M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.

M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je commencerai mon propos en citant Julien Benda, philosophe et écrivain : « Ce sera une des grandes responsabilités de l’État moderne de n’avoir pas maintenu [...] une classe d’hommes, exempts des devoirs civiques, et dont l’ultime fonction eût été d’entretenir le foyer des valeurs non pratiques ».

Nous avons la chance de vivre en France, un pays pétri de valeurs et d’histoire. Pourtant, la jeunesse de notre pays connaît un réel malaise et apparaît souvent sans les repères qui construisent l’homme ou la femme adulte vivant en société. Et puisque l’harmonie de vivre ensemble doit être assurée, c’est à nous, législateur, d’aider notre jeunesse à faire l’apprentissage de la fraternité et du civisme.

Sans doute sommes-nous responsables quand notre jeunesse semble déboussolée. Peut-être avons-nous mal transmis les valeurs que nous avaient enseignées nos anciens.

Quoi qu’il en soit, dans le contexte actuel de crise financière et de crise sociale, notre jeunesse a désespérément besoin de valeurs auxquelles se raccrocher, et qui sont autant de références pour réussir sa vie, pour soi et pour les autres.

Le service militaire obligatoire n’était pas dépourvu d’aspects négatifs, mais une majorité de Français y voyait la possibilité d’une cohésion nationale, d’apprentissage de la vie en communauté et de brassage social. Combien de « copains de régiment » ne sont-ils pas restés copains pour la vie ! Il permettait aux jeunes une prise de conscience, au moment où ils arrivaient à l’âge adulte, de leurs devoirs vis-à-vis de la communauté nationale. Mais la société française a changé, et les moyens de la défense nationale ont évolué. Il fallait en prendre acte.

Au lieu de conserver les aspects positifs du service national, nous avons laissé s’affaiblir l’éducation au civisme et à la citoyenneté. Cela est déploré par tous et il serait temps de remettre les valeurs de la République à l’ordre du jour. Nous avons la chance d’être un pays avec une histoire riche, sachant marier la défense des droits et la grandeur des devoirs des citoyens. Malgré quelques rappels sévères de la Cour européenne des droits de l’homme, nous devons rester le pays des droits de l’homme, et les enfants de notre République doivent se le rappeler, en faisant vivre ces valeurs.

Apprendre à vivre ensemble, filles et garçons, avec la notion de respect réciproque que cela implique, transcender les individualismes, respecter les différences, s’ouvrir aux autres : voilà les fondamentaux de la vie en collectivité. Leur acquisition passe par le développement du civisme, culture première du citoyen, à laquelle il faut donner un élan nouveau.

La République a encore quelque chose à dire. Elle est capable de transmettre ses valeurs. Elle peut continuer de porter un projet collectif qui transcende les barrières de classe, de naissance et d’origine.

Après la famille, c’est à l’État qu’il appartient de tout mettre en œuvre pour faire vivre les valeurs du pacte républicain. C’est à lui d’organiser le cadre qui permettra de réinventer un système capable d’inculquer aux jeunes que le civisme est un devoir et la citoyenneté un droit.

Concernant la terminologie, il faut désormais parler uniquement de « service civique », l’utilisation de l’expression « service civil » qui a été faite par le passé ne recouvrant pas entièrement les enjeux et objectifs d’un service civique. La terminologie joue ici un rôle très important : elle est la première à faire passer le message que nous voulons adresser.

Notre objectif à long terme doit être la création d’un service, civique donc, universel, mixte et obligatoire, qui permettrait un nécessaire brassage social, une confrontation aux différences, pour les jeunes de notre pays, un brassage des cultures qui se mêlent sur notre sol, un apprentissage de la citoyenneté, faite de droits et de devoirs.

Et pourtant, pendant pratiquement dix ans, bien peu a été fait pour remplacer le service militaire et pour permettre le brassage social et culturel de notre jeunesse. Malheureusement, ce ne sont que l’épisode des violences urbaines de l’automne 2005 et l’image négative persistante dont la jeunesse fait parfois l’objet au sein de l’opinion publique qui ont permis l’arrivée de la loi sur l’égalité des chances de mars 2006 et, avec elle, la création du service civil volontaire doté d’un statut officiel.

Mais, aujourd’hui, force est de constater que ce service civil est un échec, ce qui, pour le moment, exclut malheureusement la possibilité de créer un service civique obligatoire. Les conditions de réussite d’un tel engagement ne sont, en effet, pas du tout réunies.

La première de ces conditions est bien entendu le budget qu’il faudrait y consacrer. Je doute que, dans les conditions actuelles, l’État ait les moyens financiers nécessaires. On imagine que la décision de le rendre obligatoire suppose une volonté politique très forte et un important travail en amont. Je suis donc réaliste, même si, pour paraphraser Jean Jaurès, il faut toujours tendre vers l’idéal.

Un service civique, obligatoire ou non, doit être attrayant et valorisant. Il faut une phase de montée en puissance du service civique volontaire. Ce qui a été mis en place en 2004 par le plan Borloo, puis en 2006 par le plan Villepin, ne permet pas cette montée en puissance de manière satisfaisante.

La mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes a permis de faire un bilan de l’existant en matière de service civil, ou civique, selon les cas. Certains de mes collègues, notamment par la voix de Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission, et de la vôtre, monsieur le rapporteur, ont eu l’occasion de tirer les conclusions de ces travaux dans cet hémicycle.

L’ambition de la loi de 2006 était d’atteindre rapidement les 10 000 volontaires, puis d’arriver à 50 000 personnes par an. Pourtant, au cours des quatre années de mise en place de ce service, seuls 3 134 volontaires ont été recrutés sous ce statut. C’est donc un échec, et pas seulement du point de vue quantitatif : ces chiffres ne permettent évidemment pas d’atteindre les objectifs de mixité sociale de toute une classe d’âge, un des principaux enjeux de ce service civil.

Les raisons de cet échec sont parfaitement identifiées.

La première raison, et la plus significative de la politique du Gouvernement, concerne les crédits attribués au service civil volontaire, qui ont été ridiculement bas au regard des enjeux et des objectifs contenus dans la loi de 2006.

En effet, un jeune volontaire reçoit une indemnité mensuelle maximale de 652 euros. Sur cette indemnité, l’État prend à sa charge jusqu’à 90 %, auxquels il faut ajouter les charges sociales, dont l’État prend en charge 95 %, plus une partie des dépenses d’accompagnement. Au total, un volontaire coûte donc en moyenne à l’État 14 232 euros par an.

Au vu de ces chiffres, le budget actuel ne permet même pas le recrutement de 10 000 volontaires par an. On est bien loin des 50 000 initialement annoncés par le Gouvernement !

En 2008, il manquait, dès le premier trimestre, 7 millions d’euros à l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances pour boucler son budget. Celle-ci a donc été contrainte de demander aux structures d’accueil de cesser le recrutement de volontaires associatifs. Un comble pour une mesure qui montrait déjà ses limites !

Comment, dans de telles circonstances, remplir les objectifs, pourtant fondamentaux, du service civil volontaire ? Le Gouvernement avait-t-il vraiment l’ambition de refonder le lien citoyen entre l’individu et la collectivité, d’organiser la rencontre de nos jeunes, le brassage de toute une classe d’âge ? La question mérite d’être posée.

Le nouveau statut proposé aujourd’hui par notre collègue Yvon Collin devrait retenir, avec un peu plus de constance cette fois-ci, l’attention du Gouvernement.

Une autre raison contribue à expliquer le faible nombre de volontaires effectuant leur service civil réside tout simplement dans l’ignorance, par les jeunes, de cette possibilité qui leur était offerte. Le défaut de communication a été fatal au service civil. Ne le connaissent que les jeunes qui font une démarche en ce sens. D’ailleurs, ce sont les associations qui utilisent très majoritairement ce dispositif, à plus de 95 %. Les communes et les établissements publics se partagent le reste. Cela réduit d’autant la diversité des missions et du recrutement des futurs volontaires.

Enfin, concernant l’objectif de mixité sociale, qui était un objectif essentiel du service civil volontaire, il ne semble pas atteint. Bien que toutes les catégories sociales soient représentées, elles ne sont pas mélangées. Les jeunes sont, en l’état, trop isolés dans des dispositifs séparés. Ceux qui sont issus de familles aisées s’engagent plutôt dans le volontariat international, alors que les jeunes venant de milieux défavorisés sont orientés dans des structures locales.

Des jeunes totalement différents ne peuvent donc ni échanger ni s’enrichir mutuellement du vécu de chacun. La mixité sociale était pourtant l’un des principaux enjeux du service civil.

Nous ne pouvons pas nous contenter de la situation que je viens de décrire. Mais, nous ne pouvons pas relancer un nouveau projet sans un minimum de concertation. Nous savons que les associations sont demandeuses d’une amélioration de l’actuel service civil volontaire. Un travail en profondeur doit donc être réalisé avec elles. Une association comme « Unis-Cité » emploie à elle seule chaque année plus de 900 volontaires. Ce sont des associations comme celle-ci, qui connaissent bien les jeunes, mais aussi la forme du service civil actuel qui pourront nous aider à bâtir un service civique, au plus près de leurs besoins et de leurs attentes, et qui permettront de définir un vrai service civique.

Nous devons travailler avec ces acteurs, afin que le service civique ne constitue pas une corvée pour les jeunes de notre pays, mais soit au contraire une superbe opportunité de rencontres, une occasion de se tourner vers les autres et de découvrir des valeurs républicaines, qui pour diverses raisons n’étaient pas encore ancrées dans leur bagage intellectuel.

La proposition de loi de notre collègue Yvon Collin est un pas en avant, une étape nécessaire pour atteindre l’idéal, c’est-à-dire un service civique obligatoire.

Tout le sens du service civique est d’organiser la rencontre entre l’engagement personnel et le service solidaire de la collectivité. Il est de la responsabilité de l’État de permettre à l’individu de s’engager et de lui en fournir les moyens.

En plaçant l’obligation du côté de l’État, et non plus du côté de l’individu, comme c’était le cas avec le service militaire, on rompt également avec la tradition séculaire qui veut que l’engagement citoyen soit subi. Peut-être est-ce la solution pour arriver à un service civique qui soit plus automatique et systématique – j’allais dire naturel –qu’obligatoire.

Cette proposition de loi a l’avantage de regrouper sous un seul format une multitude de dispositifs de volontariat civil. Jusqu’à ce jour, on en recensait en effet une dizaine : volontariat associatif, volontariat civil de cohésion sociale, etc. ; et autant de procédures administratives et de missions, ne répondant pas toujours à l’intérêt général.

Un statut unique permettra, en revanche, un recentrage des missions qui sont confiées aux jeunes et une simplification administrative, tant du côté des structures d’accueil pour leur agrément que du côté des candidats.

Les structures d’accueil pourront ainsi être diversifiées, et si le travail d’information auprès des jeunes est réalisé, le service civique pourra alors remplir son rôle. Ce sera une expérience humaine enrichissante qui viendra compléter leur cursus scolaire et/ou universitaire avant qu’ils entrent dans la vie active, mais ce sera aussi l’occasion d’aider ceux qui ont décroché et sont sortis du système scolaire sans diplôme ni qualification. Le service civique peut être à la fois un apprentissage de la citoyenneté et un tremplin pour l’insertion professionnelle.

Par ailleurs, le fait de doter le service civique de toutes les garanties économiques et sociales nécessaires permettra au plus grand nombre de profiter de cette nouvelle expérience, en ce qui concerne tant l’indemnisation, ajustable en fonction des circonstances et non imposable, que l’encadrement juridique des termes du contrat.

Enfin, une évaluation du dispositif devrait être prévue, dans deux ou trois ans, afin de réajuster ce qui est décidé aujourd’hui.

Notre jeunesse nous crie son besoin de plus de cohésion, de compréhension, de découverte de la société et du monde. Nous devons lui donner cette chance, nous devons lui offrir l’espoir d’une vie plus sereine où chacun aura appris à vivre non pas à côté de son voisin mais avec lui. C’est à un véritable enjeu de société que nous nous trouvons confrontés aujourd’hui.

Pour finir, il est un élément essentiel sur lequel j’aimerais insister : la mise en œuvre de cette proposition de loi et d’un véritable service civique de qualité et remplissant ses objectifs nécessitent, de la part de l’État, un engagement financier significatif.

Sans cet engagement financier, le service civique est de nouveau condamné à n’être que quelques mots supplémentaires inscrits dans le code du service national. Sur ce point, nous attendons, monsieur le haut-commissaire, vos assurances et vos engagements.

Les débats budgétaires qui approchent nous montreront, de toute façon, quelle importance l’État accorde au renforcement du civisme et de la mixité sociale dans notre pays.

En somme, nous ouvrons le débat en étant plutôt favorables à la proposition de loi de M. Collin. Nous avons vu qu’une quarantaine d’amendements sont à examiner. Il va de soi que nous serons attentifs au sort réservé à ceux qui seront présentés par notre groupe, qui n’ont d’autre prétention que d’enrichir ou préciser le texte. De même, nous regretterions que des amendements viennent vider la proposition de loi de sa substance.

J’espère en tout cas que de notre dialogue sortira une loi qui permettra à la jeunesse de France de partager les valeurs qui constituent le ciment de notre communauté nationale et font rayonner à travers le monde nos idéaux nés des Lumières et de la Révolution française. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du RDSE. – Mme Catherine Morin-Desailly, Mlle Sophie Joissains et M. Christian Poncelet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, parmi toutes les actions que l’on nous promet ces derniers mois en faveur des jeunes, il en est une qui me semble fondamentale et qui doit occuper une place de tout premier plan : la réforme du service civil.

En ce qui nous concerne, lassés par les effets d’annonce, nous avons, avec mes collègues du groupe du RDSE, notamment son président, Yvon Collin, décidé d’aller de l’avant et de nous investir sur ce sujet essentiel pour l’avenir de notre nation.

Ce sont les aspirations et les difficultés des jeunes qui constituent le point de départ de notre réflexion quant à la mise en place d’un service civil entièrement repensé. Il est aujourd'hui vital de recréer du lien social en incitant les jeunes à assouvir un sain désir de donner de leur temps au service des autres.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. François Fortassin. Ce temps à part dans la vie de chacun doit devenir une occasion privilégiée pour acquérir une éducation civique et citoyenne qui offrira de sérieuses perspectives d’insertion.

Grâce à cela, nous voulons combattre l’individualisme qui n’engendre que du négatif : violence, incivilité, disparition progressive du sentiment d’appartenance à une collectivité nationale.

Aujourd'hui, il existe déjà un dispositif, unanimement jugé inadapté. La lourdeur des procédures, la complexité des financements, l’absence totale de visibilité du service civil volontaire tant auprès des jeunes que de leur entourage, y compris leur entourage professionnel, sont autant de raisons qui l’ont empêché de se développer, comme cela était attendu avec impatience après les graves incidents qui ont agité les banlieues en 2005.

Alors que la crise économique frappe de plein fouet la jeunesse de notre pays, nous avons le devoir d’améliorer ce dispositif. Les jeunes doivent pouvoir bénéficier de l’expérience extraordinaire que constitue un service que l’on qualifiera désormais de « civique ».

Le service civique que nous voulons instaurer avec cette proposition de loi revêtira, nous en sommes convaincus, les caractéristiques nécessaires à son succès.

Tout d’abord, je me réjouis qu’il conserve son caractère volontaire. En l’état actuel des choses, on ne peut envisager de le rendre obligatoire, en raison des contraintes financières et matérielles que cela sous-entend et parce qu’il est pour l’instant l’objet d’une mauvaise presse.

Il sera donc essentiel de développer cette visibilité dont les jeunes ont besoin, afin que le service civique soit reconnu comme étant particulièrement valorisant et épanouissant. Il est indispensable, si l’on veut que le service civique attire les jeunes de notre pays, que cet épanouissement soit absolument éclatant.

L’État doit avoir un rôle incitatif. Considérons qu’il s’agira d’une phase d’expérimentation sur le fondement d’un volontariat fortement valorisé et surtout fortement encouragé.

Le service civique que décrit cette proposition de loi permettra aux jeunes d’assouvir leur goût pour l’engagement et la solidarité en France ou à l’étranger, dans des domaines très variés tels que l’action humanitaire, la coopération, tellement attendues dans un certain nombre de pays, que ce soit en Afrique, en Amérique latine, voire en Asie. Car ce que la France a de meilleur à donner, c’est encore son savoir et ses expériences.

Le service civique serait utile pour un certain nombre de jeunes, alors que le service militaire de la coopération a disparu, et qu’il n’a pas été remplacé de façon efficace par d’autres dispositifs. Il y va de la réputation et de l’image de la France dans un certain nombre de pays.

Coopération, prévention, éducation ou encore défense de l’environnement : le service civique doit inciter les jeunes à acquérir les valeurs fondamentales de notre République.

D’une durée variable de six à vingt-quatre mois, il sera ouvert à toutes les personnes de plus de seize ans et sans limite supérieure d’âge, citoyens européens ou étrangers sous condition de résidence régulière et continue en France. Cette large mixité au sein des volontaires est indispensable pour nous permettre d’atteindre l’objectif de brassage que nous nous fixons.

Ce service pourra s’effectuer dans un cadre institutionnel ou associatif mais l’aspect fondamental, me semble-t-il, réside dans la valorisation du service civique dans le parcours des jeunes, tant dans leur cursus d’enseignement supérieur que dans leur carrière professionnelle par le biais de la validation des acquis de l’expérience, comme cela a été dit à plusieurs reprises.

Par ailleurs, une attestation d’engagement de service civique sera délivrée ainsi qu’un document recensant les activités exercées, les aptitudes, les connaissances et les compétences acquises, y compris pour les bénévoles ayant exercé dans le cadre d’une mission d’intérêt général.

Grâce notamment à la phase de préparation aux missions ainsi qu’à l’accompagnement des volontaires par un tuteur désigné pour assurer une formation citoyenne et faciliter la réflexion sur un projet d’avenir, le service civique que nous proposons remplira pleinement son rôle.

Il sera un moment d’insertion civique autant que d’insertion professionnelle sur le marché du travail ; il favorisera le don de soi à la collectivité et le brassage social. Bref, il sera un vecteur fondamental de la cohésion nationale.

M. Yvon Collin. Absolument !

M. François Fortassin. Le service civique doit être le vent frais de l’espérance et de la générosité dont notre société a tellement besoin.

Mes chers collègues, nous avons aujourd’hui l’occasion de faire un grand pas en avant dans notre politique en faveur des jeunes. Le Sénat sera à l’origine de cette excellente initiative et nous ne pouvons que nous en réjouir. Nous n’avons plus qu’à adopter ce texte dans la meilleure version possible – je ne doute pas qu’il sera fortement amélioré par les amendements – et à faire en sorte de sensibiliser nos collègues de l’Assemblée nationale pour qu’ils s’en saisissent le plus rapidement possible. De la rapidité avec laquelle le nouveau dispositif sera mis en place dépendra son succès et le terme de « Chambre Haute », à cette occasion, prendra tout son sens.

Je terminerai par une question : ne faudrait-il pas prévoir un dispositif pour les jeunes ayant eu maille à partir avec la police et la justice afin de les inciter à adhérer au pacte républicain et de favoriser l’avènement de la société harmonieuse et pacifiée dont nous rêvons tous ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au service civique
Discussion générale (suite)

11

Modification de l’ordre du jour

M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 668 de M. Alain Gournac est retirée de l’ordre du jour de la séance du mardi 3 novembre 2009. Elle est remplacée par la question orale n° 673 de Mme Claudine Lepage.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Roland du Luart.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi relative au service civique
Discussion générale (suite)

Service civique

Suite de la discussion d'une proposition de loi

(Texte de la commission)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au service civique
Articles additionnels avant l’article 1er A (début)

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi relative au service civique, présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du RDSE.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mlle Sophie Joissains.

Mlle Sophie Joissains. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, j’interviens ce soir pour soutenir les avancées évidentes de la proposition de loi relative au service civique. En effet, une synthèse remarquable a été faite des différentes formes de volontariat, à l’évidence selon un schéma altruiste.

Le rapporteur M. Christian Demuynck les a décrites et commentées avec le talent qu’on lui connaît.

En partie fruit de la commission sur la politique de la jeunesse conduite par Martin Hirsch, dont les mérites ne sont plus à vanter tant son investissement personnel demeure exemplaire, ces travaux ont été conduits avec rigueur, sérieux et esprit de consensus.

Présentée en la personne de M. Yvon Collin par le groupe du RDSE, amendée et défendue par le rapporteur UMP Christian Demuynck, la proposition de loi constitue une indéniable avancée par rapport à l’existant.

Néanmoins, mes chers collègues, cette avancée qui fait l’unanimité ou presque, et à laquelle j’adhère pleinement, doit, et l’analyse qui va suivre m’est tout à fait personnelle, n’être qu’un palier, certes nécessaire, mais forcément transitoire.

En effet, ce service civique, dont les modalités ont été pensées pour le rendre profondément attractif, demeure volontaire et ne présente pas encore, de facto, de caractère universel.

Je souhaite, à ce stade, intervenir sur ce qui peut légitimement être attendu du service civique, son urgence et sa nécessité. Je le ferai avec d’autant plus d’humilité que j’ai milité pour la suppression du service militaire. À l’époque, les traces de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre du Vietnam et de celle d’Algérie étaient vivaces. Mai 68 avait amené une prise de conscience aiguë des horreurs de la guerre. De plus, le service militaire, loin de la conscription glorieuse conçue par la loi Berteaux, était devenu le lieu des injustices, où les exemptions se faisaient de plus en plus massives, et le lieu où l’on avait le sentiment de perdre son temps.

Tout cela avait contribué à galvauder, à miner de l’intérieur le rôle citoyen qui, nonobstant l’empilement incessant de mesures sociales, n’a jamais été retrouvé.

Le rôle républicain du service militaire et son apport à la construction de la nation par le brassage et le rapprochement des citoyens étaient majeurs. Il introduisait une coupure, une parenthèse dans la vie de chacun, qui lui permettait de côtoyer et de construire des liens avec des personnes qui, en toute vraisemblance, seraient restées hors de son champ de vie quotidien.

Il permettait à de nombreux conscrits de ne pas rester sur le bord du chemin : rattrapage des faiblesses scolaires, formation complémentaire, amélioration sanitaire ou début d’intégration professionnelle.

Enfin, il apportait à la France l’évaluation sans équivalent d’une génération entière, qu’il s’agisse du bilan des compétences ou du bilan sanitaire. Cela devrait sans doute être prévu dans le programme de la nouvelle journée d’appel à la défense.

Néanmoins, isolé, sans suivi réel ni contrôle, ce bilan ne pourra plus constituer le socle à partir duquel pouvaient se mesurer les progressions et les améliorations. Il sera, mon expertise d’élue à la politique de la ville me le fait pressentir, un bilan suivi d’une orientation le plus souvent considérée comme factice, et non suivie.

Combien de fois ai-je dirigé vers des structures compétentes des jeunes gens qui demandaient du travail, et que la collectivité ne pouvait embaucher ? Je parle des jeunes gens, mais cette réalité touche malheureusement des personnes de tous les âges. Ces structures compétentes paraissaient tellement étrangères et dénuées de sens à ces jeunes qu’ils n’ont même jamais essayé d’y mettre les pieds. J’évoque ici non pas la fainéantise – même si cela peut exister, ce n’est pas le sujet –, mais un phénomène bien plus grave. Je vous parle de jeunes gens pour lesquels le monde ne fait plus sens, de jeunes auxquels l’information, la communication ne parvient pas, car ils vivent totalement repliés sur leur environnement immédiat.

J’ai eu la chance de pouvoir guider deux d’entre eux, ignorants de leurs propres compétences et de leur potentiel, comme de nombreux jeunes d’ailleurs, vers l’armée. Elle n’est pas la panacée et n’y prétend pas. Mais ils y ont trouvé la structure, la colonne vertébrale dont ils avaient besoin, et ce sont alors deux familles qui se sont redressées, prêtes non plus à subir mais à vivre le monde qui les entourait.

On me rétorquera que leur démarche était volontaire. Certes. Nous ne pouvons qu’être sensibles à la philosophie, à la beauté de l’engagement volontaire, mais l’arbre cache la forêt. Pour choisir, encore faut-il en être capable. Or l’isolement social, la vie en marge rend hermétique à tout ce qui vient du dehors.

L’obligation de proposer à tous le service civique est séduisante. Mais comment l’organiser ? Il ne peut s’agir d’une simple information, elle serait vouée à l’échec. Ne souffre-t-elle pas aussi du problème constitutif qui touche le caractère obligatoire du service civique, je veux parler du financement ? Veut-on réellement ouvrir le service civique à tous et, en l’état des choses, le peut-on ?

De surcroît, cette formule du volontariat n’est-elle pas, malgré la séduction qu’elle exerce, un dévoiement total de l’idée que chaque citoyen se fait à l’évocation de la formule : « service civique » ?

En effet, le terme de « service » renvoie bien souvent à une nostalgie de la conscription, à l’idée d’un contrat avec la nation, d’un devoir à accomplir envers cette dernière et, enfin, d’un rite de passage à la citoyenneté.

Aujourd’hui, servir son pays, ce n’est plus forcément prendre les armes, bien qu’il ne faille pas dénigrer ce rôle et salir la mémoire de ceux qui sont morts pour la France, et auxquels nous devons la reconnaissance infinie de vivre dans un pays libre. À l’heure actuelle, servir son pays, ce peut être s’engager dans ses forces de protection civiles ou militaires, mais aussi se former dans l’apprentissage des soins aux personnes ou dans la protection de la nature et de l’environnement, un apprentissage permettant à notre pays de rayonner et d’être précurseur au sein de l’Europe et de la communauté internationale.

Le service civique a aussi été considéré comme une mesure essentiellement, si ce n’est purement, sociale. Ne court-on pas le risque, s’il n’est pas appliqué à tous, que cet outil soit alors stigmatisé et, de fait, contribue à accroître les clivages que l’on se donne pour but de réduire ? Le service civil existe : 50 000 volontaires étaient prévus, nous atteignons péniblement le nombre de 3 000. Ne risque-t-on pas de créer une énième mesure, qui s’ajoute aux autres et, par suite, de perdre, de galvauder le sens et l’idée qui se dégagent de sa dénomination ? Le terme « civique » évoque une mise en pratique de nos valeurs républicaines. Comment ces valeurs pourraient-elles s’exercer véritablement si elles n’ont pas pour locuteurs des Français représentatifs de l’ensemble de notre société ?

La société française est diverse, en termes tant sociaux qu’ethniques, religieux et culturels. Si l’on désire qu’une richesse se dégage de notre société, et de l’ensemble de ces paramètres, c’est par la rencontre, la mise en situation de fraternité, que cela pourra se faire.

Ne l’oublions pas, le service civique est aussi une pétition d’identité et un facteur d’unité.

Si la conscription n’avait pas existé, vous pourriez croire que je nage en pleine utopie. Mais l’exemption généralisée a été le cancer qui a rongé la conscription et entraîné la déliquescence du service militaire.

Le service civique, dans l’esprit de nos concitoyens, en tout cas c’est ainsi que je l’ai ressenti, est obligatoire et universel. Le reste, bien qu’étant un travail important, intelligent et, je le répète, nécessaire dans une phase transitoire, ne serait, je le crains, qu’une mesure de surface si elle devait être définitive.

Encore une fois, combien de jeunes et de moins jeunes connaissent les mesures existantes ? Combien préfèrent rester dans un univers qui semble précaire à nos yeux, mais, qui, d’une certaine manière, est rassurant aux leurs, parce qu’ils y ont leurs repères, et les partagent avec leurs frères, cousins ou voisins ? Le partage, la vie en commun, nous sommes là au cœur du dispositif du service civique obligatoire et universel.

C’est toute une jeunesse qui assiste en aveugle au millefeuille de mesures qui fleurissent et se surajoutent au gré des angoisses légitimes du législateur.

Nous avons besoin d’une mesure phare, qui soit l’athanor républicain du XXIe siècle, qui n’appartienne à aucune famille politique, mais à la grande famille républicaine.

L’appel pour un service civique obligatoire et universel, lancé par Max Armanet, a été signé par 470 parlementaires de tous bords, et par des personnalités aussi diverses que l’abbé Pierre, Valérie Pécresse ou Bernard Kouchner.

Dans ses travaux, Luc Ferry adhère lui aussi à l’idée d’offrir à tout Français, quel que soit son âge, l’opportunité, s’il le souhaite, d’accomplir un service civique à toute époque de sa vie. Une véritable réserve citoyenne lui apparaît porteuse et exemplaire pour notre société. Après l’évocation de l’appel au service civique précité, il propose que ce thème fasse l’objet d’une prochaine étude du Conseil d’analyse de la société, qui pourrait avancer des propositions concrètes. Ce choix serait fort judicieux.

Bien sûr, le financement constitue un obstacle important. Mais il faudrait étudier les possibilités de reventilation des crédits et évaluer le coût des mesures obsolètes, qui sont nombreuses. Prenons le temps, mais privilégions enfin le gain formidable que représenterait une société de nouveau soudée, enthousiaste, à la générosité conquérante.

Si l’on n’a pas les moyens de sa politique, on doit élaborer la politique de ses moyens. L’Europe doit se construire avec l’objectif d’une cohésion sociale et républicaine forte, autour des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

La liberté, c’est d’abord la liberté de choix. Je rappellerai à cet égard le propos de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, […] c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». La contrainte du service obligatoire, comme celle de l’école, est là pour affranchir.

L’égalité, c’est d’abord l’égalité des chances. L’égalité exige que la République embrasse l’ensemble des citoyens d’un même regard. Le service civique obligatoire et universel doit être le lieu de l’égalité dans l’initiation citoyenne.

Quant à la fraternité, seule la mise en situation de fraternité pourra, au-delà des belles théories conçues sur le sujet, et à la condition expresse d’être extrêmement vigilant sur les exemptions, être fondatrice de la construction d’une cohésion républicaine réelle.

La France a besoin d’un renouveau, d’une adhésion profonde à ce qui est, demeure et doit perdurer : la patrie des droits de l’homme.

En conséquence, je vous demande de voter cette proposition de loi et, au-delà, peut-être plus tard, je vous inviterai à vous prononcer pour le principe d’un service civique obligatoire et universel,…