M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Un hommage mérité !

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois a émis un avis favorable sur les crédits du Programme « Protection judiciaire de la jeunesse » au sein de la mission « Justice », qu’elle vous demande d’approuver, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis.

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les grandes lignes des crédits de la mission « Justice » alloués pour 2009, qui ont été présentées par M. le rapporteur spécial notamment.

Cependant, je relève que le nombre total d’équivalents temps plein travaillé du programme « Justice judiciaire » est en baisse de 54, notamment en raison du transfert de la Cour nationale du droit d’asile vers la justice administrative. Mais, par un « effet » de la LOLF en quelque sorte, cette baisse cache en fait des créations d’emplois : 59 emplois de magistrats, 9 de greffiers en chef et 50 de greffiers. Le nombre d’équivalents temps plein travaillé de magistrats s’établira donc à près de 7 900  en 2009, ce qui peut être considéré comme un effectif satisfaisant.

Toutefois, il convient de regarder les choses de manière plus détaillée, et je reviendrai sur la question des effectifs.

Mon propos sera axé sur trois points : l’application de la LOLF à la justice, la réforme de la carte judiciaire et l’accès au droit et, enfin, l’indispensable et nécessaire révision de l’état civil à Mayotte.

Après trois années d’application de la LOLF à la justice, le bilan est contrasté.

Tout d’abord, la justice n’était pas le domaine où la mise en œuvre d’une logique de performance apparaissait la plus naturelle. D’ailleurs, les indicateurs de performance en la matière doivent être considérés avec prudence.

Ainsi, s’agissant des délais de jugement, toutes les procédures n’obéissent pas aux mêmes délais, …

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. … et la mesure d’un délai moyen doit donc être interprétée avec prudence.

La question de la définition des indicateurs se pose également si l’on observe celui qui porte sur le nombre d’utilisations de la visioconférence.

La commission des lois comprend bien sûr les économies qui peuvent être réalisées grâce au recours à la visioconférence et à son développement. Mais l’utilisation de ce procédé doit-il, pour autant, devenir un objectif de performance à part entière de l’action judiciaire ?

Certes, la visioconférence doit être un moyen pour les magistrats de faire des économies, et il est très utile de promouvoir son déploiement. Mais elle ne saurait s’imposer de façon systématique, en dehors de considérations d’opportunité que seul le juge peut apprécier.

Pour les chefs de cour, la perspective de bénéficier de marges de manœuvre supplémentaires s’ils réalisaient des économies constituait, en 2006, une véritable incitation à la mise en œuvre de la LOLF. Or, se confirme aujourd’hui une déception que l’on sentait poindre depuis deux ans : la LOLF semble plutôt avoir permis à l’administration centrale d’étendre son emprise sur la gestion des juridictions.

Pourtant – et c’est un point très positif –, les magistrats ont opéré un véritable changement de culture avec la mise en œuvre de la LOLF, comme l’illustre le succès du plan de maîtrise des frais de justice.

Après avoir augmenté de 42,7 % entre 2003 et 2005, les frais de justice connaissent, depuis 2007, une progression oscillant autour de 2 % par an. Des efforts de rationalisation importants ont donc été réalisés, par exemple avec la passation de marchés publics pour les analyses génétiques. Mais les magistrats prescripteurs ont également eu un rôle déterminant, intégrant pleinement le caractère désormais limitatif des crédits.

En dépit de ces efforts, on dénote un risque de détournement de l’esprit de la LOLF. La fongibilité reste l’apanage du responsable de programme ; les services administratifs régionaux semblent excessivement accaparés par la production de statistiques financières, qui se sont multipliées, et les crédits délégués sont encore trop souvent « fléchés » par l’administration centrale.

Les progrès de l’informatisation du ministère de la justice permettront, je l’espère, de réduire la part des activités de reporting des services administratifs régionaux, les SAR, du moins lorsque les applications en cours de développement auront fait leurs preuves, ce qui n’est pas encore le cas.

À cet égard, les perturbations engendrées par la mise en place de Cassiopée, nouvelle application de gestion de la chaîne pénale, montrent qu’il faut apporter aux juridictions pilotes un soutien logistique plus adapté qu’il ne l’est aujourd'hui.

J’en viens maintenant aux profondes transformations que connaît votre ministère, madame le garde des sceaux, avec la réorganisation de l’administration centrale et de la formation des magistrats et la réforme de la carte judiciaire.

Pour la commission des lois, il s’agit, vous le savez, d’une réforme nécessaire.

Un rapport d’information de MM. Jolibois et Fauchon prônait d’ailleurs, dès 1996, une réforme pour une carte judiciaire « réaliste » ; notre collègue Pierre Fauchon l’avait d’ailleurs rappelé l’an dernier. Il faut dire que l’organisation judiciaire n’avait pas subi de modifications substantielles depuis la réforme engagée par Michel Debré en 1958.

Madame le garde des sceaux, vous avez choisi de suivre un calendrier de mise en œuvre accéléré. La future carte judiciaire, qui devrait être achevée en 2011, comprendra 863 juridictions, contre 1 190 aujourd’hui.

Comme vous l’avez expliqué, elle permettra aux magistrats et fonctionnaires de la justice d’avoir le niveau de technicité requis en appartenant à des juridictions jugeant un nombre suffisant d’affaires chaque année. Les exigences de collégialité et de continuité du service public de la justice en seront mieux respectées.

La philosophie générale de la réforme, à défaut de la méthode, ne peut donc qu’être approuvée.

Cependant, la réforme de la carte judiciaire ne doit pas aboutir à transposer la pénurie de personnels des tribunaux supprimés vers les tribunaux d’accueil, car le regroupement des tribunaux ne fera pas disparaître les dossiers. La question se pose en particulier pour les tribunaux d’instance, qui sont confrontés à la mise en œuvre de la réforme des tutelles, adoptée en 2007. L’un des amendements de la commission des lois vise d’ailleurs à répondre à cette préoccupation.

J’ajoute que les 100 000 heures supplémentaires recensées chez les greffiers démontrent que les greffes n’ont pas encore atteint un effectif pléthorique, loin s’en faut !

En outre, la réforme de la carte judiciaire doit s’accompagner d’une réflexion approfondie sur la politique d’accès au droit et à la justice. La suppression de plusieurs tribunaux d’instance conduit à s’interroger sur les moyens, pour une population vulnérable et démunie, d’accéder à la justice, par exemple en matière de surendettement.

Le développement des maisons de la justice et du droit, auquel vous consacrez des moyens, madame le garde des sceaux, apparaît donc indispensable et va de pair avec la réforme de la carte judiciaire et l’éloignement physique de certains tribunaux. Encore faudrait-il assurer le fonctionnement des maisons de la justice et du droit existantes ! Une vingtaine d’entre elles sont aujourd’hui fermées ou n’ouvrent qu’à mi-temps, par manque de personnel.

Par ailleurs, la mise en place de points de conférence visio-public sera-t-elle réellement adaptée à un public qui était auparavant celui des petits tribunaux d’instance ? Il me semble que, sur un certain nombre de questions complexes et difficiles à formaliser pour une personne sans formation juridique, rien ne peut remplacer le dialogue direct.

Pour terminer, je souhaite évoquer la situation de l’état civil à Mayotte. Une délégation de la commission des lois, dont je faisais partie, s’y est rendue en septembre dernier, sous la direction du président Jean-Jacques Hyest.

Les Mahorais, en raison de la faiblesse des moyens alloués à la commission de révision de l’état civil, la CREC, depuis 2001, se trouvent étrangers en France, étrangers chez eux. Le délai de délivrance d’un acte par la CREC étant au minimum de deux ans et demi, ils ne peuvent obtenir de papiers pour aller étudier en métropole ou se rendre à l’étranger.

Que dirions-nous si nous devions attendre deux, trois ou quatre ans pour obtenir un extrait d’acte de naissance, lui-même nécessaire à l’établissement d’un passeport ?

Du fait du sous-effectif du tribunal de première instance de Mayotte, le dernier magistrat nommé au sein de la collectivité n’a pu être affecté à la présidence de la CREC. Pourtant, 14 000 dossiers attendent d’être traités depuis décembre 2007. La commission des lois recommande donc la nomination d’un vice-président de cette commission, afin de multiplier le nombre d’audiences et d’accélérer le traitement des demandes.

La question de l’état civil à Mayotte engage – n’en doutons pas ! – la crédibilité de l’État envers ses citoyens et le respect du principe d’égalité. La commission des lois vous demande donc, madame la garde des sceaux, d’y accorder la plus grande attention.

Pour conclure mon propos, j’indique que, compte tenu de ces précisions, la commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits consacrés aux services judiciaires et à l’accès au droit. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle qu’en application des décisions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de trente minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’examen d’un budget ne saurait se limiter à un exercice purement comptable, malgré l’importance que ce dernier revêt, surtout lorsqu’il est effectué par des personnalités aussi remarquables que celles que nous venons d’entendre.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. C’est une pierre dans mon jardin !

M. Pierre Fauchon. Ce point est d’autant plus valable que nous traitons aujourd’hui de la justice et que ce troisième pouvoir, si réel en dépit des controverses théoriques, est dépositaire de responsabilités essentielles.

L’intensité et la complexité des missions judiciaires n’ont d’égal que la difficulté rencontrée, par l’appareil judiciaire, pour les traiter d’une manière convenable, c’est-à-dire apporter sans retard les réponses appropriées aux innombrables questions qui lui sont posées dans un contexte extraordinairement difficile. Il s’agit effectivement d’appliquer une loi, laborieusement et incessamment modifiée, à des réalités, dans le contexte général de remise en cause quasi systématique des valeurs, des droits et des obligations.

Le temps de parole qui m’est imparti ne m’autorise que quelques réflexions, qui ont pour seul objet d’évoquer les problèmes, sans prétendre apporter les réponses.

Le premier de ces problèmes reste, en dépit de budgets qui sont, en eux-mêmes, relativement satisfaisants, celui des moyens de la justice.

Notre commission des lois n’a jamais cessé d’apporter la plus grande attention à cette question primordiale, depuis le rapport d’information que j’ai présenté, avec M. Charles Jolibois, au siècle dernier – on a bien voulu me rappeler qu’il datait de 1996. Elle a effectivement conscience que notre société n’a pas le droit d’attendre de sa justice des résultats que l’insuffisance des moyens ne permet pas d’obtenir, en dépit du dévouement d’un grand nombre de magistrats – mais non de tous, avouons-le ! – et de leurs auxiliaires, auxquels, avant tout, je tiens à rendre hommage.

Toutefois, il ne suffit pas de rendre hommage. Il faut aussi comprendre que l’exigence de résultat qui, de plus en plus, doit marquer nos réflexions ne peut être atteinte en ignorant cette insuffisance de moyens.

Dans le rapport auquel je viens de faire allusion, nous avions inscrit, en priorité de nos propositions, la réforme de la carte judiciaire, point de passage obligé avant toute autre considération. À cette époque où l’on ne parlait pas encore de spécialisation des juridictions, il ne s’agissait que de mieux faire coïncider les volumes de contentieux, relativement stables, avec le positionnement et les moyens de ces dernières. Cette démarche visait à corriger des disproportions ou des singularités historiques, parfois considérables et que les magistrats ne manquaient pas de déplorer à chacune de nos visites.

Je me souviens, en particulier, du débat qu’avait engendré une comparaison surprenante entre la situation de Meaux et celle de Nancy. Cette évocation me donne l’occasion de dire bien haut combien nous nous réjouissons de voir qu’il s’est enfin trouvé un garde des sceaux, plutôt une garde des sceaux – ceci explique peut-être cela ! – …

Mme Nathalie Goulet. C’est sûr !

M. Pierre Fauchon. …pour s’attaquer résolument à ce problème.

Puis-je ajouter à ce compliment un souhait et un regret ?

Tout d’abord, je souhaiterais que les cartes comparées de l’appareil judiciaire, tel qu’il est, et des volumes de contentieux, tels qu’ils sont, soient établies et publiées, si ce n’est déjà fait. II me semble que le simple rapprochement de ces deux cartes serait fort éloquent. Il devrait faciliter la compréhension et, peut-être, relativiser les plaintes sur l’insuffisance de concertation préalable. Ces plaintes peuvent être justifiées, comme M. Yves Détraigne l’a rappelé, mais elles masquent aussi parfois l’absence d’une justification sérieuse de certaines résistances.

Ensuite, je regrette que les cours d’appel ne semblent pas concernées par la présente démarche. Nous sommes quelques-uns à nous en inquiéter. En effet, leur dispositif relève quelquefois d’un passé d’ancien régime, certes émouvant, pittoresque et sympathique, mais ne correspondant guère aux problèmes actuels.

Enfin, il faudrait que le recours systématique aux audiences foraines permette de préserver une certaine proximité. Il est assez facile d’organiser de telles audiences, et ce point me semble très important.

Mais la réforme de la carte judiciaire est en cours, voire, semble-t-il, très avancée. Elle n’est donc pas au premier plan de l’actualité judiciaire, qui, en revanche, est marquée par un climat psychologique relativement tendu. Cette tension se traduit inévitablement par l’importance, sans doute excessive, qui est accordée à certains événements ou certaines initiatives, avec l’aide d’une presse dont la nature – il faut le reconnaître – est de mettre de l’huile sur le feu plus volontiers que du baume sur les irritations.

Mme Nathalie Goulet. C’est certain !

M. Pierre Fauchon. Précisons immédiatement que cette problématique concerne l’action gouvernementale. Par conséquent, il ne nous appartient pas de la commenter et, moins encore, de nous en mêler.

Toutefois, certains de ses aspects touchent, de manière plus ou moins directe, à des questions institutionnelles et, à ce titre, concernent notre assemblée, soit qu’elles rouvrent un débat ancien au cours duquel nous avons naguère avancé des propositions qui méritent d’être rappelées, je veux parler de la question du statut du parquet ; soit qu’elles viennent enrichir et stimuler le travail législatif suscité par la révision récente de la Constitution, pour ce qui est du Conseil supérieur de la magistrature.

S’agissant du statut du parquet, il est permis de penser que certaines difficultés, qui sont récemment survenues, trouvent une partie de leur explication dans la confusion toujours entretenue entre la fonction de procureur et celle de juge.

Nos traditions font sans doute que les uns et les autres sont des magistrats et que leurs carrières sont en quelque sorte fondues. Il n’en demeure pas moins que les juges sont seuls chargés de rendre la justice. Cette responsabilité leur confère une dignité particulière dont les procureurs ne sauraient se prévaloir.

J’ai l’impression que cette distinction, si fondamentale, est quelque peu oubliée. Je pense, par exemple, au cas de convocation à la Chancellerie, encore que, selon moi, une telle convocation ne mérite d’être interprétée par personne comme un abus d’autorité. Ce n’est pas le tribunal de l’Inquisition, que je sache ! Cette démarche ne peut être critiquée, si ce n’est par ceux qui n’admettent en réalité aucune autorité, confondant ainsi l’indépendance, qui est le propre des juges, avec l’autonomie, qui n’a pas lieu d’être dans un service public. En effet, nous n’en sommes plus au temps où les magistrats étaient propriétaires de leurs charges.

Je trouve ici l’occasion de rappeler que notre assemblée a voté naguère une réforme du parquet qui faisait relever celui-ci d’une autorité indépendante, un procureur général de la République n’appartenant pas au Gouvernement et, donc, à l’abri de toutes suspicions politiques. Malheureusement, le processus législatif dans lequel cette disposition s’inscrivait s’est interrompu.

Il faudra peut-être revenir, un jour, à cette idée qui permettrait une gestion de l’action publique convenablement hiérarchisée, à l’abri précisément du soupçon de politisation dont on abuse, bien sûr, mais que l’on ne peut ignorer. Nous ne renoncerions pas pour autant aux exigences de la cohérence et de l’efficacité qui doivent caractériser l’exercice de l’action publique.

Ma dernière réflexion sera pour exprimer la surprise de beaucoup d’entre nous, ayant pris connaissance de la critique à laquelle le Conseil supérieur de la magistrature a cru pouvoir se livrer à l’égard d’une initiative très particulière de la Chancellerie, qu’il a qualifiée de « précipitée ». II ne me semble pas que de telles appréciations entrent dans ses attributions. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

Je suis content de vous faire rire, madame Borvo Cohen-Seat, car je vais vous citer dans un instant. Sans doute tout magistrat, comme toute personnalité, a-t-il le droit d’être assisté et même défendu dès lors qu’il est mis en cause. Mais cette mission peut incomber à des organisations professionnelles ou aux parlementaires. Ce matin, j’ai entendu avec plaisir M. Jean-Pierre Sueur, d’ailleurs soutenu par vous, madame Nicole Borvo Cohen-Seat, évoquer un cas particulier sur ce sujet. J’estime que, dans ce cas, nous étions tout à fait dans nos responsabilités.

La raison d’être et la responsabilité du Conseil supérieur de la magistrature ne sont pas de cette nature. Elles sont d’une portée et d’une dignité suffisante pour que l’institution n’ait rien à gagner d’initiatives particulières qui leur sont étrangères et qui ont comme un parfum de « remontrances » qu’aucun républicain ne devrait admettre.

Il conviendra, monsieur le président de la commission des lois, de se souvenir de cette question quand nous aurons à examiner la loi organique mettant en œuvre la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Est-il nécessaire de le rappeler ? Cette loi a été votée à Versailles, en juillet dernier, par deux voix de majorité.

Ainsi, tout en respectant les responsabilités et prérogatives propres au Gouvernement et sans rien oublier des égards dus à ceux qui portent la lourde charge de poursuivre et, plus encore, de juger, nous apporterons notre contribution à l’œuvre de justice dans le seul souci de rendre celle-ci plus conforme aux attentes des Français. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le temps m’étant compté, je ne polémiquerai pas avec M. Fauchon qui m’a pourtant interpellée.

Je signalerai simplement, madame la garde des sceaux, que le budget que vous nous présentez est en augmentation de 2,65 % par rapport à celui de 2008. Il s’élève à 6,66 milliards d’euros et il convient d’en souligner l’ampleur modeste. Alors que l’État supprime 30 600 emplois de fonctionnaires en 2009, le ministère de la justice créerait 952 emplois nouveaux.

Puisque nous devons nous conformer à la loi organique relative aux lois de finances que je n’ai pas votée, je précise qu’il s’agit, en réalité, de 22 équivalents temps plein pour les magistrats et d’un glissement d’emplois pour les greffiers. Celui-ci est bénéfique, puisqu’il augmente leur nombre de 150 greffiers, mais il diminue d’autant le nombre d’agents de catégorie C. Par conséquent, cette évolution, bien que positive, ne fait pas progresser les effectifs globaux alors même que ceux-ci sont très insuffisants.

Je remarque d’ailleurs que les rapporteurs pour avis, même s’ils appellent à adopter les crédits de cette mission, sont assez critiques dans leurs propos.

Je ne m’appesantirai pas davantage sur les chiffres ; il y aurait beaucoup à dire mais je viens, à l’instant, de dire l’essentiel.

Madame le garde des sceaux, l’une de vos priorités est de dépenser mieux, et non de dépenser plus. Mais que veut dire au juste « dépenser mieux » ? Cela signifie-t-il incarcérer davantage ? Cela veut-il dire supprimer des tribunaux d’instance, et rendre ainsi l’accès au droit plus difficile ?

Vous l’aurez compris, nous désapprouvons l’affectation des moyens au sein de ce projet de budget pour 2009. Votre politique pénale nous paraît vouée à l’échec en ce qu’elle est parfois incohérente et qu’elle continue de provoquer des drames humains insupportables.

La lutte contre la récidive illustre notamment cet échec. La politique menée à l’encontre des mineurs délinquants et l’explosion carcérale actuelle montrent à l’évidence que les résultats ne sont pas ceux que l’on pourrait attendre d’une amélioration de la politique pénale.

Les peines planchers, instituées par la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, devaient avoir un effet dissuasif. Elles aboutissent en fait à une augmentation du nombre de détenus alors que vous vous plaisez à dire que les actes de délinquance diminuent ; ce constat s’avère par ailleurs douteux car, s’il est peut-être vrai que les vols de portables diminuent, la délinquance violente augmente. Cet accroissement du nombre de condamnations montre en tout cas que l’effet dissuasif des peines plancher ne fonctionne pas. C’est l’exact opposé de ce que vous avez présenté comme un bilan positif.

En outre, à vous entendre, les juges n’auraient pas dû voir leur liberté d’appréciation remise en cause par cette loi. Pourtant, fin septembre, la Chancellerie, jugeant insuffisante l’application des peines plancher, a donné pour instruction aux procureurs de faire appel des jugements écartant la peine minimale. En conséquence, la liberté du juge du siège a, de fait, disparu puisque ses décisions sont systématiquement remises en cause.

La politique menée à l’encontre des mineurs délinquants ne recueille pas, non plus, notre approbation. Nous nous attendions au pire avec les conclusions de la commission Varinard sur la justice des mineurs, et nous avions malheureusement raison : l’objectif est de remettre en cause la primauté de l’éducatif dans le texte qui fonde la spécificité de la justice des mineurs.

Déjà, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse enjoint aux éducateurs de se concentrer sur les missions de contrôle, de probation, d’aménagement des peines et d’accompagnement de l’incarcération. Les crédits alloués à la protection judiciaire de la jeunesse pour 2009 traduisent cette logique. En baisse de 2,1 %, ils sont prioritairement affectés à la mise en œuvre des mesures pénales.

Les mesures éducatives, dont les crédits accusent une chute importante, seront progressivement abandonnées et laissées sous la responsabilité des départements et des associations, ce qui pose de très graves problèmes du point de vue de l’égalité des citoyens sur tout le territoire. La précédente défenseure des enfants avait en effet signalé que, selon les départements, les principes et les philosophies étaient très différents, ce qui n’avait d’ailleurs pas plu à tout le monde.

L’incarcération des mineurs ne cesse d’augmenter, de même que leur enfermement au travers des centres éducatifs fermés, les CEF. Franchement, eu égard aux tentatives de suicide et aux suicides que nous connaissons actuellement, l’accroissement de l’enfermement des mineurs ne saurait être traité en termes de flux. C’est, au contraire, une question de fond. Je constate que les procureurs ont reçu pour instruction de recourir systématiquement à la présentation des mineurs devant la justice et d’interjeter appel lorsque leurs réquisitions de placement en détention provisoire ne sont pas suivies.

Lorsqu’un adolescent s’est suicidé en octobre à la maison d’arrêt de Metz-Queuleu – c’est le quatrième suicide depuis le début de l’année dans cette prison pourtant présentée comme modèle –, il vous a bien fallu réagir tant l’émotion suscitée par cette affaire fut grande. C’est pourtant le procureur, qui n’avait fait qu’appliquer vos instructions, qui a été désigné comme responsable d’une décision qualifiée d’« injuste ».

De même, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, vient de rendre un rapport accablant après le suicide, en février dernier, d’un adolescent à la prison de Meyzieu, estimant que ce drame fait suite à de graves lacunes de l’administration pénitentiaire.

Dans ces conditions, il serait provocateur de reprendre la proposition de la commission Varinard qui vise à abaisser l’âge de la majorité pénale à douze ans, et qui permettrait donc d’incarcérer un enfant dès cet âge.

Les adultes ne sont pas plus épargnés : quatre-vingt-dix suicides ont été enregistrés depuis le début de l’année, et, ce week-end, il faut encore déplorer le suicide d’un jeune homme de vingt-sept ans qui accomplissait une courte peine.

De tels drames seraient pourtant évitables si le corps judiciaire n’était pas soumis à des tensions insupportables entraînées par une politique pénale centrée sur l’emprisonnement.

Votre priorité reste le renforcement du parc pénitentiaire, avec l’ouverture programmée en 2009 de sept établissements et, évidemment, l’augmentation du nombre de places en prison ce qui, eu égard à la surpopulation actuelle, paraît l’évidence même. Toutefois, chacun sait que l’augmentation du nombre de places disponibles en prison est vouée à se poursuivre indéfiniment. Nous avons connu un nouveau record au 1er juillet 2008, avec 64 250 détenus recensés à cette date. Et l’on prévoit que le nombre de détenus pourrait s’élever à 80 000 en 2017, un chiffre suffisamment sérieux pour avoir été repris par le centre d’analyse stratégique dans sa note du 17 septembre 2007, intitulée Contrôle des lieux d’enfermement : les enjeux internationaux. Je ne sais pas où nous allons…

Pour résumer, nous sommes pris dans un cercle vicieux que le Gouvernement refuse délibérément d’arrêter, en faisant adopter des lois toujours plus répressives. Dès qu’une voix s’élève pour critiquer votre politique pénitentiaire, à l’instar de celle de Martine Herzog-Evans, qui vient de démissionner de la commission chargée d’accorder un label européen à certaines prisons, des pressions sont exercées afin qu’aucun cheveu ne dépasse, si vous me permettez d’employer cette expression.

Les rapports successifs du commissaire européen aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ne suscitent pas la moindre émotion à la Chancellerie. Ce devrait pourtant être le cas tant ils dénoncent une situation intolérable, que les parlementaires français avaient déjà, par le passé, jugée insupportable et qui, depuis, ne s’est pas améliorée, loin s’en faut.

Je crois vraiment qu’il est temps de changer de politique pénale. Dans ce contexte, nous ne pouvons approuver ce projet de budget. Je dois dire également que le projet de loi pénitentiaire, que vous avez présenté en conseil des ministres le 28 juillet dernier, apparaît, d’une part, en total décalage avec vos actions et, d’autre part, terriblement insuffisant en termes de moyens alloués aux administrations.

À mon tour, je veux m’associer à l’hommage qui a été rendu à tous les personnels – magistrats, personnels de l’administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse –, qui accomplissent un travail très difficile mais sont sans cesse attaqués d’une façon ou d’une autre, y compris par le Gouvernement, qui est censé les protéger. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)