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CANDIDATURES À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Mme la présidente. M. le président a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur.

J'informe le Sénat que la commission des affaires culturelles m'a fait connaître qu'elle à procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à cette commission mixte paritaire.

Cette liste a été affichée.

La nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 9 du règlement.

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DÉPÔT D'UN RAPPORT du gouvernement

Mme la présidente. M. le président a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 104 de la loi no 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le rapport sur le fonctionnement et l'évolution des parcs de l'équipement.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale et sera disponible au bureau de la distribution.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Nomination de membres d'une COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur.

La liste des candidats établie par la commission des affaires culturelles a été affichée conformément à l'article 12 du règlement.

Je n'ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Jacques Valade, Louis de Broissia, Bruno Retailleau, Serge Lagauche, Mmes Marie-Christine Blandin, Catherine Morin-Desailly et Colette Mélot.

Suppléants : MM. Jean-Marie Bockel, Jean-Claude Carle, Ambroise Dupont, Jean-François Humbert, Pierre Laffitte, Jack Ralite et Robert Tropeano.

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Recrutement, formation et responsabilité des magistrats

équilibre de la procédure pénale

Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

 
 
 

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats (nos 125, 176) et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale (nos133, 177).

La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà un peu plus d'un an, le drame d'Outreau suscitait une émotion sans précédent dans notre pays. Le traitement de cette affaire a entraîné une crise de confiance des Français envers la justice. Chacun s'est en effet demandé : et si c'était moi ?

Je tiens néanmoins à rappeler combien il est difficile de rendre la justice. S'il y a eu un « Outreau », des milliers de décisions sont rendues chaque année par des magistrats aux qualités remarquables, assistés de fonctionnaires passionnés et compétents.

Que l'on se souvienne du procès des pédophiles d'Angers, à bien des égards comparable à celui d'Outreau : il montre bien que la justice, en France, peut être exemplaire.

Qu'attendent nos concitoyens à la suite de ce drame ? Au-delà des réflexions à long terme, souvent théoriques, sur l'avenir de notre système judiciaire, ils souhaitent des réponses immédiates et concrètes aux principaux dysfonctionnements constatés dans l'affaire d'Outreau.

Les projets que je vous présente aujourd'hui au nom du Gouvernement répondent point par point à ces dysfonctionnements. Le projet de loi ordinaire met en place des pôles de l'instruction pour lutter contre la solitude du juge, instaure un véritable contrôle de la chambre de l'instruction pour éviter les détentions provisoires injustifiées, accroît la transparence de la procédure en prévoyant l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires en garde à vue et devant le juge d'instruction ainsi que la publicité des débats sur la détention provisoire, fait progresser le contradictoire, notamment pour les expertises, et rend obligatoire l'enregistrement de l'audition du mineur victime. Le projet de loi organique améliore la formation des magistrats, précise leur régime disciplinaire et met en place une nouvelle voie de recours pour les justiciables, à travers la saisine du Médiateur de la République.

Comme toute synthèse, cette réforme a suscité un certain nombre de critiques : pas assez ambitieuse pour certains, elle est irréaliste pour d'autres. J'ai cependant la conviction qu'elle constitue une étape incontournable pour permettre aux Français de retrouver confiance en leur justice.

Le projet de réforme de la procédure pénale apporte des réponses précises et concrètes aux principaux dysfonctionnements constatés dans l'affaire d'Outreau.

Ce qui a d'abord frappé nos concitoyens, c'est la solitude d'un juge d'instruction dans une affaire particulièrement complexe.

Je souhaite mettre fin à cette solitude en faisant travailler les juges d'instruction au sein d'une équipe. Les affaires criminelles et les affaires correctionnelles complexes ne seront plus instruites par un magistrat isolé dans un tribunal, mais par un ou plusieurs juges d'instruction, réunis au sein d'un pôle, qui pourront échanger entre eux sur les points difficiles.

Le succès rencontré par le pôle antiterroriste de Paris et les juridictions interrégionales spécialisées, qui traitent des affaires de grande criminalité, m'ont convaincu que les dossiers d'instruction complexes ne pouvaient plus être confiés à des juges d'instruction isolés, mais devaient faire l'objet de regards croisés.

De manière plus générale, je souhaite que ces pôles conduisent les juges d'instruction à ne plus travailler seuls au sein de leur cabinet et les incitent au contraire à acquérir la culture du travail en équipe.

Ces pôles permettront de rendre plus faciles les co-saisines, qui pourront désormais être imposées par le président de la chambre de l'instruction, même sans l'accord du magistrat initialement saisi.

Ces co-saisines permettront, sur des affaires complexes, de faire travailler les juges d'instruction peu expérimentés avec des magistrats confirmés. Sans attendre l'adoption de ce dispositif, j'ai demandé à ce que les postes de juge d'instruction soient, autant que faire se peut, pourvus par des magistrats expérimentés, et non par de jeunes magistrats sortant de l'École nationale de la magistrature.

En pratique, les pôles auront un ressort départemental. Cependant, compte tenu des particularités locales, certains pôles pourraient s'étendre à plusieurs départements, et certains départements pourraient accueillir plusieurs pôles.

Contrairement à ce que d'aucuns ont pu affirmer, le système ne remet nullement en cause la carte judiciaire actuelle. Chaque tribunal de grande instance conservera en effet un juge d'instruction chargé des affaires correctionnelles les plus simples. Par ailleurs, les affaires instruites au sein des pôles continueront à être jugées par la juridiction territorialement compétente.

Pour accompagner cette réforme, je souhaite que soient pris en compte les frais de déplacement supplémentaires supportés par les avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle pour se rendre dans les pôles de l'instruction.

Par ailleurs, afin d'assurer un accès en temps réel au dossier, j'ai décidé d'accélérer la mise en place de la numérisation des procédures pénales, qu'une centaine de tribunaux de grande instance expérimentent actuellement.

Enfin, j'ai demandé que, pour limiter les déplacements, l'on utilise la visioconférence chaque fois que cela est possible. Tous les tribunaux de grande instance en sont désormais équipés.

Comme j'ai souvent eu l'occasion de le dire, ces pôles constituent pour moi la première étape vers la collégialité de l'instruction, que l'Assemblée nationale a souhaité inscrire dans le projet de loi et à laquelle je suis tout à fait favorable.

Toutefois, la pyramide des âges de la magistrature, qui entraînera des départs massifs à la retraite à l'horizon 2010, conjuguée à l'importance des moyens humains nécessaires pour une telle réforme - il faudrait environ 240 magistrats et 400 fonctionnaires de greffe supplémentaires -, nous oblige à différer celle-ci et à nous limiter, dans un premier temps, aux pôles de l'instruction.

Le deuxième enseignement que l'on peut tirer de l'affaire d'Outreau, c'est le caractère excessif du recours à la détention provisoire.

Le présent projet de loi contient donc un certain nombre de dispositions tendant à éviter les détentions provisoires injustifiées. Il renforce le caractère exceptionnel de la détention provisoire, en limitant le recours au critère du trouble à l'ordre public, qui ne pourra plus être employé en matière correctionnelle pour la prolongation ou le maintien en détention.

Votre commission souhaite interdire également l'utilisation de ce critère pour le placement initial en détention. Le Gouvernement ne peut être favorable à une telle proposition, car c'est parfois le seul critère qui permette une détention provisoire nécessaire, notamment en matière de violences urbaines ou d'homicide involontaire.

Limiter la détention provisoire, c'est aussi mieux assurer la défense du mis en examen. Le projet de loi prévoit la présence obligatoire d'un avocat lors du débat sur la détention provisoire, ce qui, semble-t-il, n'a pas toujours été le cas dans l'affaire d'Outreau. Il permet par ailleurs au juge des libertés et de la détention de reporter ce débat pour favoriser le recours au contrôle judiciaire.

Enfin - et c'est, à mes yeux, une disposition fondamentale pour limiter la durée des détentions provisoires -, cette réforme instaure une audience publique de la chambre de l'instruction permettant d'examiner contradictoirement tous les aspects de la procédure en cours, dès lors qu'une personne est détenue.

Cette audience permettra à la chambre de l'instruction d'avoir une vision globale du dossier, vision qui a clairement manqué lors de l'affaire d'Outreau et qui aurait sans doute permis d'éviter le recours à la juridiction de jugement pour que l'innocence des personnes mises en cause soit reconnue.

L'Assemblée nationale a souhaité, avec l'accord du Gouvernement, que ce réexamen de l'ensemble de la procédure puisse avoir lieu au bout de trois mois, au lieu des six mois initialement prévus, afin de permettre un contrôle approfondi du dossier au début de l'instruction.

J'ajoute que le contrôle des chambres de l'instruction sur les cabinets des juges d'instruction sera également renforcé par la mise en place d'assesseurs permanents au sein de ces chambres, lorsque l'activité de ces dernières le justifie.

Il est ainsi prévu la création de quarante-deux emplois de président de chambre ou de conseiller. Ces emplois supplémentaires permettront de poursuivre les efforts engagés en 2006, qui ont d'ores et déjà permis à chaque cour d'appel de bénéficier d'un emploi de conseiller supplémentaire.

La crédibilité de la justice passe par une plus grande transparence des procédures.

Ce souci de transparence se concrétise au travers de deux mesures : la publicité des audiences relatives à la détention provisoire et l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires de garde à vue et devant le juge d'instruction en matière criminelle.

Cet enregistrement est souvent interprété, à tort, comme une mesure de défiance à l'égard des forces de police et des magistrats. Il s'agit, au contraire, de lever tout soupçon et de prévenir les mises en cause injustifiées dont font parfois l'objet ces interrogatoires. L'enregistrement, qui pourra être consulté en cas de contestation, permettra de mieux sécuriser les procédures.

J'ai pu constater, lors de mes déplacements en Angleterre et en Italie, combien ces mesures étaient appréciées, bien qu'elles aient fait l'objet de longs débats au moment de leur adoption.

Dans une société de plus en plus transparente, la justice ne peut refuser les garanties que sont susceptibles d'apporter les nouvelles technologies.

Le caractère contradictoire de l'instruction, qui a fait défaut dans l'affaire Outreau, sera également renforcé.

La mise en examen pourra être contestée à intervalles réguliers, et non pas seulement dans les six premiers mois, et des confrontations individuelles pourront être demandées.

Le caractère contradictoire des expertises sera également renforcé : information des parties de la décision du juge ordonnant une expertise, sauf si cette information nuit à l'efficacité des investigations ; possibilité de désigner un co-expert de leur choix ; suppression du filtre du président de la chambre de l'instruction en cas d'appel de refus d'une contre-expertise.

Enfin, le règlement des informations sera plus contradictoire, puisque le juge devra statuer au vu des réquisitions du parquet et des observations des parties, chacun ayant pu répliquer à ces réquisitions ou observations. L'ordonnance de renvoi - c'est une disposition à laquelle je tiens beaucoup - devra préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen.

Enfin, le projet de loi rend obligatoire l'enregistrement des auditions des mineurs victimes, alors qu'actuellement cet enregistrement peut être écarté par simple décision motivée du procureur ou du juge d'instruction. Par ailleurs, le mineur victime devra obligatoirement être assisté d'un avocat, le cas échéant commis d'office.

Mais la crédibilité de la justice passe aussi par sa célérité et par la nécessité de limiter, autant que faire se peut, les informations injustifiées, afin de permettre aux juges d'instruction de ne traiter que les affaires réellement complexes.

Comment un juge peut-il consacrer son temps et son énergie à des affaires difficiles et sensibles comme celle d'Outreau quand son cabinet d'instruction est encombré d'informations dilatoires qui se terminent toutes, au bout de quelques mois, par un non-lieu ? Je rappelle, à titre d'illustration, que près des trois quarts des informations ouvertes sur plaintes avec constitution de partie civile à Paris font l'objet d'un non-lieu.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur. Eh oui !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Il s'agit non pas d'empêcher le dépôt de plaintes avec constitution de partie civile, mais simplement d'éviter que cette procédure ne soit détournée de son objet et utilisée pour paralyser le fonctionnement de la justice.

Reprenant les conclusions du rapport Magendie, le projet de loi maintient la règle selon laquelle le criminel tient le civil en l'état lorsque l'action civile est engagée en réparation du dommage causé par l'infraction, mais la supprime dans les autres cas, revenant ainsi à l'application originelle de cette règle avant qu'elle ne soit étendue par la jurisprudence.

Ainsi, par exemple, une plainte avec constitution de partie civile pour vol déposée par l'employeur à seule fin de paralyser la contestation du licenciement aux prud'hommes n'aura plus l'effet recherché, ce qui devrait limiter le nombre de plaintes avec constitution de partie civile, et donc d'informations.

De la même manière, le projet de loi cherche à éviter l'ouverture d'une information lorsqu'une affaire peut être résolue plus simplement et plus rapidement par une enquête du parquet.

Ainsi, en matière délictuelle, il faudra, avant de pouvoir déposer une plainte avec constitution de partie civile, avoir saisi le parquet. À l'issue d'un délai de trois mois, si le parquet n'agit pas ou refuse de poursuivre, la plainte sera alors recevable.

Ces deux séries de mesures ont le même objectif : permettre aux juges d'instruction de disposer de plus de temps pour instruire les affaires complexes, en évitant que leur cabinet ne soit encombré de plaintes ne justifiant pas l'ouverture d'une information.

Elles ont été accueillies très favorablement par les associations de victimes, qui ont salué leurs conséquences positives sur la durée des instructions.

J'y suis donc très attaché, car je pense que ces mesures auront un impact réel sur le fonctionnement quotidien des cabinets d'instruction.

Le coût de l'ensemble de la réforme pour le ministère de la justice a été estimé à 30 millions d'euros. Elle nécessitera en particulier la création de 70 postes de magistrat et de 102 emplois de fonctionnaire de greffe. Les postes de magistrat seront pourvus par redéploiement et un recrutement supplémentaire de fonctionnaires devra être organisé.

Ce financement ne figure pas dans la loi de finances pour 2007, car le chiffrage précis de la réforme dépendait du périmètre effectif de la loi et de son calendrier de mise en oeuvre. Sur l'année 2007, ce besoin est évalué à 13 millions d'euros. Dès que la loi sera promulguée, le Gouvernement mettra les crédits nécessaires à la disposition du ministère.

Par ailleurs, je crois que le moment est venu de procéder à une véritable modernisation de la formation et du régime disciplinaire des magistrats, comme l'a souhaité la commission d'enquête de l'Assemblée nationale.

On ne peut plus considérer aujourd'hui que la formation et le régime disciplinaire des magistrats tels qu'ils ont été définis voilà près de cinquante ans sont adaptés à la société française de 2006. C'est pourquoi je vous propose des mesures concrètes destinées à améliorer cette formation et à préciser ce régime disciplinaire.

Un bon magistrat, c'est un magistrat, qui, avant de décider, doute, écoute et examine tous les arguments qui lui sont soumis, en accordant la même importance à la parole de la victime et à celle du mis en examen.

Il n'y a pas d'autre moyen de vérifier qu'un futur magistrat est capable de s'obliger à cette méthode qu'en le soumettant à un stage obligatoire préalable à toute nomination aux premières fonctions.

Or tous les magistrats aujourd'hui en poste n'ont pas été soumis à cette formation indispensable qu'est le stage. C'est pourquoi je propose de donner, pour toutes les voies d'accès à la magistrature, un caractère probatoire obligatoire à la formation préalable à la nomination dans les premières fonctions.

Cette généralisation de la formation probatoire est d'autant plus justifiée que l'Assemblée nationale a adopté plusieurs amendements permettant d'ouvrir l'accès au corps judiciaire à des candidats bénéficiant déjà d'une expérience professionnelle dans le domaine juridique.

Ce n'est pas la seule modification de la formation des magistrats à laquelle je suis attaché. Depuis mon arrivée à la Chancellerie, je me suis fixé comme objectif d'ouvrir l'École nationale de la magistrature vers le monde extérieur. À ma demande, ce changement radical de la pédagogie est déjà mis en oeuvre.

Désormais, une trentaine d'élèves avocats suivent à Bordeaux la même scolarité que les élèves magistrats. Il faut absolument éviter qu'une coupure ne se crée entre magistrats et avocats, et il n'y a pas de meilleur moment pour éviter cette rupture que la période de formation des uns et des autres.

Les manuels de droit nous apprennent que les avocats sont des auxiliaires de justice. Je veux que ce concept fondamental ne reste pas lettre morte. C'est la raison pour laquelle je considère que la durée du stage que les auditeurs de justice effectuent au sein de cabinets d'avocats, qui est actuellement de deux mois, doit être augmentée, comme l'a d'ailleurs voté l'Assemblée nationale.

Il faut toutefois veiller à ne pas mettre en péril l'architecture de la formation dispensée par l'ENM, laquelle dure déjà trente et un mois. Allonger la durée totale de la formation, outre le coût financier que cela représente, découragerait les candidats à l'ENM, dont, je me permets de le souligner devant la Haute Assemblée, le nombre diminue d'année en année.

Par ailleurs, il me paraît exclu de supprimer les stages actuels, qui permettent aux auditeurs d'apprendre les techniques de rédaction, d'entretien, ou de se familiariser avec les services de police ou l'administration pénitentiaire.

C'est pourquoi je suis favorable à l'amendement adopté par votre commission des lois et tendant à porter à cinq mois la durée de ce stage, durée compatible avec la formation actuellement dispensée à l'ENM.

Désormais, les enseignants de l'École nationale de la magistrature ne sont plus uniquement des magistrats. Il s'agit, là aussi, de tout mettre en oeuvre pour que la formation soit plurielle. Les avocats, les universitaires, les psychologues ont maintenant leur place au sein du corps enseignant de l'ENM.

La justice est rendue au nom du peuple français. Les juges doivent être issus d'horizons plus variés et doivent également, au cours de leur carrière, pouvoir aller travailler au sein d'autres institutions, au sein d'entreprises, d'associations, afin de mettre leurs méthodes, leurs convictions et parfois leurs certitudes à l'épreuve d'autres réalités.

C'est pour cette raison que j'ai approuvé les amendements votés par l'Assemblée nationale visant à rendre obligatoire la mobilité des magistrats avant que ne leur soient confiées les fonctions les plus importantes.

Cela signifie concrètement qu'un magistrat qui souhaite être nommé conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation pourra utilement effectuer une mobilité de deux ans au sein d'une direction des ressources humaines d'une entreprise. Vous imaginez le changement considérable que cela représente !

Avec sagesse, votre commission des lois a adopté un amendement permettant au Conseil supérieur de la magistrature de s'assurer, préalablement au départ en mobilité d'un magistrat, que son choix est compatible avec les fonctions qu'il a précédemment exercées. Je suis favorable à cet amendement, qui adapte à la magistrature le régime existant déjà dans le reste de la fonction publique.

Adapter le statut de la magistrature de 1958 à la France de 2006, c'est aussi adapter le régime disciplinaire des magistrats aux exigences de notre société. Mais je sais que toucher à la discipline des magistrats, c'est toucher à une question extrêmement sensible, car liée à l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Je veux être efficace, c'est-à-dire que je souhaite que les modifications proposées entrent effectivement en vigueur sans risquer d'encourir la censure du Conseil constitutionnel.

L'article qui vous est soumis aujourd'hui tend à sanctionner la violation grave et intentionnelle par un magistrat des règles de procédure constituant des garanties essentielles des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive.

J'indique dès maintenant que je suis favorable aux modifications de cet article que proposera votre commission des lois.

La rédaction de cette nouvelle faute disciplinaire serait incontestablement améliorée en précisant que la faute est non plus « intentionnelle » mais « délibérée », et que cette faute doit être constatée par une décision de justice devenue définitive. Cette rédaction s'inscrit plus sûrement encore dans le cadre qui nous a été fixé par le Conseil d'État.

Ainsi, il n'existera plus de risque de confusion entre l'office des juges d'appel et de cassation et celui du juge disciplinaire. Il s'agit d'éviter que la voie disciplinaire ne puisse être utilisée dans le cadre d'une instance en cours pour déstabiliser un magistrat.

Cette rédaction s'inscrit dans le respect des principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire. Elle me paraît de nature à éviter la censure du Conseil constitutionnel, tout en précisant les termes de la faute disciplinaire.

Les événements récents ont démontré que tous les magistrats n'étaient pas aptes à exercer toutes les fonctions. Il faut aujourd'hui rendre possible l'interdiction, pour une durée déterminée, d'exercice de fonctions à juge unique lorsqu'une faute disciplinaire établit la nécessité d'encadrer un magistrat dans l'exercice de ses fonctions. Je pense évidemment aux fonctions spécialisées : juge d'instruction, juge de l'application des peines, juge des enfants, juge d'instance, mais aussi juge aux affaires familiales ou juge présidant une audience correctionnelle à juge unique.

Je vous propose donc d'élargir la gamme des sanctions disciplinaires par la création d'une nouvelle sanction : l'interdiction d'exercer des fonctions à juge unique pour une durée maximale de cinq ans.

Il y a enfin une situation que j'estime inacceptable et à laquelle je veux mettre un terme : lorsqu'un magistrat a un comportement qui révèle des problèmes pathologiques et qu'il est indispensable de l'écarter sans délai de l'exercice de toutes fonctions juridictionnelles, nous ne pouvons pas actuellement apporter de réponse immédiate à ce dysfonctionnement majeur puisque seule la voie disciplinaire est possible dans l'attente de la suspension décidée par une commission médicale.

Je vous propose donc de donner au garde des sceaux la faculté, sur avis conforme du CSM, car les garanties statutaires doivent êtres respectées, de suspendre de ses fonctions un magistrat dont le comportement justifie la saisine du comité médical, qui sera tenu de statuer dans un délai de six mois.

Votre commission des lois a voté un amendement, que je soutiendrai, tendant à créer un comité médical spécifique, susceptible de prendre en compte les particularités du métier de magistrat. C'est une avancée importante qui mérite d'être saluée.

Par ailleurs, les Français nous demandent de développer les contrôles externes à la justice.

Aujourd'hui, il n'existe pas d'autorité extérieure à l'institution judiciaire habilitée à recueillir, à examiner et à donner suite aux réclamations des justiciables sur les dysfonctionnements de la justice liés au comportement des magistrats.

C'est la raison pour laquelle j'ai proposé de conférer au Médiateur de la République la possibilité d'être saisi de réclamations émanant de toute personne mettant en cause le comportement d'un magistrat.

En effet, le Médiateur me semble être l'autorité extérieure à laquelle cette lourde tâche doit incomber, et ce pour les raisons que je vais détailler.

D'abord, l'institution du Médiateur de la République existe depuis 1973. Elle est connue et respectée des Français, qui l'ont saisie en 2004 de plus de 57 000 affaires, dont 23 % étaient relatives à un dysfonctionnement de la justice. Les Français ne comprendraient pas que l'on complexifie le système en dissociant les dysfonctionnements de la justice, qui relèvent de la compétence du Médiateur, des comportements de magistrats susceptibles de constituer une faute disciplinaire. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)

Ensuite, la légitimité du Médiateur sur le plan national n'est plus à démontrer. Il suffit d'observer l'écho que recueille chaque année dans l'opinion le rapport d'activité qu'il établit. Ce rapport est toujours attendu par les organismes auxquels le Médiateur a demandé des explications et, je dois le dire, il est souvent craint.

Enfin, il s'agit d'une institution très rigoureuse, tant dans le traitement des affaires qui lui sont soumises que dans les conclusions qu'elle en tire.

C'est pour l'ensemble de ces raisons que le Médiateur de la République me semble la seule autorité compétente pour recevoir les réclamations émanant de toute personne mettant en cause le comportement d'un magistrat.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et le CSM, cela n'existe pas ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je le précise d'ailleurs, nombre de nos voisins européens ont déjà fait le choix de confier à leur institution homologue la compétence que je vous propose d'accorder au Médiateur de la République.

S'il estime une réclamation sérieuse, le Médiateur pourra la transmettre au garde des sceaux et, lorsque celui-ci décidera de ne pas engager de poursuites disciplinaires, il devra en informer le Médiateur par une décision motivée. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'esclaffe.)

L'intervention du Médiateur de la République permettra de donner un caractère public et officiel à une éventuelle saisine du garde des sceaux.

À la suite des réponses du ministre de la justice, un rapport spécial établi par le Médiateur pourra faire l'objet d'une publication au Journal officiel.

L'Assemblée nationale a souhaité renforcer l'information du Médiateur pour permettre un examen plus approfondi des réclamations qui lui sont transmises, de manière à mieux identifier celles qui sont « sérieuses ». C'est la raison pour laquelle le Médiateur pourra demander aux chefs de cour tous les éléments d'information utiles à ses investigations.

Bien entendu, comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises au Médiateur, la Chancellerie mettra à sa disposition les moyens nécessaires pour faire face à ces nouvelles missions.

J'en ai la conviction, dans un domaine aussi difficile d'accès que la justice, nous devons simplifier la vie des Français.

Votre commission des lois envisage de créer une commission de transparence de la justice, qui pourrait être saisie par tout justiciable s'estimant lésé par un fait susceptible de recevoir une qualification disciplinaire.

Pourquoi créer une nouvelle et énième commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur. Nous vous l'expliquerons !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ne nous le cachons pas, celle-ci demeurera longtemps inconnue des Français et sa composition fera encourir à ses décisions des accusations de corporatisme.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et qu'en est-il du CSM ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Justement, c'est déjà le cas !

Cette critique est d'autant plus forte que la commission pourra saisir le garde des sceaux aux fins de saisine du CSM, composé en majorité de magistrats, des procédures relevant, selon elle, du disciplinaire.

On pourrait craindre, même si je connais l'opposition du président de la commission des lois à cette idée, que la faculté pour le ministre de saisir le CSM ne se transforme en une obligation. Sur ce point, la rédaction même de l'amendement est relativement ambiguë.

Le garde des sceaux doit demeurer libre de décider ou non, parce que lui seul dispose des éléments d'information fournis par la direction des services judiciaires ou par l'Inspection générale des services judiciaires, qui lui apportent des éléments essentiels à l'appréciation des procédures disciplinaires.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est donc un juge unique ? Juge inique ! (Sourires.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Non ! Le ministre de la justice n'est pas un juge ; il transmet simplement les dossiers.

Par ailleurs, en confiant à une telle commission le pouvoir d'apprécier les plaintes des justiciables et d'imposer au ministre les suites à leur donner, nous irions à l'encontre du souhait des Français de bénéficier d'un regard extérieur à l'institution judiciaire.

C'est plus profondément encore l'architecture de nos institutions qui serait mise en cause puisque le ministre de la justice deviendrait une simple courroie de transmission entre la commission et le CSM.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vrai que c'est inutile !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. De la même manière, je suis opposé aux amendements tendant à accorder à cette commission le pouvoir de saisir directement le CSM.

Je ne veux pas être le ministre qui fera de la place Vendôme le témoin impuissant d'un corporatisme trop souvent dénoncé.

M. Robert Badinter. Quelle vision dramatique !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Telles ont les grandes lignes de la réforme de la justice que je souhaite proposer à la représentation nationale.

Son ambition n'est pas de bouleverser l'architecture de notre procédure pénale. Pourtant, je le pense profondément, il s'agit de modifications essentielles, qui illustrent la volonté du Gouvernement et du Parlement de ne pas laisser l'affaire d'Outreau sans réponse.

Ces deux projets de loi constituent une avancée notable dans le rééquilibrage de notre procédure pénale et dans l'approfondissement de la responsabilité des magistrats, notamment grâce au travail constructif de votre commission des lois. À cet égard, je tiens à remercier chaleureusement le président Jean-Jacques Hyest et M. François Zocchetto, rapporteur pour le projet de loi ordinaire. Tous deux ont largement contribué à améliorer les dispositifs proposés.

Les deux projets de loi apporteront de nouveaux sujets de réflexion à ceux qui souhaitent modifier plus profondément notre procédure pénale. Seul le temps permet de savoir si l'on ne s'est pas trompé.

Nous sommes tous convaincus d'une chose : si la justice est rendue au nom du peuple français, elle doit également l'être à son bénéfice. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur pour le projet de loi organique. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la demande croissante de justice exprimée par les citoyens donne une place centrale aux magistrats dans notre société. Dès lors, en raison de leurs prérogatives étendues, les magistrats sont plus que jamais, et encore bien plus que tout autre agent public, tenus de rendre compte de leurs actes, conformément aux exigences de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Or, ces dernières années, le comportement peu scrupuleux ou les insuffisances professionnelles de certains magistrats, dans quelques affaires isolées, ont porté atteinte à la confiance des justiciables dans la justice.

Les dysfonctionnements apparus dans l'affaire d'Outreau, qui ont été analysés par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale au mois de juin dernier, n'ont fait que donner un plus large écho à la mise en évidence de certaines défaillances de la justice judiciaire.

Bien entendu, l'institution judiciaire n'est pas restée indifférente à la crise qu'elle traverse.

La mise en place, par le ministère de la justice, d'une commission chargée de réfléchir sur l'éthique dans la magistrature, la création d'un groupe de travail par ce même ministère sur la responsabilité des magistrats au mois de juillet 2005 ou encore les nombreuses suggestions esquissées par le Conseil supérieur de la magistrature dans ses récents rapports d'activité témoignent d'une volonté réelle de rechercher les moyens efficaces pour mieux détecter et prévenir les difficultés préjudiciables à son bon fonctionnement.

Toutes les pistes de réforme évoquées dans ces rapports convergent vers une même orientation : le renforcement de la responsabilité du corps judiciaire.

La responsabilité dont il s'agit ici doit s'entendre au sens large. En effet, elle ne saurait se réduire à l'obligation de réparer les dommages causés à autrui ou de répondre de ses fautes devant une instance disciplinaire. Elle implique plus généralement d'avoir conscience à tout instant de toutes les obligations qu'implique l'état de magistrat.

Le présent projet de loi organique s'inscrit dans cette perspective, en proposant de nombreuses innovations pour responsabiliser les magistrats à tous les stades de leur carrière.

C'est le cas en amont, à l'occasion du recrutement dans le corps, durant la formation initiale, puis dans l'exercice quotidien de leur métier, au moyen de la formation continue ou encore grâce à des règles de mobilité plus ouvertes. Il en est de même en aval, en cas de manquement aux obligations qui découlent de leur statut ou lorsque le magistrat est affecté par une pathologie incompatible avec ses fonctions.

La réforme aujourd'hui soumise au Sénat opère une synthèse des travaux de la commission de réflexion sur l'éthique dans la magistrature et des recommandations de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'affaire d'Outreau.

Le Sénat a toutes les raisons de se réjouir des avancées ainsi proposées, car elles sont l'aboutissement d'une réflexion plus ancienne. À cet égard, permettez-moi de mentionner les travaux de contrôle menés en 2002 par la commission des lois sur l'évolution des métiers de la justice. Beaucoup de choses avaient alors déjà été dites.

Dans la mesure où l'économie du dispositif vous a déjà été excellemment présentée par M. le garde des sceaux, je centrerai mes propos sur les principales propositions de modifications adoptées par la commission.

Je tiens à le souligner, les principaux amendements de fond qui vous seront soumis ont été guidés par un même souci : assurer un équilibre satisfaisant entre l'exigence accrue de responsabilité et le respect intangible de l'indépendance de l'autorité judiciaire, principe consacré par la Constitution de 1958.

Tout d'abord, s'agissant de la formation des magistrats judiciaires, on ne peut qu'approuver la généralisation à tous les magistrats judiciaires de l'obligation de formation continue, qui a été introduite par les députés. Ainsi, la formation est non pas un droit, mais bien une obligation.

Monsieur le garde des sceaux, je souhaite toutefois attirer votre attention sur un point important : les moyens qu'il faudra allouer à l'ENM pour assurer la mise en oeuvre de cette réforme, dont le coût budgétaire est loin d'être négligeable puisqu'il est évalué à 4,4 millions d'euros. Or le budget de fonctionnement de cette école prévu pour l'année 2007 ne permettra pas de financer la réforme.

L'allongement du stage d'immersion au sein de la profession d'avocat, qui a été proposé par l'Assemblée nationale, mérite d'être approuvé. En effet, la brièveté du stage actuel n'offre aux auditeurs qu'un trop modeste aperçu de ce métier. Il est vrai que certains trouvaient que ce stage était déjà à la fois trop long et inutile... Mais peut-être en percevront-ils mieux l'utilité si ce stage dure plus longtemps.

Dans le souci de ne pas perturber le bon déroulement de la scolarité de l'École nationale de la magistrature, il nous a semblé judicieux de proposer de réduire la durée de ce stage de six mois à cinq mois.

Par ailleurs, la commission des lois souscrit pleinement à l'objectif de l'Assemblée nationale de diversifier le recrutement des magistrats. Une telle évolution est nécessaire pour enrichir le corps judiciaire d'expériences nouvelles et lui apporter une respiration.

À cet égard, monsieur le garde des sceaux, je souhaite attirer votre attention sur le fait que l'ouverture du corps de la magistrature, pour être effective, exige que les voies de recrutement parallèles soient suffisamment attractives pour susciter des candidatures du haut niveau. C'est un véritable sujet !

Il est impératif que le Gouvernement respecte l'engagement pris voilà cinq ans, dans le cadre de la réforme statutaire du mois de juin 2001, d'ouvrir aux magistrats recrutés par concours complémentaires la possibilité de racheter leurs droits à pension au titre des activités exercées antérieurement à leur entrée dans le corps judiciaire. Cette réforme est très attendue par les intéressés.

La question du recrutement des magistrats est essentielle, car un recrutement de qualité constitue le gage d'une justice de qualité. À ce propos, il est essentiel que les magistrats disposent de capacités qui les distinguent particulièrement, afin de leur permettre d'assumer au mieux leurs responsabilités. Une telle exigence suppose non seulement d'avoir un minimum de connaissances juridiques et techniques, mais, plus encore, de savoir faire preuve d'un nécessaire recul et d'un minimum de bon sens et de maturité, compte tenu des conséquences de leurs décisions sur la vie des justiciables.

Aussi la commission des lois a-t-elle souhaité amplifier la diversification du recrutement en déposant plusieurs amendements relatifs à la procédure de recrutement des candidats à l'intégration directe, à l'exercice temporaire des fonctions judiciaires et à la composition de la commission d'avancement, qui est aujourd'hui majoritairement composée de magistrats du second grade.

L'obligation de mobilité statutaire au premier grade pour l'accès aux emplois placés hors hiérarchie, qui a été proposée par les députés, doit être approuvée et confortée. Ainsi, afin de faciliter la gestion du nouveau dispositif par le corps judiciaire, la commission a déposé un amendement visant à instituer un dispositif plus souple, donc plus facile à mettre en oeuvre.

Le projet de loi prévoit également de regrouper les règles déontologiques au sein d'un recueil. Cette initiative heureuse présente l'avantage, par rapport à un code de déontologie, de ne pas figer une matière par nature évolutive.

La commission tient à rappeler le rôle essentiel des chefs des cours d'appel : placés au coeur du système judiciaire, ils sont les mieux placés pour détecter d'éventuels dysfonctionnements. Certes, la faculté de saisir le Conseil supérieur de la magistrature pour engager des poursuites disciplinaires, qui leur a été ouverte en 2001 sur l'initiative du Sénat, a été peu mise en oeuvre jusqu'à présent Aussi doivent-ils être encouragés à assumer pleinement leurs responsabilités en devenant les « gardiens de la déontologie » dans leur juridiction.

La commission des lois a souhaité apporter sa contribution à l'approfondissement de la déontologie des magistrats en comblant certaines lacunes du droit actuel, notamment lorsque les magistrats demandent à exercer une activité dans le secteur privé ou le secteur public concurrentiel. Au moment où nous venons de voter un projet de loi de modernisation de la fonction publique, qui oblige maintenant tous les fonctionnaires de l'État à passer devant une commission de déontologie, il était paradoxal que les magistrats soient les seuls à ne pas être soumis à la vérification de la compatibilité entre les fonctions exercées précédemment et celles qui leur seraient confiées dans une institution privée.

Le projet de loi organique comporte un volet disciplinaire important. Il renforce notamment l'effectivité des sanctions disciplinaires en en élargissant la portée par plusieurs dispositifs. Cette évolution nous paraît nécessaire.

Un des apports du texte qui nous est soumis concerne la clarification des contours de la faute disciplinaire à raison des actes juridictionnels, introduite à l'Assemblée nationale.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le garde des sceaux, le dispositif voté par les députés nous semble présenter deux écueils. Il paraît excessif au regard des limites fixées par nos principes constitutionnels et notre organisation judiciaire, en créant une confusion possible entre l'exercice des voies de recours et le pouvoir d'appréciation du CSM en matière disciplinaire. Il paraît également trop étroit, en ne permettant pas de sanctionner efficacement les carences d'un magistrat, car la poursuite ne pourrait être engagée que tardivement, une fois l'instance close par une décision de justice définitive. Cela pourrait durer dix ans !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pendant ce temps, ce magistrat resterait en fonctions, continuant éventuellement à avoir un comportement répréhensible ou à commettre des erreurs récurrentes.

La commission a donc jugé opportun de proposer un autre système, notamment en vue de prévenir plus efficacement les défaillances d'un magistrat à l'occasion des actes juridictionnels qu'il prend.

Par ailleurs, les citoyens qui s'estiment lésés par le comportement d'un magistrat aspirent à un traitement plus efficace de leurs réclamations.

Monsieur le garde des sceaux, votre projet initial, qui était un projet de loi ordinaire, prévoyait que le Médiateur transmette au garde des sceaux les réclamations des justiciables. Cette solution aurait été acceptable, à condition que chaque citoyen puisse saisir directement le Médiateur. C'est une des questions qui a créé quelques incompréhensions avec l'Assemblée nationale.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le système proposé par l'Assemblée est en outre fort complexe. Alors qu'il faudrait mettre en place un dispositif d'accès direct, on aboutit à une procédure peu lisible.

La saisine finale du CSM serait en effet soumise à trois filtres : un parlementaire, le Médiateur de la République et le ministre de la justice. Sans oublier les chefs des cours d'appel, qui fourniraient au Médiateur les informations lui permettant de décider s'il y a lieu de transmettre la réclamation au garde des sceaux. Or les chefs des cours d'appel peuvent eux-mêmes saisir directement le CSM. L'ensemble ne paraît pas d'une cohérence parfaite !

L'instauration d'un triple filtre, là où existait auparavant un accès direct, n'apporte donc pas un réel renforcement des garanties offertes aux justiciables.

On invoque des exemples étrangers. Or, non seulement comparaison n'est pas raison, mais notre Médiateur, créé en 1973, est doté de compétences particulières, qui ne correspondent pas tout à fait à celles des ombudsmans existant dans d'autres démocraties, notamment celles d'Europe du Nord.

On ne peut donc que s'interroger sur la pertinence de cette nouvelle mission confiée au Médiateur.

La commission des lois a estimé que la procédure définie par le texte issu de l'Assemblée nationale paraissait trop complexe et peu adaptée aux spécificités de la magistrature. Le renforcement de la confiance des citoyens dans la justice suppose au contraire la mise en place d'un dispositif simple et efficace d'examen des réclamations.

Il a donc paru souhaitable de confier l'examen des plaintes des justiciables à un organisme collégial, rassemblant des personnalités ayant l'expérience du milieu judiciaire mais n'appartenant pas, dans leur majorité, au corps judiciaire. Cette commission aurait vocation à recevoir les réclamations de toute personne physique ou morale qui s'estimerait lésée par un fait susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, commis par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions. Placée auprès du ministre de la justice, elle aurait pour mission d'examiner le bien-fondé des plaintes et, le cas échéant, de les transmettre au garde des sceaux aux fins de saisine du CSM.

Monsieur le garde des sceaux, il n'y a pour nous aucune ambiguïté : c'est le garde des sceaux qui apprécie s'il y a lieu de transmettre la réclamation au CSM. Si notre formulation n'est pas complètement claire, nous sommes tout à fait prêts à la rectifier.

Les modifications que vous propose la commission des lois sont le fruit d'un travail approfondi et recueillent un large consensus au sein du monde judiciaire. Or, nous le savons bien, l'adhésion des praticiens de la justice à la réforme que nous entreprenons sera une condition de sa réussite.

Mais ce projet utile, monsieur le garde des sceaux, n'épuise sans doute pas le sujet de la place de l'institution judiciaire dans notre société. Certains réclament d'autres réformes plus ambitieuses, prônant un bouleversement complet de la procédure pénale, pour lui donner un caractère accusatoire. Je ne suis pas sûr qu'ils en apprécient toutes les conséquences. Et puis pourquoi irions-nous plaquer sur notre système judiciaire des éléments empruntés à d'autres systèmes !

M. Robert Badinter. On réserve ça à la Constitution !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour le projet de loi organique. L'équilibre entre la répression nécessaire et l'appréciation des strictes règles permettant de garantir la protection des libertés fondamentales n'est facilité ni par l'opinion publique, changeant au gré des affaires médiatisées et estimant la justice alternativement trop laxiste ou trop répressive, ni par une institution parfois trop enfermée dans ses certitudes.

Nous souhaitons néanmoins, comme vous l'avez dit, monsieur le garde des sceaux, que ce projet contribue à restaurer la confiance dans notre justice. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto, rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour le projet de loi ordinaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun le sait ici et vous l'avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, le drame d'Outreau a profondément ébranlé l'opinion publique.

Au-delà de la défaillance des hommes, cette affaire a mis en lumière de graves dysfonctionnements de notre procédure pénale. Le retentissement qui y a été donné a aussi été vécu douloureusement par la quasi-totalité des magistrats.

Or, il faut le redire ici avec force, la faute de quelques-uns ne doit pas rejaillir sur l'ensemble de l'institution : dans leur grande majorité, les hommes et les femmes qui la composent s'acquittent de leurs missions, dans des conditions souvent difficiles, avec compétence et humanité.

Notre travail de législateur, je crois utile de le rappeler, doit s'efforcer de conjurer tout réflexe de repli du corps judiciaire sur lui-même. Un tel repli serait en effet très dommageable au regard de l'indispensable confiance qui doit prévaloir entre la magistrature et les justiciables.

L'affaire d'Outreau offre, au contraire, l'occasion d'une réflexion partagée pour améliorer le fonctionnement de notre justice pénale, et c'est une bonne chose que nous ayons à en discuter assez rapidement.

Le projet de loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, qui constitue le deuxième volet de la réforme présentée ce soir, s'efforce d'apporter une première réponse - que d'aucuns trouveront sans doute trop partielle, ils l'ont déjà fait savoir - aux insuffisances de notre droit.

Ce travail n'a pas été improvisé au dernier moment. Il s'inspire de nombreuses recommandations formulées lors de travaux antérieurs, réalisés ici même, mais aussi des conclusions du groupe de travail présidé plus récemment par le procureur général Viout, ainsi que, bien sûr, des travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'affaire d'Outreau. N'oublions pas non plus le rapport de M. Magendie, que vous avez cité, monsieur le garde des sceaux : le président du tribunal de grande instance de Paris s'était penché sur le problème des délais et des retards de production des décisions judiciaires.

Ce projet de loi tend à favoriser un travail plus collectif au sein de la magistrature, à encadrer le placement en détention provisoire, à renforcer le caractère contradictoire de la procédure pénale, à favoriser la célérité de la justice et, enfin, à améliorer les conditions de recueil de la parole du mineur victime.

Nous cherchons, tout d'abord, à rompre la solitude du juge d'instruction. C'est un changement majeur car, il n'y a pas si longtemps, lorsqu'on interrogeait les juges d'instruction, la plupart d'entre eux ne se plaignaient pas de cette solitude. Depuis quelques mois, un esprit nouveau se manifeste, sous l'influence d'événements difficiles. Une grande majorité des juges d'instruction que nous avons entendus, en particulier les représentants de l'association des magistrats instructeurs, nous ont dit leurs attentes quant à la perspective de travailler dans une collégialité pérenne.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Très bien !

M. François Zocchetto, rapporteur. Le projet de loi prévoit, dans un premier temps, la mise en place rapide de pôles de l'instruction dans certains tribunaux de grande instance. Ces pôles seront seuls compétents pour connaître des informations en matière criminelle ainsi que des informations faisant l'objet d'une co-saisine. Le texte prévoit, dans un deuxième temps - nous reviendrons sur le délai de cinq ans que vous nous proposez -, d'instituer la collégialité de l'instruction.

La constitution de pôles de l'instruction, puis la mise en oeuvre de la collégialité suscitent des inquiétudes. Tout d'abord, l'inquiétude des avocats d'un certain nombre de barreaux de province qui y voient l'amorce d'une révision de la carte judiciaire. Cependant, vous nous l'avez bien indiqué, monsieur le garde des sceaux, le principe de l'affectation d'au moins un juge d'instruction par tribunal de grande instance n'est pas remis en cause. En outre, le projet de loi prévoit que l'instruction se fera dans un pôle mais que l'audience se déroulera toujours devant la juridiction territorialement compétente.

Pour sa part, notre commission estime essentiel d'encourager des méthodes de travail plus collectives. Il faut reconnaître que la co-saisine ne fonctionne pas très bien aujourd'hui, probablement en raison de l'insuffisance des effectifs de juges d'instruction au sein de nombreux tribunaux de grande instance. Mais ce n'est pas la seule raison. Faut-il rappeler que, sur cent quatre-vingts tribunaux de grande instance, soixante-six ne comportent qu'un seul juge d'instruction qui, au 31 décembre 2004, traitaient moins de 5 % des affaires ? Il est important d'avoir ces chiffres présents à l'esprit : un tiers des juridictions ne pourront pas constituer de pôle de l'instruction. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de juge d'instruction dans ces tribunaux, mais il est vrai que la quantité d'affaires qui leur seront affectées sera très faible.

Les pôles devraient contribuer à répondre à ces difficultés et encourager le travail d'équipe. En outre, ils permettraient de mutualiser les moyens humains et matériels en même temps que de renforcer l'autorité des magistrats sur les services d'enquête. Enfin, ils auront aussi vocation à assurer la continuité dans la prise en charge des procédures ; actuellement, on observe régulièrement la succession de deux, trois, voire quatre juges d'instruction pour un même dossier, et c'est un problème qui n'est pas suffisamment mis en avant.

Par rapport au pôle d'instruction et à la co-saisine, même renforcée, la collégialité marquera un pas en avant car elle généralisera le principe de concertation pour les décisions les plus importantes.

Il convient de rappeler - vous ne nous en voudrez pas, monsieur le garde des sceaux - que la collégialité n'est pas une idée nouvelle. Notre collègue le président Robert Badinter - un de vos prédécesseurs -, l'avait proposée dans la loi du 10 décembre 1985, qui est malheureusement restée inappliquée.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est Pasqua qui l'a supprimée !

M. François Zocchetto, rapporteur. Il faut espérer que la collégialité proposée par ce projet de loi deviendra effective. Or le délai de cinq ans pour la mise en oeuvre de la réforme nous a paru, à tous, bien lointain et notre commission proposera au Sénat de le ramener à trois ans. Ainsi, l'une des premières tâches du prochain garde des sceaux consistera à s'attaquer à ce problème.

Pôle de l'instruction, puis collégialité : nous sommes conscients que le travail d'équipe procédera nécessairement d'un renforcement des moyens humains et matériels. Vous nous avez rassurés sur ce point tout à l'heure, monsieur le garde des sceaux, en nous communiquant des données chiffrées sur ces moyens supplémentaires.

Il nous faudra aussi rester vigilants sur un autre point : les postes de juge d'instruction « hors pôle », cantonné aux dossiers les plus simples, pourraient souffrir d'une certaine désaffection et se voir réservés aux jeunes magistrats issus du concours,...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Oui, mais il s'agira d'affaires simples !

M. François Zocchetto, rapporteur.... ceux-là mêmes qui ont besoin du « compagnonnage » ou de l'encadrement de juges plus expérimentés. À cet égard, l'expérience permettra de décider des éventuels ajustements nécessaires.

Le deuxième point abordé dans le projet de loi, qui est sans doute le point fondamental, celui auquel s'est le plus attachée l'opinion à l'occasion de l'affaire d'Outreau, c'est la détention provisoire. On pourrait même presque dire que c'est ce problème de la détention provisoire qui a donné lieu à « l'affaire d'Outreau ».

Entre 1985 et 2000, pas moins de six lois se sont succédé pour tenter de fixer les garanties nécessaires au placement en détention provisoire. Les problèmes demeurent : la primauté accordée à la détention provisoire sur le contrôle judiciaire en vertu du « principe de précaution », qui recueille paradoxalement l'assentiment de bon nombre de nos concitoyens ; une prise en compte souvent très stéréotypée des critères prévus à l'article 144 du code de procédure pénale pour décider de la détention ; la durée excessive de la détention provisoire, à savoir, en moyenne, deux ans en matière criminelle et 6,4 mois en matière correctionnelle, soit des durées très significatives, pour les personnes détenues, bien sûr, mais aussi pour toutes les parties prenantes au procès ; le contrôle insuffisant du juge des libertés et de la détention et de la chambre de l'instruction.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Du président de la chambre de l'instruction !

M. François Zocchetto, rapporteur. Devant ces constats, le projet de loi apporte quatre séries de réponses : premièrement, l'assistance obligatoire de l'avocat pour la personne mise en examen lors du débat concernant le placement en détention ; deuxièmement, la publicité de l'audience, tant pour le placement en détention par le juge des libertés et de la détention que pour le contrôle de cette mesure par la chambre de l'instruction, l'audience de cabinet devenant l'exception ; troisièmement, la redéfinition de certains des critères permettant le recours à la détention provisoire et le choix de limiter l'utilisation du critère du « trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public » au placement en détention, mais non à la prolongation de cette détention ; quatrièmement, la possibilité de réexamen par la chambre de l'instruction de l'ensemble de la procédure trois mois après la mise en examen, puis tous les six mois.

Ces mesures sont réellement importantes, et à ceux qui prétendent qu'il s'agit d'une « réformette », puisque nous avons entendu employer ce terme, je répondrai qu'ils n'ont pas vraiment examiné les dispositions de ce texte.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je pense comme vous, monsieur le rapporteur !

M. François Zocchetto, rapporteur. Ces mesures vont évidemment dans le bon sens. Toutefois, sur certains points, il a paru nécessaire à la commission des lois du Sénat de les ajuster.

En ce qui concerne, tout d'abord, la publicité de l'audience, nous pensons qu'elle n'est pas toujours favorable au mis en examen. Aussi proposerons-nous de donner à celui-ci la possibilité de s'y opposer, au regard du risque d'atteinte à la présomption d'innocence. Je sais que, pour l'heure, vous ne partagez pas forcément notre avis, monsieur le garde des sceaux, mais peut-être réussirons-nous à vous convaincre ! (M. le garde des sceaux sourit.)

En ce qui concerne, ensuite, la redéfinition de certains des critères du placement en détention provisoire que vous présentez, elle ne nous a pas paru apporter des garanties significatives et semble plutôt source de complexité inutile, voire de contentieux. Pour deux des critères, par conséquent, nous proposerons d'en rester au texte actuellement en vigueur, légèrement amélioré. Je pense que nous trouverons un accord.

En revanche, s'agissant du critère du trouble à l'ordre public, il est nécessaire d'aller plus loin que le projet de loi et d'interdire complètement de l'invoquer en matière correctionnelle.

En effet, aujourd'hui, le trouble à l'ordre public n'est pas invoqué de manière suffisamment rigoureuse.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est une tarte à la crème !

M. François Zocchetto, rapporteur. Il est d'ailleurs le plus souvent combiné avec un ou plusieurs des autres critères de l'article 144 du code de procédure pénale. En matière correctionnelle, un placement en détention nous semble donc toujours pouvoir être justifié indépendamment du trouble à l'ordre public.

Cependant, si la détention apparaît indispensable et qu'aucun autre critère que celui du trouble à l'ordre public ne trouve à s'appliquer, le jugement de l'intéressé pourra intervenir selon l'une des procédures rapides dont l'éventail n'a cessé d'être étendu par le législateur. Nous renvoyons ceux qui seraient intéressés par cette question au rapport de la commission des lois sur les procédures accélérées de jugement, qui témoigne du succès que celles-ci rencontrent.

En tout état de cause, jugeons plus vite les personnes qui sont susceptibles d'être condamnées et d'être placées en détention, mais ne laissons pas en détention provisoire, en fonction d'un critère que j'oserai qualifier de « trouble », précisément, des personnes qui ne savent pas ce qui va leur arriver.

En effet, il est inutile de rappeler que ce qui peut être terrible pour celui qui fait l'objet d'une mesure de détention provisoire, c'est de ne pas connaître les raisons pour lesquelles il est détenu ni le terme de la détention. Il me semble que le détenu qui a été jugé et connaît le motif de sa condamnation, ainsi que la durée de sa peine, est plus susceptible d'accepter sa détention et d'organiser sa sortie.

Par ailleurs, la commission des lois se félicite de ce que le principe d'un réexamen de la procédure par la chambre de l'instruction concernant une personne détenue ait été retenu. Toutefois, je tiens à souligner que la mise en oeuvre de cette disposition impliquera un renforcement considérable des moyens humains, qu'il s'agisse des magistrats ou des greffiers.

M. François Zocchetto, rapporteur. Sinon, les chambres de l'instruction seront encore plus encombrées qu'elles ne le sont aujourd'hui.

La question de la durée de la détention provisoire n'est pas abordée dans le projet de loi et on peut le regretter. Cependant, les difficultés rencontrées n'appellent pas seulement une réponse législative.

On observe ainsi que la détention provisoire se prolonge très souvent alors même que l'instruction est achevée.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. François Zocchetto, rapporteur. Vous connaissez ce problème, monsieur le garde des sceaux. L'explication se trouve dans des délais d'audiencement excessivement longs,...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est vrai !

M. François Zocchetto, rapporteur.... s'agissant notamment des cours d'assises, puisqu'ils peuvent atteindre en moyenne quatorze mois à Paris, par exemple.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. François Zocchetto, rapporteur. Envisagez-vous, monsieur le ministre, de mobiliser des moyens pour remédier à cette situation qui, à bien des égards, nous paraît choquante ?

J'évoquerai maintenant le renforcement du principe du contradictoire dans l'enquête et dans l'instruction.

Sous ce chapitre, le projet de loi prévoit d'abord l'enregistrement, en matière criminelle, des interrogatoires des personnes gardées à vue ou mises en examen.

Si l'obligation d'enregistrer les interrogatoires de garde à vue ne soulève aucune difficulté de principe, en revanche, nous nous sommes interrogés sur l'utilité de rendre obligatoire l'enregistrement des interrogatoires du mis en examen par le juge d'instruction, étant donné que l'interrogatoire, dans le cabinet du juge d'instruction, se déroule en présence du greffier et de l'avocat.

Dans ces conditions, l'enregistrement est-il vraiment indispensable ? Si l'on se réfère aux enregistrements des interrogatoires des mineurs délinquants gardés à vue, qui existent depuis plusieurs années, il semble, selon les informations recueillies par notre collègue Jean-Patrick Courtois dans son rapport sur l'enregistrement audiovisuel des gardes à vue remis au ministre de l'intérieur, que ces enregistrements n'aient été consultés que très rarement au cours des cinq dernières années, même si cela va peut-être changer.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a eu Outreau !

M. François Zocchetto, rapporteur. Si l'on considère néanmoins ces enregistrements comme nécessaires, pourquoi alors en limiter le champ d'application aux crimes ? S'agissant des interrogatoires conduits par le juge d'instruction, pourquoi réserver l'enregistrement aux seuls mis en examen, alors que l'obligation d'enregistrement pourrait être tout à fait justifiée en ce qui concerne les témoins ? Beaucoup de questions se posent donc.

C'est pourquoi la commission des lois du Sénat demandera au Gouvernement de présenter d'ici à deux ans, comme l'Assemblée nationale l'avait proposé, un rapport sur cette mesure et de préciser, en particulier, les conditions d'une éventuelle extension du champ d'application de l'obligation d'enregistrement.

Je ne m'étendrai pas sur les autres dispositions présentées dans ce projet de loi au titre du renforcement du contradictoire. Nous pensons que l'ouverture de la possibilité, pour le mis en examen, de demander le statut de témoin assisté ou la mise en place d'une procédure plus contradictoire en matière d'expertise ou de clôture de l'information sont de très bonnes initiatives.

En ce qui concerne la célérité de la justice, vous avez évoqué, monsieur le garde des sceaux, le rapport de M. Magendie, remis en juin 2004.

Le problème est réel. Améliorer la qualité de la justice suppose aussi de se préoccuper de la durée de l'instruction et de chercher les moyens de désencombrer les juridictions pénales.

Il existe cette fameuse règle, inscrite à l'article 4 du code de procédure pénale, selon laquelle le criminel tient le civil en l'état. Le projet de loi prévoit de confirmer le champ d'application de cette règle en précisant explicitement qu'il se limite aux seules actions civiles en réparation du dommage causé par une infraction faisant l'objet d'un procès pénal. Cela est parfaitement légitime.

Il s'agit ainsi de remettre en cause - vous l'avez déjà dit tout à l'heure, monsieur le ministre, mais je me permets d'insister sur ce point - la multiplication des plaintes pénales abusives et dilatoires, uniquement déposées afin de ralentir une procédure civile. Cette pratique est devenue courante en matière d'affaires financières, prud'homales ou familiales. À cet égard, les chiffres dont je dispose sont différents des vôtres, mais ils vont néanmoins dans le sens de votre démonstration, puisqu'il nous a été indiqué que 80 % des plaintes avec constitution de partie civile aboutiraient à un non-lieu au tribunal de grande instance de Paris. Ce taux progressant de semaine en semaine, il a peut-être été atteint tout récemment.

Je sais que cette mesure est très contestée. Nous en avons d'ailleurs assez longuement débattu en commission. Cela étant, je dirai sans hésitation à ceux qui voudraient que l'on ne modifie pas l'article 4 du code de procédure pénale que c'est évidemment à contrecoeur que nous envisageons de légiférer sur ce point : nous aurions préféré laisser le texte en l'état, mais certains comportements, parfois quasiment irresponsables, nous obligent à intervenir.

La commission des lois se félicite également des mesures présentées visant à empêcher les instructions et expertises injustifiées. Elle proposera d'ailleurs, par le biais d'un amendement, de rétablir le dispositif initialement inscrit dans le projet de loi, mais qui a été supprimé par l'Assemblée nationale, permettant au procureur de la République de prendre des réquisitions de non-lieu lorsqu'il est manifeste que les faits dénoncés par la partie civile n'ont pas été commis.

En outre, afin d'éviter des pourvois en cassation inutiles, voire préjudiciables à leurs auteurs parce que non présentés selon les formes appropriées, la commission a souhaité rendre obligatoire, comme en matière civile, la représentation par un avocat à la Cour de cassation pour tout pourvoi formé devant la chambre criminelle.

Enfin, nous nous intéresserons à la protection des mineurs, sujet qui a été abondamment évoqué à l'occasion de l'affaire d'Outreau.

Afin d'améliorer le « statut » du mineur victime issu de la loi du 17 juin 1998, qui malheureusement ne semble pas toujours appliquée sur le terrain, le projet de loi prévoit tout d'abord de rendre obligatoire l'assistance des mineurs victimes par un avocat, dès leur audition par le juge d'instruction.

Afin de renforcer l'obligation d'enregistrement audiovisuel des auditions des mineurs victimes, il est ensuite proposé de limiter les dérogations.

En particulier, le consentement de l'enfant ou de son représentant légal ne serait désormais plus requis pour procéder audit enregistrement. Il s'agit, par cette disposition, d'éviter que le refus de l'enfant ne soit invoqué, comme c'est trop souvent le cas actuellement, pour cacher une impossibilité technique ou la réticence des services concernés à procéder à l'enregistrement.

En outre, d'après les auditions que nous avons conduites, l'utilité de ces enregistrements est aujourd'hui incontestable, tant pour éviter aux enfants une multiplication excessive des auditions que pour la procédure pénale elle-même, le comportement ou la gestuelle du mineur pouvant également aider à la découverte de la vérité.

Lorsqu'un procès d'assises se tient, il n'est pas rare qu'il se soit écoulé trois ou quatre ans depuis que l'enfant a été entendu. Cela signifie qu'un enfant qui était âgé de onze ans au début de l'affaire se présentera devant la cour d'assises à l'âge de quatorze ans, voire de quinze ans. Son comportement aura alors bien sûr évolué, et il pourra s'avérer très utile, pour le jury, de prendre connaissance de la déposition initiale.

En conclusion, je dirai que, si ce projet de loi peut encore être amélioré, en particulier grâce aux amendements que nous présenterons, il apporte de réels progrès. C'est la raison pour laquelle la commission des lois demande au Sénat de l'approuver. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 76 minutes ;

Groupe socialiste, 49 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nos excellents rapporteurs ont analysé de manière précise, à la suite de M. le garde des sceaux, les projets de loi dont nous commençons à débattre ce soir et dont nous poursuivrons la discussion la semaine prochaine.

Je n'entrerai pas en cet instant dans le détail des mesures proposées : il faut bien réserver quelques surprises en cours de débat sinon nous risquerions de nous ennuyer ! (Sourires.) Je veux simplement, monsieur le garde des sceaux, après l'étalage de satisfaction auquel nous avons assisté - je n'ose dire d'autosatisfaction -, faire état de mon sentiment de déception, car c'est une grande occasion perdue pour notre justice.

Il est vrai que, depuis très longtemps, nous avons des problèmes avec notre procédure pénale. Certes, en ce qui concerne l'audience, sous réserve d'améliorations que l'on pourrait apporter notamment pour le plaider-coupable et maintenant que le double degré de juridiction en matière d'assises a montré ses vertus, nous ne pouvons pas dire que nous ayons des interrogations majeures.

En revanche, au niveau de l'enquête et de l'instruction, nous sommes incapables d'atteindre l'équilibre qui est sans cesse évoqué. Nous nous sommes tous interrogés sur les raisons de cette difficulté, car les efforts n'ont pas fait défaut. L'heure n'est pas aux colloques ni aux réflexions académiques, mais je crois que demeure dans notre justice une sorte de pesanteur inconsciente, culturelle - la culture judiciaire est importante dans une vieille institution comme la nôtre - de plusieurs siècles de tradition inquisitoriale et de mainmise de l'État, depuis l'époque où le roi tenait le glaive de la justice.

Certes, depuis le code de procédure pénale, des améliorations très importantes ont été apportées, mais elles n'ont pas suffi à rééquilibrer et à renforcer les droits de la défense, bref à permettre à notre procédure de se situer dans une perspective contemporaine qui doit être celle de toute justice européenne. Grâce au contrôle de conventionnalité et au contrôle de constitutionnalité, des progrès notables ont été réalisés, mais ils sont encore insuffisants au regard des deux défauts structurels de la procédure pénale française.

Le premier, c'est l'indifférence, dans la pratique sinon dans la rhétorique, à la présomption d'innocence. Dans notre justice, il n'y a pas de véritable culture de la présomption d'innocence. Certes, on en parle, mais cela demeure une façade plaquée sur une réalité bien différente.

Nous n'en avons pas le temps ce soir, mais il faudrait s'interroger plus avant sur ce constat. Je n'ai pas besoin de souligner devant la Haute Assemblée que la présomption d'innocence est pourtant le fondement de toute justice dans un État de droit démocratique.

Le second défaut, c'est le recours excessif à la détention provisoire, qui est la conséquence directe du premier « vice ». On peut y ajouter, mais c'est une autre question, le problème de la solitude du juge d'instruction.

Les efforts du législateur n'ont pourtant pas manqué. On est effaré, pour ne pas dire effrayé, par le nombre de lois de réforme de la procédure pénale intervenues dans ces domaines. Vous avez mentionné les dernières lois adoptées en matière de liberté et de détention provisoire. Malgré tant d'efforts, et ici nous en avons connu, la situation demeure inchangée.

Dans ce contexte est intervenue l'affaire d'Outreau. Elle restera dans les annales judiciaires - j'en suis hélas convaincu ! - comme un véritable désastre. L'opinion publique, qui est pourtant volontiers encline à dénoncer le prétendu laxisme de notre justice et de nos magistrats, souvent flattée par des hommes politiques maniant la démagogie et le populisme, deux maux fatals à la démocratie, a été stupéfiée d'apprendre que des femmes et des hommes pouvaient être ainsi arrêtés, mis en examen, détenus pendant des années, et se donner la mort, désespérés par une machine judiciaire qui s'était emballée et était devenue aveugle. On comprend l'émotion générale.

M. Perben, alors garde des sceaux, a eu raison de présenter des excuses et des regrets, au nom de la justice, à celles et ceux qui en étaient les victimes. On a pointé du doigt des magistrats qui ont été déclarés responsables et aussitôt coupables. Selon moi, il appartient au seul Conseil supérieur de la magistrature de dire ce qu'il en est.

Mais ce qui est acquis, c'est une prise de conscience que de telles affaires ne devaient plus se renouveler, qu'il était intolérable que des innocents subissent du fait de la justice de tels sorts et de telles souffrances, sans qu'aucune illégalité n'ait pu être relevée. C'était donc l'application de la loi qui débouchait sur ce constat terrible. Ce drame s'inscrivait dans le cours ordinaire des choses, en ces temps où la chasse aux pédophiles est devenue, à certains égards, presque obsessionnelle.

Comme c'était son devoir, l'Assemblée nationale a créé une commission d'enquête rassemblant toutes les sensibilités politiques ; il en avait été également question au Sénat. Présidée avec énergie et efficacité par André Vallini, animée vigoureusement par son rapporteur Philippe Houillon, elle a procédé à des auditions publiques, y compris à celle de M. le garde des sceaux, qui mobilisèrent l'attention.

Cette commission a présenté un rapport qui fera date. Il conclut par quatre-vingts propositions de réformes, dont beaucoup concernaient la procédure pénale et en particulier l'enquête et l'instruction. Consensus a été acquis.

C'était un moment important - je dirais même rare - dans l'histoire de notre justice. En effet, pour la première fois depuis près de trente ans, un consensus s'était établi entre la majorité et l'opposition, entre les différentes forces politiques de notre pays, sur un ensemble cohérent de réformes de la procédure pénale.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et la loi sur la présomption d'innocence ?

M. Robert Badinter. Nous avons obtenu de cette façon la réforme, qui fut longue, du code pénal. La méthode alors utilisée aurait dû inspirer celle que nous devons mettre en oeuvre pour la procédure pénale. Comme mon ami Michel Dreyfus-Schmidt, dont le ton n'altère pas les facultés d'interpellation, le rappelait justement, nous sommes parvenus aussi de la même façon à la loi de juin 2000.

Ce moment de consensus, je l'appelais de mes voeux depuis le 3 octobre 1981 - j'ai attendu un quart de siècle ! -, jour où j'ai rejoint mon ami Chandernagor à Strasbourg pour lever les réserves qui empêchaient les justiciables français de saisir la Commission et la Cour européenne des droits de l'homme. Nous savions que la mise en oeuvre nécessaire de tous les principes de la Convention européenne de sauvegarde des droits et libertés fondamentales serait dorénavant possible. Désormais, à travers les alternances, les principes du procès équitable et les droits fondamentaux des citoyens s'imposeraient aux majorités politiques successives comme à toutes les juridictions et autorités de l'État.

En ajoutant à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme les décisions du Conseil Constitutionnel, dont le corpus est particulièrement important en cette matière, nous avons assisté - et nous tous qui avions travaillé sur cette question en étions sûrs - à la formation d'un socle de principes et de règles auquel nous ne pourrions pas déroger, quelles que soient les alternances. Ce socle constitue le fondement intangible de notre procédure pénale.

Dès lors, au-delà des inévitables divergences, souhaitables et légitimes dans une démocratie, sur les conditions d'application et de mise en oeuvre des principes, l'essentiel était acquis.

Si la justice pénale doit se prêter au débat, elle ne devrait plus être, dès l'instant où nous sommes enserrés dans ce corps de principes fondamentaux communs auquel nous ne pouvons pas déroger, un champ clos d'affrontements politiques, comme elle l'a été depuis tant d'années. Elle devrait au contraire faire l'objet de travaux réfléchis, consensuels et fouillés, sur la question d'une meilleure mise en oeuvre par notre justice des règles du procès équitable. Les divergences s'inscrivent bien plus dans une réflexion juridique et technique, notamment économique, que dans des affrontements d'ordre politique. La justice française, si elle doit demeurer un sujet de réflexion et de propositions, doit dorénavant échapper à l'affrontement politique dans lequel trop souvent on a voulu la précipiter.

La remise en cause permanente à laquelle nous avons assisté à la suite des alternances - parce que nous avons méconnu cette identité fondamentale de principe et que nous avons voulu utiliser le débat sur la sécurité et la justice pénale dans l'arène politique - a eu pour conséquence la désastreuse inflation législative que vous avez évoquée et dont se plaignent à juste titre les magistrats, les avocats et tous ceux qui participent à un titre quelconque à l'oeuvre de justice. À cet égard, je dirai sans crainte d'être démenti qu'ils n'en peuvent plus ! Ils n'en peuvent plus de ces textes successifs votés par une majorité, auxquels la majorité suivante en substitue d'autres.

Je marque, monsieur le garde des sceaux, que votre gouvernement et sa majorité auront puissamment contribué à cette inflation législative, malgré les déclarations d'un président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, désireux d'y mettre un terme. Voyez ce qu'il est advenu depuis lors !

La commission d'Outreau nous offrait une chance exceptionnelle, comme si, dialectiquement, le bien pouvait sortir du mal, ou plutôt du malheur devrait-on dire ici. Encore fallait-il saisir et exploiter cette occasion unique, cette sensibilité d'un seul coup alertée. Hélas ! vous n'avez pas voulu le faire, pour notre plus grand mal commun, j'en suis convaincu.

Il est vrai que, en la circonstance, le calendrier était cruel. La commission d'Outreau a remis son rapport à la fin du mois de juin. La législature arrivait à son terme - nous y sommes maintenant -, l'automne était nécessairement chargé de textes, en particulier de nature budgétaire, les élections approchaient. Une campagne électorale, nous le savons tous, n'est assurément pas le moment le plus propice à l'analyse, au débat et au vote par le Parlement de profondes réformes de la procédure pénale. De telles réformes, que le rapport consensuel de la commission d'enquête parlementaire laissait espérer, sont pourtant nécessaires après le désastre d'Outreau.

La sagesse, permettez-moi de le dire, aurait été de mettre à profit la période électorale pour soumettre le rapport et les propositions consensuelles de la commission d'Outreau à tous les professionnels intéressés, non seulement aux associations et aux syndicats de tous ordres, mais aussi, comme on l'a fait en d'autres temps, aux assemblées de magistrats, aux barreaux, aux forums universitaires, afin de leur permettre d'en débattre, puis de formuler des observations et des suggestions.

Après cette concertation sérieuse - et seulement après -, dont les fruits auraient été recueillis par la direction des affaires criminelles et des grâces, indépendante, elle, de la conjoncture, le nouveau garde des sceaux - il y a des fortunes judiciaires, peut-être que ce sera vous, monsieur le garde des sceaux, même si, pour des raisons qui ne tiennent pas à votre personne, je ne le souhaite pas - et la nouvelle majorité à l'Assemblée nationale auraient pu sereinement, comme c'est possible en début de législature, se mettre à l'oeuvre, forts de la confrontation des opinions de tous les participants à l'oeuvre de justice.

Hélas ! cela ne s'est pas fait. Après la remise du rapport, vous avez préféré, très vite et sans concertation - les associations professionnelles, les magistrats, la commission des lois et son excellent rapporteur l'ont dit - déposer cet ensemble de propositions, de « réformettes » - le mot est à mettre au pluriel, non au singulier. Or une collection de réformettes n'a jamais fait une réforme.

Quoi qu'il en soit, que reste-t-il des quatre-vingts propositions de la commission d'Outreau dans les textes que vous nous soumettez ? Les textes soumis au Sénat en reprennent dix-neuf. Douze d'entre elles figuraient dans le texte soumis à l'Assemblée nationale, dont huit n'étaient que des reprises partielles. Les sept autres ont été introduites par l'Assemblée nationale. Aucune des autres mesures n'a été reprise.

Comme je l'ai déjà dit, je n'entrerai pas dans le détail de ces propositions. Permettront-elles de remédier aux dysfonctionnements majeurs qui ont été évoqués et qui ont fait toute la cruauté de l'affaire d'Outreau ? Je ne le pense pas, mais nous aurons l'occasion d'en débattre précisément.

Le seul véritable acquis de cette affaire, singulier à mes yeux - je ne parlerai pas de revanche, car je n'aime pas ce mot -, c'est la consécration d'une évidence, les mêmes causes produisant les mêmes effets.

Après l'affaire Grégory, nous avions longuement réfléchi sur ce sujet à la Chancellerie - je dis « nous » parce que je n'étais pas seul à travailler sur cette question, il y avait là des femmes et des hommes éminents, notamment l'actuel président de la chambre criminelle - et considéré que cela ne pouvait plus continuer ainsi.

C'est ainsi que l'évidence suivante nous est apparue : ou bien nous en finissons avec le système de l'instruction - terminé ! - et nous en venons au système du contrôle de l'instruction, à une procédure accusatoire adaptée, ou bien nous gardons le juge d'instruction et, dans ce cas, nous mettons fin à sa solitude et instaurons le travail en équipe. Tout le monde travaille en équipe - le parquet, la police, les avocats -, sauf le juge d'instruction, qui est seul. On vient d'en voir les résultats dans une grande affaire, avec un jeune juge, dans des conditions singulièrement proches de celles qui ont conduit à l'affaire d'Outreau.

La seule façon de remédier à ces dysfonctionnements, c'est de créer des équipes, les aînés travaillant avec les plus jeunes. C'est ainsi que l'on apprend son métier, les décisions étant prises collégialement, les uns s'habituant à travailler avec les autres. Chacun y gagnerait, car cruelle est la condition du magistrat qui doit prendre des décisions si importantes. Rien n'est aussi précieux que l'expérience partagée. Je n'insisterai pas plus longuement sur cette question, mais j'y reviendrai.

Le texte a été préparé, adopté et voté à l'unanimité - M. le garde des sceaux doit s'en souvenir -, et bien sûr mis de côté, remisé.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Pourquoi ?

M. Robert Badinter. Je vous réponds sur le champ, monsieur le garde des sceaux ! J'avais créé soixante-quinze postes. La réforme devant être mise en oeuvre en deux ans, soixante-quinze autres postes devaient être créés. Les soixante-quinze premiers postes ont délibérément été transférés au niveau des cours d'appel.

En lisant de vieux textes, j'ai retrouvé ce qu'avait déclaré Alain Peyrefitte en 1984. Après tant d'années, l'envolée de cet homme du premier talent, qui fut garde des sceaux et avec qui j'ai tant croisé le fer, m'a fait sourire : « en une matinée, nous "débadintériserons" la justice ».

Reconnaissons qu'il était tout de même difficile de rétablir la peine de mort et une juridiction d'exception et de supprimer toutes les lois que j'avais fait voter en faveur des victimes. Je pourrais également évoquer le domaine civil. Mais il restait une dernière réforme - la collégialité de l'instruction -, et celle-là, personne, pas même les magistrats, n'en voulait à l'époque. Le temps n'était pas encore venu.

Alors on a purement et simplement supprimé ces soixante-quinze postes. Depuis lors, on a modifié, bricolé, allais-je dire, et les mêmes causes - solitude, grande affaire, pression médiatique - produisant les mêmes effets, le résultat fut malheureusement l'affaire d'Outreau.

Aujourd'hui, les esprits ont changé, le temps est venu. Comme je l'ai fait en commission des lois, je ne peux que rappeler avec ironie le propos de notre éminent prédécesseur, qui fut également garde des sceaux, Edgar Faure, selon qui on a toujours tort d'avoir raison trop tôt. En politique, c'est assez vrai !

Nous en revenons aujourd'hui à la collégialité de l'instruction. C'est à mon avis le seul véritable acquis de cette réforme. Disons-le clairement, les pôles de l'instruction sont des préliminaires. La cosaisine que vous préparez préfigure évidemment l'instruction collégiale, par des équipes de magistrats instructeurs.

Cette réforme ne peut toutefois se faire ainsi, et ce sera ma remarque conclusive. Elle ne peut être réalisée qu'à trois conditions, qui valent pour toute réforme de la justice.

La première est une condition de moyens. Il est inutile d'y insister. Le budget d'abord ! M. Hyest a d'ailleurs fait quelques observations sur les postes disponibles.

La deuxième condition, c'est la révision de la carte judiciaire. Nous ne transformerons pas, nous ne moderniserons pas la justice française si nous ne nous décidons pas à en finir avec la question de la carte judiciaire. Une telle réforme est plus facile à réaliser pour un garde des sceaux entrant que pour un garde des sceaux sortant.

Les pôles de l'instruction ne constituent qu'un pas vers cette réforme. En effet, même si mille précautions sont prises, c'est bien la transformation de la carte judiciaire de l'instruction qui s'annonce, et elle est souhaitable. Le principe sera celui d'au moins un collège d'instruction par département. Quand cela ne sera pas possible, on procédera à des réunions, même si cela ne satisfait pas toujours les barreaux locaux.

La troisième exigence est la suivante. Toute la législature a été marquée par un accroissement considérable des pouvoirs du parquet. Il est grand temps de donner aux magistrats du parquet les mêmes garanties statutaires, disciplinaires et d'indépendance que les autres magistrats.

Je rappelle que le texte de la réforme constitutionnelle a été voté par l'Assemblée nationale et par le Sénat, mais qu'il dort ! Dans les semaines à venir, le Parlement se réunira en Congrès à Versailles pour adopter des réformes constitutionnelles. Certaines sont excellentes, d'autres le sont moins, nous en reparlerons.

Ce soir, je dis que rien ne sera possible si nous ne nous décidons pas à donner aux magistrats du parquet, grand corps hiérarchisé sous l'autorité du ministre, pour leur carrière et pour leur statut disciplinaire, les mêmes garanties que les magistrats du siège. Je souhaite que l'occasion soit saisie à Versailles prochainement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à la différence de mon prédécesseur, je ne suis pas de ceux qui pensent qu'il ne faut rien faire quand on ne peut pas tout faire. L'expérience et la sagesse qui en est le fruit nous enseignent que c'est déjà bien de faire quelque chose.

Monsieur le garde des sceaux, vous nous proposez des dispositions dont vous attendez qu'elles amélioreront le cours de la justice, sans prétendre remédier substantiellement à ses graves difficultés.

Face aux circonstances bouleversantes que l'on vient d'évoquer - et en quels termes ! -, une telle réponse signifie que nous nous refusons à la résignation et au scepticisme. C'est en ce sens que le groupe UC-UDF s'associe à votre démarche, faisant sienne la réflexion de La Bruyère selon qui « un innocent condamné est l'affaire de tous les honnêtes gens ».

Sur le fond cependant, je dois vous avouer que les dispositions de ces deux textes suscitent bien des doutes et, il faut le dire, un enthousiasme assez limité chez tous ceux qui, ici, y réfléchissent consciencieusement.

Pour ma part, et je m'exprime là de manière un peu plus personnelle, j'ai le regret de constater que ces dispositions ne touchent guère, ou si peu, à ce qui me paraît constituer en réalité le fond du problème, je veux parler de la formation des magistrats. Je mets ici à part, sans aucunement l'ignorer, ce qui résulte de l'insuffisance des moyens de la justice, insuffisance persistante - dont il faut avoir conscience et qui doit être sans cesse rappelée -, en dépit de la remarquable amélioration budgétaire...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Pierre Fauchon. ...qui s'est produite durant cette législature, et dont nous pouvons vous féliciter.

Mon ami François Zocchetto ayant traité de la procédure pénale, je limiterai mon propos au statut des magistrats et, très précisément, à leur formation.

Je ne crois pouvoir mieux introduire ce propos qu'en me référant aux diagnostics et aux avertissements de deux magistrats qui, étant tout à la fois au sommet de leur carrière et au sommet des hiérarchies, doivent, me semble-t-il, être écoutés attentivement.

Il s'agit tout d'abord de M. Canivet, Premier président de la Cour de cassation, affirmant lors de la séance solennelle de la rentrée 2006 : « La formation du juge conditionne l'authenticité de la justice. Elle lui apprend non seulement à rendre des décisions conformes au droit ; bien plus, elle l'incite à réfléchir à son rôle, à sa place dans les institutions, à ses obligations, à ses devoirs, à ses habitudes, à ses présupposés... à la vérité, à l'équité. ».

Un an plus tard, il y a quelques jours, dans la même séance de rentrée, le procureur général M. Nadal, dont le positionnement diffère, revenait sur ce thème et en quelque sorte « enfonçait » le clou dans les termes suivants : « Ne nous y trompons pas, c'est une crise majeure. Elle implique de reconsidérer les fondations avant même de modifier telle ou telle disposition de procédure civile ou pénale.

M. Pierre Fauchon. Je ne crois pas que quelques ajustements de procédure, comme il en intervient trop souvent, nous sortiront de l'ornière. C'est, je le répète, aux fondations qu'il faut s'attaquer. Par là, j'entends principalement la formation des magistrats [...] ».

De tels propos, dont l'expression est évidemment modérée par les circonstances, doivent être pris comme un très grave avertissement. Ils nous invitent clairement à remettre en cause le système de formation des magistrats professionnels, qui, pour l'essentiel, restent les détenteurs de l'oeuvre de justice. Et cela ne vaut pas seulement pour la procédure pénale, car les errements de la justice civile, pour être évidemment moins scandaleux que ceux qui ont été évoqués tout à l'heure, n'en sont pas moins tout aussi graves et, malheureusement, tout aussi fréquents.

Certes, le présent texte s'efforce d'apporter ici ou là des améliorations ponctuelles - il ne pouvait probablement pas faire mieux dans le court laps de temps dont nous disposions -, soit qu'il allonge le stage initial dans un cabinet d'avocats, soit qu'il prévoie une période de mobilité pour l'accès aux fonctions de second grade, soit qu'il rende obligatoire la formation permanente.

Ces mesures apporteront certainement des améliorations. Elles ne sauraient remédier pour autant à ce qui fait la faiblesse fondamentale et originelle de la plupart de nos magistrats, je veux parler de l'ignorance des réalités et de l'insuffisance d'esprit de discernement, l'un étant lié à l'autre. À quoi semble devoir s'ajouter de plus en plus souvent l'insuffisance de culture juridique, ce qui est tout de même un comble !

Qui peut croire sérieusement que le fait d'être capable de faire de bonnes compositions écrites ou de brillants exposés oraux suffit à rendre un homme ou une femme apte à comprendre les réalités économiques, sociales, familiales qui sont la matière des litiges qu'ils devront trancher ? C'est le coeur de la question ! Et, si le magistrat n'a pas acquis cette compréhension à travers une expérience concrète suffisamment longue pour qu'elle soit entrée en quelque sorte dans sa propre chair, qui peut croire que des stages, nécessairement brefs même s'ils peuvent paraître longs, compenseront cette carence ?

Les fruits de l'expérience sont nombreux et irremplaçables. J'en citerai trois.

Le premier est de saisir ou de pressentir les circonstances dans leur réalité, dans leur vérité, au-delà des formulations judiciaires toujours plus ou moins artificielles, pour ne pas dire artificieuses.

Le second est de rendre le juge plus sensible aux enjeux concrets d'un litige et à l'urgence de le résoudre, et de le détourner de la tentation qui est trop souvent la sienne de se réfugier dans des considérations de procédures, comme de l'indifférence au temps qui s'écoule, à ces fameux delay of the law dont Hamlet se plaignait déjà et auxquels la justice se montre trop souvent indifférente, avec une espèce de superbe véritablement décourageante. Il s'agit, selon la formule du président de la commission des lois, de « mieux mesurer l'impact sur la vie des justiciables » des décisions de justice. Il y a là trop souvent un manque, me semble-t-il.

Le troisième avantage de l'expérience, et peut-être le meilleur, c'est qu'elle est la véritable et l'unique école du « discernement », cette faculté supérieure dont le président Canivet nous rappelait qu'elle est la qualité essentielle des bons juges.

Réalisme, sensibilité au réel, discernement, qui peut nier que ces qualités soient étrangères, pour ne pas dire antinomiques, à l'art de passer des concours, art qui semble devenir de plus en plus l'ultime ratio des grandes écoles confirmant chaque jour le diagnostic d'Ernest Renan, pour qui « le système des examens et des concours n'est pas la moindre cause de notre abaissement » ?

Faut-il rappeler qu'en Grande-Bretagne, dont il y a tant de bons enseignements à recevoir...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela dépend sur quoi !

M. Pierre Fauchon. ...- on en reçoit beaucoup ces temps-ci -, on devient magistrat non pas au prix d'un concours mais au prix du couronnement d'une véritable carrière d'avocat, parce que l'on a « fait ses preuves ». Ces magistrats échappent dès lors à cet excessif particularisme qui caractérise notre magistrature et qui nourrit fatalement des réactions de caractère corporatiste. J'emploie cet adjectif non pas de manière blessante, mais simplement pour caractériser une situation dans laquelle un certain corps vit tout au long de la carrière en vase clos.

Sans aller jusqu'à imiter le système anglais, ce qui serait sans doute bousculer excessivement nos habitudes, est-il inconcevable de poser en principe général que nul ne peut devenir magistrat s'il n'a pratiqué d'autres activités dans des fonctions de responsabilité, de préférence non judiciaires d'ailleurs, pendant une période assez longue - de cinq à dix ans - pour avoir éprouvé concrètement ce que sont les réalités de la vie et appris à discerner le réel des apparences, le bon du mauvais, et à peser la charge d'humanité dont tout litige est porteur ?

J'ai déposé en ce sens un amendement, qui nous donnera, en tout cas, l'occasion d'approfondir cette question.

Est-il nécessaire d'ajouter immédiatement que cette exigence d'expérience ne diminue en rien et exclut moins encore l'exigence de la formation juridique et de la qualification qui la sanctionne ?

Je me heurte cependant ici à une autre difficulté, aussi fondamentale qu'imprévue, et qui, j'en suis sûr, en surprendrait plus d'un dans cette séance si toutefois nous étions assez nombreux, ce qui n'est pas tout à fait le cas.

Il paraît qu'on peut de nos jours devenir magistrat sans avoir fait réellement des études de droit !

M. Pierre Fauchon. Vous en avez été vous-même passablement surpris, monsieur le garde des sceaux, lorsque je vous ai interrogé sur ce point en réunion de commission, voilà quelques semaines. Sur votre réponse finalement affirmative, j'ai cru pouvoir vous demander s'il y en avait beaucoup : sont-ils quatre ou cinq, cinquante, cent ou cent cinquante à ne pas posséder de titre juridique véritable ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est dommage que vous ne connaissiez pas leur nombre !

M. Pierre Fauchon. Je reste curieux de savoir combien nous avons de magistrats non titulaires d'un diplôme sanctionnant des études de droit, au moins une licence et de préférence une maîtrise.

J'attends toujours la réponse ! Dois-je croire qu'il s'agit d'un secret d'État ? Dois-je à mon tour interroger les Renseignements généraux ? (Sourires.) Certainement pas, me direz-vous ! Je me permets donc, monsieur le garde des sceaux, de vous poser de nouveau la question à l'occasion de cette séance publique. J'espère que vous ne me trouverez pas impertinent si j'exprime le souhait, en mon nom personnel et au nom, j'en suis sûr, de beaucoup de mes collègues, de bénéficier d'une réponse à l'occasion de ce débat. À supposer que la Chancellerie l'ignore, ce qui d'ailleurs me surprendrait, l'École nationale de la magistrature détient sans doute cette information.

La question est très importante. Nous ne sommes pas un pays de common law et de jurisprudence, nous sommes un pays de droit écrit, ce qui signifie à tout le moins que les juges professionnels qui seront appelés à présider des tribunaux, plus tard des cours d'appel et, pour certains d'entre eux, à siéger à la Cour de cassation, doivent avoir reçu non les connaissances superficielles de quelques aspects du droit nécessaires pour passer les épreuves de concours et oubliées aussi vite qu'apprises, mais cette culture juridique générale et approfondie qui ne peut résulter que de plusieurs années d'études, avec ce qu'elles comportent de cours, de conférences, de travaux pratiques et d'exercices successifs. C'est cela qui fait la véritable culture juridique.

Il est bien évident que la brève formation reçue à l'École nationale de la magistrature peut compléter et approfondir les connaissances sur tel ou tel point mais ne peut pas remplacer cette culture.

Une telle exigence me paraît d'autant plus évidente qu'elle existe, je le rappelle, en ce qui concerne les avocats. Sauf preuve du contraire, pour devenir avocat, il faut justifier d'un diplôme de maîtrise sanctionnant des études juridiques, ce qui n'est pas exigé d'un juge professionnel.

Est-il concevable que nos présidents de chambre aient une meilleure formation aux sciences politiques ou aux belles lettres qu'à une culture juridique ? Cela est cependant possible puisque nous nous sommes laissés aller sans beaucoup de réflexion, me semble-t-il, à admettre des auditeurs de justice uniquement titulaires du diplôme d'un institut d'études politiques,...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est horrible ! (Sourires.)

M. Pierre Fauchon. ...ce qui me paraît au demeurant relever d'une fâcheuse symbolique. Cela laisse en effet à penser qu'ils sont peut-être plus doués pour la politique que pour le droit et la justice, ce dont ils donnent parfois des signes inquiétants.

M. Pierre Fauchon. On me dira sans doute que ces magistrats, à l'occasion, jugeront aussi bien que d'autres parce qu'ils jugeront en équité, ce à quoi je répondrai avec Montesquieu : « Dieu nous garde de l'équité des Parlements » !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est vrai !

M. Pierre Fauchon. Montesquieu n'était pas un sot et il savait de quoi il parlait.

Dans cet esprit, j'ai déposé un autre amendement qui tend à exiger de tout candidat à l'École nationale de la magistrature qu'il ait effectivement fait des études sanctionnées par le diplôme de la maîtrise ou à tout le moins de la licence. Je dois dire que je suis surpris qu'il faille déposer un amendement pour aboutir à un tel résultat.

La discussion de ces amendements nous permettra d'approfondir cette réflexion dont je mesure qu'elle soulève bien des questions que nous ne pourrons pas résoudre en quelques jours.

Je mesure donc que ces questions ne sauraient être résolues dans le cadre du présent débat. C'est pourquoi je suggère à la commission des lois, avec la déférence que je lui dois, qu'elle se saisisse du problème de la formation des magistrats dans son ensemble, qu'elle crée une mission d'information consacrée à cette question si capitale, mission qui devra naturellement s'informer des systèmes en vigueur dans quelques États membres de l'Union européenne afin de bénéficier de leur exemple et de placer notre démarche sous le signe de l'espace judiciaire européen.

J'espère que la suite qui sera donnée à cette suggestion permettra de donner à mes amendements un sens aussi « constructif » que possible, et surtout donnera au Parlement la possibilité d'assumer pleinement ses responsabilités dans ce domaine capital de la formation des magistrats. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le président de la commission des lois applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les deux projets de loi organique et ordinaire que nous examinons aujourd'hui sont destinés à apporter des réponses simples, rapides et surtout efficaces aux dysfonctionnements de la justice révélés par ce qu'il est désormais convenu d'appeler « la tragédie d'Outreau ».

Cette triste et dramatique affaire a mis en exergue ces dysfonctionnements. Même s'il n'est évidemment pas question ici de porter atteinte aux compétences et à l'honorabilité des centaines de magistrats qui rendent la justice dans notre pays, il convient assurément de tirer quelques enseignements de cet événement malheureux, sauf à prendre le risque de voir surgir à l'avenir d'autres affaires Outreau.

Concernant le projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, je souhaiterais tout d'abord rappeler une actualité assez récente.

On a beaucoup commenté cet été les propos qualifiés d'« inadmissibles » du ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur la responsabilité des magistrats. Qu'a-t-il dit de si grave pour provoquer une telle colère au sein de la magistrature ? Un émoi qui s'est d'ailleurs parfois révélé pour le moins excessif de la part de certains professionnels qui ont une vision à sens unique de la séparation des pouvoirs.

Est-il réellement scandaleux de considérer qu'un homme qui détient de la société elle-même une parcelle de pouvoir ou d'autorité ait à rendre des comptes sur la manière dont il en use ? Nous-mêmes, élus, avons plus que tout autre à rendre des comptes sur notre action, nos choix et notre probité. Le contestons-nous ?

Et l'on vient nous expliquer doctement que la responsabilité civile des magistrats ne peut pas être engagée. Mais à quel titre ?

Permettez-moi de relater une anecdote que l'un de nos collègues nous a contée il y a quelques jours.

À l'occasion des voeux de la nouvelle année 2000, un président de tribunal de grande instance expliquait, dans une envolée lyrique, le bien-fondé de la responsabilité pénale des élus locaux et dénonçait dans le même temps, sur un ton inquisitorial, la proposition de loi éponyme de notre excellent collègue Pierre Fauchon. Cette loi a d'ailleurs porté ses fruits et équilibré la balance de la justice en la matière.

Or, lors des voeux de cette année, ce même président n'a pas cette fois-ci hésité à dénoncer la réforme scélérate consistant à accroître la responsabilité des magistrats.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est du joli !

M. Christian Cambon. Cette anecdote en dit long sur le travail qu'il reste à accomplir. Et je ne parle pas de la mobilité dans les carrières, bien que ce magistrat soit toujours au même poste !

S'agissant du régime disciplinaire, notre groupe se félicite des mesures prises en matière de mobilité, et notamment de la disposition que nous proposera la commission des lois afin de faciliter la nouvelle obligation de mobilité pour l'accès aux postes les plus élevés, hors hiérarchie.

En fin de législature, il n'était sans doute pas opportun de trancher le débat en réformant le régime de la responsabilité civile des magistrats. Soit ! Je me range donc avec satisfaction aux conclusions pertinentes de notre éminent président et rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest.

Notre groupe souscrit pleinement à ses propositions, qui parviennent à un juste équilibre entre respect de l'indépendance de l'autorité judiciaire et exigence de responsabilité accrue des magistrats.

Ainsi, le dispositif qui nous est proposé va pleinement dans le sens qui doit animer le législateur. Il sera simple à mettre en oeuvre et renforcera la confiance de nos concitoyens en notre justice. Ils ne pourront plus la qualifier d'opaque lorsqu'ils s'estimeront lésés par le comportement d'un juge de l'ordre judiciaire.

La commission de transparence de la justice qui nous est proposée par M. Jean-Jacques Hyest permettra un meilleur accès à la justice, car elle se substitue au triple filtre initial constitué par le triptyque parlementaire, médiateur, ministre de la justice ou chef de juridiction. En saisissant directement cette instance, le justiciable aura la certitude d'obtenir une réponse circonstanciée et, le cas échéant, la transmission de la plainte au garde des sceaux aux fins de saisine du Conseil supérieur de la magistrature.

Nous approuvons également sa composition. En effet, pour éviter toute complaisance corporative, cette autorité collégiale rassemblera des personnalités dont la majorité devra ne pas appartenir au corps de la magistrature.

Mais le véritable enjeu, et il dépasse largement les prérogatives du seul législateur, est celui de la formation des magistrats, comme Pierre Fauchon vient si brillamment de le rappeler avec moult détails.

Bien évidemment, il ne s'agit pas pour notre groupe de remettre en cause l'excellence de la formation que bon nombre de pays nous envient et qui honore l'École nationale de la magistrature. Cependant, il nous semble qu'un effort considérable doit être mené dans les prochaines années afin que les générations qui sortiront des écoles de magistrature, d'avocats, mais également des écoles de police ou de gendarmerie, apprennent à mieux se connaître, à se comprendre et à respecter mutuellement leurs fonctions et leur rôle dans la chaîne judiciaire. Ce qui frappe les étrangers qui viennent étudier chez nous, c'est justement l'existence de ces frontières quasi infranchissables entre les différents corps.

Il est essentiel d'huiler notre chaîne judiciaire pour améliorer son fonctionnement. Il faut offrir cette chance aux futures générations qui sortiront de leurs écoles respectives dans les années à venir. Elles doivent apprendre à se comprendre et à se respecter. Voilà l'enjeu pour le futur immédiat, et il n'est pas négligeable.

Aussi, nous nous félicitons des dispositions du projet de loi organique qui ont pour objet d'allonger la durée du stage en cabinet d'avocat et de l'identifier plus clairement au cours de la scolarité. Cependant, à la lecture des réactions négatives des courriers de magistrats, retraités ou encore en exercice, que nous recevons sur cette simple mesure, je me dis que le chemin à parcourir est encore long. Notre conviction n'en est pas pour autant entamée.

D'ailleurs, pourquoi devrait-on limiter cette mesure aux seuls cabinets d'avocats ? Un stage dans un commissariat de police ou dans une brigade de gendarmerie serait tout aussi formateur pour ceux qui se destinent aussi bien au parquet qu'au siège.

Nous ne pouvons pas non plus passer à côté du défi de la réforme de la formation des magistrats. L'excellence de ce corps passe par une modernisation désormais nécessaire des enseignements. Il est en effet inconcevable qu'il n'y ait ni droit comparé, ni criminologie, ni droit international privé dans les matières enseignées. L'École nationale de la magistrature ne peut pas vivre en vase clos.

Il faudra réfléchir dans les délais les plus brefs aux aménagements nécessaires. Je ne doute pas que notre commission des lois jouera son rôle d'éclaireur en la matière et prendra toute sa part à ce débat.

Je souhaiterais aborder tout de suite le droit de réserve, car il a suscité un certain émoi, tant parmi certains de nos collègues que dans la presse locale.

Nous sommes nombreux à considérer comme totalement inadmissible que des magistrats puissent outrepasser leur devoir de réserve pour investir le champ de la politique.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous voulez parler du juge Jean-Pierre ?

M. Christian Cambon. J'espère, monsieur le garde des sceaux, que vous nous donnerez votre sentiment à ce sujet.

La presse a récemment rapporté qu'une conseillère d'une cour d'appel de province, dans la région Est, avait décidé « en prenant ses risques » de coprésider le comité de soutien bas-rhinois d'un candidat à la présidence de la République. Cette magistrate a déclaré : « Jamais je n'ai senti la justice autant en danger. Je m'engage pour que la candidate socialiste, la seule qui puisse permettre à la justice de fonctionner,...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comme en Chine ?

M. Christian Cambon. ...soit élue. Son principal opposant affiche un irrespect de l'institution judiciaire jusqu'à vouloir la peau de certains magistrats. »

Peut-on admettre que, à ce jour, il n'y ait eu aucune réaction, ni de la part du Premier président de la cour d'appel, ni de la part de la Chancellerie, ni même de la part du Conseil supérieur de la magistrature ?

Ne conviendrait-il pas de rappeler la portée de l'article 10 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, qui dispose que « Toute manifestation d'hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions » ? Il me semble que cette disposition est particulièrement d'actualité en cette période d'élections présidentielle, législatives et locales, d'autant que dans le cas auquel je fais référence le département où ladite conseillère à la cour d'appel s'est engagée politiquement est du ressort de sa juridiction.

Ne conviendrait-il pas également de compléter l'article 9 de cette ordonnance, aux termes duquel « Nul ne peut être nommé magistrat ni le demeurer dans une juridiction dans le ressort de laquelle se trouve tout ou partie du département dont son conjoint est député ou sénateur » ?

En effet, de plus en plus de magistrats de l'ordre judiciaire, conjoint d'homme ou de femme politiques, sont identifiés comme étant étroitement liés à leur conjoint au risque de créer une confusion des genres et de semer un trouble dans l'opinion publique. Il me semble donc souhaitable d'étendre cette incompatibilité au conjoint de maires de communes de plus de 3 500 habitants, de présidents de conseils régionaux ou généraux, ou de secrétaires départementaux d'un parti politique.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et à la télévision aussi !

M. Christian Cambon. Un magistrat doit être insoupçonné et insoupçonnable. Il faut donc adapter les dispositions de l'article 9 à la modernisation de la société et à la médiatisation de la vie judiciaire et politique. Votre opinion sur ce sujet, monsieur le garde des sceaux, nous intéresse tout particulièrement.

J'en viens au second volet de la réforme, à savoir le projet de loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, et, en premier lieu, à l'importante réforme des pôles de l'instruction, qui est très attendue.

Certains se sont inquiétés du risque d'éloignement de la justice pénale au détriment des prévenus, mais également des victimes. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.) Nous ne partageons pas cette position, car notre ambition est au contraire de rapprocher la justice de nos concitoyens.

Tout d'abord, le projet de loi ne porte en aucune manière le germe de la suppression de tribunaux de grande instance, contrairement à ce que nous entendons ici ou là. La constitution de pôles de l'instruction ne mettra nullement en cause le maintien d'un juge d'instruction dans chaque tribunal de grande instance.

Aujourd'hui, il existe, dans les faits, un poste de juge d'instruction par tribunal de grande instance, et cela en dépit de toute contrainte législative. On ne saurait revenir sur ce principe qui garantit un maillage équilibré de la justice judiciaire sur notre territoire.

De plus, le projet de loi a pour principale ambition d'améliorer l'accessibilité de nos concitoyens à la justice. La création de ces pôles - contexte d'Outreau oblige - nous a souvent été présentée comme un gain en matière de décision.

La collégialité permettra de rompre avec la solitude du juge d'instruction en instituant une culture de la concertation sur les actes les plus importants de l'instruction, comme la mise en examen ou le placement sous contrôle judiciaire. Ces pôles garantiront la continuité effective de l'instruction, alors même qu'elle est aujourd'hui trop souvent mise à mal par les mutations des magistrats en charge des procédures.

C'est surtout ce dernier aspect qui est essentiel pour nos concitoyens. Il s'inscrit dans notre volonté de garantir la rapidité de la justice pénale, même si nous ne partageons pas, chers collègues du groupe socialiste, l'engouement de votre candidate pour la justice chinoise, expéditive s'il en est !

J'aborderai maintenant les autres mesures importantes.

Certains esprits chagrins ont considéré que ce texte n'allait pas assez loin par rapport aux ambitions affichées dans les conclusions de la commission d'enquête sur la tragédie d'Outreau. Certes, beaucoup de gens auraient souhaité aller plus loin, mais ce sont les mêmes qui divergeaient sur les objectifs à atteindre en ayant des interprétations parfois très différentes des conclusions de ce rapport.

En la matière, le mieux est l'ennemi du bien. À quelques semaines de la fin de la législature, il n'aurait pas été possible de réformer en profondeur notre procédure pénale. Aussi, la solution que vous avez retenue, monsieur le garde des sceaux, est la bonne : concentrer l'action sur l'essentiel et sur ce qui pose le moins de questions pour avancer. C'est peut-être un pas modeste, mais c'est un pas réel, qui donne le ton de notre ambition pour la prochaine législature. Car, n'en doutons pas, le chantier demeure ouvert !

En matière de placement en détention provisoire, notre groupe souscrit pleinement aux propositions qui nous sont faites. N'oublions pas que l'affaire d'Outreau était avant tout « le procès de la détention provisoire abusive ».

Malgré tout ce qui a été entrepris depuis des années, la détention provisoire apparaît malheureusement toujours comme l'une des principales faiblesses du fonctionnement de la justice : une détention provisoire trop souvent préférée au contrôle judiciaire ; une définition imprécise des critères justifiant le placement en détention provisoire ; une durée de détention excessive, François Zocchetto l'a souligné, de deux ans en moyenne en matière criminelle et de six mois en matière correctionnelle ; enfin, un contrôle insuffisant du juge des libertés et de la détention, ainsi que de la chambre de l'instruction.

Pour corriger ces faiblesses, les dispositions proposées vont dans le bon sens.

Afin de faire disparaître un instrument dont on a plus qu'abusé, notre commission des lois propose, et nous soutenons cette initiative, de supprimer le recours au critère de « trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public » pour justifier un placement en détention provisoire en matière correctionnelle.

Ces dispositions suffiront-elles à tout régler ? Évidemment, non.

Malgré la création des juges des libertés et de la détention, qui ont pour mission de statuer sur le placement en détention des prévenus sur saisine du juge d'instruction, nous savons que plus de 90 % des demandes des magistrats instructeurs sont satisfaites.

Là où la création de magistrats spécifiques n'a pas réussi à faire baisser les statistiques, peut-on espérer que les mesures proposées enrayeront ce processus déjà ancien et pérenne ? Sans doute pas.

Mais ce texte, en posant les bonnes questions, place les jalons indispensables pour préparer le futur.

J'en viens à la question de l'enregistrement audiovisuel des gardes à vue.

Vous le savez, monsieur le garde de sceaux, notre collègue Jean-Patrick Courtois a remis au ministre de l'intérieur un excellent rapport, particulièrement documenté et détaillé, sur cette question, rapport que François Zocchetto a également évoqué.

Ce rapport n'a malheureusement pas eu l'écho qu'il méritait à l'Assemblée nationale, et les arguments avancés pour en repousser les conclusions ont parfois été un peu légers ou équivoques.

Je ne reviendrai pas sur un débat qui, me semble-t-il, a déjà été tranché, mais je souhaite faire quelques observations.

Comme notre collègue l'a rappelé dans son rapport, la comparaison avec le système répandu dans les pays anglo-saxons n'est pas justifiée, car les situations sont bien différentes.

Ainsi, contrairement à une idée reçue, l'enregistrement audiovisuel des gardes à vue n'est pas obligatoire dans les pays anglo-saxons. C'est sur l'initiative de la police elle-même que ce système est utilisé en tant qu'outil au service de l'enquête et non en tant que garde-fou.

De plus, ces pays n'ont pas empilé les procédures : la vidéo s'est substituée au procès-verbal détaillé au profit d'un allégement des contraintes procédurales, alors que, en France, elle viendra malheureusement se superposer à d'autres procédures.

Depuis le début, il y a, dans ce débat, une dimension qui gêne mon groupe. Tout le monde nous assure que cette disposition n'est pas une mesure de défiance à l'égard de la police. Pourtant, après les premiers arguments, l'idée de protéger le policier contre lui-même revient systématiquement.

Il ne faut pas accréditer la thèse d'une police violente et opaque. Aucun autre corps ne pratique l'autosanction avec autant d'application. Dans la magistrature, on compte moins de deux sanctions disciplinaires par an, soit soixante-treize sanctions depuis 1958 !

Il faut donc faire confiance à nos enquêteurs. Mais, en contrepartie, en cas de manquement, les sanctions doivent être exemplaires. Mon groupe plaidera donc pour la confiance préalable.

Je ne reviendrai pas sur l'argument du coût de la mesure : 72 millions d'euros, selon notre collègue Jean-Patrick Courtois, auxquels viendront s'ajouter annuellement 6 millions d'euros en budget de fonctionnement. Je ne reviendrai pas davantage sur l'inadaptation des locaux.

Toutefois, le législateur, qui connaît les difficultés budgétaires de la justice en France, peut s'interroger sur l'opportunité du dispositif. En effet, sur 300 000 enregistrements de gardes à vue de mineurs en cinq ans, seules quinze ouvertures de scellés ont été demandées. De plus, la rénovation des locaux de garde à vue - et en premier lieu, celle des cellules elles-mêmes - est indispensable, l'insalubrité de certaines cellules portant atteinte à la dignité des personnes retenues.

M. Christian Cambon. Mais, au-delà de ces réserves, je suis certain que les policiers et les gendarmes sauront, comme toujours, appréhender ces nouveaux outils.

Pour autant, l'usage de la vidéo ne doit pas être à sens unique. Les magistrats doivent également pouvoir bénéficier de cette technologie, M. le garde des sceaux a évoqué ce point. En effet, on ne peut pas mettre en place l'enregistrement des gardes à vue sans développer parallèlement la visioconférence. Celle-ci représente un enjeu majeur, et le coût réel de la mesure serait totalement compensé par le gain de temps et de moyens humains lors de chaque transfèrement.

Dès l'été 2002, la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, prévoyait le développement de la visioconférence. Malheureusement, la pratique n'a pas suivi l'intention du législateur.

La visioconférence doit donc être généralisée pour éviter ces multiples transfèrements de personnes placées en garde à vue. Cette réforme devrait être mise en oeuvre en même temps que l'enregistrement audiovisuel des gardes à vue. Cela permettrait de réaliser des économies d'échelle dans la conception de ces deux projets, a priori distincts, mais parents.

Il faut que les magistrats s'emparent de cet outil. Dans cette perspective, une expérimentation est menée en Bourgogne depuis le 15 janvier 2006. Deux dispositifs de visioconférence ont d'ores et déjà été mis en place entre des unités de gendarmerie et des juridictions pour un coût de 10 000 euros en investissement et de 1 000 euros en fonctionnement annuel. À ce jour, ce dispositif n'a été utilisé qu'une seule fois. Le chemin à parcourir est donc encore long !

Pour conclure, je souhaite faire part de la satisfaction de mon groupe sur le fait qu'un équilibre ait été trouvé sur l'article 11, qui limite le champ d'application de la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en l'état » aux seules actions civiles en réparation du dommage causé par une infraction faisant l'objet d'un procès pénal.

La jurisprudence a interprété de façon très extensive le principe selon lequel l'action civile est suspendue si des poursuites pénales sont engagées. Ainsi le juge civil est-il obligé de surseoir à statuer quand l'action publique peut avoir une conséquence sur le jugement d'une affaire civile, et ce même s'il ne s'agit pas de la réparation du dommage causé par l'infraction.

C'est la raison pour laquelle la rédaction actuelle était la seule de nature à répondre réellement au problème qui se pose à nous. Or, pour combattre cette jurisprudence, le législateur doit formuler expressément son intention. C'est ce qui est fait au travers la rédaction de cette disposition.

Ces deux textes ne témoignerait pas d'assez d'ambition, nous dit-on ici ou là. La belle affaire ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.) Pour nous, ils ont le mérite d'exister. Ils ont également le mérite d'avoir cherché à établir un consensus entre les acteurs de la justice judiciaire. Surtout, ils démontrent que, jusqu'à la fin de la législature, le Gouvernement ne se laisse pas saisir par un immobilisme coupable.

En somme, les mesures proposées sont réalistes, ciblées et d'usage immédiat.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah non, elles ne sont pas d'usage immédiat !

M. Christian Cambon. Ce sont autant de vertus qu'attendent nos concitoyens.

Mais gardons à l'esprit que les Français attendent aussi, à brève échéance, une réelle et profonde réforme de la justice. La conjoncture est donc favorable à l'établissement d'un calendrier, qu'il sera nécessaire, cette fois-ci, de tenir.

En premier lieu, la double campagne de l'élection présidentielle et des élections législatives ne pourra faire l'impasse sur un débat de fond sur la justice dont notre pays doit se doter. Les candidats et les formations politiques devront très clairement indiquer leurs ambitions en la matière et le projet qu'ils souhaiteront mettre en oeuvre au cours du prochain quinquennat.

En deuxième lieu, fort du choix que les Français feront en mai et juin prochains, il faudra organiser de grandes assises de la justice pénale,...

M. Christian Cambon. ...placées sous l'égide du Président de la République nouvellement élu, auquel le premier alinéa de l'article 64 de la Constitution confère le rôle de « garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire ». Ces grandes assises devront mettre à plat l'ensemble de la procédure pénale et définir un projet équilibré auquel magistrats, avocats et enquêteurs pourront adhérer.

En troisième et dernier lieu, quelle que soit la réforme adoptée par le Parlement, un moratoire sur la procédure pénale devra être respecté durant toute la législature. En effet, et cela a déjà été dit précédemment, notre système judiciaire souffre du rythme permanent des évolutions législatives, ce qui l'empêche de se réformer dans la durée. Une fois le projet adopté, ce moratoire permettra de faire une évaluation complète de la réforme à la fin du quinquennat.

Monsieur le garde de sceaux, les textes que vous nous présentez aujourd'hui tirent efficacement les leçons de la lamentable affaire d'Outreau, et posent de nouveaux principes de transparence et de responsabilité qui étaient souhaités par nos concitoyens. Le groupe UMP, qui salue le travail de nos deux rapporteurs, votera bien sûr ces textes tels qu'ils résulteront de nos délibérations. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Othily.

M. Georges Othily. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les travaux parlementaires de la législature 2002-2007 touchant à leur fin, un premier bilan peut d'ores et déjà être dressé : en matière de procédure pénale, le Parlement aura examiné pas moins de sept projets de loi depuis 2002.

Cette inflation de textes constitue, à n'en pas douter, la traduction législative d'un profond malaise et d'une réelle crise de confiance dans notre pays entre, d'un côté, l'institution judiciaire et, de l'autre, les justiciables que sont les Français.

Ce divorce croissant a bien entendu été mis en relief et accentué non seulement par les dysfonctionnements dramatiques de notre justice dans l'affaire dite d'Outreau, mais peut-être plus encore par les travaux exemplaires et transparents de la commission d'enquête de nos collègues députés sur cette même affaire.

C'est pourquoi, dans un tel contexte de crise et devant l'urgence de la situation, nul ne peut douter de l'impérieuse nécessité, pour le législateur, d'agir, de clarifier et de réformer en profondeur notre procédure pénale et notre institution judiciaire à partir des enseignements tirés des analyses de l'affaire d'Outreau, mais aussi en nous appuyant sur les conclusions de la commission d'enquête, dont chacun s'accorde à reconnaître le sérieux et l'excellence des travaux.

Je veux saluer ici et maintenant le travail de nos éminents rapporteurs, qui ont amélioré les textes dont nous débattons.

Monsieur le garde des sceaux, mon groupe et moi-même considérons que, pour répondre aux ravages de cette douloureuse affaire, aux souffrances endurées par des innocents et leurs familles, mais aussi aux attentes et aux légitimes inquiétudes des Français, il est impératif de refonder au plus vite une institution judiciaire fragilisée dans ses fondations.

Il faut rétablir la confiance, sans laquelle aucune justice ne peut être rendue.

Nous sommes unanimes pour considérer qu'il faut légiférer. Et s'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, il ne faut pas non plus rester en deçà du nécessaire.

Monsieur le garde des sceaux, les changements que vous proposez sont certes positifs, mais ils demeurent insuffisants pour refonder notre justice sur des bases aussi saines que solides.

Comme nombre de mes collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, je regrette que vos textes ne reprennent pas les propositions de la commission d'enquête et je déplore le choix fait de préférer le minimum à tout le nécessaire.

Bien sûr, qui peut le plus peut le moins, mais pourquoi attendre quand l'urgence est de mise ? Pourquoi procéder par étapes ? Pourquoi remettre à après les élections quand on connaît les remèdes profonds à apporter et que l'on sait qu'ils ne sont ni de gauche ni de droite ?

D'ailleurs, vous reconnaissez vous-même, monsieur le garde des sceaux, l'insuffisance des textes que vous nous soumettez puisque vous avez dit qu'ils n'ont pas vocation à répondre globalement aux problèmes de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je n'ai pas dit ça !

M. Georges Othily. C'est justement ce que nous leur reprochons.

Vous nous expliquez qu'il ne s'agit que d'une première étape, en attendant une réforme plus profonde après les élections de 2007.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faudra attendre !

M. Georges Othily. Mais pourquoi remettre à demain, et en conscience, ce que l'on peut entreprendre aujourd'hui ?

Il ne faudrait pas décevoir les espoirs des Français sur cette question. Ils ont été nombreux à suivre les auditions de la commission d'enquête en 2006 et se sont ainsi emparés d'un débat jusque-là réservé aux initiés, débat qui avait été lancé dès la remise des travaux de la commission Delmas-Marty en 1991 et plus clairement encore depuis la remise, en janvier 2005 à votre prédécesseur, des travaux de la commission Viout sur les pistes de reformes du fonctionnement de la justice.

Les rapports et les travaux de qualité ne manquent pas, les propositions pertinentes, et pour la plupart indispensables, non plus ; nous les connaissons.

Des réformes simples m'apparaissent comme incontournables et urgentes, tant à la lecture des travaux de la commission d'enquête parlementaire que des rapports qui l'ont précédée. Au nombre de trois, elles sont en partie satisfaites dans le projet de loi ordinaire qui nous est aujourd'hui soumis : réformer la garde à vue, réformer les conditions de la détention provisoire et renforcer les garanties de la défense.

S'agissant de la garde à vue, j'estime qu'il nous faut sans tarder édifier un socle de garanties entourant ses conditions de mise en oeuvre et son déroulement. Autrement dit, il faut reconnaître un droit à l'information de la personne gardée à vue, information sur les motifs de sa rétention et sur la possibilité de recourir à un avocat qui devra lui-même être informé de la nature des faits motivant l'enquête. Ces garanties existent dans la plupart des législations de nos voisins européens. Le temps est désormais venu de les mettre en place dans notre pays.

Concernant la détention provisoire, l'affaire d'Outreau a bien mis en évidence qu'elle pouvait constituer très souvent une atteinte des plus graves au principe de la présomption d'innocence. Il est donc impératif, aujourd'hui, de réduire ce risque. C'est pourquoi il ressort des travaux de nos collègues députés comme une nécessité de supprimer le critère de l'ordre public. Ce motif apparaît insuffisamment précis et, de fait, il génère l'arbitraire. À cela s'ajoute la nécessité de réduire les délais de la détention provisoire. Nous pourrions ainsi revenir aux dispositions prévues par la loi de juin 2000, qui prévoyait une durée maximale en fonction du type de peine encourue.

Enfin, j'évoquerai le renforcement des droits de la défense. Aujourd'hui, le procès-verbal se caractérise par un trop grand déséquilibre entre l'accusation et les droits de la défense. Il apparaît indispensable de rétablir l'équilibre pour permettre les conditions nécessaires à un procès équitable. Il est souhaitable de poser le principe du droit de la défense à faire accomplir tel ou tel acte, qu'il s'agisse de confrontations, de vérifications matérielles ou encore d'expertise. Dans l'affaire d'Outreau, ce droit, s'il avait été exercé par la défense, aurait probablement permis d'éviter le drame que l'on sait.

Au-delà de ces réformes assez simples à mettre en place, il nous faut engager au plus vite une réforme plus globale et plus complète pour parvenir à une nouvelle architecture de notre justice pénale. Ici aussi, nous disposons des analyses et des expertises les plus rigoureuses élaborées avant et après Outreau dans divers rapports, qu'ils soient d'origine parlementaire ou qu'ils proviennent de collèges réunissant les meilleurs spécialistes de notre système judiciaire.

Outreau a mis en exergue la possible, et donc dangereuse, confusion des fonctions de procureur et de juge d'instruction, les deux principaux acteurs de l'instruction. En théorie, le procureur n'est pas en charge directement de l'enquête, mais exerce toutefois une influence qui peut s'avérer déterminante. Le juge d'instruction, quant à lui, a la charge de l'enquête et de son contrôle juridictionnel, en même temps qu'il doit instruire à charge et à décharge : tâche plus facile à dire qu'à faire !

Je ne crois pas qu'il suffise d'introduire des procédures contradictoires ou encore de la collégialité pour faire évoluer le système de façon totalement satisfaisante. À cela il est impératif, je crois, d'ajouter de la clarification. Et pour ce faire, je vois deux évolutions envisageables.

La première, sans remettre en cause le rôle du procureur et du juge d'instruction, consisterait à instaurer une réelle séparation entre le parquet et le siège. Actuellement, ils appartiennent au même corps et peuvent exercer indifféremment des fonctions au parquet comme au siège. Ainsi, le juge qui a instruit l'affaire d'Outreau a été nommé au parquet de Paris. À mon avis, ce système n'est pas judicieux. C'est pourquoi il conviendrait d'instaurer une séparation beaucoup plus nette entre les deux fonctions, voire d'aller jusqu'à scinder les deux corps.

La seconde piste, plus radicale et plus conséquente, me semble-t-il, serait d'envisager de transférer les pouvoirs d'enquête au parquet, de charger le juge d'instruction de contrôler l'enquête et d'instaurer une défense effective. C'est d'ailleurs ce qu'avait proposé la commission Delmas-Marty. Redistribuer ainsi les rôles de chacun est une solution qui suppose que le parquet dispose d'une véritable autonomie et que l'on en finisse avec le recours aux instructions individuelles.

Voilà brièvement exposées, monsieur le garde des sceaux, deux évolutions possibles vers lesquelles nous pourrions nous orienter. Reste qu'il y a un choix politique, mais pas nécessairement partisan, à faire et qu'il devra maintenant résulter des débats de la campagne présidentielle qui s'ouvre. Bien évidemment, une réforme d'une telle envergure nécessitera l'accompagnement de moyens financiers et humains adaptés, et, probablement, une loi de programmation s'imposera à la prochaine majorité, quelle qu'elle soit.

Ne décevons pas les Français ! Après l'adoption des deux textes qui nous sont aujourd'hui proposés par le Gouvernement et que la majorité de mon groupe et moi-même voterons, le chantier demeurera encore très vaste. Nous devons aux acquittés d'Outreau de le mener à bien au plus vite !

Les réflexions, les études, les rapports existent et sont connus. Il ne reste qu'à trancher et à choisir avant de mettre en oeuvre une nouvelle architecture et un nouveau fonctionnement de notre justice. Cette grande réforme de la justice est en effet capitale et un consensus existe sur sa nécessité. Toute la difficulté est désormais de la conduire au plus vite, sans retard ni précipitation !

Mme la présidente. Mes chers collègues, il est minuit vingt ; vous êtes six en séance ! Je vais par conséquent lever la séance. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame. - Mme Lucienne Malovry applaudit.)

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.