PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. L'amendement n° 232, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 24, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l'article 53 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le Parlement dispose du droit d'amendement en la matière. »

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Comme chacun le sait, la Constitution rend obligatoire une intervention législative pour certains engagements internationaux. Selon le premier alinéa de l’article 53 de la Constitution, le Gouvernement doit soumettre au Parlement « les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire ».

II s’agit là d’une compétence d’attribution. L’association du Parlement à la conclusion des traités internationaux n’est donc obligatoire que pour la ratification de la catégorie de traités visée à l’article 53, laquelle fait l’objet d’une interprétation stricte de la part de l’exécutif.

En outre, nous regrettons que l’intervention du Parlement demeure purement formelle et strictement encadrée. En effet, l’article 53 de la Constitution ne détaille pas les modalités de l’intervention parlementaire en matière d’autorisation des traités internationaux. En réalité, la faible marge de manœuvre du Parlement tient à l’initiative gouvernementale, dont ces lois résultent, ainsi qu’aux limitations spécifiques du droit d’amendement parlementaire dont elles font l’objet.

L’intervention du Parlement, dans le cadre de l’article 53, consiste formellement en une simple autorisation. La loi se borne à autoriser le Président de la République à ratifier l’engagement en cause.

Le projet de loi d’autorisation ne saurait être confondu avec l’engagement lui-même. Quant à l’autorisation parlementaire de ratification ou d’approbation, elle ne concerne que l’engagement international proprement dit, et non pas les textes susceptibles de l’accompagner lors de l’approbation ou de la ratification, notamment les déclarations interprétatives.

Le Parlement, mes chers collègues, n’a donc pas le droit de se prononcer sur les termes de l’engagement. Le Parlement vote une loi d’autorisation qui n’édicte pas de norme. Sa nature est simplement « permissive ».

Nous considérons que le rôle limité du Parlement lors de la conclusion d’un traité ou accord international, symbolisée par l’exclusion de son droit d’amendement est tout simplement inacceptable. En effet, le droit d’amendement étant, sous la Ve République, l’une des prérogatives parlementaires les plus précieuses, nous souhaitons qu’il s’applique aussi dans le cadre de l’article 53 de la Constitution.

À l’heure actuelle, non seulement le droit d’initiative parlementaire n’existe pas, mais le Parlement ne dispose pas du droit d’amendement, tant en ce qui concerne des dispositions du traité soumis à autorisation de ratification qu’à l’égard des dispositions du projet de loi d’autorisation.

L’interdiction du droit d’amendement en la matière s’expliquerait par le souci de préserver les compétences de l’exécutif et d’éviter une modification unilatérale de l’engagement international, qui conduirait à devoir rouvrir la négociation. Autrement dit, mes chers collègues, le Parlement se trouve dans l’incapacité de modifier et d’améliorer tout texte signé par le Président de la République.

La justification contestable de l’irrecevabilité de principe des amendements parlementaires repose également sur la nature de la compétence : une compétence d’attribution, reconnue au Parlement par le premier alinéa de l’article 53 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Pour notre part, nous considérons que ces arguments traditionnellement opposés au droit d’amendement du Parlement en la matière ne sont pas convaincants.

Aussi, pour toutes ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à voter cet amendement afin de renforcer les compétences de notre Parlement en matière d’autorisation de ratification d’un traité international, en supprimant les limitations spécifiques du droit d’amendement parlementaire à la catégorie de traités visée à l’article 53 de la Constitution.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’est pas concevable que le Parlement puisse modifier par voie d’amendement les clauses d’un accord international signé par la France.

C'est la raison pour laquelle la commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cet amendement vise à permettre l’exercice du droit d’amendement lors de la discussion d’un projet de loi autorisant la ratification d’un traité.

Je rappellerai qu’en la matière la loi a un seul objet : donner une autorisation à l’exécutif à un moment où le traité a déjà été négocié et signé. Par conséquent, le Parlement ne peut répondre que par oui ou par non.

Cet amendement tend à amender le traité, ce qui revient en fait à rouvrir la négociation d’un traité déjà signé ; or cela n’est pas possible.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.

M. Robert Bret. Madame le garde des sceaux, les prérogatives gouvernementales ne sauraient empêcher l’exercice par le Parlement des compétences qui lui sont attribuées par la Constitution dans le domaine législatif.

Or une loi d’autorisation faisant partie du domaine législatif, son amendement ne peut subir d’autres restrictions que celles qui résultent de la délimitation du domaine législatif ou de dispositions restreignant expressément le droit d’amendement au sein même du domaine législatif.

Aussi, madame le garde des sceaux, comme toute loi ordinaire et conformément au principe posé par le premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, la loi relative à la ratification des traités doit-elle, au départ, être constitutionnellement considérée comme susceptible, en principe, d’être amendée par les parlementaires dès lors que les deux conditions habituelles sont réunies.

Il s’agit là d’une question de fond et pas seulement d’une interprétation. D’ailleurs, de nombreux constitutionnalistes ont admis ce principe.

MM. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, et Patrice Gélard. Ah oui ? Lesquels ?

M. Robert Bret. Je pense au professeur de droit international Luc Saïdj, par exemple.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Vraiment, c’est incroyable ! Le Parlement ne participe pas à la négociation et le traité qui lui arrive est un traité signé, ayant obtenu l’accord de toutes les parties !

Si le Parlement décide de modifier le traité par voie d’amendement, automatiquement, nos partenaires risquent de se rebiffer ! Par conséquent, il n’y a plus de traité ; la négociation est relancée, et peut-être faudra-t-il envoyer le corps expéditionnaire pour les obliger à plier ! (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. Robert Bret. Ma question s’adressait à Mme le garde des sceaux, pas à vous, monsieur Charasse. Vous pouvez, si vous le désirez, aller vous asseoir au banc du Gouvernement pour me répondre ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 232.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 233, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 24, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans l'article 54 de la Constitution, après les mots : « soixante sénateurs », sont insérés les mots : « ou par un groupe parlementaire ».

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Le contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux prévu à l’article 54 de la Constitution de 1958 est de nature facultative. Il ne constitue pas une obligation juridique préalable à toute ratification d’engagement international par le Président de la République. L’intervention du Conseil constitutionnel dépend d’une initiative discrétionnaire des autorités de saisine, donc, en pratique de leur volonté politique.

Si la reconnaissance aux parlementaires du droit de saisine du Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 54 de la Constitution était censée garantir l’intervention de cette instance dans la phase préalable à la ratification des engagements communautaires, force est de le constater que, en pratique, cette saisine relève pour l’essentiel de la volonté politique de l’exécutif.

Rappelons-nous : le droit de saisine directe du Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 54 par soixante députés ou soixante sénateurs a été institué à l’occasion de la révision constitutionnelle de 1992, rendue nécessaire par la déclaration d’inconstitutionnalité du traité de Maastricht. Il s’agissait d’une excellente réforme, car elle a permis à l’opposition de contester devant le Conseil constitutionnel la validité des conventions internationales au regard du droit constitutionnel interne.

Cependant, en pratique, l’extension du droit de saisine du Conseil constitutionnel aux parlementaires n’a pas remis en cause le primat de la volonté politique des autorités de l’exécutif. Celle-ci reste la donnée essentielle de la saisine de la haute juridiction.

C’est la raison pour laquelle nous vous invitons aujourd’hui à élargir à un groupe parlementaire la faculté de saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 54, afin de permettre à l’opposition de réellement contester devant le Conseil constitutionnel la validité des conventions internationales.

À nos yeux, élever chaque groupe parlementaire au rang d’autorité de saisine du Conseil constitutionnel, dans le cadre de l’article 54 de la Constitution, contribuerait au renforcement effectif des prérogatives du Parlement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Dans quelques instants, nous allons, je le pense, instituer l’exception d’inconstitutionnalité, qui permettra à un particulier d’invoquer l’inconstitutionnalité de la loi devant le juge.

Dès lors, puisqu’on évoque les droits spécifiques des groupes d’opposition ou minoritaires, la commission a estimé souhaitable d’ouvrir le droit de saisine, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori, non seulement à soixante députés ou soixante sénateurs, mais également à un groupe parlementaire.

C’est pourquoi la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Une telle proposition n’est pas dénuée d’intérêt. Nous en avons d’ailleurs déjà discuté. Ce dispositif s’inscrirait effectivement dans la perspective de la reconnaissance de nouveaux droits aux groupes parlementaires minoritaires.

Toutefois, cette idée peut difficilement être retenue dans la mesure où la notion de « groupe parlementaire » – je pense notamment au nombre minimal de membres requis – est définie par le règlement intérieur de chaque assemblée : elle n’est donc pas nécessairement identique dans les deux assemblées et peut, au demeurant, évoluer au fil du temps ; nous le voyons bien au Sénat.

Il n’est pas souhaitable qu’une prérogative aussi importante pour une relation avec les États tiers puisse ainsi fluctuer au gré de considérations totalement étrangères à son exercice.

En outre, le droit de saisir le Conseil constitutionnel est un droit personnel, exercé par chaque parlementaire, et non un droit collectif. Puisque ce droit est reconnu par la Constitution, il revient à celle-ci de fixer le nombre de parlementaires qui doivent se mettre d'accord pour l’exercer.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.

M. Michel Mercier. Pour ma part, je partage l’avis de M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’avis de la commission des lois !

M. Michel Mercier. Effectivement, monsieur le rapporteur. Il s’agit bien de l’avis de l’ensemble de la commission des lois.

Madame le garde des sceaux, à mon sens, en matière de contrôle de constitutionnalité, la voie de l’action est toujours préférable à la voie de l’exception.

Dès lors que l’on va généraliser, et j’y suis favorable, l’exception d’inconstitutionnalité, ce qui risque de susciter une série de contentieux très longs, je ne comprendrais pas qu’on refuse à un groupe parlementaire le droit de saisir le Conseil constitutionnel. En effet, cette dernière procédure est plus courte, moins susceptible d’encombrer les tribunaux et elle permet d’obtenir un résultat plus rapidement.

La primauté des traités sur les lois internes étant déjà affirmée dans la Constitution, si l’on ajoute aujourd'hui la reconnaissance de l’exception d’inconstitutionnalité, plus rien ne justifie désormais de refuser la voie de l’action à un groupe parlementaire.

C'est la raison pour laquelle je voterai cet amendement.

M. Michel Charasse. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, même si je suis navré de ne pas suivre la commission, je voterai contre cet amendement.

Jadis, le gouvernement auquel je participais a fait adopter la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974 portant révision de l’article 61 de la Constitution, qui a ouvert la saisine du Conseil constitutionnel à soixante députés ou à soixante sénateurs. Cela a été une très grande réforme et elle a été largement appliquée puisque la constitutionnalité d’un certain nombre de textes a ainsi pu, dans des circonstances variées, être vérifiée.

Le progrès qui est aujourd'hui envisagé consiste à admettre l’exception d’inconstitutionnalité pour les lois qui n’auraient pas fait l’objet de vérifications par le Conseil constitutionnel.

La notion de « groupe parlementaire » est, me semble-t-il, actuellement trop imprécise. Comme nous l’avons souligné tout à l’heure, il y a les groupes qui déclarent appartenir à la majorité, ceux qui déclarent appartenir à l’opposition et les autres, qui n’appartiennent ni à la majorité ni à l’opposition et qui se définissent comme minoritaires.

Je préfère m’en tenir au texte constitutionnel actuel, à savoir la saisine par soixante sénateurs ou par soixante députés. Saisir le Conseil constitutionnel est une démarche sérieuse, qui nécessite d’avoir de vrais motifs, de vrais griefs. Je ne pense pas qu’il faille ouvrir cette possibilité à l’ensemble des groupes politiques.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Pour notre part, nous voterons cet amendement.

À nos yeux, il y a effectivement une incohérence. Alors que l’on évoque le pluralisme et la reconnaissance de droits spécifiques pour les groupes appartenant à l’opposition ou pour les groupes minoritaires, nous risquons de nous retrouver dans une situation curieuse si l’exception d’inconstitutionnalité est adoptée. En effet, dans cette hypothèse, certains parlementaires ne pourront pas saisir le Conseil constitutionnel par voie d’action en tant que membres d’un groupe d’une assemblée, mais ils pourront le saisir par voie d’exception en tant que citoyens, à condition que leur requête passe par un filtre, la Cour de cassation ou le Conseil d'État.

À partir du moment où l’on ouvre l’exception d’inconstitutionnalité, ce que nous souhaitons, il me semble normal que la totalité des groupes parlementaires puissent bénéficier du droit de saisine.

Qu’il faille des motifs sérieux pour saisir le Conseil constitutionnel, j’en suis convaincu. Mais je n’imagine pas que le seul fait d’avoir moins de soixante membres empêche des groupes parlementaires de motiver de manière rigoureuse leurs requêtes auprès des sages. Ceux qui pensent le contraire devraient aller au bout du raisonnement : un groupe parlementaire de moins de soixante membres ne devrait pas non plus intervenir en séance, car l’argumentation de ses membres n’a pas la moindre valeur…

En réalité, puisque nous voulons reconnaître des droits aux groupes minoritaires, nous avons là l’occasion de faire des travaux pratiques, non pas dans les règlements des assemblées, mais dans la Constitution.

Par conséquent, je suis très favorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.

M. Hugues Portelli. Si vous le permettez, monsieur le président, je souhaite simplement apporter un élément d’information.

Je le rappelle, la révision constitutionnelle qui a introduit la saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou soixante sénateurs pour vérifier la conformité des traités à la loi fondamentale a été adoptée en 1992, à l’occasion de la ratification du traité de Maastricht. D’ailleurs, c’est le Sénat qui avait imposé cette condition.

Cela étant, je trouve l’amendement de nos collègues excellent, et je le voterai.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Je crois qu’il y a un argument, parmi tous ceux qui ont été développés, qui mérite la plus grande attention.

Le très gros avantage de cet amendement, que je voterai, et je remercie M. Bret et ses amis d’avoir émis cette suggestion, c’est non seulement de permettre à tous les groupes de saisir le Conseil constitutionnel, mais aussi d’avoir une réponse à une question posée, vraisemblablement soulevée au moment des débats de ratification ou d’autorisation, dans le mois qui suit, plutôt que d’attendre des années que toutes les juridictions de France et de Navarre se soient bien chamaillées dans tous les sens pour finalement aller, au titre de l’exception d’inconstitutionnalité, devant le Conseil constitutionnel. Donc, c’est un avantage formidable !

Quant à dire qu’un « petit groupe », parce qu’il a moins de soixante membres, n’est pas capable de faire un recours comme un groupe de soixante… Je ne veux pas solliciter Robert Badinter, parce que c’est un homme discret et délicat, contrairement à moi (Sourires), mais on lit souvent beaucoup de recours qui ne sont pas d’une qualité telle que nous puissions affirmer ici qu’il faut être au moins soixante pour ne pas écrire n’importe quoi ! (Rires.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 233.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi constitutionnelle, après l'article 24. (Les sénateurs du groupe socialiste applaudissent ceux du groupe CRC.)

M. Bernard Frimat. Ça s’arrose !

M. le président. L'amendement n° 71 rectifié, présenté par MM. Portelli, Gélard, Lecerf, Béteille et de Richemont, est ainsi libellé :

Après l'article 24, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 55 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé : 

« Art. ... - Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux engagements internationaux que la France a souscrits, la juridiction doit surseoir à statuer et soumettre au Conseil d'État ou à la Cour de cassation l'examen du moyen soulevé si celui-ci n'apparaît pas manifestement infondé.

« Si la conformité d'une disposition législative aux engagements internationaux de la France donne lieu à une divergence d'interprétation entre le Conseil d'État et la Cour de cassation, les parties au litige peuvent saisir le Conseil constitutionnel.

« Si le Conseil constitutionnel décide que la disposition législative est contraire aux engagements internationaux de la France, celle-ci est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. 

« Une loi organique détermine les conditions et réserves d'application du présent article. »

La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Au moment où le constituant se penche sur la modernisation du contrôle de constitutionnalité, en envisageant d’introduire le contrôle a priori sous la forme de l’exception d’inconstitutionnalité, soulevée à l’occasion d’un litige par l’une des parties au procès, une autre question apparaît, celle du contrôle de « conventionnalité », c'est-à-dire de la conformité de la loi française aux engagements internationaux souscrits par la France.

La supériorité des traités sur les lois enjoint à toutes les juridictions d’écarter une disposition législative contraire à un traité ou au droit dérivé de celui-ci, conformément à la jurisprudence issue de la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975 sur la loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.

Depuis plus de trente ans, les juridictions françaises ont l’habitude d’écarter, à l’occasion de tout type de litige, l’application d’une loi qu’elles considèrent comme contraire à un traité ou à son droit dérivé.

En fait, le problème est réglé pour le droit de l’Union européenne puisque tout le contentieux est unifié sous l’autorité de la Cour de justice des Communautés européennes.

En revanche, le problème demeure pour le droit international, comme par exemple les conventions de l’Organisation internationale du travail, l’OIT, ou pour le droit du Conseil de l’Europe – je pense notamment à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales –, avec un système diffus, qui manque de régulation, les juridictions suprêmes étant éventuellement saisies pour avis par le juge de base.

Du fait de la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État, le problème est aujourd'hui plus compliqué et risque de l’être davantage si la révision constitutionnelle introduit l’exception d’inconstitutionnalité.

Sous couvert du contrôle du respect de l’application de l’article 88-1 de la Constitution, c'est-à-dire de la transposition d’une directive communautaire, le Conseil constitutionnel opère une fusion du contrôle de conventionnalité, puisqu’il vérifie si la loi de transposition est conforme à la directive, et du contrôle de constitutionnalité, puisqu’il vérifie si la directive respecte le bloc de constitutionnalité de la République française.

Cette jurisprudence récente – elle date de 2006 –, rejointe l’an dernier par le Conseil d'État, ajoute à la confusion. N’importe quelle juridiction peut aujourd'hui exercer un contrôle de conventionnalité d’une loi ou d’un règlement, mettant le droit français dans une situation de précarité permanente.

Dans le système actuel, le contrôle de constitutionnalité n’est que la roue de secours du contrôle de conventionnalité et n’intervient qu’à la marge. Si l’exception d’inconstitutionnalité est introduite demain, elle restera marginale, car, dans un procès réel, les parties qui soulèveront concomitamment l’exception d’inconventionnalité et l’exception d’inconstitutionnalité préféreront jouer la première, qui est plus facile d’usage et de résultat. Mais qu’en sera-t-il si, un jour, une loi est écartée pour inconventionnalité, alors qu’elle est déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ? Quelle sera, alors, l’autorité des décisions de ce dernier ?

L’amendement qui vous est proposé répond à plusieurs objectifs.

Premièrement, il vise à instituer un mode de régulation globale du contrôle de conventionnalité, laissant le juge saisi trancher lorsque la question posée est sans ambiguïté, mais lui enjoignant de renvoyer à la juridiction suprême de son ordre, Cour de cassation ou Conseil d'État, lorsqu’un sérieux problème d’interprétation se pose.

Deuxièmement, il permet d’assurer une coordination entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité, en confiant au Conseil constitutionnel le soin de trancher en dernier ressort d’éventuels conflits de jurisprudence, tout en laissant le Conseil d'État et la Cour de cassation réguler la jurisprudence dans leur ordre de juridiction respectif.

Troisièmement, il renforce la sécurité juridique en imposant la même sanction dans les deux cas – l’abrogation de la loi –, en fondant constitutionnellement les deux procédures sur une base égalitaire – les articles 55 et 88-1 de la Constitution – et en tentant d’introduire un peu de cohérence dans la hiérarchie des normes juridiques.

Mes chers collègues, certains d’entre vous jugent cette introduction prématurée. Je crains malheureusement qu’en cas de report à des jours meilleurs, elle n’advienne trop tard. Les juridictions auront pris définitivement l’habitude, tout comme les justiciables, d’utiliser d’abord la procédure de l’exception d’inconventionnalité.

Dès lors, même si elle est introduite, l’exception d’inconstitutionnalité deviendra marginale, sauf à ce que le Conseil constitutionnel, pour survivre, la fusionne avec l’exception d’inconventionnalité, ce qu’il a déjà commencé à faire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le professeur Portelli nous conduit vers des sommets ! (Sourires.)

Un sénateur du groupe socialiste. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement vise à réserver le contrôle de conventionnalité aux juridictions suprêmes et, en cas de divergence d’interprétation entre elles, au Conseil constitutionnel.

Selon la commission des lois, ces dispositions appellent certaines réserves.

D’abord, le contrôle de conventionnalité s’est progressivement acclimaté en France et semble fonctionner correctement, le Conseil d’État et la Cour de cassation assurant, chacun de son côté, l’homogénéité des jurisprudences des juridictions du premier degré. La disposition n’ouvrirait pas de droit nouveau au justiciable et risquerait au contraire de ralentir le traitement du dossier.

Ensuite, et c’est sans doute le défaut majeur de l’amendement, il n’est pas précisé comment s’articulerait le rôle du Conseil constitutionnel avec les juridictions supranationales – Cour européenne des droits de l’homme, Cour de justice des Communautés européennes – qui peuvent, dans certains cas, être saisies directement par le justiciable ou par les juridictions. Comme le relevait d’ailleurs le rapport du comité présidé par Édouard Balladur, si le Conseil constitutionnel ne s’opposait pas à l’application d’une loi qu’il jugerait compatible avec un engagement international mais que cette interprétation devait être démentie par une juridiction internationale, les juges français se trouveraient dans une situation délicate dès lors qu’ils sont tenus par l’article 62 de la Constitution de se conformer à la chose jugée par le Conseil constitutionnel. Inversement, si le Conseil constitutionnel estimait cette loi incompatible avec un engagement international, le Gouvernement et le Parlement n’auraient aucun moyen de surmonter les effets de cette abrogation, à moins de réviser ou de dénoncer leur engagement international, ce qui paraît hautement improbable.

Notre commission juge plus prudent, en l’état, d’en rester aux termes du projet de loi constitutionnelle, quitte à faire ensuite évoluer le système à la lumière de l’expérience de la mise en œuvre du contrôle de constitutionnalité par voie d’exception.

La préoccupation de la commission concerne l’articulation de ce droit avec les recours directs, notamment devant la Cour européenne des droits l’homme. Imaginez que le Conseil constitutionnel décide que la disposition est conforme à la Convention européenne des droits de l’homme ; il serait toujours possible, une fois que toutes les voies de recours sont épuisées, de saisir directement la Cour européenne et, si celle-ci ne partageait pas l’opinion du Conseil constitutionnel, nous nous trouverions devant une impossibilité.

C’est pourquoi je recommande la plus extrême prudence dans ce domaine. Je reconnais que la question a fait l’objet de nombreux débats ces dernières années. Le Conseil d’État et la Cour de cassation, qui étaient quelque peu réticents, l’ont maintenant parfaitement admis. De nombreux arrêts ont été étudiés…