M. le président. Je vous accorde une minute supplémentaire, ma chère collègue.

M. Jean-Louis Carrère. Ils ont tous dépassé leur temps de parole, certains même de quatre minutes !

Mme Michelle Demessine. Face à l’enlisement du processus de paix entre l’État d’Israël et les Palestiniens, nous faisons preuve du même effacement par rapport à la politique que mènent les Américains dans cette région. Nous devons en être conscients, ceux-ci ont renoncé à faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il mette fin à sa politique de colonisation des territoires occupés, principal obstacle à la création d’un État palestinien. Notre pays ne fait plus entendre une voix originale et forte sur ce sujet.

La France, mais aussi l’Union européenne, semblent paralysées et incapables de prendre des initiatives qui leur soient propres pour faire respecter, enfin, les résolutions de l’ONU. Nous continuons à attendre et à nous réfugier derrière l’inefficace consensus qui caractérise les réunions du Quartet. Espérons toutefois que celle du 5 février sera plus fructueuse !

Je n’ai pas le temps de parler du G8 et du G20. Toutefois, eu égard à l’image dégradée de notre pays dans certaines régions du monde, je doute fortement de la capacité du Président de la République à se faire entendre pour réformer le système monétaire international et réguler les marchés agricoles et ceux des matières premières.

Telles sont, monsieur le ministre, les appréciations, certes sévères, mais lucides, que je souhaitais porter, au nom du groupe CRC-SPG, sur quelques aspects de la politique étrangère menée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sujets ne manquent pas, et ma préférence naturelle, pour ne pas dire mon héritage familial et politique, me conduirait à vous parler de la Palestine. Ce sujet n’offre toutefois que des raisons de désespérer, devant une situation devenue le symbole de l’impuissance et de la vanité du droit international, pour autant que ce mot ait encore un sens dans cette région du monde…

Je pourrais aussi vous parler du Golfe persique et, pour faire le lien avec le sujet précédent, de l’application d’un double standard : la plus grande fermeté à l’égard des uns, la plus grande lâcheté envers les autres.

Mais, ce faisant, monsieur le ministre, je ne ferais que répéter ce qui a déjà été dit, pour ne pas dire rabâcher. J’ai donc choisi un thème qui pourrait me donner l’occasion de vous proposer une innovation dans les relations du ministère des affaires étrangères avec le Parlement.

En effet, ce ministère n’est pas comme les autres : il porte la voix de la France, et les parlementaires qui s’intéressent à la politique étrangère, qui voyagent et sont appelés à la commenter savent, ou devraient savoir, que la France ne doit parler que d’une seule voix.

Je suis volontiers iconoclaste, on le sait, mais pas en cette matière. Nous pouvons avoir des divergences de vues sur tel ou tel dossier, telle ou telle déclaration – c’est souvent le cas –, cependant la France doit, je le répète, parler d’une seule voix sur les sujets délicats.

Le principe de la séparation des pouvoirs ne doit pas vous interdire d’informer les parlementaires du point de vue officiel de la France sur des thèmes qui, sans être très médiatiques, n’en sont pas moins importants. Je citerai quelques exemples à cet égard.

Puisque nous étions dans le Golfe persique, restons-y ! Je voudrais évoquer l’Organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran, ou MKO : qui n’a pas vu des grappes de femmes iraniennes bâchées tentant d’arracher une signature au nom d’un Iran libre et démocratique qu’elles et leurs acolytes prétendent incarner ?

On peut penser ce qu’on veut de cette association, mais je rappellerai qu’elle est classée parmi les organisations terroristes aux États-Unis et que, aux yeux de la population iranienne, son action s’apparente plus à la collaboration qu’à la résistance. Souvenons-nous que les troupes du MKO ont fait la guerre aux côtés de l’Irak de Saddam Hussein, contre l’Iran ! Si l’Europe a décidé de suspendre son inscription sur la liste des organisations terroristes, c’est pour des raisons de procédure, et non pour des raisons de fond. Mais a-t-on jamais vu des militants s’intéresser aux motifs d’une décision ?

Il se trouve que le ministère compte parmi ses collaborateurs un spécialiste de cette question : ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, que, sur un sujet aussi délicat, il pourrait être utile de rencontrer les parlementaires et de leur communiquer des éléments de langage, de façon à ce que chacun n’accorde sa signature qu’en étant parfaitement informé de tous les tenants et aboutissants du dossier, et que les journaux du monde entier, américains en particulier, ne s’alarment pas de ce que des dizaines d’entre vous aient signé une pétition en faveur du MKO de Mme Rajavi ! (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.) Je ne dis pas qu’il faut empêcher les parlementaires de signer ; je dis simplement qu’il faut les éclairer !

Pour ma part, j’ai eu du mal à dissuader mes collègues, harcelés jusque dans les couloirs lors de la tenue du Congrès à Versailles, de signer. Il faut dire que, connaissant bien l’Iran, j’étais probablement moins crédible que d’autres… Toujours est-il qu’il a fallu le soutien de notre excellent ambassadeur Bernard Poletti pour venir à bout de certaines résistances.

En ce qui concerne le Caucase, ce n’est pas faire injure à nos amis arméniens de la diaspora que de rappeler que la France ne connaît pas et ne reconnaît pas la république autoproclamée du Haut-Karabakh.

Si vous rappeliez ces faits, monsieur le ministre, cela ferait peut-être hésiter les plus motivés de nos collègues à accepter de se rendre en mission officielle dans ce territoire occupé, reconnu comme tel par la population qui y vit comme par la communauté internationale. Ils éviteraient aussi d’aller y contrôler de prétendues élections et d’apparaître dans les journaux comme donnant des gages en notre nom à tous.

La position de la France a été rappelée ici même par Pierre Lellouche le 6 juillet dernier. Elle est sans ambiguïté : la France, pas plus qu’aucun autre État, pas même l’Arménie, ne reconnaît l’indépendance du Haut-Karabakh. La France soutient la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan dans ses frontières internationalement reconnues. Cette position a été rappelée par le Gouvernement à la représentation nationale.

Fidèle à cette position de principe, la France n’entretient naturellement aucune relation avec les autorités de facto du Haut-Karabakh, et cette entité autoproclamée ne dispose d’aucune représentation accréditée auprès du Gouvernement français.

Vous pourriez très bien communiquer ces éléments, comme autant d’éléments de langage, à nos collègues parlementaires qui ne font pas partie de la commission des affaires étrangères, mais qui s’intéressent à ce sujet.

La France copréside le groupe de Minsk et, même si le sujet n’est pas très médiatique, il me semble important que chacun soit informé de ce qui se passe dans ces territoires, d’autant que, en 2010, les négociations sont entrées dans une phase difficile, avec, semble-t-il, une certaine intransigeance du côté arménien, accompagnée, parallèlement, d’un raidissement croissant des positions azerbaïdjanaises.

L’augmentation des dépenses militaires et la réapparition d’une rhétorique belliciste, qui avait été mise en sourdine à l’été 2008, contribuent également à crisper quelque peu le climat des négociations.

Monsieur le ministre, sur ces sujets, il serait intéressant, me semble-t-il, que l’ensemble de nos collègues fussent informés. (M. le ministre acquiesce.)

J’achèverai cette intervention en posant trois questions que vous voudrez bien, j’en suis certaine, transmettre à Mme la ministre d’État.

M. Henri de Raincourt, ministre auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Elle revient ! Et elle entend tout ! (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. Je n’en doute pas !

Tout d’abord, le Président Sarkozy avait promis de se rendre en Azerbaïdjan : une date est-elle fixée dans son agenda pour tenir cette promesse ? Ensuite, quelle est la place réservée au conflit du Nagorno-Karabakh dans l’ordre du jour chargé du G20 et du G8 ? Enfin, lorsque Mme Alliot-Marie était ministre de l’intérieur, elle s’était engagée à assurer le « service après-vente » de la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public et à prendre l’attache du ministre des affaires étrangères de façon que ce texte fût expliqué dans les pays du Maghreb et les pays arabes : où en est-on sur ce point ? (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)

Sous le bénéfice des observations que j’ai formulées, vous pouvez compter sur mon soutien. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées de lUMP.)

M. Henri de Raincourt, ministre. Nous y sommes sensibles !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, tenir à l’écart le Parlement en matière de politique étrangère est une constante sous la Ve République.

Depuis 2007, entre la diplomatie secrète de l’Élysée et la flamboyante passivité de votre prédécesseur, madame la ministre d’État, on a atteint des sommets dans l’art d’infantiliser le Parlement ! (Protestations sur les travées de lUMP.)

En conséquence, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, avoir suscité ce débat sur la politique étrangère est une excellente initiative ! Au nom du groupe socialiste, je vous en remercie.

M. Jacques Blanc. Nous aussi !

M. Jean-Louis Carrère. L’actualité est riche, débordante même, et nombreux sont les faits qui appellent notre attention, nous amènent à nous interroger, nous préoccupent, nous alarment.

Toutefois, je ne me suis pas inscrit dans ce débat simplement pour commenter l’actualité ! Nos concitoyens attendent de nous autre chose : ils souhaitent que le Parlement fasse son travail, qu’il contrôle l’action du Gouvernement, qu’il critique les orientations de la politique étrangère et formule des recommandations utiles ; ils s’attendent à ce que l’opposition vous interroge, madame la ministre d’État, sur les tragiques événements qui ont eu lieu à la frontière entre le Mali et le Niger, sur la mort de ces deux garçons, qui a soulevé une grande émotion dans notre pays, émotion que nous comprenons et que nous partageons.

Nous souhaitons aussi vous questionner sur l’opération militaire déclenchée pour les sauver et qui a malheureusement échoué, sur l’efficacité de la méthode employée, sur la doctrine, la stratégie qui doivent guider ce type de réactions. Poser des questions n’est pas s’opposer ; c’est la latitude normale d’un parlementaire, qu’il soit dans l’opposition ou dans la majorité.

Ces interrogations sont légitimes, surtout dans cette enceinte, d’autant que la politique étrangère de la France pâtit aujourd’hui d’un grand manque de lisibilité et de l’atonie de l’outil diplomatique.

La chute de la dictature tunisienne vous a prise de court. Certaines déclarations auraient dû être évitées et d’autres, exprimant un soutien au peuple tunisien, ne sont pas venues à temps. Pourtant, que ce soit au sein de la commission ou en séance publique, Mme Cerisier-ben Guiga n’avait pas manqué de nous alerter sur la situation en Tunisie.

Madame la ministre d’État, le problème est qu’on ne perçoit plus le sens de la politique étrangère de la France : à l’égard du Maghreb, du Proche-Orient, de l’Afrique, on ne voit rien venir, rien d’original en tout cas ; on suit les mouvements, on tente de les épouser…

Deux de vos prédécesseurs, MM. Védrine et Juppé, lequel siège à vos côtés au conseil des ministres, se sont justement inquiétés de cette situation. Ils se sont élevés contre l’affaiblissement constant de l’appareil diplomatique, victime d’anémie budgétaire et d’une certaine somnolence, privé qu’il est des attributs essentiels de sa fonction par la grâce de l’activisme de l’Élysée et de ses émissaires plus ou moins officiels…

Madame la ministre d’État, vous me connaissez, je n’avance pas masqué et je ne mâche pas mes mots : allez-vous reprendre les dossiers de politique internationale délaissés par votre prédécesseur et traités couramment par M. Guéant et ses conseillers à l’Élysée, qui les ont confisqués ?

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Jean-Louis Carrère. Dans une démocratie moderne, il n’y a pas de place pour un domaine réservé interdit au Parlement.

M. Jean-Louis Carrère. L’idée d’aborder ce sujet m’est venue en relisant l’interview de M. Sarkozy publiée dans la revue Le Meilleur des mondes le 5 octobre 2006.

M. Robert del Picchia. Vous avez de bonnes lectures !

M. Jean-Louis Carrère. Cela m’arrive, en effet !

Je cite les propos qu’avait alors tenus M. Sarkozy :

« L’idée d’un domaine réservé me paraît contraire à la démocratie. À mes yeux, il n’y a pas de domaine réservé. […] Je demande que les tabous soient levés en matière de politique étrangère, je demande que le Parlement puisse en débattre et je conteste l’idée qu’un homme, quelle que soit sa fonction, demeure “propriétaire” de cette question. » On devine qui était visé…

Il avait raison ! Madame la ministre d’État, vous avez le devoir de suivre son conseil ! Le Parlement serait disposé à jouer dans un esprit de responsabilité une nouvelle partition. Pour cela, madame la ministre d’État, il faudrait définir notre politique étrangère, renforcer les capacités d’anticipation et d’influence de notre diplomatie. (M. Didier Boulaud s’exclame.)

Par exemple, la situation au Sahel constitue un très sérieux avertissement. Occupé à suivre les Américains en Afghanistan, le Gouvernement a négligé cette partie de l’Afrique qui nous est si proche. Certes, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale évoque la région sahélienne et la constitution d’une zone de non-droit source de dangers, mais les actes n’ont pas suivi ! L’œuvre de prévention n’a pas été réalisée, et aujourd’hui il faut réagir dans l’urgence, sans avoir l’initiative, en allant sur le terrain choisi par l’adversaire ! Ce n’est pas la meilleure façon d’assurer la sécurité. Sous la conduite du Président de la République, la France a fait preuve d’un curieux strabisme stratégique. Année après année, l’effort diplomatique, militaire, économique de la France s’est détourné de cette zone.

Pourtant, des signes avant-coureurs de la dégradation de la situation n’ont pas manqué de nous alerter, tels que l’émigration massive de personnes choisissant, au péril de leur vie, de quitter leurs terres pour tenter de survivre, la violence, le banditisme, le terrorisme qui ont proliféré depuis des années sur le terreau des États en faillite.

Nous l’avons dit hier, nous le redisons aujourd’hui : il faut tout mettre en œuvre, dans le cadre de la loi, pour lutter contre le terrorisme, se montrer implacables, s’attaquer aux sources de cette menace. La protection de nos ressortissants est une mission essentielle de l’État.

Ne venez donc pas nous accuser d’angélisme ou de je ne sais quelle tolérance malvenue. Au nom du groupe socialiste, je persiste et je signe : l’extrémisme, le terrorisme, la violence aveugle qui tue les innocents sont les fruits de la misère, de l’obscurantisme, de l’injustice et de la non-assistance aux peuples en danger ! Les minorités violentes qui dévoient l’islam pour tenter de justifier leurs actes sont le produit malsain de situations malsaines !

Dans ce domaine, l’action de la France, de l’Europe doit s’exercer avec fermeté, mais aussi avec créativité, en affirmant notre autonomie de décision. Je partage votre analyse sur ce point, monsieur le président de la commission. Hélas ! le tropisme américain du Président de la République nous a portés sur un autre chemin.

Certes, il n’est pas dans notre intérêt que l’Afghanistan redevienne un foyer de terrorisme intégriste, mais pendant que nous nous engagions dans ce pays, nous avons laissé prospérer un autre foyer aux portes mêmes de la Méditerranée. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette diplomatie atlantiste !

Je pense qu’il faut modifier, renouveler, revoir les méthodes et certaines actions de la France en Afrique ! Notre pays ne peut pas agir en 2011 comme si nous étions encore en 1960. Mais il ne fallait pas jeter le bébé avec l’eau du bain, si je puis m’exprimer ainsi ! La méthode frénétique employée par le Président de la République a conduit à abandonner sans recréer une présence, à renoncer à des actions et à des initiatives sans les remplacer par de nouvelles.

Limité dans son action par des moyens financiers en déclin, pressé par une volonté de coller à l’allié américain en Afghanistan, obnubilé par le retour dans le giron de l’OTAN, le Président Sarkozy a négligé, à notre sens, une partie du monde que l’histoire et la géographie ont placée au côté de notre pays.

Plus grave encore, la France n’a pas su non plus, ces dernières années, être un vecteur de démocratie, de progrès économique et social ; elle est restée liée à des élites corrompues et déclinantes, perdant ainsi la confiance des peuples africains.

L’édification de murs bureaucratiques infranchissables en guise de politique anti-immigration, une course effrénée derrière le Front national ont fini de discréditer notre pays et l’Europe. D’autres concurrents viennent ramasser la mise, et il n’est pas sûr que ce soit au bénéfice des populations africaines…

Pour conclure, madame la ministre d’État, je dirai quelques mots sur l’Afghanistan.

Le Parlement doit pouvoir débattre de la poursuite de la participation française à cette guerre. Madame la ministre d’État, comme l’article 50-1 de la Constitution vous y autorise, vous pourriez soumettre au Parlement une déclaration sur l’Afghanistan qui soit suivie d’un débat et d’un vote. Au nom du groupe socialiste, je vous demande de bien vouloir le faire !

M. Didier Boulaud. Elle va bien s’en garder !

M. Jean-Louis Carrère. Bien évidemment, je n’aurai pas l’outrecuidance de vous proposer une date ; je vous demande simplement de bien vouloir organiser un tel débat.

En 2001, le Premier ministre d’alors, Lionel Jospin, avait assorti l’intervention militaire en Afghanistan d’objectifs diplomatiques et politiques précis. Au regard de la situation actuelle, il est essentiel de les rappeler : reconstruire l’Afghanistan sur la base du droit, du dialogue et d’un système représentatif ; apporter une aide matérielle et humanitaire aux nouvelles autorités afin d’asseoir leur légitimité ; assécher le narcotrafic et la contrebande de produits chimiques ; favoriser la solution négociée et juste des conflits au Proche-Orient afin de prévenir toute tentative de légitimation du recours à la violence terroriste.

M. Didier Boulaud. C’est gagné !

M. Jean-Louis Carrère. La lutte militaire contre le terrorisme d’Al-Qaïda s’inscrivait dans le cadre précis de ces objectifs politiques codéfinis par le Président Jacques Chirac et par le Premier ministre Lionel Jospin. Après neuf ans d’intervention, regardez où nous en sommes… Cela ne peut plus durer !

Je l’ai déjà indiqué ici même le 26 novembre dernier : il nous faut aller vers un retrait progressif, calculé et planifié d’Afghanistan. Ce débat doit avoir lieu au Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Monsieur le président, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui se situe au cœur de l’actualité. La fin de l’année 2010 et le début de cette année 2011 voient la situation internationale placée sous le signe de vives tensions, et parfois d’explosions populaires.

Il est naturel d’évoquer largement cet après-midi ce qui vient de se passer en Tunisie, en Algérie, en Côte d’Ivoire ou à Niamey, mais nous devons aussi aborder d’autres sujets, moins immédiats mais tout aussi brûlants.

Avant de poursuivre, je souhaite à mon tour m’associer à la douleur des familles des otages français lâchement assassinés la semaine dernière.

Il est nécessaire que nous, responsables politiques, soyons capables de replacer ce dramatique événement dans son contexte général, celui de la guerre terroriste et psychologique que mènent Al-Qaïda et AQMI contre l’Occident et la France.

Chaque prise d’otages, qu’elle ait lieu au Niger, en Afghanistan, en Somalie, dans le golfe de Guinée ou ailleurs, est spécifique, et nous ne pouvons définir une seule et unique stratégie.

Dans certains cas, il faut réagir à chaud, en « flagrant délit », dirai-je ; dans d’autres, la réponse doit être apportée dans la durée. De même, avec certains preneurs d’otages, le dialogue est possible, alors qu’avec d’autres aucun contact ne peut être noué : tel est le cas, malheureusement, s’agissant des ravisseurs de nos ressortissants collaborateurs d’AREVA.

Il appartient donc à l’exécutif et au Président de la République, qui disposent de la totalité des éléments et des informations, de prendre à chaque fois la décision qu’ils pensent être la meilleure pour préserver la vie de nos concitoyens et défendre les valeurs qui sont les nôtres.

Nous devons refuser les affirmations gratuites ainsi que les analyses périlleuses, souvent totalement artificielles, et être solidaires de ceux qui ont la responsabilité de décider. Cela est vrai aujourd’hui, cela l’était hier,…

M. Didier Boulaud. Hélas non !

M. Jacques Gautier. … cela devra être notre ligne de conduite demain, quels que soient les responsables politiques au pouvoir dans notre pays.

M. Jean-Louis Carrère. Vous n’avez jamais été solidaires des gouvernements socialistes ! Jamais !

M. Didier Boulaud. Il est facile de demander aux autres d’être vertueux quand on ne l’est pas soi-même !

M. Jacques Gautier. Force est de constater que la fin de la guerre froide et la disparition des blocs ont laissé place à des risques et à des vulnérabilités, à de nouvelles menaces moins identifiables, plus diffuses, émanant d’acteurs non étatiques. Nous sommes, de fait, dans un contexte de « paix chaude ». La menace nucléaire dans le monde ne répond plus à la rhétorique des deux blocs. Nous savons que les dangers sont ailleurs et qu’il faut ajouter une menace permanente bien plus actuelle, celle du terrorisme mondial.

Al-Qaïda, que nous combattons en Afghanistan, a des ramifications internationales plus ou moins directes, comme AQMI, qui n’existe qu’au travers d’exactions et d’actes odieux et médiatiques dirigés contre les symboles de l’Occident. Le terrorisme bafoue même le droit de la guerre et frappe ses victimes sans considération de nationalité ou de convictions religieuses. Au sein de l’arc sahélien, chacun de nos ressortissants devient une cible potentielle. Mais n’oublions pas, mes chers collègues, les chrétiens d’Irak, les coptes d’Égypte, les musulmans au Pakistan ou les hindouistes à Bombay, victimes de colis piégés, de kamikazes ou d’autres formes d’attentats, et ce quotidiennement.

Les événements actuels au Maghreb, qui peuvent s’étendre, me semblent d’une tout autre nature. En effet, le fait religieux n’apparaît pas comme la pierre angulaire de ces mouvements. Les populations se révoltent parce qu’elles veulent davantage de libertés, mais aussi parce que la crise économique a aggravé, dans ces régions, les problèmes du chômage et de la faim. Si elles sont descendues dans la rue, c’est souvent, au départ, parce qu’une augmentation insupportable du prix des denrées essentielles à la nourriture quotidienne est intervenue. Nous retrouvons depuis 2008 ces émeutes de la faim, qui peuvent devenir le terreau des révolutions, mais aussi des fanatismes.

Les fluctuations sur les marchés des matières premières en général, et des céréales en particulier, affectent directement les plus fragiles. Disons-le ici, la volatilité des cours des céréales à la bourse de Chicago est aussi dramatique que celle des autres marchés. Ne nous masquons pas la réalité : cette situation va s’aggraver, car les greniers à blé de la planète ne sont pas remplis, les récoltes de 2010 ayant été mauvaises en raison de la sécheresse, des incendies et des inondations. Cela augure de futures flambées du prix des céréales, que nous devrons prendre en compte, car elles risquent de provoquer des crises dans les pays les plus pauvres.

La France, en raison de ses liens, issus de la colonisation, avec ces pays, est concernée par ces grands mouvements, mais elle est parfois, à cause précisément de ce passé, la plus mal placée pour donner des leçons aux régimes au pouvoir ou à ceux qui se mettent en place.

Acteur majeur de la scène internationale, la France doit apporter son soutien aux pays de la région dans la gestion de leurs crises, afin d’éviter le plus possible les embrasements. Cependant, tant pour la Côte d’Ivoire que pour la Tunisie, les organisations régionales doivent jouer leur rôle : il y va de leur crédibilité et de la stabilité du continent africain tout entier. Je pense à l’Union africaine, à la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, ainsi qu’à l’Union pour la Méditerranée, qui peine encore à se réaliser.

M. Didier Boulaud. C’est le moins que l’on puisse dire ! Elle existera dans une autre vie !

M. Jacques Gautier. La partition du Soudan entre le nord musulman et le sud chrétien qui devrait intervenir dans quelques jours représente de nouveaux risques pour la région. Il faut travailler en coopération pour répondre à ces défis.

La Chine est aujourd'hui de plus en plus présente en Afrique. Elle figure parmi les principaux bailleurs de fonds et elle est un acteur de premier plan, notamment dans le secteur de l’extraction des matières premières. Il est donc primordial qu’elle assume sa part de responsabilités dans le maintien de la paix internationale.

Je voudrais évoquer à mon tour l’Afghanistan, pays que vous connaissez bien, madame le ministre d’État, vous qui fûtes ministre de la défense.

Il semble que la sécurisation des grandes zones habitées puisse être en partie assurée vers 2014-2015, ce qui permettrait aux États-Unis et à leurs alliés, dont nous sommes, d’alléger leur dispositif. Nous l’avons déjà fait à Kaboul et nous nous apprêtons à le faire en Surobie. Il appartient à l’armée et à la police afghanes d’assurer elles-mêmes la sécurité, avec bien sûr le maintien du mentoring, ainsi que d’un soutien dans les domaines aérien et du renseignement.

Ce défi semble pouvoir été relevé, mais qu’en est-il, madame le ministre d’État, de celui de la mise en place d’une administration responsable et d’un pouvoir politique audible ? L’État afghan doit créer, le plus rapidement possible, les conditions de l’émergence de la justice, du développement économique, de l’éducation et de la liberté de la femme. Je suis de ceux qui pensent qu’il ne faut pas plaquer notre démocratie occidentale, avec ses constitutions et ses modes de vie,…

M. Didier Boulaud. On y vient !