SEANCE DU 26 NOVEMBRE 2002


M. le président. L'amendement n° I-183, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 266 sexies du code de douanes, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - I. - Il est institué une taxe additionnelle à la taxe générale sur les activités polluantes dues par les personnes physiques ou morales suivantes :
« 1. Tout exploitant d'une installation soumise à autorisation au titre de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement dont la puissance thermique maximale lorsqu'il s'agit d'installations de combustion, la capacité lorsqu'il s'agit d'installations d'incinération d'ordures ménagères ou le poids des substances mentionnées au 2 de l'article 266 septies émises en une année lorsque l'installation n'entre pas dans les catégories précédentes, dépassent certains seuils fixés par décret en Conseil d'Etat.
« 2. Tout exploitant d'un établissement industriel ou commercial ou d'un établissement public à caractère industriel et commercial dont certaines installations sont soumises à autorisation au titre de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 précitée.
« II. - a) Son barème est ainsi fixé :
« Substances émises dans l'atmosphère.
« Oxydes de soufre et autres composés soufrés, 125.
« Acide chlorhydrique, 90.
« Protoxyde d'azote, 180.
« Oxydes d'azote et autres composés oxygénés de l'azote, à l'exception du protoxyde d'azote, 150.
« Hydrocarbures non méthaniques, solvants et autres composés organiques volatils, 150.
« b) Installations classées.
« Délivrance d'autorisation aux entreprises, 7300.
« Exploitation au cours d'une année civile (tarif de base), 1100. »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement reprend une proposition que nous avons déjà formulée l'an dernier.
Il s'agit de créer une taxe additionnelle à la taxe générale sur les activités polluantes destinée à financer des investissements, et notamment ceux qui sont assumés par les collectivités locales en matière de prévention des risques industriels.
Comme nous l'avons déjà dit, la question de la prévention des risques industriels continue de se poser avec une acuité toute particulière.
Les populations, vous le savez, sont extrêmement sensibilisées au problème posé, d'autant que les effets désastreux de l'accident industriel majeur que fut l'explosion de l'usine AZF de Toulouse ne sont pas encore totalement réparés.
Plus d'un an après le 21 septembre, des familles continuent de subir les conséquences de cette catastrophe majeure.
Et comme le principe de précaution vaut toujours mieux que tous les autres, c'est dans cette optique que nous proposons à la Haute Assemblée d'adopter cet amendement.
Pour justifier plus encore notre proposition, on ne peut que souligner quels sont les investissements spécifiques dont ont besoin les collectivités dans le cadre de ce principe de précaution, sans compter, évidemment, les contraintes que les établissements classés posent en termes d'aménagement urbain, tant en ce qui concerne la construction aux alentours que la voirie d'accès.
Je sais fort bien que nous aurons, dans le cadre de la seconde partie, un débat sur la question de la constitution du fonds d'équipement des services départementaux d'incendie et de secours, mais il me semble que tout engagement de l'Etat en ces domaines doit être gagé sur la sollicitation de ceux-là mêmes qui sont au coeur de l'application du principe de précaution.
Sans remettre en cause les capacités financières des entreprises directement concernées, qui sont souvent importantes - Total-Fina-Elf obtient, par exemple, le record de France des profits - cette mesure, une fois adoptée, serait l'illustration d'une conception plus éthique et plus équitable de la fiscalité.
C'est donc sous le bénéfice de ces observations que je vous invite à adopter l'amendement n° I-183.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Dans le passé, la commission a souvent critiqué la TGAP. Ce point a été abordé hier, lorsque certains sujets sensibles de l'industrie automobile ont été évoqués. C'est notre collègue Serge Lepeltier, me semble-t-il, qui a parlé de la fiscalité écologique et des enjeux du développement durable en des termes que chacun peut partager.
L'amendement qui nous est soumis tend à créer une taxe additionnelle à la TGAP. Si l'on voulait aller dans ce sens, il faudrait que la TGAP soit incontestable. Or, monsieur le ministre, nous l'avons vu dans le passé, cet impôt n'est pas dimensionné comme il convient : il ne porte pas nécessairement sur des assiettes taxables qui soient incontestables et il soulève de nouveaux problèmes. Tant dans sa logique que dans son affectation, il ne peut pas être considéré, aujourd'hui encore, comme faisant partie d'une fiscalité véritablement écologique.
En s'appuyant sur cette analyse de fond, la commission estime qu'il n'est pas raisonnable de vouloir créer une taxe additionnelle à une taxe de cette nature, dont l'avenir est encore relativement indéterminé.
Par ailleurs, nous avons pu observer que le rendement de la TGAP n'a pas été tout à fait à la hauteur des ambitions initiales et que son produit devrait diminuer en 2003.
Pour l'ensemble de ces raisons, et pour ne pas surcharger encore la barque des entreprises, qui est déjà trop lourde, la commission vous convie, mes chers collègues, à ne pas suivre le groupe CRC et à rejeter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. L'instauration d'une taxe additionnelle à la TGAP sur certaines installations ne répond pas du tout à l'objectif fixé. Il s'agit, en effet, de faciliter le financement des investissements qui sont liés à la sécurité industrielle, dès lors, Thierry Foucaud le sait, que cette recette est affectée aux comptes sociaux.
Outre le fait que cette recette a les défauts que le rapporteur général a décrits il y a un instant, il faut tenir compte de son affectation. Or cette affecta tion ne correspond pas à l'objectif que vous vous êtes fixé. D'ailleurs, les mécanismes de la TGAP n'ont pas pour finalité de prendre en compte les risques d'accident.
Je vous demande donc, monsieur Foucaud, de bien vouloir retirer votre amendement. A défaut, je demanderai au Sénat de le rejeter.
M. le président. Monsieur Foucaud, l'amendement est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud. Il est tout à fait logique que les entreprises polluantes soient mises à contribution ; je ne reviendrai pas sur l'exemple que j'ai donné en ce qui concerne TotalFinaElf. Ce problème sera sûrement de nouveau abordé lors du débat sur les recettes des collectivités locales.
Je suis d'accord avec M. le ministre pour que l'on trouve une autre solution si c'est possible. Il n'en reste pas moins que les difficultés rencontrées par les collectivités sur le territoire desquelles se trouvent des industries à risque restent insurmontables, tant au niveau des installations classées Seveso que des moyens à mettre en oeuvre pour assurer la sécurité et l'information de la population.
Il faut savoir qu'en France de nombreuses infrastructures de zones industrielles à risque ne sont pas adaptées aux situations difficiles. Il existe des zones où l'on peut rentrer, mais pas sortir : ce sont de véritables goulets et, en cas d'incidents, ce serait catastrophique.
Ces questions doivent au plus vite faire l'objet d'une réflexion approfondie. Elles sont souvent du ressort des collectivités locales.
Par conséquent, monsieur le président, je maintiens mon amendement. En fait, il s'agit d'un amendement d'appel pour étudier le problème et donner aux collectivités locales les moyens d'aller dans ce sens.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-183.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° I-67 est présenté par MM. Miquel, Auban, Demerliat, Haut, Lise, Marc, Massion, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste.
L'amendement n° I-184 est présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendement sont ainsi libellés :
« Après l'article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 235 ter ZD du code général des impôts est ainsi modifié :
« 1 ° le III est ainsi rédigé :
« III. - Le taux de la taxe est fixé à 0,05 % à compter du 1er septembre 2003. »
« 2° le IV est supprimé. »
La parole est à M. Gérard Miquel, pour défendre l'amendement n° I-67.
M. Gérard Miquel. Dans le cadre de la loi de finances pour 2002, a été mise en place une taxe sur les transactions financières de type taxe Tobin, dont le taux devait être déterminé par référence à une décision du Conseil européen.
Les récentes déclarations du Président de la République au sommet de Johannesburg, appelant notamment à la mise en place rapide d'une telle taxation afin de financer le développement des pays les moins avancés, nous incitent aujourd'hui à proposer le présent amendement. Celui-ci a pour objet de faire en sorte non seulement que la détermination du Président de la République soit rapidement suivie d'effet, mais également, et surtout, que soit amorcée la mise en oeuvre du nouveau système de financement du développement mis en place par la majorité précédente en faveur des pays qui en ont le plus besoin.
Nous proposons donc la mise en oeuvre avancée du dispositif prévu par la loi de finances de 2002 en fixant le taux de la taxe en question à 0,05 % à compter du 1er septembre 2003. Cette mesure serait applicable en France, dans un premier temps.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour défendre l'amendement n° I-184.
M. Thierry Foucaud. Nous ne pouvons évidemment manquer de citer, à l'occasion de la présentation de cet amendement n° I-184, les propos tenus il y a peu, lors du sommet de Johannesburg, par le Président de la République.
En effet, à la question suivante : « Vous avez annoncé avec une certaine force l'idée d'une taxation internationale pour financer le développement : c'est une idée très controversée et je voulais savoir si elle avait reçu un écho favorable ou au contraire si vous aviez reçu des oppositions aussi fermes et donc s'il y avait une chance pour qu'elle puisse prendre forme prochainement », le Président de la République avait répondu : « Vous savez, cela fait partie des solutions qui ne peuvent intervenir que lorsque des forces suffisantes ont été mises en oeuvre. Et c'est vrai que la mondialisation, qui comporte bien des avantages, mais aussi des inconvénients et des dangers, en tous les cas, est considérablement créatrice de richesses. »
Il poursuivait ainsi : « Il ne serait pas anormal qu'une partie, modeste, mais les chiffres sont considérables, de ces richesses soit ponctionnée pour permettre d'améliorer la solidarité internationale et le développement durable. Les besoins sont à la fois très importants, mais relativement modestes. Il est admis par tous les experts que l'ensemble de l'aide publique au développement, si on la doublait, on pourrait alors éradiquer la pauvreté dans le monde : 50 milliards, c'est beaucoup, mais si l'on compare à l'ampleur de la richesse créée par les échanges dus à la mondialisation, c'est peu. »
Et il concluait : « D'où la nécessité, à mon avis, d'une forme de taxation. »
On pourrait presque dire que le Président de la République parle d'or, si vous me permettez cette expression.
Je ne sais pas s'il a rejoint le camp des doux rêveurs qui pensent qu'une partie des maux dont souffre la planète peut être résolue en taxant les transactions sur les instruments monétaires et financiers. En tout cas, cette prise de position semble confirmer la pertinence de la proposition que fait le groupe CRC - d'autres l'ont également faite - avec cet amendement n° I-184.
Il reste à savoir si nos collègues de la majorité sénatoriale, alors même qu'ils s'apprêtent à rejoindre un certain nombre d'idées, auront la sagesse de suivre l'orientation ainsi fixée.
Notre amendement vise à donner une certaine consistance à la taxation des opérations monétaires et à dégager, par conséquent, conformément au sens de nos positions antérieures sur la question, que nous avions matérialisées par le dépôt d'une proposition de loi, les moyens financiers de soutenir l'action internationale de la France en matière d'aide publique au développement.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement n° I-184.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La discussion budgétaire obéit à des rites. Et si le rite n'est pas accompli, le travail n'est pas bien fait. C'est l'aspect qu'Edgar Faure qualifiait de « liturgique » dans les travaux de nos assemblées. Aujourd'hui, dans la liturgie - je parle sous le contrôle du président du groupe d'amitié France-Saint-Siège, naturellement (Rires), ...
M. Jean Chérioux. Il apprécie beaucoup !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... il y a un point de passage obligé : on ne peut pas discuter du budget sans parler de la taxe Tobin ! C'est un élément incontournable de ce débat qui nous réunit, si actifs et si pugnaces, à la fin du mois de novembre.
Hélas ! je voudrais regretter que l'un des grands prêtres de cette liturgie ne soit plus parmi nous. Vous savez quel plaisir j'avais à échanger, sur ce sujet, des arguments avec Jean-Luc Mélenchon, lui qui avait qualifié le Sénat de « cul-de-basse fosse de la réaction » (M. Jean-Pierre Masseret s'exclame) , et qui était le défenseur - il s'exprimait, en votre nom, de façon enflammée, mais avec toute la force de son argumentaire et de ses convictions - de la taxe Tobin.
Bien entendu, moi qui suis un affreux libéral...
M. Alain Lambert, ministre délégué. Tempéré !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tempéré par l'expérience des choses ! (Exclamations amusées sur les través du groupe socialiste.)
... - et je ne vais pas me transformer -, eh bien ! c'est très volontiers, mes chers collègues, que je me prête à cette célébration.
M. Jean-Pierre Masseret. Amen !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ainsi soit-il !
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission des finances du Sénat ne changera pas d'avis sur la taxe Tobin !
M. Jean-Pierre Masseret. C'est dommage !
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est vous qui le dites !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cette taxe est contre nature. Elle est complètement opposée à l'esprit même des marchés et du fonctionnement de l'économie de marché.
Il est tout à fait clair qu'en dehors de gesticulations aimables elles ne sert à rien et il est inutile d'en parler, car, pour qu'elle existe, il faudrait qu'elle soit instituée au sein de chaque Etat souverain de cette planète. Et, au demeurant, tant les ministres de l'ancien gouvernement Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius que la commission des finances du Sénat partageaient à cet égard exactement le même point de vue.
M. Gérard Miquel. Ils évoluent !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Comme il s'agit d'une proposition contre nature et que la nature est ce qu'elle est et qu'elle le demeurera, mon cher collègue, il n'y a point d'évolution possible.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ce n'est pas sûr !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut que vous vous en convainquiez ! Certes, vous vous ferez toujours des succès d'audience dans certains milieux avec ce type de proposition. Il n'en reste pas moins que cela restera du domaine du verbe, du domaine du symbole que l'on agite en sachant bien que cela ne coûte rien puisque cela ne sera jamais fait, car c'est contraire à la nature des choses.
Telles sont, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles la commission des finances, quoi qu'il en soit par ailleurs, est fondamentalement opposée aux amendements que vous avez présentés comme aux arguments que vous avez développés pour les défendre.
Cette taxe n'est rien d'autre qu'un objet de gesticulation politique franco-française. Même James Tobin, dont le nom est en quelque sorte usurpé dans vos amendements, l'a reconnu avant de disparaître de ce monde.
Après avoir échangé nos arguments, après avoir entendu le ministre, donc après avoir bien fait notre travail, eh bien ! la liturgie pourra se poursuivre sur d'autres sujets.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. S'il est une chose dont la France n'est pas dépourvue, c'est bien de taxes ! Celles-ci sont nombreuses et le génie du Sénat pourrait être consacré, précisément, à en supprimer.
Si nous pouvions, sans trop diminuer le produit des taxes, dont l'Etat a besoin pour assumer toutes ses missions, remembrer notre fiscalité et éviter que l'on ne multiplie les instruments fiscaux, nous rendrions un très grand service à nos compatriotes.
S'agissant de l'opportunité de créer une taxe, ma réponse est d'une netteté absolue : il n'en est pas question !
En revanche, dans vos amendements, vous avez soulevé la question de l'utilité de la régulation et de la transparence des mouvements de capitaux. Il s'agit d'un débat d'une tout autre dimension. Il est vrai que la France lutte de toutes ses forces contre la spéculation pour éviter que des crises financières et monétaires ne mettent certains pays en grande difficulté. Mais appliquer cette taxe dans un seul pays, comme vient de l'expliquer M. le rapporteur général à l'instant, est non seulement difficile, mais impossible, vous le savez, car inefficace.
Pour lutter avec succès contre la spéculation financière déstabilisante, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut, en priorité, donner au système monétaire et financier international une cohérence et une efficacité accrues. C'est ce à quoi travaille le Gouvernement, et c'est ce qui me conduit à vous demander de bien vouloir retirer vos amendements. A défaut, j'en demanderai le rejet.
M. le président. Monsieur Miquel, l'amendement n° I-67 est-il maintenu ?
M. Gérard Miquel. Monsieur le rapporteur général, vous êtes - c'est bien connu dans cette maison - un chantre du libéralisme. Mais le libéralisme ne peut pas apporter une réponse au développement des pays pauvres.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La taxe Tobin non plus !
M. Gérard Miquel. Malheureusement, nous le constatons tous les jours.
De grands sommets sont organisés, tel celui de Johannesburg ou d'autres encore.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela coûte cher !
M. Gérard Miquel. Il nous faudra bien trouver une solution pour apporter une aide à ces pays, afin qu'ils puissent atteindre un niveau de développement qui leur permette au moins de nourrir leurs populations. Aujourd'hui, tel n'est pas le cas.
C'est la raison pour laquelle nous maintenons notre amendement. Si cette taxe était appliquée à l'échelle planétaire - je le sais, nous avons beaucoup de chemin à parcourir, mais il faudra bien commencer un jour -, le financement du développement des pays pauvres pourrait être assuré dans de bonnes conditions. Ce serait une très bonne chose pour l'équilibre de la planète.
M. le président. Monsieur Foucaud, l'amendement n° I-184 est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud. Je n'ai rien à ajouter aux propos qui viennent d'être tenus par mon collègue Gérard Miquel. Comme dirait M. le rapporteur général, je ne reprendrai pas le rituel ! En la matière, il est sur l'une des trois premières marches du podium. (Sourires.)
Le problème a été largement exposé, mais il n'a pas été répondu à ma question relative aux propos du Président de la République, à Johannesburg, en ce qui concerne la taxe Tobin.
Quoi qu'il en soit, taxer les mouvements financiers permettrait de nourrir une partie du monde.
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux, pour explication de vote.
M. Jean Chérioux. Je constate que, dans ce domaine, le débat confine toujours au dialogue de sourds ! Cela vient du fait que nos collègues de gauche confèrent un sens impropre aux termes qu'ils utilisent. Lorsque notre collègue Gérard Miquel dit de M. le rapporteur général qu'il est un libéral, il a raison, mais le libéralisme tel qu'il le décrit - le libéralisme « sauvage » - n'est pas celui du rapporteur général.
Chers collègues, le libéralisme, ce n'est pas le laisser-faire absolu : il ne peut se concevoir qu'encadré. C'est celui-là que nous défendons, parce qu'il est le seul à même de régler les problèmes économiques.
Hélas ! On a constaté l'état dans lequel sont sortis les pays qui avaient connu pendant des années la gestion collectiviste : on a vu le résultat ! Et ces régimes ne faisaient rien pour aider les pays sous-développés, tout simplement parce qu'ils n'en avaient pas les moyens. La seule formule qui peut réellement contribuer à aider les pays sous-développés est celle du libéralisme encadré et régulé.
Quant à la solution du type de la taxe Tobin, elle ne peut être conçue qu'à l'échelon international. En effet, tout système d'aide aux pays sous-développés est conditionné par l'existence d'une convention internationale. C'est ce qui explique l'attitude du Président de la République qui, désireux de montrer que la France entend être le champion de l'aide aux pays sous-développés, ce qui est dans la tradition gaulliste de la France, n'en demeure pas moins conscient des réalités. Le Président de la République sait parfaitement que la France ne peut agir seule, pas plus qu'un autre Etat, d'ailleurs. Cela ne peut être décidé qu'à l'échelon international. C'est pourquoi le Président de la République a bien fait d'adopter cette attitude lors du sommet de Johannesbourg.
Que des parlementaires français proposent une solution de ce genre est absolument en contradiction avec l'esprit qui sous-tend la politique du Président de la République, politique raisonnable qui tient compte des réalités. La vôtre, hélas, chers collègues, est utopique !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s I-67 et I-184.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° I-185, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 242 bis du code général des impôts est rétabli dans le texte suivant :
« Art. 242 bis . - Sans préjudice des dispositions des articles 57 et 238 A, les charges de toute nature payées ou dues par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et qui y sont soumises à un régime fiscal privilégié ne sont admises comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si elles ont été mentionnées d'une manière détaillée, précise et exacte dans le cadre d'une déclaration spécifique remise à l'administration fiscale, en même temps que la déclaration de leurs résultats et que si celle-ci n'en a pas rejeté le bien-fondé dans un délai de six mois.
« II. - Les dispositions du I s'appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2003. »
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Par cet amendement, nous proposons de rétablir l'obligation de déclaration fiscale détaillée de l'ensemble des transferts de charges des entreprises vers des pays ou territoires classés à régime fiscal privilégié avant que ces charges puissent être déduites de l'impôt dans notre pays, et ce uniquement sous réserve de l'acceptation de leur bien-fondé par l'administration fiscale dans un délai de six mois.
La préoccupation que traduit cet amendement d'« assainissement » est de renforcer les dispositifs prévus par le code général des impôts pour lutter contre l'évasion fiscale, notamment vers les paradis fiscaux.
A ce sujet, mes chers collègues, je voudrais mentionner plus particulièrement le cas de la société Gemplus, premier fabricant mondial de cartes à puce, qui a fait beaucoup parler d'elle ces dernières semaines.
A mesure que se démêlent les fils inextricables des montages financiers d'une entreprise qui, je le rappelle, a déposé un plan social prévoyant la suppression de 1 200 emplois - notamment un peu plus de 400 à Gémenos, dans les Bouches-du-Rhône, et à Sarcelles, ma ville -, les salariés et l'opinion découvrent l'étendue des malversations fiscales auxquelles se sont livrés les dirigeants.
La direction de Gemplus a notamment utilisé le truchement d'une obscure filiale nommé Zenzus, basée à Gibraltar, paradis fiscal bien connu, pour octroyer à plusieurs de ses cadres dirigeants des prêts en vue de l'achat d'actions de l'entreprise, pour le seul ex-PDG, la somme s'élève à 70 millions d'euros. Il s'agit évidemment d'une opération totalement illégale en France.
Par ailleurs, à la fin de l'année 1999, sur l'initiative du fonds de pension américain Texas Pacific Group, qui a pris partiellement le contrôle de l'entreprise, la direction de Gemplus a déplacé son siège juridique au Luxembourg et transféré ses brevets vers cette nouvelle entité, ce qui lui a permis de se soustraire entièrement au paiement de l'impôt sur les sociétés pour l'année 2000, malgré un bénéfice d'exploitation qui s'élevait alors à 137 millions d'euros. Le versement d'importants droits au titre des brevets à cette structure implantée dans un pays qui présente également plusieurs caractéristiques d'un paradis fiscal, a en effet permis à Gemplus de réduire artificiellement le bénéfice comptable en France, exactement à concurrence des crédits d'impôt qui lui étaient octroyés pour ses efforts de recherche !
A notre avis, cet exemple démontre la nécessité d'une clarification fiscale sur la notion de siège de direction effective d'une entreprise, sur les transferts de brevets vers des filiales - d'autant qu'ils constituent un risque de pillage technologique - et, plus généralement, de dispositifs plus appropriés et plus rigoureux de surveillance des relations financières des entreprises avec des entités implantées dans des paradis fiscaux.
C'est dans ce sens, mes chers collègues, que nous vous invitons à adopter cet amendement qui complète et renforce les conditions d'application des articles 57 et 238 A du code général des impôts.
A l'occasion de cette discussion, monsieur le ministre, nous souhaiterions également connaître les intentions du Gouvernement concernant le dossier Gemplus ainsi que les mesures que vous comptez prendre, notamment pour sauvegarder l'emploi et prévenir toute évasion fiscale et technologique.
Cela nous semble d'autant plus de la responsabilité du Gouvernement que Gemplus a bénéficié, depuis sa création, d'aides publiques importantes, sous forme, notamment, d'exonérations d'impôt sur les bénéfices pendant plusieurs années en contrepartie de l'installation dans des zones de reconversion d'emplois, de crédits d'impôts divers ou de mise à disposition de terrains pour un franc symbolique.
Par conséquent, monsieur le ministre, les salariés et leurs organisations syndicales attendent un engagement du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La question posée par le groupe CRC est à prendre très au sérieux.
C'est, au demeurant, ce qu'avait fait notre commission des finances, voilà quelques années, en mettant en place un groupe de travail sur la régulation financière internationale. M. Alain Lambert, alors président de la commission des finances, doit très bien s'en souvenir. (M. le ministre délégué opine.) Nous avions, à l'époque, traité des différents aspects des relations financières internationales et, en particulier, des territoires offshore , des paradis fiscaux, affirmant la nécessité d'une meilleure régulation des flux financiers dans le monde.
La question qui est ici posée, et qu'il faut donc prendre très au sérieux, est celle du contrôle des transferts de charges à l'étranger. Pour autant, lorsque je consulte les textes en vigueur, en particulier l'article 238 A du code général des impôts, je constate que ces charges, versées à une personne domiciliée ou établie hors de France et qui bénéficie d'un régime fiscal privilégié, ne sont déductibles « que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré ».
Il semble donc que le texte soit clair et que les services de contrôle aient toute latitude pour s'assurer du respect et de la lettre et de l'esprit du code général des impôts. Peut-être pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner votre sentiment sur le sujet ?
Mes chers collègues, en fonction de l'évolution de ce type de sujet, sans doute faudra-t-il, le moment venu, au sein de la commission des finances, envisager d'actualiser les réflexions formulées voilà quelques années déjà pour aller un peu plus loin au cours de cette année 2003 qui sera marquée par la réunion du G 8. A cette occasion, tout ce qui a trait à une meilleure régulation de l'espace financier international sera traité.
C'est donc en considérant que le code général des impôts doit d'ores et déjà répondre aux préoccupations exprimées par le groupe CRC, et sous le bénéfice des observations à venir du Gouvernement, que la commission souhaite le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Mme Beaudeau ne m'en voudra pas de ne plus lui donner des explications précises relatives à l'entreprise qu'elle a citée. Je peux simplement lui dire que les services sont naturellement très actifs pour procéder aux vérifications nécessaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je profite de l'occasion de cet amendement pour vous dire combien le Gouvernement mène une lutte sans merci contre les paradis fiscaux qui rendent possibles l'organisation à grande échelle de la fraude fiscale, le blanchiment des capitaux douteux ainsi, hélas ! que le financement du terrorisme aujourd'hui.
Ce n'est toutefois pas par la mesure que vous proposez, madame Beaudeau, que cette lutte pourrait triompher. En effet, vous n'êtes pas sans savoir que le droit à déduction des commissions, courtages ou autres rémunérations versés à des tiers établis ou non dans des paradis fiscaux est déjà subordonné à l'obligation d'une déclaration spéciale.
De plus, les services de vérification de la direction générale des impôts se sont depuis longtemps mobilisés sur le contrôle de ces versements à destination des paradis fiscaux et sont d'ailleurs dotés d'outils nécessaires à l'exercice de ce contrôle, notamment grâce à l'article 238 A du code général des impôts.
Enfin, j'observe que le principe de non-déductibilité posé par l'amendement serait très facilement contourné par le relais d'un établissement financier ou d'une société qui, situés dans un pays tiers, procéderaient, pour le compte des entreprises françaises, aux versements litigieux en direction des paradis fiscaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés de la détermination du Gouvernement. En effet, tous ces montages ont été des moyens, d'abord, de dissimulation fiscale, ensuite, de financement de filières de trafic de stupéfiants, pour venir, aujourd'hui, contribuer au financement du terrorisme. La guerre qui doit être engagée contre le terrorisme sur l'ensemble de la planète nous conduit à traiter de ces sujets avec un sens élevé de nos responsabilités. Si j'émets un avis défavorable sur votre amendement, madame Beaudeau, c'est que sa rédaction n'est pas appropriée. Mais sachez que c'est un objectif que nous avons en commun avec les autres Etats de l'Union européenne. Je souhaite donc le retrait de cet amendement. A défaut, j'en demanderai le rejet.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, pour explication de vote.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je me réjouis, monsieur le ministre, que vous preniez cette affaire très au sérieux, car elle est très importante.
M. le rapporteur général m'a rappelé qu'un groupe de travail avait été mis en place au Sénat. Je constate que, jusqu'à maintenant, ses conclusions ont été peu suivies d'effet. J'en veux pour preuve l'affaire Gemplus que j'ai citée en exemple, la société ayant pu prospérer et prospérant encore.
Je suis étonnée que vous vous opposiez à un amendement d'éthique économique et fiscal qui tend à lutter contre les paradis fiscaux dans lesquels certains dirigeants domicilient les sièges sociaux de leur groupe ou, plus précisément, les têtes de holding, et procèdent à l'évasion fiscale d'une part plus ou moins importante des bénéfices par le jeu de la facturation de services rendus plus ou moins fictifs.
Je vous ai cité un exemple, mais cette pratique, très répandue, permet à certains dirigeants de faire échapper à toute réelle imposition le maximum des profits cumulés sur l'activité économique normale d'une entreprise.
Dans l'affaire Gemplus, l'évasion fiscale se double d'un véritable pillage de brevets qui, je le rappelle, ont été déposés en France. On constate également qu'une part importante des résultats des profits passés a transité par un Etat de l'Union européenne des plus accueillants en matière financière, en l'occurrence, le Luxembourg.
Si je me permets d'insister, monsieur le ministre, c'est que j'ai pu lire dans la presse - car je n'ai obtenu de précisions que par la presse - que deux professeurs agrégés de droit estiment, sur le fondement d'un référendum en seize points, que le fonds texan que je vous ai cité n'a pas délivré les bonnes informations financières à la Commission des opérations de bourse française et à la SEC, son homologue américaine.
Si je suis intervenue précisément ce matin sur l'affaire Gemplus, monsieur le ministre, c'est parce que le 8 août 2002, au moment où nous avions connaissance du plan social, j'avais adressé une assez longue question écrite à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et que j'ai obtenu pour toute réponse les cinq lignes que je vous lis : « Au-delà du cas particulier évoqué par l'auteur de la question et pour lequel la règle du secret professionnel s'oppose à ce que la situation fiscale d'une entreprise soit divulguée, les dispositions de la convention franco-luxembourgeoise n'ont en aucun cas pour effet de priver les services de la direction générale des impôts de réprimer les transferts directs ou indirects des bénéfices à l'étranger. L'article 4, paragraphe II, de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 se borne à préciser qu'un Etat ne peut imposer que les revenus provenant de l'activité des établissements stables situés sur son territoire. » M. le ministre concluait : « Il ne saurait permettre pas plus qu'aucune autre convention fiscale de localiser artificiellement à l'étranger des revenus ou des bénéfices passibles de l'impôt en France. »
Vous comprendrez, monsieur le ministre, que je maintienne mon amendement et que je demande précisément ce matin qu'une enquêté soit ouverte sur l'affaire Gemplus.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Madame Beaudeau, vous soulevez un problème d'une particulière gravité : il ne saurait être question de manifester la moindre tolérance à l'égard des paradis fiscaux.
J'observe que des progrès considérables ont été accomplis. Puis-je vous rappeler, chère collègue, qu'au début des années quatre-vingt dix nous validions en loi de finances rectificative des opérations de défiscalisation menées par l'Etat actionnaire ! C'était l'époque du « ni-ni » et on « repackageait » des titres subordonnés à durée indéterminée. C'est l'Etat qui était responsable de cela !
De telles pratiques sont pernicieuses et sont de nature à détruire le pacte républicain.
Si nous combattons votre amendement, madame Beaudeau, ce n'est pas parce que nous ne reconnaissons pas le bien-fondé de votre préoccupation, mais c'est parce que nous considérons que les dispositions du code général des impôts sont suffisantes pour combattre les abus. C'est la volonté du Gouvernement qui sera déterminante.
Je confirme les propos de M. le rapporteur général : la commission des finances va réactiver les travaux qu'elle a menés sur la traque des mauvaises pratiques.
Cela étant, madame Beaudeau, si nous parvenons à alléger le poids des prélèvements qui pèsent sur les entreprises, ici, en France, nous contribuerons également à lutter contre ces détournements de procédure. Ne doutez pas un seul instant de notre détermination. La commission des finances oeuvrera en ce sens et vous participerez à ses travaux, puisque vous êtes l'un de ses membres. Nous mènerons ensemble, avec le Gouvernement, ce combat, sachant qu'il doit être assumé pleinement par les membres de l'Union européenne. Il existe en effet des pratiques au sein de l'Union européenne qui doivent conduire certains Etats à rendre des comptes à leurs partenaires.
Ne vous méprenez pas, madame Beaudeau : nous avons les instruments nécessaires à notre disposition, le reste est une question de volonté politique. C'est pour cette raison que votre amendement est superfétatoire.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-185.

(L'amendement n'est pas adopté.)

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