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Dossier législatif : projet de loi relatif aux opérations spatiales
Discussion générale (suite)

Opérations spatiales

Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif aux opérations spatiales (nos 272, 328).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux opérations spatiales
Article 1er

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’année 2008 a d’ores et déjà, à travers différents événements, apporté sa pierre à l’aventure spatiale française et européenne.

Elle a débuté avec le séjour de notre compatriote Léopold Eyharts sur la station spatiale internationale.

Elle s’est poursuivie avec le lancement, au mois de mars, de l’ATV Jules Verne, puis avec l’impressionnant amarrage automatique de ce véritable « cargo de l’espace ». Une fois encore, par cette première mondiale, l’Europe faisait la preuve de ses capacités techniques et de la rigueur de ses scientifiques et de ses industriels.

Voilà quelques jours, c’était le satellite Giove-B qui était mis en orbite, apportant une nouvelle contribution au projet européen Galileo, qui permettra à notre continent de se doter de son propre système de localisation.

Le 15 juin prochain, c’est le satellite Jason-2 qui sera lancé. Fruit de la collaboration entre le Centre national d’études spatiales et la NASA, il permettra d’améliorer la connaissance du système océanique et d’effectuer des prévisions climatiques à long terme.

Ces événements ne sont pas anodins. Bien au contraire, ils témoignent de l’intérêt de l’espace, non comme outil de puissance entre États rivaux, mais comme lieu de toutes les innovations qui changent en profondeur notre vie quotidienne.

Plus qu’un rêve de grandeur ou le témoignage d’une ambition démesurée, c’est désormais la volonté d’améliorer concrètement et au quotidien la vie de nos concitoyens et, plus largement, des citoyens européens qui fonde notre politique spatiale. Car les avancées dans ce domaine nous sont utiles tous les jours : du téléphone aux soins à distance, d’Internet à la météo, à chaque minute de notre vie, sans toujours en avoir conscience, nous avons besoin d’un outil dont l’origine première n’est autre que l’espace.

Connues ou ignorées, nombreuses sont les innovations nées de la conquête spatiale et l’on mesure mal à quel point nos vies seraient profondément modifiées si les satellites cessaient de fonctionner.

Plus qu’un simple enjeu scientifique, au-delà de ses dimensions stratégiques, la politique spatiale constitue un enjeu économique et social.

Et c’est précisément le développement extraordinaire de ces activités qui nous impose aujourd’hui de définir un cadre juridique neuf. Il s’agit de mettre en place un cadre sécurisé, propre à prémunir chacun contre les dangers qui entourent nécessairement les opérations menées dans ce secteur – le professionnalisme dont les opérateurs européens n’ont cessé de faire preuve nous a parfois fait oublier qu’il existait des risques –, et clair, afin d’offrir à tous les acteurs un environnement favorable au développement de leurs activités.

Les objets dans l’espace extra-atmosphérique, comme les opérateurs qui en ont la charge, se sont multipliés. Les acteurs du secteur, qui étaient autrefois exclusivement sous le contrôle de l’État, se sont diversifiés. D’autres opérateurs, privés ceux-là, sont venus les rejoindre, désireux d’exercer leurs compétences dans un secteur riche de perspectives industrielles et commerciales multiples. Le cadre juridique des opérations spatiales se devait donc de prendre en compte cette nouvelle réalité.

En premier lieu, il faut s’assurer de la capacité des opérateurs à mener à bien les opérations qu’ils entendent conduire. À cette fin, les demandeurs seront à l’avenir dans l’obligation de prouver qu’ils présentent les garanties techniques, financières et morales exigibles d’un secteur de haut niveau technologique qui, comme nous l’ont montré les opérateurs actuels, ne peut admettre en son sein ni amateurisme, ni négligence, ni improvisation.

En second lieu, il faut clarifier le régime de responsabilité des opérations spatiales et des opérateurs qui les conduisent. Le professionnalisme et l’exigence des opérateurs français et européens nous ont parfois fait oublier la dangerosité d’une activité qui se situe sans cesse aux limites de la technologie. Or il n’est pas envisageable que l’État se voie imputer l’ensemble des risques relevant d’opérations conduites par des opérateurs privés. Compte tenu des risques encourus et du montant potentiellement très élevé des éventuels dommages, il n’est pas non plus raisonnable d’en faire porter la charge intégrale aux seuls opérateurs privés, qui ont par ailleurs démontré leur professionnalisme.

L’objectif du projet de loi est précisément de parvenir à un tel point d’équilibre, c'est-à-dire à un cadre législatif clair permettant de sécuriser l’environnement dans lequel évoluent les intervenants du secteur. C’est une condition indispensable à son développement économique, que nous appelons toutes et tous de nos vœux.

Sur ce point, je tiens à saluer la qualité du travail des parlementaires. Tout au long des débats, par leurs amendements, ceux-ci se sont attachés à proposer les réponses les mieux adaptées aux nouvelles questions soulevées par l’évolution du secteur.

Ainsi, les modifications qui ont été apportées au projet de loi par l’Assemblée nationale se sont inscrites dans la droite ligne des travaux accomplis d’abord par le Sénat, tout particulièrement par votre rapporteur, M. Henri Revol.

L’introduction d’une distinction entre phase de lancement et phase de maîtrise de l’objet spatial permet d’attribuer à chaque opérateur une part de responsabilité conforme aux risques réellement encourus par les opérations qu’il mène, ces risques étant très différents en phase de lancement et en phase d’entretien des satellites.

Prenant acte de la pratique, restera ainsi ouverte la possibilité pour les opérateurs de satellites de demeurer leur propre assureur lorsque leurs satellites seront en position stationnaire, c’est-à-dire quand ils ne présenteront pas de risques majeurs pour leur environnement.

Le texte reste mesuré quant aux nouvelles obligations des opérateurs spatiaux. Pour l’État, celles-ci se limitent strictement à s’assurer que les opérations se dérouleront dans les conditions de sécurité les plus strictes.

Sur ce point, l’expertise du CNES sera le gage d’une bonne équation entre les obligations qui incomberont aux opérateurs et l’autonomie nécessaire dont a besoin une activité devant en permanence viser la frontière technologique. Cette équation sera garantie par le dialogue et la concertation qui, soyez-en sûrs, présideront à l’élaboration de la réglementation technique à laquelle devront se conformer les opérateurs.

Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce à votre travail, le texte qui vous a été transmis est, me semble-t-il, parvenu à un point d’équilibre permettant de concilier à la fois les obligations internationales de notre pays, la garantie des intérêts de l’État, ainsi que la sécurité et la clarté juridiques nécessaires à la compétitivité de la France en ce domaine.

En l’état, ce texte est de nature à permettre à la France de continuer à tenir le rang qui est le sien dans le domaine spatial, c'est-à-dire celui de première puissance européenne.

Votre commission des affaires économiques partage ce sentiment puisqu’elle a, sur l’invitation de votre rapporteur, voté l’adoption conforme du texte transmis par l’Assemblée nationale. Ce vote légitime à son tour une adoption conforme et rapide des treize articles restant en discussion, sur les trente que comporte le projet de loi.

En outre, une telle adoption est le gage d’une mise en œuvre concrète et rapide de la loi.

Monsieur Revol, vous le savez pour en avoir pris connaissance, les avant-projets des décrets nécessaires à l’application de la loi ont d’ores et déjà été transmis par mes services. Je m’engage à poursuivre ce travail de concertation avec le Sénat et l’Assemblée nationale une fois que la loi aura été votée.

L’adoption rapide de ce projet de loi est d’autant plus souhaitable que, d’ici à quelques semaines, la France assurera pour six mois la présidence de l’Union européenne, présidence dont l’un des enjeux majeurs sera la consolidation de la politique spatiale européenne.

Les 21 et 22 juillet prochains, je réunirai nos partenaires européens au Centre spatial guyanais de Kourou. Cette rencontre sera une occasion importante d’avancer dans la construction de l’Europe spatiale.

De fait, depuis trente-cinq ans, la France a toujours construit sa politique spatiale dans un cadre élargi aux dimensions de l’Europe. Ainsi, en 1973, la mise en place du programme Ariane nous a prouvé combien une coopération enthousiaste et efficace en matière spatiale était susceptible de permettre à la France d’atteindre la première place dans le monde. Elle a aussi permis à l’Europe de faire entendre sa voix singulière. À la fois pacifique et attachée au progrès de l’humanité, l’Union européenne doit faire de l’espace un symbole de sa détermination à édifier un avenir commun, par la coopération entre les différents États. Elle en a les moyens ; il lui faut en avoir aussi la volonté et l’exigence.

C’est pourquoi, au mois de février dernier, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a insisté sur l’importance qu’il y avait à créer de véritables infrastructures européennes en matière spatiale.

Le présent projet de loi pose les fondations juridiques nécessaires pour permettre la France d’accueillir dans les meilleures conditions ces futures infrastructures européennes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en suis convaincue, vous mesurez combien ce texte contribue à entretenir l’espoir que l’espace a fait naître et continue de faire naître pour de nombreuses générations, pour tous ceux qui ont assisté, émerveillés, aux incessants progrès de la conquête spatiale, pour tous ceux qui croient en l’avenir et en la science, pour tous ceux qui ont foi dans la France et dans l’Europe. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au moment où nous nous apprêtons à consolider le cadre juridique de notre politique spatiale, permettez-moi d’entamer mon propos en ayant une pensée pour Christian Cabal, qui, alors qu’il était député, présidait le groupe parlementaire sur l’espace et avec lequel j’avais rendu, voilà un peu plus d’un an, dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, un rapport intitulé « Comment faire de l’Europe le leader mondial de l’espace ? »

Christian Cabal nous a quittés le 25 mars dernier, lui qui depuis tant d’années, d’abord à titre professionnel, puis en tant que parlementaire, s’était passionné pour l’espace et n’avait jamais cessé d’appeler l’attention sur l’importance stratégique des activités spatiales. Il nous manquera beaucoup.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Henri Revol, rapporteur. Pour en revenir au projet de loi relatif aux opérations spatiales, je rappellerai que ce texte, qui nous est soumis aujourd'hui en deuxième lecture, avait été examiné par le Sénat le 16 janvier dernier et qu’il l’a été par l’Assemblée nationale le 9 avril.

Je vous rappellerai aussi, mes chers collègues, que le projet de loi ne concerne pas les utilisations spatiales, c’est-à-dire les services rendus à partir de l’espace dont nous bénéficions tous, comme les télécommunications ou l’observation, mais qu’il se concentre sur les seules opérations spatiales, c’est-à-dire sur les activités de lancement d’objets spatiaux, de contrôle de ceux-ci une fois dans l’espace extra-atmosphérique et, le cas échéant, de retour sur terre, opérations pour lesquelles il met en place un cadre juridique.

En effet, comme nous en avions déjà débattu, les opérations spatiales conduites par nos entreprises ou par des opérateurs étrangers à partir de notre sol ne sont aujourd’hui soumises à aucun encadrement national, alors même que tout accident pourrait avoir des conséquences financières très lourdes pour le Trésor public français. Notre pays serait alors considéré comme « État de lancement », c’est-à-dire comme État responsable – y compris des activités menées par des opérateurs privés –, comme le précise le traité du 27 janvier 1967, complété par une convention internationale de 1972.

C’est pour cette raison que l’objet essentiel du projet de loi est de mettre en place un système d’autorisation pour toutes les opérations spatiales susceptibles d’engager la responsabilité de l’État.

Il est important de signaler que cet objectif de sécurité juridique s’accompagne d’une préoccupation de maintien et même d’amélioration, de la compétitivité économique du « site France », qui figure aux tout premiers rangs mondiaux de l’ensemble des activités de la filière spatiale, Mme la ministre l’a rappelé, grâce à des opérateurs extrêmement compétents, audacieux et très conscients de leurs responsabilités ainsi que des risques de leurs activités.

Le système d’autorisation ne constitue nullement un désavantage pour nos entreprises, car la plupart des grands pays spatiaux en ont mis en place ces dernières années, à commencer par les États-Unis.

Par ailleurs, la détention d’une autorisation permet à l’opérateur de bénéficier de la garantie de l’État français pour les dommages, au cas où les victimes souhaiteraient se retourner contre l’entreprise et non contre l’État. Cette garantie joue au-delà de 60 millions d’euros, « franchise » qui est tout à fait supportable pour les opérateurs.

L’essentiel des amendements que je vous avais proposés et que nous avons adoptés en janvier dernier procédait directement de ce souci de préservation de la compétitivité de nos opérateurs et de notre site de Kourou.

Notre assemblée avait notamment, par un amendement à l’article 4 du projet de loi, permis aux licences d’opérateurs de valoir autorisation de procéder à des opérations, afin d’introduire plus de souplesse dans le dispositif.

Nous avions aussi, par un amendement à l’article 8, prévu une consultation obligatoire des opérateurs avant que ne leur soient imposées des prescriptions administratives pouvant aller jusqu’à la destruction d’un objet spatial.

C’est le texte ainsi amélioré qui a été transmis à l’Assemblée nationale.

Permettez-moi d’évoquer ici la coopération qui s’est nouée sur ce texte avec notre collègue député Pierre Lasbordes, rapporteur à l’Assemblée nationale.

D’une part, elle a permis de réaliser, d’abord au Sénat puis à l’Assemblée nationale, un tour de table approfondi de l’ensemble des acteurs concernés et des intérêts, parfois contradictoires, qui étaient en présence. L’insuffisance de concertation était en effet, en quelque sorte, le « péché originel » de ce projet de loi, qui partait d’une vision quelque peu « technocratique », inspirée d’un rapport du Conseil d’État, certes très pertinent, mais peut-être trop en amont des applications pratiques. (Mme la ministre sourit.

D’autre part, je sais gré à Pierre Lasbordes de m’avoir consulté sur chacun des projets d’amendements avant leur présentation en commission à l’Assemblée nationale, ce qui nous a permis d’avoir des échanges fructueux, notamment en tenant compte, madame la ministre, de l’avancement des projets de décret d’application en cours de rédaction. Ces futurs décrets conditionnent en effet pour beaucoup la portée de la loi puisqu’ils détermineront notamment les contrôles et les conditions d’obtention des autorisations et des licences. Nous en reparlerons à l’occasion de l’examen de l’amendement de notre collègue Daniel Raoul.

J’en viens maintenant brièvement à la présentation des amendements adoptés à l’Assemblée nationale. Je retiendrai principalement quatre modifications de fond par rapport au texte du Sénat.

La première modification porte sur les définitions des différentes phases d’une opération. Il s’est agi, d’une part, de préciser au 3° de l’article 1er que la phase de lancement prenait fin en principe lors de la séparation du lanceur et de l’objet destiné à être lancé.

D’autre part, il a été ajouté un 4° bis au même article 1er, afin de définir dans le texte la phase de maîtrise d’un objet spatial, c’est-à-dire essentiellement d’un satellite. Cette phase succède à la phase de lancement et se termine soit à la fin de la désorbitation de l’objet, soit en cas de perte de contrôle de l’objet, soit à l’occasion de son retour sur terre ou de sa désintégration complète dans l’atmosphère.

Ces précisions me semblent utiles, car il s’agit d’éléments essentiels dans la détermination de la responsabilité des différents acteurs, y compris de l’État, sachant que, comme le prévoit le 3° de l’article 1er, ces définitions peuvent toujours être adaptées par l’administration à l’occasion de la délivrance de l’autorisation, afin de tenir compte de la spécificité de certaines opérations.

La deuxième modification apportée par l’Assemblée nationale poursuit l’œuvre de simplification entreprise au Sénat. S’agissant de l’obligation d’assurance ou de garantie financière, l’Assemblée a complété le paragraphe I de l’article 6, afin de permettre qu’en dehors des phases de lancement ou de manœuvre de l’objet spatial l’opérateur puisse, comme c’est le cas actuellement, être son propre assureur.

Quant à la troisième modification, elle concerne la durée pendant laquelle l’opérateur est responsable des dommages du fait de l’opération. Il est ainsi rappelé que l’opérateur voit la responsabilité être « canalisée » sur lui, non seulement pendant l’opération, mais aussi en raison des conséquences d’un fait dommageable qui a pu survenir longtemps après l’opération. Un mauvais lancement ou une mauvaise mise en orbite peuvent en effet produire des dommages bien après leur survenance.

La commission des affaires économiques a jugé que cette modification était justifiée dès lors que la modification introduite à l’article 6 n’oblige plus les opérateurs à payer une prime d’assurance en permanence.

La dernière modification sera, je le pense, de nature à satisfaire nos collègues socialistes, qui s’étaient émus du positionnement du CNES par rapport au ministère.

Afin de lever toute ambiguïté quant aux pouvoirs de police du CNES à Kourou, l’Assemblée nationale a modifié le paragraphe 1 bis de l’article 21, afin de remplacer la formule : « le président du Centre national d’études spatiales peut […] recevoir délégation du ministre chargé de l’espace » par les mots : « le président du Centre national d’études spatiales peut, par délégation de l’autorité administrative, » prendre les mesures de sécurité.

Notre commission n’a pas vu d’obstacle à ce que cette précision soit apportée, d’autant qu’elle nous assure que le président du CNES pourra prendre toutes les mesures, y compris en cas d’urgence, y compris si un danger survenait, ou en cas de changement de ministre, pendant la période intermédiaire où l’autorisation précédente ne serait plus valable.

Dans le même esprit, et s’agissant cette fois des pouvoirs de contrôle technique du président du CNES, l’Assemblée a modifié le g) de l’article 28, afin de préciser que ceux-ci ne sont pas exercés à la demande du ministre chargé de l’espace, mais, de façon plus permanente, par délégation de celui-ci. Tout en confortant le CNES, qui est – je tiens à le dire – l’illustration de l’excellence spatiale française, la formule qui a été retenue ménage l’existence du ministre comme autorité d’appel, ce à quoi notre commission était particulièrement attachée.

Au terme de ses travaux, la commission des affaires économiques a estimé que ce qui devait être fait en termes d’enrichissement législatif l’a été et que l’attention doit maintenant se concentrer sur la finalisation des décrets. En effet, l’engagement avait été pris dans cet hémicycle par vous-même, madame la ministre, que la préparation des décrets d’application serait entreprise parallèlement à la navette législative, et je vous remercie d’avoir enclenché cette procédure. Je souhaiterais que vous puissiez nous dire où nous en sommes aujourd’hui, madame la ministre. Les opérateurs spatiaux, mais surtout les parlementaires qui ont travaillé sur ce texte, attendent vos précisions.

Je souhaiterais aussi, madame la ministre, vous faire part de mon regret de constater que la garantie, telle qu’elle est aujourd’hui proposée, bénéficie à tous les opérateurs français ou étrangers qui font envoyer un satellite depuis Kourou, alors qu’à l’inverse, lors de lancements menés depuis l’étranger, les opérateurs français sont soumis à un système d’autorisation français, ce qui n’est, bien sûr, pas le cas des opérateurs étrangers.

M. Daniel Raoul. C’est juste !

M. Henri Revol, rapporteur. Malheureusement, il n’a pas été possible de modifier cette asymétrie, qui affecte plus les opérateurs de satellites que les lanceurs. En effet, les nouvelles règles d’irrecevabilité financière ne permettent pas d’apporter une telle modification législative sans l’accord du Gouvernement.

Quoi qu’il en soit, l’adoption et la promulgation rapides de ce texte sont absolument indispensables, en particulier parce qu’elles nous permettront d’être prêts à la fin de 2008 pour accompagner l’accueil historique de lanceurs autres qu’Ariane à Kourou – en l’espèce, des fusées de conception russe Soyouz et des lanceurs de conception italienne Vega. Il sera en effet indispensable au bon déroulement des opérations que soient clairement définies les responsabilités et les prérogatives de chacun des acteurs.

Estimant que le travail législatif est parvenu à un équilibre tout à fait satisfaisant, vous ne serez pas surpris, mes chers collègues, que la commission des affaires économiques vous propose d’adopter le projet de loi relatif aux opérations spatiales sans modification, c’est-à-dire dans sa version résultant d’une lecture dans chaque assemblée. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture vise à combler le vide juridique actuel dans le domaine spatial, mis en évidence par le Conseil d’État en 2006 dans son rapport intitulé « Pour une Politique juridique des activités spatiales ».

En ce sens, ce texte est tout à fait essentiel et nous sommes tous ici conscients de sa nécessité. Sur la majorité des points d’ailleurs, le consensus existe. Sur d’autres points plus sensibles, quelques améliorations ont été apportées par l'Assemblée nationale en première lecture – je ne veux pas croire que ce soit un effet de la proximité de la Pentecôte ! (Sourires) –, même si quelques zones d’ombre subsistent encore.

En effet, les évolutions de ces vingt dernières années ont rendu incontournable la mise en place d’un régime juridique national en phase avec les conventions internationales. Alors que les États ont pendant longtemps assuré un contrôle du domaine spatial, les bouleversements technologiques en matière numérique – qui ont permis le développement des nouvelles technologies de communication –, dans un contexte de libéralisation de nos économies, ont conduit à une exploitation commerciale de l’espace de plus en plus importante. Madame la ministre, vous venez d’ailleurs de rappeler les effets des derniers lancements de satellites.

Cette transformation, qui s’est matérialisée par l’apparition de nombreux opérateurs privés sur fond d’intensification de la concurrence, exigeait la mise en place d’un cadre juridique clair et contraignant, faisant peser des contraintes de sécurité et de sûreté sur les opérateurs – régime d’autorisations, obligations d’assurance ou de garantie financière, sanctions pénales en cas d’infraction, voire destruction de l’objet satellisé – et permettant également d’identifier les responsabilités en cas d’accident.

Parce qu’il répond à ce souci, ce projet de loi pourrait globalement nous satisfaire. Il n’en reste pas moins que plusieurs des interrogations que j’avais formulées en première lecture demeurent, qui font que je continue à émettre certaines réserves. Je suis persuadé, madame la ministre, monsieur le rapporteur, que vous les lèverez.

En première lecture en effet, le Sénat a assoupli le régime de délivrance des autorisations prévu à l’article 4 du projet de loi. Il a ainsi permis que l’autorité administrative puisse délivrer des licences, après vérification non seulement « des garanties morales, financières et professionnelles du demandeur » mais aussi « de la conformité des systèmes et procédures [...] avec la réglementation technique édictée ». En introduisant cette nouvelle forme de certification technique, il a aussi permis que soient attribuées des licences valant autorisation.

Nous n’étions guère favorables à ce type d’assouplissement : dans sa rédaction initiale, le projet de loi nous satisfaisait mieux. Il reprenait d’ailleurs fidèlement les recommandations contenues dans le rapport du Conseil d’État, qui, il faut le souligner, avait mis en évidence l’urgence à légiférer dans le domaine spatial, mais ne préconisait pas d’inscrire dans la loi que de telles licences peuvent valoir autorisation ! C’est le régime d’autorisations qui, au final, s’en trouve banalisé.

Je tiens à préciser que je ne suis absolument pas défavorable à la mise en place d’un système de licences permettant de simplifier les procédures administratives en amont. Toutefois, je reste perplexe sur le fait que ces licences puissent « valoir autorisation pour certaines opérations », selon la rédaction adoptée en première lecture sur l’initiative du rapporteur.

Les opérations de lancement, de changement d’orbite ou certaines opérations de manipulation d’objet ne doivent-elles pas systématiquement faire l’objet d’une autorisation spécifique, tant sont importants les risques qu’elles peuvent comporter ?

Je ne suis donc pas favorable à une telle banalisation du régime d’autorisations via la mise en place d’un système de licences. En effet, cela revient à faire confiance à des opérateurs « bien connus » auxquels serait ainsi accordée « une forme d’autorisation permanente ».

Pourquoi voulez-vous que ce secteur demeure ad vitam aeternam à l’abri des OPA et des changements de main entre divers ou de nouveaux opérateurs moins bien connus que ceux qui y opèrent actuellement ? Le cadre législatif et juridique que nous posons aujourd’hui doit pleinement tenir compte de ces éventualités.

Rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, Pierre Lasbordes, avançait l’explication suivante : « l’ensemble des opérateurs concernés s’est inquiété des modifications et des risques de rigidité ou de retard que les dispositions introduites en matière d’autorisation pouvaient introduire dans la pratique actuelle, dans un domaine concurrentiel où l’appréciation des délais est fondamentale ».

Voilà qui n’est pas pour me rassurer ! Les opérateurs, quels qu’ils soient, demanderont toujours plus de simplification et de suppression des réglementations qu’ils considèrent comme autant d’entraves. Est-il pour autant nécessaire d’être si libéral dans un domaine où la sécurité est souvent en jeu du fait de la nature même des opérations spatiales ?

Dois-je rappeler que, dans le contexte actuel de déréglementation, le Conseil d’État estime que, « du point de vue de l’État, il est indispensable de s’assurer la capacité de contrôler les opérations spatiales, alors même qu’elles ont vocation, de plus en plus, à être exercées par des acteurs privés, dans le cadre d’activités commerciales et sur un marché concurrentiel ». Je n’ai rien à ajouter à cette observation !

J’ai d’autant plus de raisons d’être inquiet face à ce qui ressemble à une véritable banalisation du régime d’autorisations que, dans le rapport que vous avez établi lors de l’examen du texte en première lecture, monsieur le rapporteur, vous affirmiez : « Par prudence, [la commission] propose d’indiquer dans la loi que ces licences vaudront autorisation pour "certaines opérations" mais elle compte que les décrets d’application rendent clairs et prévisibles pour les opérateurs ces cas où les licences vaudront effectivement autorisation. Il pourrait aussi être opportun de s’approcher le plus possible d’un dispositif simple dans lequel les licences vaudraient autorisation dans la quasi-totalité des cas. »

C’est bien là que le problème se pose ! Autant dire que ce qui apparaît dans le projet de loi comme une procédure limitée à certains cas pourrait, à en croire vos propos, monsieur le rapporteur, devenir une généralité. Pour cette raison, j’aimerais que nous soient apportées des précisions quant au contenu du décret mentionné initialement à l'article 28 du projet de loi et qui est désormais prévu à l'article 4.

De quoi parle-t-on lorsque l’on se réfère à « certaines opérations » ? Sans doute êtes-vous en mesure de me donner aujourd’hui ces précisions, madame la ministre, monsieur le rapporteur. L’amendement que j’ai déposé à l'article 4 porte précisément sur ce point : je suis prêt à le retirer si j’obtiens les garanties nécessaires.

Accorder ce type de régime préférentiel à des « opérateurs bien connus », selon l’expression du rapporteur, ou qui, selon la vôtre, madame la ministre, auraient « pignon sur rue » et qui seraient alors hors de soupçon, est une idée qui ne va pas de soi.

N’oublions pas que la réputation de la plupart de ces opérateurs est d’abord liée au fait qu’ils étaient en majorité publics et que, pour ces raisons mêmes – de nombreuses interventions en première lecture l’ont souligné –, le contrôle public s’exerçait « naturellement », si je puis dire, par l’État.

Le désengagement de l’État, la privatisation de la plupart des acteurs du secteur spatial, l’arrivée de nouveaux opérateurs privés nécessitent, à mon avis, des normes strictes capables de contraindre les comportements des opérateurs au regard des risques encourus lors des opérations spatiales. Soulignant le mouvement de libéralisation économique, le rapport d’étude intitulé « l’Évolution du droit de l’espace en France », réalisé en 2003 sous l’égide du ministère délégué à la recherche et aux nouvelles technologies, précisait : « [Les systèmes privés et commerciaux] doivent faire l’objet d’une autorisation préalable délivrée par les pouvoirs publics afin notamment de garantir le respect des engagements et responsabilités internationaux de la France [...], des textes relatifs à la défense et à la sécurité nationale (contrôles en amont de l’obturation, de la programmation, de la divulgation des données), des droits fondamentaux du citoyen (vie privée, droit à l’image, secret des affaires...). »

Toute économie civilisée est fondée sur le respect de normes, c'est-à-dire sur le fait qu’un minimum de contraintes pèse sur les comportements d’acteurs privés.

Préservons au moins un domaine aussi stratégique que celui de l’espace d’une libéralisation à tout crin, en ne levant pas toutes ces contraintes jugées comme autant d’obstacles pesant sur les opérateurs. Au regard des risques encourus, ce serait extrêmement dangereux !

Enfin, le risque est, au final, de tendre vers une application très large de cette disposition, à en croire la rédaction proposée par le rapporteur et selon laquelle toute licence accordée vaut autorisation.

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, vous l’aurez compris, je souhaite être rassuré sur ce point. Je demande en fait une explication de texte !

Ces observations m’amènent à souligner que les risques auxquels on s’expose sont d’autant plus réels que de nouveaux assouplissements ont été introduits par le rapporteur de l’Assemblée nationale au prétexte de « donner une véritable compétitivité juridique à nos entreprises spatiales ». Que faut-il entendre par « compétitivité juridique » ? Je connais la compétitivité économique, mais ce nouveau concept me laisse un peu pantois !

Contrairement à ce que cela sous-entend, la loi est aussi là pour protéger, y compris contre la concurrence acharnée et déloyale qui pourrait s’exercer au détriment de l’intérêt général. En d’autres termes, la loi n’est pas forcément l’ennemi de la compétitivité de nos entreprises.

Par ailleurs, nos opérateurs spatiaux manqueraient-ils à ce point de compétitivité ? Vous avez rappelé, madame la ministre, les derniers exploits de notre base nationale. Les contraintes administratives sont-elles pénalisantes au point de nuire à la compétitivité de nos industries spatiales ? Soyons sérieux ! Le risque de délocalisation dans ce secteur n’est pas confirmé, et la contrainte administrative n’est pas toujours synonyme de perte de compétitivité.

Le rapporteur de l’Assemblée nationale a donc introduit une modification à l’article 13 se traduisant in fine par le report sur l’État de la responsabilité de certains dommages causés par l’opérateur.

Une telle mesure mérite que l’on s’y arrête quelque peu.

La responsabilité de l’État pourrait-elle être engagée en cas de dommages créés par un opérateur qui ne se serait pas soumis à ses obligations, alors qu’une autorisation lui aurait été délivrée en amont ? N’est-ce pas là inciter les opérateurs à une certaine forme de laxisme, l’État se substituant finalement à l’opérateur ayant causé le dommage ?

Madame la ministre, vous étiez vous-même défavorable à cette disposition : « L’État n’a pas à être responsable d’un dommage causé par un satellite qu’un opérateur négligent aurait laissé en activité alors que l’autorité administrative lui avait réclamé de le désactiver, même si c’est un an après. ».

Il n’est pas dans mon intention de dénoncer une attitude que l’on pourrait juger quelque peu schizophrénique, mais je fais observer que si, dans certains cas, on insiste sur le professionnalisme des opérateurs – leur réputation, le fait qu’ils aient « pignon sur rue » –, dans d’autres, notamment l’arrivée de nouveaux opérateurs, on ne mesure pas les dégâts éventuels. La réalité est beaucoup plus complexe que ne le laisse supposer cette présentation simpliste. Elle est à la mesure des transformations qui s’opèrent sous nos yeux.

Au fond, la question qui sous-tend ce projet de loi n’est-t-elle pas la suivante : quel degré de souplesse accorder aux opérateurs privés, alors qu’il en existe de plus en plus, en raison du désengagement de l’État, qui sort du capital des principaux acteurs historiques et en perd par conséquent le contrôle ?

La perte d’influence et de contrôle de l’État sur les opérateurs historiques ne doit-elle pas se traduire par un renforcement du cadre législatif, plus apte à protéger l’intérêt général ?

Vous le constatez, j’ai encore quelques interrogations de fond. Il n’en demeure pas moins que je me félicite des quelques avancées obtenues à l’Assemblée nationale, d’autant plus que celles-ci ont été portées par notre collègue députée Chantal Berthelot.

En effet, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a adopté l’un de ses amendements dont l’objet était de permettre, comme le prévoyait le projet de loi initial, que le président du CNES détienne ses pouvoirs en matière de sécurité en vertu d’une délégation de plein droit et non d’une délégation optionnelle, afin que soit assurée la continuité de l’action de l’État. Nous avions nous-mêmes déposé un sous-amendement visant le même but en première lecture. Mais nous étions alors au mois de janvier : les esprits étaient sans doute un peu plus gelés et moins ouverts ! (Sourires.)

Une fois n’est pas coutume – je vous l’accorde, monsieur le rapporteur –, les députés ont été plus sages que les sénateurs ! (Nouveaux sourires.)

En conclusion, je rappelle la nécessité non seulement de préserver le rôle du CNES mais également de lui apporter les moyens nécessaires à son développement. Dans son discours à Kourou le 11 février dernier, le Président de la République affirmait : « Il est bien sûr essentiel, je dirais même vital, pour la France et l’Europe de conserver quoi qu’il arrive et en toutes circonstances un accès autonome à l’espace. Il y va de notre indépendance stratégique. ». On voit difficilement comment cela pourrait être possible si le CNES n’est pas renforcé, notamment par des crédits budgétaires suffisants.

En première lecture, dans cet hémicycle, avait été évoqué le problème de la dette du CNES à l’égard de l’Agence spatiale européenne ; il reste préoccupant. Comme l’ont suggéré certains collègues, y compris Christian Gaudin en première lecture, il serait urgent de régler cette situation.

Aujourd’hui, les enjeux sont tels qu’ils exigent une réponse de la part de l’Europe et de la France. J’espère que la présidence française de l’Union européenne permettra d’avancer dans ce domaine et que notre pays pourra garder un rôle de pionnier en matière de politique spatiale.

Dans l’attente des précisions que vous voudrez bien nous apporter, madame la ministre, monsieur le rapporteur, je réserve, pour l’instant, mon vote, qui sera sans doute positif.