M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes au terme du débat sur la loi pénitentiaire et je voudrais bien pouvoir dire : enfin, la France s’est dotée d’une loi fondamentale parce que, au terme d’un long processus, engagé voilà environ dix ans, l’ensemble des représentants de la nation sont au diapason pour affirmer que la dignité humaine doit être respectée partout, y compris dans les lieux de détention, et que la sanction pénale, quand sanction il y a, pour être efficace, doit avoir un sens, doit faire comprendre et réinsérer. Hélas ! je ne peux le dire parce que tel n’est pas le cas.

Mon constat n’enlève rien au sérieux dont ont fait preuve de nombreux sénateurs, toutes tendances confondues – au premier chef, notre rapporteur –, pour améliorer un texte gouvernemental initialement assez indigent. Mon groupe et moi-même avions d’ailleurs souligné les avancées réalisées ici même sur la dignité des personnes, en l’occurrence des détenus, l’aménagement des peines et une série d’autres points, avancées qui nous avaient d’ailleurs amenés à nous abstenir sur le texte du projet de loi résultant des travaux du Sénat.

Je rappellerai aussi que la déclaration d’urgence nous prive d’une deuxième lecture. Or, l’examen de ce texte ayant finalement pris plus de six mois – ce qui, au passage, démontre une fois de plus que l’urgence n’était pas justifiée –, l’absence de deuxième lecture nous empêche de tirer les conséquences des débats qu’il a suscités à l’Assemblée nationale et d’en évaluer les dispositions au regard du contexte.

En effet, à l’Assemblée nationale, le Gouvernement s’est beaucoup dépensé pour revenir à la rédaction initiale et donc remettre en cause les avancées votées par le Sénat : cela me conforte dans l’idée que ce gouvernement, madame le garde des sceaux, s’est seulement résigné à se mettre en conformité avec les règles européennes parce que la France avait été montrée du doigt à plusieurs reprises, mais qu’il n’est disposé ni à reconnaître fondamentalement les principes qui devaient guider une loi pénitentiaire, et donc à mener une réflexion sur le sens de la sanction pénale, ni à reconnaître explicitement les droits fondamentaux à ces sujets de droit que sont les personnes détenues. Je l’avais dit à Mme Dati, à l’époque. Malheureusement, vous n’avez en rien invalidé mon analyse lors des débats à l’Assemblée nationale.

De fait, les améliorations des conditions de la détention inscrites dans le texte sont assorties soit de renvois à des décrets ou à des règlements relevant de l’administration pénitentiaire soit, plus directement, de restrictions. C’est le cas pour les dispositions relatives aux régimes différenciés de détention, aux fouilles à corps et au quartier disciplinaire.

Permettez-moi, à ce propos, de m’interroger sur l’immixtion dans le débat, à l’Assemblée nationale, du directeur de l’administration pénitentiaire, distribuant des bons points à certains parlementaires, dont il considérait qu’ils l’encourageaient « à faire valoir le savoir-faire pénitentiaire », des mauvais points à d’autres, dont les commentaires étaient selon lui « inspirés par la vulgate foucaldienne »… On est en droit d’attendre d’un haut fonctionnaire une plus grande réserve et un plus grand respect à l’égard du législateur, qu’il appartienne à l’opposition ou même à la majorité, puisque les sénateurs, entre autres, semblaient également visés.

Certes, la commission mixte paritaire a rétabli pratiquement le texte du Sénat sur un point très important, à savoir le principe de l’encellulement individuel, que l’Assemblée nationale et le Gouvernement avaient balayé au motif qu’il ne pouvait pas être appliqué dans l’immédiat ni même dans un avenir proche.

C’est bien là que le bât blesse ! Si c’est un droit, il faut se donner les moyens de son effectivité. Or, madame le garde des sceaux, vous ne le voulez ni ne le pouvez parce que vous êtes dans une autre logique. D’une part, vous considérez que l’administration pénitentiaire doit avoir un moyen de pression vis-à-vis des détenus, et je constate que M. d’Harcourt s’est félicité de la légalisation par le Parlement du régime différencié, dont il vante les mérites. D’autre part, la logique pénale du Gouvernement et les choix budgétaires qui y correspondent ne vont pas dans le sens de la mise en œuvre de ce principe.

En effet, la construction de places de prison est budgétée – le projet de loi de finances pour 2010 ne me démentira pas – pour faire face à un accroissement prévisible du nombre de personnes détenues, je dirai même un accroissement organisé puisque le Gouvernement s’apprête à déposer un nouveau projet de loi sur la récidive et un autre sur les bandes organisées.

De ce point de vue, les propos tenus par l’aiguillon du parti du Président, M. Frédéric Lefebvre, sont particulièrement explicites et en deviennent franchement préoccupants. Ils remettent sur le métier les peines automatiques, associant d’un même élan délinquants sexuels et « casseurs ». Quand on sait le danger qui existe à incriminer des personnes supposées appartenir à un groupe sans distinction, il y a de quoi s’inquiéter !

Vous continuez de répondre à l’augmentation de la délinquance – signe que l’aggravation de la loi pénale depuis dix ans n’est pas efficace – par une nouvelle aggravation de la loi pénale. Force m’est de constater que l’idée même d’une autre approche de la sanction et de la réinsertion – et donc des moyens à mettre en œuvre – n’est pas à l’ordre du jour.

La façon d’aborder les aménagements de peine est significative. Le bracelet électronique apparaît comme un moyen miracle de désencombrement des prisons, avec à la clé un instrument de contrôle ou de pression, puisque c’est le parquet, au lieu du juge de l’application des peines, qui en décidera, ce qui permet de doser cet aménagement de peine en fonction de l’opinion publique ou de tel ou tel événement.

Comment, en effet, ne pas craindre la pression « diffuse » sur les parquets quand on entend des parlementaires affirmer haut et fort que ce texte donne aux délinquants un signe de clémence, ou encore un syndicat de police énoncer qu’il existe un lien direct entre les aménagements de peine et la hausse de la délinquance ? Or l’existence d’un tel lien de causalité est à rebours de toutes les réflexions sérieuses qui ont été conduites jusqu’ici sur le sujet !

Je ne peux m’empêcher de déplorer le lobbying pesant qui s’est déployé auprès du Gouvernement et des parlementaires, notamment celui de l’Institut pour la justice – officine dont les idées sont bien connues et qui ne cesse de pourfendre les alternatives légales à la détention ainsi que le « laxisme » de la justice pénale –, pour s’opposer à toute évolution dans la conception de la sanction pénale. Ce lobbying s’est, hélas, révélé efficace puisqu’il a finalement empêché que nous ayons un réel débat de fond sur la question.

Ce débat devrait porter, entre autres, sur les moyens – c’est surtout de leur absence qu’il devrait d’ailleurs être question, en l’occurrence ! – à mettre en œuvre pendant l’incarcération, mais aussi après l’incarcération, pour assurer un véritable suivi sociojudiciaire en vue de réduire les risques de récidive : réinsertion sociale, traitement médical, psychiatrique, accompagnement, etc. Au contraire, les récidivistes, vis-à-vis desquels le texte est en retrait s’agissant de l’aménagement des peines, quel que soit le délit ou le crime, sont considérés comme une catégorie – prédéterminée, je suppose ! – pour laquelle il faut prendre des sanctions automatiques de plus en plus lourdes, tendant en quelque sorte à son élimination.

Là encore, quand aborderez-vous la question autrement ? Pourquoi y a-t-il récidive ? Dans quels domaines ? Quels sont les facteurs de non-récidive ou de moindre récidive ? Car l’objectif du législateur doit être de s’occuper des personnes et de les réinsérer, précisément pour qu’elles ne récidivent pas, non de faire croire aux Français qu’il existe un remède infaillible à la récidive, par exemple l’enfermement à vie. Au reste, quand celui-ci interviendrait-il ? Personne ne peut répondre !

Aussi, mes chers collègues, au terme de cette réflexion sur le cheminement de votre conception de la loi pénitentiaire, je constate que la contradiction profonde entre l’affichage d’une loi et la politique pénale du Gouvernement hypothèque gravement la sincérité de ce texte. Il nous paraît indispensable de souligner que cet état de fait est dangereux.

Dès lors que le Gouvernement et la majorité n’entendent donner aucun signe réel de leur volonté de s’interroger sur leur politique pénale, bien au contraire, nous ne pouvons cautionner le faux-semblant d’un consensus sur ce projet de loi. Aussi mon groupe votera-t-il contre, et je le regrette. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le premier propos d’un membre du groupe centriste sera, et cela ne surprendra personne, pour saluer le caractère exemplaire de la démarche législative que nous concluons aujourd’hui, d’autant que le président de ce groupe en aura été l’un des agents les plus créatifs,…

M. Pierre Fauchon. … dans un esprit non seulement sanitaire, qui relève de sa compétence propre, mais plus largement humanitaire, qui restera comme le trait dominant de cette démarche.

Le mérite en revient à tous ceux qui, depuis longtemps déjà au Sénat, et spécialement à la commission des lois – en particulier sous l’impulsion de son président actuel –, se sont préoccupés du problème des prisons et ont fait ce qu’il fallait pour que nous n’ayons pas, en somme, la conscience tranquille à cet égard. Notre rapporteur et ceux qui l’ont aidé ont été exemplaires, je n’hésite pas à l’affirmer : exemplaires par leur souci d’une connaissance concrète, précise, des situations de fait, qui est essentielle ; exemplaires par la qualité de leurs réflexions ; exemplaires par des propositions qui ont su allier ce qu’il faut d’idéal, comme toujours, avec ce qu’il faut, hélas ! de pragmatisme.

Ayant dit cela, je ne peux me contenter d’enregistrer et de saluer les résultats acquis en commun avec nos collègues députés. Sans doute ces résultats sont-ils consistants et permettent-ils d’espérer de réelles améliorations – dans la mesure où le Gouvernement, et je lui fais pleinement confiance, saura les mettre en œuvre avec fidélité et persévérance.

Pour autant, nous ne saurions nous déclarer satisfaits et assurés en conscience d’avoir apporté la meilleure des solutions aux problèmes que pose notre système dit « pénitentiaire », expression qui est en elle-même révélatrice d’un certain archaïsme intellectuel.

En m’autorisant maintenant de l’expérience de l’avocat, mais aussi, si vous me le permettez, de celle de l’administrateur que j’ai été au début de ma vie professionnelle – où j’eus précisément à diriger une maison d’arrêt pendant assez longtemps et dans une période assez difficile, à savoir la fin du protectorat au Maroc –, je tiens à exprimer mon sentiment profond : le système global de l’incarcération en tant que mode de traitement de la délinquance mérite non seulement d’être amélioré ponctuellement, comme nous essayons de le faire, mais aussi d’être repensé en profondeur, pour la simple raison qu’il a cessé depuis longtemps – à supposer qu’il y soit jamais parvenu – d’engendrer les résultats pour lesquels il a été créé, et qui sont supposés le justifier.

L’incarcération telle que nos sociétés la pratiquent le plus souvent n’est ni une pénitence qui serait ressentie comme équitable en dépit de sa rigueur – elle est bien davantage perçue comme une humiliation démoralisante et souvent, trop souvent, cruelle –, ni un mode de correction et d’amendement des comportements, il s’en faut de beaucoup, ni une prévention efficace de la récidive. L’incarcération, avouons-le, est globalement un échec.

Est-elle pour autant un mal nécessaire ? Je n’en suis même pas sûr dans la mesure où j’ai la conviction que des modifications substantielles, et qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement coûteuses, pourraient améliorer significativement une situation dont nul ne peut ignorer le caractère déplorable, au point de constituer une véritable honte pour nos sociétés dites « avancées » et qui se targuent orgueilleusement d’« humanisme ».

On me taxera, inévitablement, d’utopie, mais je rejette cette accusation par l’évocation d’exemples concrets que j’ai vécus, soit dans la période où j’ai été directeur de prison – eh oui, cela peut arriver ! – soit comme sénateur.

Directeur de prison, j’ai pratiqué et généralisé un système de brèves suspensions de détention pour circonstances familiales, appelées « permission de quelques jours », qui se sont révélées très bénéfiques.

Par ailleurs, ayant à faire face à un accroissement considérable du nombre de détenus à la suite d’une émeute – la fin du protectorat fut en effet une période troublée –, j’ai organisé avec succès, je crois pouvoir le dire, des travaux collectifs de plein air, qui étaient du reste fort peu surveillés, afin d’éviter à ces détenus, au nombre d’une centaine, les rigueurs des camps auxquels ils étaient destinés. Je souligne que nous n’avons, dans cette circonstance, enregistré ni évasions ni désordres trop fréquents, même s’il y a, bien entendu, un minimum incompressible.

Sénateur, j’ai participé à la démarche de nos anciens collègues Jacques Larché et Guy-Pierre Cabanel – je suis heureux d’avoir l’occasion de citer leurs noms – nous engageant dans la pratique du bracelet électronique. Cette démarche, qui était alors considérée avec beaucoup de méfiance et le plus grand scepticisme, se révèle aujourd’hui appropriée dans des cas de plus en plus nombreux.

Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, de tels exemples montrent qu’il faut non pas se laisser aller à la résignation et au scepticisme, mais se convaincre qu’il existe des alternatives à l’incarcération pure et simple, à l’incarcération sommaire que nous connaissons, et que celles-ci doivent être expérimentées avec persévérance et imagination.

Cela vaut a fortiori – ce sera la dernière, mais non la moindre de mes réflexions – pour les détenus en situation de prévention et non de sanction.

On ne le dit pas assez, il est scandaleux et insupportable que des êtres humains, non reconnus coupables et placés en détention préventive, subissent le même sort que les condamnés, et dans ses modalités les plus cruelles puisqu’ils sont détenus dans des maisons d’arrêt et non des centrales, où les conditions de vie sont moins déplorables. Ainsi, ceux qui sont encore présumés innocents sont traités d’une manière pratiquement aussi rigoureuse que des personnes reconnues coupables par la justice. Je sais bien que des efforts sont faits pour les distinguer, mais ils restent en réalité tout à fait insuffisants. Il y a vraiment là de quoi être profondément choqué !

S’il est, parmi tant d’autres, une leçon à retenir de la terrible affaire d’Outreau et que nous devons sans cesse rappeler, c’est bien celle-là, et il ne devrait pas être impossible de prendre assez rapidement les mesures appropriées pour corriger des pratiques aussi regrettables, qui concernent environ le quart des personnes détenues actuellement.

Voilà pourquoi nous devons être conscients du fait que la conclusion positive de la phase législative à laquelle nous souscrivons pleinement – le groupe de l’Union centriste votera, bien entendu, le texte – ne saurait nous autoriser à refermer ce dossier : il doit rester ouvert, et dans nos consciences et dans nos travaux.

Selon la formule d’Albert Camus, « une société se juge à l’état de ses prisons ». Il y va de l’idée que nous nous faisons de la dignité humaine – c’était un peu le sens de votre conclusion, madame le garde des sceaux – comme de l’idée que nous nous faisons d’une civilisation, une idée qui implique un peu moins de satisfaction et un peu plus d’exigence. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, du RDSE et de lUMP. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le débat sur le projet de loi pénitentiaire a commencé ici même le 3 mars dernier.

En dépit d’une procédure d’urgence que nous pouvons qualifier d’ « absurde », encore plus aujourd’hui qu’hier, en une petite semaine, le Sénat, toutes sensibilités confondues – je tiens à saluer ici le travail de notre rapporteur –, a bouleversé le texte de Mme Dati, un texte qui n’osait pas aborder la question essentielle : quel est le sens de la peine, à quoi sert la prison ?

J’avais moi-même espéré, comme beaucoup d’autres, en particulier Robert Badinter, que la peine ne se limiterait pas à surveiller et punir, mais qu’elle aurait également l’ambition d’humaniser et de réinsérer.

Sept mois plus tard, l’obstination du Sénat a permis de progresser dans cette voie, en refusant notamment d’empiler les détenus dans les cellules et en leur reconnaissant le droit à l’encellulement individuel, ou encore en proclamant que, hormis les cas de crime, la prison serait la peine de dernier recours et, bien entendu, en soutenant les mesures alternatives à l’emprisonnement.

Nous avons tiré notre cohérence d’un grand principe, qui consiste au fond à faire entrer le droit en prison. Pour y parvenir, nous avons recouru à une méthode simple : le respect des règles pénitentiaires européennes.

Trop longtemps, c’est avec déplaisir que je le rappelle, la France a été condamnée du fait de son refus d’appliquer les règles pénitentiaires européennes ; pourtant, ces dernières sont loin d’avoir été dictées par des esprits farfelus ou subversifs !

Je regrette d’ailleurs, madame le garde des sceaux, que pour mettre fin à un conflit social, il y a quelques mois, le ministère de la justice ait cru devoir marchander ces règles pénitentiaires européennes. Il serait bon, au moment où s’achève la discussion du projet de loi pénitentiaire, que vous nous annonciez que ces règles ne sont pas l’objet de marchandages. On ne marchande pas avec le droit à la dignité !

En fin de compte, le texte voté par le Sénat, admettons-le tous ensemble, n’était plus le texte de la Chancellerie, ce qui a pu déplaire, mais celui d’un Sénat déterminé à mettre fin à cette « humiliation de la République » qu’il avait dénoncée à plusieurs reprises.

Bien sûr, nous avons craint qu’au cours de la procédure parlementaire une autre majorité politique à l’Assemblée nationale ne défasse ce que nous avions construit amendement après amendement. La commission mixte paritaire, qui s’est réunie jeudi dernier, a permis, me semble-t-il, de rapprocher les points de vue au moins sur quelques points essentiels.

Il s’agit d’abord de l’encellulement individuel, à propos duquel la formulation du Sénat a fini par l’emporter. Mais je voudrais vous inviter, madame le garde des sceaux, à mettre fin à un mauvais débat.

On lit ici et là – je ne sais pas ce qu’il en est dans la réalité – que la Chancellerie considère que le Parlement a été plus généreux que pragmatique en posant comme principe le droit à l’encellulement individuel. Personne ne doute que le principe « un homme, une cellule » ne soit une ambition difficile à réaliser. Mais à quoi servons-nous, nous parlementaires, fervents défenseurs de l’action publique, si nous ne posons pas un horizon, si nous n’affichons pas une volonté, un objectif à atteindre, fût-il très ambitieux, et quand bien même il suppose la mobilisation de moyens relativement importants.

La notion de libre choix de sa cellule est une « légende urbaine », permettez-moi de le dire aussi simplement. Imagine-t-on que dans une prison l’on demande au détenu, à son arrivée, s’il préfère une cellule à quatre ou cinq personnes ou une cellule individuelle ? (Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Josiane Mathon-Poinat s’exclament.) Non, telle n’est pas la réalité ! Dans les faits, le détenu choisira d’abord d’être proche de sa famille. Si on lui donne le choix entre une cellule individuelle à 300 ou 400 kilomètres de son domicile, de sa femme, de ses enfants et une cellule où s’entassent déjà plusieurs détenus, mais située à 20 ou à 50 kilomètres de chez lui, il choisira la seconde solution en dépit de son droit à la dignité ou de son droit « à la reconstruction de sa personne humaine », selon la formule très juste que vous avez employée, madame la ministre d’État.

Nous devons avoir le courage de tenir nos engagements. L’article 59 du projet de loi prévoit un nouveau moratoire. Ce n’est pas le premier, mais je souhaite que ce moratoire de cinq ans soit le dernier que le Parlement aura à voter. Sinon, la déception qui pourra être éprouvée face à l’action publique n’aura d’égale que l’humiliation qui sera infligée au Parlement, dont le travail n’aura pas été respecté.

Bien entendu, on m’objectera la surpopulation pénale. Mais ne traitons pas la surpopulation pénale comme s’il s’agissait d’une question immobilière ! Même si l’on bâtit encore des prisons dans les années qui viennent, nous ne résoudrons pas la question de la surpopulation.

Il existe, à mon avis, une solution plus constructive et sans doute moins onéreuse. Elle consiste à ne pas faire entrer en prison ceux qui n’ont pas grand-chose à y expier : les malades mentaux qui y séjournent faute d’unités hospitalières prêtes à les accueillir, les sans-papiers qui subissent là une double peine ou les « courtes peines » qui ne font que se désocialiser.

La commission mixte paritaire a aussi retenu quelques amendements qui, selon nous, améliorent le texte : le caractère indépendant de l’observatoire des prisons – grâce à un amendement de notre ami Jean-Pierre Sueur –, le fait que le personnel soignant ne puisse être appelé à effectuer des actes dictés par des considérations de sécurité et non de santé – M. About avait, me semble-t-il, raison de soutenir cet amendement –, le dossier médical unique du détenu, la possibilité d’une libération conditionnelle sans temps d’épreuve à soixante-dix ans, et non à soixante-quinze ans.

Permettez-moi d’ouvrir ici une parenthèse. Comment peut-on marchander la libération conditionnelle à soixante-quinze ans ? Soixante-dix ans, surtout en prison, où les années comptent double, est déjà un âge qui doit permettre la libération conditionnelle sans temps d’épreuve !

Enfin, parmi les points positifs, figure la saisine du juge d’application des peines pour le placement sous surveillance électronique.

Toutefois, nous regrettons que la commission mixte paritaire ne nous ait pas suivis sur d’autres amendements, y compris parfois sur des amendements qui avaient été votés par le Sénat.

Il s’agit tout d’abord de la question – difficile, je le concède – des régimes différenciés, qui nous inspirent la plus grande méfiance. Les débats de mars dernier ont montré que trier les arrivants selon des critères passablement imprécis – qui seront en tout cas fixés non pas par le juge, mais sans doute par l’administration pénitentiaire –, permettant de décréter que celui-ci, parce qu’il présente une dangerosité manifeste, se verra appliquer tel traitement, mais que celui-là, qui semble plus doux, bénéficiera de tel autre traitement, ne constitue pas une bonne solution. Nous sommes pour le pouvoir du juge. Une peine doit être fixée par le juge et uniquement par lui, et ne doit pas se trouver aggravée au sein de la prison par une décision administrative.

À cet égard, je tiens à rappeler l’engagement qu’avait pris Mme Dati lorsqu’elle nous avait assurés que le régime différencié ne concernerait que le régime « porte ouverte » ou le régime « porte fermée ». J’espère que cet engagement sera tenu.

Sur un sujet analogue, nous avions souhaité que le placement en régime disciplinaire ou à l’isolement puisse faire l’objet d’une procédure de référé dans laquelle la condition d’urgence serait considérée comme présumée, ce que le Sénat avait accepté. Le refus de la commission mixte paritaire de rétablir cette rédaction ne me semble pas empreint d’une grande sagesse.

Lorsqu’une personne est placée en cellule disciplinaire, à l’évidence, le caractère d’urgence ne devrait même pas être discuté, ni donc soumis à l’appréciation d’un juge, laquelle peut être différente à Pau, à Nantes, à Paris ou à Strasbourg. Une telle décision, si elle est contestée, doit forcément faire l’objet d’une procédure d’urgence ; sinon, cela ne sert à rien ! La personne concernée ne pourra plus qu’engager une procédure en indemnisation, qui n’aboutira que deux ans plus tard.

Je me félicite que les fouilles intégrales, les fouilles à corps, aient fait l’objet d’un encadrement, car c’était indispensable. N’oublions tout de même pas que nous sommes en 2009 ! Dans les aéroports, on utilise des portiques électroniques pour détecter tous les objets qu’un voyageur peut avoir sur lui. On ne le soumet plus à une fouille, qui pouvait, parfois, être intégrale. La modernité doit aussi s’imposer en prison. Pour notre part, nous sommes favorables à l’introduction des moyens de détection électronique qui existent. Il est vrai que cela a un coût, et là est toute la question, sur laquelle je reviendrai ultérieurement.

Nous regrettons que la majorité persiste dans sa volonté d’exclure les récidivistes de l’élévation à deux ans du seuil à partir duquel les aménagements de peine ab initio sont possibles. Ce n’est pas que nous soyons plus laxistes que d’autres ! Mais il faut bien comprendre que l’aménagement de peine n’est pas un « cadeau » fait à la personne détenue ; au contraire, c’est un moyen de permettre au détenu, y compris au récidiviste, d’avoir, demain, une vie meilleure, plus responsable, pour reprendre les termes retenus par le Sénat, afin de se réinsérer, pour pouvoir vivre tout simplement dans un autre monde que celui qui était le sien avant qu’il connaisse la prison.

Au final, quel bilan tirons-nous de ce texte ?

Tout d’abord, je le dis très nettement, je reconnais volontiers que ce texte a un grand mérite, celui d’exister. Notre pays attendait depuis très longtemps – je pèse mes mots ! – une loi précisant les droits des détenus, notamment, bien sûr, le droit d’être respecté dans son intimité comme dans sa sécurité. Aujourd’hui, les principes sont posés par la loi ; il appartiendra au Gouvernement de les faire vivre, et aussi, grâce au travail du Sénat, aux juges de les faire appliquer si nécessaire.

Nous considérons en outre que les aménagements de peine, en particulier au cours des deux dernières années, constituent des mesures indispensables pour préparer le détenu à sa sortie et à sa réinsertion.

Malheureusement, il subsiste des points sur lesquels nous jugeons le texte insuffisant. J’ai déjà évoqué tout à l’heure les régimes différenciés, je n’y reviendrai donc pas, mais je voudrais citer deux tristes records de nos prisons.

Le premier concerne le nombre de suicides. Or je crains que cette loi ne permette pas de le réduire. À cet égard, permettez-moi de vous dire, madame le garde des sceaux, que vous ne lutterez pas contre les suicides en fournissant aux détenus des draps indéchirables et des pyjamas en papier… J’ai lu que vous aviez annoncé cette mesure, mais celle-ci n’est évidemment pas de nature à lutter contre les suicides. En effet, le suicide n’est pas affaire de procédés techniques ; il résulte toujours, malheureusement, d’une volonté d’en finir par n’importe quel moyen.

Sur cette question sensible, un rapport avait été remis à Mme Dati, mais il avait été immédiatement retiré, car il avait fait l’objet d’une polémique au sujet de son contenu. Pour ma part, je souhaite que le rapport Albrand, dans sa version non corrigée, soit de nouveau mis sur la table afin d’engager une réflexion d’ensemble.

L’autre record, dont on parle moins, est tout aussi inquiétant, car il est révélateur de l’état de notre politique pénale et de notre politique pénitentiaire : je veux parler du nombre de récidivistes. Notre pays affiche le taux de récidive le plus élevé, alors même que notre politique pénale est la plus répressive ! J’en reviens donc à ma question initiale : à quoi sert la prison ? Si, sous couvert de punition, la prison doit servir d’école de la délinquance, c’est une absurdité !

Que savons-nous sur ce sujet ?

D’abord, on compte deux fois plus de récidives lorsque la sortie est sèche, c’est-à-dire lorsqu’elle n’est pas accompagnée. Il faut donc creuser l’idée de la préparation à la sortie.

Je suis obligé de vous le dire, madame le garde des sceaux, la politique du Gouvernement est fondée sur l’hypocrisie. D’un côté, sa politique pénale remplit, à grand bruit, les prisons, allant ainsi dans le sens de l’opinion publique, et, de l’autre, devant le désastre de la surpopulation pénale, sa politique pénitentiaire tente de les vider en catimini ou, à tout le moins, de « gérer les flux », comme on dit aujourd'hui.

Les aménagements de peine nécessitent de vrais moyens d’accompagnement. À défaut, le cercle vicieux que nous connaissons se poursuivra : de nouveaux faits divers s’étaleront à la une des journaux, seront suivis de déclarations toujours plus musclées, puis de l’annonce d’une législation encore plus répressive. Tout cela n’aboutira à rien de moins qu’à aggraver la récidive et, sans doute, la condition pénitentiaire. On ne réalisera ainsi aucun progrès.

Selon nous, la vraie prévention de la récidive a un nom : la réinsertion.