SEANCE DU 24 JANVIER 2002


ASSURANCE CHÔMAGE DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE

Adoption d'une proposition de loi
déclarée d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 138, 2001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relative au régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. [Rapport n° 166 (2001-2002)].
J'informe le Sénat que la commission des affaires culturelles m'a fait connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu'elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur la présente proposition de loi.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai réglementaire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous présenter les excuses de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, qui est retenue par d'autres obligations, ainsi que celles de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, qui avait réservé plusieurs demi-journées pour cette discussion, à laquelle elle souhaitait participer, mais qui est aujourd'hui en province.
Je vous présenterai donc ce projet de loi, mais vous savez que nous parlons d'une seule voix et vous connaissez l'attachement que le Gouvernement porte à ce dossier.
Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale à une très large majorité, qui traduit le consensus qui s'est formé pour répondre au problème posé par l'indemnisation du chômage des intermittents du spectacle.
Je tiens d'emblée à souligner le sérieux du travail mené par votre commission dont votre rapporteur va rendre compte.
Vous proposez, au terme de votre analyse, monsieur le rapporteur, de vous écarter du texte transmis par l'Assemblée nationale. Vous souhaitez fixer une date butoir : le 30 juin prochain. C'est donc ce point que je veux discuter de manière approfondie avec vous. Permettez-moi cependant de relever tout d'abord tout ce qui, dans nos analyses, constitue un socle commun, et, je l'espère, le gage d'un consensus possible, au Sénat également.
Le bilan que vous dressez des évolutions des annexes au cours des dernières années montre bien la complexité des problèmes posés. On ne devient pas intermittent par choix, on est d'abord artiste ou technicien du spectacle ou de l'audiovisuel. Vous avez raison de montrer que l'évolution de l'emploi dans ces secteurs est allée vers un recours toujours plus large à l'intermittence, ce qui est en soi un phénomène très préoccupant, notamment dans le secteur de l'audiovisuel.
Vous soulignez aussi, à juste titre, la spécificité des annexes. « L'assujettissement de ces salariés au droit commun ou à l'annexe IV relative au travail temporaire, constituerait en effet un bouleversement à la fois économique et social qui mettrait à mal les équilibres sur lesquels repose le secteur culturel. »
Pour résumer votre pensée - et je partage votre point de vue - on peut peut-être mieux ajuster le recours à ce « statut », mais on ne pourra pas se passer de la souplesse et de la capacité d'initiative qu'il confère aux secteurs du spectacle vivant et audiovisuel.
Vous indiquez par ailleurs les progrès que peuvent représenter les accords signés entre les partenaires sociaux de ces secteurs, le 15 juin 2000, puis l'année suivante, au mois de juin 2001. Comme vous l'écrivez dans votre rapport, « les partenaires sociaux pourraient, au niveau interprofessionnel, apprécier la portée de cet accord et s'en inspirer pour la négociation des annexes VIII et X », ce que nous appelons tous de nos voeux.
Dernier point essentiel d'accord, vous estimez que, « faute de pouvoir espérer la conclusion prochaine d'un accord interprofessionnel, une initiative s'imposait afin de remédier à cette situation ».
J'en viens au point de désaccord.
Nous divergeons sur les modalités de cette initiative qui s'impose et sur la nécessité de prévoir ou non un délai.
Votre position se fonde sur un double argument, juridique et politique. Je m'efforcerai donc de répondre sur ces deux aspects.
Sur le plan juridique tout d'abord, vous faites référence à une décision du Conseil constitutionnel en date du 29 décembre 1986. Cette référence me paraît pas fondée.
Certes, comme dans le précédent invoqué, la proposition de loi fixe une condition de validité dans le temps, puisque la cessation d'effet de la loi dans le temps est subordonnée à la conclusion prochaine d'un accord agréé. La date précise reste indéterminée, la durée de validité pour cette loi transitoire aussi.
Certes, enfin, la condition qu'un accord intervienne et soit agréé dépend, en partie, du pouvoir réglementaire. Mais, vous le savez bien, l'agrément ne constitue pas un pouvoir discrétionnaire. Il s'impose sous réserve du respect d'une procédure rigoureuse de consultation des partenaires sociaux, ainsi que du respect de l'ensemble des règles de droit applicables au domaine conventionnel traité. C'est en réalité un contrôle de légalité.
Tout cela, notamment le respect de la procédure et du calendrier, s'effectue sous le contrôle du juge. Tel n'était pas le cas, vous en conviendrez, pour la jurisprudence que vous invoquez.
Par ailleurs, l'ordonnancement juridique de l'assurance chômage prévoit d'ores et déjà une délégation des pouvoirs du législateur aux partenaires sociaux, afin qu'ils définissent les règles en la matière. La proposition de loi se contente de reprendre ce modèle.
On ne peut donc pas conclure, en l'espèce, comme le Conseil constitutionnel l'avait estimé dans le cas que vous citez, « qu'on laisse au Gouvernement la faculté de fixer la date à laquelle produira effet l'abrogation de cette loi », et que « ce pouvoir ne serait assorti d'aucune limite ».
J'en viens à votre argument d'ordre politique, qui est l'essentiel, et qui porte sur la méthode qu'il convient de privilégier pour faire oeuvre utile tout en marquant le respect dû à l'autonomie des partenaires sociaux. Votre thèse implicite - en fixant un calendrier rapproché - est que l'on gagne à fixer un délai impératif, dans la mesure où la conclusion rapide d'un accord serait ainsi presque imposée.
Mais nous avons tous le souvenir des négociations passées concernant les intermittents et qui prévoyaient une date couperet conduisant parfois les partenaires patronaux et syndicaux à de nombreux dérapages.
Nous savons que les résultats de telles épreuves de force ne peuvent qu'être décevants, voire stériles. En revanche, les propositions qui ont été faites par la Fédération des syndicats patronaux des entreprises du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma, la FESAC, qui regroupe les organisations patronales, et par les fédérations du spectacle - la CGT, la CFDT et la CGC du secteur - constituent une base de négociation d'un accord plus durable, plus novateur et d'une réelle adaptation, attendue depuis des années.
Je ne reviendrai pas en détail sur les dispositions techniques très complexes de cet accord, telles que, par exemple, la fusion des annexes VIII et X, la modification du calcul de l'indemnité journalière, dont l'objectif est de moraliser le recours à l'indemnisation, ou encore, à l'inverse, l'intégration, à mes yeux justifiée, de certaines activités d'enseignement dans le volume d'heures requis.
Ce sont autant de pistes prometteuses pour une véritable amélioration du statut d'intermittent, sous réserve, bien entendu, de l'appréciation que porteront les partenaires sociaux au plan interprofessionnel.
Certes, le coût de cet accord doit être évalué précisément. Mais, à l'inverse, il ne faut pas oublier de valoriser également le gain que représente, du côté des emplois permanents du secteur culturel, la forte stabilité de l'emploi.
Il faudra sans doute, à l'issue de ces analyses, définir avec soin les paramètres permettant de maîtriser les coûts, comme le souhaitent les partenaires sociaux sur le plan tant professionnel qu'interprofessionnel. Encore une fois, tout cela est du ressort des partenaires sociaux.
Cette négociation demandera du temps, de la sérénité, de la méthode, ce qui, pour nous, comme pour l'Assemblée nationale, interdit qu'un délai impératif soit fixé, surtout s'il est si court.
L'accord qui proroge jusqu'au 30 juin 2002 les annexes VIII et X manifeste la volonté des partenaires sociaux d'engager ces négociations et d'aboutir rapidement. Les partenaires sociaux l'ont accompagné d'une déclaration d'intention prévoyant une date et un ordre du jour pour une prochaine réunion sur le sujet. Il faut s'en féliciter. Cela ne nous dispense pas pour autant de poursuivre la procédure législative.
Cet accord ne peut être considéré comme constituant une base juridique suffisante, dans la mesure où son entrée en vigueur est subordonnée au respect d'une procédure d'agrément prévue par les articles L. 352-2 et L. 352-2-1 du code du travail. Cette procédure est engagée, elle doit suivre son cours.
On ne peut préjuger la décision d'agrément qui sera prise par la ministre, la consultation des partenaires sociaux représentés au sein du comité supérieur de l'emploi n'étant pas encore intervenue.
La prorogation à titre transitoire des annexes par la loi sera, au pire, redondante pour la période qui s'ouvre jusqu'au 30 juin prochain. En revanche, en l'absence d'accord des partenaires sociaux, la loi permettra, à compter du 1er juillet 2002, de combler le vide juridique concernant l'indemnisation des intermittents du spectacle. La loi permettra ainsi aux partenaires sociaux d'engager les négociations indispensables, dans un climat que nous souhaitons serein et constructif.
Au total, l'Etat est bien dans son rôle quand il fournit un cadre juridique adapté à cet objectif. Le Parlement est bien dans son rôle quand il intervient pour combler un vide, de manière indiscutable sur le plan juridique, pour donner sa chance à une véritable négociation orientée vers l'avenir.
Il ne s'agit pas, je le répète, de se substituer aux partenaires sociaux. Il s'agit simplement de donner un cadre ferme à une négociation que nous appelons de nos voeux. Dans cet esprit, il est indispensable de s'en tenir au texte tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Fournier, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Vous avouerez, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous sommes dans une situation paradoxale. Le texte que le Gouvernement a inscrit aujourd'hui, après quelques péripéties, à l'ordre du jour du Sénat avait pour objet, quand il a été voté à l'Assemblée nationale, de proroger le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle afin d'éviter un vide juridique et de ménager un délai pour permettre la renégociation de ce régime, qui relève - ou plus exactement relevait - des annexes VIII et X de la convention générale d'assurance chômage.
La commission des affaires culturelles, qui a examiné le texte adopté par l'Assemblée nationale le 9 janvier dernier, était convenue de la nécessité de redonner une base juridique aux annexes VIII et X, mais elle avait aussi jugé indispensable, à la fois pour des raisons juridiques et pour ne pas empiéter sur les compétences des partenaires sociaux, de limiter la prorogation de ces annexes jusqu'au 30 juin prochain. Tous les membres de la commission avaient approuvé ce principe d'une date « butoir », même si les avis divergeaient sur le choix de la date à retenir. Nous en sommes bien d'accord.
Or, le lendemain même de notre réunion, le 10 janvier dernier, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord sur la prorogation des annexes VIII et X. Ils ont décidé, « à titre dérogatoire et dans l'attente de la négociation d'un nouvel accord, de maintenir les dispositions des annexes VIII et X dans leur rédaction issue de la convention du 1er janvier 1997 ».
Cet accord, conclu pour la période du 1er janvier 2001 au 30 juin 2002, a été signé par les trois organisations patronales et quatre organisations syndicales : la CFDT, la CGC, la CFTC et FO. Je ne peux que me féliciter de cet accord, qui traduit la volonté des partenaires sociaux non seulement de conforter à titre provisoire le régime d'assurance chômage des intermittents, mais également d'engager sa réforme. En effet, les signataires de l'accord sont convenus de se réunir dès le 5 mars 2002 pour examiner la situation de la gestion des annexes.
A condition que cet accord soit agréé, il n'y a donc plus lieu que le Parlement intervienne. C'est pourquoi, mes chers collègues, le président de la commission, M. Jacques Valade, a interrogé le Gouvernement, en conférence des présidents, sur l'utilité d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale.
Nous avons la réponse. Elle signifie, en clair, que le Gouvernement n'entend pas agréer l'accord ni, par conséquent, et malgré ce qu'il avait dit à l'Assemblée nationale, respecter la compétence et la volonté des partenaires sociaux, et cela bien que, dans votre intervention, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ayez modéré votre propos, atténuant quelque peu ce qui nous a été dit voilà quelques jours.
Et si le Gouvernement soutient le texte de l'Assemblée nationale, qui équivaut à une prolongation à durée inderterminée d'un régime dont nous savons tous qu'il doit être réformé, il pratique en fait la politique du pire. Cela équivaut, à notre sens, à condamner à terme ce régime, dont nous sommes tous d'acord pour reconnaître qu'il est nécessaire, car il permet de tenir compte de la spécificité de l'activité artistique et constitue un atout ô combien important pour la vitalité de la création nationale.
Nous savons en effet - et tout le monde le sait - que ce régime ne peut être maintenu en l'état. Les règles actuellement prévues par les annexes VIII et X ont en effet conduit, reconnaissons-le, à une dérive des mécanismes d'indemnisation qui se traduit par un déficit croissant du régime.
Au cours des vingt dernières années, le nombre des intermittents a connu une forte progression, dont le rythme s'est accéléré depuis 1990. En effet, il atteignait 92 440 en 2000 contre 41 038 en 1991, soit plus qu'un doublement, ce qui est considérable.
Cette situation est à l'origine de la croissance du déficit des annexes VIII et X qui, sur la même période, est passé de 210 millions d'euros, soit 1,4 milliard de francs, à 610 millions d'euros, soit 4 milliards de francs. Toutefois, on notera que le rapport entre le montant des prestations servies et celui des cotisations, s'il demeure élevé puisqu'il est de cinq à un, reste stable.
Le marché de l'emploi des intermittents présente, en effet, la particularité d'être à la fois en croissance et en crise.
L'essor du secteur culturel auquel on a assisté depuis 1980 s'est accompagné d'une généralisation de l'intermittence, les entreprises de ce secteur, comme vous le savez, recourant massivement à un système qui constitue un moyen d'alléger leurs charges salariales. Comme le soulignait M. Pierre Cabanes, chargé en 1997 d'une mission de médiation par le Gouvernement, le régime « génère et accroît le risque qu'il est censé couvrir ».
En dépit du constat répété de la nécessité d'engager une réforme des modalités d'indemnisation, ce régime se survit à lui-même, de prorogation en prorogation, au prix d'un scénario bien connu : vivement critiquées par les organisations patronales qui menacent de ne plus contribuer à leur financement, les annexes VIII et X sont finalement reconduites sous la pression exercée par les représentants des salariés sur l'opinion publique et, par conséquent, sur le Gouvernement.
Cela peut-il continuer ainsi ? Nous ne le croyons pas. C'est pourquoi la commission n'avait pas accepté le dispositif de l'Assemblée nationale.
Si la commission a estimé nécessaire de remédier au vide juridique incontestable résultant de la caducité des annexes VIII et X, il lui a paru pour autant indispensable de limiter dans le temps la durée de la prorogation. Les engagements pris par les partenaires sociaux le lendemain de l'examen, par la commission, de la proposition de loi, dans le cadre de l'accord intervenu le 10 janvier dernier, ne peuvent que nous conforter en ce sens.
Le délai retenu par l'Assemblée nationale nous était apparu au mieux trop long et au pire indéterminé.
En premier lieu, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale ne constitue pas l'assurance de parvenir rapidement à un accord, pas plus qu'il ne favorise une réforme des règles d'indemnisation, pourtant nécessaire de l'aveu de tous. Ces réajustements exigeront des concessions qui peuvent s'avérer difficiles pour les intermittents et pour les entreprises du secteur. On peut à bon droit s'interroger sur les chances de parvenir, dans ces conditions, à un accord, alors que l'échec des négociations garantit l'existence d'un régime nettement plus favorable.
En l'absence d'accord, rien ne changera, puisque le régime actuel, très favorable, sera maintenu, ce qui immanquablement s'accompagnera d'une aggravation du déficit.
Les conséquences d'une telle situation sont d'autant plus préoccupantes que la proposition de loi continuera de produire ses effets au-delà du terme de la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001.
En outre, le dispositif de la proposition de loi n'est pas conforme, selon nous, à l'interprétation, dégagée par le Conseil constitutionnel, de l'article 21 de la Constitution relatif à l'exécution des lois et selon laquelle le législateur, compétent pour déterminer la durée d'application des règles qu'il édicte, ne peut abandonner cette compétence. Or, dans la mesure où l'Assemblée nationale n'a fixé aucun terme à la prorogation des annexes, la durée d'application de la loi dépendra uniquement de la décision du pouvoir réglementaire, à savoir l'arrêté d'agrément.
Pour ce motif juridique et pour les raisons d'opportunité que j'ai évoquées, la commission avait estimé nécessaire de fixer un terme précis à la prorogation par la proposition de loi et au délai qu'elle ouvre pour parvenir à la conclusion d'un accord.
Les partenaires sociaux ont eu - permettez-moi de le dire - le courage et la sagesse, le 10 janvier dernier, de faire le même constat.
Nous estimons, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'en refusant implicitement d'agréer cet accord le Gouvernement esquive ses responsabilités, ne respecte pas le champ de la négociation collective et, au surplus, rend un bien mauvais service aux artistes de notre pays.
Mes chers collègues, nous n'avons plus besoin aujourd'hui de nous substituer aux partenaires sociaux. En revanche, c'est à la carence du Gouvernement que nous devons remédier.
Votre commission avait proposé de proroger la validité des annexes VIII et X jusqu'au 30 juin 2002. Ce délai coïncide avec celui qui est prévu par les partenaires sociaux.
Elle vous proposera donc de voter la proposition de loi ainsi amendée, non plus - il n'en est plus besoin - pour pallier l'absence d'un accord, mais pour respecter celui-ci. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est mon collègue Ivan Renar qui aurait dû faire cette intervention si, comme il s'en est plaint hier, notre ordre du jour n'avait pas été modifié à plusieurs reprises en dernière minute. Comme vous le savez, il est retenu aujourd'hui dans le Nord, où il assiste aux obsèques de notre collègue et amie Dinah Derycke. Je m'exprimerai donc au nom de M. Renar.
Comme nous le savons, les intermittents du spectacle sont actuellement victimes d'un vide juridique dû au fait que les annexes de l'UNEDIC qui les concernent n'ont pas été renégociées et n'ont donc pas encore fait l'objet d'un agrément. Notre objectif, aujourd'hui, est de combler ce vide.
Le statut particulier des intermittents du spectacle est l'essence même de toute la vitalité de la culture en France.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Roland Muzeau. Il assure aux professionnels du spectacle l'indispensable complément de revenus qui permet à de nombreux artistes de subsister ou de vivre de leur métier. C'est aussi, il faut le noter, grâce à ce statut que nombre de compagnies de théâtre ou de danse, ainsi que de très nombreux théâtres, peuvent fonctionner. La fin de l'intermittence signerait donc la disparition d'un pan entier de la culture en France.
Il est clair que les professionnels du spectacle ont des métiers dont les spécificités - notamment la ponctualité des projets et une saisonnalité de l'activité - justifient un statut particulier.
Les intermittents du spectacle oscillent en effet entre des périodes d'activité effective et des périodes de non-activité. Ces dernières ne sont pas pour autant des périodes d'inactivité : les artistes entretiennent leur voix ou leur corps, en payant parfois de leur poche des cours indispensables, les techniciens doivent faire leur comptabilité ou des recherches, et tous passent beaucoup de temps en prospection de contrats, ce qui implique une intense activité de relations publiques. Le complément de revenus qu'apportent les ASSEDIC prend justement en compte cette partie de leur travail. Mais je ne m'étendrai pas plus.
Je dirais simplement que le régime des intérimaires prévu dans l'annexe IV de la convention de l'UNEDIC, dans lequel le MEDEF voudrait faire entrer les intermittents, n'est pas adapté aux spécificités de la profession. Un acteur, un chanteur, un costumier, un technicien du spectacle ne connaissent pas et ne connaîtront sûrement jamais les mêmes conditions d'emploi et de contrat que des ouvriers ou des secrétaires, qui connaissent la précarité du statut d'intérimaires. Dans le cas du spectacle, en effet, la précarité est une donnée intrinsèque de l'activité.
Certes, nous avons tous remarqué qu'il existe parfois des excès à l'utilisation du statut d'intermittent du spectacle. Certains intermittents sont certainement motivés par leur désir de rester dans le système et de ne pas passer dans le régime général, mais ils sont peu nombreux.
Ce qui est choquant, en revanche, ce sont les abus que l'on constate chez de nombreux employeurs, dont d'ailleurs les plus gros, en particulier dans l'audiovisuel - je pense à France 3 et bien sûr à Vivendi-Universal, pour ne citer qu'eux - qui renouvellent de façon intempestive, pour des raisons financières et de flexibilité, des contrats à durée déterminée d'intermittents sur des périodes très longues. Or il est évident que, dans nombre de cas de ce genre, le recours à des contrats à durée indéterminée se justifierait. C'est que le système profite au moins autant aux employeurs du secteur !
Il est aussi nécessaire de relever chez les intermittents de nombreuses disparités de situation dans un dispositif qui, somme toute, reste très inégalitaire.
Il y a ceux qui réussissent et travaillent beaucoup, et pour qui l'intermittence est attractive. Il y a les professionnels qui ont établi un rythme d'activité à peu près équilibré et qui parviennent à gérer les aléas du métier, ceux qui, dans des zones de basse activité, sont toujours à la limite de rester dans l'intermittence, ceux qui galèrent entre la protection du système et la précarité hors couverture, et pour qui l'acquisition du statut d'intermittent correspond à une forme de reconnaissance sociale, et ceux, enfin, qui n'apparaissent que sporadiquement dans le système et ne cherchent pas à y faire carrière.
Nonobstant ces disparités, on peut considérer que le dispositif de l'intermittence, tel qu'il existe dans notre pays, permet cependant à de nombreux professionnels du spectacle de vivre décemment et participe, pour une grande part, à la richesse et à la vivacité de la culture en France. Ce point est essentiel ; il ne faut pas l'occulter. Remettre en cause ce statut, c'est porter atteinte à la création et à la spécificité culturelle françaises.
Certes, nous l'avons tous constaté, le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle affiche un déficit non négligeable.
A ce propos, je tiens à souligner que l'UNEDIC est un système de solidarité interprofessionnelle au sein duquel le déficit qui est affiché par une branche est compensé par les excédents d'autres branches. L'UNEDIC est d'ailleurs, dans son ensemble, bénéficiaire.
On pourra nous rétorquer que les régimes prévus par les annexes VIII et X sont déséquilibrés. Cet argument n'est toutefois guère fondé, puisque tous les autres le sont aussi.
D'aucuns affirment que les autres catégories socioprofessionnelles ne devraient pas être les « financeurs » de la culture. On peut en convenir. Mais le régime des intermittents du spectacle a besoin - j'y insiste - d'être aménagé, non seulement pour réduire son déficit, mais également pour tenir compte des nouvelles dispositions de la dernière convention.
Or la convention et ses annexes relèvent de la négociation paritaire - par délégation du législateur, je tiens à le rappeler.
Jusqu'à ce jour, l'un des partenaires sociaux, le MEDEF, en l'occurrence, n'assume pas ses responsabilités, notamment en ne reprenant pas l'accord signé le 15 juin 2000 entre la Fédération des entreprises du spectacle, de l'audiovisuel et du cinéma, la FESAC, qu'il avoue pourtant reconnaître comme un interlocuteur légitime dans la négociation, et les syndicats CFDT, CGT et CGC qui représentent ensemble une très large majorité des intermittents du spectacle.
Aujourd'hui, les négociations sur les annexes VIII et X achoppent alors qu'une nouvelle convention existe, que toutes les autres annexes ont été négociées et ont obtenu un agrément, et que la convention de 1997 n'est donc, de fait, plus en vigueur. Cela explique la situation de vide juridique dans laquelle nous nous trouvons.
Le législateur n'est donc pas uniquement dans son rôle en intervenant pour y remédier, mais tel est son devoir, au moins pour une durée limitée, jusqu'à ce que les partenaires sociaux aient abouti dans leurs négociations. Car notre souci est bien que les partenaires se réunissent, que les négociations aient lieu, et qu'elles parviennent à la mise au point de dispositions qui permettent une réduction du déficit lié à ces annexes, tout en respectant la prise en compte des spécificités liées aux métiers du spectacle.
De ce fait, il me semble que nous avons l'obligation de permettre que soit prorogé le régime des intermittents du spectacle. Mais nous devons aussi fortement inciter les partenaires sociaux à se remettre d'urgence à la table de négociations, et fixer une date limite à laquelle ces négociations devront avoir abouti. Cependant, il est nécessaire que nous laissions aux partenaires sociaux un délai suffisant pour que les négociations puissent êtres conduites de façon constructive et dans la sérennité.
Tel est l'objet de l'amendement que le groupe communiste républicain et citoyen a déposé et qui vise à appuyer les aspects que je viens d'évoquer.
Enfin, il nous semble que, dans un proche délai, il faudra que nous réfléchissions à la question non seulement des intermittents du spectacle mais, également des artistes en général, dans le contexte éventuel d'une loi cadre sur le statut de l'artiste. Je suis convaincu que les milieux de la culture - et la France - le réclament, tout particulièrement ces temps-ci, alors que l'exception culturelle est mise à mal par des comptables supérieurs, arrogants et glacés, comme dirait mon collègue Ivan Renar, qui souhaitent lui substituer la diversité de produits culturels de marketing ciblé qui se vendent et soient rentables.
Nous souhaitons que la culture soit et reste une exception aux règles purement mercantiles, qu'elle permette à tous les artistes de trouver des canaux d'expression et de visibilité, qu'elle s'ouvre toujours plus et gagne un public toujours plus vaste, en un mot, que la culture vive pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Duvernois.
M. Louis Duvernois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le 10 janvier dernier, les organisations patronales et syndicales, à l'exception de la CGT, ont conclu un accord prorogeant jusqu'au 30 juin 2002 le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Ainsi, l'annexe VIII, dont dépendent les ouvriers et techniciens de l'édition d'enregistrement sonore de la production cinématographique et audiovisuelle, de la radio et de la diffusion, et l'annexe X, dont dépendent les artistes, ouvriers et techniciens des spectacles vivants, sont prorogées dans le règlement annexé à la convention UNEDIC du 1er janvier 1997, sans aucune modification de leur contenu.
Cet accord doit être considéré comme le cache-misère d'une situation catastrophique qui ne peut, dans l'état actuel des choses, que s'aggraver. Certes, il comble un vide juridique, ou instaure une sécurité juridique de ces annexes à la convention générale de l'UNEDIC, mais uniquement jusqu'au 30 juin 2002.
Depuis 1969, chaque renégociation de ces annexes a donné lieu à des débats très conflictuels. En effet, ce régime d'assurance chômage connaît un grave déséquilibre. Il concerne des hommes et des femmes qui ont choisi ce métier en connaissant les inconvénients qui le caractérisent, notamment la précarité de l'emploi.
Quelque 120 000 personnes, dont 30 000 techniciens et ouvriers de l'audiovisuel et 65 000 artistes et comédiens, relèvent aujourd'hui de ce régime spécifique, qui leur garantit une continuité de revenus.
En 2000, 122,6 millions d'euros de cotisations ont été perçus, et 731,8 millions d'euros de prestations ont été versées, soit un déficit de 609,8 millions d'euros à la charge de l'UNEDIC, donc des salariés et employeurs du privé.
L'article 10 de la convention générale donnait jusqu'au 30 juin 2001 pour renégocier les conventions particulières. On est parvenu à des accords en septembre, sauf pour les annexes VIII et X, dont l'accord vient d'aboutir, mais sans l'approbation de la CGT.
Que se passera-t-il lorsque le ministre aura donné son agrément à l'accord des partenaires sociaux ? La loi deviendra caduque et nous sommes en droit de nous demander à quoi sert le travail du Parlement dans ce cas-là.
Comme d'autre professions, telles que celles des marins-pêcheurs, des journalistes ou des VRP, les métiers liés à la création artistique bénéficient du principe de la solidarité interprofessionnelle. Cette solidarité ne semble plus être au goût de tout le monde, même de certaines organisations syndicales, car les intermittents du spectacle apparaissent aux yeux de certaines professions comme des privilégiés.
Nous le savons, l'Etat agit depuis quelques mois sous la pression et sous la contrainte des futures élections,...
M. Charles Revet. C'est vrai dans tous les domaines !
M. Louis Duvernois. ... ce qui explique l'inscription rapide et en urgence de ce texte à notre ordre du jour.
La situation des intermittents est particulière : la production de spectacles repose sur une grande flexibilité de l'emploi et l'intermittence permet de disposer d'une réserve de main-d'oeuvre disponible à chaque instant pour contenir la hausse des coûts de production des spectacles, pour s'ajuster à l'expansion de la sous-traitance, pour s'adapter au caractère irrégulier des créations.
Dans les années quatre-vingt, l'emploi dans les arts du spectacle s'est fortement développé. Le secteur a recouru de plus en plus à des emplois de courte durée et on a vu s'imbriquer de plus en plus emploi rémunéré et chômage indemnisé. Cette pratique de l'alternance est passée de 36 % des cas en 1980 à 90 % en 1992.
En fait, les intermittents bénéficient d'un régime dérogatoire, particulièrement protecteur. L'inégalité dans l'indemnisation entre les personnes relevant du régime d'assurance chômage général et celles qui relèvent des annexes VIII et X est devenue inacceptable. Ainsi, un salarié ayant perçu une rémunération mensuelle brute de 1 524 euros, soit 10 000 francs, doit, dans le régime général, travailler quatre mois pour avoir droit au total à 3 658 euros, soit 24 000 francs, pendant quatre mois, alors qu'il bénéficie, dans le cadre du régime des intermittents, avec seulement trois mois d'activité, de 7 927 euros, soit 52 000 francs, pendant douze mois.
De nombreux rapports ont mis en évidence le caractère inégalitaire et pervers du dispositif.
Ainsi, la Cour des comptes montrait, en 1993, que les conditions d'affiliation au régime sont tellement imprécises que des « salariés dont l'activité n'a qu'un très lointain rapport avec le monde du spectacle tel un contrôleur des lois sociales agricoles, un éducateur, un employé de bureau... » sont indemnisés au titre des annexes VIII et X.
Ce rapport souligne aussi les incohérences dans la prise en compte de l'activité et les modalités de rémunération, incohérences qui se traduisent par une double indemnisation pour les personnes rémunérées au cachet par rapport à celles qui sont rémunérées en heures.
Enfin, il apparaissait que les intermittents du spectacle jouissent presque en permanence d'un revenu minimum, ce que confirme notre collègue dans son excellent rapport.
Quant au rapport Devaux de 1994, il indique que « l'utilisation pervertie des salariés intermittents pour occuper des emplois fixes s'est développée » et que les chômeurs intermittents du spectacle sont pratiquement les seuls à ne bénéficier d'aucune indemnité de la part de l'Etat, car ils ne basculent jamais en régime de solidarité dans la mesure où leurs conditions d'affiliation se régénèrent régulièrement.
Enfin, le rapport Cabanes de 1997 met en évidence que le régime « génère et accroît le risque qu'il est censé couvrir » et que la solution ne peut être trouvée sans une intervention de l'Etat dont la responsabilité première est de limiter le recours aux CDD « d'usage » et de préciser quelles entreprises peuvent y recourir.
A la suite de ce rapport, un accord de branche est intervenu en octobre 1998 pour encadrer le recours aux CDD d'usage. Pourtant, la situation a continué à se dégrader et, comme je l'ai déjà mentionné précédemment, le nombre des intermittents est passé à quelque 90 000 et le déficit dépasse 609,8 millions d'euros.
En deux ans, le nombre d'intermittents du spectacle a augmenté de 34 % et le déficit du régime de 37 %.
Par ailleurs, l'application des 35 heures n'a pas amélioré les choses. En effet, comme chacun le sait, le travail au noir constitue l'une des principales difficultés auxquelles est confronté le régime des intermittents. Et avec les 35 heures, le travail au noir a augmenté.
La situation est critique et il paraît indispensable de repenser le système.
Au regard de l'accord intervenu le 10 janvier dernier, on peut se demander pourquoi nous examinons ce texte, puisqu'il y a eu accord. Cela étant, nous ne pouvons pas nous opposer à l'examen de cette proposition de loi qui concerne quelque 100 000 intermittents du spectacle, vivier électoral non négligeable par les temps qui courent. (MM. Chérioux et de Gaulle approuvent.)
Certains penseront que mes propos sont très politiques...
M. Charles Revet. C'est l'expression de la vérité !
M. Louis Duvernois. ... mais la naïveté n'est plus de mise à quelques semaines des élections. Ce texte est examiné en procédure d'urgence.
M. Roland Muzeau. Adoptez-le !
M. Louis Duvernois. Alors, permettez-moi de douter de la pureté des intentions qui ont motivé l'examen d'un tel texte.
Le véritable débat se doit de mettre à jour les faiblesses et les dérives d'un système et de se demander s'il y a lieu de conserver un régime particulier d'indemnisation du chômage pour le spectacle et l'audiovisuel.
Nous devons nous interroger sur le refus du Gouvernement de voir les intermittents du spectacle relever de l'annexe IV, consacrée aux salariés intermittents, salariés intérimaires et entreprises de travail temporaire. Pourquoi les intermittents du spectacle ne relèveraient-ils pas de cette annexe ? Parce qu'ils ne travaillent que pour de courtes durées ? Mais en quoi leur situation diffère-t-elle à cet égard de celle des employés de remontées mécaniques, qui eux aussi ont envie de travailler ?
Telles sont les questions auxquelles nous sommes confrontés. Les citoyens attendent des réponses et surtout de solutions concrètes et qui respectent le principe de l'égalité.
M. Jean Chérioux. Et de la transparence !
M. Louis Duvernois. Même s'il semble que l'application de l'annexe IV ne donnerait pas satisfaction à l'ensemble des intermittents, 13 000 environ sur 120 000 se trouvant exclus de ce dispositif, il serait opportun de trouver une solution pérenne en suggérant des moyens qui, certes, devraient tenir compte de la spécificité des intermittents du spectacle, mais qui seraient aussi équitables pour ceux qui connaissent des situations comparables.
Il faut se montrer responsable et trouver d'urgence une solution, car le statu quo risque de susciter ou d'aggraver une fracture entre ces salariés et les intermittents du spectacle.
La prorogation ne semble régler qu'un problème ponctuel, laissant subsister le plus important, qui ne pourra trouver de solution que dans le cadre de négociations entre les partenaires sociaux. Or, à cet égard, la rédaction de l'article unique souffrait de l'absence d'une date butoir, carence à laquelle notre rapporteur a remédié.
Le Gouvernement a raté l'opportunité d'installer un véritable dialogue social, notamment en imposant autoritairement le passage aux 35 heures.
Le sujet que nous abordons aujourd'hui est complexe et mérite une véritable réflexion. Nous devons nous soucier de conforter les artistes, qui exercent un métier précaire, tout en nous souciant de l'équité sociale : il est naturel que les salariés du régime général et leurs représentants syndicaux, la CFDT, par exemple - et non pas seulement le MEDEF - s'interrogent sur le poids que constitue, pour le régime général, le coût de cette spécificité.
Là encore, il faut trouver l'équilibre pour ne pas pénaliser les autres catégories de salariés, qui peuvent trouver que l'addition est lourde et que le dispositif ne pourra avoir, à long terme, que des conséquences néfastes.
Il faut respecter l'équilibre des finances publiques, et il est évident que le coût du régime des intermittents du spectacle - plusieurs millions d'euros ou plusieurs milliards de francs - n'est plus tolérable.
Pour l'essentiel, les fondements de ce régime ont été posés par le mouvement dont je suis issu. Aussi, nous ne pouvons qu'être résolument attachés aux principes qui fondent sa spécificité ; à cet égard, vous me permettrez de rendre hommage à André Malraux.
Il faut essayer de corriger les effets pervers de cette spécificité en faisant appel au sens des responsabilités des partenaires sociaux, car c'est la condition même des artistes qui est en cause, et donc une partie de notre patrimoine culturel.
Nous sommes dans un contexte difficile, certes, que le Gouvernement a contribué à créer faute d'avoir réussi à faire en sorte que les partenaires sociaux prennent leurs responsabilités. (M. Picheral proteste.)
La prorogation ne saurait constituer une solution durable, car elle est conditionnée par la capacité des partenaires sociaux à prendre leurs responsabilités.
Prendre ses responsabilités, cela veut dire réformer le régime des intermittents du spectacle dans un sens qui devra contribuer à sa moralisation, à sa pérennisation et à son équilibre financier.
J'aurais aimé, et je ne suis pas le seul, que le rapport de la Cour des comptes - établi en 1993, alors que nous n'en étions qu'à 228,7 millions d'euros de prestations, soit 1,5 milliard de francs, quand nous en sommes actuellement à près de 762,2 millions d'euros, soit 5 milliards de francs - fût pris en considération lors de la discussion d'un nouvel accord. Il est simple d'accuser le MEDEF - il faut bien trouver des boucs émissaires ! - mais même des organisations syndicales de salariés ont affirmé que le déséquilibre de ce secteur et de ce régime était tout à fait anormal !
Le groupe auquel j'appartiens votera ce texte, tout en sachant pertinemment que, sans renégociation générale et sans accord général, la situation ne peut évoluer. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Picheral.
M. Jean-François Picheral. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à excuser Mme Blandin, qui souhaitait intervenir mais qui, pour les mêmes raisons que M. Renar, est absente de l'hémicycle. Je parle donc en son nom, mais aussi en tant que secrétaire de la commission des affaires culturelles de notre assemblée.
La question des intermittents du spectacle est récurrente, car elle manifeste un véritable choix de société.
La proposition de loi de MM. Ayrault et Le Garrec, votée sans modification par l'Assemblée nationale et qui nous est soumise aujourd'hui, constitue une première.
En urgence, les parlementaires proposent de proroger le régime des annexes VIII et X de la convention UNEDIC jusqu'à ce que les partenaires sociaux aient renégocié ce régime dans le cadre de la convention PARE du 1er janvier 2001.
Tout en respectant le principe du paritarisme, qui prévaut traditionnellement en la matière, les représentants du peuple soulignent l'urgence d'un débat, et la responsabilité collective que nous avons à maintenir, pour nos créateurs, nos artistes et nos techniciens du spectacle, un droit fondamental, le droit à l'indemnité pour les précaires, le droit à la dignité dans l'exercice des talents.
Permettez-moi d'y voir un signe du Gouvernement pour maîtriser la privatisation en un temps où la mondialisation est de plus en plus féroce pour les plus faibles.
De nombreux parlementaires savent que ce que l'on nomme l'« intermittence » du spectacle ne peut qualifier un « statut » pour tous ceux qui ont choisi de vivre à travers une discipline artistique, prenant ainsi le risque de la précarité permanente ; mais ils savent également, comme les élus locaux, que les quelque 100 000 intermittents du spectacle, dans leur diversité et leur créativité, jouent un rôle essentiel pour notre développement culturel. L'action de notre gouvernement et des collectivités locales, couplée à un statut des intermittents, est un gage de pérennité et de déploiement de la culture française sur l'ensemble du territoire, du lieu le plus modeste aux scènes les plus en vue.
Sans le statut d'intermittent, la vitalité culturelle de la France serait fauchée, il faut le dire.
La décentralisation culturelle, la démocratie de proximité, qui donne sens à notre action quotidienne d'élus au plus près des habitants, croisent la précoccupation de ceux qui souhaitent, pour l'ensemble de nos territoires, des espaces d'expression culturelle et des rencontres fertiles entre créateurs et citoyens.
Les artistes français sont la vie de l'aménagement de notre territoire : créateurs de liens sociaux, passeurs, modérateurs, ils contribuent à la formation du goût, à l'éveil à une pratique artistique, à l'accès du plus grand nombre à la culture. C'est aussi dans les temps « sans contrat » qu'ils portent à maturité leurs créations, celles qui donnent à voir et à comprendre le quotidien comme l'universel.
N'oublions pas, dans un tout autre registre, leur contribution au développement économique local par la démultiplication de leurs activtés.
La mise en oeuvre d'événements culturels mobilise tout un panel de métiers associés, du concepteur graphique à l'imprimeur, de l'hôtelier au restaurateur. Cet argument échappera sans doute à ceux qui réduisent la culture à un programme de télévision assorti d'un plateau fastfood, d'un macth de football où les joueurs, eux, n'ont pas recours à l'intermittence du spectacle, et pour cause : véhicules de propagande pour les marques et les sponsors privés, ils émargent à d'autres budgets, réservés aux hommes-sandwichs que nos artistes, le temps d'un spectacle, se refusent à devenir.
M. le rapporteur a souligné très justement les deux avantages de cette initiative parlementaire. « En premier lieu, écrit-il, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale supprime tout risque de contestation de la prolongation par l'UNEDIC de l'application des annexes VIII et X ; la proposition de loi permet aux négociations entre les partenaires sociaux de se dérouler dans un cadre plus serein, la situation des intermittents étant préservée. En second lieu, la proposition de loi ne retire pas aux partenaires sociaux la délégation que leur accorde la loi pour déterminer les mesures d'application du droit à l'indemnisation. »
Nous sommes une exception, une bonne exception à préserver et à faire partager par nos voisins européens. Sur ce sujet, je pense d'ailleurs que nous sommes enviés.
Certes, pour certains, l'espace culturel que l'Etat protège bon an mal an représente l'un des derniers espaces de marché à conquérir pleinement, juteux à souhait quand il s'agit d'endosser les gains de la publicité et du marketing audiovisuel et d'orchestrer plus loin la précarisation des intermittents, corvéables à merci, pillés, sans droits d'auteur, rémunérés au forfait sous-estimé. « On peut faire un bon documentaire en trois jours » entend-on dire aujourd'hui. Payés trois jours, ces intermittents ? Mais combien de temps passé à prospecter, à téléphoner, à construire le projet, à interviewer, à filmer, à monter ?
Nos comédiens égrènent de longues heures lors d'auditions interminables. Nos intermittents ne chôment pas : ils créent. Frileux quand il s'agit de leur indépendance, flexibles au bon sens du terme, dynamiques, boulimiques de projets, ils valent mieux qu'un dispositif opaque, suspecté, et sans cesse remis en cause dans ses justes fondements.
Ces intermittents sont nombreux à espérer l'oeuvre qui les fera sortir de l'anonymat. Nombreux aussi sont ceux qui vouent sincèrement leur vie à un mode d'expression, un talent, auxquels ils croient et nous convient.
Notre vote ne nous exonérera pas d'un véritable débat sur l'ambition culturelle, ses moyens et ses acteurs, car il faudra bien tenter de sortir de ce paradoxe : l'intermittence définit les créateurs et les artistes par l'inactivité, alors qu'ils sont très actifs.
La grande majorité des intermittents souhaitent le maintien de ce statut, même s'il demeure imparfait.
Que dire, en effet, de l'impossibilité de faire prendre en compte les heures de formation, de transmission d'un savoir, d'une expérience ? Que dire aussi de l'absurdité d'un regard strictement comptable, qui, de plus, limiterait la quête de rentabilité à la caisse d'Annecy, sans embrasser l'ensemble des autres activités relevant de cotisations aux ASSEDIC des régions ?
En dernier lieu, les propos tenus récemment par M. Kessler, du MEDEF, jugeant l'initiative parlementaire « illégitime et gravissime » nous auront moins surpris par leur caractère outrancier, par trop récurrent, que par la totale méconnaissance du rôle et des missions de nos assemblées démocratiques qu'ils révèlent. Ou peut-être serait-ce l'illustration d'une vision du monde, d'une vision de la société qui se voit régie exclusivement par les puissances de l'argent et où les assemblées démocratiques seraient de trop, l'Etat étant réduit à y jouer le rôle de pompier ?
Le groupe socialiste rappelle fermement que certains secteurs, dont la culture, touchent à l'intérêt public. Que serait, en effet, notre paysage culturel s'il était entièrement livré au secteur privé ? Que penserait-on de l'action de M. Berlusconi, qui commence à faire ses preuves en Italie, et de celle de mon ami M. Messier, que je connais depuis longtemps, qui trépigne d'impatience aux Etats-Unis ?
Sereinement, les parlementaires vont leur rappeler qu'en République les assemblées, lucides sur cette question, savent garantir le secteur public et la liberté de création et de diffusion.
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat. Mesdames, messieurs les sénateurs, pourquoi légiférons-nous ? J'ai entendu dire que le Gouvernement intervenait pour des raisons électorales, pour quelques voix à gagner. Je m'inscris en faux contre cette argumentation, car il va de soi que c'est tout le devenir du spectacle vivant qui est ici en cause. Et si nous avons été amenés à légiférer, c'est bien parce qu'il ne serait pas juste d'évoquer l'exception culturelle en général si, dans le même temps, nous ne prenions pas des mesures concrètes pour maintenir la création et le spectacle vivant dans notre pays.
Les récents propos du président de Vivendi ont suscité, dans le pays, de nombreuses réactions qui, au-delà des clivages politiques, pouvaient laisser penser que des personnalités de tous horizons refusaient que la culture soit traitée comme une marchandise et que l'on voie dans les oeuvres et les créations des produits comme les autres. C'est un paramètre tout à fait fondamental de notre démarche.
Il faut bien avouer qu'en écoutant l'orateur du RPR j'ai commencé à douter que le consensus sur l'exception culturelle et l'attitude à adopter sur ce sujet soit aussi large qu'on l'a dit.
Si j'ai indiqué, dans mon intervention liminaire, que l'analyse de M. le rapporteur recoupait en de nombreux points la mienne, il m'est impossible d'établir le même constat s'agissant de l'intervention de M. Duvernois.
En effet, celui-ci s'est livré à une attaque en règle contre les professionnels du spectacle, dressant contre eux d'autres catégories de salariés, déclarant que ce secteur devait être moralisé, décrivant un milieu privilégié, évoquant les intérimaires et les saisonniers des stations de sport d'hiver... Même si je suis toujours très attentif à ce qui se passe dans les stations de haute montagne, cela nous entraîne très loin des références à André Malraux, de la promotion de l'exception culturelle et de la nécessité de se mobiliser en faveur du spectacle vivant, pour qu'il conserve toute sa place dans notre pays ! Quand on entend de tels propos, légiférer paraît d'autant plus important !
Le Gouvernement, monsieur le rapporteur, est favorable à la concertation entre partenaires sociaux. Cependant, comme vous l'avez relevé, j'ai beaucoup insisté, pensant à l'avenir, sur les accords qui ont été passés entre la fédération des entreprises du spectacle vivant, de l'action artistique et de l'audiovisuel et l'ensemble des organisations syndicales. Je ne porterai pas d'appréciation sur l'accord qui a été conclu voilà une quinzaine de jours, mais celui du 15 juin 2000 était particulièrement important pour le devenir du secteur, et c'est cela qui doit nous guider.
Nous savons que la procédure sera certainement longue, parfois complexe, et il faudra montrer de la patience. Le texte est utile, et il est à mon avis inexact de considérer qu'il pourrait subitement devenir caduc lorsqu'un agrément aura été donné, car il vise tout simplement la nouvelle convention du 1er janvier 2001. Tant qu'un accord ne sera pas intervenu pour adapter le nouveau régime aux spécificités des métiers concernés, celle-ci aura une pleine validité.
Je défends donc l'initiative gouvernementale sur ce plan. Nous serons tous amenés, au-delà même du 30 juin 2002, à réfléchir à ce que sera par exemple le spectacle vivant lors des festivals de l'été.
Ne préjugeons pas de ce qui arrivera, soyons prudents, faisons confiance aux négociateurs, mais légiférons, comme le Gouvernement le propose.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discusion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Le régime d'assurance-chômage des salariés appartenant aux professions visées par les annexes VIII et X au règlement annexé à la convention du 1er janvier 1997 relative à l'assurance chômage reste fixé par les dispositions de ces deux annexes, jusqu'à ce que la convention du 1er janvier 2001 relative à l'aide au retour à l'emploi et à l'indemnisation du chômage ait fait l'objet d'aménagements prenant en compte les modalités particulières d'exercice de ces professions, dans les conditions prévues par l'article L. 351-14 du code du travail.