compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

Article 51 bis (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2008
Deuxième partie

Loi de finances pour 2008

Suite de la discussion d'un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2008
Action extérieure de l'Etat

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2008, adopté par l'Assemblée nationale (nos 90 et 91).

Action extérieure de l'État

Deuxième partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2008
Article 33 et Etat B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contrat de modernisation du Quai d'Orsay, signé au moment de l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances s'achèvera en 2008. En trois ans, des progrès considérables ont été accomplis en matière de gestion. À cet égard, je salue le travail des responsables et des agents du ministère des affaires étrangères.

Pour ceux qui, comme moi, sont partisans de donner une priorité forte à notre appareil diplomatique, plutôt que de mener une politique de « réduction de la voilure », c'est la voie de l'avenir : la réforme, encore la réforme, toujours la réforme !

J'ai sur cette réforme une double position.

Je souhaite, d'abord, une intégration accrue des services de l'État à l'étranger, notamment en termes de gestion, sous la responsabilité d'un ambassadeur-préfet qui serait un véritable chef administratif : sur les 780 implantations de l'État à l'étranger, seules 250 sont de la responsabilité du Quai d'Orsay.

Je veux ensuite que soit préservé un réseau diplomatique universel, conforme au rang de notre pays et à son histoire. Cela implique que, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, la France dispose de postes diplomatiques partout dans le monde, sans doute plus que l'Allemagne, moins présente historiquement que notre pays en Afrique.

L'incidence d'une « réduction de la voilure » serait minime sur le plan budgétaire, mais pourrait être lourde sur le plan diplomatique. Cela n'empêche pas de tenir compte des réalités et de revoir d'autres composantes de la présence française ou de redéployer les effectifs vers l'Asie et les pays émergents. C'est sans doute difficile, mais je rappelle que les quinze plus petites ambassades françaises dans le monde représentent près du tiers du coût de la présence diplomatique française en Allemagne et près de la moitié de notre présence en Italie. Ces chiffres sont assez significatifs.

En matière de réforme, il nous faut éviter les faux-semblants. Ainsi, je ne veux pas surestimer l'intérêt budgétaire d'implantations communes franco-allemandes. Certes, leur intérêt diplomatique peut être avéré, mais je crains qu'elles n'introduisent une complexité génératrice de difficultés compte tenu des différences culturelles qui existent entre nos deux pays.

Pour préserver un outil unique de rayonnement et d'influence, il vous faut, monsieur le ministre, maîtriser des tensions fortes sur la dépense : je veux parler des contributions internationales.

À ce titre, 580 millions d'euros sont inscrits dans le projet de loi de finances, mais 800 millions d'euros sont attendus, en prenant notamment en compte l'opération de maintien de la paix au Darfour. C'est près de deux fois le coût de notre réseau diplomatique.

J'ai signalé cette sous-budgétisation et le ministre du budget nous a annoncé que le Gouvernement était prêt à augmenter la dotation. J'attendais un amendement à cette fin. Monsieur le ministre, vous nous direz ce qu'il en est.

Les dépenses liées aux contributions internationales ont vocation à être maîtrisées

Entre 2000 et 2008, le montant des contributions obligatoires de la France a crû de 56 %, Les opérations de maintien de la paix, les OMP, expliquent une large part de la hausse. Mais, hors OMP, les cotisations de la France en tant que membre des institutions internationales sont passées de 364 millions d'euros en 2000 à 441 millions d'euros en 2008, soit une augmentation de 77 millions d'euros. Ce n'est pas négligeable.

De ce point de vue, je m'inquiète de ne trouver dans les projets de loi de ratification des conventions internationales, contrairement aux engagements du ministère, aucune étude d'impact budgétaire crédible présentée au Parlement. Je rappellerai l'exemple récent de la loi du 23 novembre 2007 relative à l'accord de Cotonou sur le cadre financier pluriannuel 2008-2013 des aides de la Communauté européenne aux pays ACP - Afrique, Caraïbes et Pacifique -qui ne contenait aucune étude d'impact fiable.

Je veux évoquer maintenant les tensions fortes qui pèsent sur l'enseignement français à l'étranger, les écoles, pour lesquelles la subvention est de 291 millions d'euros, et les bourses, pour lesquelles la subvention est de 67 millions d'euros.

Le fonds de roulement de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, baisse fortement et devrait atteindre 23 jours en 2008, alors que d'importants projets de rénovation immobilière sont à mener.

L'AEFE doit faire face à la « quadrature du cercle » : être à la fois un service public de l'enseignement pour les Français de l'étranger et un vecteur de rayonnement culturel, sans que ces deux missions se « cannibalisent », mais aussi investir et rénover le patrimoine immobilier, sachant que le relèvement des frais de scolarité nécessaire à l'équilibre des projets sera dorénavant partiellement à la charge de l'État.

Cette « quadrature du cercle » est illustrée par la récente décision de prendre en charge les frais de scolarité des enfants français scolarisés à l'étranger dans des lycées en gestion directe, conventionnés ou même homologués.

La prise en charge des classes de seconde, de première et de terminale par le budget de l'État représente en année pleine 47,9 millions d'euros.

Je partage l'esprit d'une mesure devant permettre aux familles résidant à l'étranger de bénéficier de droits semblables à ceux des familles résidant en France. En revanche, je souhaite éviter que cette mesure n'ait des effets inflationnistes, en écartant un double effet d'aubaine : d'une part, le désengagement des entreprises françaises du financement des études des enfants de leurs employés expatriés ; d'autre part, l'augmentation, sans aucun contrôle possible, des tarifs des établissements privés hors réseau.

La prise en charge des frais de scolarité des dix établissements français les plus coûteux, tous hors réseau, représente 5,8 millions d'euros pour 480 élèves. En conséquence, nous n'éviterons pas qu'ils soient plafonnés, tout en faisant en sorte que ce plafond tienne compte de réalités et varie selon les régions du monde. Je fais toute confiance à mes collègues représentant les Français établis hors de France pour qu'ils suivent de près cette situation et comprennent le sens de mes interrogations et de mes suggestions.

Dans un contexte de rigueur accrue pour l'administration du Quai d'Orsay, dont certains postes de dépense évoluent de façon dynamique, il n'y a pas deux solutions, il n'y en a qu'une seule, la réforme.

Elle est en cours. Ainsi, l'externalisation de la valise diplomatique permet de réaliser des économies non négligeables. Le Parlement suit les travaux de la Cour des comptes, comme le récent référé sur l'informatisation du ministère, qui pourrait donner lieu - pourquoi pas ? - à une audition devant notre commission des finances, puisque nous avons regretté en début d'année les dysfonctionnements informatiques des centres pour les études en France, les CEF.

Nous attendons également un référé sur l'opération de partenariat public-privé relative au bâtiment des archives diplomatiques de La Courneuve.

Le Parlement doit aussi être l'un des acteurs de cette réforme et la susciter en organisant le suivi des rapports de contrôle qu'il réalise, au moment du vote des crédits de la mission « Action extérieure de l'État ». Il y a là un enjeu de crédibilité.

De ce point de vue, je tiens à évoquer de nouveau la situation de la Maison de la francophonie. Je vous donne un grand coup de chapeau, monsieur le ministre, ainsi qu'à votre collègue chargé de la coopération et de la francophonie, car vous avez été réactif sur un dossier qui méritait un examen très attentif et que M. Bockel a rouvert. Je pense que nous avons progressé. Nous attendons bien entendu les conclusions des personnes que vous avez missionnées.

Je suis persuadé que nous aboutirons à une solution nettement moins coûteuse pour les finances publiques et tout aussi flatteuse pour l'Organisation internationale de la francophonie, l'OIF,...

M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial. ...une solution qui préserve son prestige par la mise à sa disposition aussi vite que possible d'un immeuble bien situé. L'opération initialement engagée risquait d'être extrêmement coûteuse et de durer très longtemps.

Il faut aller plus loin dans les réformes. Dans mon récent rapport de contrôle sur les visas, j'appelle à éviter les cloisonnements administratifs et informatiques, qui ont longtemps été dommageables au fonctionnement d'un service public de l'accueil des étrangers digne de notre pays.

À cette fin, je proposerai un amendement visant à faciliter le chantier des nouveaux systèmes d'information en matière de visas, de cartes de séjour, de demandes d'asile, de naturalisations, essentiels à la modernisation voulue en ce domaine par le Président de la République, en confiant le pilotage de cette dépense informatique à un gestionnaire unique.

Nous devons, monsieur le ministre, simplifier la vie des ressortissants qui vivent à l'étranger.

Pour cela, il faut doter dignement en effectifs nos consulats. Mon rapport sur les services des visas souligne que, malgré l'externalisation nécessaire et engagée de certaines tâches, les besoins sont criants. Je me permets de vous signaler, monsieur le ministre, que j'attends avec impatience copie de l'audit de modernisation de la biométrie, qui, bien qu'il m'ait été promis, ne m'a toujours pas été transmis.

Nous pouvons gager une part limitée de ces effectifs sur la réforme inéluctable de la Direction générale de la coopération internationale et du développement, la DGCID, réforme qui a trop longtemps tardé et en faveur de laquelle le Parlement doit adresser un signal fort. Je rappelle que 61 % des crédits du programme « Rayonnement culturel et scientifique » sont affectés à des opérateurs extérieurs. Il n'est pas possible de ne pas tenir compte de cette réalité.

L'avenir du réseau culturel à l'étranger doit aussi être éclairci, car il est peu lisible. Je me permets de faire une suggestion : pourquoi ne pas utiliser la dénomination « Alliance française », pour l'ensemble de notre réseau ? Je ne prétends pas qu'il faille aligner tout notre réseau culturel sur ce modèle, mais pourquoi ne pas utiliser cette appellation connue de tous et recourir à cette formule souple et réaliste pour associer nos partenaires étrangers ?

Monsieur le ministre, tels sont les éclairages que je souhaitais donner sur les crédits de la mission « Action extérieure de l'État », dont je vous recommande l'adoption, sous le bénéfice des amendements que je vous soumettrai. C'est du débat que jaillit la lumière !

En conclusion, monsieur le ministre, je tiens à saluer votre ouverture d'esprit et celle de vos services, même si nous ne sommes pas toujours d'accord. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur pour avis.

M. Yves Pozzo di Borgo, en remplacement de M. Jean-Guy Branger, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'analyse précise et argumentée des crédits alloués à la mission « Action extérieure de l'État » nous ayant été exposée par notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, je m'en tiendrai au rappel de quelques éléments-clés : l'augmentation des crédits attribués à cette mission de 2007 à 2008 s'élève, en crédits de paiement, à 1,1 %, soit à peine le niveau prévu de l'inflation.

Mais notre commission n'appartient pas au courant de pensée qui professe que l'augmentation des moyens financiers et humains est la condition nécessaire et suffisante du renforcement de l'efficacité.

Je dirai d'ailleurs, à titre personnel, que, dans le contexte d'endettement extérieur, un bon ministre est celui qui exerce sa mission avec un budget en diminution. Sous la IVe République, lorsque la situation financière du pays était grave, le Président du Conseil disait à ses ministres : « Débrouillez-vous avec 5 % de crédits en moins ! »

Mme Catherine Tasca. Voilà qui est encourageant !

M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur pour avis. Monsieur le ministre, il faudrait peut-être retrouver cet état d'esprit dans la situation dans laquelle nous nous trouvons. Cette remarque personnelle n'engage en rien la commission.

De nombreux exemples, tant dans le domaine administratif que dans le secteur privé, démontrent que l'augmentation des moyens financiers et humains n'est pas la condition nécessaire et suffisante du renforcement de l'efficacité et que, parfois même, cette croissance conduit à l'inverse de l'effet recherché.

C'est pourquoi, et alors que le précédent secrétaire général du ministère évoque, devant la commission du Livre blanc diplomatique, un doute des services « sur leur capacité à remplir toutes leurs missions », doute qui porte également sur « l'objet même de ces missions, à l'heure des nouveaux enjeux que constituent les questions migratoires, environnementales et énergétiques », il faut s'interroger sur les voies à suivre pour adapter à la nouvelle donne mondiale notre ministère des affaires étrangères, dont nous sommes légitimement fiers, notamment du fait de sa grande qualité d'expertise et de la compétences de ses collaborateurs. Il faut donc, à l'évidence, en faire évoluer les structures, et particulièrement ses réseaux d'implantations à l'étranger, pour en renforcer les capacités et faciliter leur adaptation aux nouveaux pôles de puissance qui émergent en Amérique latine, en Afrique ou en Asie.

Je ferai juste une parenthèse pour dire que Robert Hue, André Dulait et moi-même avons établi voilà deux ans un rapport d'information sur la situation en Afrique. Nous avons constaté - cette remarque figure dans notre rapport - que les grands pays étaient maintenant le Nigeria, l'Angola et l'Afrique du Sud et qu'il serait peut-être nécessaire que notre réseau diplomatique s'adapte aux évolutions de ces pays.

Notre réseau diplomatique ne doit pas être réduit, ne serait-ce que parce qu'il a été explicitement démontré dès 2005, dans le rapport confié au préfet Raymond Le Bris sur les réseaux français à l'étranger, que la fermeture des dix ou vingt plus petites ambassades françaises produiraient des économies insignifiantes au regard du coût politique qui en découlerait pour l'image de notre pays. Il conviendrait cependant de renforcer les capacités, limitées, de ces petits postes par la création de pôles diplomatiques régionaux, qui seraient chargés de définir les priorités et de constituer des centres d'analyse et d'expertise susceptibles d'appuyer les petites ambassades.

S'agissant de notre réseau consulaire, je livre à votre réflexion l'annonce récente, faite par le Portugal, de la restructuration de son réseau consulaire en France. Le secrétaire d'État aux communautés portugaises à l'étranger, M. Antonio Braga, a déclaré à cette occasion à Paris, le 27 octobre dernier, « qu'il fallait moderniser un réseau conçu il y a plus de trente ans, en France comme ailleurs dans le monde ». Il a également indiqué qu'il s'agissait, « par une profonde réforme de notre administration publique, de fournir un meilleur service aux personnes, par le regroupement des centres consulaires et le développement de consulats virtuels sur Internet, pour permettre à nos ressortissants d'avoir accès, en ligne, à des documents de base sans avoir à se déplacer ».

En prenant conscience que l'Europe à quinze n'est plus une terre totalement étrangère, à la différence de certaines zones du Pérou, du Nigeria ou de l'Inde du Nord, nous pourrions utilement appuyer nos compatriotes dont l'expatriation requiert un soutien fort de la France.

Mais notre sujet majeur de préoccupation tient, vous le savez, au financement de nos contributions internationales obligatoires.

Si notre apport à certaines organisations majeures, appartenant à la galaxie de l'ONU, doit être compté en proportion de la qualité de leur gestion interne, parfois plus axée sur l'autofonctionnement que sur les interventions sur le terrain, nos contributions aux opérations de maintien de la paix sont, elles, soumises à une logique de crédibilité. Comment réclamer la création de nouvelles opérations si nous n'apportons pas la part qui nous incombe à celles qui sont en cours ?

Vos propres services évaluent la différence entre les crédits inscrits au projet de loi de finances pour 2008 pour nos contributions obligatoires et les financements effectivement requis à 70 millions d'euros : 215 millions d'euros seront disponibles alors qu'il en faudrait 285 millions, sans compter les futures opérations devant être déployées au Tchad, puis au Darfour.

Je souhaiterais, pour le Tchad, qui vient d'être à nouveau touché par des combats à sa frontière avec le Soudan, que vous nous précisiez l'état actuel des engagements humains et financiers pris par nos différents partenaires et le calendrier envisagé pour cette action « Eufor Tchad ».

À titre personnel, j'ai participé, avec M. François-Poncet, à une délégation de la commission des affaires étrangères à l'ONU, et nous avons ressenti dans l'ensemble de nos contacts, vous le savez certainement, une certaine inquiétude sur cette opération.

Sous ces réserves, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous recommande d'adopter les crédits affectés à la mission « Action extérieure de l'État » pour 2008. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le ministre, la lettre de mission que vous a adressée le Président de la République en août dernier souligne l'importance du réseau culturel français à l'étranger.

Le programme 185 « Rayonnement culturel et scientifique » reflète-t-il cette orientation ? Certainement pas. L'annonce d'une nouvelle réorganisation inquiète donc dans un tel contexte budgétaire. Je rappelle que soixante emplois seront supprimés dans le réseau en 2008 et que les crédits d'intervention sont tous amputés dans le cadre de ce programme.

Les enjeux de la défense de la langue et de la culture française sont cruciaux dans le cadre de la mondialisation, comme le rappelle M. Hubert Védrine dans son rapport au Président de la République. Or les moyens humains et financiers de notre action culturelle extérieure sont une peau de chagrin que la réorganisation permanente et l'incertitude sur des crédits en baisse tuent à petit feu.

Vos services et les opérateurs, monsieur le ministre, trouveront-ils toujours plus de mécènes étrangers si le levier du financement public français disparaît ? S'il y a ici des ambassadeurs qui ont été en poste, ils pourront tous en témoigner : sans un minimum de leviers de financement public français, il n'y a pas de mécènes étrangers.

L'année 2008 confirme la tendance ancienne à la réduction de l'action culturelle extérieure et à l'affaiblissement de notre diplomatie d'influence. Le discours, depuis quinze ans, est perpétuellement en contradiction avec les moyens et les actes.

Je citerai quelques exemples.

Les crédits destinés à la promotion de la langue française ne représentent plus que 15 millions d'euros pour 2008, et cela pour l'ensemble des États membres de l'Union européenne et des grands pays développés. On s'étonne que les Allemands, les Italiens et les Espagnols n'apprennent plus le français et qu'on ne parle plus le français à Bruxelles. Voilà la réponse.

Alors que la France attire deux fois moins d'étudiants européens que l'Allemagne et trois fois moins que le Royaume-Uni, l'enveloppe destinée au financement des bourses pour les étudiants étrangers les plus brillants ne représente que 18 millions d'euros.

Le nombre total de bourses délivrées à des étudiants étrangers est d'ailleurs en forte diminution ces dernières années : Ils étaient 18 500 en 2006, contre 20 000 en 2005 et 22 500 en 2002. Cela fait tout de même deux mille à deux mille cinq cents bourses que nous refusons à des étudiants brillants, sélectionnés par nos meilleures universités et grandes écoles.

À titre de comparaison, le budget du British Council alloué à la coopération universitaire est de 220 millions d'euros, et celui de l'Allemagne est trois fois supérieur au nôtre.

La mesure la plus spectaculaire du projet de loi de finances pour 2008 est la prise en charge, pour un montant de 20 millions d'euros, des frais de scolarité des élèves des classes de terminale des lycées français à l'étranger, à la suite de l'engagement de campagne du Président de la République.

Certes, je partage la satisfaction des familles qui bénéficient dès cette année de cette mesure. Quand on s'appelle M. Jean-Marie Messier, il est plutôt agréable de ne payer aucun frais pour ses enfants scolarisés à New York !

Nous passons d'une logique fondée sur des critères sociaux pour attribuer des bourses à tous les élèves dont les familles connaissent des difficultés financières à une logique de prise en charge intégrale des droits de scolarité pour les élèves français des seules classes de lycée, quel que soit le revenu de leurs parents.

Ce fait est accentué par la régression des crédits de bourses sur critères sociaux et aussi par la suppression brutale des bourses destinées aux élèves francophones. Lors de la dernière rentrée scolaire, plusieurs centaines de ces élèves ont dû quitter nos lycées français un peu partout dans le monde.

Mme Catherine Tasca. Il y a un double langage !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis. Ne sous-estimons pas les prévisibles effets pervers de cette mesure, et, tout d'abord, l'« effet d'aubaine » pour les entreprises qui prennent actuellement en charge les frais de scolarité des enfants de leurs salariés expatriés. À leur place, je supprimerai cet avantage et je réaliserai un meilleur retour sur investissement l'année prochaine.

Ensuite, l'augmentation prévisible du nombre d'inscription d'élèves de nationalité française soulève des interrogations sur la capacité d'accueil de nos établissements, d'ores et déjà saturés, et sur le risque d'éviction des élèves étrangers.

L'avantage consenti touchera de 15 000 à 20 000 élèves sur plus de 300 000 enfants français en âge d'être scolarisés et immatriculés dans les consulats, dont 75 000 seulement sont élèves dans le réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE. Pour ces 300 000 enfants, le crédit pour le programme « français langue maternelle », ou FLAM, est d'environ 300 000 euros, soit un euro par enfant en moyenne, alors que 5,8 millions d'euros sont prévus pour les seuls élèves de terminale scolarisés en Amérique du Nord.

Ce qui est inquiétant, c'est qu'aucune distinction n'a été faite entre les établissements dont l'AEFE peut contrôler les tarifs et les autres. N'est-ce pas une terrible incitation à l'inflation des droits de scolarité ? La plupart de nos établissements sont des écoles privées conventionnées qui déterminent leurs tarifs comme elles l'entendent. À cet égard, l'AEFE n'a aucun moyen de pression.

Le plus grave est que ce choix réduit gravement les capacités de tous les établissements, y compris les établissements de l'État - une soixantaine -, à faire face à leurs charges salariales et immobilières, que l'AEFE transfère d'année en année sur eux.

Je rappelle que le besoin de financement, pour 2006-2012, de la politique immobilière de l'agence a été évalué, par une mission d'audit, à 240 millions d'euros, soit 48 millions d'euros par an.

La dotation de 8,5 millions d'euros pour 2008 est donc très insuffisante au regard des besoins.

Or, comme l'a rappelé M. le rapporteur spécial, l'AEFE ne pourra plus, comme par le passé, puiser dans son fonds de roulement.

Au total, pour assurer la gratuité scolaire à une toute petite minorité de familles, il faudra alourdir la participation financière de toutes les autres. En effet, l'évolution de la masse salariale et, surtout, les investissements immobiliers ne pourront être financés que par une augmentation massive, générale et très rapide, des droits de scolarité de tous.

N'aurait-il pas été préférable d'affecter la totalité des fonds additionnels aux bourses gérées par l'AEFE, qui sont attribuées sur des critères sociaux, et aux investissements immobiliers, qui, par définition, profitent à tous les élèves, de toutes les classes et de toutes les nationalités ?

Enfin, monsieur le ministre, compte tenu de la situation politique tragique du Liban et de ses conséquences sur la vie des Libanais et des Français du Liban, ne pourrait-on faire en sorte que la mission laïque ne soit pas contrainte par l'AEFE d'augmenter fortement ses droits de scolarité dans son réseau libanais ? La charge est déjà très lourde pour les familles, qui sont parfois endettées. Il ne faudrait pas qu'elle devienne insupportable.

En conclusion, en dépit de l'insuffisance des crédits consacrés à l'action culturelle extérieure, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable sur l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline, rapporteur pour avis.

M. David Assouline, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits du programme « Rayonnement culturel et scientifique » de la mission « Action extérieure de l'État » sont en hausse de 2,3 %.

Au vu, d'une part, de l'importance de ce programme pour l'image de la France dans le monde et, d'autre part, des critiques récurrentes émises les années précédentes sur le manque d'ambition pour ce programme, je suis prêt à m'en féliciter.

Je considère néanmoins qu'il ne faut pas céder à un optimisme béat. Disposer de crédits est, pour les ministères, une heureuse nouvelle. Mais, dans la situation budgétaire actuelle, il existe un impératif de gestion efficace de ces sommes. Or, plusieurs raisons me laissent à penser que le ministère des affaires étrangères et européennes ne fait pas aujourd'hui la meilleure utilisation de ces crédits.

D'abord, le périmètre actuel du programme de la mission n'est toujours pas satisfaisant. Les crédits de l'action culturelle en direction des pays en développement restent inscrits dans la mission « Aide publique au développement », comme si les échanges avec ces pays ne pouvaient qu'être économiques, comme si la politique culturelle en direction des pays en développement n'avait pour objectif que le gain de points de croissance.

Par ailleurs, outre le fait que ce prisme est encore trop marqué par le passé colonial de la France, il n'est pas efficace sur le plan de la visibilité des crédits culturels. Pourquoi ferait-on de la culture lorsqu'il s'agit du Koweït ou du Japon et du développement avec le Mali ou le Maroc ?

Après cette critique de forme, je développerai trois points de fond.

Premier point, le constat doit être fait que la France n'accueille que 9 % des étudiants faisant leurs études supérieures en dehors de leur pays, contre par exemple 30 % pour les États-Unis, ou 12 % pour l'Allemagne.

À cet égard, si je ne crois pas que l'indice de Shanghai doive être la référence ultime en termes de classement universitaire tant les critères retenus sont contestables et n'ont plus grand-chose à voir avec les humanités de l'université à sa fondation, je constate qu'il a néanmoins une influence sur les décisions des étudiants, notamment des meilleurs.

Je considère en conséquence que la France devrait au moins être à l'initiative de la création d'un indicateur européen, susceptible de prendre en compte les spécificités et traditions des universités européennes. Pourriez-vous me donner votre avis sur cette question, monsieur le ministre ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. C'est une bonne idée !

M. David Assouline, rapporteur pour avis. Par ailleurs, il faut engager une politique ambitieuse d'attractivité selon trois axes majeurs.

Il s'agit, tout d'abord, de l'augmentation des bourses en direction des étudiants étrangers, qui sont en baisse depuis 2005, alors que, dans le même temps, le nombre d'étudiants en France a augmenté.

Il s'agit, ensuite, de la mise en place rapide de CampusFrance, agence de la mobilité universitaire réunissant Edufrance, Égide et la partie des services du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires, le CNOUS, consacrée aux étudiants étrangers. J'appelle cette mise en place de mes voeux dans chaque avis budgétaire depuis trois ans, mais elle tarde à se concrétiser.

Enfin, j'insiste sur le fait que l'attractivité des universités, qui, j'en conviens, n'est pas de votre responsabilité, passe par une politique très large qui doit inclure l'amélioration des conditions de vie des étudiants, la construction massive de logements pour les étudiants afin de pallier l'absence de campus, et pas seulement de logements dits classiques. Les chercheurs étrangers viennent souvent pour de courts séjours, dont la durée ne correspond pas aux baux locatifs français. À l'étranger, des résidences hôtelières, notamment, proposent des accueils plus adaptés aux séjours des chercheurs. Si nous ne le faisons pas, l'intérêt des étrangers pour les universités françaises, qui est pour l'instant réel, risque de se reporter sur d'autres pays.

Deuxième point, je souhaite évoquer la situation des lycées français à l'étranger. Je considère que les décisions du Président de la République y ont semé la zizanie.

À partir de 2008, les frais de scolarité des élèves français des classes de première et de terminale seront pris en charge par la collectivité nationale, donc par les impôts des personnes qui résident sur le territoire français et dont les enfants ne seront pas scolarisés dans ces lycées. C'est l'exemple même de la fausse bonne idée qui soulève plusieurs difficultés.

Tout d'abord, dans l'hypothèse où seuls les élèves des lycées sont concernés, cela veut dire que les personnes qui ont eu jusqu'ici les moyens d'intégrer leurs enfants dans le réseau français bénéficieront tout d'un coup de la gratuité. On appelle cela un effet d'aubaine, qui profitera, je le rappelle, à des personnes qui ne sont pas contribuables en France.

Par ailleurs, si davantage de familles souhaitent de ce fait inscrire leurs enfants dans les lycées français, les établissements risquent d'être rapidement confrontés à un problème de place. Vont-ils dès lors exclure des élèves étrangers qui y auraient jusqu'ici suivi leur scolarité ? Je ne suis pas persuadé que ce serait très positif pour le rayonnement de la France, qui fait aussi partie de la mission de ces lycées.

L'effet d'aubaine profitera, en outre, aux entreprises qui payaient jusqu'à présent la scolarité des enfants de leurs salariés expatriés.

Si l'on fait la gratuité, il faut bien la faire, donc dès le collège...

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis. Dès le primaire !

M. David Assouline, rapporteur pour avis. ... et seulement pour les familles qui ont en réellement besoin, c'est-à-dire en se fondant sur des critères sociaux.

Troisième point, j'évoquerai le renforcement du réseau culturel français à l'étranger.

Le ministère souhaite établir la créativité culturelle et intellectuelle française comme une référence mondiale. Cet objectif, fort louable, passe notamment par la création d'une agence culturelle unique, que la commission des affaires culturelles préconise depuis plusieurs années. Or, et j'attire votre attention sur ce point, monsieur le ministre, pour l'instant, rien n'est engagé.

En attendant, le Gouvernement pourrait à tout le moins inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi de notre collègue Louis Duvernois sur la transformation de CulturesFrance, proposition adoptée par le Sénat à l'unanimité, ce qui est rare. Je réitère cette demande, car ces dispositions rendraient notre action culturelle extérieure plus cohérente.

En conclusion, en dépit des réserves émises sur le manque de cohérence du programme « Rayonnement culturel et scientifique », et malgré ma propre opposition, la commission des affaires culturelles a émis un avis favorable sur l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d'intervention générale et celui de l'explication de vote.

En outre, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Enfin, le Gouvernement dispose au total de quarante minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Georges Othily.