compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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Dossier législatif : projet de loi de modernisation de la fonction publique
Discussion générale (suite)

modernisation de la Fonction publique

Adoption d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de la fonction publique
Article 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation de la fonction publique (n° 440, 2005-2006 ; 113).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique. Monsieur le rapporteur, je voudrais tout d'abord vous remercier de la remarquable qualité de votre très dense rapport - 300 pages avec les annexes ! - qui nous a beaucoup aidés à améliorer notre texte, vous remercier aussi de l'étroite collaboration qui a marqué la préparation de cette discussion.

Le projet de loi soumis à votre examen a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 28 juin dernier. Je crois utile de le replacer dans le cadre général de l'action que mène le gouvernement de Dominique de Villepin depuis dix-huit mois sur ces sujets.

Tout d'abord, ce projet de loi concrétise le dialogue social qui s'est installé dans la fonction publique tout au long de l'année 2006, après la signature le 25 janvier dernier des accords - les premiers, il faut le rappeler, depuis huit ans - conclus avec la CFDT, la CFTC et l'UNSA, l'Union nationale des syndicats autonomes, sur l'amélioration des déroulements de carrière et l'évolution de l'action sociale.

S'il a été possible de signer ces accords, c'est que les partenaires sociaux ont une nouvelle approche du pouvoir d'achat des fonctionnaires, qui découle tout autant des mesures salariales, bien sûr, que des améliorations statutaires en faveur des agents, en particulier ceux de la catégorie C, ou de mesures sociales comme la mise en place du chèque emploi-service universel.

Ce qui a animé le Gouvernement, la CFDT, la CFTC et I'UNSA, c'est ensuite l'idée que les fonctionnaires veulent aujourd'hui des carrières offrant de fortes perspectives. Ces perspectives, ils espèrent en trouver d'abord dans une formation professionnelle renouvelée, accompagnée d'un droit nouveau : le droit individuel à la formation, ou DIF. J'ai ainsi eu l'occasion de signer le 21 novembre dernier avec la CFDT, la CFTC et la CGC le premier accord sur la formation professionnelle intervenu depuis dix ans dans la fonction publique.

Les fonctionnaires espèrent aussi une plus grande mobilité dans leur carrière, c'est-à-dire la possibilité de varier leurs postes entre ministères ou entre les fonctions publiques d'État, territoriale ou hospitalière. Certains fonctionnaires sont également prêts à tenter l'expérience du secteur privé. C'est pourquoi le présent projet de loi traitera aussi de la déontologie.

Enfin, les fonctionnaires et leurs employeurs attendent aujourd'hui plus de souplesse pour cumuler leurs activités, professionnelles et personnelles. Le projet de loi offrira donc une simplification des règles de cumul d'activités.

Je souhaite préciser que ce texte traite des principes généraux communs aux trois fonctions publiques et qu'il est en totale adéquation avec le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale que votre Haute Assemblée a adopté la nuit dernière.

Permettez-moi, après cette rapide introduction, d'entrer dans le détail du projet de loi.

Le premier chapitre traite de la formation professionnelle des agents publics. Celle-ci, qui occupait déjà une place centrale dans l'accord conclu le 25 janvier 2006, a donné lieu, le 21 novembre dernier, à la signature d'un nouveau protocole d'accord, qui détaille notamment les modalités de mise en oeuvre dans la fonction publique du droit individuel à la formation et de la reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle. Ces dispositions font l'objet d'une très forte attente de la part des fonctionnaires.

Ainsi, conformément à l'accord du 25 janvier 2006, le projet de loi, dans son article 1er, étend aux fonctionnaires le bénéfice du congé pour validation des acquis de l'expérience ainsi que du congé pour bilan de compétences. Les fonctionnaires bénéficieront en la matière des droits ouverts aux salariés du privé, depuis le 17 janvier 2002, par la loi de modernisation sociale.

L'article 2 du projet de loi introduit le droit individuel à la formation dans la fonction publique. Là aussi, il s'agit d'étendre aux fonctionnaires des avancées sociales profitant aux salariés du privé.

Les articles 5 et 6 autorisent la reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle dans les parcours professionnels, notamment en substitution d'une épreuve de concours ou au titre de la promotion interne. Cette prise en compte de l'expérience ne signifie en rien l'abandon des concours, mais indique dans quel sens ceux-ci doivent évoluer : le Président de la République nous avait déjà alertés voilà un an, les épreuves sont parfois trop académiques et déconnectées de la vie professionnelle.

Des dérogations aux conditions de diplôme seront aussi possibles pour l'inscription aux concours. La prise en compte de l'expérience professionnelle facilitera également les « secondes carrières », notamment pour les personnes venant du secteur privé.

Le deuxième chapitre adapte les règles de la mise à disposition des fonctionnaires pour rendre plus aisée leur mobilité entre fonctions publiques et entre ministères eux-mêmes. L'entrée en vigueur de la LOLF entraînait la nécessité de clarifier les règles en la matière ; par ailleurs, un récent rapport de l'inspection générale des finances avait mis en lumière des dérives.

Le projet de loi répond à ces exigences et va même plus loin en permettant de faire de la mise à disposition un instrument général favorisant la mobilité des fonctionnaires. Il sera ainsi possible de mettre un fonctionnaire à disposition d'une fonction publique à l'autre, entre ministères, au sein des établissements publics, mais aussi en faveur d'organismes contribuant à la mise en oeuvre des politiques de l'État, des collectivités territoriales ou des établissements publics. Les pôles de compétitivité, par exemple, pourront bénéficier de ces mises à disposition.

L'administration d'origine et l'employeur devront passer une convention, et la mise à disposition sera remboursée. M. le rapporteur fera un certain nombre de propositions d'amendements pour aller plus loin encore, notamment, étendre certains dispositifs de mise à disposition aux fonctions publiques hospitalière et territoriale ; je ne peux que m'en réjouir. L'objectif est bien de faire de la mise à disposition un instrument de plus grande souplesse pour la gestion des ressources humaines.

Afin d'encourager les échanges entre secteur public et secteur privé, le troisième chapitre modernise les règles de déontologie. Il s'agit de permettre aux fonctionnaires d'effectuer des parcours professionnels plus variés et aux employeurs de tirer profit des nouvelles compétences ainsi acquises.

Les articles 10 et 11 instituent donc un nouveau dispositif : l'autorité de la commission de déontologie, désormais unique et indépendante, serait renforcée ; les agents qui exercent des fonctions de contrôle ou de responsabilité auraient l'obligation de passer devant la commission de déontologie et seraient sanctionnés pénalement s'ils ne se pliaient pas à cette règle ; le respect des avis de la commission de déontologie deviendrait obligatoire pour l'administration.

En outre, le délai d'incompatibilité entre des fonctions de responsabilité ou de contrôle dans l'administration et des fonctions similaires dans le secteur privé se trouverait réduit. Le Gouvernement souhaitait initialement le fixer à deux ans, à l'instar des règles appliquées dans les autres pays de l'OCDE ; l'Assemblée nationale a préféré retenir un délai de trois ans ; votre commission des lois a souhaité revenir sur certaines dispositions. Nous en débattrons.

Afin d'offrir une plus grande souplesse aux employeurs comme aux agents, le quatrième chapitre simplifie le régime des cumuls d'activités et encourage la création d'entreprises par des agents publics.

Le principe général est celui de l'interdiction : un fonctionnaire doit se consacrer totalement à son travail. Parallèlement, cependant, des dérogations sont possibles, et la façon de les accorder est assouplie : c'est à chaque chef de service d'apprécier si un cumul peut ou non nuire à l'intérêt du service ou à sa bonne exécution.

Le projet de loi vise également à favoriser les liens entre public et privé. Ainsi, le cumul d'une activité publique et d'une activité privée sera autorisé pendant un an pour créer une entreprise ; l'agent pourra soit rester employé à temps plein dans la fonction publique, soit bénéficier de droit d'une autorisation de travail à temps partiel. Le cumul sera également autorisé, dans les conditions de droit commun, pour les agents à temps partiel. Je rappelle à cet égard que le temps partiel est trop souvent un temps contraint, pour les femmes, particulièrement dans les petits grades.

Je ne vais pas énumérer ici toutes les dispositions diverses du chapitre V. Je mentionnerai cependant l'article 18, qui facilite le regroupement des commissions administratives paritaires, les CAP.

La fusion des corps de fonctionnaires constitue l'un des outils de la mobilité, car elle rapproche les règles de gestion, par exemple entre attachés du ministère des finances et attachés de l'équipement, qui n'ont pour l'heure ni les mêmes règles d'entrée ni les mêmes règles de promotion ou de rémunération. La fonction publique d'État, au 1er janvier 2006, comptait 1 200 corps, dont plus de 900 étaient « vivants ». Nous nous étions donné pour objectif de fusionner 10 % des corps par an. Nous sommes bien au-delà puisque en 2006 nous supprimons 234 corps, soit 25 % d'entre eux. L'article 18, en permettant de regrouper les CAP communes à plusieurs corps, facilitera ce travail.

Je souhaite mentionner également l'article 24 quater du projet de loi, qui permettra aux employeurs publics d'aider la protection sociale complémentaire des fonctionnaires. Cette disposition est très attendue par le monde mutualiste depuis que le Conseil d'État et la Commission européenne ont respectivement abrogé un arrêté qui autorisait ce type d'aide et ouvert une enquête, à la suite d'une plainte, pour déterminer si le droit européen des aides d'État était respecté.

L'article 24 quater marque une première étape dans la définition d'un dispositif nouveau, en étroite concertation avec les syndicats et les mutuelles de la fonction publique. La protection sociale des fonctionnaires pourra ainsi devenir un nouveau champ de discussion entre les employeurs publics et les partenaires sociaux.

Enfin, j'en viens aux amendements.

Le Gouvernement a déposé un amendement visant à permettre l'application au 1er novembre 2006 des mesures indiciaires concernant les catégories B et C qui découlent de l'accord du 25 janvier dernier sur l'amélioration des carrières. Son adoption permettrait le respect de l'engagement pris auprès des partenaires sociaux signataires.

Le Gouvernement propose également un amendement ayant pour objet de mettre en place l'expérimentation du remplacement de la notation chiffrée par l'entretien d'évaluation. Une longue concertation s'est déroulée sur ce sujet avec les partenaires sociaux, puisque j'avais commandé un rapport voilà un an et que les syndicats ont tous été consultés à quatre reprises sur ce projet. Pour tenir compte de leurs remarques, le Gouvernement propose d'ouvrir cette faculté aux seules administrations qui le souhaitent, étant entendu que le remplacement de la notation par l'entretien d'évaluation n'interviendra qu'après une large consultation interne à chacune d'entre elles. L'expérimentation ne pourra durer plus de trois ans, et le Parlement recevra en 2010 un rapport sur sa mise en oeuvre.

En conclusion, je tiens à dire que le Gouvernement est attaché à donner une nouvelle impulsion à la modernisation de la fonction publique, au bénéfice des usagers comme des agents et en étroite concertation avec les partenaires sociaux. Je souhaite donc, comme je m'y suis engagé, une entrée en vigueur la plus rapide possible des mesures contenues dans ce projet de loi. Certains des décrets nécessaires à leur application sont d'ores et déjà prêts et sont actuellement soumis à concertation, de façon à pouvoir être publiés, comme M. le président de la commission y est très attaché, rapidement après le vote du projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le projet de loi de modernisation de la fonction publique, qui a été adopté, en première lecture, le 28 juin dernier par l'Assemblée nationale, a pour objet de mettre en oeuvre les accords portant sur l'action sociale et l'évolution statutaire dans la fonction publique conclus par le Gouvernement et les partenaires sociaux, notamment la CFDT, l'UNSA et la CFTC.

Nombre des dispositions relatives notamment à la formation professionnelle et à la reconnaissance des acquis de l'expérience professionnelle sont identiques à celles qui figurent dans le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale, que le Sénat a adopté la nuit dernière en deuxième lecture.

La fonction publique française évolue, sûrement plus dans les comportements des individus qui la composent que dans l'idée que continuent de s'en faire ceux qui la représentent ou que dans le droit qui la règlemente.

C'est peut-être ce qui explique que le droit de la fonction publique progresse lentement et procède de manière insensible, par touches successives, souvent sous la pression, de facteurs extérieurs ou d'accords ponctuels entre les acteurs concernés, et non par de grandes réformes qui bousculeraient la culture de ce corps hétérogène et dont le nombre global continue de progresser, même si les effectifs de la fonction publique d'État tendent à diminuer depuis quelques années.

L'administration, qui est la plus importante du monde occidental, semble se transformer très lentement, surtout si on la compare aux fonctions publiques de tous les pays voisins, notamment ceux de l'Union européenne, lesquelles changent radicalement depuis quelques décennies, y compris sous l'égide de majorités et de gouvernements de gauche.

La réduction de la fonction publique sous statut aux seuls domaines régaliens, le passage du statut à la convention collective, la gestion des agents publics par des autorités administratives indépendantes, l'alignement sur le droit privé du travail sont autant de formes de mutation en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni, dans les pays scandinaves ou encore en Espagne.

L'évolution qui s'est produite en France ces dernières années montre qu'un mouvement de réforme se dessine et a même commencé. Officiellement, nous sommes toujours sous l'emprise du statut de la fonction publique, dont je vous rappelle, sans vouloir polémiquer, que les deux auteurs en ont été Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste et alors vice-président du Conseil chargé notamment de la fonction publique, en 1946, et Anicet Le Pors, ministre communiste chargé de la fonction publique de 1981 à 1984.

Cette continuité, qui est absolument sans équivalent dans les pays démocratiques du monde occidental, ne peut que traduire une certaine conception de l'administration, dont la logique statutaire est déclinée jusqu'à l'extrême. Ainsi, d'une part, la promotion à l'ancienneté et l'égalitarisme des traitements rend l'évaluation au mérite difficile et, d'autre part, la protection contre l'arbitraire hiérarchique, qui est une bonne idée, rend la révocation quasiment impossible.

Dans la pratique, cette conception est aujourd'hui devenue inapplicable, car elle se heurte à la nécessité d'avoir une gestion plus efficace des services publics, à la volonté de l'Union européenne d'avoir une approche globale du droit du travail qui dépasse la division entre le public et le privé et, enfin, au redimensionnement de l'État sur ses fonctions régaliennes traditionnelles. C'est ainsi que le législateur a été obligé, en 1983 et 1984, de modifier les textes en vigueur.

Cette situation est notamment due à l'évolution contractuelle du droit. J'entends par là non pas la disparition fatale du statut, mais une évolution des mentalités.

Les agents eux-mêmes demandent d'ailleurs davantage de mobilité au sein de leur administration, entre les différentes administrations, entre le secteur public et le secteur privé. Les règles statutaires doivent donc immanquablement être moins rigides, afin de permettre à chaque individu de pouvoir négocier sa mobilité.

Par ailleurs, la contractualisation personnelle du statut se double d'une demande de dialogue social qui conduit à la renaissance, on l'a vu cette année, des accords collectifs qui ont été signés entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, et nous devons nous en féliciter.

En outre, le recours à la contractualisation collective est renforcé par l'application du droit européen, sous forme de directives, et le Parlement est souvent appelé à transposer dans notre droit interne des conventions collectives passées, à l'échelle européenne, entre les partenaires sociaux.

Aujourd'hui, le droit européen pèse de plus en plus sur notre droit du travail, car les normes européennes ont une valeur supérieure au droit national. Le droit du travail devient supérieur au droit de la fonction publique et s'impose à lui alors qu'il ne le pénétrait jusqu'à présent que par doses homéopathiques via la jurisprudence du Conseil d'État.

Comme M. le ministre l'a souligné, n'oublions pas non plus de mentionner l'influence de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, car les administrations sont obligées de raisonner à partir d'autres critères, en mettant notamment l'accent sur l'efficacité, la performance et l'évaluation des agents. Mais nous reviendrons, au cours de l'examen du texte, sur les effets entraînés par la LOLF.

Ainsi, le droit statutaire de la fonction publique devient progressivement un droit public du travail qui se développe au sein et aux marges du vieux droit statutaire, dont tous les spécialistes du droit administratif reconnaissent, parfois à regret, qu'il a aujourd'hui épuisé sa capacité de développement.

Sous l'influence du droit européen, du droit général du travail, des nouveaux modes de gestion publique, de la cohabitation durable de deux catégories d'agents, statutaires et contractuels et dans un contexte de redistribution des rôles entre les différents niveaux d'administrations publiques et de recentrage des missions de l'État, la fonction publique traverse une mutation dont elle sortira renouvelée et plus forte si ces réformes réussissent, et il faut qu'elles réussissent !

La fonction publique est le fruit de l'histoire nationale de chaque État. Il n'est pas sérieux de vouloir l'évaluer à l'aune d'un modèle unique, qu'il soit européen ou libéral. Les mutations qu'elle connaît ont pour objectif non pas de la détruire ou de la diluer, mais de moderniser sa gestion, de démocratiser son fonctionnement et de rendre plus efficace l'exercice de ses missions.

Le projet de loi de modernisation de la fonction publique doit donc être lu et évalué dans le cadre de ce processus, un processus qui n'est qu'à ses débuts.

J'en viens maintenant plus particulièrement au contenu de ce projet de loi.

Le projet de loi de modernisation de la fonction publique comprenait vingt-six articles lors de son dépôt. Il en compte aujourd'hui quarante-deux, à l'issue de son examen en première lecture par l'Assemblée nationale. Nous pouvons craindre le pire au terme de la première lecture par le Sénat ! (Sourires.)

Si les députés n'ont apporté que peu de modifications de fond aux dispositions qui leur étaient soumises, ils ont, en revanche, inséré dix-sept articles additionnels portant sur des sujets extrêmement divers, dont dix sur l'initiative du Gouvernement. Ils sont souvent destinés à régler des situations particulières et illustrent malheureusement la jurisprudence toute récente du Conseil constitutionnel, pourfendant la dénaturation des lois par des amendements sans rapport réel avec l'objet de la norme. Même si nous savons que c'est le lot des fins de session et, plus encore, de la fin d'une législature, la commission des lois, tout en faisant la part des choses, les a considérés sans bienveillance excessive. (M. le ministre sourit.)

Le Sénat est donc appelé à examiner un ensemble de mesures disparates que j'ordonnerai autour de trois thèmes : favoriser la formation et l'expérience professionnelle des agents, développer les échanges entre les administrations publiques et entre le secteur public et le secteur privé et, enfin, faciliter la gestion des ressources humaines.

Je reviendrai ultérieurement, au cours de la discussion des articles, sur ces considérations générales.

Souscrivant pleinement aux objectifs sous-tendus par ce projet de loi, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, outre des amendements rédactionnels et de coordination, plusieurs amendements tendant à modifier sur le fond le projet de loi et à préciser certaines de ses dispositions.

J'évoquerai tout d'abord l'achèvement de la réforme de la mise à disposition.

La réforme de la mise à disposition prévue par le projet de loi semble de nature à la fois à répondre aux besoins des administrations publiques et de leurs agents et à mettre un terme à certaines dérives relevées par l'Inspection générale des finances en 2004.

La mise à disposition constitue, en effet, un instrument utile pour développer les échanges entre les administrations publiques ainsi qu'entre le secteur public et le secteur privé. Au même titre que la formation, ces échanges sont indispensables pour maintenir et accroître les compétences des agents et, ainsi, améliorer le service public et le service rendu à la population.

La commission vous propose, mes chers collègues, d'autoriser la mise à disposition à temps partagé de fonctionnaires de l'État, en encadrant les possibilités de mise à disposition auprès d'organismes extérieurs aux administrations publiques et en étendant le bénéfice de la réforme aux fonctions publiques territoriale et hospitalière.

Elle vous soumettra notamment, à l'article 7, un amendement tendant à permettre la mise à disposition de fonctionnaires de l'État auprès d'un ou de plusieurs organismes pour y effectuer tout ou partie de leur service.

Cette mise à disposition à temps partagé présente l'intérêt d'apporter une plus grande souplesse dans la gestion des ressources humaines, de permettre la pluriactivité et de favoriser la mobilité.

À titre d'exemple, un agent des services déconcentrés pourra, sur une fraction de son temps de travail, prêter main-forte à ses collègues de l'hôpital ou de la commune, sans que ses conditions statutaires d'emploi s'en trouvent modifiées.

Par ailleurs, alors qu'ils peuvent être actuellement mis à disposition d'« organismes d'intérêt général », les fonctionnaires de l'État ne pourront désormais l'être qu'auprès d'« organismes contribuant à la mise en oeuvre d'une politique de l'État, des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics administratifs ».

L'objectif recherché est de restreindre le champ des mises à disposition auprès d'organismes extérieurs aux administrations publiques, afin de le limiter au périmètre du service public administratif.

Toutefois, la rédaction proposée n'interdit pas la mise à disposition de fonctionnaires auprès de sociétés à vocation commerciale.

Elle n'est pas non plus sans précédents, nous l'avons déjà vu notamment pour ce qui concerne le ministère de la défense ou l'obligation de mobilité des nouveaux fonctionnaires recrutés par l'École nationale d'administration.

La commission des lois vous propose donc un amendement ayant pour objet, en cas de mise à disposition auprès d'organismes contribuant à la mise en oeuvre d'une politique de l'État, des collectivités territoriales ou des établissements publics administratifs, de limiter l'exercice de ces missions aux seules missions de service public confiées à ces organismes.

Par exemple, un ingénieur des ponts et chaussées pourra participer à la réalisation d'une autoroute, mais il ne pourra pas exercer d'autres fonctions au sein de la société concessionnaire.

La commission des lois vous propose également deux amendements qui permettent d'étendre le bénéfice de la réforme aux fonctions publiques territoriale et hospitalière.

Les rédactions proposées constituent le décalque de celle qui a été retenue pour la fonction publique de l'État, sous réserve du maintien de quelques règles spécifiques à la fonction publique territoriale.

J'en viens maintenant au point qui a été le plus discuté, en commission, le contrôle du respect des règles déontologiques.

La commission des lois n'a pas été convaincue par la nécessité de créer la permission législative proposée par le projet de loi en matière déontologique, et conduisant à lier le contrôle pénal au contrôle déontologique précédemment effectué.

Elle comprend que, d'un point de vue juridique, l'articulation des mécanismes de contrôle entre le juge pénal et la commission de déontologie paraisse souhaitable et que l'instauration de la permission législative proposée soit séduisante. Pour autant, elle considère que cette réforme ne doit pas se faire au détriment de la garantie de la stricte application des règles déontologiques imposées aux agents, lesquelles constituent un élément essentiel de l'indépendance de l'administration et de ses agents.

Elle considère, sans remettre en cause l'important travail de la commission de déontologie et le sérieux des avis qu'elle rend, qu'elle n'offre pas les garanties d'indépendance suffisantes pour justifier que le juge pénal n'ait plus à connaître des cas éventuels de prise illégale d'intérêts où les agents auraient déjà reçu un avis de compatibilité de déontologie.

En outre, elle estime que rien ne justifie actuellement l'instauration de cette articulation entre les contrôles statutaire et pénal, dans la mesure où, en pratique, aucune décision divergente entre le juge pénal et la commission de déontologie n'a été constatée depuis la création de cette commission, c'est-à-dire depuis onze ans.

Elle propose donc un amendement tendant à supprimer cette permission législative.

S'agissant de la commission de déontologie, la commission des lois vous propose quelques aménagements.

Elle suggère tout d'abord de préciser que le magistrat de l'ordre judiciaire peut être un magistrat en activité ou honoraire et de lui prévoir un suppléant. Elle est très favorable à la présence effective d'un magistrat de l'ordre judiciaire au sein de la commission de déontologie.

Elle propose également de prévoir des suppléants pour les directeurs d'administration centrale ainsi qu'un représentant, plutôt qu'un suppléant, pour le membre de la commission représentant l'employeur de l'agent concerné, car il serait difficile de prévoir dans le décret un suppléant pour chacune de ces autorités, notamment pour les maires des 36 000 communes de France.

Enfin, elle propose d'alléger la composition de la commission de déontologie en réduisant de trois à deux le nombre de personnalités qualifiées et en ne prévoyant qu'un seul directeur d'administration centrale pour la fonction publique de l'État, un représentant d'une association d'élus de la collectivité dont relève l'intéressé pour la fonction publique territoriale, une personnalité qualifiée dans le domaine de la santé publique pour la fonction publique hospitalière et une personnalité qualifiée dans le domaine de la recherche ou de la valorisation de la recherche, lorsque s'agit de cette catégorie d'agents.

Je voudrais maintenant vous apporter des précisions sur certains dispositifs prévus par le projet de loi.

D'abord, pour ce qui concerne le droit individuel à la formation, le DIF, la commission approuve, bien entendu, cette disposition, mais elle souhaite toutefois préciser que l'autorité prend en charge les frais de formation.

Le projet de loi ne prévoit actuellement qu'une participation de l'employeur public alors que, dans le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale, les collectivités territoriales et leurs établissements publics doivent prendre en charge les frais de formation engagés dans le cadre du droit individuel à la formation.

Par ailleurs, en ce qui concerne la possibilité pour les agents publics de pouvoir créer ou reprendre une entreprise, la commission propose un amendement tendant à permettre la prolongation pour une année supplémentaire, au maximum, de la possibilité offerte à un agent public et au dirigeant d'une société ou d'une association à but lucratif de déroger pendant un an à l'interdiction du cumul d'activités.

S'agissant des concours, la commission propose de préciser que les examinateurs doivent participer aux délibérations du jury lorsque celui-ci attribue les notes des candidats aux épreuves qu'ils ont évaluées ou dirigées.

Afin de respecter le principe d'égalité de traitement des candidats, les examinateurs spécialisés ne peuvent actuellement que proposer des notes au jury qui peut ensuite les valider ou les modifier. La commission estime qu'il est utile que ces examinateurs soient présents, avec voix consultative, lors de la délibération du jury sur les notes qu'ils ont proposées.

La commission a été également saisie d'une multitude d'amendements, qui sont arrivés à la dernière minute et sur lesquels elle a été amenée à se prononcer. J'aurai l'occasion d'y revenir au fur et à mesure du débat.

Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumettra, la commission vous propose d'adopter le projet de loi qui vous est soumis. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fonction publique est aujourd'hui au coeur de nos débats, puisque juste après le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale, nous examinons à présent le projet relatif à la modernisation de la fonction publique.

Nous nous sommes opposés à ce projet hier, car il se situe dans une logique de poursuite du démantèlement du statut et des services publics.

Du point de vue gouvernemental, moderniser la fonction publique signifie, sous couvert de la rendre plus efficace, l'application pure et simple des principes de bonne gestion du secteur privé en gommant progressivement la spécificité et la qualité des services publics.

Nous en avons une illustration avec la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, l'introduction des primes à la performance ou encore les suppressions drastiques du nombre de postes depuis 2003.

Modernisation rime ici avec précarité des agents, pour lesquels une véritable revalorisation du point d'indice se fait toujours attendre, remise en cause du statut ou encore rupture d'égalité entre les usagers.

Vous envisagez même, monsieur le ministre, de supprimer la notation pour les fonctionnaires au printemps 2007.

Cette décision est lourde de conséquences. Départager des agents pour un avancement, une promotion ou une mutation doit se faire sur des éléments impartiaux, et non pas sur l'intime conviction d'un supérieur hiérarchique et sur des appréciations qui ne peuvent être comparées entre elles lors de l'entretien.

Supprimer la notation va nécessairement entraîner le soupçon de l'arbitraire concernant les décisions prises par l'autorité hiérarchique.

Il est d'ailleurs intéressant d'établir un parallèle entre l'introduction de la prime à la performance dans la fonction publique et la suppression de la notation.

Outre le fait que dans les deux cas les relations de travail risquent fort de se dégrader, c'est l'arbitraire et les pratiques discrétionnaires qui, de plus en plus, vont devenir la règle dans l'avancement de carrière des fonctionnaires.

Le Gouvernement, comme il s'y emploie depuis cinq ans dans le privé, favorise l'individualisation des relations entre les agents et leur autorité hiérarchique.

Le statut n'est plus, dans ce cas précis, la norme de référence. Ne plus avoir une telle référence est inquiétant lorsqu'il s'agit de l'organisation administrative de l'État et des services publics. De surcroît, c'est encore une fois aller à l'encontre de l'opinion des Français.

J'ai eu l'occasion de le citer dans mon intervention sur la fonction publique territoriale, mais il ressort clairement du sondage commandé à l'Institut CSA par la fédération syndicale unitaire, la FSU, que la grande majorité des sondés portent un regard positif sur la fonction publique et ses agents.

Toujours est-il qu'ils prennent le contre-pied des positions du Gouvernement et sont 67 % à penser que les métiers de la fonction publique sont « plutôt défavorisés » et 57 % à estimer que les agents « n'ont pas les moyens d'accomplir leurs missions ».

Contrairement aux clichés, la fonction publique bénéficie donc d'une bonne image chez les Français.

Le contexte dans lequel nous abordons ce projet de loi est un élément à prendre en compte.

Je procéderai maintenant à l'analyse du texte en m'efforçant d'en souligner les aspects les plus critiquables.

Le droit individuel à la formation, qui s'apparente à celui des fonctionnaires territoriaux, que le Sénat vient d'adopter, présente cependant quelques différences.

Les fonctionnaires auront droit à une « formation professionnelle tout au long de la vie », pour reprendre les termes de la loi du 4 mai 2004.

Mais, alors que pour les fonctionnaires territoriaux la durée de ce DIF est clairement fixée par la loi à vingt heures, durée que nous jugeons par ailleurs très insuffisante, l'article 3 du projet de loi reste muet sur cette durée et nous renvoie à un décret en Conseil d'État. Même la loi du 4 mai 2004 fixe expressément la durée du DIF. Pourquoi un tel silence dans le projet de loi ?

Le décret serait chargé de préciser les conditions d'exercice du DIF, notamment les conditions dans lesquelles ce droit pourrait s'exercer - en dehors du temps de travail - les modalités de compensation applicables dans ce cas, ainsi que les conditions dans lesquelles les droits acquis pourraient se cumuler sur plusieurs années et être utilisés en cas de changement d'affectation.

Comme dans le cadre de la fonction publique territoriale, le problème de l'exercice du DIF en dehors du temps de travail se pose à la lecture du dispositif.

Il en est de même concernant la prise en compte de l'expérience professionnelle de l'agent, d'une part, pour le recrutement et, d'autre part, pour la promotion interne. Le dispositif prévu aux articles 5 et 6 n'augure rien de bon sur le maintien du concours comme garantie de l'égalité de recrutement des agents.

Une fois de plus, cette disposition se place dans une logique bien précise, celle-là même qui motive la prime à la performance, qui fait l'apologie du mérite et dénature la nature de mission du fonctionnariat.

Nous sommes plus que favorables au droit à la formation pour les agents publics. Mais nous ne pourrons soutenir une réforme qui prévoit dans les faits une restriction de ce droit, qui porte en elle l'individualisation des recrutements et des carrières et remet en cause le principe même du concours et de l'égalité de traitement. Ce droit personnel est si restreint qu'il risque fort de devenir caduc.

De manière générale, ce texte entend remodeler totalement les concepts de gestion des carrières, d'avancement, de changement de corps ou de grade.

Le projet de loi modifie aussi les règles de mise à disposition. Une partie des conditions la permettant sont supprimées afin de l'assouplir. L'obligation de publicité des arrêtés de convention de mise à disposition est même supprimée.

Le risque existe donc que se multiplient les mises à disposition de complaisance, notamment s'il est possible, comme le prévoit l'article 7, de mettre des fonctionnaires à disposition auprès d'organismes contribuant à la mise en oeuvre d'une politique de l'État, des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics.

Cette rédaction floue et suffisamment imprécise pour que nous en demandions la suppression est d'autant plus surprenante que l'Inspection générale des finances a révélé dans un rapport de novembre 2004 que le dispositif actuel des mises à disposition donne lieu à des dérives. Vous l'avez vous-même évoqué tout à l'heure, monsieur le ministre. Vous en faites une analyse, mais j'ai bien peur que votre conclusion soit mauvaise.

Des associations en ont bénéficié, alors que leur raison sociale était éloignée de l'intérêt général. Mais rien dans la rédaction de l'article 3 n'empêchera de telles dérives.

La frontière entre le public et le privé est de plus en plus perméable. Y a-t-il une disposition de ce texte qui ne traduise l'envie du Gouvernement de faire fonctionner l'administration selon les règles de gestion d'entreprise ?

Cette convergence d'intérêts contradictoires ne peut se faire qu'au détriment de la reconnaissance et de la valorisation des spécificités du secteur public.

Mais c'est sans doute dans ce même esprit qu'il nous est proposé d'assouplir les règles de déontologie ou encore celles du cumul d'activités.

Le « nouveau dispositif de contrôle de déontologie relatif à l'exercice d'une activité privée » vise ni plus ni moins à soustraire le contrôle du juge et à protéger du délit de prise illégale d'intérêt les agents ayant reçu un avis de compatibilité de la commission de déontologie.

S'agissant du cumul d'activités, il est surprenant d'affirmer à la fois que les fonctionnaires doivent consacrer l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées et d'élargir quelques paragraphes plus loin les possibilités de déroger à ce principe.

Le problème est d'autant plus aigu pour les agents et les non-titulaires occupant un emploi à temps non complet ou dont la durée est inférieure ou égale à la durée légale ou réglementaire du travail.

C'est bien de précarité que nous parlons, puisqu'il s'agit des agents et des non-titulaires à temps partiel, et trop souvent, l'avez-vous dit, ce ne sont pas des temps partiels choisis.

Au lieu de proposer un plan ambitieux de résorption de la précarité, vous autorisez ces personnes à cumuler leur emploi public avec une activité privée lucrative.

Ce faisant, vous déplacez le problème, vous n'apportez pas de solution. La grille des salaires est anormalement basse et sa revalorisation serait urgente. La question du développement du temps partiel en dehors de tout statut précis n'est en rien résolue.

Permettez-moi, avant de conclure, d'évoquer la remise en cause du mi-temps thérapeutique, introduite à l'Assemblée nationale sur l'initiative du Gouvernement.

Les modifications consistent à remplacer le terme « mi-temps thérapeutique » par ceux de « temps partiel thérapeutique ». Ce temps partiel pourra bien évidemment être supérieur à un mi-temps, donc plus de 50 % du temps travaillé.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui, dans l'intérêt de l'agent !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Ce n'est pas sûr. C'est une restriction du droit puisque, de toute façon, ce mi-temps thérapeutique peut être renouvelé tous les trois mois. C'est pourquoi je le perçois comme une restriction d'un droit dans la mesure où, nous le savons, il s'agit d'une reprise de travail après une maladie de longue durée.

Ce texte apporte donc de graves régressions aux droits des fonctionnaires et porte de nombreuses attaques au statut général même de la fonction publique. Une fois encore, c'est le service rendu à l'usager, seul baromètre de la santé de la fonction publique qui en pâtira. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.

M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale, que le Sénat a adopté, nous abordons un texte de « modernisation de la fonction publique ».

La rencontre de ces deux textes, dans la précipitation de la fin de session, accentue notre regret de ne pas avoir eu à examiner un grand texte d'ensemble sur la fonction publique. Ce n'est pourtant pas faute de l'avoir annoncé depuis le début de la législature ! Mais cette louable ambition n'a pas abouti, ce qui est d'autant plus dommageable que ce qui fait le plus défaut est sans doute justement la coordination entre les fonctions publiques.

Est-ce à dire que ce Gouvernement n'a jamais eu de projet digne de ce nom pour tracer des perspectives d'avenir à la fonction publique ? Est-ce à dire que les fonctionnaires ne seront jamais pour vous que des variables d'ajustement budgétaire ? Est-ce à dire que vous feriez rimer modernisation avec suppression, abandon, voire désagrégation ?

Car votre bilan n'engage guère à pavoiser.

Il est essentiellement marqué par des suppressions massives de postes - encore 15 000 prévues pour 2007 - et par une incapacité à conduire des négociations salariales, incapacité qui se traduit par un perpétuel recul du pouvoir d'achat des agents.

Monsieur le ministre, vous vous targuez d'un bon dialogue social, mais cinq syndicats, ulcérés que vous refusiez, une fois encore, d'ouvrir des négociations collectives sur les salaires, ont boycotté, le mercredi 13 décembre, le Conseil supérieur de la fonction publique de l'État ! Les mêmes syndicats ont décidé de ne pas participer au groupe de travail qui devait se tenir lundi dernier, justement sur le dialogue social dans la fonction publique. On peut donc à bon droit estimer que ledit dialogue social est quelque peu dans l'impasse.

En matière législative, vous avez adopté des mesures qui ont mis à mal le statut de la fonction publique, par petites touches successives, notamment en dérogeant à la règle du concours avec l'ouverture du recrutement par le parcours d'accès aux carrières territoriales de l'État, le PACTE et avec l'instauration de CDI de droit public.

Vous nous présentez aujourd'hui un projet de loi de modernisation de la fonction publique, ou plutôt dit de « modernisation » de la fonction publique. En effet, le terme semble usurpé !

Ce texte découle de l'accord minoritaire du 25 janvier 2006, signé, vous l'avez rappelé, avec trois organisations syndicales représentant un tiers des fonctionnaires. Il constitue un assemblage de mesures disparates, isolées, parfois intéressantes, mais qui ne donnent que vaguement l'illusion de la modernisation. C'est un projet sans souffle, sans vision d'ensemble cohérente pour faire face aux défis que doit relever la fonction publique : aucun début de stratégie pour faire face aux départs massifs à la retraite, aucune mesure pour développer l'attractivité de la fonction publique.

Examinons toutefois le contenu de ce texte.

Le principe de la formation professionnelle tout au long de la vie ne peut qu'emporter notre accord. Il s'agit de reconnaître le droit individuel à la formation, le DIF, de créer un congé pour validation des acquis de l'expérience, un VAE, et de procéder à une meilleure reconnaissance de l'expérience professionnelle, la REP, non seulement lors des recrutements, mais aussi pour l'avancement de grade et la promotion interne. On peut toutefois déplorer qu'aucune quantification financière ne vienne donner aux administrations gestionnaires les moyens réels qui leur permettraient des efforts de formation.

Un second chapitre assouplit les règles de la mise à disposition, ce qui devrait favoriser la mobilité des agents.

Le troisième volet facilite le départ des agents publics vers le secteur privé. Est-ce ce que l'on appelle communément le « pantouflage ». Nous souhaitons, par amendement, porter de nouveau le « délai de viduité » à cinq ans. Je ne doute pas que vous nous opposerez que le délai de deux ans est celui qui est retenu dans la grande majorité des pays de l'OCDE et de l'Union européenne. Pour autant, la France peut s'honorer d'avoir une fonction publique unique au monde et n'a pas à s'aligner sur ce qui se pratique ailleurs ! Le raccourcissement du délai d'incompatibilité est à la fois inadéquat, puisqu'il ne correspond pas à une réelle nécessité, et inopportun dans un contexte pré-électoral où il pourrait donner lieu à de mauvaises interprétations.

D'autres mesures viennent étendre le cumul de fonctions administratives et d'activités privées lucratives afin d'encourager à la création d'entreprises. Cette disposition, comme le « pantouflage », encourage le départ vers le secteur privé des cadres hautement qualifiés. Est-ce vraiment le message qu'il convient de faire passer alors même que le contexte démographique des départs massifs à la retraite invite, au contraire, à assurer l'attractivité de la fonction publique ?

S'ensuivent un ensemble de dispositions diverses et disparates, véritable inventaire à la Prévert ! On y trouve pêle-mêle la définition de l'action sociale, la constitution de commissions administratives paritaires communes à plusieurs corps ou un nouveau cadre pour le financement des mutuelles.

Au total, la plupart de ces mesures recueillent notre assentiment, mais leur assemblage hétéroclite ne fait pas une politique ! Il manque une réflexion globale, sans doute parce que la fonction publique est loin de constituer la priorité d'un Gouvernement qui semble n'avoir d'autre objectif que d'en réduire les effectifs.

Coupable négligence pour ne pas dire pire, lorsque se dessine une fonction publique où l'on entrerait sans concours et dont on sortirait au plus vite pour aller vers le privé. Un tel état d'esprit ne nous semble pas propice à une véritable modernisation de la fonction publique.

À force de coups portés au statut et de suppressions drastiques de postes, les différents Gouvernements de droite participent d'une banalisation et d'un démantèlement de la fonction publique.

Dernier avatar, monsieur le ministre, vous avez décidé la semaine passée, de manière unilatérale, que le système de notation des fonctionnaires avait vécu et qu'il convenait de le remplacer par des entretiens individuels. Dans un entretien au journal Le Parisien du 14 décembre, vous précisiez : « Il faut moderniser tout cela, et la rémunération à la performance que j'ai mise en place pour l'ensemble des directeurs d'administration centrale s'inscrit dans cette perspective. »

M. Christian Jacob, ministre. Et cela marche bien !

M. Jacques Mahéas. Moderniser ! Le grand mot est de nouveau lâché ! Est-il pour autant synonyme d'« améliorer » ? En l'occurrence, permettez-moi d'en douter !

Je vais d'ailleurs être contraint d'attribuer un mauvais point à M. Copé qui semble ne pas vous avoir fait part d'une étude dont je lui parlais naguère ici même. Le débat sur les effectifs de la fonction publique, le 29 novembre dernier, s'est déroulé en présence du seul ministre délégué au budget,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et à la réforme de l'État !

M. Jacques Mahéas. ... ce qui est déjà tout un programme ! J'avais alors mentionné l'étude d'une école de commerce, l'Ehdec business school, intitulée « Les limites de l'usage des primes à la performance dans la fonction publique ». Cette étude démontre, je le répète, que les indicateurs quantitatifs de performance individuels ne sont pas synonymes d'amélioration du service rendu et ne relèvent pas d'une logique de service public. J'ajoute que « faire du chiffre » n'a jamais été un gage de qualité. Dans certains cas, cela peut même avoir des conséquences désastreuses, comme nous avons pu le constater l'année dernière lors de la révolte des banlieues. Cela a même conduit un syndicat de policiers à parler de « primes à la bavure ».

L'actuel système de notation chiffrée comporte sans doute des défauts, mais les entretiens individuels et le salaire à la performance font courir le risque évident de pratiques discrétionnaires.

Encore une fois, en calquant les méthodes du privé, vous niez à la fonction publique les spécificités qui sont pourtant ses forces.

En conclusion, ce projet de loi comporte des mesures intéressantes, notamment en matière de formation, mais d'autres dispositions nous conduisent à nous interroger, qu'il s'agisse du pantouflage ou de la disparition programmée du système de notation des agents.

La modernisation de l'État ne saurait se faire sans des fonctionnaires confiants qui adhérent au projet et ne sont pas sacrifiés sur l'autel du déficit.

Bref, il s'agit d'un projet de loi mal fichu, bâclé, traité à la va-vite. Il est bien évident que nous ne soutiendrons pas un tel texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés à examiner en première lecture le projet de loi de modernisation de la fonction publique, dont l'objet principal est de réformer l'action sociale et l'évolution statutaire dans l'administration de l'État.

Le titre de ce texte laissait imaginer une refonte globale de l'administration française. On refonde aisément le fonctionnement de l'État. Si l'ambition de ce texte est limitée, il serait faux de la dire modeste. Bien au contraire et l'on saisit sans peine, en cette fin de législature, les contraintes qui ont présidé à son élaboration.

Chacun aura bien compris que le Gouvernement nous propose, à travers ce texte, de moderniser la gestion des ressources humaines là où elle existe et de l'impulser là où elle fait encore défaut. Ce n'est pas un enjeu mineur, compte tenu de la place et du rôle de l'État dans notre pays.

En outre, ce projet apportera de réelles avancées, non seulement pour le fonctionnement et l'organisation de nos administrations, mais aussi pour les besoins, en termes d'évolution de carrière, qu'éprouvent les fonctionnaires qui les composent.

Les travailleurs du privé, comme ceux du public, n'aspirent plus aux mêmes plans de carrière qu'il y a cinquante, ou même seulement vingt ans. Il convenait donc d'adapter et de faire coïncider les aspirations de nos fonctionnaires avec les contraintes des missions supportées par nos administrations.

C'est pourquoi je me félicite de voir que ce projet de loi a l'ambition d'apporter un nouveau souffle dans la réglementation statutaire de la fonction publique. Il n'est pas inintéressant de constater, comme le souligne M. Hugues Portelli dans son excellent rapport, qu'au fil des différentes réformes, parfois d'origine européenne, se dessinent de façon « subreptice » les contours d'un droit public du travail qui se substitue progressivement à l'ancien droit statutaire.

Ces mutations se font à mon avis dans le bon sens. Elles tendent à rapprocher la gestion de la fonction publique de celle que connaissent les entreprises, c'est-à-dire une gestion toujours plus responsable, plus transparente et plus efficace.

La fonction publique doit jouer un rôle prépondérant dans le dynamisme et la compétitivité de la France. De son organisation dépend la capacité de l'État, des collectivités locales et des autres organismes publics à exercer efficacement leurs missions, de manière à satisfaire non seulement les usagers du service public, mais également leurs agents.

Cependant, ces évolutions ne doivent pas se faire au détriment des missions dont s'acquitte la fonction publique. En effet, la chose publique impose une administration et des fonctionnaires libres des contraintes du secteur privé.

Ainsi, s'il est tout à fait opportun de créer un certain nombre de dispositifs permettant de faciliter le passage du secteur public au secteur privé ou d'étendre les possibilités de compatibilité des activités, la loi doit néanmoins maintenir un cadre strict dans lequel ces dispositifs seront appelés à se développer.

Dans cet esprit, je ne peux qu'approuver l'amendement de la commission des lois tendant à supprimer la « permission législative » en matière déontologique. En effet, l'objectif principal de cette mesure est de créer un dispositif dans lequel le juge pénal ne pourrait plus être saisi d'un délit de prise illégale d'intérêts dès lors que la commission de déontologie aurait émis un avis exprès de compatibilité.

Je me rallie donc à la suppression, préconisée par notre rapporteur, de ladite disposition, que je juge dérogatoire. Rien ne saurait justifier, à mon sens, que la commission se substitue au juge pénal. Il me semble même que cette mesure - je ne doute nullement, par ailleurs, des bonnes intentions qui ont présidé à son élaboration - aurait été source de malentendus, voire de conflits.

Enfin, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, les dispositions de ce projet de loi ont recueilli l'accord de la majorité des organisations syndicales. Ce texte est donc le fruit d'un dialogue social particulièrement dynamique.

À ce titre, je salue les diverses actions que vous avez entreprises. En effet, vous venez de signer avec les partenaires sociaux, le 21 novembre dernier, un nouvel accord instaurant dans la fonction publique le droit individuel à la formation, la reconnaissance de l'expérience professionnelle et la validation des acquis de l'expérience, trois mesures qui correspondent aux besoins exprimés par les organisations syndicales.

Dans cette démarche de concertation avec les partenaires sociaux menée depuis près d'un an et demi, deux avancées majeures ont particulièrement retenu mon attention.

La première concerne l'intégration des jeunes à la fonction publique.

Depuis quelques années, le Gouvernement mène une politique en faveur de l'emploi des jeunes. La fonction publique se devait, elle aussi, de s'engager envers les jeunes non diplômés ou peu diplômés.

Le PACTE, le parcours d'accès aux carrières de la fonction publique territoriale, de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique de l'État, devait, à mon sens, être mieux mis en valeur, puisqu'il peut répondre de manière efficace au problème actuel de l'emploi des jeunes.

De manière générale, il convient - et ce texte y contribue de manière significative - de faire des administrations ou des entreprises publiques des lieux au sein desquels les jeunes souhaitent s'engager. L'État se doit d'être compétitif sur ce terrain, afin de ne pas souffrir du vieillissement de ses effectifs et, surtout, de changer l'image kafkaïenne qui lui est attachée de machine bureaucratique parfois déshumanisée.

La seconde avancée, qui me paraît essentielle dans la démarche entreprise par le Gouvernement depuis dix-sept mois, concerne la formation professionnelle des agents « tout au long de la vie ». En effet, la modernisation ne pourra pas se concrétiser par la seule volonté législative ; elle doit pénétrer les mentalités. C'est le rôle dévolu à la formation, grâce aux mécanismes incitatifs mis en place par ce texte. Cette dernière doit devenir un objectif prioritaire de la gestion des agents.

Certes, il ne suffit pas de légiférer aujourd'hui pour que, demain, l'ensemble des mesures préconisées prenne son plein effet. Le chemin de la modernisation de la fonction publique est encore long et certainement semé d'embûches. Mais ce projet de loi apporte un progrès non négligeable qu'il serait malhonnête de bouder.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera ce texte tel qu'il sortira des travaux de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

CHAPITRE IER

Formation professionnelle des agents publics tout au long de la vie