Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’est pas de jour où nous ne soyons, en conscience, interpellés par la coexistence paradoxale de richesses incommensurables et de situations de précarité insoutenables.

À l’heure où l’éclat des vitrines, pour les fêtes de fin d’année, éveille précisément un peu plus nos consciences, je voudrais remercier la conférence des présidents de la Haute Assemblée d’avoir accepté l’inscription à notre ordre du jour de cette question orale de notre collègue Muguette Dini, qui porte sur un sujet d’une sensibilité toute particulière.

La question du surendettement est alarmante : non seulement le nombre de nos concitoyens surendettés va croissant, mais cette progression s’accompagne d’un phénomène de banalisation extrêmement dangereux. Différentes études nationales laissent à penser que plus de trois millions et demi de familles, soit plus de sept millions de personnes, c’est-à-dire 15 % de la population, seraient insolvables.

Jadis, le surendettement était si exceptionnel que la littérature s’en emparait : nous avons tous en tête le personnage de César Birotteau, créé par Balzac. Seuls les milieux les plus aisés faisaient appel au crédit, gagé le plus souvent sur d’importants biens immobiliers.

Aujourd’hui la situation est tout autre : si, paradoxalement, face à la grave crise économique que nous traversons, les banques restreignent l’attribution de crédits, ceux que l’on dit « revolving » se multiplient comme les métastases d’un cancer financier gagnant sans discernement la totalité d’un organisme malade qui n’est autre que le corps social.

Le crédit revolving s’est insidieusement, sournoisement, imposé comme l’outil normal de gestion du budget familial, et il a donné naissance à cette spirale infernale du surendettement qui frappe ceux qui n’ont pas su ou, souvent, pas pu résister à un système dans lequel publicité mensongère et organismes de crédit sans foi ni loi se sont associés à leur dépens.

La publicité mensongère est très largement responsable de ce fléau. Elle va jusqu’à faire croire aux consommateurs que les organismes de crédit n’agissent que par compassion envers ceux qui ont besoin d’argent ; elle leur laisse supposer qu’ils sont, par eux-mêmes, en mesure de choisir les modalités de remboursement d’un prêt réputé avantageux. Il n’en est rien, bien sûr, puisque ces opérateurs bancaires ne peuvent en aucun cas s’engager dans l’absolu sur un taux d’intérêt qui varie, de fait, en fonction de chaque situation particulière.

Ennemis numéro un des consommateurs fragiles, ils vont jusqu’à les détrousser in situ, c’est-à-dire sur les lieux mêmes de vente, où les crédits sont octroyés « aux forceps » par des vendeurs intéressés au nombre et au montant des ventes conclues à crédit. Parfaitement conscients du travers de notre société, où l’on veut tout, tout de suite, quel que soit le prix, payé à tempérament sur trois, douze ou trente-six mois, ils se font vendeurs de rêves et d’illusions, sans garde-fous, sans possibilité de recours.

La désinformation ou, à tout le moins, l’affichage insuffisant des conditions dans lesquelles le crédit est accordé constituent le point de départ du surendettement. Trop souvent, le taux effectif global annuel du crédit – ce fameux TEG dont personne au demeurant ne connaît la signification – n’apparaît pas, ou alors en caractères si minuscules qu’il est de fait invisible, laissant place à l’affichage d’un taux mensuel, beaucoup plus séduisant. Le contractant entre alors malgré lui dans un dramatique engrenage, contraint désormais de s’endetter pour acquérir non pas le superflu, mais bien l’indispensable, en prélude d’une spirale que j’ai déjà qualifiée d’infernale et qui va faire de lui un débiteur permanent, un automate du remboursement.

Ainsi, le vieil adage qui voulait que l’on ne prête qu’aux riches est aujourd’hui totalement contredit, puisque c’est bien aux plus démunis que l’on fait miroiter les « merveilles » de la société de consommation par l’attribution de ces crédits revolving. Les familles monoparentales et les retraités aux revenus les plus faibles sont les premiers touchés. Comme beaucoup, ils n’ont pas une compétence juridique suffisante pour lire les contrats et n’accèdent pas aisément aux conseils des hommes de loi.

Quelques chiffres viennent à l’appui de ce constat établi par le Conseil économique et social dans un important rapport sur cette question : plus des deux tiers des personnes surendettées vivent seules, 55 % d’entre elles sont des employés ou des ouvriers, 36 % des chômeurs ou des inactifs ; enfin, 92 % des surendettés ne possèdent aucun patrimoine immobilier.

Toutefois, les opérateurs bancaires ne sont pas seuls à sévir. Un certain nombre de grandes surfaces aux enseignes bien connues ont adopté des démarches commerciales tout aussi pernicieuses en délivrant leurs propres cartes de crédit ou en instaurant un système qui permet au client, après un paiement partiel immédiat de l’achat – à hauteur par exemple de 5 % – d’acquitter le solde par le biais d’un crédit revolving. Dans tous les cas de figure, quelle que soit la somme, l’objectif est que le contractant n’ait jamais conscience du montant qu’il a réellement emprunté.

Dans un tel contexte, j’ai pleinement souscrit aux dispositifs législatifs existants, en particulier la loi Neiertz et la loi Borloo, qui avaient pour objet de protéger les populations les plus fragiles et de leur donner une chance de se remettre debout. Cependant, ces dispositifs eux-mêmes sont devenus pour partie inopérants. Il est donc impératif d’aller vers des mesures complémentaires, qui permettront de remédier aux ravages que nous constatons chaque jour.

Comment, dès lors, ne pas approuver le dépôt de cette proposition de loi tendant à faire appliquer les quatre principes que M. Marini a rappelés tout à l’heure : l’encadrement des conditions de publicité du crédit à la consommation ; l’information exhaustive de l’emprunteur avant la conclusion de toute opération de crédit ; la responsabilisation des établissements de crédit eux-mêmes ; l’encadrement des nouvelles formes de crédit ?

Appliquer ces principes est aujourd’hui devenu indispensable si l’on veut donner une nouvelle portée au dispositif de rétablissement personnel, qui, dans les faits, est non pas un dispositif de la deuxième chance, mais seulement le moyen d’aider – provisoirement, trop souvent – des personnes à bout de ressources.

Des spécialistes des commissions de rétablissement personnel, confrontés quotidiennement à des situations dramatiques, ont souligné auprès de chacun d’entre nous la nécessité de simplifier le fonctionnement desdites commissions, de réduire les délais d’instruction – neuf mois sont un délai insupportable pour les personnes qui vivent au jour le jour dans l’angoisse du lendemain ! –, de déjudiciariser pour partie les procédures de façon à introduire une plus grande fluidité, de clarifier la notion même de situation financière « irrémédiablement compromise », qui donne lieu à interprétations diverses.

Je veux croire qu’aucun membre de la Haute Assemblée ne peut rester insensible au fait que les commissions de surendettement ont chaque année à traiter 180 000 dossiers supplémentaires.

Je veux croire qu’ensemble nous chercherons les solutions les plus efficaces pour mettre un terme à des pratiques cyniques et donner une lueur d’espoir à ceux qui se sont perdus dans la jungle des usuriers.

Je m’associe donc, avec détermination, à la réflexion conduite par nos collègues qui veulent rendre au crédit sa vraie fonction : libérer, et non opprimer. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées de lUMP et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier Mme Muguette Dini de nous avoir donné l’occasion, par le dépôt de cette question orale, de traiter d’un problème récurrent. Les interventions que nous avons déjà entendues montrent bien que ce thème échappe aux clivages purement politiques et concerne tout le monde. Je suppose, monsieur le secrétaire d’État, que vous-même y êtes confronté dans vos permanences, comme chacun d’entre nous et peut-être même plus encore puisque le secteur de la consommation relève de vos responsabilités.

Les chiffres figurant dans le texte de la question orale montrent bien à quel point la situation est préoccupante. Il est donc indispensable de renforcer les dispositions existantes et d’abord, me semble-t-il, d’accélérer les procédures, dont la lourdeur actuelle engendre des situations familiales quasiment inextricables.

J’ignore comment nous pourrions y parvenir. J’estime néanmoins qu’il faudrait faire en sorte, lorsqu’un dossier de surendettement est ouvert, qu’il aboutisse très rapidement. En effet, entre le moment où un dossier est déposé, signe que la famille est déjà dans une situation difficile, et celui où des mesures sont prises s’écoule une période durant laquelle la famille n’a plus de ressources, puisque, en général, elle est harcelée par ses créanciers, ce qui est d’une certaine façon logique, alors que la banque n’intervient plus.

Comme en toute chose, mieux vaut prévenir que guérir, d’autant que le surendettement, s’il concerne au premier chef les familles aux ressources les plus faibles, frappe également, et plus souvent qu’on ne le pense, des familles connaissant une situation financière moins tendue : c’est alors la conséquence soit d’un accident de la vie, soit d’un manque de vigilance dans la gestion du budget familial, à laquelle de nombreuses personnes ont été insuffisamment préparées.

Je souscris bien sûr à la suggestion de mieux encadrer l’attribution des prêts à la consommation ; j’y reviendrai dans un instant.

Dans l’immédiat, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais vous livrer quelques réflexions concernant la prévention, que j’envisagerai sous trois aspects : la formation, l’alerte et l’anticipation.

S’agissant de la formation, il est habituel de souligner que l’on ne s’improvise pas chef d’entreprise, quelle que soit l’activité économique considérée, et qu’exercer de telles responsabilités exige que l’on s’y soit préparé. Ce principe ne vaut-il pas quand il s’agit de la gestion d’un budget personnel ou familial ? Ne pourrait-on, monsieur le secrétaire d’État, imaginer qu’au cours de leur scolarité les jeunes, au-delà de l’apprentissage des savoirs fondamentaux que sont la lecture, l’écriture et le calcul ou de la formation à un métier, soient préparés à gérer un budget familial ? Je soupçonne qu’il en est rarement ainsi, pourtant une telle compétence intéresse l’ensemble de nos concitoyens.

M. Jean-Claude Carle. C’est une bonne proposition !

M. Charles Revet. Ainsi, effectuer ses achats de façon rationnelle peut souvent permettre de réaliser de substantielles économies d’échelle.

J’en viens maintenant à la prévention considérée sous l’angle de l’alerte et de la réactivité.

Quand on examine la situation d’une personne confrontée à des problèmes financiers, on constate qu’elle essaie en général au maximum d’acquitter malgré tout ce qu’elle doit, notamment son loyer ou ses factures d’eau et d’électricité, avant finalement de lever le pied, sa position devenant inextricable.

Souvent, il ne se passe rien avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Ce n’est que longtemps après que la personne reçoit un courrier la mettant en demeure de payer ses dettes. Mais à ce stade, le montant de ces dernières est tel que le débiteur se trouve dans l’impossibilité de les régler.

Or, aujourd'hui, les modalités de la gestion des logements locatifs ou des factures d’électricité, par exemple, permettent de déceler très vite une situation de blocage. Il faudrait alors réagir à cette alerte pour tenter de comprendre la raison de cette situation. Des aménagements de paiement permettraient souvent à la famille de passer le cap difficile, ce qu’elle ne peut plus faire ensuite.

Il faudrait donc inciter les organismes créanciers, quels qu’ils soient, à réagir plus vite à un défaut de paiement, afin qu’il soit possible d’envisager suffisamment tôt les moyens d’aider la famille à passer la période difficile.

J’évoquerai enfin ce que j’appellerai l’anticipation des difficultés ou l’action en amont, qui passe par la mise en place de dispositifs de régulation des prêts à la consommation, dont l’attribution irraisonnée est très souvent la principale cause des situations de surendettement.

À cet instant, je ne citerai qu’un seul exemple, choisi parmi des dizaines d’autres.

Alors que je présidais un office public d’aménagement et de construction de ma région, une personne est venue à ma permanence me demander de l’aider à trouver un logement parce que, ne pouvant rembourser ses prêts, elle allait devoir vendre le sien.

Nous avions, à l’époque, mis en place un dispositif permettant que l’office rachète le logement chaque fois que possible, y maintienne la famille à titre de locataire et, éventuellement, en cas de retour à meilleure fortune, le lui revende ultérieurement. Cela a été fait dans des dizaines de cas.

En l’occurrence, après analyse de la situation réelle de la famille en question, il est apparu que, en deux ans, elle avait réussi à se faire octroyer trente-huit prêts à la consommation, dont le montant cumulé des remboursements équivalait à pratiquement deux fois le total de ses ressources ! Comment pouvait-elle s’en tirer ?

Il faut, bien sûr, responsabiliser la famille en situation de surendettement, qui, en l’espèce, disposait de ressources non négligeables, mais il convient aussi de responsabiliser les organismes de crédit, qui allouent souvent les prêts avec légèreté.

Monsieur le secrétaire d'État, j’approuve l’idée de mettre en place un fichier positif. Je sais bien qu’elle suscite de nombreuses réserves, mais que l’on m’explique pourquoi ce qui est possible en Allemagne ou ailleurs ne le serait pas chez nous !

J’ai moi-même déjà déposé des amendements à cette fin dans le passé, et on m’a chaque fois demandé de les retirer. Je sais que la CNIL a émis des réserves, mais lorsque la commission des affaires économiques a entendu son président voilà quelques semaines, celui-ci nous a expliqué que, malgré quelques interrogations, la position de la CNIL avait évolué et qu’il appartenait désormais au Parlement de légiférer.

En tout état de cause, monsieur le secrétaire d'État, il est urgent d’intervenir, car ces situations de surendettement se multiplient. J’espère que l’examen des propositions de loi qui ont été évoquées tout à l’heure nous permettra de le faire.

Il est impératif de prendre en compte cette problématique, car des familles se trouvent meurtries à vie. En effet, même si des dispositifs de traitement du surendettement peuvent jouer, elles ne parviendront jamais à se remettre à niveau.

Notre responsabilité de législateur est de faire de la prévention en responsabilisant les familles et en les formant, mais aussi en mettant un terme aux abus manifestes de certains organismes de crédit. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bourdin.

M. Joël Bourdin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le surendettement n’est pas une nouveauté dans un pays qui, malgré sa richesse et son haut niveau de développement, compte une fraction de sa population vivant au-dessous du seuil de pauvreté.

Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que cette même partie de la population est la cible, depuis quelques années, d’organismes spécialisés dans la distribution de prêts à la consommation, utilisant des méthodes certes variées, mais présentant des caractéristiques identiques.

La première est la spontanéité. Les dépliants publicitaires indiquent toujours qu’il suffit de composer un numéro de téléphone ou d’effectuer un simple « clic » sur la souris d’un ordinateur pour obtenir un crédit. On a affaire à un système d’exploitation de la compulsion.

La deuxième caractéristique commune est l’attribution d’un montant maximal disponible de crédit, baptisé « réserve disponible », en fonction de critères qui ne sont jamais connus. Curieusement, lorsque l’emprunteur, à force de puiser dans cette réserve, atteint le plafond, celui-ci augmente ! Cela fonctionne toujours ainsi.

La troisième caractéristique, c’est un rappel permanent du montant de crédit disponible, cela par tous les moyens, notamment un harcèlement publicitaire par courrier.

Ainsi, quand on étudie le dossier d’une personne ayant souscrit de tels crédits, on s’aperçoit qu’elle est bombardée de courriers lui rappelant que la réserve disponible n’a pas encore été complètement utilisée, qu’il reste encore une marge…

La quatrième caractéristique, c’est l’absence de prise en considération de la situation du contractant, en particulier de ses autres engagements financiers. Il suffit de se rendre dans un grand magasin et de se présenter au comptoir où l’on délivre les crédits pour en obtenir un. On est ensuite relancé pendant des années par des courriers rappelant qu’une réserve de crédit est disponible.

La cinquième caractéristique, c’est bien sûr le coût extrêmement élevé des crédits délivrés. Des charges diverses sont intégrées dans le calcul du taux effectif global, auxquelles s’ajoutent de surcroît des primes d’assurance et toutes sortes de frais, de manière que, pour un crédit de 250 euros par mois par exemple, on rembourse à peine 90 euros de capital, le reste étant constitué d’intérêts, de charges diverses, de frais d’assurances…

M. Charles Revet. C’est vrai !

M. Joël Bourdin. Si l’on additionne le tout, je suis persuadé que le taux d’usure est dépassé.

En outre, les états de remboursement sont illisibles. J’ai le sentiment de bien connaître les finances, pour les enseigner et être expert-comptable de formation, pourtant quand j’examine un avis d’échéance reçu par une personne ayant souscrit un crédit à la consommation, j’ai peine à comprendre comment on aboutit aux montants indiqués, quelle est la durée restant à courir… C’est absolument invraisemblable, les documents d’engagement sont illisibles !

Bref, la question du surendettement nous amène tout naturellement à celle du marché des crédits à la consommation, qui, pour une part importante, recouvre tout de même, il faut bien le dire, des pratiques peu ragoûtantes de harcèlement et d’exploitation des plus démunis. Bien sûr, tout le monde peut avoir accès à ces crédits, mais ce sont malheureusement les moins informés, ceux qui ont le plus de difficultés, qui en sont les destinataires naturels.

Lorsque l’on étudie une situation de surendettement liée à la souscription de crédits à la consommation, que constate-t-on ?

Il est rare qu’une personne surendettée n’ait fait appel qu’à un seul organisme. Charles Revet évoquait tout à l’heure le dossier d’un habitant de la Seine-Maritime, qui avait contracté trente-huit crédits pour un montant de remboursements double de son revenu.

On relève, le plus souvent, que les crédits ont été contractés auprès de plusieurs organismes : le premier d’entre eux qui accorde un crédit assure le chiffre d’affaires des suivants ! Ils sont complémentaires et se tiennent tous de cette façon. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il y ait eu, au cours de ces dix dernières années, une prolifération des organismes de crédit à la consommation.

En tant que parlementaires, nous ne pouvons tolérer une telle dérive, dont les victimes, je le rappelle, sont les plus démunis. Que ces derniers puissent avoir accès au crédit me semble tout à fait normal, mais ce que nous ne pouvons accepter, c’est qu’on leur accorde des prêts sans prendre en considération leur situation et en les engageant dans un processus dangereux.

Je remercie notre collègue Muguette Dini d’avoir permis cette discussion, comme je remercie Philippe Marini d’avoir déposé une proposition de loi sur ce thème. Je me réjouis que nous puissions aborder de nouveau le sujet au mois de janvier. En effet, il est temps d’intervenir pour réglementer la publicité dans ce domaine.

J’en viens maintenant au fichier positif.

J’ai remis voilà deux ans – Yvon Collin s’en rappelle très bien, lui qui est membre de la Délégation du Sénat pour la planification – un rapport sur l’accès des ménages au crédit en France, qu’il s’agisse des crédits immobiliers ou des crédits à la consommation.

M. Yvon Collin. Excellent rapport !

M. Joël Bourdin. Nous étions tous tombés d’accord pour préconiser la création d’un fichier positif recensant tous les crédits accordés.

Je suis très étonné qu’une telle mesure n’ait pas encore été prise, d’autant que le verrou de la CNIL a sauté.

M. Charles Revet. Oui, c’est fait !

M. Joël Bourdin. En revanche, le Comité consultatif du secteur financier, le CCSF, qui dépend de la Banque de France, est toujours réticent. Je me demande si une forme de lobbying ne s’exerce pas dans cette affaire (Mme Muguette Dini approuve), car créer un fichier positif me paraîtrait vraiment une bonne chose. Cela permettrait d’éviter l’apparition de situations inimaginables comme celle qu’évoquait Charles Revet.

Heureusement, les commissions de surendettement peuvent maintenant intervenir dans de tels cas, conjointement avec la Banque de France, pour annuler totalement ou en partie les prêts accordés trop libéralement par certains établissements.

Une évolution a donc déjà été enregistrée, mais il faudrait aller encore un peu plus loin, en donnant aux organismes de crédit la possibilité de consulter un fichier, bien évidemment confidentiel,…

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Joël Bourdin. … tenu par la Banque de France, pour vérifier si la personne est en mesure de rembourser le prêt envisagé. C’est le b-a-ba de la finance ! Avançons donc dans cette voie, même s’il nous faut prendre certaines précautions.

Mes chers collègues, je suis ravi que l’occasion nous ait été donnée de discuter de cette question, sur laquelle nous reviendrons dans quelque temps. Philippe Marini a eu raison de souligner qu’à l’origine de la grave crise, pour dire le moins, que nous vivons actuellement, se trouve la distribution, par des banques américaines, de crédits à des personnes incapables de les rembourser. Certes, nous n’en sommes pas là pour les crédits à la consommation, mais n’accordons tout de même pas une confiance absolue aux organismes qui les octroient ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement. Je tiens d’abord à vous remercier, madame Dini, d’avoir permis cette discussion, par le dépôt de votre question orale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous féliciter de la bonne tenue du présent débat. Sur un sujet qui touche de si près à la vie quotidienne de nos concitoyens, vous avez démontré que le Parlement est capable de formuler de nombreuses propositions, émanant de toutes les travées. Au-delà des diverses sensibilités politiques, je constate une convergence de vues et une volonté commune d’avancer.

La question du surendettement affecte le quotidien de nos concitoyens. En tant que parlementaire, je m’y étais moi-même beaucoup intéressé.

Tout d’abord, en 2003, j’avais réalisé une mission parlementaire de six mois à la demande du Premier ministre et remis un certain nombre de propositions. Puis, comme cela a été rappelé tout à l'heure, j’avais déposé, en janvier 2005, une proposition de loi sur ce sujet, qui a permis d’obtenir quelques avancées.

Nous avons donc à traiter cette question terriblement difficile du surendettement, phénomène qui touche environ 3 % des ménages français et peut entraîner certains de nos concitoyens dans la spirale infernale de l’exclusion. Parallèlement, nous devons conforter l’outil essentiel pour la croissance et l’économie que constitue le crédit à la consommation.

Par conséquent, il est important de bien placer le curseur et d’adapter en permanence notre législation pour permettre le traitement des cas les plus douloureux et éviter à nos concitoyens d’entrer dans la spirale infernale du surendettement, sans pour autant entraver le jeu d’instruments très utiles pour favoriser la consommation des ménages.

Ainsi, un ménage sur deux qui se procure un bien ou un service à crédit indique qu’il n’aurait pas réalisé cet achat s’il n’avait pu bénéficier d’un crédit à la consommation. C’est dire l’importance de l’enjeu économique, qui se chiffre en milliards d’euros.

Au préalable, il convient de dresser un état de la situation et de revenir sur les statistiques du surendettement. Même si celles-ci ne rendront jamais compte, bien sûr, de la détresse des personnes et des familles, elles permettent néanmoins de guider l’action publique.

Le nombre de ménages qui déclarent rencontrer des difficultés pour rembourser leurs dettes est actuellement en cours d’évaluation par l’institut TNS-Sofres pour l’Observatoire des crédits aux ménages. Il sera vraisemblablement élevé, eu égard à la conjoncture économique actuelle, marquée par un ralentissement prononcé de l’activité économique et une hausse du nombre des demandeurs d’emploi.

À ce stade, les chiffres du surendettement publiés par la Banque de France montrent que le nombre de dossiers de surendettement n’a pas sensiblement progressé depuis un an, connaissant une hausse de 1,3 % sur les onze premiers mois de l’année 2008 par rapport à la même période de l’année 2007. Cependant, je me garderai de tout triomphalisme, car il est probable que la situation économique actuelle aura une incidence sur les chiffres du surendettement.

Quand les difficultés apparaissent, saisir la commission de surendettement – ce qui contribue à dégrader les statistiques – est de loin préférable à rester dans l’isolement.

Chaque année, ce sont près de 155 000 dossiers de surendettement qui sont déclarés éligibles auprès de la Banque de France. Ce nombre est stable depuis plusieurs années. L’enquête triennale de la Banque de France sur le surendettement parue en septembre dernier montre que les accidents de la vie – perte d’emploi, maladie, divorce, décès du conjoint – restent la principale cause du surendettement, puisqu’ils concernent les trois quarts des dossiers, ainsi que l’a observé M. Biwer.

Je tiens à souligner que le Gouvernement est particulièrement attentif à l’évolution du surendettement. Pour assurer une totale transparence en la matière, la Banque de France réalise un baromètre trimestriel du surendettement, téléchargeable depuis son site internet, qui fournit régulièrement et rapidement des informations statistiques qui nous sont très utiles.

Je profite de cette occasion pour vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, la politique du Gouvernement en matière de surendettement.

Cette politique repose sur deux piliers : la prévention et un traitement adapté à la situation économique et sociale des personnes concernées.

Concernant la prévention, vous avez souligné avec raison, madame Dini, que notre réglementation est protectrice.

La prévention du surendettement, c’est d’abord une distribution responsable du crédit. En France, les organismes de crédit sont tous régulés et contrôlés par la Commission bancaire. Cela explique en partie pourquoi notre pays n’a pas connu les dérives des subprimes, à l’origine de la crise financière de ces derniers mois. Nous pouvons bien sûr nous en féliciter, mais, pour autant, il nous reste un long chemin à parcourir.

Bien que je partage, par ailleurs, nombre des idées de M. Marini, je ne suis pas certain que la solution consiste à restreindre l’accès au crédit en interdisant sa distribution sur le lieu de vente, comme il le propose dans sa proposition de loi.

Que se passerait-il si nous prohibions l’octroi de crédits par les grandes surfaces ou les concessionnaires automobiles, par exemple ? Le consommateur se rendrait dans l’établissement bancaire le plus proche afin d’y contracter un crédit à la consommation…

Le crédit est utile et nécessaire. Je rappelle que c’est un produit populaire, puisque neuf millions de ménages français, soit 33 % d’entre eux, remboursent un crédit à la consommation.

Ces crédits à la consommation permettent de réaliser des achats qui seraient inenvisageables pour ceux de nos concitoyens appartenant aux catégories les moins favorisées. Ainsi, deux véhicules neufs sur trois sont achetés à crédit. De même, ils permettent à certains ménages de faire face à des dépenses urgentes, par exemple pour remplacer un appareil électroménager en panne, ou à des circonstances difficiles, particulièrement dans la période actuelle.

Dans la conjoncture présente, il faut certes que le crédit soit plus abondant, car nous en avons besoin, mais également qu’il soit plus responsable. Sur ce point, je fais miens vos objectifs, monsieur Marini.

Notre effort doit porter avant tout sur le crédit revolving.

Christine Lagarde et moi-même avons réinstallé, voilà quelques mois, le Comité consultatif du secteur financier, auquel nous avons assigné pour mission prioritaire de nous faire des propositions d’amélioration du crédit revolving. À cette fin, nous lui avons commandé une étude sur le crédit renouvelable, qui a été réalisée par le cabinet Athling Management et sera présentée demain.

Pour la première fois, les pratiques de distribution du crédit renouvelable sont décrites, quelle que soit la nature des organismes prêteurs : les banques, les établissements de crédit, les sociétés financières, les grands magasins, la grande distribution, mais aussi la vente par correspondance. Ce rapport comporte également des propositions très concrètes, qui nous permettront de bâtir un projet destiné à responsabiliser les acteurs de la distribution et de la diffusion du crédit revolving.

Par ailleurs, au cours d’une visite qu’il a faite voilà quelques jours dans le département de l’Oise, le Président de la République a demandé à Christine Lagarde et à Martin Hirsch d’avancer sur ces questions, dans l’environnement économique difficile que nous traversons. Ils réuniront demain un certain nombre de personnalités connaissant bien le secteur du crédit à la consommation, dont des parlementaires, pour engager une réflexion devant déboucher sur l’élaboration d’un projet de loi relatif au crédit à la consommation. Il s’agit réellement du début d’un processus qui doit nous conduire à trouver ensemble des solutions propres à favoriser le développement d’un crédit responsable.

De plus, nous tirerons profit de la transposition de la directive relative au crédit à la consommation, prévue au début de l’année 2009, pour refonder notre droit en la matière. Je partage votre volonté d’aller vite, monsieur Marini. Cette directive fixera un nouveau cadre et nous permettra d’améliorer sensiblement la situation.

S’agissant du crédit renouvelable, plusieurs questions essentielles se posent.

Nous devons d’abord trouver les moyens de réguler la publicité, qui est aujourd'hui trop agressive, comme l’a indiqué Mme Escoffier. Il nous faut trouver de nouvelles voies à cet égard, car, depuis une vingtaine d’années, l’encadrement par la loi de ces pratiques publicitaires n’a pas donné, il faut en convenir, les résultats escomptés. Pourtant, nous n’avons pas lésiné en matière de dispositions législatives. M. Marini a inscrit des suggestions intéressantes dans sa proposition de loi, nous devrons indiscutablement nous en inspirer.

Souscrire un crédit est un acte qui engage. Par conséquent, on ne doit pas pouvoir en contracter un sans s’en rendre compte. Nous devons réfléchir aux garde-fous à mettre en place pour faire en sorte que les consommateurs soient bien conscients de l’engagement qu’ils prennent, souvent pour plusieurs années, et qui peut parfois aboutir à les placer dans une situation extrêmement difficile.

Enfin, il importe de mettre un terme aux sollicitations et au démarchage trop agressifs, renouvelés à une fréquence déraisonnable.

Comme l’ont suggéré Mme Escoffier et M. Bourdin, je suis favorable à l’instauration d’un seuil minimal d’amortissement du capital en matière de crédit renouvelable. C’est une autre piste intéressante.

Mme Dini et M. Marini ont également évoqué la responsabilité du prêteur. La directive relative au crédit à la consommation prévoit un devoir d’explication et une obligation d’évaluer la solvabilité des emprunteurs. Il s’agira, à mon sens, d’une avancée importante au bénéfice des consommateurs. Le débat parlementaire nous permettra de progresser.

Voilà quelques-uns des sujets qui seront évoqués demain avec Christine Lagarde et Martin Hirsch en vue de la présentation par le Gouvernement, au début de l’année 2009, d’un texte de nature à refonder en France le droit du crédit à la consommation.

Vous avez été un certain nombre à évoquer la circulation de l’information sur les difficultés d’endettement, en d’autres termes, les fichiers.

S’agissant de la création d’un fichier positif, reprise par plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ferai une confidence. En tant que député, j’ai moi-même déposé une proposition de loi et signé plusieurs amendements en ce sens. Peut-être vais-je décevoir certains d’entre vous, mais j’ai été amené à réviser ma position, non pas tant du fait de la realpolitik gouvernementale qu’en raison des éléments d’analyse que j’ai pu obtenir.

J’ai tout d’abord constaté que les principaux intéressés, exception faite de quelques établissements financiers, y sont résolument opposés. Les associations de consommateurs n’y sont pas favorables. La commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, n’y est pas non plus favorable.

Les exemples étrangers ne sont en outre pas totalement probants en matière de réduction du surendettement. Je me rappelle avoir assisté au lancement du fichier positif en Belgique. À l’expérience, on a pu constater que cela n’avait pas permis de réduire le surendettement chez nos voisins.

Enfin, dernier argument, au moment où le Gouvernement, le Parlement et la majorité cherchent plutôt à faciliter les choses en simplifiant les procédures administratives, ficher 100 % des consommateurs dans tous leurs actes de la vie courante, alors que seuls 3 % de nos concitoyens sont directement concernés par le surendettement ne me paraît pas forcément la meilleure idée.

Le Gouvernement n’a pas pour autant décidé de rester inactif, bien au contraire, et il a accéléré la réforme en profondeur du fichier des incidents de crédit.