M. Alain Anziani. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier Jacques Mézard d’avoir pris l’initiative de ce débat, auquel toute personne attachée aux libertés publiques est nécessairement sensible.

Qu’est-ce qu’une garde à vue ?

C’est d’abord vingt-quatre heures ou plus de la vie d’un homme ou d’une femme dans ce que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté considère comme « les plus médiocres des locaux administratifs les plus médiocres », vingt-quatre heures – excusez-moi de la précision – dans des odeurs d’urine et parfois d’excréments.

Une garde à vue, c’est ensuite, et malheureusement, une série d’humiliations : des menottes, un tutoiement, une fouille systématique avec mise à nu, certains étant privés de leurs lacets, d’autres de leurs lunettes, et les femmes obligées de retirer leur soutien-gorge. Voilà la réalité de la garde à vue telle qu’on la pratique aujourd'hui.

Une garde à vue, c’est bien souvent l’entrée dans le monde de Kafka. Je ne sais pas si vous connaissez la première phrase de son roman Le Procès : « On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin ».

Précisément, mes chers collègues, pour nombre de nos concitoyens, être placé en garde à vue, c’est vivre des heures kafkaïennes, se retrouver à la disposition de la police, sans parfois savoir pourquoi, sans que les nécessités de l’enquête aient été expliquées, et parfois même sans enquête du tout.

Certains diront que j’exagère. Alors, ouvrons le rapport 2008 de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Une banque avait remis à deux époux âgés de soixante-dix ans trois chéquiers, dont deux appartenaient à d’autres clients. Ne s’en étant pas rendu compte, les époux avaient utilisé pendant un an les chéquiers. Un beau matin, nos deux septuagénaires sont convoqués au commissariat. Dès leur arrivée, ils sont placés en garde à vue, font l’objet d’une fouille à nu – on se demande bien pourquoi – et sont interrogés et gardés pendant plusieurs heures par deux fonctionnaires. L’homme est même palpé alors qu’il se trouve en slip et tee-shirt !

Franchement, mes chers collègues, souhaitons-nous de telles pratiques dans notre pays ?

On peut me répondre que cet exemple est excessif car, en toutes choses, il y a des exceptions.

J’ai entendu ce matin même relater sur France Info – Jacques Mézard l’a évoqué tout à l’heure – ce fait divers que je n’aurai pas, moi, la pudeur de taire. Voilà une jeune fille de quatorze ans, Anne. Un matin, alors qu’elle dort encore, la police frappe à la porte. Anne est arrêtée et emmenée dans un commissariat en pyjama – il y a une discussion sur ce fait, mais peu importe. Le policier qui a procédé à l’interpellation dira même qu’il n’a jamais menotté un poignet aussi fin… Quel intérêt, aucun délit majeur n’étant reproché à l’adolescente ?

Non, ces exemples ne sont pas des exceptions. Chacun de nous – Jean-Louis Carrère me le rappelait tout à l’heure – pourrait citer des cas de gardes à vue abusives.

Où en sommes-nous aujourd'hui ?

En 2009, 580 000 personnes ont été placées en garde à vue et, dans un cinquième des cas, la mesure a été prolongée au-delà de vingt-quatre heures. En fait, ce total déjà effrayant ne tient pas compte des 250 000 gardes à vue prononcées pour des infractions routières, ni des chiffres de l’outre-mer. Selon Robert Badinter, d’autres infractions ayant donné lieu à des gardes à vue ne seraient pas non plus comptabilisées.

Au total, 900 000 personnes, et sans doute plus, ont été concernées à un moment ou à un autre par une mesure de garde à vue l’an passé, c'est-à-dire plus de 1% de la population française…

Or, dans le code de procédure pénale, la garde à vue est une mesure exceptionnelle de privation de liberté qui doit être justifiée par les nécessités de l’enquête.

Que s’est-il donc passé ?

Les chiffres sont intéressants. En 2004, la France recense 380 000 gardes à vue. Le ministre de l’intérieur change, il s’appelle désormais Nicolas Sarkozy et, en 2009, la France connaît 580 000 gardes à vue. Sans vouloir faire de mauvais procès, on est en droit de s’interroger sur ce qui s’est passé ces cinq dernières années. Y a-t-il eu une explosion de la criminalité dans notre pays ? Non. A-t-on été victime d’une menace voire d’une attaque terroriste nécessitant des mesures exceptionnelles ? Non, encore non.

Malheureusement – c’est la raison pour laquelle Kafka est une bonne référence – nous assistons à un phénomène de banalisation, de « routinisation ». Il n’est plus si grave aujourd’hui de priver quelqu’un de liberté pendant vingt-quatre heures. Pour beaucoup de gens, cela ne semble pas si scandaleux et cela fait peut-être partie des nécessités du temps.

Cette « routinisation » a d’ailleurs été dénoncée par le Premier ministre, qui a employé le terme le 21 novembre dernier lors de l’inauguration de la nouvelle prison du Mans.

Permettez-moi de souligner cette contradiction : d’un côté, un Premier ministre qui dénonce la garde à vue et, de l’autre, des services qui l’organisent avec l’obsession du chiffre, le chiffre, encore le chiffre, toujours le chiffre. Et, pour faire de la bonne statistique, mieux vaut évidemment ne pas trop s’embarrasser des cas individuels…

La Cour de cassation a beau rappeler les principes, on ne les applique pas. J’emploierai une formule polémique, je le reconnais volontiers, mais ce sera la seule : s’il est vrai que l’on ne gagne pas les élections avec le recueil des arrêts de la Cour de cassation sous le bras, je trouve dommage que les arrêts de la haute juridiction soient ainsi voués à n’être jamais consultés que le 14 juillet !

J’ai parlé de « routinisation ». En fait, c’est plus que cela. Il y a une culture de la répression. J’ai l’impression que la garde à vue est actuellement, dans le grand arsenal de la répression, une petite sanction « cousue main ». On l’utilise pour blâmer, pour humilier : un regard de travers ? Garde à vue ! Un propos déplacé ? Garde à vue !

Aujourd'hui, on confond l’objet même de la garde à vue, tel que défini par le code de procédure pénale, et cet instrument qui permet d’assouplir, de faire plier, de soumettre quelqu’un qui n’aurait pas le comportement attendu.

Selon le mot de l’ancien bâtonnier de Paris, pour un avocat, compte tenu des conditions actuelles, la garde à vue est, au mieux, une « visite de courtoisie ».

Dans notre État de droit, nous avons mieux à faire, me semble-t-il, que de rendre des visites de courtoisie. Il faut donc réformer la garde à vue. Robert Badinter précisera notre position sur le rapport Léger.

Madame le ministre d’État, mes chers collègues, nous ne devons pas aujourd'hui recouvrir la garde à vue d’un vernis sécuritaire pour effacer les atteintes aux libertés publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Gérard Larcher remplace Mme Monique Papon au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, depuis quelques semaines, et ces jours derniers encore, la presse regorge d’articles aux titres aguicheurs pour le grand public : « Il faut supprimer la garde à vue », « L’inflation choquante des gardes à vue », « Gardes à vue : sortir de la logique policière », « Les statistiques officielles sous-estiment le nombre réel de gardes à vue », « La garde à vue : une usurpation policière », « Conflit sur la garde à vue », « La France : mauvaise élève en matière de gardes à vue » , « Abus de gardes à vue ». Je ne peux arrêter ce flot de « unes » sans avoir cité celle-ci : « Fillon, choqué du nombre de gardes à vue ».

Le 3 février dernier, le Premier ministre a annoncé en ces termes un texte pour encadrer la garde à vue en France : « Je suis choqué du nombre de gardes à vue dans notre pays, je suis choqué par la manière dont la garde à vue est utilisée comme moyen de pression pour obtenir des aveux […] On ne doit pas utiliser la garde à vue à tout va. »

Jusqu’à vous, madame le ministre d’État, qui récemment déclariez que « les gardes à vue seront limitées aux réelles nécessités de l’enquête, garantissant la liberté de chacun en assurant la sécurité de tous ».

Madame le ministre d’État, pour avoir bien compris combien chaque mot pèse dans votre bouche, je mesure la portée de votre déclaration en réponse à ce climat émotionnel né de décisions récentes prises par la Cour européenne des droits de l’homme – Jacques Mézard l’a rappelé – et, plus près de nous, par le tribunal de Bobigny, tendant à dénoncer les conditions dans lesquelles sont intervenues certaines gardes à vue.

Dans ce contexte particulier, largement repris en écho par de nombreuses personnalités d’autorité du monde judiciaire, la question posée par mon excellent collègue Jacques Mézard est fort opportune.

Avec lui, notre groupe a d’ailleurs déposé une proposition de loi qui sera examinée par notre Haute Assemblée au mois de mars prochain, texte venant s’inscrire ainsi au nombre des autres propositions de loi émanant de collègues députés ou sénateurs qui, comme nous ici, s’interrogent sur le dispositif de la garde à vue.

Mon propos ne sera pas tant de revenir sur des décisions jurisprudentielles largement commentées que de m’interroger, à mon tour, sur les conditions dans lesquelles pourrait être améliorée la garde à vue.

Je veux d’abord souligner combien le principe de la garde à vue, né en 1958 par inscription dans le code de procédure pénale, a évolué au gré du contexte événementiel et sociétal, visant désormais, au-delà du régime de droit commun, des régimes dérogatoires, s’agissant du terrorisme, des stupéfiants, voire du banditisme.

Ces évolutions, très encadrées par le Conseil constitutionnel, ont eu pour objectif permanent de mieux protéger le mis en cause. Car là est le paradoxe : parce qu’elle est privative de liberté physique, la garde à vue crée un espace de liberté intérieure protectrice. Elle ouvre des droits auxquels n’aurait pas accès le mis en cause s’il n’était pas placé dans cette situation.

La loi du 4 janvier 1993 est, sur ce point, essentielle : elle a conforté la fonction de contrôle du procureur de la République. Le magistrat doit être avisé dès le début de la mesure. La personne mise en cause a la possibilité de faire aviser un proche de la garde à vue dont elle fait l’objet. Le droit à l’examen médical est affirmé dès le début et au cours de la garde à vue ; l’arrivée de l’avocat pendant la garde à vue est prévue.

Tout concourt – nouveau paradoxe – non pas à l’enfermement, mais au contraire à l’ouverture sur l’extérieur.

Vous l’aurez bien compris, madame le ministre d’État, je viens de relever les aspects positifs d’un dispositif dont chacun s’est accordé, au fil du temps et des réformes législatives, à vouloir qu’il soit plus respectueux de la liberté de l’homme tout en garantissant, comme vous l’avez vous-même rappelé, la sécurité du citoyen.

Mais, comme dans toute chose, à côté de la lumière, il y a l’ombre, et celle-ci prend ici plusieurs formes.

Il s’agit, en premier lieu, de l’abus de la garde à vue. Je ne veux pas entrer dans la querelle des chiffres - 500 000, 600 000, 900 000 même -, mais le fait est là : la progression du nombre des gardes à vue est incontestable.

À quoi faut-il l’imputer ? À l’échec d’une politique de lutte contre la petite délinquance, à la culture du chiffre ? Certains parleraient même du « culte de la statistique ». Il sera, sur ce point, fort intéressant, au travers des statistiques policières et gendarmesques, de faire l’analyse des comportements des uns et des autres au regard de la garde à vue.

En tout état de cause, les chiffres tendent à prouver que le nombre des gardes à vue liées aux infractions routières occupe une place non négligeable dans le total.

Loin de moi l’idée de refuser de vouloir protéger, parfois contre lui-même, un conducteur en état d’ébriété ou sous l’effet d’un produit stupéfiant. La cellule de dégrisement et la garde à vue peuvent être, dans certaines circonstances, la seule solution, la solution de sagesse avant de rendre à la personne mise en cause la possibilité de reprendre son véhicule.

Mais il est d’autres situations, et elles sont largement commentées par la presse, qui signale des circonstances outrageusement inexplicables, sauf à considérer que le port de l’uniforme donne tous les droits, y compris celui de mettre en garde à vue un citoyen pour un chef d’inculpation que l’on aurait bien du mal à définir.

Le deuxième point qui pose problème est celui de la présence de l’avocat.

Vous avez, madame le ministre d’État, dans une circulaire du 17 janvier, donc récemment, rappelé qu’en droit français les dispositions relatives à la garde à vue permettent toujours à la personne concernée d’avoir accès à un avocat pendant la garde à vue, conformément à l’article 63-4 du code de procédure pénale. Cet accès, pour une infraction de droit commun, peut intervenir « dès le début de la garde à vue » ; il est différé s’agissant des infractions relevant des régimes dérogatoires : terrorisme, stupéfiants, banditisme…

Effectivement, un avocat, qu’il intervienne dans le cadre de sa permanence pénale ou qu’il soit commis d’office, est avisé du placement en garde à vue d’une personne mise en cause. Cependant, le délai nécessaire à cet avocat pour rejoindre son « client » peut être très variable, que ce soit en raison de l’éloignement géographique ou d’une contrainte d’emploi du temps qui lui interdit de quitter une audience du tribunal ; et ce délai, dont chacun ici voudra bien s’accorder à reconnaître qu’il est aléatoire et souvent incontournable, peut être utilisé pour débuter une audition – en dehors, donc, de la présence de l’avocat.

Je ne saurais écarter l’intérêt qu’il y a, dans certains cas, à « faire vite », accumuler les preuves, relever les traces ; mais je me garde de cette culture – ce « culte », là encore – de l’aveu recueilli au détriment des règles essentielles du droit du mis en cause.

Les avocats que je connais, que j’ai rencontrés, ont souvent dénoncé ce problème de temps, certes difficile à résoudre, sauf à imaginer la création d’un corps d’avocats affectés à cette seule mission d’assistance à garde à vue. En revanche, ces mêmes amis avocats apprécient le fait de connaître le grief auquel sont exposés leurs clients et de recevoir au moins quelques bribes d’information avant de les rencontrer.

Le troisième point, trop souvent relevé, tient aux conditions même de la garde à vue.

Les mots ne sont pas trop forts pour dénoncer les attitudes d’humiliation morale et physique auxquelles sont soumis parfois les gardés à vue : fouilles à corps, locaux sordides… On a du mal à croire, à lire le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, que l’on soit encore dans un monde dit « humain », un monde d’hommes fait pour des hommes.

Madame le ministre d’État, je sais votre conviction qu’il faut améliorer ces lieux, de sorte qu’y soit respectée à tout le moins la dignité humaine. Mais la propreté des murs ne suffira pas : encore faudra-t-il inculquer les règles de bonne conduite nécessaires pour qu’auditions et interrogatoires ne deviennent pas un cauchemar, un enfer qui marque parfois à jamais ceux qui ont connu l’épreuve de la garde à vue.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Anne-Marie Escoffier. Mon intervention, dans le prolongement de celle de mon ami Jacques Mézard, n’avait d’autre objectif que de dire avec lui, moins bien que lui, mais avec force et conviction, l’absolue nécessité de réviser notre droit pour que la garde à vue ne soit jamais une « banalité », mais pour qu’elle soit un acte engageant notre société tout entière. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées de l’Union centriste et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.

M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons aujourd’hui concerne deux impératifs essentiels qui fondent notre État de droit : d’une part, le devoir de la société de poursuivre les auteurs d’infractions, d’autre part, l’obligation faite à la justice de garantir les droits de la défense.

Notre législation en matière de garde à vue doit faire l’objet d’un subtil équilibre entre ces deux impératifs : c’est ce que nous appelons tous de nos vœux.

En dépit du développement de la police scientifique et technique et des méthodes d’analyse faisant notamment appel à l’ADN, notre système judiciaire reconnaît toujours à l’aveu, ancienne « reine des preuves », une valeur probante particulière. Or, pendant la garde à vue, les suspects sont dans une situation de vulnérabilité psychologique et physique. Plus le mis en cause est susceptible ou fragile, plus il risque de tenir des propos avec lesquels il pense pouvoir satisfaire l’enquêteur, mais qui éloigneront la justice de la vérité.

Vous avez affiché, madame le ministre d’État, votre volonté, dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale, de rendre l’aveu en garde à vue insuffisant pour justifier à lui seul une condamnation. Le groupe UMP et moi-même saluons votre démarche. Nous ne saurions tolérer, en effet, qu’en France, pays des droits de l’homme, les seuls aveux obtenus en garde à vue puissent déterminer l’issue du procès.

Notre droit consacre, en outre, l’équilibre entre les droits de la défense et l’intérêt de la communauté à faire juger les personnes coupables d’infractions.

Ainsi, afin de contrebalancer l’atteinte portée à sa liberté individuelle, il est reconnu à la personne placée en garde à vue une sphère protectrice.

D’une part, il est fait obligation aux services de police judiciaire d’enregistrer les interrogatoires de tout suspect faisant l’objet d’une mesure de détention policière en matière criminelle.

D’autre part, le gardé à vue se voit notifier par les enquêteurs la nature de l’infraction sur laquelle portent les investigations, la durée possible de la mesure, le droit de faire prévenir un proche ou son employeur du placement en garde à vue, le droit d’être examiné par un médecin, et enfin la possibilité de s’entretenir avec un avocat.

Sur ce dernier point, la loi du 15 juin 2000 prévoit que le gardé à vue suspecté d’avoir commis une infraction de droit commun peut s’entretenir au début de la garde à vue durant trente minutes avec un avocat. Comme l’a énoncé le Président de la République lors de son discours du 7 janvier 2009 devant la Cour de cassation : « On ne doit pas redouter la présence de l’avocat dès le début de l’enquête. » À l’heure actuelle, si l’avocat est présent, il n’a toutefois pas accès au dossier de son client en amont et ne peut assister aux interrogatoires ultérieurs.

Madame le ministre d’État, vous envisagez que l’avocat puisse avoir accès à tous les procès-verbaux d’interrogatoire du gardé à vue et qu’il puisse assister aux auditions de son client en cas de prolongation de la mesure ; c’est une bonne chose. De la sorte, vous contribuerez à restaurer le plein exercice de l’avocat. S’il s’agit d’abord pour l’avocat de protéger les intérêts de son client, il s’agit aussi d’un intérêt plus large : celui de s’assurer que le système répressif fonctionne correctement, et ce afin que la justice s’appuie sur des preuves fiables et des condamnations justifiées.

La garde à vue est une mesure privative de liberté prise pour les nécessités de l’enquête à l’encontre d’une personne dont il est plausible qu’elle ait commis ou tenté de commettre un crime ou un délit. Notre droit devrait ainsi garantir qu’une personne n’est placée en garde à vue que si la contrainte est absolument nécessaire.

Or nous sommes obligés d’observer, à regret, que, loin de rester une décision grave, la garde à vue s’est banalisée. Ici, les chiffres parlent d’eux-mêmes : le nombre de placements en garde à vue est passé de 336 000 en 2001 à plus de 577 000 en 2008. En l’espace de sept ans, il a donc presque doublé !

Vous avez déclaré, madame le ministre d’État, que, dans le cadre de la réforme de la procédure pénale, la gravité des faits reprochés et les peines d’emprisonnement encourues seraient mieux prises en compte dans la décision de mise en garde à vue. Nous nous en réjouissons, car une meilleure visibilité des conditions de mise en garde à vue serait une avancée majeure.

En effet, si l’augmentation du nombre de mises en garde à vue est à mettre en relation avec le taux d’élucidation des délits, qui atteint aujourd’hui presque 40 % – nous nous en félicitons tous –, il est évident que certaines gardes à vue sont moins justifiées que d’autres.

Dans certains cas, notamment pour les crimes et délits les plus graves, l’isolement du gardé à vue paraît pleinement justifié. Il est indispensable à la manifestation de la vérité face à un « délinquant chevronné » pour qui la privation de liberté est aisément plus supportable que pour le délinquant de droit commun. Ainsi, les régimes spéciaux de garde à vue en matière de terrorisme, de proxénétisme ou encore de trafics de stupéfiants ne sauraient être alignés sur le droit commun.

Dans d’autres cas, et dès lors que le gardé à vue n’est pas interrogé et qu’aucune mesure d’investigation n’est effectuée par ailleurs, il est a contrario difficile d’admettre que la garde à vue puisse être nécessaire. Une simple audition sur convocation serait alors suffisante.

Permettez-moi, madame le ministre d’État, de vous donner un exemple pour étayer mon propos.

Encore hier, dans un reportage télévisé, une pharmacienne livrait son témoignage après une garde à vue dont les conditions même laissent peser un certain nombre de doutes sur la légalité : alors qu’au départ les policiers ne semblaient vouloir que des informations sur son compagnon, elle se serait retrouvée vingt-quatre heures en garde à vue…

On ne saurait présumer de la véracité des faits relatés, mais ce témoignage, s’il devait être confirmé, ne fait que soulever une nouvelle fois le problème récurrent de la remise en cause des libertés individuelles. En effet, cet exemple est loin d’être marginal. C’est quotidiennement que, par le biais de la presse ou de la télévision, nous sommes confrontés à des témoignages de ce type. Face à l’émotion qu’ils suscitent, nous ne saurions rester muets.

En l’absence d’habeas corpus dans notre droit, l’article VII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit que « nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi ». Et c’est à regret que l’ensemble des membres du groupe UMP et moi-même ne faisons que constater les nombreuses lacunes de notre législation en matière de garde à vue.

Les sénateurs, garants des libertés individuelles, seront particulièrement attentifs à ce que soit opérée une véritable avancée en matière de droits de la défense et de conditions de garde à vue.

À ce titre, je souhaiterais évoquer le cas particulier des gardes à vue en matière d’infractions routières, qui sont en constante augmentation.

Un grand quotidien a récemment révélé qu’en 2008 près de la moitié des auteurs de ces infractions ont été placés en garde à vue. De plus, en ce domaine, la garde à vue donne lieu à un usage variable. Ainsi, un policier pourra décider qu’un automobiliste contrôlé positif à l’alcool sera reconduit chez lui dans son véhicule par le passager, alors que, dans la même situation, un autre officier de police judiciaire pourra décider de conduire l’automobiliste en garde à vue. Ces incohérences semblent avoir pour origine le fait que les procureurs adressent des instructions différentes aux forces de l’ordre, et nous le regrettons.

Madame le ministre d’État, nous souhaiterions savoir si vous prévoyez un dispositif plus cohérent en matière de placement en garde à vue pour les infractions au code de la route, afin que, d’une part, seules les personnes susceptibles de faire l’objet d’une peine de prison soient mises en garde à vue, et que, d’autre part, les auteurs de ces infractions soient traités de la même manière sur l’ensemble du territoire de la République. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.