M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Dans le monde moderne, il est difficile, et parfois dangereux, de s’en remettre à la démocratie directe non organisée. En revanche, comme l’a fort bien dit Michel Mercier, il ne faudrait pas pour autant se priver de toute possibilité de disposer d’instruments nouveaux. Il est donc utile de pouvoir concilier une forme de démocratie directe et la démocratie représentative.

C’est précisément ce que prévoit l’article 3 bis. Je comprends que certains de nos collègues y soient rétifs, craignant que ce ne soit la porte ouverte à certaines dérives. Je leur répondrai que la commission des lois, en posant un certain nombre de garde-fous, a verrouillé tout risque de dérapage. L’amendement n° 98 rectifié de la commission des lois, avec le verbe « peut », précise bien que l’organisation d’un référendum sur l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement est une faculté soumise à l’appréciation de ce dernier, et non une obligation. Pour que le référendum soit obligatoire, il faudrait que la proposition de loi qui reprend l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement n’ait pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique. Mais si ces dernières se saisissent de cette proposition mais n’y sont pas favorables, le référendum n’est pas forcément organisé. C’est un premier garde-fou.

Ensuite, il est prévu la garantie du Conseil constitutionnel.

Il y a également la garantie des seuils pour la demande de référendum : un cinquième des membres du Parlement, un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.

Enfin, si le référendum est organisé, il faut, pour que la proposition de loi soit adoptée, que la moitié au moins des électeurs inscrits ait pris part au vote. Voilà pourquoi je suis extrêmement attaché à la disposition qui figurait dans le sous-amendement n° 79 et qui a été reprise par M. le rapporteur dans son amendement n° 98 rectifié. En effet, si un référendum est organisé, il est très important de prévoir un seuil minimal de participation. Cela étant, je suis tout à fait d’accord avec la formulation proposée par notre collègue Michel Charasse : on peut discuter de la manière de fixer ce seuil du moment qu’on en conserve le principe.

Si je comprends que certains de nos collègues veuillent supprimer cet article 3 bis, je considère néanmoins qu’il nous faut faire confiance à la commission, et donc voter son amendement. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À titre personnel, je m’abstiendrai sur cet article, qui nous pose problème.

Nous sommes partisans du référendum d’initiative populaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons déposé l’amendement n° 170, dont j’admets volontiers qu’il pouvait être discuté. Or, dans le cas d’espèce, c’est non pas un tel référendum qu’on nous propose, mais un référendum d’initiative parlementaire soutenu par une part considérable du corps électoral.

C’est probablement ce point qui nous différencie largement de certains d’entre vous. La possibilité pour les citoyens de proposer un référendum est encadrée, parce que le Parlement peut répondre par une proposition de loi.

Ensuite, le référendum donne évidemment lieu à un débat. Ce n’est pas un référendum-plébiscite, puisqu’il n’est pas proposé par une personne, en l’occurrence le chef de l’État.

En réalité, la procédure est analogue à celle de la motion référendaire prévue dans le règlement des deux assemblées.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À l’Assemblée nationale, pour être valable, cette motion doit être signée par un dixième au moins de ses membres ; au Sénat, elle doit l’être par au moins trente sénateurs, présents en séance. Je vous rappelle d’ailleurs que, au nom du groupe CRC, j’ai récemment présenté une telle motion, que le Sénat a rejetée.

L’amendement n° 98 rectifié prévoit, pour qu’un référendum puisse être organisé, l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs inscrits. Dans ces conditions, l’initiative citoyenne est complètement noyée et superfétatoire.

Si vous votiez l’amendement de la commission, vous ne feriez pas preuve, pour autant, d’une audace citoyenne extraordinaire, mes chers collègues !

Néanmoins, si, par extraordinaire, le Sénat devait le rejeter et refuser ainsi la moindre initiative citoyenne, il produirait un effet très négatif, lui qui refuse de se démocratiser un tant soit peu.

Je propose que l’initiative citoyenne en soit réellement une. Ensuite, la majorité parlementaire est libre de réserver une suite favorable ou non à cette demande de référendum.

En tout cas, ne prétendez pas que vous mettez en place un référendum d’initiative citoyenne !

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Comme l’a rappelé Michel Mercier, cet article 3 bis a été introduit par l’Assemblée nationale. Je le remercie de son intervention, car lui seul m’a vraiment convaincu de ne pas être désobligeant à l’égard de nos collègues députés, que je me garderai bien de provoquer inutilement, ayant moi-même longtemps siégé à l’Assemblée nationale.

Néanmoins, force est de reconnaître que cet article est au mieux inapplicable, au pis parfaitement contradictoire. Surtout, il entretient l’une des faiblesses de la Ve République, à savoir la cohabitation.

Cet article aura en effet pour conséquence d’installer une nouvelle forme de cohabitation : en plus de la légitimité présidentielle et de la légitimité législative, issues l’une et l’autre de l’élection, il crée cette nouvelle légitimité référendaire, qui ne peut apparaître que grâce à la complicité tacite d’une assemblée qui serait « violée », si l’on peut dire, puisque, comme l’a fait remarquer Michel Charasse, la portée du mot « examinée » n’est pas claire du tout.

M. Jean Desessard. En effet, ce n’est pas très clair !

M. Gérard Longuet. Ainsi, c’est une sorte de silence qui permettrait à ce texte d’être soumis à une légitimité référendaire. Il est donc à peu près inapplicable.

Madame le garde des sceaux, pour apaiser cette légitime tension entre l’Assemblée nationale et une fraction importante du Sénat, vous pourriez demander à nos collègues députés de préciser leurs intentions, étant entendu qu’il n’est pas dans notre dessein de les humilier. Naturellement, nous pourrions être tentés de voter les amendements de suppression de MM. Gouteyron et Gournac – mais ces derniers ont retiré le leur – ou de M. Détraigne. Néanmoins, ce serait très désobligeant vis-à-vis de nos collègues députés qui, j’en suis convaincu, ont dû passer des heures à rédiger un article exprimant sans doute une volonté qui, il faut bien l’admettre, n’est ni très bien assumée ni très bien formulée…

Madame le garde des sceaux, si vous vous engagez à demander ces précisions – je ne parle pas d’apaisements – sur l’article 3 bis lors de la deuxième lecture devant l’Assemblée nationale, nous vous faisons confiance. En revanche, si, d’aventure, vous considériez que la rédaction actuelle de cet article est pleinement satisfaisante, vous ne manqueriez pas de susciter l’inquiétude constitutionnaliste de nombreux collègues dans cette assemblée.

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.

M. Gérard Delfau. La discussion de cet amendement de suppression de l’article 3 bis me donne l’occasion de faire connaître mon sentiment général sur ce texte et de vous faire part d’un certain nombre de considérations sur ce type de procédure.

Je ne suis pas favorable à la suppression de cet article. Comme notre collègue Michel Mercier, j’estime que le Sénat doit être attentif à l’évolution des mœurs et aux besoins de changements. Pour autant, cela ne doit pas nous empêcher de nous entourer d’un certain nombre de garanties. J’y reviendrai.

J’observe qu’il s’agit non pas d’un référendum d’initiative populaire, mais d’une procédure mixte, « semi-parlementaire semi-populaire », comme j’ai pu le lire dans l’exposé des motifs de l’amendement n° 263 rectifié de M. Détraigne. Cette procédure nouvelle, à la nature mal identifiée, rassure certains de nos collègues, cependant qu’elle en étonne d’autres.

La première réflexion qui vient à l’esprit est la suivante : on accepte de créer ce nouveau droit, mais on subordonne sa mise en œuvre à la réalisation de tant de conditions qu’on rend cette nouvelle forme de démocratie directe soit « inapplicable », pour reprendre l’expression de Gérard Longuet, soit « verrouillée », pour reprendre l’expression de Christian Cointat.

Vous connaissez le proverbe : « Donner et retenir ne vaut ». De deux choses l’une : ou bien l’on accepte de mettre en place cette forme nouvelle de démocratie, en l’entourant de toutes les garanties nécessaires, et l’on permet que ce type de procédure puisse un jour aller jusqu’à son terme ; ou bien l’on vote un texte rédigé de telle sorte qu’il soit strictement inapplicable et impossible à mettre en œuvre.

Je vous avoue bien volontiers ma perplexité. Depuis le début de ce débat, je suis particulièrement attentif à ne laisser passer aucune chance pour faire avancer cette idée. Aussi, si c’est la seule possibilité, je voterai l’amendement n° 98 rectifié de la commission. Toutefois, il est à craindre que bien des efforts soient nécessaires au cours de la navette de la part des deux assemblées, avec le concours du Gouvernement, pour aboutir à un dispositif garantissant la stabilité de nos institutions, car c’est bien de cela qu’il s’agit,…

M. Gérard Longuet. Leur cohérence !

M. Gérard Delfau. …– je fais mien ce terme, monsieur Longuet – tout en rendant notre démocratie plus ouverte, plus attentive à ce que pense la population, sans pour autant la mettre en danger ni affaiblir et défigurer les institutions de la ve République, mais en les enrichissant.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je remercie ceux de nos collègues qui ont fait remarquer que la rédaction de l’article 3 bis, qui vise à créer un référendum d’initiative parlementaire soutenu par une pétition – c’est bien de cela qu’il s’agit –, est améliorée par l’amendement n° 98 rectifié de la commission des lois, notamment en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité.

Un mot pose problème : « examinée ». Je comprends cette préoccupation. L’Assemblée nationale a longuement débattu de ce point. À cet égard, je vous renvoie au rapport du président de sa commission des lois, les rapports parlementaires étant parfois tout aussi intéressants que les projets de loi auxquels ils se rapportent.

Il y a donc une initiative parlementaire qui débouche sur une proposition de loi que le Parlement est obligé d’examiner. Elle peut être repoussée – dans ce cas, elle n’est pas soumise à référendum – amendée ou adoptée conforme. C’est pourquoi le terme « examinée » a été choisi.

On ne peut pas aller au-delà, sauf à rendre obligatoire la soumission à référendum d’un texte qui aurait par exemple été rejeté par une des deux assemblées du Parlement.

M. Michel Charasse. Ou adopté par les deux, ce qui serait pire !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce serait pire, en effet.

M. Gérard Longuet. Le peuple pourrait désavouer le Parlement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non ! Si une proposition de loi est adoptée par les deux assemblées, elle devient la loi. Il n’y a plus besoin de référendum. En fait, c’est beaucoup plus clair qu’on ne le dit.

M. Michel Charasse. Tout à fait.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La procédure est enserrée dans des limites extrêmement précises.

Madame le garde des sceaux, dans un premier temps, j’étais favorable à la fixation d’un seuil dans le projet de loi constitutionnelle. Toutefois, après avoir entendu M. Charasse, il me paraît préférable de renvoyer la fixation du seuil à la loi organique.

Je rectifie donc mon amendement en remplaçant, au quatrième alinéa du 2°, après les mots : « La proposition de loi soumise à référendum est adoptée – c’est le sous-amendement de M. Gélard que j’ai intégré – les mots : « si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au vote » par les mots : « sous réserve d’un seuil de participation des électeurs fixé par la loi organique ».

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette rédaction permet de trouver un équilibre.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On pose le principe et le seuil sera fixé non pas dans la loi constitutionnelle, mais dans une loi organique. Je remercie M. Charasse de sa contribution.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 98 rectifié bis, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

L’article 11 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « ou sociale » sont remplacés par les mots : «, sociale ou environnementale » ;

2° Après le deuxième alinéa, sont ajoutés quatre alinéas ainsi rédigés :

« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.

« Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.

« Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.

« La proposition de loi soumise à référendum est adoptée sous réserve d’un seuil de participation des électeurs fixé par la loi organique. »

3° Au dernier alinéa, après le mot : « projet », sont insérés les mots : « ou de la proposition ».

Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement était favorable à l’amendement no 98 rectifié. Il l’est plus encore à l’amendement no 98 rectifié bis, qui intègre la proposition de M. Michel Charasse, que je remercie de sa contribution.

Le Président de la République doit soumettre la proposition de loi à référendum si le Parlement ne l’a pas examinée dans le délai d’un an. « Examinée », cela signifie que la proposition a été inscrite à l’ordre du jour d’une assemblée et qu’au moins une lecture a eu lieu dans le délai d’un an.

Monsieur Longuet, la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale nous paraissait suffisante. Si des difficultés subsistent, le Gouvernement s’engage à les clarifier lors de la deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Monsieur le rapporteur, notre débat ne me paraît pas être d’une si grande clarté.

Ma conviction est que d’aucuns s’embusquent, adoptent une position qui semble acceptable, mais qui en cache une autre.

Nos collègues de l’Assemblée nationale sont parvenus à un accord presque unanime en acceptant la création de ce qu’ils ont appelé un référendum d’initiative populaire. J’ai cru entendre le Premier ministre se réjouir, du haut de la tribune, de cette avancée des droits des citoyens.

Aujourd’hui où en sommes-nous ? Certains, comme MM. Gouteyron, Gournac et Détraigne, dont je respecte les opinions, exprimant le fond de leur pensée, nous disent qu’ils ne veulent pas de ce référendum. Ils souhaiteraient renouveler l’opération d’hier, supprimer une disposition qui a fait l’objet d’un consensus à l’Assemblée nationale, même si, d’un point de vue juridique, elle appelle de nombreuses remarques.

Sur le fond, ils veulent supprimer cette disposition. Sans doute me démentiront-ils, mais, lorsque l’on dépose un amendement visant à supprimer une disposition, c’est bien que l’on ne veut pas de ladite disposition.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Supprimer, cela veut bien dire ce que cela veut dire !

M. Bernard Frimat. Mais, après réflexion, ils se disent : si l’amendement de suppression est voté, quelle image allons-nous encore donner de notre assemblée ?

M. Bernard Frimat. Hier, nous avons supprimé une disposition ; aujourd’hui, nous en supprimons une autre. Or toutes deux, à tort ou à raison, étaient présentées comme des progrès. Nous ne pouvons donc pas faire cela.

Comme, au fond, ils ne veulent pas de cette disposition, ils se tournent vers M. le président de la commission des lois, qui a déjà montré en la matière son talent à de multiples reprises.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et ce n’est pas fini ! (Sourires.)

M. Bernard Frimat. Je n’en doute pas un seul instant.

Finalement, faisant preuve d’ingéniosité juridique, dans un premier temps, on propose la création d’un seuil. Nous assistons alors à un curieux dialogue : M. Cointat déclare qu’en l’absence de seuil il ne votera pas l’amendement ; à quoi il lui est répondu que, s’il en fait une condition, on lui donnera satisfaction. Il faudra que je demande à Christian Cointat le secret de sa méthode ! (Sourires.) Nous voudrions bien savoir, nous, quelles conditions nous pourrions poser…

Dans un second temps, considérant qu’un seuil ne fait pas bon effet dans une Constitution, on supprime ledit seuil du projet de loi constitutionnelle pour le renvoyer à un projet de loi organique.

Ainsi, l’amendement no 98 rectifié prévoyait que la proposition de loi soumise à référendum serait considérée comme adoptée si 50 % des électeurs inscrits avaient pris part au vote. Il s’agissait d’un verrou supplémentaire. Maintenant, on nous demande de voter un texte qui renvoie la fixation du seuil à un projet de loi organique, qui nous laisse donc dans un flou total.

Mes chers collègues, il n’est pas interdit d’être contre le référendum d’initiative populaire. Vous en avez le droit.

M. Bernard Frimat. Libérez-vous ! Que vous soyez soucieux de l’image du Sénat, que vous souhaitiez ne pas toujours le faire apparaître comme une chambre rétrograde, nous en sommes heureux et nous saluons ce progrès ! Mais soyez sincères : vous êtes contre, dites-le !

Nous ne nous associerons pas à ce petit jeu. Notre position est claire. Le groupe socialiste n’a pas déposé d’amendement sur le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Il était prêt à l’accepter, en dépit des critiques fondées auxquelles il donnait lieu, parce qu’il s’agissait d’un compromis. Mais la façon dont vous le tordez, le ravaudez, le videz de son sens ne nous convient pas.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’y a rien de changé !

M. Bernard Frimat. Nous ne nous prêterons pas à vos faux-semblants, à vos techniques d’enfumage. (Protestations sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

Le groupe socialiste, je le répète, soutient la rédaction de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous ne l’avons pas changée !

M. Bernard Frimat. Vous vous êtes alors donné beaucoup de mal pour rien.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous l’avons améliorée, et vous étiez d’accord en commission.

M. Bernard Frimat. Non, monsieur le rapporteur ! C’est faux ! Je vous demande de me montrer, dans le procès-verbal de la commission, un seul de mes propos allant dans ce sens.

Monsieur le président de la commission, je ne mets jamais votre parole ni votre rigueur intellectuelle en doute.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet, vous n’avez rien dit !

M. Bernard Frimat. Bon ! Cela me semble plus exact. Je me permets donc de vous faire profiter des méandres de ma pensée. (Rires sur les travées de lUMP.)

M. Philippe Dallier. Pour ce qui est de méandres ! (Sourires.)

M. Bernard Frimat. Nous voterons contre l’amendement de suppression, si M. Détraigne le maintient. Nous nous abstiendrons sur l’amendement no 98 rectifié bis, parce que, je le répète, nous sommes favorables, en dépit de défauts juridiques importants et de limites dont nous aurions pu discuter, au compromis qui a été élaboré par l’Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. J’ai écouté avec un grand intérêt tous les arguments qui ont été avancés, ceux de M. Longuet en particulier.

Mes chers collègues, en dehors de toute pensée politique, je considère que le texte qui vient de l’Assemblée nationale est tout simplement inutilisable. Nous nageons dans la confusion juridique la plus complète.

Soyons clairs, il n’est en aucun cas question d’un référendum d’initiative populaire !

Il s’agit d’une initiative ouverte aux parlementaires…

M. Gérard Longuet. Aux parlementaires minoritaires !

M. Robert Badinter.… et, en aucun cas, de droits nouveaux donnés aux citoyens. Ne vous y trompez pas !

Pour user de ce droit, les parlementaires devraient être si nombreux que cette initiative ne pourrait qu’être le fait d’une des deux grandes formations du Parlement : soit la majorité, soit l’opposition. À mon sens, cela ne pouvait qu’être l’opposition.

Je développe ma pensée. Le Parlement aura donc une initiative de proposition de loi, laquelle fera l’objet – innovation, on le reconnaîtra, extraordinaire dans notre droit par rapport à la démocratie et aux pouvoirs du Parlement – d’une campagne de signatures. Les parlementaires mèneront ainsi une campagne non pas pour soutenir une initiative des citoyens, mais bien leur propre initiative. Comme cette démarche viendra nécessairement d’une des grandes formations du Parlement, je suis convaincu qu’ils obtiendront ces signatures.

Une fois les signatures recueillies, après que les parlementaires, c’est-à-dire le parti ou les partis politiques concernés, auront conduit une sorte de pré-campagne référendaire, la proposition sera, innovation dans notre droit, soumise au Conseil constitutionnel. Ce dernier ne statuera donc pas sur la constitutionnalité d’une loi qui aura passé les filtres et les discussions parlementaires. Il rendra un avis, a priori, sur une proposition de loi. (M. le rapporteur manifeste son impatience.)

Monsieur le président de la commission, il n’est pas inutile d’analyser la mécanique que l’on a forgée et qui se présente devant vous sous des traits qui ne correspondent pas à la réalité.

Le Conseil constitutionnel vérifie donc que l’objet de la proposition entre dans le champ du référendum. Ensuite, que fait-on ? On revient tout simplement devant le Parlement ! Et voilà ce qu’il en est de ce référendum que l’on a agité et présenté comme un progrès des droits des citoyens !

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer en commission des lois, autant je suis favorable au développement et à la pratique du référendum, y compris d’initiative populaire, à l’échelon municipal, départemental ou régional, autant je combattrai toujours le référendum d’initiative populaire national.

Le référendum d’initiative populaire est l’instrument préféré des démagogues les plus extrêmes, de ceux qui, en toutes occasions, utilisent les passions pour énerver la démocratie : regardons autour de nous !

Je sais très bien, au premier crime atroce, quels sujets on verra fleurir, quelle démagogie anti-immigrés on verra prospérer… Mais ce n’est pas l’objet de notre débat.

J’en reviens à l’analyse de la mécanique qui nous préoccupe. Que se passe-t-il à ce point du processus ? En clair, l’opposition parlementaire, s’appuyant sur un certain nombre de signatures, reprend le texte pour le soumettre à nouveau au débat parlementaire.

Que l’on ne vienne pas me dire que c’est là un progrès quelconque des droits des citoyens ! C’est tout simplement une nouvelle forme d’initiative parlementaire : à côté de la proposition de loi classique apparaît une proposition de loi renforcée par une campagne de pétition.

Je me suis interrogé : qu’est-ce, au regard des droits du Parlement, que ce mélange bizarre qui nous est présenté ? Les parlementaires peuvent déjà déposer une proposition de loi – et j’espère que, grâce à l’amélioration de nos procédures, ils seront nombreux –, ils peuvent la faire inscrire à l’ordre du jour, et elle sera débattue. Si elle est votée, elle ira devant le Conseil constitutionnel ; si elle n’est pas votée, on en restera là… Véritablement, l’innovation que l’on nous dépeint comme un progrès de la démocratie directe n’est rien d’autre qu’une construction des plus étranges !

Giraudoux avait raison : l’imagination est la première forme du talent juridique. Ici, elle a simplement pris le tour que Clemenceau se plaisait à dénoncer sarcastiquement : « Vous savez ce que c’est qu’un chameau ? C’est un cheval dessiné par une commission parlementaire. » (Rires.) Aujourd’hui, nous avons affaire à un chameau comme, depuis plus de douze ans que je suis sénateur, je crois n’en avoir jamais rencontré.

Il ne me paraît pas possible que l’on puisse raisonnablement voter ce dispositif en l’état. Laissons-le en discussion, nous verrons bien dans la navette si nous pouvons en tirer quelque chose ; mais, pour l’heure, je ne concevrais pas que le Parlement s’inflige à lui-même cette extraordinaire innovation.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 263 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote sur l’amendement no 68 rectifié.

M. Jean-René Lecerf. Nous vivons des moments rares, à la fois intéressants et surprenants.

Il y a quelques instants, je me suis senti beaucoup plus proche de Mme Borvo Cohen-Seat que de mon collègue et ami Gérard Longuet. (Sourires.) Rassurez-vous, cela ne va pas durer ; mais il est tout de même intéressant de le signaler.

Je reconnais parfaitement la légitimité présidentielle, je reconnais parfaitement la légitimité parlementaire, mais il me semble qu’il y a une première légitimité, une légitimité source : la légitimité populaire.

Selon l’article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Aussi, je ne suis pas mécontent que, par l’intermédiaire de cet amendement no 68 rectifié, quelques collègues de la majorité sénatoriale, plus précisément de l’Union pour un mouvement populaire – sans doute, au demeurant, de dangereux aventuriers : Hugues Portelli, Patrice Gélard, Laurent Béteille et moi-même –, non seulement aient approuvé l’initiative prise par nos collègues députés, mais, estimant qu’elle n’allait pas suffisamment loin, aient souhaité mettre en place un véritable, un authentique référendum d’initiative populaire. Peut-être tout cela permettra-t-il au moins à l’opinion de savoir que les clivages au sein de notre assemblée ne sont pas nécessairement aussi stéréotypés et aussi manichéens qu’on le présente généralement !

Cela étant, comme on peut être à la fois aventurier et pragmatique, je retirerai l’amendement no 68 rectifié et, dans un premier temps, je considérerai que l’amendement présenté par M. le rapporteur, surtout tel qu’il a encore été amélioré en séance, marque déjà un progrès tout à fait considérable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)