M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 102, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 24 de la Constitution :

« Le Parlement vote la loi. Il en mesure les effets. Il contrôle l'action du Gouvernement et évalue les politiques publiques.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Prolongeant la logique défendue par le Gouvernement et nos collègues députés, cet amendement tend tout d'abord à préciser clairement que le Parlement doit avoir un rôle premier en matière d'évaluation des politiques publiques.

Le Sénat et l'Assemblée nationale tendent à développer l'évaluation des politiques publiques. Du reste, nous le faisons déjà depuis plusieurs années sans aucun texte.

Ainsi, sur l'initiative du rapporteur de l'Assemblée nationale, cette dernière a ajouté que le Parlement est chargé de « concourir à l'évaluation des politiques publiques ». Cette précision est indissociable du contrôle de l'action gouvernementale.

Toutefois, la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale pourrait laisser entendre, d'une part, que le Parlement constitue un simple organisme d'évaluation parmi d'autres de même importance et, d'autre part, que cette fonction d'évaluation ne s'exercerait pas dans le respect de l'autonomie du pouvoir législatif.

La commission vous propose donc un amendement tendant à conforter la logique défendue par nos collègues députés, en précisant que le Parlement « évalue les politiques publiques ».

Cette rédaction n'empêchera pas le Gouvernement, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, par exemple, ou la Cour des comptes, dont les missions seraient précisées dans le nouvel article 47-2 de la Constitution, de concourir à une telle évaluation. C’est d’ailleurs la moindre des choses de la part du Gouvernement. Mais la Constitution consacrerait ainsi clairement le rôle essentiel en la matière du Parlement, doté de la légitimité démocratique.

La formulation proposée présente en outre l'avantage d'étendre le champ du contrôle parlementaire au-delà de l'action gouvernementale, en recouvrant à la fois les établissements publics, l'ensemble des organismes chargés d'une mission de service public, ou encore les collectivités territoriales.

En outre, conformément aux recommandations du rapport du comité Vedel de 1993, la commission souhaite, avec cet amendement, que le Parlement mesure les effets des lois qu'il vote. Cela revient à dire qu'il en évalue les résultats. Toutefois, dans la mesure où nous avons souhaité éviter une répétition inopportune dans la rédaction de l'article 9, nous avons écrit « en mesure les effets ».

Cet ajout souligne l'importance pour le Sénat et l'Assemblée nationale de contrôler si les textes qu’ils ont adoptés ont effectivement été mis en œuvre, c’est-à-dire si les décrets ont-ils été publiés  – c’est le contrôle de base, mais vous conviendrez que cela ne peut pas s’arrêter là –, et si cette mise en œuvre a permis d'atteindre les objectifs recherchés par le législateur.

En pratique, je le rappelle, le Sénat opère cette évaluation depuis longtemps, que ce soit à travers son contrôle de l'application des lois, qui est en vigueur depuis 1971, – il semble que certains découvrent qu’il faut faire un contrôle –, les travaux de ses commissions permanentes ou ceux de l'Office de l'évaluation de la législation. On peut citer à cet égard le rapport de notre collègue Patrice Gélard, qui avait permis aux assemblées de faire le point sur le fonctionnement des autorités administratives indépendantes et sur la nécessité d'en regrouper certaines. Nous reviendrons sans doute sur ce point lors de la discussion des derniers articles.

Monsieur le président, j’ai été un peu long, mais il convenait de rappeler à nos collègues députés que nous travaillons dans le même esprit, même si, dans un souci de clarté, nous sommes allés un peu plus loin.

M. le président. L'amendement n° 269 rectifié, présenté par MM. Mercier, Détraigne, Amoudry, Badré et Biwer, Mme Dini, M. Fauchon, Mmes Férat, Gourault et Payet, MM. Deneux et Merceron, Mme Morin-Desailly, MM. Nogrix, J.L. Dupont, Dubois, Jégou, Zocchetto, Pozzo di Borgo et les membres du groupe Union centriste - UDF, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 24 de la Constitution :

Le Parlement vote la loi et en évalue les résultats. Il contrôle l'action du Gouvernement et évalue les politiques publiques.

La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Cet amendement répond à la même préoccupation que celui de la commission des lois.

Nous avons, nous aussi, hésité pour savoir s’il fallait employer une fois ou deux fois le verbe évaluer.

Les amendements nos 102 et 269 rectifié ayant le même objet, nous voterons volontiers l’amendement de la commission.

M. le président. L'amendement n° 413, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le début du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 24 de la Constitution :

Le Parlement vote la loi et ne peut déléguer ce droit. Il contrôle l'action du Gouvernement et concourt...

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Notre amendement a le même objet que les deux amendements précédents.

Il vise à préciser le rôle du Parlement, car les discussions d’ordre général ne nous ont pas paru suffisantes pour aboutir à un renforcement des droits du Parlement.

Tant que le fait majoritaire demeurera à l’Assemblée nationale ou au Sénat, nous n’aurons pas un Parlement véritablement démocratique. Nous sommes loin de garantir la primauté du Parlement dans les institutions.

Cet amendement tend à préciser que le Parlement ne peut déléguer sa fonction législative. Nous souhaitons ainsi protéger l’élaboration de la loi face à la logique majoritaire qui caractérise le fonctionnement de la Ve République.

Nous souhaitons également encadrer plus strictement l’exercice de la fonction législative afin de limiter les risques de dépossession du Parlement. Cette précision est tout aussi nécessaire. Elle nous conduira à proposer un amendement visant à supprimer l’article 38, qui autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 10 rectifié bis est présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin, Laffitte, Marsin et A. Boyer.

L'amendement n° 300 rectifié est présenté par MM. Arthuis, Marini, Badré, de Montesquiou, Gaillard et Bourdin, Mme Keller et MM. Charasse, Dallier, Dassault, Doligé, Ferrand, Fréville, Girod, C. Gaudin, Gouteyron, Jégou, Lambert, Longuet, du Luart et Guené.

L'amendement n° 432 est présenté par M. Frimat, Mme Bricq, MM. Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Massion, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Rédiger comme suit la seconde phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 24 de la Constitution :

Il évalue les politiques publiques.

La parole est à M. Michel Charasse, pour présenter l’amendement n° 10 rectifié bis.

M. Michel Charasse. Cet amendement est dans le même esprit que ceux qui viennent d’être défendus.

Depuis 1789 et la déclaration des droits, les représentants du peuple et de la souveraineté nationale ont la responsabilité de contrôler l’activité du Gouvernement, les politiques publiques et la nécessité de la contribution publique. La formulation « Il concourt à l’évaluation » me paraît être une diminution insupportable et inacceptable du rôle du Parlement. Je propose donc que nous précisions : « Il évalue les politiques publiques ».

D’ailleurs, le Parlement est au sommet de l’évaluation. Cela ne signifie pas que les politiques publiques ne peuvent pas être évaluées par d’autres. Mais l’évaluation qui l’emporte, c’est la sienne.

M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron, pour présenter l'amendement n° 300 rectifié.

M. Adrien Gouteyron. Cet amendement est quasiment identique à celui qu’a brillamment présenté tout à l’heure le président Jean-Jacques Hyest.

Il me paraît important que le verbe « concourt » disparaisse, parce que le Parlement ne peut pas être mis sur le même plan que les autres organismes de contrôle ; je n’en citerai aucun. Le Parlement fait éventuellement appel à d’autres pour l’aider, mais c’est lui qui évalue les politiques publiques, car c’est lui qui détient la légitimité de la souveraineté populaire.

M. Michel Charasse. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour présenter l'amendement n° 432.

M. Jacques Mahéas. Nous devrions trouver un consensus du point de vue de l’état d’esprit, du moins je l’espère. Toutefois, nous voudrions préciser un peu les choses.

L’article 9 prévoit d’introduire dans l’article 24 de la Constitution la disposition suivante : « Le Parlement vote la loi et contrôle l’action du Gouvernement. Il concourt à l’évaluation des politiques publiques. »

L’évaluation des politiques publiques est au cœur du fonctionnement de notre démocratie parlementaire. Cette mission vient compléter l’exercice du vote de la loi et du contrôle de l’action du Gouvernement, car l’évaluation des politiques publiques fait aussi partie des fonctions des parlementaires. Ces missions sont en effet complémentaires et, souvent, ne peuvent pas être dissociées.

Cependant, la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, qui prend en compte ce nouvel aspect de l’action du législateur, est amoindrie parce qu’elle se contente de préciser que le Parlement « concourt » à cette évaluation.

On a bien compris qu’il ne s’agit pas de confier au Parlement un monopole de l’évaluation des politiques publiques, le Gouvernement gardant la faculté d’évaluer ces politiques, et même, quelquefois, le travail de ses propres ministres, par un cabinet extérieur, ainsi que par la Cour des comptes.

Dès lors, la mention du « concours » du Parlement à l’évaluation des politiques publiques semble une démarche de précaution qui n’est pas justifiée.

Il paraît au contraire essentiel de préciser dans la Constitution que le Parlement évalue également les politiques publiques, de la même façon que l’on précise que le Parlement vote la loi. Ce n’est pas uniquement une précision rédactionnelle : les mots ont un sens et une portée.

Le Conseil constitutionnel porte une attention toute particulière aux procédures de contrôle instituées par le Parlement. Il en fera de même pour ce qui se rapporte aux évaluations. Il n’est pas utile de lui donner l’occasion d’émettre des réserves d’interprétation à ce sujet.

La rédaction que nous proposons conforte le Parlement dans l’exercice de cette action.

L’évaluation des politiques publiques permet de couvrir un champ plus large que le contrôle de l’action du Gouvernement, car elle inclut non seulement les établissements publics et les entreprises publiques, mais également les organismes de sécurité sociale, les collectivités territoriales et leurs établissements publics.

Cette évaluation n’a pas qu’une dimension budgétaire ou financière : le Parlement pourra évaluer une politique pénale, par exemple, sans se contenter d’apprécier son efficacité uniquement au regard de nos finances publiques.

Si la mission du Parlement était cantonnée au seul domaine du contrôle de l’action du Gouvernement, toute une partie des politiques publiques, notamment les politiques publiques locales, pourrait échapper à son attention.

La mention explicite de la mission d’évaluation permettra aussi de renforcer les dispositions ne figurant que dans les règlements des assemblées et permettant l’organisation de missions d’information ainsi que le suivi de l’application des lois.

En adoptant cet amendement, nous ferons également le choix de ne fixer aucune limite temporelle à l’action d’évaluation du Parlement sur le Gouvernement. C’est ce qui rend nécessaire cette nouvelle rédaction.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Concernant l’amendement de M. Mercier, celui-ci est satisfait par l’amendement n° 102 et il peut donc être retiré. En effet, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, si nous n’avons pas retenu la formulation « évalue les résultats », c’est pour éviter une répétition.

Madame Borvo Cohen-Seat, vous préférez le terme « concourir ». Cependant, votre objectif est différent, puisque vous voulez supprimer l’article 38 de la Constitution relatif aux ordonnances. Du reste, vous l’annoncez clairement. Et même si vous ne l’aviez pas fait, j’aurais quand même compris. Je ne peux qu’être défavorable à cet amendement

Monsieur Charasse, vous pouvez sans doute retirer votre amendement, car il est également satisfait par l’amendement de la commission.

M. Michel Charasse. Je vous donne satisfaction, monsieur le président : je me rallie à l’amendement de la commission et je retire l’amendement n°10 rectifié bis.

M. le président. L’amendement n° 10 rectifié bis est retiré.

Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’amendement présenté par M. Gouteyron est aussi satisfait. D’ailleurs, lors des auditions nécessaires à la présentation de mon rapport, j’avais bien entendu le président de la commission des finances.

Enfin, monsieur Mahéas, votre amendement est également satisfait et je pense que vous pouvez le retirer.

M. le président. Monsieur Mercier, l’amendement n° 269 rectifié est-il maintenu ?

M. Michel Mercier. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 269 rectifié est retiré.

Monsieur Gouteyron, l’amendement n° 300 rectifié est-il maintenu ?

M. Adrien Gouteyron. Non, je le retire également, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 300 rectifié est retiré.

Monsieur Mahéas, l’amendement n° 432 est-il maintenu ?

M. Jacques Mahéas. Non, je le retire aussi, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 432 est retiré.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur le président, dans le cadre d’un après-midi apaisé, le Gouvernement émet un avis de sagesse sur l’amendement de la commission.

Mme Borvo Cohen-Seat ne m’en voudra pas d’indiquer, à l’instar du président de la commission, que je ne peux que donner un avis défavorable sur l’amendement n° 413. L’article 38 de la Constitution est en effet nécessaire au fonctionnement normal de nos institutions.

Pour en revenir à l’amendement n° 102 de la commission, il est vrai que l’Assemblée nationale avait retenu les termes « concourt à l’évaluation », parce qu’un débat avait eu lieu sur la question de savoir si d’autres devaient concourir à l’évaluation des politiques publiques. Cependant, la primauté du Parlement est ce qu’elle est…

M. Michel Charasse. C’est le cas depuis 1789.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. … et, je le répète, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 102.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’amendement n° 413 n’a plus d’objet.

L'amendement n° 181 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 24 de la Constitution, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le Parlement décide de la politique économique, sociale et budgétaire du pays.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne ferai pas de longs développements. Notre position en faveur du régime parlementaire est connue. C’est pourquoi nous proposons que le Parlement décide de la politique économique, sociale et budgétaire du pays.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nos collègues communistes demeurent cohérents avec leur volonté d’établir un régime qui n’est pas celui de la Ve République.

M. Henri de Raincourt. Un régime d’assemblée !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien évidemment, cette proposition est contraire à l’article 20 de la Constitution, qui confie au Gouvernement le soin de conduire la politique de la nation.

M. Michel Charasse. De déterminer et de conduire !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission ne souhaite pas remettre en cause cet article. Son avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Quelles que soient mon estime et mon affection pour le Parlement, je rappelle que la seule fois, dans l’histoire, où il a déterminé la politique économique et budgétaire, c’est sous la Convention. Ce n’est donc même plus un retour à la IIIe ou à la IVe République, donc à un régime parlementaire classique, que vous nous proposez.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 181 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 433, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 24 de la Constitution, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les assemblées parlementaires peuvent voter des résolutions. »

La parole est à M. Yannick Bodin.

M. Yannick Bodin. Cet amendement a pour objet de rétablir une disposition, supprimée par l’Assemblée nationale, qui figurait initialement à l’article 12 du projet de loi : il s’agit du vote de résolutions, qui est l’une des voies d’affirmation du Parlement.

Je dois dire que ceux qui sont à l’initiative de cette proposition n’ont pas fait preuve d’une grande imagination puisque, il faut bien l’avouer, cette disposition existe dans pratiquement tous les parlements à l’étranger. Si l’on considère que c’est une bonne idée, il serait souhaitable que la France la reprenne.

Pour s’opposer à ce mécanisme, on a souvent évoqué la crainte du détournement de procédures contre le Gouvernement. Mais le dispositif d’engagement de la responsabilité du Gouvernement est désormais bien établi ; il n’y a pas à s’inquiéter.

Cette procédure permettrait, en tout cas, de donner aux assemblées une capacité d’expression distincte de la réponse législative. Elle permettrait également de lutter contre l’inflation législative – nous ne sommes pas les seuls à la dénoncer –, en évitant que la loi ne soit utilisée uniquement, comme cela arrive de temps en temps, comme un moyen de communication, et pas autre chose. Cela est particulièrement vrai depuis le début de cette législature : à chaque événement qui fait la une de l’actualité, le Gouvernement propose une réponse législative immédiate. En d’autres termes, lisez le journal et vous connaîtrez l’ordre du jour de nos assemblées de la semaine suivante !

M. Michel Charasse. C’est vrai !

M. Yannick Bodin. Une résolution aurait l’avantage de faire entendre, d’une manière forte, la voix de nos assemblées et serait reçue comme telle. Dans le même temps, elle nous éviterait de légiférer sur tout et à tout bout de champ. Je pense, par exemple, aux lois mémorielles, qui nous ont valu, dans une période récente, des débats inutiles ou inopportuns sur la colonisation.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, pas inutiles !

M. Yannick Bodin. Cela étant dit, il existe d’autres sujets, en dehors de la loi, sur lesquels le Parlement souhaite s’exprimer. Il doit pouvoir le faire sans être bridé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui interdit ce mode d’expression. Pour ce faire, il convient de réviser la Constitution et de faire en sorte que notre Parlement soit aussi démocratique que les autres parlements européens.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mon cher collègue, la commission a déposé un amendement tendant à rétablir l’article 12, qui reprend l’essentiel de votre proposition, et même la complète afin que soient levées les objections formulées par l’Assemblée nationale.

Aussi, je vous suggère de rectifier votre amendement de façon qu’il vienne en discussion en même temps que l’amendement de la commission.

M. le président. Monsieur Bodin, acceptez-vous de rectifier votre amendement en ce sens ?

M. Yannick Bodin. Oui, monsieur le président.

M. le président. Il s’agira donc de l’amendement no 433 rectifié, qui sera examiné à l’article 12.

Mes chers collègues, vous me permettrez, en cet instant, de souhaiter un bon anniversaire à notre collègue Mme Monique Cerisier-ben Guiga. (Applaudissements.) Délibérer ne nous empêche pas d’avoir des relations de courtoisie !

L'amendement no 437, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 24 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :

Ils sont renouvelables intégralement.

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, j’avais cru que, dans votre élan, vous alliez nous proposer une suspension de séance pour fêter l’anniversaire de Mme Cerisier-ben Guiga ! (Sourires.) Mais peut-être y songerez-vous plus tard…

L’amendement no 437 aborde le problème du renouvellement intégral de nos assemblées.

L’Assemblée nationale étant renouvelée intégralement, que ce soit à la fin de chaque législature ou de façon anticipée, la question ne se pose bien évidemment pas pour elle. Mais nous délibérons pour les deux chambres et, pour le Sénat, le problème est entier.

Quand le mandat sénatorial était de neuf ans, on pouvait comprendre qu’une fois sur trois, dans un département, les élections municipales soient « blanches », si vous me permettez l’expression, puisque, une fois sur trois, les conseils municipaux élus n’avaient pas l’occasion de participer à l’élection des sénateurs.

Nous avons maintenant fait coïncider la durée du mandat sénatorial et celle du mandat municipal.

M. Henri de Raincourt. C’est nous qui l’avons demandé !

M. Bernard Frimat. Nous l’avons voté, mon cher collègue !

M. Henri de Raincourt. Ça, je voudrais bien voir !

M. Bernard Frimat. Pourtant, vous avez vos lunettes et l’acuité visuelle nécessaire : nous avons manifesté notre accord avec le mandat de six ans ! Mais je reconnais que la proposition émanait de la majorité.

À partir du moment où le mandat sénatorial est de six ans, pour quelles raisons retarder de trois ans la consultation du collège électoral ?

Si l’on s’en tient à la législation actuelle, le Sénat sera renouvelé par moitié, mais dans les deux cas par le même collège électoral. Dès lors, rien n’empêche que ce collège, qui sera de toute façon appelé à choisir la totalité des sénateurs pendant les six ans que durera son mandat, le fasse dans la foulée de l’élection municipale. Cela ne pourra que renforcer la légitimité et la représentativité du Sénat.

Mes chers collègues, réfléchissez bien à l’amendement que nous vous proposons. Bien sûr, il ne peut pas s’appliquer immédiatement, tout le monde le comprend bien. Néanmoins, il suffit de raisonner un peu pour se rendre à l’évidence : la coïncidence de la durée des mandats devrait nous conduire à donner aux nouveaux élus municipaux la possibilité de s’exprimer dès après l’élection municipale, c’est-à-dire dès le mois de septembre. Le Sénat y gagnerait une stabilité pour six ans et serait renouvelé après la consultation municipale suivante.

Autant le renouvellement partiel pouvait être admis quand le mandat sénatorial était de neuf ans, autant je ne vois pas quelles objections on pourrait opposer aujourd’hui au renouvellement intégral et, s’il en existe, je serais heureux de les entendre !

M. Michel Charasse. Les élus seront cumulards tout de suite !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission des lois est hostile à cet amendement.

Les renouvellements partiels du Sénat, on oublie trop souvent de le rappeler, en font l’assemblée la plus fréquemment renouvelée de la République.

M. Jacques Mahéas. Justement !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. De plus, le mode de renouvellement actuel, qui est en place depuis que le Sénat existe, garantit sa stabilité en lissant les évolutions politiques, et la commission y est attachée.

Elle a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.

M. Hugues Portelli. Je rappellerai simplement que les sénateurs américains sont élus pour six ans et que le renouvellement se fait par tiers tous les deux ans.

M. Jacques Mahéas. L’Amérique, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux !

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.

M. Éric Doligé. Monsieur Frimat, les conseillers municipaux peuvent changer de position, et j’en ai déjà vu voter d’une manière lorsqu’ils étaient fraîchement élus et d’une autre manière trois ans plus tard ! Il serait erroné de penser qu’au lendemain des élections tout est figé pour six ans.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Jusqu’à présent, le mode de renouvellement, intégral ou pas, est fixé par la loi organique, pour l’Assemblée nationale comme pour le Sénat.

Aucun article de la Constitution n’indique que l’Assemblée nationale est renouvelée intégralement : cela figure dans la loi électorale, en particulier dans une loi organique. Or la Constitution ne saurait être discordante et préciser qu’une assemblée se renouvelle intégralement sans donner aucune indication pour l’autre chambre.

C’est la raison pour laquelle, à mon grand regret, je ne peux pas voter cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Et voilà, on est reparti !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et on recommence !

M. Bernard Frimat. Je dois reconnaître que l’intervention de Michel Charasse m’a permis d’entendre au moins un argument valable contre mon amendement. Mais je vois, mes chers collègues, que vous aurez un tel plaisir à voter contre que je me sentirais coupable de vous en priver. (Sourires.)

Je maintiens donc l’amendement.

M. Michel Charasse. C’est l’article L.O. 120 du code électoral qui dispose : « L’Assemblée nationale se renouvelle intégralement. »

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je suis d’accord avec cet amendement. J’avais d’ailleurs moi-même fait une proposition allant dans le même sens.