compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Romani

vice-président

Secrétaires :

Mme Sylvie Desmarescaux,

Mme Anne-Marie Payet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, par courriers en date du 15 septembre, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-59 QPC), et la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-60 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

3

Hommage à des personnalités du Cinéma français

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant que nous examinions la proposition de loi relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques, qui résulte d’une initiative que j’avais prise avec M. Leleux, je voudrais saluer la mémoire de ceux grâce auxquels le cinéma peut vivre.

L’été a été particulièrement cruel pour le cinéma français, avec la disparition de Claude Chabrol, quelques jours après Alain Corneau, et de deux grands acteurs, Bernard Giraudeau et Bruno Crémer.

Je tenais, au nom de la commission de la culture et du Sénat tout entier, à leur rendre un dernier hommage pour leur participation au succès du septième art français.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques
Discussion générale (suite)

Équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques

Adoption définitive d'une proposition de loi

(Texte de la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques (proposition n° 563, texte de la commission n° 605, rapport n° 604).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques
Article additionnel avant l’article 1er

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, dès les débuts de son histoire, l’avenir du cinéma fut un objet d’interrogation. On se souvient de la formule un peu désabusée par laquelle Antoine Lumière tentait de donner une leçon de sagesse à Georges Méliès : « Jeune homme, le cinématographe ferait votre ruine, car il n’a pas d’avenir ! »

Méliès mourut effectivement à peu près ruiné, tenant une petite boutique de jouets dans l’enceinte de la gare Montparnasse, mais, entre-temps, le cinéma était passé du statut de divertissement forain à la dignité d’un art ; il est devenu aussi une industrie, séduisant par sa magie des milliards de spectateurs dans le monde entier.

Aujourd’hui, c’est aussi l’avenir du cinéma dont il est question avec cette proposition de loi qui fut déposée simultanément à l’Assemblée nationale par le député Michel Herbillon et au Sénat par le sénateur Jean-Pierre Leleux et le président Jacques Legendre.

Je voudrais saluer ici la qualité du projet qui a été soumis à votre examen, la clairvoyance des choix dans l’élaboration et la conception du texte, et la concertation exemplaire menée par les commissions parlementaires et les initiateurs du projet avec l’ensemble des professionnels du cinéma et des services de l’État, notamment avec le Centre national du cinéma et de l’image animée.

Je me réjouis aussi de la rapidité d’examen de ce texte, car il s’agit – je vais y revenir – d’une réponse à un besoin urgent de modernisation technique, mais aussi de régulation du secteur du cinéma.

Au cours de son histoire, le cinéma a connu des tournants technologiques de grande ampleur qui ont entraîné de vraies révolutions dans son style, sa forme et ses moyens d’expression, mais qui ont aussi provoqué des bouleversements parfois complexes dans son fonctionnement, son organisation, comme dans la vie de ceux qui le créent.

Ce furent par exemple le passage du muet au parlant, du noir et blanc à la couleur, ou le souffle puissant que déclencha « la nouvelle vague » dans l’esthétique du cinéma et dans son mode de production.

Dans le sillage de M. le président de la commission, je tiens ici à rendre hommage à Claude Chabrol comme à Eric Rohmer et à Alain Corneau, tous trois disparus cette année, qui furent à l’origine d’un mouvement qui renouvela profondément le récit cinématographique, lui donna une nouvelle jeunesse et une extraordinaire liberté de ton.

Aujourd’hui, le cinéma est confronté à un nouveau défi technique, celui de sa numérisation.

Les réalisateurs se sont déjà emparés du numérique. Eric Rohmer lui-même avait, parmi les premiers, fait usage de cette technologie pour sa jolie fresque sur la révolution française, L’anglaise et le duc.

Si certains continuent à être attachés au grain de la pellicule photochimique, d’autres ont su saisir les avantages du numérique : une captation différente de la lumière, ou encore la possibilité de s’affranchir des contraintes liées à la pellicule.

La technologie numérique a également modifié en profondeur les conditions de montage et les techniques d’effets spéciaux si chers à Méliès.

De nouveaux savoir-faire, de nouveaux métiers sont nés de l’émergence de cette technologie appliquée au cinéma.

La France a immédiatement su relever le défi de cette révolution numérique, et nos techniciens du cinéma, nos industries techniques sont déjà à la pointe des techniques numériques de traitement de l’image. La réputation de leur savoir-faire est internationale.

Ainsi, je me réjouis que le nouveau crédit d’impôt que vous avez bien voulu adopter en loi de finances voilà plus d’un an, destiné à favoriser les tournages de films étrangers sur notre territoire, ait permis la fabrication intégrale en France par des équipes françaises d’un long métrage d’animation américain, qui s’est hissé cet été en haut du box office outre-Atlantique.

Mais jusqu’à il y a peu, la salle de cinéma était restée à l’écart du changement numérique. Ce n’est que très récemment que le processus d’équipement des salles au moyen de la projection numérique s’est brusquement accéléré, sous l’impulsion des progrès de cette technologie, et surtout de l’innovation étonnante que constitue le cinéma en 3D, c’est-à-dire en relief.

D’une certaine manière, le succès d’Avatar, au début de cette année, rappelle le choc que fut la sortie du Chanteur de jazz, premier film sonore en 1927. Actuellement, plus de 1 500 écrans, parmi les 5 470 que compte le parc de salles français, sont équipés d’un projecteur numérique.

J’ai fait de la révolution numérique l’une des priorités de mon action au ministère de la culture. Pour moi, cette mutation technologique, qui concerne désormais les salles de cinéma comme elle concerne par ailleurs notre patrimoine culturel dans son ensemble, ne peut se produire sans un encadrement qui soit fidèle aux principes essentiels ayant guidé la politique du cinéma menée dans notre pays depuis soixante ans avec le succès que l’on sait.

En 2009, un record historique a été atteint avec plus de 200 millions d’entrées dans les salles, chiffre que l’on n’avait plus connu depuis 1982, et les derniers chiffres de fréquentation sur les huit premiers mois de l’année 2010 indiquent une hausse de près de 7 % par rapport à l’année dernière, ce qui est réjouissant.

Les films français primés à Cannes ont rencontré jusqu’à présent de beaux succès, critiques et publics, dans leur diversité. Je pense à des films aussi différents que Tournée de Mathieu Amalric et Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois.

Le cinéma, c’est aussi l’un des domaines où la démocratisation culturelle a le mieux réussi, puisque plus de 63 % de nos concitoyens s’y rendent au moins une fois par an, ce qui fait de la salle de cinéma un lieu de brassage social et un très bel exemple de cette « culture pour chacun » que je souhaite promouvoir. Depuis une dizaine d’années, son public n’a cessé de croître et de s’élargir.

Les Français ont aussi le privilège de disposer du premier parc de salles d’Europe, par sa qualité mais aussi par sa densité. Ainsi, 70 % de nos compatriotes bénéficient d’un cinéma près de chez eux, et la salle de cinéma est bien souvent l’unique et précieux équipement culturel de proximité pour nombre d’entre eux.

Je voudrais rendre hommage aux exploitants et aux distributeurs qui, en dépit de la concurrence vive des nouvelles formes d’accès au film – télévision, DVD et vidéo à la demande – ont su maintenir intact le désir du spectacle cinématographique pour tous les Français, quel que soit leur âge.

Bien évidemment, la régulation, l’encadrement et un soutien financier sans faille de l’État à l’ensemble de la filière du cinéma ont contribué de manière essentielle à ces bons résultats.

Le Président de la République vient d’ailleurs de réaffirmer l’importance qu’il attache au financement du cinéma, en particulier à ce dispositif unique au monde qu’est le compte de soutien à l’industrie du cinéma administré par le CNC.

Il est donc indispensable, aujourd’hui, d’adapter les outils de notre politique du cinéma au contexte nouveau, créé par la révolution numérique.

Dès mon arrivée au ministère de la culture et de la communication, j’ai manifesté ma volonté de préparer et d’accompagner cette échéance de la numérisation des salles de cinéma. Cette volonté s’est traduite d’abord par la proposition de création d’un fonds de mutualisation, qui avait un double objectif. Le premier était d’envisager une régulation des nouvelles formes de relations entre exploitants et distributeurs que le passage au numérique est susceptible d’instaurer. Le deuxième objectif était de s’assurer que l’équipement de toutes les salles puisse être correctement financé sans aucune exception, afin de garantir la pérennité de notre parc dans le nouvel environnement numérique.

À l’origine, ce financement devait notamment reposer sur un principe très simple : le distributeur étant bénéficiaire de cette modernisation qui allège le coût des copies, il était équitable qu’il contribue financièrement à l’équipement de l’exploitant, pendant une durée limitée dans le temps.

Ce projet s’est vu malheureusement opposer le respect des règles de la concurrence par l’Autorité de la concurrence, qui l’a invalidé en janvier dernier.

C’est donc assez vite le recours à la loi qui s’est imposé, à la fois pour fixer des règles du jeu, en donnant force obligatoire aux contributions des distributeurs, mais aussi en garantissant la liberté de programmation des exploitants et la maîtrise des plans de sortie des distributeurs.

Ce texte a donc pour vocation de permettre le déploiement de la technologie numérique dans les salles, de manière efficace, tout en respectant les enjeux culturels de la diffusion la plus large et la plus diversifiée du cinéma.

Mais il doit être complété par des mesures financières afin que l’encadrement législatif et les instruments financiers puissent être mis en œuvre simultanément.

En effet, le texte que vous examinez aujourd’hui impose une contribution des distributeurs à toutes les salles, dans des conditions équivalentes de distribution des films. Il permet donc le financement de l’équipement d’un nombre important de salles.

Mais le coût de cet équipement – environ 80 000 euros – n’est pas à la portée de tous les cinémas, en particulier de ceux dont la programmation, faite de « continuations », est dans l’impossibilité de réunir une contribution suffisante des distributeurs. Il s’agit principalement de salles de petites villes et de zones rurales, mais aussi des circuits itinérants, sans lesquels le cinéma resterait inaccessible à beaucoup de nos concitoyens, et qui jouent donc un rôle fondamental de diffusion de la culture dans ces territoires.

C’est pour ces salles, au nombre d’un millier environ, qu’un soutien spécifique du CNC va être mis en œuvre sous forme d’une aide à la numérisation, qui permettra de couvrir jusqu’à 90 % de leurs investissements. Ainsi, un décret, publié le 2 septembre dernier, crée un fonds d’aide spécifique pour l’équipement numérique des salles. D’ores et déjà, le dépôt des demandes d’aide au CNC est ouvert et accessible en ligne à tous les exploitants éligibles à cette aide. L’examen des premières demandes, par une commission siégeant au CNC, aura lieu à la mi-octobre. Pour les circuits itinérants, au nombre de cent trente, un dispositif spécifique sera mis en place très prochainement. Cette nouvelle aide permettra d’assurer à terme la numérisation de l’intégralité du parc français, en particulier des cinémas de proximité que j’ai à cœur de promouvoir.

Une réforme des différents dispositifs qui encadrent la diffusion des films en salles s’imposait également. L’objectif est de renforcer les dispositions relatives aux engagements de programmation des exploitants qui garantissent la diversité de l’offre au public. Cela a été fait par la voie d’un décret, publié le 8 juillet dernier, qui permet d’adapter et d’étendre les engagements de programmation existants, pour tenir compte des modifications de la diffusion des films entraînées par la projection numérique. Par ailleurs, les aides du CNC à l’exploitation, et notamment les aides aux salles classées « Art et essai », ainsi que la nouvelle aide à la numérisation des salles, seront attribuées au regard d’engagements de programmation de la part de leurs bénéficiaires.

Cette proposition de loi s’inscrit donc dans un cadre cohérent, en parfaite simultanéité avec les mesures juridiques et financières que j’ai prises.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de saluer à nouveau le remarquable travail mené sur ce texte par les rapporteurs et par les commissions. La proposition de loi a en outre été améliorée sur quelques points lors du débat à l’Assemblée nationale et vous est présentée maintenant sous une forme très achevée. L’une de ses qualités, qui est essentielle compte tenu de la complexité du sujet, est de fixer des principes généraux et de renvoyer les questions particulières aux institutions que sont le Médiateur du cinéma, autorité indépendante respectée de tous les professionnels du cinéma, et le CNC.

Enfin, la loi crée une institution ad hoc, un comité de concertation, qui pourra proposer des recommandations de bonnes pratiques. Je souhaite qu’il puisse se réunir assez vite, dès la promulgation de la loi.

Ce texte permet donc une réelle souplesse dans l’application des principes directeurs qu’il énonce, et permet leur adaptation à tous les cas particuliers ou situations inédites qu’implique une technologie en évolution constante et si rapide.

Enfin, le comité de suivi parlementaire, prévu par la proposition de loi, permettra le cas échéant de préconiser de nécessaires évolutions législatives.

Cette loi s’inscrit en pleine harmonie avec mes projets concernant la numérisation du cinéma français. Cela inclut la numérisation du patrimoine français de films, afin de rendre les chefs-d’œuvre du cinéma accessibles sur les nouveaux réseaux, dans les salles numérisées, et sur tous les supports du futur : projection numérique, DVD haute définition, VOD, etc.

À cette fin, il est prévu d’avoir recours aux investissements d’avenir, en appui aux investissements privés des détenteurs de catalogue.

Cette numérisation doit concerner près de 6 500 titres de films de long métrage, datant de 1929 à nos jours.

Je serai également très vigilant sur l’évolution de nos industries techniques dans leur transition vers le numérique. Notre pays compte quelque 500 entreprises techniques du cinéma, en majeure partie des PME très innovantes.

Ces industries ont connu une année difficile avec la contraction des budgets de production en 2009, alors même qu’elles sont en phase d’investissement pour être à la pointe de la technologie, dans un contexte de concurrence internationale très vive.

Avec Christine Lagarde et ses services, nous avons réalisé un diagnostic sectoriel de ce tissu d’entreprises, afin de mieux identifier les besoins et les évolutions nécessaires des entreprises dans cette phase de transition vers le numérique.

Enfin, le cinéma français doit se mettre plus résolument à explorer les horizons nouveaux, ouverts par le cinéma en relief, ou cinéma en 3D. De nouvelles aides ont été mises en place récemment par le CNC, pour permettre aux cinéastes français de s’engager dans cette technologie, et le crédit d’impôt dont bénéficient les films tournés en France demeure un instrument indispensable de financement du cinéma français.

Enfin, je souhaite que le secteur du cinéma puisse se doter d’ici à la fin de l’année d’une nouvelle convention collective. Je sais que ce sujet vous tient à cœur. J’ai nommé en juin dernier un médiateur chargé d’accompagner les négociations entre les parties et j’ai bon espoir qu’un accord soit trouvé d’ici à quelques mois.

L’ensemble de ces mesures vise à construire l’avenir du cinéma français, et, en quelque sorte, à perpétuer le démenti que l’histoire a opposé au jugement un peu trop lapidaire d’Antoine Lumière.

Nous le ferons avec d’autant plus d’assurance et de détermination que nous demeurons tous convaincus, en France, que le cinéma n’est pas seulement une industrie. Nous voulons qu’il demeure l’une des formes d’expression artistique les mieux partagées, forte de sa créativité, de sa diversité et de ses ambitions. Je crois que c’est parfaitement l’intention de cette proposition de loi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Serge Lagauche, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les résultats de la récente étude du CNC sur la fréquentation de nos salles de cinéma peuvent nous réjouir. Avec plus de 140 millions d’entrées entre le 1er janvier et le 31 août 2010, elle est en hausse de 6,8 % par rapport à la même période de l’année dernière.

L’une des raisons de cette hausse historique de la fréquentation des salles obscures tient à leur excellent état et à la conversion du parc de salles à la projection numérique.

Cela renforce la nécessité de trouver des modes de financement pour équiper l’ensemble des salles le plus rapidement possible, à la fois parce que la période transitoire est coûteuse pour tous les acteurs et pour éviter une concurrence exacerbée entre les salles. Cette dernière nuirait à la diversité et à la richesse du maillage territorial des salles.

Cette évolution justifie aussi la régulation envisagée dans le cadre de ce que l’on appelle « une fusée », dont les trois étages sont complémentaires. Son premier étage est constitué de la présente proposition de loi, le deuxième, du dispositif d’aides publiques pour aider les petites exploitations, et le dernier, de textes réglementaires nécessaires à la régulation de l’ensemble.

La présente proposition de loi vise à généraliser et à encadrer le système de la contribution numérique contractuelle. Elle organise donc la redistribution d’une partie des économies réalisées par les distributeurs en direction des exploitants. Je précise qu’il ne s’agit pas d’une contribution pérenne, puisqu’elle ne sera plus versée une fois la couverture du coût de la transition numérique assurée dans l’ensemble des salles.

L’encadrement du dispositif de contribution numérique a pour double objectif de maintenir la liberté de programmation des exploitants et de garantir la maîtrise par les distributeurs de leurs plans de diffusion des films, c’est-à-dire le libre accès aux films pour les uns et le libre accès aux salles pour les autres.

En effet, le système contractuel actuel pourrait favoriser le placement de copies numériques au détriment des autres films pendant la période de transition et entraîner une accélération de la rotation des films, ce qui serait préjudiciable à leur bonne exposition. Les films les plus fragiles seraient bien sûr les premiers touchés.

À cette fin, le texte veille à assurer l’étanchéité entre, d’une part, les contrats de contribution numérique et, d’autre part, la négociation sur les conditions de location et d’exposition d’un film. Le respect de ce cadre s’exercera sous le contrôle du CNC et du Médiateur du cinéma, dont je salue les compétences respectives, reconnues de tous.

Voici, plus précisément, les dispositions essentielles du texte.

La contribution numérique sera exigible, par salle, durant les deux premières semaines qui suivent la sortie nationale du film, et au-delà lorsque l’œuvre est mise à disposition dans le cadre d’un élargissement du plan initial de sortie du film. En revanche, la contribution ne sera pas exigible lorsque les films sont mis à disposition pour une exploitation dite « en continuation », c’est-à-dire lorsqu’une salle reprend une copie déjà existante.

La contribution numérique sera donc due sur le pic maximal du nombre de copies en circulation, c’est-à-dire sur le pic de diffusion des films, et non exclusivement sur une période de référence. Le fait de fonder le calcul sur la semaine au cours de laquelle le nombre maximum d’écrans est occupé par un film permet de rester au plus près de la logique économique actuelle de diffusion en 35 millimètres. On pourra ainsi préserver l’exposition des films en salles. Ce raisonnement logique est fondé sur les économies réalisées par les distributeurs sur le coût des copies numériques, grâce au passage du photochimique à la technologie numérique.

Comme l’a précisé l’Assemblée nationale, la contribution ne sera due que pour l’installation initiale des équipements de projection numérique, et non pour leur renouvellement. Elle ne sera plus requise une fois assurée la couverture du coût des équipements, compte tenu des autres financements de l’exploitant et, en tout état de cause, au-delà d’un délai de dix ans après l’installation initiale des équipements de projection numérique, sans que ce délai puisse excéder le 31 décembre 2021.

L’Assemblée nationale a précisé que la contribution serait due aux salles homologuées avant le 31 décembre 2012. Elle a en outre prévu que le financement de l’équipement puisse être mutualisé entre exploitants ou par des intermédiaires financeurs. En effet, en l’absence d’un système généralisé et obligatoire, seules les salles les plus « rentables » pourraient s’équiper, les plus petites étant dans l’incapacité d’attirer les investisseurs pour assurer leur numérisation. C’est pourquoi, en permettant leur regroupement en vue de mutualiser la collecte des contributions, le texte leur permet de s’organiser pour assurer cette transition, avec ou sans l’aide de tiers.

L’Assemblée nationale a aussi prévu que la contribution numérique sera également due par les personnes qui mettent à la disposition de l’exploitant ou louent à ce dernier une salle de projection en vue de diffuser des programmes dits « hors film », comme la captation de spectacles vivants ou la retransmission de compétitions sportives ou d’émissions audiovisuelles.

En contrepartie de ces obligations, des garanties sont apportées à la fois aux distributeurs et aux exploitants.

Le montant de la contribution doit rester inférieur à la différence entre le coût de la mise à disposition d’une œuvre sur support photochimique et celui de la mise à disposition d’une œuvre sous forme de fichier numérique.

Le Médiateur du cinéma, qui a la confiance de tous les professionnels, pourra être saisi de tout litige relatif à la contribution numérique. Sur la proposition de nos collègues députés Patrick Bloche et Franck Riester, l’Assemblée nationale a précisé qu’il pourra demander la transmission du contrat de location des films, ce qui garantira davantage la transparence et l’étanchéité du dispositif.

Par ailleurs, toute clause contractuelle qui ferait dépendre du versement de la contribution, soit les choix de distribution ou de programmation, soit le taux de location, serait nulle de plein droit, et ce « afin de préserver la diversité de l’offre cinématographique ».

Un comité de concertation professionnelle sera chargé d’élaborer des recommandations de bonne pratique.

Un article additionnel après l’article 2 prévoit une clause de rendez-vous dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, avec la constitution d’un comité de suivi parlementaire composé de deux députés et de deux sénateurs, comité chargé d’évaluer le fonctionnement du nouveau dispositif. Ce comité disposera du concours du Centre national du cinéma, le CNC, qui devra produire un rapport sur la mise en œuvre de la loi.

Le comité de suivi, le comité de concertation professionnelle et le Médiateur du cinéma devront, chacun dans son rôle, vérifier l’étanchéité entre le versement de la contribution numérique et la programmation, ainsi que le respect des engagements de programmation et des plans de diffusion des films.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a adopté un amendement de notre collègue député Marcel Rogemont tendant à lier le principe du versement par le CNC d’une aide financière destinée à financer l’équipement numérique d’un établissement au respect d’engagements de programmation. Cette disposition est essentielle.

Enfin, avec l’article 5, l’Assemblée a répondu à la forte demande des exploitants concernant la fixation de la valeur locative des locaux monovalents, compte tenu de la nécessité de maintenir des cinémas en centre-ville. Ainsi, la référence aux usages de la profession pour fixer le loyer des salles de cinéma sera obligatoire, et non plus facultative.

Cette proposition de loi très attendue, enrichie grâce à la poursuite de la concertation, est donc largement consensuelle, tant pour ce qui concerne ses principes que sur l’urgence à les mettre en œuvre. Bien sûr, le secteur étant composé d’acteurs aux intérêts parfois violemment divergents, et l’aventure numérique emportant de légitimes inquiétudes, il est évident que le point d’équilibre fut quelque peu difficile à trouver. Mais ce dernier est aujourd’hui atteint.

Le dispositif doit garder une certaine souplesse afin que les acteurs le fassent vivre. Nous suivrons avec vigilance son application et nous nous remettrons à l’ouvrage si cela se révélait nécessaire.

Nous pouvons néanmoins faire confiance aux professionnels, au comité de concertation professionnelle, au CNC et au Médiateur du cinéma pour qu’une application intelligente du texte permette d’en satisfaire tous les objectifs.

Le deuxième étage de la « fusée » consiste en un dispositif d’aides publiques afin de permettre le financement de l’équipement numérique de l’ensemble du parc de salles.

Par le biais de la mutualisation, un certain nombre d’exploitations de petite et moyenne taille sont certes déjà numérisées, mais tel n’est pas le cas de toutes, loin s’en faut.

Il était donc essentiel que le dispositif législatif soit complété par des aides du CNC, via un fonds spécifique, destinées aux exploitations de trois écrans ou moins, voire de quatre écrans si cela s’avère nécessaire. En effet, ces salles, dites de continuation, obtenant très rarement les films à leur sortie, ne généreront que peu de contribution numérique.

D’après les dernières évaluations du CNC, le nombre de ces salles, pour lesquelles les solutions fournies par le marché paraissent insuffisantes, peut être estimé à 1 050 environ, sur un nombre total de 5 400 écrans, répartis entre 750 établissements environ. Et l’on évalue au maximum à treize le nombre des établissements de plus de trois écrans concernés.

Les aides du CNC pourront couvrir au moins les trois quarts du coût de leurs investissements, l’ensemble des aides publiques pouvant couvrir jusqu’à 90 % maximum de ce coût. Elles sont placées sous le régime d’exemption de minimis, qui autorise les États européens à accorder une aide de cette nature à condition qu’elle ne dépasse pas le montant de 200 000 euros sur trois exercices fiscaux consécutifs.

Ce dispositif complémentaire d’aides publiques est essentiel, car ces salles assurent principalement la diffusion des films dans des villes petites et moyennes, ainsi que dans les zones rurales. Elles représentent un élément stratégique de l’aménagement du territoire et de l’équipement culturel et social des communes. Elles constituent également une clef de la diversité de l’offre cinématographique en assurant, par ailleurs, la diffusion des autres films, « art et essai », plus pointus, hors des centres urbains.

Ce soutien du CNC viendra en complément d’éventuelles aides des collectivités territoriales. En effet, ces dernières sont nombreuses à mettre en place des dispositifs d’aide à la numérisation des salles, conçus en concertation avec le CNC, et qui complètent son dispositif. Je pense notamment aux régions Aquitaine, Île-de-France, et bientôt Rhône-Alpes.

Par ailleurs, il est important de préciser que les établissements qui ont moins de cinq séances hebdomadaires en moyenne sur l’année feront l’objet d’un soutien spécifique, de même que les circuits itinérants.

Enfin, des textes réglementaires viennent d’être publiés ou sont sur le point de l’être pour encadrer, d’une part, les engagements de programmation des exploitants, avec le décret du 8 juillet 2010, et, d’autre part, ce que l’on appelle le « hors film ». En effet, la diffusion de tels programmes, qui peuvent concerner notamment les spectacles vivants, les séries télévisées ou les compétitions sportives, est rendue possible par la technologie numérique, qui permet une diffusion en 3D relief, et par la souplesse de programmation qu’elle offre.

Or, certains acteurs de la filière s’inquiètent du risque de voir ces programmes occuper les établissements de spectacles cinématographiques au détriment des films, et donc de la filière cinématographique.

Ainsi, ces programmes ont représenté plus de 106 000 entrées sur les sept premiers mois d’exploitation 2010, soit 1,8 million d’euros de recettes guichet. Même si quelques opéras sont programmés, il s’agit plus particulièrement de la diffusion en salles de manifestations sportives ou bien encore de programmes audiovisuels dits de « flux ».

S’ils apportent une réelle diversification de l’offre et un soutien indispensable aux salles, notamment celles qui sont situées en zones rurales, ces programmes dits « hors films » peuvent aussi constituer une aubaine pour des exploitants qui, tout en bénéficiant des contributions numériques et du système d’aides publiques, voudraient privilégier ces programmes rémunérateurs pour eux, au détriment de leur mission de diffusion du cinéma. Le billet est facturé jusqu’à 2,5 fois le prix d’un ticket de cinéma…

Il faut donc encadrer cette faculté et trouver un équilibre permettant de tirer le maximum de la technologie numérique sans fragiliser le marché.

En conclusion, je vous invite, mes chers collègues, à adopter la présente proposition de loi dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale. L’ensemble du schéma que je vous ai présenté me semble créer les conditions de la préservation de notre parc de cinéma, qui est le premier d’Europe et le quatrième du monde, et de la diversité cinématographique de notre pays. (Applaudissements.)