M. le président. Quel est l’avis de la commission sur cette proposition ?

M. Francis Grignon, rapporteur de la commission des affaires économiques. Elle y est favorable, monsieur le président.

M. le président. Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

M. Charles Revet. C’est la sagesse !

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remplace à cette tribune M. Claude Biwer, qui a dû repartir dans son département, la Meuse, et M. Jean Boyer, qui a dû rentrer en Haute-Loire. C’est là une illustration de l’un des objectifs de notre intervention : vous montrer la grande inégalité des Français en matière de trafic ferroviaire ! (Sourires.)

Mme Mireille Schurch. Absolument !

M. Michel Mercier. S’il y avait, s’agissant de la Meuse, plus d’un train par jour entre Bar-le-Duc et Paris et si, pour se rendre en Haute-Loire, il ne fallait pas rejoindre Lyon pour tenter ensuite de trouver un hypothétique train pour le Puy-en-Velay, mes deux collègues seraient présents et je n’aurais pas à les remplacer.

En ce qui me concerne, je représente un département bénéficiant de quatre gares de trains à grande vitesse,…

M. Charles Revet. Et voilà !

M. Michel Mercier. … ce qui démontre bien que quand on veut, on peut construire un réseau ferroviaire de grande qualité !

D’ailleurs, il ne nous manque plus qu’une ligne de TGV.

M. Michel Mercier. Elle relierait la gare d’Austerlitz à Orléans, Blois, Clermont-Ferrand, Roanne et Lyon. Dès que vous aurez mis cette ligne en service, monsieur le secrétaire d’État, vous pourrez vous voir confier un autre portefeuille ! (Sourires.)

En attendant, je voudrais apporter ma pierre à l’édifice que construisent M. le président de la commission et M. le rapporteur. Nous sommes globalement d’accord sur l’économie du projet de loi qui nous est proposé. Notre groupe présentera simplement quelques amendements afin d’aller vers plus de justice, notamment plus de justice tarifaire.

Cela étant dit, pour faciliter les débats et faire en sorte que nous puissions nous attaquer à la discussion des articles avant la clôture de dix-neuf heures, je laisse la place aux autres orateurs. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le fret ferroviaire serait-il délaissé parce qu’il ne transporte que des marchandises, lesquelles, à la différence des usagers du transport de voyageurs, ne votent pas ? (Sourires.) Par cette boutade, je veux souligner que ce texte témoigne de l’abandon total des entreprises implantées hors des grands axes ferroviaires et qui sont tributaires de livraisons de marchandises de faible quantité.

Alors que la crise que nous vivons à l’heure actuelle se traduit par des flux de plus en plus tendus sur les différents marchés, par des fermetures d’entreprises et par l’explosion du chômage, à l’heure des promesses environnementales et des perspectives – bien réelles, celles-là – d’une économie un peu plus verte, à l’heure de plans de relance axés sur l’investissement, le fait de soumettre au Parlement, certes après quelques péripéties, un projet de loi concernant directement les transports ferroviaires mais qui ne traite pas réellement de cette question, laquelle emporte celles du développement durable, de l’aménagement de nos territoires et de la sauvegarde des emplois, relève de l’aberration !

Confronté dans mon département – à l’instar, sans doute, de nombre de mes collègues –, aux problèmes posés par le transport de marchandises par wagons isolés, je suis intervenu, le 29 janvier dernier, lors de l’examen de l’article 10 du projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dit « Grenelle I ».

J’ai – j’ose le dire ! – pris le train en marche pour évoquer la situation de l’entreprise Bayer, implantée à Marle, qui, en 2004, avait conclu un accord ponctuel avec la SNCF. Le problème n’a pourtant pas été résolu, car il est structurel : le service de transport par wagons isolés, assuré en l’espèce depuis trente ans par l’opérateur historique, est aujourd’hui proposé à des conditions telles – nombre de prestations réduit, prix multiplié par quatre, ponctualité non garantie ! – que l’entreprise cliente se voit contrainte de choisir entre le recours au transport routier, la délocalisation ou la fermeture pure et simple.

Une telle situation doit être considérée au regard des objectifs, très louables, du Grenelle I. Il est ainsi gravé dans le marbre de la loi que le transport ferroviaire sera prioritaire ; que des moyens dévolus à la politique des transports non routiers et non aériens seront mobilisés pour atteindre, en première étape, une croissance de 25 % de part de marché d’ici à 2012 ; qu’un effort financier multiplié par 2,5 est promis pour la régénération du réseau, et ce compte tenu des enjeux de développement économique, d’aménagement et de compétitivité des territoires.

Dans le cadre de tels objectifs, que l’on ne peut qu’approuver, même s’ils sont déclinés au futur – mode de conjugaison que le législateur devrait, soit dit en passant, s’interdire –, la question du transport par wagons isolés est, certes, prise en compte, mais dans la seule perspective de l’éventuelle création d’opérateurs ferroviaires privés dits de proximité, les OFP.

Cela confirme donc l’abandon par la SNCF de l’activité de fret par wagons isolés. Les chiffres publiés montrent d’ailleurs l’abandon du fret ferroviaire dans son ensemble : entre 2000 et 2007, celui-ci est passé de 56 milliards à 40 milliards de tonnes-kilomètres transportées et a encore reculé de 7 % entre 2007 et 2008. En réalité, 85 % du fret est transporté par camion ; n’oublions pas que la SNCF, avec sa filiale Geodis, est devenue le premier transporteur routier.

Au début du mois de septembre 2007 – soit un mois et demi avant la tenue du Grenelle de l’environnement –, l’annonce d’une perte de 260 millions d’euros pour la branche fret de la SNCF a été suivie de celle de la fermeture de 262 gares françaises où était assurée l’activité de wagons de marchandises isolés.

Entendu le 16 octobre 2007 par la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire de l’Assemblée nationale, le directeur général délégué de Fret SNCF s’était voulu rassurant, en affirmant qu’il convenait « de relativiser l’impact de ces fermetures et de n’oublier ni les solutions de remplacement proposées ni l’économie de moyens ainsi réalisée par la SNCF et réinvestie ailleurs ». Ses propos confirmaient aussi, malheureusement, que la SNCF opère d’abord des choix de rentabilité pour économiser et investir ailleurs. La SNCF « libéralisée » est devenue une entreprise qui doit équilibrer ses comptes, ce qui est somme toute normal, mais elle le fait au détriment de son rôle d’acteur de l’aménagement du territoire. Quant aux solutions de remplacement évoquées, elles sont, pour l’instant, soit routières soit inexistantes.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà donc la triste réalité ! Elle relativise terriblement les engagements du Grenelle I et contredit totalement ses objectifs ! Vous connaissez les données et leurs conséquences en termes d’aménagement du territoire, qui recouvre des enjeux à la fois environnementaux, économiques, sociaux et sociétaux.

C’est à cette aune que doivent être appréciées et jugées recevables ou non les propositions de ce texte relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires. Le présent projet de loi opère le transfert aux opérateurs privés du transport par wagons isolés : c’est donc sous cet angle que je veux aborder la question, dans la mesure où les enjeux que je viens d’évoquer relèvent de choix politiques nationaux. En d’autres termes, le choix politique de libéraliser totalement le fret depuis le 1er janvier 2007 a-t-il produit les effets bénéfiques attendus ?

En effet, on nous a affirmé que cette libéralisation augmenterait le transfert modal de la route vers le rail. Or rien ne permet de soutenir l’assertion. En l’état actuel, une entreprise qui se situe, sur le plan géographique, à l’écart des grandes lignes aura nécessairement recours, pour de faibles livraisons, au mode de transport le plus fiable et le moins cher, ce qui n’est plus le cas du service de transport par wagons isolés, devenu extrêmement coûteux et aléatoire.

La libéralisation menée en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Espagne nous est donnée en exemple, car elle y aurait entraîné une forte augmentation du fret. Comparaison est d’autant moins raison que rien n’est comparable entre la France et ces pays. Pour m’en tenir à l’Allemagne, je mentionnerai que la dette de la Deutsche Bahn a été rachetée en totalité par l’État fédéral à la fin des années quatre-vingt-dix. Les situations ne sont donc pas similaires. Le rapport de la Commission européenne sur la mise en œuvre du premier paquet ferroviaire montre, au contraire, que l’ouverture du secteur en Europe n’a pas permis d’atténuer l’hégémonie du transport routier.

C’est pourquoi un bilan de cette libéralisation s’imposait au préalable. Tel était le sens de la demande formulée par le groupe socialiste au travers d’un amendement examiné le 29 janvier dernier dans le cadre du Grenelle I et visant à insérer un article additionnel ainsi rédigé : « Le Gouvernement remet au Parlement une évaluation de la libéralisation du fret ferroviaire afin d’en mesurer l’impact en termes d’emploi et de qualité de service ainsi que d’en évaluer les conséquences en matière de continuité du réseau ferroviaire, tant sur le plan national que régional et de report modal. » Cet amendement, également défendu à l’Assemblée nationale, a été chaque fois rejeté, au motif qu’il trouverait meilleure place dans le projet de loi, alors déposé au Sénat, dont nous commençons l’examen aujourd’hui.

C’est dans une telle incertitude que la création d’opérateurs de proximité nous est présentée comme une solution. À cet égard, l’objectif de l’article 2 est de favoriser le développement des opérateurs privés, afin de créer une offre locale là où les lignes, structurellement déficitaires, sont menacées de fermeture. Il s’agit d’organiser le transport de marchandises à l’échelle des territoires, à l’image des shortlines en Amérique du Nord. Ce projet permettrait à RFF de confier à un opérateur, dans le cadre d’une convention, des missions de gestion du trafic, de fonctionnement et d’entretien des installations sur ces lignes de faible trafic réservées au transport de marchandises. RFF resterait responsable de la sécurité.

J’ai rappelé tout à l’heure l’annonce de la fermeture, au début du mois de septembre 2007, de 262 gares jusqu’alors dédiées au transport par wagons isolés. Accompagnée de la perspective de suppressions d’emplois et faite la veille de la tenue du Grenelle de l’environnement, cette annonce a évidement provoqué un émoi légitime et de nombreuses réactions. Il n’est pas inutile de rappeler que c’est dans ce même contexte qu’a été signé, le 26 septembre 2007, à Orléans, le protocole d’accord pour la création du premier opérateur de fret de proximité, Proxirail, appelé à assurer le transport de marchandises par wagons isolés que la SNCF venait d’abandonner.

Les OFP sont-ils viables ? Aucun pronostic n’est possible à ce jour, dès lors que les conditions mêmes de leur viabilité, celles du financement public, de l’emploi et des normes de sécurité, font encore question.

En termes de financement, l’impératif premier pour les OFP est de disposer d’un réseau ferré capillaire opérationnel, lequel nécessite à ce jour des investissements massifs pour sa remise en état. C’est le préalable qu’a lui-même posé le président du conseil d’administration de RFF, Hubert du Mesnil, lors d’un très récent débat tenu, le 4 février dernier, sur l’initiative de notre collègue député Jean-Pierre Marcon. Selon les propres termes de M. du Mesnil, ces investissements ne pourront se faire sans des aides publiques initiales importantes, étant entendu que l’on ne peut pas attendre une quelconque rentabilité de ces 4 000 kilomètres de voies qui ne supportent pas de trafic de passagers, dont 10 % sont totalement inutilisées, et donc en mauvais état. L’ensemble coûte 100 millions d’euros de frais de gestion annuels et ne rapporte qu’un million d’euros de recettes.

Comment ne pas s’interroger sur la légitimité du transfert à l’État et aux collectivités territoriales du coût des choix stratégiques de la SNCF, qui se débarrasse ainsi de la « branche malade » du fret ? Comment même y parvenir ?

En ce qui concerne la sécurité, l’abaissement des normes en vigueur a été évoqué comme une condition nécessaire pour ne pas dissuader d’éventuels opérateurs privés, au motif que le niveau de ces normes pourrait constituer une distorsion de concurrence. Sécurité moindre, coûts réduits, main-d’œuvre moins qualifiée, low cost et dumping social, tous ces facteurs ne risquent-ils pas de devenir réalité dans la perspective de l’ouverture aux opérateurs privés ?

L'ensemble de ces questions posées par la libéralisation et qui soulèvent des enjeux majeurs ne sont pas traitées. Au surplus, les maigres expériences menées révèlent l’extrême complexité de leur mise en place. La brièveté du texte qui nous est soumis aujourd’hui témoigne de l’absence de vision d’ensemble du problème du fret ferroviaire, ce que nous confirme malheureusement l’action dispersée du Gouvernement en la matière, lequel traite partiellement chacun des sujets dans des textes différents.

J’évoquais en séance, le 29 janvier dernier, la notion de rentabilité. Voilà ce sur quoi nous ne sommes pas d’accord : le fret ferroviaire, particulièrement le transport par wagons isolés, est, certes, financièrement déficitaire, mais il est économiquement utile à nos territoires, écologiquement indispensable, humainement profitable.

Il y a nécessairement des choix à faire. Mais l’on ne peut honnêtement prétendre les faire tous en même temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat.

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’associe à mon propos mon collègue et ami Martial Bourquin. Il devait intervenir cet après-midi, mais il a été obligé de retourner dans le Doubs en raison des difficultés que le secteur automobile de ce département traverse actuellement.

Ce projet de loi, d’apparence très technique, constitue une nouvelle étape de la libéralisation du transport ferroviaire dans la mesure où il entérine l’ouverture à la concurrence du transport international de voyageurs. Les remarques que je formulerai aujourd’hui ne balaieront pas tous les aspects de ce projet de loi, mais Michel Teston vient de le faire excellemment. Je me concentrerai donc sur les paradoxes de la politique européenne de concurrence dans le secteur ferroviaire.

Le service public des transports ferroviaires a toujours eu une place à part dans la réalisation d’un espace communautaire. C’est ce qu’a très justement rappelé notre collègue Hubert Haenel dans son rapport d’information, fait au nom de la commission des affaires européennes, sur la libéralisation des transports ferroviaires dans l’Union européenne.

La réalisation d’un espace commun de transports ferroviaires européens, ne nous y trompons pas, est très compliquée. Elle suppose un temps d’adaptation très long, comprend des contraintes techniques importantes si l’on considère, pour ne citer que les principales, l’exigence et le coût de l’entretien des infrastructures et du matériel roulant, l’harmonisation informatique, ainsi que les conditions de travail des personnels.

Depuis près de vingt ans, un certain nombre d’exceptions ont été prévues pour tenir compte de la particularité du secteur.

En premier lieu, le texte qui nous est aujourd’hui soumis s’avère la simple transposition, en droit interne, de dispositions introduites dans les années quatre-vingt-dix. Peut-on seulement l’ignorer ?  Les objectifs de l’Union européenne ont bien changé depuis et gagné en réalisme. La « concurrence pour la concurrence » n’est plus un dogme si immuable.

Depuis, nous en sommes tous ravis, l’Europe s’est en effet engagée dans la bataille de l’environnement, dans la promotion de transports ferroviaires européens de qualité, attractifs pour les usagers et les entreprises, dans la promotion de l’intermodalité, extra et intra-urbaine, et – le mot est lâché ! –, dans le rééquilibrage rail-route. Depuis, l’Europe s’est engagée pour créer des emplois et promouvoir une croissance verte.

Or le présent projet de loi ne tient pas compte de ces évolutions. Il est resté bloqué sur une transposition administrative a minima de l’ouverture à la concurrence, paquet par paquet, quand celle-ci aurait pu s’enrichir de cette réflexion. Il aurait pu être un texte majeur pour donner un nouvel élan à l’Europe des transports ferroviaires. Il n’en est rien ! Il n’évoque pas – ou si peu – la situation actuelle des personnels ferroviaires, pas plus que leurs perspectives d’avenir. Lors d’une réunion de la commission des affaires européennes consacrée à l'examen du rapport rédigé par Hubert Haenel, notre collègue Bernadette Bourzai a déploré qu’il n’y soit pas fait état de la directive relative à la certification des conducteurs de train. C’est aussi le cas dans ce projet de loi !

Nous voilà embarqués dans le train de la concurrence, et nous nous demandons s’il y a un conducteur à bord ! Par ailleurs, le moins que l’on puisse dire, c’est que nous manquons d’une étude d’impact sérieuse sur les effets attendus de ce projet de loi sur l’ensemble de la politique des transports.

En deuxième lieu, ce texte est une occasion manquée, sur le plan tant environnemental que social.

J’aurais souhaité y voir, par exemple, une articulation très serrée avec la discussion du projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, en particulier sur son volet transport. À croire que nos deux semaines de débat sur ce texte n’auront pas servi à grand-chose, puisque nous ne saisissons pas aujourd'hui l’occasion qui nous est donnée de mettre en œuvre les orientations du Grenelle.

Nous examinons en effet un projet de loi dont les objectifs européens de développement durable, de péréquation et d’aménagement du territoire, de qualité de service, de respect du citoyen et du consommateur, et de formation et de mobilité des personnels semblent passer à la trappe pour ne laisser place qu’à un seul objectif : l’ouverture à la concurrence à tout prix ; mais à quel prix !

En troisième lieu, les transports internationaux de voyageurs constituent le volet le plus rentable du transport ferroviaire. Des opérateurs européens ont déjà fait connaître leur grand intérêt pour un positionnement sur ce secteur. On les comprend ! Le combat n’est pas égal.

Des distorsions de concurrence ne sont pas à redouter entre les opérateurs anciens et les nouveaux entrants, mais avec ceux d’entre eux qui n’ont pas la charge de faire vivre la totalité d’un réseau comprenant des parties rentables et moins rentables, qui n’ont pas la charge d’assumer des missions d’aménagement du territoire, qui n’ont pas pour mission de rendre attractifs le fret ferroviaire et l’intermodalité, et – comble du comble ! – qui n’auront pas la charge de faire vivre l’Europe des transports durables.

Devons-nous cautionner cette situation, alors que le nouveau gendarme du rail, dont la création est entérinée par ce texte, c’est-à-dire l’Autorité de régulation, ne fera qu’arbitrer en interne et n’aura pas pour rôle de définir une véritable politique commune du transport ferroviaire ?

En quatrième lieu, la perte de marchés plus rentables pour les opérateurs historiques ira immanquablement de pair avec une rationalisation des plus petites lignes, voire leur fermeture, avec un entretien des réseaux de plus faible qualité, ce qui représentera une menace pour la sécurité des usagers et des personnels, et avec un ralentissement encore plus important des voies. Tous ces facteurs induiront, à terme, une préférence pour la route. C’est déjà le cas dans de nombreuses régions françaises avec les transports express régionaux, les TER.

Qui compensera ces pertes ? Réseau ferré de France ? Il est englué dans des dettes abyssales ! La SNCF ? Sera-t-elle seulement en mesure de se positionner sur des marchés européens ? L’État ? Le plan de relance témoigne de l’absence de volonté politique en faveur du ferroviaire, du fret et de l’intermodal ! Les régions ? Je suis bien placé pour savoir qu’elles sont déjà allées au-delà de leur rôle et financent très largement, d’ailleurs avec succès, des TER dont nous avons tout lieu d’être fiers !

Je suis persuadé que la priorité, ce n’est pas la marche forcée vers la concurrence, mais l’accomplissement de progrès en vue d’une meilleure interopérabilité et d’une harmonisation vers le haut de la coopération des personnels ; c’est surtout un investissement massif vers le ferroviaire durable. Seule la volonté politique permettra de dégager ces investissements.

En cinquième lieu, je souhaite formuler quelques propositions.

Je plaide tout d’abord pour que l’internalisation des coûts, notamment environnementaux et sociaux, soit prise en compte pour le calcul d’un droit d’entrée des nouveaux entrants dans le marché commun du transport international de voyageurs.

Je plaide également pour une reprise d’une partie de la dette de RFF, seul moyen d’éviter des distorsions trop importantes de concurrence et de permettre à cette entreprise de mener à bien l’entretien des infrastructures. En Allemagne et en Suisse, pays performants dans le domaine ferroviaire, l’État a fait cet effort. Et l’effort a payé, y compris économiquement.

Je plaide pour que la stratégie de Göteborg ne soit pas qu’une stratégie mais qu’elle soit mise en œuvre. Je suis favorable à un grand emprunt européen qui permette d’investir dans les infrastructures ferroviaires, de promouvoir les autoroutes ferroviaires, de développer le fret et de le rendre intéressant pour les entreprises, d’harmoniser les spécificités européennes ferroviaires. Si urgence il y a, elle doit aller dans cette direction.

Cela implique des choix, et ce sera mon sixième point.

S’il y a bien une ouverture à la concurrence qui vaille la peine que l’on se batte, mes chers collègues, c’est une concurrence externe, avec la route.

Il n’est plus possible de continuer à fermer les yeux sur les cohortes de camions, venus de toute l’Europe, qui engorgent les routes des pays centraux de l’Union européenne, afflux qui constitue un véritable drame pour l’environnement et pour la sécurité routière.

Il n’est également plus possible de fermer les yeux sur les conditions de travail des chauffeurs routiers, qui pourraient devenir des partenaires et des acteurs essentiels d’une politique de ferroutage ambitieuse.

En septième lieu, je vous rappelle que les perspectives financières 1999-2006 ne prévoyaient que 5 milliards d’euros pour la politique européenne des transports. Or tant que le ferroviaire européen ne bénéficiera pas du produit d’une taxe contraignante sur le transport routier, les moyens pour en faire un véritable service d’intérêt général doté d’une grande attractivité économique ne seront jamais à la hauteur des enjeux.

Bref, la transposition a minima d’une directive européenne – exercice que j’ai connu lorsque j’exerçais d’autres fonctions ! –, publiée voilà presque vingt ans, ne saurait être à la hauteur de l’enjeu économique, social et environnemental qui est le nôtre. Nous y sommes donc opposés.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État. Je tiens tout d’abord à remercier les orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale.

J’ai bien noté les propos de M. Jacques Blanc sur les dimensions européenne et concurrentielle du problème, et ceux de M. le rapporteur sur « le cercle vertueux de la concurrence et du trafic ». En effet, comme l’ont dit également MM. Teston et Patriat, la concurrence n’est pas un objectif en soi, mais un moyen de développer les trafics et le report modal.

J’ai également noté les remarques de MM. Colin, citant son collègue du Cantal, et Jacques Blanc concernant la nécessité d’un aménagement équilibré de nos régions, en particulier celles situées dans le grand espace compris entre les deux lignes actuelles de TGV, espace qu’il s’agit de désenclaver.

Mme Schurch a précisé que le développement des offres sur les grandes lignes ne devait pas entraîner la mort d’autres axes. Il est vrai que le système ferroviaire français a pour particularité de former un tout. Ainsi les grands axes sont-ils desservis par les réseaux TER. Nous devons conserver cette péréquation territoriale. Comme l’ont dit MM. Patriat et Teston, la péréquation interne à la SNCF doit être maintenue.

Je dis d’emblée à M. le rapporteur, avant l’examen de son amendement relatif à l’Autorité de régulation ferroviaire, que le terme « Autorité » qu’il propose est meilleur que celui retenu dans le projet de loi, qui ne nous satisfaisait guère. Le Sénat a été plus imaginatif que le Gouvernement, et je l’en remercie. Je partage également son avis selon lequel il convient de se prononcer sur le document de référence du réseau.

M. Haenel a évoqué la mise en place de l’Autorité de régulation et les moyens y afférents. Vous le savez, monsieur le sénateur, nous avons anticipé ce problème en proposant la création d’une mission de préfiguration. J’espère que le Parlement nous donnera son aval et que nous pourrons donner à cette autorité les moyens qui lui sont nécessaires si nous voulons qu’elle puisse agir et dispose de collaborateurs de qualité.

S’agissant de la question de la concurrence, qui fait l’objet de la deuxième partie du rapport Haenel, le Gouvernement est très favorable à l’idée d’un comité des parties prenantes, également évoqué par M. le rapporteur. La mission de ce comité sera de réfléchir à une expérimentation dans le domaine du transport régional.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État. Je remercie également M. Mercier pour l’intervention qu’il a faite au nom des sénateurs de son groupe.

Vous avez raison, monsieur Daudigny, les opérateurs de proximité peuvent être des personnes privées – une entreprise ayant des activités dans les domaines ferroviaire, routier ou logistique –, mais aussi des acteurs publics. Pour prendre un exemple que je connais bien, je citerai le grand port maritime de La Rochelle, situé dans le département dont je suis l’élu, qui met actuellement en place un opérateur maritime qui aura un statut public. Cet acteur public peut être, également, une communauté de communes qui, pour desservir des zones logistiques, décide de mettre en place un système de transport sous la forme d’un opérateur de proximité. Il peut s’agir, enfin, d’un établissement public, du type chambre de commerce.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’État. Nous ne devons pas bloquer la nature juridique des opérateurs de proximité. L’important, en tout état de cause, est de disposer d’une offre ferroviaire conséquente, et notamment de wagons permettant, le cas échéant, de remplacer les camions.

J’ai bien entendu les propos de M. Patriat sur le secteur routier et la taxe qu’il faudra alimenter à l’échelle européenne. Nous avons fait de nombreux efforts, durant la Présidence française de l’Union européenne, pour faire avancer la nouvelle directive « Eurovignette ». Ces efforts ont été relayés par les parlementaires français de tous bords. Je pense en particulier au député européen Gilles Savary, qui a accompli un remarquable travail au sein de la commission des transports du Parlement européen.

Même si nous n’avons pu aller au terme de notre tâche, nous avons fait de réelles avancées s’agissant de cette directive. Il est en effet nécessaire qu’à l’échelle européenne la politique de report modal puisse s’appuyer sur des instruments fiables.

Nous avons mis en place, dans le cadre du texte sur le Grenelle de l’environnement, adopté par la Haute Assemblée, une éco-taxe, dont le but est d’alimenter les infrastructures de report modal. Il faudra naturellement mener la même politique au niveau européen.

Mais il existe cependant une difficulté, monsieur Patriat : certains États considèrent que cette taxe doit aller dans le « tuyau » du budget général de l’État, tandis que d’autres pays, et notamment la France, incitent leurs partenaires européens à accepter le principe d’une affectation bénéficiant directement au report modal. Il nous faut des outils adaptés.

J’arrête là mon propos ; je m’exprimerai plus avant à l’occasion de la discussion de la motion, puis des articles. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)