SEANCE DU 30 OCTOBRE 2002


M. le président. L'amendement n° 168, présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret et Autain, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après le troisième alinéa de l'article 3 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le mode de représentation proportionnelle garantit le pluralisme au sein des assemblées élues. »
La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Depuis le début de ce débat sur la décentralisation, nous avons affirmé notre engagement en faveur d'une démocratisation de la vie publique. Or celle-ci ne peut se satisfaire de modes de scrutin qui ne garantissent pas une juste représentation de la société française, dans toute sa diversité.
La déformation de la représentation populaire est un problème majeur. Elle brouille le sens de l'acte électoral, en rompant le lien démocratique qui lie le vote et la représentation. Aujourd'hui, une minorité à peine des électeurs inscrits - je ne parle même pas de ceux qui n'ont pas procédé à leur inscription - peuvent à eux seuls faire élire une très large majorité de parlementaires.
Avec la réforme des modes de scrutin actuellement en débat - même si nous ne connaissons pas exactement les projets -, cette situation serait encore aggravée. S'agissant des élections régionales et européennes, on peut craindre l'instauration d'un bipartisme...
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Le bipartisme, c'est très bien !
Mme Nicole Borvo. ... qui amoindrirait la juste représentation de la population.
En proposant l'introduction de la représentation proportionnelle dans les modes de scrutin, ce que nous voulons, c'est assurer l'égalité des voix, et par conséquent l'égalité entre les citoyens eux-mêmes. C'est garantir à chaque électrice et à chaque électeur que sa voix comptera bien pour une voix. Si on veut démocratiser la vie publique, ce serait une très bonne mesure.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. De survie !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Les dispositions du projet de loi constitutionnelle ne traitent pas de la question du mode de représentation des assemblées élues. Par ailleurs, l'inscription dans la Constitution de cette déclaration de principe ne paraît ni souhaitable ni exacte. En effet, les scrutins majoritaires garantissent également le pluralisme de la représentation nationale : élections législatives, élections sénatoriales dans les départements qui ont deux sièges au moins de sénateurs, ou élections cantonales, tout en permettant de dégager une majorité claire.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Avis défavorable, pour les raisons excellemment exprimées par M. le rapporteur.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 168.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la dernière phrase du premier alinéa de l'article 21 de la Constitution, après les mots : "Sous réserve des dispositions de l'article 13", sont insérés les mots : "et du troisième alinéa de l'article 72". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, rapporteur. Cet amendement vise à reprendre les dispositions de l'article 2 de la proposition de loi constitutionnelle déposée par M. Christian Poncelet et plusieurs de nos collègues, afin de tirer les conséquences du pouvoir réglementaire reconnu aux collectivités territoriales par l'article 4 du présent projet de loi.
Il s'agit de permettre à la loi de renvoyer les mesures d'application de ses dispositions au pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, à l'exclusion de celui du Premier ministre. Trop souvent, en effet, les initiatives locales sont bridées par une législation et une réglementation détaillées à l'excès, voire tatillonnes. Avec cette disposition, le pouvoir réglementaire d'application des lois pourrait revenir aux seules collectivités territoriales, sans immixtion du pouvoir réglementaire national.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, et je le regrette, monsieur le rapporteur.
A première vue, cet amendement pourrait apparaître comme un simple amendement de coordination entre la consécration du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, qui sera inscrite à l'article 72, et l'article 21 de la Constitution, relatif au pouvoir réglementaire du Premier ministre.
Nous sommes en total accord avec la consécration constitutionnelle du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, et on le verra lors de l'examen des modifications proposées pour l'article 72 de la Constitution. Néanmoins, je crois sincèrement qu'une coordination expresse avec l'article 21 n'est pas souhaitable, car elle serait ambiguë sur le plan juridique, voire inexacte.
Ainsi que le précise l'exposé des motifs, le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales est en effet, par nature, fondamentalement distinct de celui que le Premier ministre ou le Président de la République tiennent de la Constitution. En effet, le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales ne procède que de la loi, alors que celui du Premier ministre ou du Président de la République est de droit commun : le premier est naturellement limité par le champ des compétences des collectivités territoriales, alors que le second, celui du Premier ministre, a une vocation générale. Ce dernier peut être soit d'application des lois, soit autonome.
Au total, cette différence entre ces deux pouvoirs réglementaires justifie, à mes yeux, que l'on ne retienne pas l'amendement proposé, bien que j'en comprenne l'esprit, à savoir empêcher l'empiétement, après décentralisation, du pouvoir central sur des compétences qui auraient été préalablement déléguées. Mais il y a là un vrai risque de confusion juridique.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, contre l'amendement.
M. Michel Charasse. En l'occurrence, je suis plutôt de l'avis de M. le garde des sceaux, quoique je comprenne bien ce que veut faire la commission des lois. Dès lors que l'on compte faire apparaître expressément un pouvoir réglementaire à l'article 72 de la Constitution, on considère qu'il faut compléter la dernière phrase de l'article 21 pour insérer, après les mots « Sous réserve des dispositions de l'article 13 », les mots « et du troisième alinéa de l'article 72 », article dont nous examinerons les dispositions ce soir, demain ou la semaine prochaine.
Dans ce cas, monsieur le président-rapporteur, si l'on veut être plus précis, il faut tout ajouter. L'article 8 de la Constitution, ce n'est pas l'article 13, c'est la nomination du Premier ministre et des membres du Gouvernement. Il s'agit d'un acte réglementaire. A l'article 12, la dissolution de l'Assemblée nationale ne passe pas en conseil des ministres, elle relève d'un décret du Président de la République. Il s'agit d'un acte réglementaire. Le choix entre la réunion du Parlement en Congrès ou la ratification par référendum prévu à l'article 89 ne passe pas en conseil des ministres, c'est un acte réglementaire du Président de la République. S'agissant de l'article 52, qui dispose que « le Président de la République négocie et ratifie les traités », ce sont des actes réglementaires du Président de la République, qui ne passent donc pas en conseil des ministres. Chers amis de la commission des lois, dans ce cas-là, il faudrait tout balayer !
Par ailleurs, à l'article 21, il s'agit du pouvoir réglementaire de l'exécutif. Or, franchement, pensez-vous qu'il faille donner la même valeur au pouvoir réglementaire d'Etat, qui est celui de l'exécutif, et au pouvoir réglementaire local, à un pouvoir réglementaire qui peut toucher des éléments de la souveraineté et à un pouvoir réglementaire local qui ne peut pas le faire ? Le niveau n'est pas le même.
De surcroît, chers amis de la commission des lois, il ne peut pas y avoir de concurrence, sauf à une confusion totale dans les esprits, mais, dans ce cas, je ne sais pas comment finira cette discussion. Excusez-moi de vous le dire : en matière réglementaire, le pouvoir d'Etat et le pouvoir local ne jouent pas vraiment dans la même cour !
Par conséquent, je suis tout à fait défavorable à l'amendement n° 2.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Je veux bien admettre l'argumentation que M. le garde des sceaux vient de développer. Toutefois, je regrette que l'on ait utilisé le même terme pour désigner deux choses différentes. En effet, le pouvoir réglementaire au niveau local, ce n'est pas la même chose que le pouvoir réglementaire au niveau national. Là réside l'ambiguïté.
Le deuxième problème - ambigu lui aussi - est le suivant : le législateur votera une loi et confiera ensuite aux collectivités locales le soin de compléter certaines de ses dispositions par des règlements. Cela signifie-t-il que le Gouvernement n'aura alors plus le droit d'intervenir ? Pourra-t-il toujours le faire en application de l'article 37 ? Il y a là une ambiguïté, qui justifie l'amendement proposé par M. le rapporteur.
Si nous avions un autre terme pour désigner le pouvoir réglementaire local, à ce moment-là, il serait normal de ne pas viser l'article 21. Mais, comme on a utilisé le même terme, on est en face d'une ambiguïté difficile à résoudre.
M. Michel Charasse. Je vous ferai une proposition !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais que M. le ministre nous donne des informations supplémentaires pour nous rassurer sur l'exercice du pouvoir réglementaire par les collectivités locales.
M. Michel Charasse. J'ai déposé un amendement qui évite l'emploi des mots « pouvoir réglementaire » pour les collectivités locales et qui répond à votre préoccupation !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le risque de conflits de compétences existe dans la vie quotidienne. Cette difficulté sera résolue par la clarté des lois d'application répartissant les compétences et définissant celles des collectivités territoriales. Ce sera là votre, notre travail, après le vote de ce projet de loi constitutionnelle. La précision devra alors être suffisante pour éviter tout conflit de pouvoirs réglementaires. La seule réponse concrète me semble se situer à ce niveau de précision de la délégation par la loi.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Si je comprends bien, monsieur le ministre, il suffirait de renvoyer la définition de la nature de ce pouvoir réglementaire à la loi organique qui sera prise en application des dispositions de l'article 72.
M. Michel Charasse. Mais pas dans l'article 21 !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Nous sommes d'accord. Dès lors que l'on renvoie la définition à la loi organique, nous pourrions, si M. le rapporteur le veut bien, retirer cet amendement. (M. le rapporteur lève les bras au ciel.)
M. le président. L'amendement est-il maintenu, monsieur le rapporteur ?
M. René Garrec, rapporteur. Monsieur le président,...
M. le président. Je comprends : chat échaudé craint l'eau froide ! (Sourires.)
M. René Garrec, rapporteur. ... je retire néanmoins cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.

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