SEANCE DU 25 JUILLET 2002


M. le président. « Art. 3. - L'article 2 de la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire est ainsi rédigé :
« Art. 2 . - Par dérogation aux dispositions des articles 7 et 18 de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, l'Etat peut confier à une personne ou à un groupement de personnes, de droit public ou de droit privé, une mission portant à la fois sur la conception, la construction et l'aménagement d'établissements pénitentiaires.
« L'exécution de cette mission résulte d'un marché passé entre l'Etat et la personne ou le groupement de personnes selon les procédures prévues par le code des marchés publics. Si le marché est alloti, les offres portant simultanément sur plusieurs lots peuvent faire l'objet d'un jugement global.
« Les marchés passés par l'Etat pour l'exécution de cette mission ne peuvent comporter de stipulations relevant des conventions mentionnées aux articles L. 34-3-1 et L. 34-7-1 du code du domaine de l'Etat et à l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales.
« Dans les établissements pénitentiaires, les fonctions autres que celles de direction, de greffe et de surveillance peuvent être confiées à des personnes de droit public ou de droit privé habilitées, dans des conditions définies par un décret en Conseil d'Etat. Ces personnes peuvent être choisies dans le cadre des marchés prévus au deuxième alinéa. »
Sur l'article, la parole est à M. Paul Loridant.
M. Paul Loridant. Le Gouvernement souhaite construire des prisons. Tel est son choix ! A cette fin, il propose d'étendre la palette des instruments disponibles pour construire ces établissements, en faisant appel, le cas échéant, aux collectivités territoriales.
La participation financière des collectivités territoriales à la construction des bâtiments mis à la disposition de l'Etat est déjà possible, notamment - et j'en sais quelque chose - pour les commissariats. Dans ce cas, les bâtiments sont mis à la disposition de l'Etat : soit l'Etat achète ces bâtiments à la collectivité, soit l'Etat, en contrepartie, verse un loyer.
Aujourd'hui - et je m'étonne que le Sénat ne soit pas plus vigilant -, le Gouvernement souhaite aller plus loin en prévoyant que les collectivités locales pourront construire des prisons, des commissariats ou des maisons du droit, et mettre ces bâtiments à la disposition de l'Etat à titre gratuit. Vous noterez la différence, mes chers collègues ! En contrepartie, outre les traditionnelles subventions d'investissement, les collectivités locales pourront recevoir des attributions du Fonds de compensation de la TVA, soit environ 17 % du coût de l'investissement.
Cette disposition figure dans le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure qui viendra en discussion la semaine prochaine ; mais comme elle s'applique également à la justice, je tenais à l'évoquer ici.
Les collectivités locales pourront donc mettre les bâtiments construits à la disposition de l'Etat « à titre gratuit », mes chers collègues ! Vous qui êtes les élus du Sénat, défenseur des collectivités locales, j'attire votre attention sur ceci : la politique du Gouvernement, c'est de faire financer la politique d'investissement de l'Etat par les collectivités locales !
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas nouveau !
M. Paul Loridant. Ce n'est pas nouveau, en effet ! Ce qui est nouveau, c'est qu'on a l'habitude d'appeler cela « un transfert de charges non compensé », à propos duquel je pensais le Sénat particulièrement vigilant.
M. Jean Chérioux. Vous l'étiez moins auparavant !
M. Paul Loridant. On peut y voir une atteinte à l'esprit de décentralisation et au principe de libre administration des collectivités locales.
Il ne s'agit pas pour moi de considérer que les collectivités locales ne doivent pas participer à la construction de prisons, de commissariats, de maisons du droit... D'ailleurs, rien dans le projet de loi ne les oblige à être candidates à la construction d'une prison ou d'un commissariat.
Ce qui est choquant, mes chers collègues, c'est plutôt la politique du fait accompli pratiquée par le Gouvernement. Laissez-moi vous décrire ce qui va se passer : un ministre ou un préfet ira trouver tel élu local pour lui faire comprendre que, soit il participe à la construction de tel commissariat ou telle maison du droit, soit il lui faudra attendre ce bâtiment au-delà d'un délai raisonnable. En pratique, il n'y a aucune place pour la négociation. Une convention est prévue, mais on se demande bien ce qu'elle pourra contenir ! La convention, c'est précisement le document qui aurait dû acter les conditions de mise à disposition de l'Etat.
Si les collectivités locales veulent financer des commissariats ou des prisons et les mettre à disposition de l'Etat à titre gratuit, c'est leur affaire ! Mais si d'autres veulent négocier un loyer, elles devraient pouvoir le faire. C'est cela, la libre administration des collectivités territoriales ! S'agissant des prisons, je me demande d'ailleurs quels élus locaux seront candidats pour construire des prisons ! Le problème, aujourd'hui, tient plutôt au fait que les communes ne veulent pas de prison sur leur territoire. Comment le Gouvernement entend-t-il s'y prendre pour convaincre les élus ?
J'ajoute que, sur ce point, la désinvolture du Gouvernement me sidère. Dans le rapport que j'ai rédigé au nom de la commission des finances, j'ai montré que le lieu géographique d'implantation des prisons était fondamental pour la réinsertion des prisonniers. Si une prison est située au milieu de nulle part - et nous en connaissons tous qui sont situées en pleine campagne, ce qui ne manque pas de poser problème - quelles entreprises vont venir y offrir du travail aux détenus ?
La carte des prisons, comme celle des commissariats d'ailleurs, présente une dimension stratégique très forte. Or, que fait le Gouvernement ? Il « vend » des prisons et des commissariats au plus offrant.
Certes, vous me direz que l'Etat ne renoncera pas à sa politique traditionnelle de construction et d'implantation de prisons, que là, où c'est nécessaire, il concentrera ses capacités propres d'intervention. Mais tout de même, qu'aurait-on entendu si le Gouvernement précédent s'était livré à la même opération ? (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Quoi qu'il en soit, mes chers collègues, rendez-vous est pris lors de la discussion de la loi sur la sécurité. Vous me permettrez tout de même de dire que ce n'est pas tous les jours que l'on voit le Sénat voter un transfert de charges vers les collectivités territoriales !
M. René Garrec, président de la commission des lois. Cela s'est déjà vu !
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Loridant, est ainsi libellé :
« Compléter le deuxième alinéa du texte proposé par l'article 3 pour l'article 2 de la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire par une phrase ainsi rédigée :
« Une clause du marché vise à promouvoir l'emploi des personnes détenues. »
La parole est à M. Paul Loridant.
M. Paul Loridant. Cet amendement est un amendement de repli puisque j'ai cru comprendre que la majorité sénatoriale allait voter l'article 3. Je voudrais appeler l'attention de M. le garde des sceaux et de la majorité sénatoriale sur un problème particulier : le problème des marchés de construction.
Je propose, par cet amendement, d'insérer une clause qui prévoit que les marchés de construction soient l'occasion de promouvoir l'emploi des personnes détenues. En effet, la Régie industrielle des établissements pénitentiaires, la RIEP, qui est gérée par le ministère de la justice, fournit du travail aux détenus.
Elle a, dans son catalogue, de nombreux produits concernant l'équipement des cellules et la sécurité des établissements. Cette production correspond à un axe stratégique qui lui a été imposé par les gouvernements successifs depuis des dizaines d'années. C'est ainsi que c'est dans les prisons que l'on construit les portes de prisons, les lits de prisonniers, les placards de prisonniers, etc.
Pourtant, je me suis aperçu, au cours de ma mission sur les prisons, que, lors des commandes et des appels d'offres lancés par l'administration pénitentiaire, la RIEP n'était parfois - c'est de plus en plus souvent le cas - pas consultée, ce qui est regrettable. Certains lots de marchés sont même conçus de telle manière que la RIEP ne puisse pas répondre parce que plusieurs lots sont groupés.
Cet amendement vise donc à adapter la clause sociale qui est prévue à l'article 14 du nouveau code des marchés publics en instaurant pour les marchés de construction de prison une clause de recours au travail des détenus. Cette clause serait de nature à assurer un chiffre d'affaires minimal à la RIEP, qui connaît, par ailleurs, des difficultés financières, et à résoudre en partie le problème de l'inactivité des détenus. Je ne doute pas que M. le secrétaire d'Etat sera sensible à ma préoccupation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. La commission est évidemment sensible à la préoccupation exprimée par notre collègue Paul Loridant. Toutefois, le nouveau code des marchés publics dispose, dans son article 14, que : « La définition des conditions d'exécution d'un marché dans les cahiers des charges peut viser à promouvoir l'emploi de personnes rencontrant des difficultés particulières d'insertion, à lutter contre le chômage ou à protéger l'environnement ». Rendre obligatoire l'insertion d'une telle clause n'est pas souhaitable parce que les contours en sont imprécis. Cela risquerait bien évidemment de nourrir un éventuel contentieux et d'entraîner des annulations.
Ainsi, prévoir l'insertion d'une telle clause serait fâcheux en soi, mais encore inopportun, compte tenu de l'urgence avec laquelle l'administration de la justice va devoir réaliser les équipements que nous attendons tous. Il faut faire un effort de simplification pour ne pas trop compliquer la tâche de M. le secrétaire d'Etat.
Je rappellerai, en outre, que c'est une affaire qui intéresse l'administration pénitentiaire, et elle seule. Il lui appartient de confier des marchés à la régie industrielle des établissements pénitentiaires, comme le code des marchés publics le permet. Laissons-la travailler ; je ne pense pas qu'une intervention législative soit nécessaire dans ce domaine.
La commission émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 3 rectifié.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Le ministre peut faire des circulaires !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur, je vous remercie de votre excellente démonstration.
En effet, le problème est traité dans le nouveau code des marchés publics. J'ajoute qu'une circulaire du ministère de l'équipement, en date du 14 décembre 1994, vise à intégrer justement dans les contrats des clauses sociales.
Il n'y a donc pas lieu de le prévoir dans la loi.
Au demeurant, nous veillerons, puisque nous partageons le souci de M. Loridant, à ce que les futurs marchés contiennent effectivement des clauses sociales permettant d'employer des détenus.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3 rectifié.
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Paul Loridant.
M. Paul Loridant. Je savais bien que l'article 14 du nouveau code des marchés publics faisait référence à une clause sociale puisque j'y ai moi-même fait allusion dans la défense de mon amendement !
Permettez-moi simplement, mes chers collègues, de faire état de mon travail de membre de la commission des finances. Je suis allé contrôler, sur pièces et sur place, la RIEP. J'ai constaté que, sur plusieurs marchés concernant l'administration pénitentaire, elle n'avait pas été consultée.
Je trouve donc singulier, monsieur le rapporteur, que vous me rappeliez à l'ordre en critiquant le manque de sérieux de mes arguments, alors même que j'ai montré, dans mon travail de parlementaire, que l'administration de la justice n'avait pas fait appel aux services de la RIEP !
Mon amendement n'est pas superfétatoire, notamment en ce qu'il constitue une piqûre de rappel pour le Gouvernement. Comme ce dernier est nouveau, cette piqûre de rappel est doublement nécessaire.
Par conséquent, mes chers collègues, non seulement je maintiens mon amendement, mais je vous invite à le voter, parce qu'il me semble de nature à aider le ministère de la justice lui-même à fournir du travail à ses propres détenus.
M. Jacques Peyrat. Maintenant, cela va bien marcher !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Articles 4 et 5