Art. additionnels avant l'art. 60 A
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2004
Art. additionnels avant l'art. 60

Article 60 A

I. - L'article 83 A du code général des impôts est abrogé.

II. - Les dispositions du I entreront en vigueur au 1er janvier 2005.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° II-14 rectifié est présenté par MM. Flosse, Lanier, Hyest, Loueckhote, Laufoaulu et Larché.

L'amendement n° II-89 est présenté par MM. Miquel, Angels, Auban, Charasse, Demerliat, Haut, Lise, Marc, Massion, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste et rattachée.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

« Supprimer cet article. »

La parole est à M. Gaston Flosse, pour présenter l'amendement n° II-14 rectifié.

M. Gaston Flosse. Notre amendement vise à rétablir l'abattement supprimé par l'Assemblée nationale afin de revenir à la situation prévue à l'article 83 A du code général des impôts.

Cet article permet de réduire de 40 % la base imposable des pensions servies à des personnes installées outre-mer. Un abattement successif de 10 % et de 20 % sur le montant des pensions servies à des personnes vivant en France métropolitaine est prévu dans le même article. L'écart entre les deux niveaux d'abattement s'explique aisément par la différence du coût de la vie outre-mer et en métropole.

La suppression complète de cet abattement outre-mer est injuste et n'a pas d'autre raison que la mauvaise querelle cherchée par Bercy à l'outre-mer. Je ne comprends pas cet acharnement à détruire un équilibre, justifié par des différences objectives, qui joue un rôle important dans nos économies. Veut-on perturber l'équilibre politique et social de nos collectivités ?

On nous dit que le régime doit être détruit, car il encourage la fraude. A-t-on fait ce qu'il fallait pour contrôler, ou bien veut-on simplement trouver un prétexte pour dépouiller tous les honnêtes pensionnés d'outre-mer au nom de quelques fraudeurs ?

Le contrôle est possible. Il a déjà eu lieu en Polynésie française et a permis d'engager les poursuites contre les coupables de fausse domiciliation.

Pour ma part, je l'ai déjà dit à cette tribune, je suis prêt à apporter la collaboration de tous mes services à l'action que le ministère des finances demanderait à son représentant, le trésorier-payeur général : les pseudo-résidents en Polynésie française pour raisons fiscales ne m'intéressent pas. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel, pour présenter l'amendement n° II-89.

M. Gérard Miquel. L'Assemblée nationale a adopté un étrange amendement aux termes duquel a été abrogé l'article 83 A du code général des impôts. A donc été supprimé un abattement de l'impôt sur le revenu relatif aux pensions servies par un débiteur domicilié en France métropolitaine à des personnes ayant leur domicile fiscal dans les territoires d'outre-mer.

Quand cet abattement a été instauré, en 1977, le législateur voulait alléger, en particulier, l'imposition des fonctionnaires de l'Etat pour tenir compte, tout simplement, du niveau du coût de la vie, plus élevé dans les territoires d'outre-mer qu'en métropole. Tout le monde sait très bien que, lorsque l'on dit : « plus élevé », cela signifie souvent : « beaucoup plus élevé » !

On peut donc s'étonner, tout particulièrement nos concitoyens d'outre-mer, de cette mesure « bizarre » votée par l'Assemblée nationale.

C'est pourquoi le groupe socialiste du Sénat propose par cet amendement, et parce qu'il juge cette demande raisonnable, la suppression de l'article 60 A, en attendant une réflexion globale, d'une part, sur l'ensemble des aides à l'outre-mer et, d'autre part, sur les aides spécifiques à nos concitoyens d'outre-mer.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le ministre du budget, votre administration est souvent critiquée.

Pour ma part, en tant que porte-parole de la commission des finances, il m'arrive de contester des analyses, des choix, des études, voire des solutions, qui, cela peut arriver, me semblent comporter des effets pervers. La suite de cette discussion en fournira peut-être des exemples.

Néanmoins, j'ai de la peine à comprendre que l'on puisse opposer, en quelque sorte, la vision de Bercy, d'un côté, et la politique du Gouvernement, la politique de la France, de l'autre côté. Car, mes chers collègues, le projet de budget pour 2004 que nous sommes en train d'élaborer, dans un contexte extrêmement difficile, se caractérise, ne l'oublions pas, par un déficit de 55 milliards d'euros, déficit qui doit à tout prix être maîtrisé : il y va de la crédibilité de notre pays ! Il s'agit non seulement d'un problème d'équilibre social et de bonne gestion de notre pays, mais également du rayonnement de la France, et, disant cela, je m'adresse tout particulièrement à ceux qui sont attachés à la République, à sa crédibilité, à son rayonnement dans l'ensemble du monde.

Je ne suis naturellement pas un expert des affaires d'outre-mer. Mais, si nous voulons défendre le drapeau français et la présence de la France dans un monde souvent hostile, un monde dans lequel nous devons faire face à une incompréhension croissante, s'il nous revient d'être le point fixe de la République et de l'intérêt national, il me semble que les sujets de gestion ne peuvent nous laisser indifférents.

Naturellement, bien des problèmes particuliers se posent à nos territoires, et chacun s'efforce de gérer au mieux la situation qui est la sienne, notamment dans le cadre de la décentralisation et de la législation spécifique à l'outre-mer.

Cela étant, tout en ayant le plus grand respect pour ceux qui ont la charge de la gestion de ces territoires et qui doivent faire face à bien des difficultés, je ne voudrais pas que l'avis de la commission des finances du Sénat soit en contradiction avec celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, ni que nous ayons l'air de jeter la pierre à nos collègues députés.

Tout à l'heure, lors de l'examen des amendements n°s II-144 et II-145 de Paul Girod, nous évoquions l'« ardente nécessité » de réduire la dépense publique, de faire refluer les prélèvements obligatoires. Nos collègues de l'Assemblée nationale ont fait de leur mieux - la tâche était difficile - pour trouver des thèmes d'économie. Ils y ont travaillé honnêtement, avec une grande rigueur. M. le ministre lui-même, citant une somme énorme, rappelait quelle pugnacité il fallait déployer pour économiser chaque euro.

L'article 60 A qu'a adopté l'Assemblée nationale procède selon moi de cette volonté de rechercher des moyens concrets pour faire décroître la dépense fiscale, voire la dépense tout court.

Mes chers collègues, vous trouverez dans le rapport écrit de la commission des finances notre analyse, qui, sur le plan technique, sur le plan de la bonne gestion des finances publiques, coïncide avec celle de l'Assemblée nationale.

Affichant de commission des finances à commission des finances notre solidarité, nous ne pouvons donc, et je le regrette, cher Gaston Flosse, qu'exprimer un avis défavorable. Si nous émettions un avis favorable à votre amendement, nous romprions la solidarité qui doit être la nôtre d'une assemblée à l'autre puisque nous avons la charge, dans un contexte difficile, d'orienter la discussion budgétaire et de rechercher des mesures d'économie.

Ces mesures ne font jamais plaisir où qu'elles interviennent, et elles ont un caractère ingrat du fait qu'elle peuvent modifier des habitudes acquises - sans doute à bon droit -, mais le chemin de la réforme est semé d'aspérités et il faut bien que les économies se traduisent par des diminutions de dépenses. Ces diminutions peuvent susciter des réactions compréhensibles, que nous comprenons mais qu'au sein de la commission des finances du Sénat nous estimons devoir dépasser.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Alain Lambert, ministre délégué. Gaston Flosse n'en croira pas ses oreilles : Bercy ne persécute en rien l'outre-mer, Bercy applique la politique voulue par le Gouvernement, d'où l'avis que je vais émettre sur son amendement.

Vous proposez, monsieur Flosse, de rétablir l'abattement de 40 % sur le montant imposable des pensions servies aux personnes domiciliées dans les territoires d'outre-mer lorsque la partie versante est établie en France métropolitaine.

Nos concitoyens d'outre-mer pourraient en effet ressentir la suppression de cet abattement comme une remise en cause des spécificités de leur situation, ce qui ne correspond pas aux intentions du Gouvernement. Par suite, je donne mon accord à l'adoption de votre amendement.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je voudrais à mon tour m'adresser à Gaston Flosse, qui vient donc d'avoir la réponse de Bercy, pour lui dire, au nom de la commission des finances, qu'il y a dans notre législation quelques aspérités susceptibles de faire l'objet de corrections.

Nous avons eu sur ces thèmes un débat jeudi dernier, 4 décembre, et, sur la proposition de notre collègue Simon Loueckhote, nous sommes convenus de constituer un groupe de travail pour éraser ces aspérités et faire justice de la suspicion que vaudrait à l'outre-mer certains avantages qui lui seraient indûment consentis.

Nous sommes très désireux d'aller dans le sens de l'équité. Il y a incontestablement des dérives et des abus qui ne sont pas supportables et auxquels nous devons, vous responsables de la Polynésie française et nous parlementaires métropolitains, nous attaquer sans complaisance.

M. Gaston Flosse. Tout à fait !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. A cet égard, à défaut d'avoir trouvé d'emblée la bonne rédaction, j'ai bon espoir que nous tranchions ultérieurement les différends. Les abus ne sont pas tolérables, car ils offensent l'idée que vous et nous nous faisons de l'équité et des valeurs de la République.

Voilà pour quels motifs nous pensions, s'agissant de cet article que les députés ont souhaité supprimer, pouvoir nous mettre en harmonie avec la position adoptée par eux.

M. le président. La parole est à M. Gaston Flosse, pour explication de vote.

M. Gaston Flosse. Monsieur le rapporteur général, malgré tout le respect que je vous dois, je veux vous dire que, si un homme a voué sa vie publique à défendre le drapeau français et à faire en sorte que la Polynésie française soit encore française aujourd'hui, c'est bien moi.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Je le sais bien !

M. Gaston Flosse. Durant des moments de l'histoire de la France aussi difficiles que la période des essais nucléaires comme durant les mauvaises périodes traversées par la Nouvelle-Calédonie, qui, sinon moi, a fait le tour de tous les pays du Pacifique pour défendre les expérimentations de la France et la politique menée par elle en Nouvelle-Calédonie ? Je n'ai donc pas de leçon à recevoir de qui que ce soit sur ce point.

Quant à l'argumentation qui consiste à dire que, puisque nos collègues de l'Assemblée nationale ont voté la suppression de l'article et que nous ne voulons pas leur faire de peine, nous devons voter comme eux, c'est bien la première fois que je l'entends ! Voterons-nous désormais toujours comme nos collègues de l'Assemblée nationale ?

Je le répète avec force : en effet, il y a des fraudeurs et en effet, il faut les poursuivre et les punir sévèrement. C'est ce que fait la Polynésie française, puisqu'une cinquantaine de fraudeurs ont d'ores et déjà été punis. Mais ne confondons pas les fraudeurs et les autres. Les pensions des retraités de l'Etat constituent une ressource appréciable pour l'économie de la Polynésie française. L'en priver reviendrait à casser le système.

Voulez-vous que nous vous réclamions le RMI et l'application des 35 heures en Polynésie française ? Nous n'en voulons pas. Nous voulons être responsables, nous voulons travailler et, par l'effort, développer notre économie. La mesure qu'a voulu supprimer l'Assemblée nationale nous est nécessaire, et nous vous demandons donc de la rétablir, mes chers collègues.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre appui, et je retire ce que j'ai pu dire de Bercy puisque Bercy n'a apparemment rien à voir dans tout cela, comme l'avenir, j'espère, nous le confirmera.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Mon explication sera très brève : j'appuie totalement l'amendement de notre excellent collègue Gaston Flosse.

Ce n'est pas par des votes rapides qu'il convient de remettre en cause des situations existantes. Il faut lutter contre les fraudes, c'est absolument vrai, mais il ne faut pas hâtivement bouleverser les règles applicables dans les départements et territoires d'outre-mer.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s II-14 rectifié et II-89.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe de l'UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)


M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 105 :

Nombre de votants292
Nombre de suffrages exprimés292
Majorité absolue des suffrages147
Pour285
Contre7

Le Sénat a adopté. (M. Gaston Flosse applaudit.)

En conséquence, l'article 60 A est supprimé.

Articles additionnels avant l'article 60

Art. 60 A
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Art. 60

M. le président. L'amendement n° II-172, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

« Avant l'article 60, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« I. - Au f du 1 de l'article 195 du code général des impôts, la mention : "75 ans" est remplacée par la mention : "70 ans".

« II. - Au 6 du même article, la mention : "75 ans" est remplacée par la mention : "70 ans".

« III. - Les tarifs fixés à l'article 978 du code général des impôts sont relevés à due concurrence. »

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Cet amendement porte sur le quotient familial applicable aux revenus imposables. Chacun le sait, le code général des impôts prévoit expressément des majorations d'une demi-part du quotient familial dans certaines situations, dont celle d'ancien combattant de la Résistance.

Le bénéfice de ces dispositions, pour les contribuables mariés ou non, est toutefois conditionné par l'âge. En l'état actuel, l'âge de référence est fixé à soixante-quinze ans.

Cet amendement, qui répond à une revendication ancienne des associations nationales d'anciens combattants, et notamment des volontaires de la Résistance, vise à ramener l'âge de référence à soixante-dix ans.

En l'état actuel, le coût fiscal de la mesure est relativement limité, soit 200 millions d'euros, coût estimé bien sûr dans le tableau des voies et moyens annexé au projet de loi de finances pour 2004.

L'adoption de notre amendement traduirait clairement l'attachement de la collectivité nationale à celles et à ceux qui ont su la défendre quand cela n'était pas le moins périlleux.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet amendement vise à abaisser de soixante-quinze à soixante-dix ans l'âge à partir duquel les titulaires de la carte du combattant ou d'une pension d'invalidité, ou leur veuve, qui entrent dans la catégorie des contribuables célibataires, divorcés ou veufs peuvent voir leur revenu imposable divisé par 1,5.

Cette proposition n'est pas facile à chiffrer mais elle a un coût non négligeable. Elle a toutefois le mérite d'attirer l'attention sur le caractère un peu arbitraire de certaines règles du régime du quotient familial.

Pourquoi en effet retenir un seuil de soixante-quinze ans plutôt que celui de soixante-dix ans ?

Dans le cas présent, le bénéfice de la demi-part présente en réalité un caractère indemnitaire. Il peut paraître contestable, en droit fiscal, de l'accorder alors qu'il ne s'agit pas de compenser des charges réelles. Or il s'agirait bien en l'occurrence d'étendre le bénéfice de la demi-part à de nouvelles catégories de contribuables.

La commission estime que cette mesure devra être revue à l'occasion d'une remise à plat des différents avantages catégoriels accordés en matière d'impôt sur le revenu et replacée dans un contexte plus large. La modifier isolément ne serait pas nécessairement de bonne politique, car ce serait peu lisible et laisserait de nombreux problèmes sans solution.

C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Alain Lambert, ministre délégué. Comme M. le rapporteur général le disait à l'instant, il faut en revenir à la notion de quotient familial, l'objet étant de proportionner l'impôt aux charges du foyer, qu'il s'agisse des charges de familles ou des charges liées à l'invalidité.

La demi-part supplémentaire accordée au titre de la qualité d'ancien combattant constitue une importante dérogation aux principes du quotient familial.

Comme tout avantage fiscal dérogatoire, ce supplément de quotient familial ne peut être préservé que s'il garde un caractère très exceptionnel. Dès lors, il n'est ni justifié ni cohérent d'abaisser l'âge qui conditionne le bénéfice de ce dispositif.

C'est ce qui conduit le Gouvernement à émettre un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-172.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° II-173, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

« Avant l'article 60, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« I. - Le bénéfice du décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites est étendu aux orphelins de déportés par mesure de répression, à ceux des fusillés et massacrés pour faits de résistance à l'occupation.

« II. - Le droit de timbre sur les opérations en bourse, prévu à l'article 978 du code général des impôts, est relevé à due concurrence. »

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Cet amendement trouve toute sa place en fin de deuxième partie de la discussion du projet de loi de finances, compte tenu du fait que nous statuons pour l'heure sur les revenus susceptibles de bénéficier de dispositions dérogatoires au droit commun en matière d'imposition.

En effet, en l'an 2000, pour faire droit aux légitimes demandes des familles de victimes des persécutions antisémites pendant la Seconde Guerre mondiale qui n'étaient pas indemnisées par les gouvernements de la République d'Allemagne fédérale et de la République autrichienne, le gouvernement de l'époque avait pris un décret d'indemnisation des victimes de ces persécutions, dont voici quelques-unes des dispositions :

« Article 1er. - Toute personne dont la mère ou le père a été déporté à partir de la France dans le cadre des persécutions antisémites durant l'Occupation et a trouvé la mort en déportation a droit à une mesure de réparation, conformément aux dispositions du présent décret, si elle était mineure de vingt et un ans au moment où la déportation est intervenue.

« Sont exclues du bénéfice du présent décret les personnes qui perçoivent une indemnité viagère versée par la République fédérale d'Allemagne ou la République d'Autriche à raison des mêmes faits. »

« Article 2. - La mesure de réparation prend la forme, au choix du bénéficiaire, d'une indemnité au capital de 180 000 francs ou d'une rente viagère de 3 000 francs par mois. »

Les termes du décret peuvent évidemment avoir changé pour ce qui concerne les montants visés, qui ont été traduits en euros, mais l'esprit demeure le même.

Il est évident que nous ne pouvons, comme l'ensemble de la communauté nationale, que nous féliciter de ce que cette décision ait été prise, ne serait-ce qu'au regard du traumatisme qu'ont représenté la déportation massive et la politique d'extermination menées par les nazis, avec le soutien et l'assistance du régime de Vichy, contre les personnes de confession juive résidant en France.

Cependant, il est pour le moins regrettable que la même disposition n'ait pas été prise en faveur des orphelins dont les parents ont été victimes de la barbarie nazie pour des motifs liés à leur engagement politique dans la Résistance.

Une telle situation crée une distinction inutile et quelque peu gênante entre victimes de la même insupportable barbarie.

Nous avions donc déposé, dès la publication de ce décret, une proposition de loi visant à étendre le bénéfice des dispositions de ce dernier à l'ensemble des familles ayant eu à souffrir des actes commis par les troupes d'occupation.

Cet amendement tend, de surcroît, à garantir le caractère indemnitaire de la réparation prévue par le décret de 2000.

Nous invitons donc le Sénat à l'adopter.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est là une question, moralement très préoccupante, que le Sénat connaît bien et qui avait été soulevée de nouveau lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances, par le biais d'un amendement déposé par M. Michel Mercier.

Vous nous aviez alors indiqué, monsieur le ministre, que vous nous apporteriez, à l'occasion de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances, des éléments d'information sur la date à laquelle le décret tant attendu est susceptible d'être pris.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, c'est ici une question d'équité, une question de mémoire ; toutes les composantes du monde de la déportation attendent cette réparation. Il s'agit d'une oeuvre de justice que nous devons accomplir. Il existe d'ailleurs un consensus sur ce sujet à l'issue des récents travaux de la commission Dechartre.

Par conséquent, peut-être détenez-vous, monsieur le ministre, les éléments d'information supplémentaires attendus quant à la date de publication du décret évoqué ? Cela devrait permettre, du moins je l'espère, de répondre aux préoccupations de nos collègues et de les amener à retirer leur amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Alain Lambert, ministre délégué. Je confirme tout à fait les propos que M. le rapporteur général vient de tenir et qui reflètent fidèlement les échanges que nous avons eus au sein de cette assemblée sur cette question.

Comme M. le Premier ministre l'a indiqué à la suite de la remise du rapport de M. Dechartre, le Gouvernement a décidé d'accorder à tous les orphelins de victimes de la barbarie nazie une indemnisation identique à celle dont bénéficient les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites.

Mon collègue M. Hamlaoui Mekachera est chargé d'élaborer le dispositif ad hoc, qui devra entrer en vigueur une fois les travaux préparatoires achevés. Ceux-ci sont assez lourds ; je ne l'avais pas caché à la Haute Assemblée lorsque nous avions évoqué ce sujet à l'occasion de l'examen de la première partie du projet de loi de finances.

En tout état de cause, je comprends tout à fait la préoccupation exprimée par les auteurs de l'amendement, qui est d'ailleurs partagée sur toutes les travées de cet hémicycle. Il est important que vous sachiez, mesdames, messieurs les sénateurs, à quel horizon cette question va être réglée.

Comme vous ne l'ignorez pas, nous devons saisir le Conseil d'Etat, ce qui me conduit à situer l'aboutissement de ce dossier aux alentours de la fin du mois de juin 2004. Dès lors, j'indique aux auteurs de l'amendement que je respecterai aujourd'hui l'engagement que j'avais pris à l'occasion de la discussion de la première partie du projet de loi de finances, non pas de présenter une solution dès maintenant, mais de fixer une date pour la mise en oeuvre du décret, comme M. le rapporteur général m'y a invité : vers la fin du mois de juin 2004, la procédure administrative devant le Conseil d'Etat sera, je l'espère, achevée.

Sur la base de cet engagement, je demande à M. Thierry Foucaud de bien vouloir retirer son amendement. A défaut, je serai contraint d'en préconiser le rejet. En effet, sa rédaction rend la disposition présentée inapplicable et, en tout état de cause, un décret aura permis de résoudre la grave question soulevée d'ici à la fin du mois de juin 2004.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, pour explication de vote.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre, nous maintenons notre amendement.

Cela étant précisé, je souhaiterais retracer l'historique de cette affaire.

Le gouvernement précédent avait pris, par un décret du 13 juillet 2000, des mesures instituant une réparation au bénéfice des seuls orphelins des victimes des persécutions antisémites de la part de l'occupant et de ceux qui le soutenaient.

Bien évidemment, ces mesures n'avaient pas manqué d'être perçues comme injustes et discriminatoires vis-à-vis notamment des orphelins de déportés résistants et politiques, voire comme un défaut de reconnaissance publique à l'égard de la Résistance.

Cette situation inique ne peut plus perdurer : c'est ce qu'affirment avec force et à bon droit les associations représentatives du monde résistant et déporté. Aussi était-ce avec satisfaction que, le 2 septembre dernier, nous avions reçu l'engagement solennel de M. le Premier ministre, au nom du Gouvernement, de mettre fin à cet état de choses en étendant le dispositif institué par le décret à tous les orphelins victimes de la barbarie nazie.

Cette annonce faisait logiquement suite à la remise au Gouvernement du rapport de M. Philippe Dechartre, ancien résistant et ancien ministre du général de Gaulle, qui avait été chargé, conformément à l'article 115 de la loi de finances de 2003, adopté, je le rappelle, à l'unanimité des membres du Parlement, d'étudier la possibilité de cette extension.

Cependant, promettre et ne pas tenir, qui plus est pour réaliser des économies budgétaires dans un contexte de rigueur, c'est, monsieur le ministre, prendre le risque d'ajouter l'insulte à l'injustice vis-à-vis de la mémoire de la Résistance et de la déportation.

Monsieur le ministre, la mesure tant attendue figurait en bonne place dans la brochure illustrée que le secrétaire d'Etat aux anciens combattants a éditée pour présenter son projet de budget pour 2004. Comment se fait-il que son financement ne soit pas prévu pour l'année prochaine et que la ligne budgétaire correspondante ne figure ni dans le projet de budget du secrétariat d'Etat aux anciens combattants ni dans celui des services du Premier ministre au côté des crédits affectés à l'indemnisation des orphelins de déportés juifs, qui ont été réévalués de 64 millions d'euros à 74 millions d'euros ?

On nous a répondu à plusieurs reprises que le Gouvernement attendait une définition précise du périmètre d'éligibilité à la mesure pour prendre les décrets nécessaires ; or nous estimons que cette explication n'est plus recevable.

En effet, rien, monsieur le ministre, ne vous empêchait d'ouvrir, dès l'élaboration de ce projet de loi de finances initial, une ligne budgétaire spécifique, ce qui aurait permis de nous rassurer quant à la prise des décrets en 2004.

M. Jacques Baudot, rapporteur spécial des crédits du secrétariat d'Etat aux anciens combattants. S'appuyant sur les résultats des études réalisées par M. Dechartre et sur une estimation du nombre des bénéficiaires potentiels, qui serait compris entre 7 000 et 12 000, a considéré que le coût maximal de l'application de la mesure serait de 187 millions d'euros la première année et de 35,5 millions d'euros les années suivantes. Vous pouviez parfaitement, monsieur le ministre, inscrire les 187 millions d'euros au projet de budget à ce titre, pour ensuite ajuster le montant des crédits ouverts dans le cadre du collectif budgétaire pour 2004.

Quant à la question du périmètre du champ d'éligibilité, je reconnais que celui-ci peut être difficile à délimiter à la marge. Toutefois, vous semblez laisser entendre qu'il faudra plus d'un an pour le fixer définitivement.

Nous avons interrogé sur ce point les associations d'anciens déportés et d'anciens résistants, et il nous semble que l'on pouvait trouver une solution, en définissant les bénéficiaires des mesures de réparation comme les personnes qui étaient mineures au moment de l'arrestation ou de la mort de l'un des leurs, c'est-à-dire âgés de moins de vingt et un ans à l'époque, et dont la mère ou le père est décédé dans les conditions suivantes : en déportation après avoir été déporté pour faits de résistance ou pour raison politique ; fusillé ou massacré pour faits de résistance ou par mesure de répression en tant qu'otage, par exemple, par l'occupant nazi ou les agents de Vichy ; en tant que résistant et patriote en combattant contre l'occupant ou les forces de Vichy lors de son arrestation ou de sa détention par eux.

Quoi qu'il en soit, il est inutile d'attendre la délimitation définitive du périmètre d'éligibilité pour tenir la promesse de M. le Premier ministre et inscrire la mesure dans le projet de loi de finances pour 2004. Vous évoquez la fin du premier semestre de 2004, monsieur le ministre, mais vous ne prenez aucun engagement réel. Cela n'est pas de nature, vous le comprendrez, à rassurer les orphelins et les associations de résistants et de déportés.

Certes, le coût de la mesure n'est pas négligeable, mais cela est normal, car il reflète l'ampleur de la Résistance française. De plus, une considération financière doit-elle entraver l'exercice du devoir de reconnaissance de la nation envers les résistants et les déportés ? C'est pourtant ce que semble signifier le refus du Gouvernement d'inscrire au projet de budget l'indemnisation de toutes les victimes de la barbarie nazie.

L'austérité budgétaire ne pouvant que se renforcer dans les années à venir, on ne peut que douter que vous preniez réellement cette mesure de réparation à l'avenir. Vous comprendrez donc que nous maintenions notre amendement, monsieur le ministre. Il s'agit pour nous d'exiger ainsi des actes de la part du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Lambert, ministre délégué. Je ne sais plus si c'est au Sénat ou à l'Assemblée nationale que j'ai déclaré qu'il ne fallait pas ajouter l'indignité à l'indicible.

Madame Beaudeau, le Gouvernement ne souhaite pas mettre en place un dispositif imparfait, comme peut l'être celui du décret du 13 juillet 2000. Il ne faut pas retomber dans le même travers.

Pour l'heure, ce ne sont pas des considérations budgétaires qui entrent en ligne de compte. Vous semblez croire, madame Beaudeau, que la délimitation du périmètre d'éligibilité est une tâche facile à accomplir ; je vous affirme le contraire. Il est vrai que c'est nous, et non pas vous, qui devons réaliser ce travail !

En tout état de cause, nous sommes à l'oeuvre. J'ai été loyal depuis le début de la discussion sur ce sujet. Nous pouvons être en désaccord sur de nombreux points, mais je ne doute pas de votre sincérité, et je vous demande donc de ne pas douter de la mienne : j'ai pris des engagements, je les tiendrai !

Quoi qu'il en soit, si cet amendement doit être maintenu, nous appliquerons le droit. Or votre proposition, madame Beaudeau, n'est pas conforme au droit républicain. Je demanderai donc à la commission des finances, en cas de maintien de l'amendement, si l'article 40 est applicable à celui-ci. Je suis très attaché à un dialogue républicain attentif, respectueux des opinions des uns et des autres, madame Beaudeau, mais si vous essayez de me forcer la main, je vous répondrai dans des termes de droit.

C'est une question de confiance entre nous ! Je me suis engagé à traiter le sujet sincèrement, je tiendrai mon engagement. Mais si vous voulez vous placer sur un terrain juridique, madame Beaudeau, nous verrons bien quelle sera la réponse du droit ! Si l'amendement n'est pas retiré, monsieur le président, j'invoquerai l'article 40 de la Constitution.

M. le président. La parole est à M. Denis Badré, pour explication de vote.

M. Denis Badré. C'est moi qui ai défendu, lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances, l'amendement que M. Mercier avait déposé sur ce thème. M. le ministre nous avait alors fixé rendez-vous à la discussion de la seconde partie du projet de budget, et il y est présent.

Même si sa réponse, selon laquelle le décret devrait être prêt avant la fin du mois de juin 2004, est un peu moins certaine qu'un engagement à régler le dossier, par cette voie ou par toute autre, d'ici au 30 juin 2004, je préfère, pour ma part, une solution parfaite à cette date qu'une solution imparfaite au 1er janvier 2004.

C'est pourquoi, alors que j'avais défendu un amendement similaire avec passion compte tenu de la douleur qui sous-tend ce problème tout à fait insupportable, que nous devons traiter d'urgence, je ne voterai pas l'amendement défendu par Mme Beaudeau, s'il devait être maintenu.

M. le président. Madame Beaudeau, l'amendement n° II-173 est-il maintenu ?

Mme Marie-Claude Beaudeau. Oui, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. Je ne comprends pas très bien la position de la majorité sénatoriale. M. le rapporteur général a parlé d'équité, de mémoire et de consensus. Il a rappelé que le monde des anciens combattants attendait une solution conforme à celle que nous proposons et sur laquelle, du moins je l'espère ! nous sommes tous ici d'accord. Pourtant, il nous est demandé, une nouvelle fois, de retirer un amendement de justice, en vertu de prétendus engagements qui, pour l'heure, ne se traduisent par aucun crédit sur aucune ligne budgétaire.

A la suite de mon amie Marie-Claude Beaudeau, je confirme le maintien de l'amendement n° II-173.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Lambert, ministre délégué. Je voudrais souligner, à l'adresse de la Haute Assemblée, que mon intention n'est nullement d'empêcher qui que ce soit de s'exprimer, dans la mesure permise par le règlement. Cela étant précisé, j'invoque l'article 40 de la Constitution contre l'amendement n° II-173.

M. le président. L'article 40 de la Constitution est-il applicable, monsieur le rapporteur général ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Oui, monsieur le président, il l'est.

M. le président. L'article 40 étant applicable, l'amendement n° II-173 n'est pas recevable.

Monsieur le ministre, nous avons pris acte de votre déclaration quant aux perspectives offertes.