M. Dominique de Legge. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui porte les espoirs mais aussi les interrogations des collectivités locales de notre pays.

M. Jean-Pierre Sueur. Surtout les interrogations !

M. Dominique de Legge. Trente ans après l’adoption des lois de décentralisation, l’objectif est de leur donner un nouveau souffle. La contribution du Sénat, assemblée naturelle de nos territoires, est décisive dans ce débat. Nous sommes en passe de parvenir aujourd’hui à un texte qui me semble équilibré.

J’évoquerai, tout d’abord, le couple commune-intercommunalité.

L’exception française – notre pays compte 36 000 communes – a été souvent présentée comme une singularité pénalisante, qu’il fallait combattre en réduisant le nombre susvisé. Certes, une telle organisation peut paraître irrationnelle comparée avec celles qui ont cours dans d’autres États. Mais la présence d’un réseau de 600 000 élus de terrain engagés dans le développement de leurs communes constitue un gage tout à la fois d’efficacité, de démocratie et de représentativité des territoires.

Le programme destiné à finaliser la carte de l’intercommunalité me semble être la plus sûre méthode de pérenniser le fait communal et d’en optimiser les moyens.

Toutefois, je voudrais vous faire part de deux inquiétudes concernant ce couple commune- intercommunalité.

D’une part, les préfets ont pris l’initiative de réunir les élus pour étudier la question de la rationalisation de la carte de l’intercommunalité. Si je ne conteste pas cette anticipation – cette carte doit en effet être achevée à la fin de l’année 2013 –, je souhaite que le temps qui nous sépare de cette échéance soit mis à profit pour laisser aux élus le soin de faire des propositions, dans le cadre de la commission départementale de la coopération intercommunale. C’est à défaut de projets partagés que le représentant de l’État devra rendre ses arbitrages. Quand je vois certaines cartes circuler ou des grandes villes faire leur marché avec les services préfectoraux pour atteindre le fameux seuil des 450 000 habitants indispensable pour constituer une métropole, j’ai le sentiment que l’on va un peu vite en besogne et qu’à vouloir forcer le destin des collectivités, on prend le risque de faire échouer une réforme par ailleurs nécessaire.

Je ne souhaite pas que le territoire de mon département, l’Ille-et-Vilaine, soit organisé en fonction de ce que la capitale aura bien voulu laisser !

D’autre part, si je reconnais la nécessité de disposer de documents d’urbanisme intégrant des préoccupations qui dépassent les limites du strict territoire communal, je suis plus réservé sur les tentatives de réduire les pouvoirs du maire en matière de droit des sols, tentatives que je vois apparaître dans les débats.

Si le rôle du maire ne se résume plus qu’à la délivrance administrative de permis de construire et que l’organisation du territoire et la prospective sont renvoyées aux EPCI, nous franchirons, je le crains, un pas fatal vers la suppression de la spécificité communale française.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Dominique de Legge. Dans ce cas, il serait plus honnête d’afficher clairement les objectifs, plutôt que de s’abriter, une fois de plus, derrière le Grenelle de l’environnement, qui finit par avoir le dos bien large, notamment au titre de la densification urbaine.

Par ailleurs, je regrette que la question de la constitution des métropoles soit abordée sous le seul angle démographique. Pourquoi fixer un seuil de 450 000 habitants plutôt que de 500 000, voire 600 000 ? À la vérité, les métropoles prévues par le présent texte ne sont que des communautés d’agglomération ou des communautés urbaines d’un type nouveau. Elles n’ont ni le statut ni les moyens d’entrer en compétition avec les grandes métropoles européennes, fortes d’un million d’habitants, comme Barcelone ou Milan. Qu’est-ce qu’une métropole qui n’a pas d’aéroport international ?

De plus, les compétences de plein droit qui leur sont données ne le sont que par préemption et transfert de compétences communales. Les compétences qu’elles reçoivent du département ou de la région ne sont qu’optionnelles et nécessitent l’accord préalable de ces deux collectivités.

Les métropoles françaises qui voudraient jouer un rôle dans le concert européen doivent, à mon sens, se construire davantage en élargissant leurs compétences sur celles qui sont exercées par les départements et les régions qu’en retirant aux communes qui les composent des services de proximité.

C’est en gagnant des compétences économiques, éducatives, touristiques que ces métropoles pourront véritablement devenir le fer de lance du développement de toute une région, et peser sur l’aménagement du territoire. Les départements et les régions n’auraient rien à y perdre, bien au contraire !

De ce point de vue, le projet de loi que nous examinons manque d’ambition et de clarté.

M. Jean-Pierre Sueur. Pas seulement de ce point de vue !

M. Dominique de Legge. La constitution d’un trop grand nombre de métropoles, uniquement justifiée par la volonté de répondre à des enjeux de pouvoirs locaux, ne permettrait pas de relever le défi de l’aménagement du territoire ni celui de la compétitivité européenne.

J’en viens à présent au couple département-région.

On peut le regretter, mais, force est de le reconnaître, peu de Français identifient l’action régionale, conduite à un échelon qui n’apparaît pas toujours pertinent. Les espoirs placés dans la région lors de son passage de statut d’établissement de coopération interdépartementale à celui de collectivité de plein exercice n’ont pas toujours été couronnés de succès.

Pour ma part, je ne serais pas hostile au fait que la région retrouve cette fonction de porteur de grands projets à l’échelle de plusieurs départements. Le système ne fonctionnait pas si mal et créait un véritable lien entre les deux échelons. En outre, la question du nombre des conseillers territoriaux appelés à siéger à la région se trouverait résolue. Je n’ignore pas qu’un retour à une telle situation imposerait une modification constitutionnelle.

Aussi, je considère que la création du conseiller territorial constitue une avancée substantielle du point de vue de l’harmonisation des politiques et des actions des deux collectivités départementale et régionale. À ceux qui regrettent que nous puissions abandonner le scrutin proportionnel, je serais tenté d’objecter que si la région n’a pas trouvé toute sa place dans le paysage politico-administratif français, c’est peut-être en partie parce que le mode de scrutin ne permet pas d’identifier un élu avec un territoire.

Je ne partage pas le point de vue de ceux qui estiment avec mépris qu’une « cantonalisation » du mode d’élection des élus empêcherait ces derniers d’avoir une vision globale de leur territoire. Une telle attitude revient à faire aux élus le procès qu’’ils ne pourraient pas comprendre l’intérêt général. Je note que, dans la pratique, de nombreux exécutifs régionaux ont d’ores et déjà nommé des référents par pays.

Par ailleurs, l’introduction, par l'Assemblée nationale, de l’article 35 bis prévoyant l’élaboration d’un schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services me semble constituer une innovation intéressante.

En conclusion, le présent projet de loi a pour principal mérite de répondre à une difficulté. L’organisation territoriale de notre pays est souvent pensée sur la base du principe de l’uniformité. Or nos débats ont souligné la diversité des situations et des territoires. Le texte qui nous est soumis offre aux élus une boîte à outils dans laquelle ils pourront puiser les formes d’association et de travail adaptées à la réalité de leur territoire. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il n’est pas possible d’aborder ce débat sur la réforme des collectivités locales sans tenir compte du contexte dans lequel il s’inscrit.

Nous avons bien conscience que nous entrons dans une période de rigueur budgétaire et que, dans le cadre des choix opérés par le Gouvernement, les collectivités locales sont mises à contribution, alors qu’elles subissent déjà elles-mêmes l’impact de la crise.

Ainsi, les conséquences du gel annoncé des dotations de l’État aux collectivités seront aggravées pour les collectivités d’outre-mer, alors que celles-ci doivent faire face au rattrapage des retards accumulés et aux besoins sans cesse croissants générés par la progression démographique, sans parler des déficits de moyens liés à des transferts de compétences insuffisamment compensés.

La situation sociale et économique de nos régions est très grave et extrêmement préoccupante : les mouvements sociaux survenus l’an dernier aux Antilles et à la Réunion l’ont rappelé. Nous devons toujours avoir en tête les chiffres disponibles en la matière : à la Réunion, 52 % de la population est au-dessous du seuil de pauvreté ; 30 % de la population active est privée d’emploi ; 30 000 foyers attendent un logement social...

Les collectivités locales sont confrontées à cette situation sociale et, dans les faits, supportent des dépenses de fonctionnement aussi indues qu’élevées, alors même que les besoins en infrastructures et en équipements sont colossaux, qu’il s’agisse du traitement de l’eau, des déchets, des déplacements, du bâti scolaire, etc.

C’est pourquoi nous ne devons entretenir aucune illusion : si les moyens financiers du développement font défaut, si les finances des collectivités sont mises à mal, aucune réforme administrative ne permettra de régler les problèmes fondamentaux du développement. Le débat décisif concerne non pas le nombre des assemblées – une, deux, ou trois –, mais la question de savoir quels moyens seront mis au service de quelles compétences.

Dans un tel contexte, nous considérons que les motivations qui sous-tendent la réforme envisagée sur le plan de la métropole seront inopérantes en outre-mer, singulièrement à la Réunion.

En métropole, la création du conseiller territorial commun à la région et au département semble vouloir répondre à un besoin accru de proximité et d’ancrage territorial.

À la Réunion, cette question s’inscrit dans un cadre totalement différent, puisque notre île est une région monodépartementale, comportant un conseil régional et un conseil général couvrant le même territoire. Elle compte vingt-quatre communes et chacune de celles-ci contient un ou plusieurs cantons ; la totalité du territoire est couverte par cinq établissements intercommunaux, chiffre qui sera bientôt ramené à quatre.

La combinaison des compétences du conseil général, des communes et des EPCI sur l’ensemble du territoire permet de prendre en compte les besoins de proximité, notamment l’action sociale pour le département et les communes.

Parallèlement, le conseil régional doit se projeter dans l’avenir en assumant les compétences liées aux enjeux fondamentaux du développement, que ce soit en matière d’aménagement, de développement économique, de routes nationales, de formation, de coopération régionale, etc.

Cette répartition de compétences est en adéquation avec les modes d’élection : les cantons pour une mission de proximité, le scrutin proportionnel à l’échelon régional pour l’approche globale du développement.

Il convient également de souligner que la répartition des compétences entre les régions et les départements en outre-mer n’est pas la même qu’en métropole. Par exemple, outre-mer, les régions sont compétentes pour les routes nationales, alors que, en métropole, ce sont les départements. De même, les prérogatives fiscales des régions d’outre-mer sont tout à fait spécifiques. Je pense notamment à la taxe spéciale de consommation des carburants alimentant le Fonds d’investissement pour les routes et les transports, ainsi qu’à l’octroi de mer.

Certes, le schéma actuel n’est pas parfait, mais il correspond à une certaine logique.

Appliquer mécaniquement à la région monodépartementale de la Réunion le droit commun envisagé à l’échelon national et élire sur un même territoire des conseillers territoriaux au scrutin cantonal aboutirait à une caricature d’assemblée unique et se traduirait, dans les faits, par des aberrations. Ainsi, il nous paraît inconcevable que la même assemblée unique de conseillers territoriaux élise deux présidents d’assemblée, deux commissions permanentes, et que ses membres siègent un jour à la région, l’autre au département. Au-delà des obstacles juridiques d’ordre constitutionnel qui remettent en cause cette conception, celle-ci paraît totalement inopérante dans les faits. On voudrait discréditer la solution consistant à instaurer une réelle assemblée unique qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! De plus, cette mesure porterait gravement atteinte au principe de la parité, déjà mis à mal par ailleurs.

Nous prenons acte que, lors du vote du projet de loi à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a renoncé à ce schéma.

Nous prenons également acte que la totalité de la représentation réunionnaise à l’Assemblée nationale a condamné l’application mécanique du droit commun national à la situation réunionnaise et s’est prononcée, en l’état actuel du débat, pour le maintien du statu quo, le temps d’approfondir la réflexion.

Le Gouvernement s’est donné un délai de dix-huit mois pour faire émerger une solution pour la Réunion et la Guadeloupe. Il est évident que toute solution devra être le fruit d’une réelle concertation avec l’ensemble des élus de nos départements. C’est pourquoi nous considérons qu’il appartiendra à la représentation nationale de se saisir de ce débat et qu’il ne serait pas opportun, compte tenu de la complexité et de l’importance de ce dernier, que le Gouvernement légifère par voie d’ordonnance pour ce qui concerne les départements d’outre-mer, comme le prévoit l’article 40 du présent projet de loi, modifié.

Mes chers collègues, vous comprendrez donc que je soutienne sans réserve aucune l’amendement présenté par notre collègue Jacques Gillot.

Tant pour des raisons de forme que de fond, nous ne pouvons que nous opposer au projet de loi soumis à notre examen, tel qu’il est actuellement rédigé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le secrétaire d'État, je regrette que le projet de loi relatif à la modernisation de la démocratie locale, dont vous étiez à l’origine et dont nous avions commencé l’étude en 2009, n’ait pas été mené à terme. Je rappelle qu’il concernait le couple commune-intercommunalité.

En effet, dans le présent projet de loi, cette question soulève peu de problèmes ; elle recueille même l’assentiment de tous. Par conséquent, si elle avait fait à elle seule l’objet d’un projet loi, nous aurions adopté le texte proposé, et pour ma part, je l’aurais fait des deux mains !

L’exécutif a choisi une autre méthode, qui consiste à traiter en même temps tous les niveaux de collectivités territoriales, au travers de quatre projets de loi déposés sur le bureau des assemblées et un cinquième à venir, nous annonçait-on, concernant les compétences. De plus, on a, curieusement, commencé par le financement des collectivités, avec la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par d’autres taxes, en particulier la contribution économique territoriale.

On le voit aujourd’hui, il eût été plus efficace de commencer par les compétences. Je l’avais dit alors : on a mis la charrue avant les bœufs !

Venons-en au conseiller territorial, point de crispation, lieu de polarisation de cette réforme.

M. François Patriat. Très bien !

Mme Jacqueline Gourault. Certains sont farouchement opposés à l’existence même du conseiller territorial,…

Mme Jacqueline Gourault. … sur toutes les travées, même si certains l’expriment moins que d’autres.

Mme Nathalie Goulet. Ils ont tort !

Mme Jacqueline Gourault. Certains, dont je suis, n’y étaient pas hostiles par principe. Nombreux sont ceux qui ont rappelé, d’ailleurs, que dès 2002 François Bayrou avait proposé l’idée du rapprochement nécessaire du département et de la région.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Oui !

Mme Jacqueline Gourault. Mais deux points méritent aujourd’hui d’être précisés.

D’une part, il ne s’agissait pas de proposer les assemblées pléthoriques auxquelles on arrive aujourd’hui.

M. Jean-Pierre Sueur. Trois cents personnes, et M. Jean-Patrick Courtois en rajoute une louche !

Mme Jacqueline Gourault. Il était maladroit, monsieur le ministre, de dire hier que cela existait déjà dans certaines intercommunalités, comme à Metz. Nombreux sont ceux qui ont dénoncé cet aspect. Il s’agit de limiter les intercommunalités et non de les prendre comme modèles pour justifier les assemblées territoriales telles qu’elles sont proposées.

D’autre part, nous avons toujours réclamé une dose de proportionnelle, je dis bien « une dose ». Car aujourd’hui on a tendance à nous opposer que le scrutin uninominal est le seul garant de la représentation des territoires. Eh bien, figurez-vous que nous sommes d’accord ! C’est la raison pour laquelle nous avons proposé 80 % de scrutin majoritaire à deux tours.

M. Nicolas About. Tout à fait !

Mme Jacqueline Gourault. Par conséquent, nous défendons, nous aussi, le scrutin majoritaire à deux tours. Mais si les territoires doivent tous être représentés, toutes les sensibilités politiques doivent l’être aussi. Donc, nous avons demandé 20 % de proportionnelle. Et c’est pourquoi nous sommes favorables au scrutin mixte, qui répondrait aux préoccupations de tous. On oppose les défenseurs de la proportionnelle à ceux du scrutin uninominal à deux tours ; moi, je défends les deux !

Je tenais à expliquer ma position. C’est très important.

Bizarrement, le Gouvernement avait déposé un projet de loi allant dans ce sens. Je crois savoir qui a pu l’inspirer… Bien sûr, ce projet de loi ne nous convenait pas tout à fait. Nous l’aurions amendée sur son aspect correctif et sur les deux tours.

On nous a même reproché de ne pas l’avoir assez soutenu ! Évidemment, ce projet de loi n’a pas été débattu ! (Mme Maryvonne Blondin opine.)

M. Yves Chastan. Ce n’était pas le moment !

M. Charles Gautier. Avant l’heure, ce n’est pas l’heure !

Mme Jacqueline Gourault. Nous n’avons donc pas abordé ce sujet puisqu’il relevait d’un autre texte.

Je passe les épisodes récents : l’acceptation en première lecture et le vote par le groupe UMP d’un amendement de l’Union centriste, au Sénat, rappelant les principes auxquels nous étions attachés ; puis, la suppression, à l’Assemblée nationale, de notre amendement et l’introduction dans le texte du mode électoral prévu dans un autre projet de loi, posant ainsi un problème constitutionnel, au regard de l’article 39, selon lequel tout article touchant aux collectivités locales doit d’abord être débattu au Sénat.

Est venue ensuite, la semaine dernière, la suppression en commission du mode de scrutin introduit par l’Assemblée nationale.

À ce niveau, après lecture d’un certain nombre d’articles – je le dis avec le plus d’élégance possible –, je finis par me demander si cette suppression n’a pas été, comme disent les anglais, « facilitée », afin de réintroduire au Sénat cet amendement qui résout le problème d’inconstitutionnalité, du moins temporairement.

Si jamais nous ne le votons pas au Sénat, c’est le texte initial de la commission qui reviendra.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

Mme Jacqueline Gourault. Cette interprétation est peut-être trop…

MM. Yves Chastan et Alain Dufaut. Machiavélique !

Mme Jacqueline Gourault. ….oui, machiavélique, mais le souvenir de certains comportements m’éclaire un peu.

Bref, nous en sommes là aujourd’hui et j’aurai l’occasion de reprendre la parole au cours des débats. Je le rappelle cependant, le Sénat représente les collectivités territoriales…

Mme Jacqueline Gourault. … et il serait pour le moins incongru que l’Assemblée nationale, plus précisément le groupe UMP impose sa vision des choses. Est-ce à dire qu’il faut adopter ce projet de loi tel qu’il nous est proposé ? Non, bien sûr ! Le Gouvernement doit aussi tenir compte de la Haute Assemblée. En tout cas, j’ose espérer qu’il en sera ainsi. (Applaudissements sur la plupart des travées de l’Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Mme Maryvonne Blondin. Nous aussi, nous espérons qu’il en sera ainsi !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. En vous écoutant attentivement, hier soir, monsieur le ministre Brice Hortefeux et monsieur le secrétaire d’État Alain Marleix,…

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Merci !

M. Jean-Pierre Sueur. … j’avais le sentiment que vous manquiez quelque peu d’enthousiasme pour défendre, en cette fin de parcours,…

M. Charles Gautier. En cette fin de partie !

M. Jean-Pierre Sueur. … ce texte, qui devient en quelque sorte votre pensum. Vous vous dites : « Il faut bien faire le travail ! » Certes, M. Michel Mercier n’a pas parlé et peut-être nous étonnera-t-il… (Sourires.)

Quelle différence entre ce que nous avons vécu hier soir et ces moments où nous étions, à l’Assemblée nationale, avec M. Pierre Mauroy et où, en 1982 et en 1983, nous avions un enthousiasme extraordinaire pour cette République des libertés locales, véritable souffle de la décentralisation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yvon Collin applaudit également.) Mes chers collègues, où est aujourd’hui le souffle ?

En 1992 et en 1999, nous avons également vécu cette révolution des communautés, qui, petit à petit, allait, dans le respect le plus total de la réalité communale, à laquelle nos concitoyens sont très attachés, créer ces nouveaux niveaux importants pour notre développement économique et pour l’aménagement du territoire.

Aujourd’hui, nous le voyons bien, il eût été possible d’aller vers un troisième âge de la décentralisation et vers plus de démocratie. La question du suffrage dans les communautés urbaines et les communautés d’agglomération se pose et se posera. Le fléchage ne constitue qu’une petite étape ; il faudra aller plus loin.

Nous aurions pu aller plus loin pour la péréquation. Le débat d’hier après-midi était très révélateur. Il faut plus de justice entre nos collectivités, eu égard à leurs charges : leurs ressources ne sont pas en rapport avec leurs charges !

Les réponses sont confuses. On nous annonce même pour décembre l’arrivée du cinquième risque afin de décharger les départements du fardeau de la dépendance.

Toutefois, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, si on confie cela à la sécurité sociale – ce qui serait d’ailleurs positif –, comment le financera-t-elle, vu le gouffre abyssal de son déficit ? Et le Président de la République annonce une réduction, en trois ans, des déficits publics ! Merci de nous donner quelques explications sur vos perspectives pour les quelques mois à venir, cela nous aiderait à comprendre !

Nous aurions pu aussi aller vers des régions fortes, dans l’optique européenne des régions plus grandes, plus fortes et dotées de davantage de moyens.

Bref, nous aurions pu faire bien des choses, en somme. (M. Nicolas About sourit.) Mais voilà que vous êtes accrochés à ce conseiller territorial qui ne passe pas. Y a-t-il, dans notre pays, une seule association d’élus – et il n’en manque pas – qui ait réclamé le conseiller territorial ? Laquelle ? Pas une !

M. Jean-Pierre Sueur. Avons-nous vu des défilés et des manifestations devant les permanences et devant les préfectures ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Avez-vous entendu crier : « Nous voulons le conseiller territorial ! Pourquoi n’est-il pas encore voté ? Nous l’attendons ! » ? (Mmes Patricia Schillinger et Gisèle Printz applaudissent.)

M. Charles Gautier. J’ai rendez-vous avec le conseiller territorial !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous peinez tous, chers collègues de la majorité, dans les assemblées d’élus locaux pour leur expliquer les bienfaits du conseiller territorial. Comment pouvez-vous expliquer que l’on fera des économies en passant, dans la région Centre, de soixante-douze conseillers territoriaux à cent soixante-dix-sept ? Et M. Jean-Patrick Courtois trouve que c’est encore insuffisant : il en propose cent quatre-vingt-quatre !

Par conséquent, le nombre de conseillers territoriaux sera multiplié par trois. Ici, il y en aura plus de deux cents, là, plus de trois cents, et il faudra pousser les murs. Mais on nous dit que cela représente une économie pour la France, au moment où il faut faire des restrictions ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Raymond Vall et Jacques Mézard ainsi que Mme Jacqueline Gourault applaudissent également.) Personne ne peut le comprendre !

Comme Mme Jacqueline Gourault l’a dit, vous avez tout défendu dans cette affaire : le scrutin à un tour – c’était la position du Gouvernement –, puis le scrutin à deux tours, puis la part de proportionnelle, puis l’absence de toute part de proportionnelle.

Vous avez défendu tout et son contraire ! Comment voulez-vous que l’on y comprenne quelque chose ?

M. Yannick Bodin. Eux-mêmes ne comprennent pas !

M. Jean-Pierre Sueur. J’ai été très frappé, messieurs Brice Hortefeux et Alain Marleix, par vos propos d’hier qui comportaient un certain nombre et même un nombre certain de noms propres…

M. Charles Gautier. C’est du blanchiment !

M. Jean-Pierre Sueur. Le chanteur Vincent Delerm cite beaucoup de noms propres dans ses chansons : il a dû être un peu jaloux ! J’ai même craint que l’annuaire lui-même ne pâlisse de jalousie. (Sourires.)

Aucun collègue du groupe RDSE susceptible de s’interroger, aucun centriste qui soit dans la réflexion et peut-être dans l’hésitation n’y a échappé. Quelques socialistes et même quelques communistes…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, pas un seul communiste !

M. Jean-Pierre Sueur. … et certains membres du groupe UMP, pour faire bonne mesure, y ont eu droit aussi. On leur a dit : « Monsieur le sénateur, votre amendement est très intéressant ! » ; « Madame la sénatrice, cette proposition est vraiment pertinente ! ». (Mme Dominique Voynet applaudit.) J’ai compté presque quarante noms ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Vous pouvez mieux faire…

Mme Nathalie Goulet. Ça viendra !

M. Jean-Pierre Sueur. Mais nous sommes entre nous : tout le monde comprend, mes chers collègues, de quoi il s’agit. Et chacun voit qu’on a perdu l’enthousiasme et le souffle. Vous êtes là, messieurs les ministres, de manière un peu notariale, à essayer de voir si, avec vos petits coups d’écope, vous pouvez réussir à sauver le navire qui se perd dans les ombres. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)