M. le président. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parler après notre collègue Georges Othily relève de la mission impossible !

Premier de la législature, le projet de loi de finances pour 2008 devrait nous permettre d'apprécier la volonté du Gouvernement de relancer la croissance économique et, en même temps, de rétablir l'équilibre de nos finances publiques.

Pourtant, monsieur le ministre, l'analyse de ce projet de loi de finances fait apparaître une rupture encore assez discrète. M. le rapporteur général, que l'on ne peut soupçonner de malveillance à l'égard du Gouvernement, définit lui-même ce projet comme s'inscrivant dans la continuité du budget pour 2007, dans les méthodes comme dans les chiffres. Quant au président de la commission des finances, il parlait d'un « budget de transition qui tend vers la sincérité ».

Je note tout de même un début de rupture : vous avez compris, monsieur le ministre, qu'il était urgent d'enrayer la fuite de nos capitaux. Nous trouvons dans ce projet de loi de finances la traduction de votre volonté à cet égard. Le président de la mission commune d'information mise en place par le Sénat pour étudier l'ensemble des questions liées à l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises ne peut que s'en réjouir !

J'en reviens donc, après ce satisfecit liminaire, à l'impression qui se dégage de l'ensemble de ce projet de loi de finances.

Dans un contexte incertain et difficile, où la croissance se cherche, où le dollar flanche et où le pétrole flambe, vous semblez avoir choisi d'attendre. Votre projet est fondé sur une fourchette de croissance de 2 % à 2,5 %. En effet, il ne faut décourager personne, et nous savons bien que la présentation de prévisions trop sévères peut avoir des conséquences financières fâcheuses.

Comme on ne conçoit pas de « budget fourchette », même si des prévisions peuvent s'établir sur des fourchettes, il vous a fallu choisir un taux de croissance pour construire votre projet de loi de finances. Vous avez retenu la moyenne, soit 2,25 %, tout en sachant très bien - du moins je le suppose - que le risque de voir la croissance s'établir en 2008 à 2 % voire en dessous est malheureusement très réel. La valeur haute de votre fourchette, à 2,5 %, était très sympathique, votre référence de 2,25 % est assez peu crédible, le budget présenté sera donc difficile à exécuter. Mais il faut vivre d'espérance !

Mes chers collègues, je centrerai mon intervention sur la question du déficit.

Finalement un peu réduit en 2007, le déficit devrait à nouveau s'accroître en 2008, aux termes du présent projet de loi de finances, pour atteindre 41,7 milliards d'euros, soit 8 % de plus que les 38,3 milliards d'euros constatés pour 2007.

Avec une croissance inférieure à votre prévision, monsieur le ministre, où en serons-nous au terme de l'année 2008 ? Je crains que le réveil ne soit douloureux !

Au mois de juillet, nous vous avons entendu affirmer que les promesses du Président de la République devaient devenir « la loi » et donc être « transposées dans notre droit » - un peu comme les directives européennes... Combien de fois avons-nous entendu dire par Mme Lagarde ou par vous-même : « c'est une promesse du Président de la République » !

J'avais cru comprendre que le candidat Sarkozy avait affiché, comme ses deux grands concurrents, une préoccupation très forte au sujet de notre déficit et que, comme eux, il avait pris l'engagement de le réduire « le plus rapidement possible » - j'emploierai cette expression qui me paraît à peu près objective et honnête. Restait à « transposer » cet engagement.

Or je ne suis pas sûr que « le plus rapidement possible » puisse correspondre à l'horizon 2012. Pis, je ne suis pas sûr non plus que l'on soit très crédible lorsque l'on affiche cet objectif. Dans ces conditions, les Français se réinstallent tout tranquillement dans l'idée que le déficit n'est pas un problème, qu'il est même normal, que l'on peut très bien vivre avec, et même plutôt mieux avec que sans... C'est bien dommage ! Ils avaient eu un éclair de lucidité pendant la campagne électorale présidentielle ; il aurait fallu l'exploiter immédiatement et complètement.

Cela étant, il ne faut pas baisser la garde sur ce sujet ! Notre déficit est une honte pour notre génération et ne nous grandit pas, nous responsables politiques. Il est inacceptable au simple plan des chiffres. Son maintien à un tel niveau est en outre un très mauvais signal envoyé aux Français, à nos partenaires en Europe et dans le monde.

Quand renoncerons-nous au moins à ce terme de « déficit » pour regarder la réalité en face et parler d' « emprunt » ? Cela ne coûterait rien et amènerait chacun à une réflexion un peu plus responsable et authentique.

Au stade atteint, on n'a en effet plus le droit de faire semblant de ne pas voir la situation, et surtout de ne pas voir que nous empruntons non pour préparer l'avenir, mais pour « fonctionner », pour vivre aujourd'hui. Jean Arthuis insistait fort justement sur ce point ce matin, avec toute l'autorité que nous lui connaissons.

Il ne s'agit pas d'une affaire marginale : il s'agit de 42 milliards d'euros !

C'est précisément l'ordre de grandeur de la charge annuelle de la dette. Nous voyons là une expression, mais bien triste, de la solidarité entre générations. Sans dette, nous équilibrerions notre budget ! Nous ne devons pas transférer cette dette, encore alourdie, à nos enfants.

C'est également l'ordre de grandeur de l'effort prévu dans le projet de loi de finances au titre du travail et de l'emploi. Au demeurant, Serge Dassault, rapporteur spécial des crédits de la mission correspondante et apôtre de la rupture, disait lui-même hier, en commission des finances, que tant qu'à dégager de tels moyens, on devrait pouvoir faire tout autre chose, et peut-être même plus avec moins. Mais, ajoutait-il, « les coups sont partis ». Y a-t-il une fatalité des « coups partis » ? Est-ce cela la rupture, ou la rupture relève-t-elle du surréalisme ?

Ce déficit de 42 milliards d'euros est aussi du même ordre de grandeur que les crédits affectés à notre défense. Il faut que les Français comprennent ce que représente ce déficit !

On me permettra maintenant d'insister quelque peu sur un point auquel je suis particulièrement sensible : notre déficit s'élève à près de deux fois et demie le montant de notre contribution au budget européen. Or notre participation à l'Union européenne, quoi qu'en pensent les détracteurs de celle-ci, nous rapporte bien plus, à tous égards et d'abord en nous offrant la paix, qu'un déficit qui nous aveugle au point de ne même plus le voir !

Oui, il fallait, au travers de ce projet de budget, prendre à bras-le-corps et comme priorité absolue la question de la réduction du déficit.

Vous me direz, monsieur le ministre, que vous la prenez en compte indirectement, en privilégiant tout ce qui peut soutenir la croissance.

Les choix faits au travers de la loi TEPA, votée le 1er août 2007, retiendront à nouveau notre attention. Avec cette loi, on creuse encore un déficit déjà insupportable, et ce pour un progrès futur assez hypothétique.

Vous avez choisi de relancer immédiatement la croissance en intervenant sur la demande. Comme le rappelait ce matin Jean Arthuis, on constate malheureusement, dans le monde ouvert d'aujourd'hui, que la demande intérieure stimule les importations sans que celles-ci entraînent pour autant les exportations. Nous n'avions pas les moyens de cette loi, dont les effets restent bien aléatoires, bien incertains ; et si même nous en avions eu les moyens, d'autres priorités à l'incidence plus sûre et plus rapide sur la croissance auraient sans doute dû être retenues !

En outre, vos choix ont suscité tout naturellement la critique selon laquelle on pouvait voir, dans certaines dispositions de ladite loi, des cadeaux fiscaux hors de saison. En cette semaine où se tient le congrès de l'Association des maires de France, je pense aux responsables de nos collectivités territoriales, qui n'hésiteraient pas un instant si on leur donnait le choix entre, d'une part, votre projet et, d'autre part, un peu moins de loi TEPA et un peu plus de dotation de compensation de la taxe professionnelle.

M. Michel Sergent. Très bien !

M. Denis Badré. Je pense que Michel Mercier reviendra sur ce point mardi prochain.

Nous avions dénoncé, en juillet dernier, la prise en compte, au titre des mesures fiscales décidées, des intérêts des prêts immobiliers déjà contractés. Vous nous aviez alors répondu qu'il s'agissait d'une promesse du Président de la République. Le Conseil constitutionnel vous a ensuite demandé de revoir votre copie : vous teniez là une occasion rêvée de réduire quelque peu la facture, mais vous préférez « persister et signer » en dépensant toujours, même si c'est autrement.

Ainsi, vous doublez l'aide pour les prêts à venir. Tant mieux pour les bénéficiaires de cette mesure, mais est-ce vraiment le montant de l'aide qui leur est accordée qui va les décider à acquérir un logement ? Si oui, ces acquisitions supplémentaires suffiront-elles à relancer la croissance au point de nous offrir un bon « retour sur investissement » ? J'en doute ! Il s'agit tout de même de 220 millions d'euros pour 2008, et de 840 millions d'euros par an en régime de croisière. J'espère me tromper, mais vous donnez fâcheusement le sentiment que le déficit n'est pas votre problème et que vous êtes dans une logique de dépense, logique que mon groupe a du mal à comprendre, a fortiori à accepter. Aujourd'hui, il faut éviter à tout prix d'envoyer de tels « mauvais signaux » à l'opinion.

Le groupe de l'Union centriste-UDF défendra donc un amendement de suppression de l'article 7 du projet de loi de finances, amendement qui présente un intérêt évident dans la mesure où il vise à réduire l'aggravation de notre déficit. Il a aussi valeur de symbole à nos yeux : on ne fera rien de durable tant que le cancer du déficit perdurera.

J'ai dit « durable » : quelle responsabilité est la nôtre, en effet, à l'égard de nos enfants !

Il est bien de parler de développement durable ; encore faut-il voir que la première mesure à prendre sur ce plan est la suppression du déficit. Pas de « Grenelle de l'environnement » crédible s'il n'y a d'abord condamnation durable de tout déficit de fonctionnement, s'il n'y a retour à l'équilibre du budget.

Le rapport Camdessus, commandé par Nicolas Sarkozy alors qu'il était ministre de l'économie et des finances, insistait lourdement et à très juste titre sur ce point. Dimanche dernier, j'entendais encore Luc Ferry conclure les Semaines sociales de France en indiquant que, si le monde s'organise autour des valeurs morales et socioéconomiques que constituent les droits de l'homme et le marché, il n'y a pas d'avenir pour l'homme ni pour notre société si l'on ne sait pas se référer, en plus et au-delà de ces valeurs nécessaires, à des valeurs spirituelles, au rang desquelles il plaçait la solidarité entre les générations, donc la nécessité de faire le choix d'un développement durable. Nous en sommes loin ! Nous sommes dans le discours, et non pas dans la réalité, dans l'action concrète.

Par ailleurs, il est bien d'afficher notre « retour en Europe ». La première mesure à prendre pour être crédible à cet égard, c'est à nouveau la suppression du déficit. En effet, si ce sont d'abord nos enfants qui paieront pour notre train de vie actuel et nos dettes, il faut également considérer que notre « laxisme » est aujourd'hui « porté » par nos partenaires européens. Imaginons que ces derniers optent, eux aussi, pour le même laxisme ! Où irions-nous ? Très vite, vers un euro « effondré », ce qui entraînerait des conséquences autrement plus terribles que celles dont on fait grief à l'euro fort.

Je suis très impressionné par les réactions de nos partenaires européens : ils sont vraiment choqués par nos choix et, du coup, ils doutent de nous. Sachons les entendre ! Notre « timidité » sur ce dossier du déficit et de la dette nous disqualifie complètement pour leur donner quelque leçon que ce soit concernant le pilotage économique, monétaire ou financier de l'Union européenne.

Il est bien d'avoir invité de grands Européens comme Mario Monti ou Evelyne Gebhardt à participer aux travaux de la commission Attali, mais c'est loin d'être suffisant ! Je les ai entendus ces jours-ci. N'en restons pas au discours ou à l'image, car nous serons jugés sur notre capacité à entrer dans le concret.

Dépassant la stricte analyse budgétaire, j'irai maintenant plus loin.

Quelle Europe préparons-nous si nous traitons avec distance les « engagements » mêmes que nous avons pris à l'égard de nos partenaires ? Par le traité de Maastricht, l'Union européenne a rappelé aux États membres la nécessité incontournable de l'équilibre budgétaire. Merci à l'Europe ! Nous n'avions pas les ressorts nécessaires pour y venir spontanément. Nous nous sommes donc donné des contraintes, quitte à en faire grief à l'Europe. Très normalement, nous nous sommes engagés, les uns à l'égard des autres, à tenir ensemble le cap de la rigueur. Tout cela serait aujourd'hui sans valeur ? Si on ne l'avait pas fait voilà dix ans, il faudrait le faire aujourd'hui, n'est-ce pas monsieur Arthuis ?

Nous avons encore moins droit que quiconque à la légèreté. En effet, comment inviter aujourd'hui les peuples d'Europe à aller de l'avant à vingt-sept si l'on ne réaffirme pas d'abord le principe du respect absolu des engagements ? Hors le respect de ce principe, pas d'Europe ! Je ne veux donc pas que la France prenne des libertés avec ses engagements européens.

L'efficacité et l'éthique se rejoignent ici. Je relève au passage que nous serions bien inspirés d'apprécier comme il le mérite l'effort réalisé par nos voisins Allemands, qui ont pu « digérer » la réunification et revenir à l'équilibre ! Dans ce domaine comme dans d'autres, nous sommes sans doute les meilleurs, mais certains sont encore meilleurs que nous !

Je formulerai une dernière observation sur le déficit.

Je rappelais à l'instant que la France n'est pas seule en Europe ; c'est a fortiori vrai à l'échelle mondiale. Les déficits que s'autorisent de grandes nations comme les États-Unis ou la France, qui disposent de ressources telles qu'elles ne sont pas « condamnées » au laxisme, viennent préempter les ressources financières offertes par les marchés internationaux au détriment de ceux qui en auraient vraiment besoin, à savoir des pays que nous n'avons moralement pas le droit de condamner au non-développement, sauf d'ailleurs à le payer chèrement nous-mêmes en voyant alors se multiplier les flux migratoires et les délocalisations d'activité incontrôlables, sauf à léguer à nos enfants non seulement le paiement de nos retraites et de nos dettes, mais aussi un monde bien dangereux et assez peu « durable ».

En l'état, monsieur le ministre, vous l'aurez compris, ce projet de loi de finances pose quelques problèmes aux membres de mon groupe. Ces derniers s'attacheront donc à explorer avec vous les marges d'amélioration qui existent. Bien plus, ils souhaitent d'abord que vous adressiez aux Français et à l'Europe, sous quelque forme que ce soit, un message fort condamnant les déficits. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le président de la commission des finances applaudit également.)

(M. Roland du Luart remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un vaste débat concernant les orientations qu'il était souhaitable de donner à notre pays s'est déroulé voilà quelques mois. Un certain nombre de défis ont alors été mis en exergue. J'en évoquerai quatre en particulier.

Le premier défi, c'est celui que représente l'affaiblissement de notre appareil productif. Tout le monde le sait, la France a connu au cours des cinq dernières années une dégradation de sa situation, notamment en matière de commerce extérieur et d'endettement. Nous avons entendu formuler ce matin quelques propositions à cet égard. Vont-elles contribuer à améliorer la situation ? L'avenir le dira. En tout état de cause, nous aurons l'occasion, au cours du débat, d'indiquer à quel point ces mesures nous semblent modestes.

Le deuxième défi, c'est celui de la dette publique, qui présente un caractère insoutenable. Ce point soulève des interrogations, me semble-t-il, car, si M. le ministre a annoncé ce matin qu'il espérait faire baisser quelque peu, en pourcentage du PIB, la dette de notre pays, nous avons ensuite entendu M. le rapporteur général exprimer sa crainte que celle-ci ne s'accroisse. La question reste donc posée ; en tout cas la dette publique est considérable.

Le troisième défi, c'est le défi écologique. Après la tenue des états généraux de l'environnement, nous attendons aujourd'hui que le Gouvernement présente des mesures concrètes.

Cela étant, je voudrais surtout insister sur le quatrième défi, celui que constituent notre modèle social malmené et la stagnation du pouvoir d'achat.

On a beaucoup parlé, ce matin, de compétitivité, de finance internationale, des dividendes, mais on a peu parlé des Français. C'est sur ce point que je souhaite appeler l'attention : les revenus des Français stagnent, l'écart de niveau de vie entre la France et les États-Unis s'est élargi depuis 2002, et neuf de nos partenaires européens jouissent désormais d'un niveau de vie supérieur au nôtre.

Alors que les rémunérations les plus élevées s'envolent, l'Institut national de la statistique et des études économiques a évalué à 57 euros par an et par salarié seulement la hausse du pouvoir d'achat enregistrée en France ces dernières années. C'est là le signe d'un creusement sans précédent des inégalités sociales.

Cela se traduit par une « relégation » des plus démunis et un désarroi croissant des classes moyennes. Le blocage de la promotion sociale nuit au dynamisme de notre société ; loin de se présenter à nos concitoyens sous les couleurs du progrès, l'avenir leur apparaît sombre et inégalitaire. Les difficultés sociales et économiques qu'ils rencontrent les conduisent à douter de la pertinence d'un système de réduction des inégalités qui ne parvient plus à réguler les excès du libéralisme.

Comment faire face à ce défi considérable ? Comment créer en France les conditions favorables au développement de la confiance ? Comment faire en sorte que notre modèle de société offre à chacune et à chacun une perspective d'amélioration de sa situation ?

Il est clair, mes chers collègues, que, pour répondre efficacement à ces questions fondamentales, il convient de faire le meilleur usage de l'outil de la fiscalité, afin de tendre vers un équilibre juste de la charge fiscale et de rétablir une véritable égalité devant l'impôt.

Cela vaut pour l'égalité entre les citoyens, cela vaut aussi pour l'égalité entre les territoires.

S'agissant de l'égalité entre les citoyens, il me semble que nous devons observer trois principes forts : tout d'abord, supprimer les nombreuses iniquités constatées, ensuite conforter la progressivité de l'impôt -  sur ce point, nous sommes très inquiets de la politique actuellement mise en oeuvre par ce gouvernement -, enfin maintenir une imposition du patrimoine afin de lutter contre ce que l'on peut appeler la société de la rente.

Au regard de ces trois principes forts, la philosophie développée par ce gouvernement ne peut nous satisfaire, car les résultats qu'elle permet sont véritablement calamiteux.

Les chiffres sont là pour le prouver. Depuis cinq ans, la politique menée en matière fiscale a entraîné une aggravation des inégalités. L'étude de l'INSEE précédemment citée le démontre s'il en est besoin.

Les disparités apparaissent bien sûr dans les revenus : les foyers les plus riches ont vu leurs revenus progresser de 42,6 %, alors que la progression n'a été que de 4,9 % pour les 90 % de foyers les moins riches.

Le creusement des inégalités vaut aussi pour les patrimoines. Comme nous le savons, les revenus du patrimoine ont progressé plus vite que ceux du travail. Le patrimoine financier médian des 10 % des foyers les plus riches a ainsi augmenté de 40 %, contre seulement 20 % pour les autres catégories.

En définitive, si l'on dresse le bilan détaillé des mesures adoptées au cours des cinq dernières années, qu'observe-t-on de façon réellement objective ? On constate que tous les contribuables ayant un revenu supérieur à quinze fois le SMIC en sont sortis gagnants et que les autres ont vu leur situation régresser.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est la conséquence des 35 heures !

M. François Marc. Cela signifie qu'une politique favorable aux possédants et aux plus aisés a bien été menée dans notre pays, comme l'ont très clairement démontré les organisations économiques compétentes.

Face à cette situation dégradée, il y a une forte exigence d'égalité. Sommes-nous dans une situation où nous pourrions parler de « rupture » par rapport à cette politique qui a favorisé les riches ? Nous n'en décelons en tout cas pas les indices dans le projet de loi de finances qui nous est présenté aujourd'hui ! Au contraire, les mesures qui nous sont proposées s'inscrivent dans une certaine continuité avec la politique menée jusqu'à présent.

L'examen de ce projet de budget m'amène à constater un double déficit.

Il y a tout d'abord un déficit de crédibilité, comme en témoignent les observations présentées par certains de nos collègues de la majorité, députés comme sénateurs, notamment au sein de la commission des finances : « conte de Noël » - sans doute l'avez-vous entendu à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre -, « déficit de sincérité » - cela a été dit ici même au Sénat -, ...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Non !

M. François Marc. ... et budget « déraisonnable », a-t-on pu entendre dans la bouche du ministre de la défense, fondateur du Nouveau Centre, Hervé Morin pour ne pas le citer.

De fait, votre budget est construit sur une hypothèse de croissance de 2,25 % et sur un baril de pétrole à 73 dollars, alors que le prix de ce dernier s'élève presque, aujourd'hui, à 100 dollars ; et nous savons qu'une différence de 20 dollars sur le prix du baril représente 1 point de croissance.

La présentation de ces hypothèses pour l'exercice 2008 nous semble donc, sur la foi de ces observations, déraisonnable. Et je ne parle pas de la crise de la finance internationale, des écarts de taux d'intérêt, bref de tout un ensemble d'éléments qui nous conduisent à douter très fortement de la véracité des chiffres qui nous sont soumis et de la crédibilité de ce projet de budget.

Mais ce qui nous inquiète davantage, c'est le déficit d'ambition face à l'élargissement de la fracture sociale dans notre pays. Mes chers collègues, il y a en effet véritablement aujourd'hui une poursuite des orientations qui ont déjà été mises en oeuvre dans la loi TEPA.

J'évoquerai brièvement deux mesures : la réforme des droits de succession et le bouclier fiscal.

La réforme des droits de succession nous a été présentée comme une mesure qui allait bénéficier au plus grand nombre. Or, nous avons constaté qu'il s'agissait surtout de servir les 4 % de détenteurs de patrimoines les plus aisés : nous sommes donc véritablement passés à côté de l'objectif qui était visé.

Quant au bouclier fiscal, selon l'argumentation qui nous avait été présentée dans cet hémicycle, il allait bénéficier à de nombreuses personnes modestes. Nous avons même entendu dire que le nombre de contribuables concernés serait de l'ordre de 100 000. Mais où sont ces 100 000 Français ? On sait que, pour l'instant, 4 000 à peine se sont présentés devant les guichets du Trésor pour bénéficier de cette mesure... Les dizaines de milliers de personnes modestes à qui cette disposition était normalement destinée ne se sont pas manifestées !

Toute l'argumentation qui nous est présentée quant aux orientations du projet de loi de finances est donc, d'une certaine façon, fallacieuse, puisque les dispositions présentées visent à apporter des réponses non pas au plus grand nombre mais seulement à quelques-uns. On en trouve d'ailleurs dans ce projet de budget quelques illustrations, telle la disposition concernant l'allégement de la fiscalité sur les dividendes.

Cette mesure a laissé pantois le rapporteur général de l'Assemblée nationale, M. Carrez, qui l'a estimée totalement inadaptée. Les dividendes du CAC 40 ont progressé de 70 % en quatre ans, alors que les salaires en France n'ont augmenté que de 6 %. Il s'agit à nouveau de favoriser un peu plus les détenteurs de dividendes. On voit bien dans quel sens va ce budget !

Je voudrais aussi évoquer l'impasse faite sur l'impôt minimum. Ce sujet ayant été évoqué lors de la discussion de la loi TEPA, on pensait qu'il y aurait quelque chose dans le projet de loi de finances, mais tel n'est pas le cas !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons le sentiment que ce projet de budget pour 2008 poursuit les orientations que nous avions déjà dénoncées lors de la discussion de la loi TEPA, à savoir la déconstruction de l'impôt progressif, l'augmentation inévitable, après les élections municipales, des impôts tels que la TVA ou la CSG, la mise en place de franchises pour les personnes âgées et pour les malades, et, parallèlement, le refus d'opérer un prélèvement sur les stock-options. Comme nous avons pu le constater la semaine dernière lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les stock-options sont protégées. Notre proposition de les taxer plus fortement ne correspondait bien entendu pas à la ligne de conduite de cette majorité.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique qui est menée ne prend pas la mesure des réels enjeux du moment. Comment voulez-vous que l'on mobilise les Français sur un projet de redressement si on ne leur donne pas, à travers le levier fiscal, les conditions leur permettant d'espérer pour eux-mêmes ou pour leurs enfants une amélioration nécessaire de leur situation ? Ce budget n'apporte aucune réponse dans ce sens. C'est pourquoi nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce budget a été difficile à élaborer en raison de la conjoncture internationale défavorable, de l'évolution des rapports monétaires - la crise financière aux États-Unis qui s'est propagée à l'ensemble du marché mondial - et de la variation des prix des matières premières qui a rendu toute prévision aléatoire.

J'ai entendu dire à cette tribune que l'on n'est pas sûr que la croissance soit de 2,25 %, de 2,30 % ou de 2,45 %. En tout cas, le Gouvernement a élaboré un budget prudent et assez réaliste, puisqu'il a maintenu le cap des dépenses de l'État en valeur absolue, l'inflation seule jouant.

En outre, comme l'ont indiqué ce matin les deux ministres, plusieurs orientations de ce projet de loi de finances sont favorables à la croissance et à la compétitivité, notamment les mesures en faveur de la recherche, de l'artisanat et de la formation.

Après l'excellente présentation de M. le rapporteur général et l'intervention remarquable de M. le président de la commission des finances,...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Merci !

M. Jean-Pierre Fourcade. ... mon collègue et ami Henri de Raincourt a analysé avec exhaustivité ce projet de loi de finances qui n'est, comme il nous l'a bien montré, que la transposition des choix exprimés par les Français au moment des élections présidentielle et législatives. Par conséquent, ce projet de budget ne pouvait être très différent de ce qu'il est.

Pour ma part, comme j'ai été le dernier ministre de l'économie et des finances à présenter un budget en excédent en 1975(Sourires.), ...

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique. Heureux ministre !

M. Jean-Pierre Fourcade. ... je voudrais faire part de mon souci de revenir aussi rapidement que possible, non seulement pour l'État mais aussi pour la sécurité sociale, à l'équilibre des finances publiques.

En effet, notre influence internationale, notre participation aux grands débats de ce monde sont quelque peu affaiblis par le déficit de nos finances publiques et l'importance de notre dette.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais vous présenter trois propositions.

La première intéresse les collectivités territoriales : je suis partisan de l'élargissement du périmètre budgétaire de l'État aux prélèvements sur recettes. Le moment est venu, me semble-t-il, d'associer les collectivités territoriales à la maîtrise de la dépense pour réussir à sortir de nos difficultés.

Mais il faut tout de même, en 2008, donner un peu de souplesse et de dynamisme à la gestion des collectivités territoriales et les aider à investir. Comment obtenir ce résultat sans augmenter la participation de l'État ? Je ne peux en effet être à la fois pour la résorption du déficit et pour l'augmentation des transferts de l'État vers les collectivités.

Je vous propose donc de mettre rapidement en application l'une des recommandations du rapport Mauroy qui est restée lettre morte. Elle consiste à permettre aux établissements publics de coopération intercommunale de s'engager de manière volontaire dans la révision des valeurs locatives servant d'assiette aux impôts sur les ménages, cette réforme étant bien entendu menée sous le contrôle de l'administration et étalée sur plusieurs années.

Trois avantages découleraient d'une telle réforme.

Premièrement, cela permettrait de mieux tenir compte de la réalité fiscale de notre pays. En effet, à l'heure actuelle, la taxe d'habitation et les taxes foncières reposent sur des bases qui ont beaucoup vieillies et qui ne sont pas comparables d'un secteur à l'autre.

Deuxièmement, cela mettrait davantage en lumière le problème des dégrèvements que l'État est obligé de rembourser.

Troisièmement, cela simplifierait les rapports entre les contribuables, les élus locaux et les administrations fiscales.

Je demande donc au Gouvernement de mettre en oeuvre cet élément de souplesse qui serait bénéfique.

Ma deuxième proposition concerne les conséquences de la décentralisation qui n'ont pas encore été complètement tirées en matière d'emplois et de structures administratives. Pour avoir présidé pendant plusieurs années la commission consultative sur l'évaluation des charges, je me crois bien placé pour évoquer ce sujet.

Quelle que soit la collectivité territoriale que l'on a à gérer, on ne peut que constater la lourdeur des procédures, l'entrecroisement incroyable des financements, et la difficulté d'arriver à des résultats dans des délais raisonnables, que ce soit pour lancer un programme, pour développer l'insertion des RMIstes, pour signer un contrat avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine ou pour développer une mesure en matière de politique de la ville...

Quand je constate que la culture de l'évaluation n'a pas encore pénétré la plupart des cercles administratifs et que l'on est beaucoup plus attentif au développement des procédures plutôt qu'aux résultats sur le terrain, je me dis que nous avons encore beaucoup de chemin à faire en termes de réduction des emplois !

Monsieur le ministre, ce sujet intéresse non pas seulement l'État, mais aussi les régions, les départements, les communautés de communes et les communes elles-mêmes. Aujourd'hui, un examen sérieux de la façon dont sont réparties les compétences et exercées les différentes missions d'intérêt général que nous avons tous à mettre en oeuvre permettrait de gagner facilement chaque année de 50 000 à 100 000 emplois. Tous les maires ici présents qui ont un jour essayé de concilier sur un dossier le fonctionnaire de l'État, le responsable au niveau du département et celui de la région ...

M. Alain Lambert. C'est kafkaïen !

M. Jean-Pierre Fourcade. ... savent que beaucoup d'économies administratives peuvent être réalisées.

M. Alain Lambert. C'est exact !

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, on vous adresse le reproche de n'avoir réduit que de 27 000 le nombre de fonctionnaires de l'État. Il nous faut en fait essayer d'améliorer nos procédures, de préciser les compétences, car il y a là un gisement formidable d'économies à réaliser au cours des prochaines années.

Ma troisième et dernière proposition concerne un problème tout à fait particulier, spécifique à notre pays, qui suscite d'ailleurs étonnement et circonspection à l'étranger, je veux parler de la masse considérable des allégements de charges sociales. En 2008, le montant de ces allégements atteindra 30 milliards d'euros, ce qui est beaucoup si on le compare aux 42 milliards d'euros du déficit. On ne peut pas dire que la clarté soit la vertu dominante dans ce domaine !

Ces réductions de charges sont constituées de différentes strates qui se sont superposées au cours des années. Elles ont commencé en 1995 - cela fait un certain temps ! -, sous Alain Jupé. Aujourd'hui, personne ne connaît avec précision l'effet réel de ces opérations sur l'emploi et la croissance.

À votre tour, monsieur le ministre, contraint par le vote du Parlement, vous avez été obligé d'ajouter dans cette masse l'incidence de l'exonération des charges sociales et fiscales sur les heures supplémentaires. Il fallait bien qu'elle figure quelque part !

Ma proposition est simple, monsieur le ministre. Je vous propose d'accepter la création d'une mission parlementaire chargée d'étudier de manière précise - on connaît le talent de la commission des finances et de la commission des affaires économiques - les raisons pour lesquelles les allégements sont en progression, quel est le lien réel entre l'allégement des charges et la création ou le maintien d'emplois, ainsi que les possibilités de réduire progressivement cette masse financière considérable, qui, je le répète, est une spécificité française.

Aucun pays européen, voire aucun pays de l'OCDE n'a envisagé de financer sur le budget de l'état la réduction de la durée du temps de travail. Aucun ! Nous sommes les seuls ! Nous n'avons pas à être fiers de cette spécificité nationale, qui se traduit en termes de déficit et d'endettement.

Il me semble donc que la création d'une mission parlementaire, composée de gens sérieux et objectifs, ouverte à toutes les formations politiques, permettrait d'évaluer la situation et surtout de mettre en route un programme de diminution progressive. Au fur et à mesure que le chômage décroît, il me semble utile d'améliorer un peu nos systèmes et d'étudier ce que l'on peut faire.

Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les trois propositions que je formule : il faut donner un peu de souplesse aux collectivités territoriales en réévaluant les bases de leurs assiettes fiscales, tirer les conséquences de la décentralisation en étudiant toutes les chaînes d'emploi aux six niveaux d'administration actuels - de l'Europe jusqu'à la commune -, qui engendrent une charge considérable, enfin mesurer les coûts et les avantages de l'ensemble des réductions de charges sociales.

Si nous faisons cela sérieusement, en nous donnant du temps, en examinant les choses de manière concrète, en concertation avec les syndicats ouvriers, les organisations professionnelles, les branches industrielles et l'ensemble des systèmes de service, nous pourrons progresser et parvenir à un budget équilibré en 2012.

Si nous obtenons ce résultat, il nous aura tout de même fallu attendre trente-sept ans - de 1975 à 2012 - pour retrouver un budget en équilibre. Le moment est donc venu de nous y mettre, n'attendons plus car nous ne pouvons pas continuer d'engranger des déficits et de nous endetter de la sorte ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)