques, grâce à l'effort démultiplicateur du regroupement sur le terrain.
En conclusion, monsieur le ministre, nous attendions un texte porteur de plus d'élan, une loi forestière incitative et non coercitive. Nous attendions un texte qui tire les leçons du passé pour préparer l'avenir. Sans une véritable politique d'incitation fiscale et financière soutenue de l'Etat, qui prendra des engagements sur le long terme, sans le rétablissement d'un contrat de confiance avec les sylviculteurs, à qui l'on demande de cultiver la forêt, vous prenez le risque de démotiver ces derniers et de voir, à terme, le paysage forestier disparaître par endroits. Les sylviculteurs, sans véritable incitation financière et fiscale, n'auront pas la volonté de réinvestir et d'attendre trente ans, quarante ans, voire cinquante ans, des revenus hypothétiques sans aucune garantie. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, cette loi d'orientation sur la forêt est attendue, et même très attendue. En effet, l'évolution socio-économique de toute la filière bois subit de plus en plus les aléas du marché mondial, et, par ailleurs, la forêt se trouve au coeur des fortes préoccupations d'une gestion durable et diversifiée exprimée par les acteurs locaux et par la population.
Cette loi est d'autant plus nécessaire que la tempête de décembre 1999, véritable désastre pour la forêt française, a révélé l'urgence d'une réorganisation globale de notre filière bois, malgré une mobilisation exemplaire non seulement des pouvoirs publics, des professionnels, des collectivités locales mais aussi des particuliers.
Face à cette situation, l'urgence était donc, cette fois, d'actualité ; plusieurs de mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même avions d'ailleurs attiré votre attention, monsieur le ministre, le 9 février 2000, sur la nécessité d'un examen très rapide du projet de loi que vous aviez alors annoncé.
Déjà plus d'un an s'est écoulé depuis cette discussion, ici, au Sénat, et je regrette, comme beaucoup d'acteurs de la filière, la tardive inscription de ce projet de loi à l'ordre du jour des travaux de la Haute Assemblée, alors même que sept mois nous séparent déjà de l'adoption par l'Assemblée nationale de ce texte. Et soyons clairs : ce ne sont pas les quelques jours de discussion sur le calendrier électoral qui ont véritablement retardé le processus !
Ce retard est d'autant plus paradoxal que vous aviez pris, monsieur le ministre, à la suite de la tempête, des mesures immédiates et efficaces pour parer à l'urgence, même si leur mise en oeuvre s'avère parfois laborieuse.
Aujourd'hui, après la catastrophe qui a touché notre forêt, le projet de loi d'orientation sur la forêt s'appuie sur une gestion durable et multifonctionnelle de la forêt, c'est-à-dire sur la recherche d'un équilibre entre ses fonctions économique, sociale et écologique. Sur ce point, nous sommes en parfait accord avec un tel objectif, et je dois dire que je partage les grandes orientations de ce projet.
Cependant, cette loi d'orientation doit aussi impulser fortement la régénération des zones sinistrées par cette tempête historique. En effet, avec plus de 300 millions d'arbres à terre, soit l'équivalent de quatre ans de récolte, des pans entiers de notre forêt ont été anéantis. Et si la reconstruction des peuplements est maintenant engagée, reste à savoir pour quels objectifs, avec quelles méthodes, et quels marchés potentiels.
En effet, il s'agit désormais de tirer de cette difficile épreuve une chance de renouveau pour toute la filière bois, à l'image de nos voisins allemands.
En France, les deux tiers des surfaces boisées sont privés et extrêmement morcelées, avec 3,5 millions de propriétaires, ce qui implique l'intérêt d'une gestion territoriale et décentralisée. Je rappelle d'ailleurs que les petits propriétaires de moins d'un hectare d'un seul tenant ont été jusque-là écartés des aides de l'Etat.
Il est temps de se demander ce que nous voulons faire de notre forêt, mais aussi ce que les régions, les départements et les collectivités, en particulier les collectivités intercommunales, veulent faire de leurs forêts, qui sont si diverses qu'elles méritent un regard plus décentralisé, c'est-à-dire, encore une fois, un regard plus territorial.
S'agissant précisément du projet de loi d'orientation, j'aborderai simplement quatre points : la gestion décentralisée de la forêt, la politique agro-sylvicole, la formation et l'incitation aux investissements en forêt.
Sur la gestion décentralisée, les chartes de territoire forestier, au moins à l'échelle intercommunale, permettent de mobiliser les acteurs locaux et d'engager un programme pluriannuel d'actions qui prend en compte l'aspect multifonctionnel de la forêt : production, accueil du public, activités locales et gestion environnementale.
Il s'agit là d'une démarche novatrice qui s'inscrit parfaitement dans les politiques contractuelles de développement rural engagées par les établissements publics intercommunaux et, sans aucun doute, de l'un des points forts du présent projet de loi.
Plusieurs projets de ce type existent déjà à titre expérimental, par exemple dans le Cantal. La contractualisation s'avère difficile du fait de l'absence d'un interlocuteur privilégié et de moyens financiers clairement identifiés. Or, sur ces territoires, la reconstitution des forêts est liée à l'aboutissement de cette démarche concertée et innovante.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, la finalisation de ces chartes expérimentales s'avère tout aussi urgente que leur généralisation.
La forêt est également au coeur de l'activité agricole et le travail des agriculteurs en forêt a déjà été reconnu dans la loi de 1985 comme un moyen de diversification. Ce sujet prend aujourd'hui tout son intérêt, notamment face à la crise sans précédent que connaît notre agriculture de montagne.
Il est donc primordial de donner un cadre juridique, social et fiscal à l'activité de l'agriculteur en forêt, d'autant que cette multifonctionnalité est inscrite dans la loi d'orientation agricole.
L'agriculteur peut en effet, dans cette nouvelle orientation de la politique forestière, contribuer à la reconstitution et à la gestion de la forêt privée s'il est soutenu par l'Etat, et ce dans le respect des complémentarités indispensables avec les professionnels de la filière. Pour cela, les contrats territoriaux d'exploitation sont parfaitement adaptés dès lors qu'un projet forestier pourra être retenu dans le volet environnemental de ce type de contrat. Il s'agit là d'une attente forte de nos agriculteurs de montagne.
La forêt française, notamment en zone de montagne, a en effet tout à gagner d'une politique agro-sylvicole digne de ce nom.
J'en viens maintenant à la qualification professionnelle des personnes qui exploitent le bois.
La formation aux métiers de la forêt, adaptée aux nouveaux besoins de l'économie sylvicole, à sa multifonctionnalité et à la protection de la nature, doit être désormais reconnue au sein de la politique forestière. Elle est en effet au coeur même d'une stratégie de gestion durable de notre forêt.
Car, au-delà de l'identification claire des qualifications des exploitants forestiers, des entrepreneurs de travaux forestiers et des agriculteurs forestiers, pour faire simple, se pose la question de l'adaptation des formations qualifiantes face à ces nouveaux enjeux, formations qui doivent être aussi faire l'objet d'une concertation avec les organisations professionnelles.
Enfin, ce projet de loi apporte, certes, de nouveaux outils d'organisation pour la gestion durable des forêts et pour une meilleure compétitivité économique de la filière, mais plusieurs freins à l'efficacité de ces nouvelles orientation subsistent et seront sans aucun doute évoqués au cours de ces débats.
Je prendrai deux exemples :
Ainsi, la réintroduction de la taxe de défrichement par l'Assemblée nationale, alors qu'elle avait été supprimée par la loi de finances de 2000, va à l'encontre de l'objectif de simplification de la fiscalité forestière.
De même, l'absence de dispositions destinées à favoriser l'investissement en forêt est un obstacle à sa reconstitution, car, dans ce domaine, les attentes sont très fortes pour financer la restructuration foncière, l'investissement productif ou encore la modernisation de l'aval de la filière. C'était pourtant le sens du plan d'épargne forêt proposé à l'Assemblée nationale, adopté à l'unanimité en commission, et repris au Sénat sous la forme d'un fonds d'épargne forêt.
Monsieur le ministre, ce projet de loi d'orientation prévoit un nouveau challenge pour une meilleure gestion de nos forêts, mais aussi pour toute la filière bois et son potentiel économique, qui doivent être plus que jamais soutenus à la suite de l'épreuve historique de décembre 1999.
Sur le fond, je le redis, nous partageons les grandes orientations que vous nous proposez aujourd'hui.
Sur la forme, je souhaite, avec mes collègues de l'Union centriste, que l'importante contribution des rapporteurs du Sénat soit entendue pour enrichir ce texte et l'adapter mieux encore aux attentes de toute une filière qui est aujourd'hui fortement mobilisée. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui va être discuté est bel et bien d'« orientation » ; cela mérite d'être souligné et rappelé. Garder en tête cette nature particulière permet d'éviter les lectures erronées et les critiques faciles. Il s'agit en effet, avec ce texte, d'élaborer un cadrage général, une sorte de cartographie fixant les points de repères cardinaux de notre stratégie forestière pour l'avenir.
La lecture du projet de loi fournit les clefs principales pour expliquer, simplifier et rendre possible la gestion de nos forêts. L'« orientation » recherchée s'accompagne, dans le cas d'espèce, d'une « simplification » des textes législatifs passés ». L'un des objectifs premiers de cette loi a consisté à réactualiser une législation qui remonte au xive siècle et, dont la dernière production date de 1985.
Il fallait donc, pour faciliter le travail des acteurs de la filière forêt-bois, clarifier le cadre dans lequel ils évoluent tous. Il fallait, en fait, rendre la loi plus claire, plus accessible et surtout tenir compte des évolutions sociales, économiques et environnementales.
La dynamisation de la filière passe également par la recherche d'un équilibre entre les différentes composantes, les différentes « fonctions » de la forêt. Car c'est bien de cet équilibre et de cette « multifonctionnalité » que dépend l'avenir de la forêt et de la filière bois. Le présent texte repose sur un tel impératif.
Ainsi, à la fonction environnementale répond la gestion durable, le renforcement des écosystèmes forestiers et l'inscription de la politique forestière dans la gestion des territoires. A la fonction économique et sociale répond le renforcement de la compétitivité de la filière forêt-bois et l'organisation des institutions et des professions relatives à la forêt.
Ce texte semble donc englober tous les aspects du monde de la forêt, envisageant une méthode souple susceptible de respecter la diversité des forêts françaises. Il est indispensable d'avoir une approche par massifs, afin de soutenir cette diversité. La concertation était par ailleurs indispensable pour ne pas trop contraindre les acteurs de la filière. Les chartes de territoire forestier répondent parfaitement à cette double exigence.
Une approche contractuelle participe grandement de la modernisation tant souhaitée dans une logique de projet et non de guichet. Notons au passage que l'air de famille est frappant avec les CTE. Le choix de la contractualisation y est sans doute pour quelque chose, ainsi que leur parenté commune, reconnue et légitimement assumée par M. le ministre de l'agriculture. En somme, nous retrouvons les idées - forces d'une politique que j'approuve totalement.
L'approche est donc globale et vise à encadrer l'ensemble d'une filière dont la richesse n'est plus à démontrer dans un pays couvert à 27 % par les forêts, qui emploie plus d'un demi-million de personnes et dont le tiers des communes sont forestières.
L'« orientation » proposée se devait d'être synoptique : favoriser le développement du territoire par une gestion durable tout en assurnat la compétitivité de la filière bois.
Les générations futures se féliciteront sans doute d'une telle forme de précaution écologique de notre part. Elles se féliciteront du fait que, pour nous, la mise en valeur et la gestion de la forêt s'inscrivent dans un cadre non strictement économique.
Il convient donc d'insister sur la pertinence politique, mais aussi sur la valeur pédagogique de ce texte. Ces deux aspects vont d'ailleurs sans doute de pair. En effet, en développant une approche multifonctionnelle de la forêt, on permet de préciser les tenants et les aboutissants d'une forêt riche et plurielle. On permet de souligner le fait que la forêt n'est ni un sanctuaire vert, ni un parc d'attraction, ni une industrie comme les autres. La forêt est autre chose, elle en est la somme harmonieuse. Elle est la fierté des gens qui la gère, le plaisir de ceux qui la traversent et la survie de notre atmosphère.
C'est en tenant compte, comme le fait ce projet de loi, de tous ces aspects, que la forêt peut être une véritable chance, comme l'a si bien dit M. Bianco en remettant son rapport au Premier ministre en août 1998. L'objectif de ce projet de loi d'orientation retrouve le parfait esprit de ses propositions. Il s'agit d'expliquer, de simplifier et de rendre possible la gestion de la forêt française.
Car les avancées sont légion grâce à ce texte. Les modes de vente sont modernisés, ainsi que les modes d'approvisionnement, afin que l'amont soit plus à même de répondre précisément aux attentes des différentes exploitations possibles de l'écomatériau bois, de la construction à l'emballage, en passant par la papeterie, la tonnellerie et les bouchons, sans oublier les meubles.
Le présent projet de loi prend par ailleurs en considération, et c'est important, la sécurité physique et la protection sociale des travailleurs du bois qui exercent un métier difficile.
Dernier élément avant de conclure, la France, au travers de ce texte, respecte ses engagements internationaux. C'est en effet de la scène internationale que provient le principe de la gestion durable, principe, en fait, d'une gestion multifonctionnelle des espaces naturels. De 1992 à Rio à 1993 à Helsinki, l'idée a fait son chemin et on la retrouve aujourd'hui dans ce projet de loi. On ne peut que s'en féliciter !
Au total, monsieur le ministre, on doit approuver - et on approuve largement - une telle loi d'orientation. Ce texte attendu - cela a été souligné - contribuera, à n'en pas douter, à consolider la filière forêt-bois. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. de Richemont.
M. Henri de Richemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes heureux que ce texte vienne enfin en discussion devant le Sénat et que l'on parle de la forêt, qui a été particulièrement touchée par la tempête du 29 décembre 1999.
On évoque encore nos plages souillées, mais on ne parle plus de nos forêts détruites ! Tout à l'heure, notre ami Gérard César faisait allusion aux difficultés qui subsistent dans la forêt du Languedoc. En Charente, le quart du volume forestier a été détruit et sept années de récolte ont été anéanties.
Monsieur le ministre, il faut que vous sachiez que 75 % des chablis ne sont pas enlevés et ne le seront jamais, c'est-à-dire qu'une grande partie de notre patrimoine forestier privé restera en l'état si des dispositions ne sont pas prises. Malheureusement, les mesures nécessaires pour remédier à cette situation, nous ne les trouvons pas dans votre texte, qui présente cependant certains aspects positifs. Il reprend en partie, même s'il reste en deçà, le rapport Bianco, qui avait fourni une bonne base de réflexion à la réforme des textes qui régissent la forêt.
Monsieur le ministre, l'un des principaux mérites de votre texte est de rajeunir le droit de la forêt en le dépoussiérant et en éclaircissant l'enchevêtrement de textes qui le régissaient jusqu'à présent. Le cadre législatif est donc rénové : il vise à prendre en compte le besoin de gestion durable de nos forêts en instaurant des critères de gestion durable qui peuvent prendre la forme de nouveaux outils de gestion en plus des plans de simple gestion des forêts privés. Les aides publiques, et c'est une bonne chose, sont ainsi conditionnées à une bonne gestion de la forêt. Il s'agit, en quelque sorte, de développer de nouvelles voies de concertation et de contractualisation entre les partenaires économiques intéressés.
Cependant, il faut souligner que la notion de gestion durable, expression qui est utilisée à tout va, n'est pas suffisamment définie. Mais le fait de gérer une forêt n'est-il pas en soi de la gestion durable ?
Votre texte permet également une véritable compétitivité de la filière forêt-bois, en considérant la certification comme un outil environnemental de qualité.
Enfin, le point fort de votre projet de loi concerne la gestion des territoires.
Si, je salue votre proposition de fusion des modalités relatives aux différentes législations tendant à la protection de la nature, je tiens toutefois à souligner deux écueils.
Le premier - M. Poniatowski en a fait état hier soir - tient à la nature du texte : trop de renvois à des décrets d'application risquent de porter atteinte à l'efficacité du dispositif : alors que votre projet de loi comporte trente-sept articles, ce ne sont pas moins de quarante-trois décrets d'application qui sont prévus. On peut ainsi légitimement s'interroger sur l'efficacité d'un texte dont on ne mesure pas encore l'ensemble des conséquences et pour lequel les délais de mise en oeuvre des décrets d'application risquent de constituer un handicap majeur difficilement maîtrisable.
Le second écueil, monsieur le ministre, est pour moi beaucoup plus dangereux : il tient au fait que le projet de loi d'orientation de la forêt ne prend pas suffisamment en compte la réalité de la forêt privée en France, notamment sa diversité, qui tient, dans des régions comme les nôtres, à sa morcellisation. Ainsi, en Poitou-Charentes, on dénombre 330 000 hectares de forêt, répartis entre 220 000 propriétaires ; c'est dire que les parcelles sont petites ! Or ce morcellement représente aujourd'hui un handicap lorsqu'il faut reconstituer la forêt, la mauvaise gestion d'autrefois ne permettant pas le bon déroulement de cette opération. Par conséquent, nous attendons que des mesures soient prises et des incitations mises en place afin de favoriser le regroupement de la propriété forestière privée.
Par ailleurs, d'autres lacunes nous paraissent devoir être soulignées.
Ainsi, monsieur le ministre, vous insistez avec raison sur les devoirs des propriétaires, mais vous ne mettez pas suffisamment en exergue leurs droits. L'article 14 du projet de loi prévoit par exemple l'interdiction des reboisements après coupe rase, mais sans assortir cette disposition d'aucun droit à indemnisation pour les propriétaires.
En outre, comment les sylviculteurs assureront-ils le nettoyage des chablis, rendu obligatoire par l'article 15 dans les zones présentant des risques d'incendie, dans la mesure où ils doivent déjà faire face aux charges résultant des effets des tempêtes de décembre 1999 ? Enfin, les seuls propriétaires privés devront désormais, aux termes du texte, assumer le débroussaillement destiné à prévenir des risques naturels.
Ce constat étant posé, nous estimons donc que des améliorations devraient être apportées au dispositif. Il devrait ainsi être possible aux propriétaires privés de passer des conventions avec les collectivités, ou même avec l'Etat, afin qu'ils puissent par exemple bénéficier d'une aide quand ils ouvrent leur domaine au tourisme. Cela permettrait d'acquitter les primes d'assurances, qui sont aujourd'hui très lourdes. Je crains à cet égard que, lorsqu'il aura été procédé au reboisement, les propriétaires n'aient pas les moyens de souscrire les assurances nécessaires pour garantir la pérennité de la forêt.
Sur un autre plan, il conviendrait de prévoir une meilleure articulation des plans de chasse et de l'équilibre sylvo-cynégétique, afin de permettre le renouvellement des peuplements forestiers mis en danger par les dommages occasionnés par le gibier. En effet, lorsqu'une propriété doit être entièrement reboisée, comme c'est souvent le cas dans notre région, le travail accompli risque d'être anéanti, l'année suivante, par les ravages provoqués par les nombreux sangliers, chevreuils ou cerfs, or il n'est pas possible d'installer des protections sur chaque arbre replanté. Par conséquent, si les propriétaires forestiers ne peuvent pas faire entendre leur voix lors de l'élaboration des plans de chasse, reboiser sera inutile, les plantations risquant d'êtres détruites en raison d'un mauvais équilibre sylvo-cynégétique.
D'une façon générale, il est regrettable, monsieur le ministre, que vous ayez mis l'accent sur la seule fonction environnementale de la forêt, en sous-estimant sa vocation économique. Nous ne vivons pourtant pas dans des parcs naturels, et c'est principalement l'importance économique de la forêt qui permettra de maintenir sa destination environnementale. C'est parce que l'ensemble de la filière bois sera cohérent, parce que la rentabilité des travaux forestiers sera assurée, parce que le travail à long terme de coupe et de plantation sera assumé de génération en génération, que sera préservée la forêt française. Plus l'activité forestière sera intense, mieux la forêt sera protégée.
Monsieur le ministre, il est important d'encourager l'investissement et de remotiver les propriétaires forestiers. Certains d'entre eux, qui ont vu leur patrimoine disparaître, sont aujourd'hui inquiets, voire désespérés. Il faut les aider et leur rappeler ce bel adage chinois : « Celui qui a planté un arbre n'a pas passé sa vie inutilement sur la terre ». (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur le banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me faut d'emblée saluer l'intérêt du projet de loi aujourd'hui soumis à notre examen, car il répond à une question simple mais impérieuse : comment valoriser l'immense potentiel forestier dont jouit notre pays tout en tenant compte de sa variété et en neutralisant les menaces écologiques qui pèsent sur lui ?
Le projet de loi d'orientation sur la forêt apporte une réponse à cette question en conciliant deux dimensions souvent contradictoires, à savoir l'utilité publique de la forêt, laquelle remplit une fonction de structuration de l'espace, et son utilité marchande, qui en fait une chance économique pour la nation.
Mon expérience d'élu local dans le quatrième département forestier de France me laisse à penser que plusieurs dispositions du texte vont dans la bonne direction et ouvrent aux acteurs du monde forestier de nouvelles perspectives.
Dans un premier temps, il me paraît intéressant de revenir sur quelques-uns des éléments essentiels du texte. Je formulerai ensuite quelques remarques sur des points précis.
Trois orientations prépondérantes s'inscrivent dans le projet de loi : l'amplification du développement économique et social du secteur forestier, ou plus exactement des secteurs forestiers ; la préoccupation écologique ; la prise en compte de la dimension territoriale de la politique forestière.
Je tiens tout d'abord à insister sur la mise en exergue, au travers du projet de loi, de la valorisation économique de la forêt. Celle-ci dispose effectivement d'un fort potentiel de croissance, dont découleront à coup sûr des créations d'emplois.
Le texte rappelle à juste titre qu'il est indispensable de moderniser l'appareil de production de la filière en investissant davantage, ce que devrait permettre l'instauration du « plan épargne forêt », qui vise à drainer un flux d'épargne privée. Les gains de productivité qu'autoriserait un tel outil de financement auraient immédiatement des répercussions positives sur la compétitivité des produits français de la filière, et c'est là un pari que fait le Gouvernement, dans le droit fil d'ailleurs des conclusions du rapport de M. Bianco.
Outre ces gains de « compétitivité-prix », il est tout aussi nécessaire de favoriser la « compétitivité-qualité » par la certification et l'adoption des normes internationales, afin de mieux pénétrer le marché mondial. En effet, notre dynamisme à l'exportation dépend directement des signaux qualitatifs adressés aux consommateurs étrangers.
Enfin, l'incitation à l'ouverture de la forêt au public permet d'entrevoir de nouvelles perspectives économiques, car toute la superficie forestière du pays ne peut bien évidemment être considérée comme industriellement productive. C'est pourquoi les efforts consentis en faveur d'activités nouvelles sur le territoire forestier, qu'elles soient touristiques ou pédagogiques, doivent être regardés comme positifs.
Quant au volet social, il va de soi que l'amélioration de la productivité, comme la conquête de nouveaux marchés, ne seront possibles qu'à condition que soit disponible une main-d'oeuvre de qualité, attirée par des conditions de travail satisfaisantes. Le travail forestier ne peut faire l'économie de la formation, car l'emploi non qualifié est dangereux dans ce secteur. Responsabiliser les entreprises en matière de formation, de garantie de la sécurité et de recours à l'emploi non dissimulé va donc dans le bon sens.
Au-delà des considérations économiques et sociales que je viens d'évoquer, il me faut saluer l'inspiration environnementale qui a présidé à la rédaction du projet de loi. La notion de durabilité de la gestion forestière est ainsi, à juste titre, placée au centre de nos préoccupations. Les écosystèmes forestiers bénéficieront à cet égard des nouvelles réglementations en matière de boisement, de défrichement et de coupe. La réalisation d'objectifs écologiques sera notamment facilitée par l'introduction d'une dimension territoriale dans la conduite de l'action publique. Il est en effet judicieux, lorsque l'on souhaite protéger les écosystèmes forestiers dans leur diversité, de ne pas appliquer unilatéralement certains dispositifs réglementaires.
J'aimerais maintenant soulever deux ou trois questions que m'inspire le texte dans sa rédaction actuelle.
En ce qui concerne les partenariats institutionnels nouveaux que le projet de loi prévoit, il serait souhaitable que l'échelon départemental participe à la gestion forestière.
En effet, un certain nombre de questions se posent d'ores et déjà quant à la place du département dans les futurs plans de gestion régionaux, notamment au sein des futurs centres régionaux de la forêt et des produits forestiers. L'expérience récente de la tempête nous a montré que le département a su jouer un rôle de soutien et de coordination, souvent d'ailleurs à la demande des professionnels.
A cet égard, pourquoi ne pas tout simplement accroître, par l'octroi de moyens financiers, les capacités d'achat de la collectivité départementale, voire des collectivités locales, afin que celles-ci contribuent directement à la mise en application de la loi par l'exemple qu'elles donneront en matière de gestion ?
Enfin, les prérogatives et les moyens des chambres d'agriculture ne seront-ils pas revus à la baisse, alors que celles-ci, notamment grâce à des personnels hautement formés, ont souvent démontré leur grande capacité de réactivité et leur haut niveau de performance ?
Le projet de loi met par ailleurs l'accent sur la nécessité de lutter contre le morcellement de la petite propriété. Cela relève d'un impératif catégorique : aucun programme d'organisation forestière ne pourra faire l'impasse sur ce problème. Dans un département que je connais bien, 80 000 propriétaires forestiers sur 105 000 possèdent moins de cinq hectares, et l'après-tempête nous a d'ailleurs brutalement rappelé que le regroupement des propriétés est une solution face à ce type de catastrophes.
Je me permets à cet égard d'insister, monsieur le ministre, pour que soient prises en compte des mesures visant à faciliter, dans un périmètre communal ou intercommunal par exemple, les opérations volontaires d'échange et de vente de parcelles boisées.
Dans le même ordre d'idées, il me paraît primordial d'augmenter la surface gérée suivant un plan simple de gestion, mais la procédure consistant à abaisser le seuil de l'obligation du plan à dix hectares contre vingt-cinq hectares actuellement ne sera-t-elle pas trop coûteuse ? Le nombre potentiel de plans simples de gestion sera multiplié par cinq, ce qui reviendra à multiplier en conséquence les enquêtes administratives sur le terrain. Cela ne se fera pas sans moyens supplémentaires.
En conclusion, les perspectives fortes que dessine le projet de loi d'orientation sur la forêt vont dans le bon sens : celui d'une forêt vivante, accueillante, promise à un bel avenir et néanmoins développée économiquement. Dans la forêt de demain devront être préservés et renforcés les deux rôles qu'impose aujourd'hui notre société, à savoir la fonction productive et la fonction environnementale. Ce combat ne peut être gagné qu'à deux conditions : tous les acteurs des secteurs d'activités liés à la forêt, publics comme privés, devront être associés, et la constitution d'un espace forestier homogène devra être assurée. Il va de soi que cela ne pourra advenir sans efforts financiers substantiels de la part de la puissance publique. Espérons que la volonté des hommes et des femmes fera le reste ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le dernier orateur donne toujours un peu l'impression de se faire l'écho de ceux qui l'ont précédé à la tribune, mais je vais tenter d'être synthétique et constructif.
L'examen de ce projet de loi d'orientation sur la forêt constitue un rendez-vous très important, voire solennel, pour les propriétaires et les exploitants forestiers comme pour l'ensemble de nos concitoyens, puisqu'il devrait dessiner les contours de la gestion durable de cette ressource naturelle pour les vingt prochaines années.
Dans mon département, la forêt, qui représente 45 % de la superficie, participe activement à la vie tant de l'économie que de la culture et de l'identité même de cette terre où toute notion d'aménagement du territoire y fait obligatoirement référence. J'en veux pour preuve l'intérêt touristique évident que présente, en Corrèze, « pays vert » par excellence, la forêt limousine, devenue le symbole de cet espace dans lequel les citadins du troisième millénaire viennent se régénérer et se ressourcer à l'occasion des vacances.
Comme nombre de mes collègues, j'attendais du présent projet de loi qu'il permette de toujours mieux gérer et protéger ce patrimoine naturel, tout en valorisant sa fonction économique, sociale et environnementale. Mieux gérer ? Par une meilleure reconstitution des peuplements sinistrés et par leur gestion durable. Mieux protéger ? Par la mise en place d'un dispositif lié à l'assurance permettant une protection accrue et une indemnisation en cas de sinistre grave.
En d'autres termes, monsieur le ministre, nous attendions davantage du projet de loi que nous examinons aujourd'hui. (Sourires sur les travées socialistes.)
M. René-Pierre Signé. Le contraire aurait été surprenant !
M. Bernard Murat. On est là pour cela, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.)
Dans le département de la Corrèze, par exemple, qui est certainement beaucoup plus sinistré que le vôtre, mon cher collègue, nous n'avons pas les outils pour le développement durable de la forêt et de nos zones rurales.
Nous attendions une vision claire de l'Etat et des besoins de la forêt française, qu'elle soit domaniale, communale ou privée.
Monsieur le ministre, je vous donne acte du fait que nous sommes sur la bonne voie.
M. René-Pierre Signé. Ah !
M. Bernard Murat. Eh oui, on n'est pas obligé d'être sectaire !
M. René-Pierre Signé. Cela vous change !
M. Bernard Murat. Je souscris aux objectifs de gestion durable de la forêt, de gestion des territoires, de protection des écosystèmes forestiers et naturels, de compétitivité de la filière forêt-bois et d'organisation des institutions et des professionnels de la forêt. Je déplore en revanche les imperfections et les contre-mesures de certains aspects de ce projet de loi.
Tout d'abord, je regrette que ce projet de loi fasse passer au second plan la fonction socio-économique de la forêt, alors que ce secteur emploie encore plus de 500 000 personnes en France.
Ensuite, ce projet de loi ne répond pas à la détresse des propriétaires sinistrés par la tempête de décembre 1999, que certains semblent oublier. Pourtant, en Corrèze, cette tempête a mis au sol neuf années de récolte de bois, et les pertes pour la forêt privée corrézienne sont estimées à 1,8 milliard de francs. A cela, il convient d'ajouter les pertes financières énormes subies par les propriétaires forestiers du fait de l'effondrement des cours et les coûts de la remise en état des terrains.
Bien entendu, je ne sous-estime pas les dispositions du plan national pour la forêt mis en place par le Gouvernement. Mais un certain nombre de difficultés sont apparues sur le terrain depuis plus d'un an.
A titre d'exemple, les avancées réalisées par la SNCF en matière de transport de bois ont permis à de nombreux professionnels de la filière bois de concrétiser des marchés avec des clients tant nationaux qu'européens. Néanmoins, il semblerait que la SNCF octroie aujourd'hui la quasi-totalité des wagons aux coopératives forestières. Or vous n'êtes pas sans savoir que les coopératives mobilisent seulement 20 % de la récolte forestière, les 80 % restants étant exploités par les exploitants forestiers.
Une telle situation met en péril les entreprises d'exploitation, qui ne peuvent respecter leurs engagements commerciaux. Aussi, il me semble important que le Gouvernement veille au rétablissement de l'égalité entre les coopératives et les exploitants forestiers en matière de transport des bois par chemin de fer.
Enfin, ce projet de loi n'aborde pas la question de la formation professionnelle ni, plus largement, celle de l'enseignement dans l'ensemble de la filière.
A mes yeux, si l'on veut véritablement être à la hauteur des défis futurs que devra relever le domaine forestier français, il est essentiel qu'on lui donne des outils pérennes et que l'on dégage les moyens financiers nécessaires à son développement. Cette approche et ces préoccupations sont totalement partagées par mon ami Georges Mouly.
Tout d'abord, il est plus qu'urgent de favoriser l'investissement en forêt et sa gestion à long terme. En effet, les besoins de fonds pour réaliser des investissements productifs et pour accompagner des restructurations foncières sont importants et loin d'être satisfaits, d'où l'urgence de créer un dispositif de type « fonds d'épargne forêt ». Aussi, je souscris totalement aux propositions élaborées par la commission du Sénat, puisqu'elles visent à assurer la mutualisation des risques et des apports, à relancer l'investissement forestier et à favoriser des opérations de restructuration forestière en accordant des prêts à taux bonifié.
De même, il conviendrait d'ouvrir le dossier « assurance risques en forêts » afin de considérer la couverture des risques en fonction de la durée des cycles forestiers.
Gardons en mémoire que le peuplement forestier ne produit pas annuellement des récoltes et que cette ressource économique est soumise à des risques imprévisibles, notamment les incendies, les tempêtes et les maladies. Du reste, les tempêtes de 1999 ont révélé l'ampleur des lacunes en matière d'assurance. Or ce projet de loi prévoit seulement la remise d'un rapport à ce sujet.
Aussi, monsieur le ministre, ma question est simple : avez-vous l'intention de donner suite à ce rapport ? Dans l'affirmative, sous quels délais ?
Enfin, il me semble essentiel d'assurer une meilleure protection des propriétaires forestiers. Or, à cet égard, on relève une autre insuffisance de ce projet de loi. Par exemple, il est prévu d'encourager l'accueil du public en forêt sans résoudre l'ensemble des problèmes financiers qui en découlent, notamment sur le plan de la responsabilité assumée par le propriétaire.
C'est pourquoi je souhaite vivement que le Gouvernement, là encore, soit attentif aux propositions qui lui seront soumises par le Sénat. Je pense, entre autres, à l'encouragement du regroupement foncier forestier par le versement d'aides spécifiques, à l'attribution d'aides publiques aux propriétaires tenus de procéder au nettoyage des chablis au nom de la prévention des incendies, ou encore à la limitation des engagements de non-démembrement ou des contraintes de gestion à souscrire par un propriétaire privé dès lors qu'il sollicite des aides publiques.
Je suis donc persuadé, monsieur le ministre, et je sais que nous pouvons compter sur vous,...
M. René-Pierre Signé. Ah !
M. Bernard Murat. ... que vous souhaitez, comme l'ensemble de mes collègues parlementaires, y compris ceux de gauche, que la forêt française continue de participer à notre économie, qu'elle garde sa place particulière dans le domaine de l'écologie et des loisirs, mais aussi de l'esthétique de nos territoires ruraux.
Je souhaite donc vivement que vous preniez en compte les propositions consensuelles et d'ouverture formulées par notre commission. C'est ainsi que nous pourrons et cicatriser les plaies engendrées par les tempêtes de décembre 1999 et valoriser les apports indéniables de la forêt à notre nation.
Monsieur le ministre, vous êtes, comme moi, un élu du terroir. Vous savez donc que le symbole véhiculé par l'arbre est exactement le message qu'attend notre jeunesse. S'il y a tant de délinquance dans certains quartiers, en France, c'est parce qu'il n'y a jamais eu d'arbres. L'arbre est le symbole de la vie.
M. René-Pierre Signé. C'est populiste !
M. Bernard Murat. Ecoutez, messieurs, je sais très bien que vous avez, comme on dit « les boules » mais ce n'est pas parce que vous avez perdu les élections municipales que l'on ne peut pas débattre démocratiquement dans cette enceinte !
Nous n'avons pas de leçon à recevoir de vous, quel que soit votre âge !
M. René-Pierre Signé. Il me semble que vous avez été battu à Brives, il ne faudrait peut-être pas l'oublier !
M. Bernard Murat. Moi, j'ai été battu à Brives !
M. René-Pierre Signé. Oui, aux législatives !
M. Bernard Murat. C'est vrai !
Monsieur le ministre, je vous prie d'excuser cet incident. Je vous remercie de votre attention en espérant surtout que vous apporterez les réponses que nous attendons. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai suivi la discussion générale qui vient de s'achever avec un vif intérêt.
Je tiens à remercier à la fois les rapporteurs de l'excellence de leur travail et l'ensemble des intervenants de la qualité de leurs interventions.
Je dois dire que j'ai aussi apprécié la tonalité générale de cette discussion qui me rend optimiste quant à la suite de nos travaux. En effet, si j'ai entendu de nombreuses critiques, ce qui est bien normal, j'ai cru comprendre qu'elles étaient toutes constructives. Je veux donc répondre aussi clairement que possible aux principales d'entre elles.
La première concerne le surcroît de réglementation qu'introduirait ce texte sans que les moyens financiers supplémentaires soient à la hauteur des objectifs. Elle a été formulée par les rapporteurs, MM. Philippe François, Roland du Luart, ainsi que par MM. Ladislas Poniatowski, Xavier Pintat et Gérard César.
Tout d'abord, s'agissant du surcroît de réglementation, je veux vous redire, aussi clairement que possible, que, fait rare dans un exercice législatif, nous allons supprimer plus d'articles de loi que nous n'en créons. Il n'y a pas beaucoup d'exemples de textes législatifs qui s'inscrivent dans cette logique d'allégement des règles. Je vous demande donc de regarder les choses avec autant de clarté et de lucidité que possible.
Il est vrai que le Gouvernement s'est principalement efforcé d'adapter le régime des sanctions au nouveau code pénal et de tirer les conclusions des failles repérées par certains contrevenants aux dispositions actuellement en vigueur, d'où peut-être cette apparence de renforcement des contraintes.
Toutefois, j'aimerais que vous n'oubliiez pas trop vite l'effort budgétaire consenti dans la loi de finances de 2000, à travers la compensation intégrale par l'Etat de la suppression de la taxe qui alimentait le fonds forestier national, soit 350 millions de francs, et l'abondement budgétaire supplémentaire de 200 millions de francs.
N'oubliez pas non plus que le Gouvernement a démontré, lors du plan « chablis », l'ampleur de son engagement de solidarité aux côtés des propriétaires forestiers. Au total, plus de 3,5 milliards de francs seront mis en place en 2001, soit un doublement par rapport à 1999.
De ce fait, je ne comprends pas bien cette critique sur l'absence de volontarisme économique. On allège les charges et je crois que les entreprises, en tout cas elles nous l'ont signifié, ont apprécié cette mesure. On augmente les crédits budgétaires, on crée, à travers ce projet de loi sur la forêt, un environnement favorable, notamment en créant une interprofession, une certification, en faisant évoluer les modes de ventes de l'ONF. On prépare un outil fiscal sur lequel nous aurons l'occasion de revenir. Que voulez-vous de plus ? Que proposez-vous de plus ?
A partir de cet environnement budgétaire, fiscal et législatif, c'est aux entreprises et à l'économie de marché de jouer leur rôle. Je verrai comme un paradoxe qu'un certain nombre de parlementaires, sûrement plus libéraux que moi, me demandent d'intervenir encore davantage en faveur de cette filière qui doit maintenant jouer son rôle compte tenu de l'environnement que je viens de décrire.
La deuxième critique a porté sur le silence à l'égard du morcellement forestier. Cette critique a été apportée par MM. du Luart, Poniatowski, Joly, Amoudry et Dussaut.
Il s'agit d'un problème majeur de la forêt privée. Il est vrai que les nombreux outils de restructuration foncière existants ont montré leurs limites pour la forêt.
Je tiens à affirmer clairement que le Gouvernement prend donc l'engagement de traiter de cet important sujet en deuxième lecture, par la promotion des échanges amiables à partir des propositions actuellement discutées par un groupe de travail animé par les représentants des propriétaires forestiers auquel mes services apportent leurs expertises. Il est en effet nécessaire de procéder à une vaste consultation des propriétaires concernés, au-delà des seuls forestiers, en intégrant l'Association des départements de France et le Conseil supérieur du notariat. Je vous fais part, d'ores et déjà, de mon engagement ferme à agir en ce sens.
La troisième critique a eu trait aux suites des tempêtes de 1999, que beaucoup d'entre vous ont abordées.
Les règles qui définissent les modalités pratiques d'aide au nettoyage et à la reconstitution ont été effectivement publiées le 31 août 2000, conformément à l'engagement que j'avais pris qu'elles paraissent avant la fin de l'été. De fait, les paiements ont débuté dès l'automne 2000. Je viens d'ailleurs de notifier aux préfets de région une première enveloppe de 900 millions de francs pour 2001. Les dossiers déposés par les propriétaires sinistrés sont instruits sans que les enveloppes disponibles constituent une limitation.
La quatrième critique, évoquée par MM. François, Gaillard, Richert, Poniatowski et Le Cam, concerne l'effet de serre.
La convention-cadre relative au changement climatique traite d'un sujet d'une importance telle que les Etats souhaitant sa mise en oeuvre ne s'arrêtent pas à la position de l'un d'eux, fût-il le premier concerné par les engagements de réduction des gaz à effet de serre. Quoi qu'il en soit, le protocole de Kyoto a énuméré les efforts à consentir et je suis certain que la France et l'Union européenne s'attacheront à les réaliser. La forêt et le bois y auront, à côté d'autres mesures, une place évidente. Nous y reviendrons sûrement lors de l'examen du livre préliminaire du code forestier.
Quant aux inquiétudes que nombre d'entre vous ont exprimées à propos des déclarations du Président américain sur le protocole de Kyoto, je les partage. Mais je crains que le choix du Président américain ne relève pas de la loi française. Je ne proposerai donc pas d'amendements dans ce sens. (Sourires.)
MM. François, Pastor, Pintat et César ont manifesté des inquiétudes à l'encontre de l'interprofession. C'est à raison qu'ils ont souligné la nécessité d'une structuration interprofessionnelle de la filière de la forêt et du bois qui nous permette d'asseoir son développement. Le sujet est néanmoins complexe, à l'image de la diversité des acteurs, des enjeux et des marchés de la filière. C'est une réflexion difficile qu'il convient de poursuivre avec obstination et sans idées préconçues pour qu'elle puisse prendre son essor, en associant, si possible, sinon ce ne serait pas une véritable interprofession, l'ensemble des différents métiers.
Je m'y emploie, croyez-le bien, et c'est l'objet de l'article 11. Nous pourrons en débattre à nouveau.
Vous avez été nombreux à émettre des critiques concernant l'instrument financier et les assurances en forêt.
Comme je l'ai indiqué dans mon intervention liminaire, j'ai pris l'engagement de mener à son terme d'ici à la deuxième lecture la réflexion en cours sur la définition de l'instrument financier, pilier du présent projet de loi. Il s'agit de l'article 5 B.
Qu'il soit clair entre nous que l'amendement adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, avec l'accord du Gouvernement, ne constitue en rien une manière d'agir dilatoire. C'est un engagement ferme. Vous le savez puisque, depuis, des travaux ont été engagés et se poursuivent non seulement avec les professionnels, mes services, ceux du ministère de l'économie et des finances, ô combien indispensables ! mais aussi des parlementaires, députés et sénateurs. Nous tiendrons ensemble cet engagement. Nous disposerons donc de cet outil avant la promulgation de la loi. Je ne veux pas que substiste le moindre doute sur ce point.
Concernant la difficile question des assurances, j'ai eu l'occasion de souligner que le Gouvernement prend très au sérieux le risque que les conséquences des ouragans font courir à l'assurance contre les incendies. Un rapport sera présenté au Parlement sur ce sujet. De toute façon, nous en débattrons à nouveau lors de l'examen de l'article 36.
Sur l'ensemble des remarques ou critiques constructives qui ont été formulées concernant l'Office national des forêts, je répéterai ce que j'ai déjà dit. La place et l'importance de l'ONF dans la gestion de nos forêts publiques sont depuis longtemps clairement affichées dans le code forestier et nous les réaffirmons dans ce texte. Mais, au-delà de cet aspect législatif, nous ne pouvons ni ne devons faire l'économie d'une réflexion sur la nécessaire évolution de cet établissement, sur son adaptation aux nouvelles attentes de la société à l'égard de la forêt.
Dans cet esprit, avec ma collègue ministre de l'environnement, j'ai adressé voilà quelques semaines une lettre d'orientation au directeur général de l'ONF pour lui faire connaître les attentes du Gouvernement.
Il s'agit principalement de donner toute sa dimension à la gestion de l'outil fonctionnel des forêts publiques associant performance économique, fonction environnementale, satisfaction des attentes sociales, récréatives ou passagères.
Je souhaite que, dans la foulée des assises de la forêt communale, un nouveau contrat d'objectif ambitieux puisse être rapidement adopté. C'est dans ce cadre que la consolidation financière de l'ONF devra être recherchée ; nous reviendrons sur ce point en abordant les articles 5 et 25 A, 25 B, 25 C et 25.
J'ajouterai que l'ONF, dont les agents ont accompli un travail remarquable - auquel je veux une fois de plus rendre hommage - après les tempêtes de fin 1999, a eu accès pour ses interventions à l'ensemble des aides du plan : 130 millions de francs de subventions, 650 millions de francs de prêts en l'an 2000. Par ailleurs, l'Etat finance à 100 % la reconstitution opérée par l'ONF.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales réponses que je tenais à apporter à vos critiques. Le débat nous permettra d'aller plus loin dans le dialogue.
Sachez que, pour ma part, j'aborde ce débat avec un esprit de grande ouverture et je suis sûr qu'ensemble nous allons enrichir ce texte, ce dont je vous remercie. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

DÉVELOPPER UNE POLITIQUE DE GESTION DURABLE ET MULTIFONCTIONNELLE

Chapitre Ier

Les objectifs et les moyens de la politique forestière

Article 1er