M. Daniel Reiner. Quelle horreur !

M. Michel Billout. … avait profondément choqué en Afrique…

M. Roland Courteau. C’est sûr !

M. Michel Billout. … parce qu’il était révélateur d’un état d’esprit dénotant une conception condescendante et paternaliste du développement des sociétés. (MM. Jean-Louis Carrère et Jean-Étienne Antoinette applaudissent.)

M. Didier Boulaud. Exactement !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Michel Billout. Lors du dernier sommet franco-africain, bien qu’il ait proclamé sa volonté de rompre avec l’image d’une France pilleuse des richesses minières ou pétrolières de l’Afrique en nouant des partenariats « gagnants-gagnants », son combat contre la perte de notre « pré carré » au bénéfice des Chinois ou des Américains avait donné l’impression de n’avoir pour objectif que la seule préservation des intérêts économiques de notre pays, de nos marchés et de nos approvisionnements en uranium ou en pétrole.

Je suis donc sans illusions sur les raisons profondes qui motivent l’évolution des relations de défense que le Président de la République veut maintenant entretenir avec les pays d’Afrique. Elle procède tout simplement du pragmatisme dont il se réclame volontiers.

En réalité, la France ne veut plus, mais surtout ne peut plus, jouer le gendarme de l’Afrique. C’est la raison pour laquelle vous avez décidé, dans le domaine militaire, de rompre notre tête-à-tête avec les pays africains et d’agir soit dans le cadre des Nations unies – bien ! –, soit dans celui de l’OTAN – c’est plus discutable – ou d’un dispositif de l’Union européenne. C’est ce que vous avez fait en République démocratique du Congo ou avec l’opération EUFOR Tchad.

Cependant, vous agissez ainsi également par souci d’économie et de redéploiement de nos forces et de nos crédits, puisque vous êtes contraints par nos engagements dans d’autres parties du monde. C’est, bien sûr, la création d’une base à Abou Dhabi et c’est surtout la très importante mobilisation d’hommes et de moyens en Afghanistan, conséquence malheureuse de notre réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN.

MM. Didier Boulaud et Roland Courteau. Très bien !

M. Michel Billout. En conséquence, malgré des progrès en matière de transparence et de contrôle par le Parlement, mais en l’absence de tout débat précisant les orientations actuelles de la France, notamment en faveur d’une véritable politique de coopération avec les pays africains, les membres du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche voteront contre les accords de défense qui nous sont soumis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je voudrais mettre les choses au point !

Il n’a jamais été question, lorsque nous avons demandé l’inscription à notre ordre du jour de cette discussion sur les accords de défense, d’engager un débat sur la politique africaine de la France : notre demande était strictement circonscrite aux projets de loi dont nous débattons.

Vous aviez la possibilité, monsieur Billout, de discuter de la politique africaine de la France lors du débat de politique étrangère que nous avons eu récemment. C’est un chapitre qui aurait parfaitement pu être ouvert dans ce cadre. Vous n’aviez pas choisi ce thème…

M. Michel Billout. Faute de temps !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C’est possible, monsieur Billout, mais il n’en reste pas moins que le débat qui nous occupe aujourd'hui est de nature strictement militaire : déborder du sujet est peut-être votre droit, mais vous n’êtes plus dans le sujet ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. André Trillard. Vous êtes hors sujet !

Mme la présidente. Je vous remercie de cette mise au point, monsieur de Rohan !

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Monsieur le président de Rohan, si vous étiez intervenu après moi, vous auriez pu faire d’une pierre deux coups : je vais en effet vous donner l’occasion d’intervenir au même propos ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Billout sourit également.) Nous aurons d’ailleurs plaisir à vous entendre à nouveau !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur Boulaud, puisque vous m’interpellez, me permettez-vous de vous interrompre ?

M. Didier Boulaud. Je vous en prie, monsieur le président.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission, avec l’autorisation de l’orateur.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Au fond, votre problème, chers collègues de l’opposition, c’est que vous avez beaucoup de mal à dire du bien de ces accords, dont M. Billout a pourtant été obligé de reconnaître qu’ils allaient dans le bon sens. Comme votre propos est de condamner le Président de la République et sa politique,…

M. Alain Gournac. Tout le temps ! C’est le seul but !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. … je conçois qu’il ne s’agisse pas d’un sujet qui vous agrée et c’est pourquoi vous êtes obligés de parler d’autre chose !

M. Jean-Louis Carrère. Nous ne sommes pas seuls à condamner le Président de la République et sa politique !

Mme la présidente. Veuillez poursuivre, monsieur Boulaud.

M. Didier Boulaud. Mes chers collègues, au moment où je préparais cette courte intervention, j’ignorais encore si le ministre qui serait présent parmi nous serait toujours ministre d’État ou seulement ministre tant la situation politique et gouvernementale est devenue confuse, non seulement aux yeux de nos concitoyens et de leurs représentants que sont les parlementaires, mais aussi, hélas ! aux yeux de l’opinion internationale.

M. Didier Boulaud. Nous venons une nouvelle fois de changer de ministre de la défense et de ministre des affaires étrangères. Sans porter de jugement sur les hommes qui se succèdent ainsi à un rythme endiablé, permettez-moi de regretter la légèreté avec laquelle, au sommet de l’État, sont traités des secteurs aussi importants que celui de la défense ou celui des affaires étrangères.

M. Daniel Reiner. Vous avez raison !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. André Trillard. Monsieur Boulaud, vous n’avez pas de mémoire !

M. Didier Boulaud. Cette légèreté montre à l’évidence, si cela était encore nécessaire, que seules les orientations et les décisions prises au 55, rue du Faubourg Saint-Honoré ont cours. Peu importe donc, serai-je tenté de dire, de savoir qui occupe les locaux de la rue Saint-Dominique ou ceux du Quai d’Orsay, même si depuis deux jours on tente de nous faire accroire le contraire.

Après l’effacement, pour ne pas dire l’évitement, dont a été victime notre diplomatie sous l’« autorité » de M. Kouchner, puis le passage éclair et désastreux que nous venons de vivre au cours des quelques mois écoulés, nous voici avec l’espoir que tout ce charivari va enfin cesser, car, voyez-vous, au risque de vous étonner, même dans l’opposition, nous sommes affectés et meurtris de voir ainsi notre beau pays perdre jour après jour son influence sur la scène internationale,…

M. Didier Boulaud. … même si nous n’ignorons certes pas que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et, surtout, depuis la fin de la guerre froide la France n’est sans doute plus la grande puissance mondiale qu’elle a été au début du siècle dernier. Mais au moins était-elle, jusqu’à voilà peu encore, entendue et pouvait parfois peser, si ce n’est sur le destin du monde à elle seule, à tout le moins sur certains choix majeurs, notamment au sein du Conseil de sécurité – on l’a vu pour la guerre en Irak –, ainsi que sur le destin de ce continent africain dont nous allons parler dans quelques instants.

Dans le même temps, il convient de s’interroger afin de savoir si un outil de défense affaibli, et même parfois déconsidéré par quelques décisions improvisées, peut encore soutenir efficacement un outil diplomatique dont ce dernier a pourtant tant besoin. Voilà une vraie question qui risque, hélas ! de trouver une réponse que nous ne souhaitons entendre ni les uns ni les autres à brève échéance.

Monsieur le ministre, nous sommes entrés dans le domaine de l’illusion. Pis, nous nous cachons à nous-mêmes la vérité, et ce ne sont pas quelques accords de partenariat, en apparence anodins, qui vont y changer grand-chose !

Nous perdons pied en Afrique, et le mouvement va s’accélérant. Tout le monde le sait et le dit mezzo voce, mais personne n’ose l’avouer. Ne vous y trompez pas : les Français même les moins au fait des questions internationales le ressentent, et cela ne manque pas d’agir sur la perte de confiance globale à laquelle est confronté notre pays depuis quelques années.

Je n’aurai pas la cruauté de revenir sur notre cécité au Maghreb et au Machrek, ou encore au Sahel. Les faits parlent d’eux-mêmes. La responsabilité n’en n’incombe qu’au seul décideur suprême, et non aux multiples lampistes que l’on essaye parfois de jeter en pâture à l’opinion publique.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Didier Boulaud. Quand on prétend sanctuariser comme jamais sous la Ve République le domaine réservé, qui d’ailleurs n’a aucun fondement constitutionnel réel,…

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Ça, c’est vrai.

M. Jean-Louis Carrère. Il n’est pas seulement réservé, il est même exclusif !

M. Didier Boulaud. … il faut en assumer la décision jusqu’au bout et ne pas faire porter la responsabilité à d’autres, comme j’ai eu le sentiment que cela était le cas au cours des quelques semaines écoulées.

M. Didier Boulaud. J’attends toujours, par exemple, que le Gouvernement vienne justifier devant le Parlement l’acte de contrition de la France au Rwanda, acte de contrition porté en l’occurrence par quelqu’un qui à l’époque – il n’est ministre que depuis vingt-quatre heures – n’était nullement habilité par un mandat quelconque que le peuple lui aurait confié. (M. André Trillard s’exclame.)

On pourrait ainsi presque faire le tour de l’Afrique et du Moyen-Orient – Abu Dhabi, Syrie,… – et, hélas ! curieusement constater que tout cela est dépourvu de la moindre cohérence.

On a l’impression que notre action dans le monde est, comme le disait un spécialiste reconnu de ces questions dont je tairai le nom, entre les mains d’un cabinet d’avocats d’affaires. Il ouvre un dossier. Il traite le dossier. Il ferme le dossier. Il range le dossier, il passe à un autre dossier et ainsi de suite, sans jamais établir la moindre relation entre les différents dossiers !

Comment voulez-vous que dans les autres capitales la position française puisse être identifiée ? Mettons-nous à leur place un instant.

Par exemple, les capitales arabes n’ont pas encore compris notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN, sinon pour y avoir perçu un alignement suiviste et à contretemps sur George Bush « le petit ». (M. Roland Courteau sourit.)

J’observe d’ailleurs que, depuis quelques jours, beaucoup de commentateurs que nous n’avions pas forcément trouvés à nos côtés lorsque le débat s’est ouvert sur ce sujet en reviennent eux aussi.

Quant à la Turquie, grand pays stratégique s’il en est et qui fait d’ailleurs l’objet de toutes les attentions de la part des révolutions en cours dans le monde arabe, elle s’étrangle devant le comportement de la France à son égard.

Inutile enfin d’insister sur ce qu’il est advenu de notre relation avec le Mexique…

Je regardais par curiosité, en préparant cette courte intervention, les documents d’archives du voyage du général de Gaulle et son discours de Mexico ainsi que celui du Président Mitterrand à Cancún et je me demandais, avec une peine réelle, « qu’avons nous fait de tout cela ? ».

M. Didier Boulaud. Monsieur le ministre, tout cela va se payer et je crains que l’addition ne soit, hélas ! de plus en plus « salée » pour la France.

Aujourd’hui, vous nous présentez quatre accords de partenariat de défense avec le Gabon, le Cameroun, le Togo et la République centrafricaine. Nous n’allons pas nous en plaindre, puisque nous avons réclamé un tel débat depuis longtemps. De surcroît, c’était un engagement figurant dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale que d’y associer enfin le Parlement. D’autres accords sont encore en discussion et devront, une fois finalisés, être aussi soumis à notre approbation. On aurait peut-être pu attendre qu’ils soient tous signés pour tenir ce débat, mais certaines signatures risquent sans doute de se faire désirer…

Outre le fait qu’ils entérinent, pour certains, le repli de notre pays sur le continent africain et qu’ils marquent notre souhait de voir l’Union européenne s’y investir plus largement, on peut toutefois s’interroger sur l’opportunité politique de ces accords. Car la question est bien, au travers de tels accords, de savoir quels signaux nous envoyons aux peuples africains.

On peut se demander si les coopérations militaires sont actuellement le bon vecteur de la France en Afrique, au moment où l’on ferme nos frontières à double tour, sous la pression du Front national.

Alors que nous apportons notre soutien aux armées de ces pays, ne serions-nous pas en train, dans le même temps, de négliger les revendications sociales et politiques, notamment dans le domaine des libertés, de leurs peuples ? Nous venons pourtant d’être payés pour y être plus attentifs au Maghreb.

Enfin, doit-on faire aveuglément confiance à certains gouvernements pour établir ces partenariats ? Je pense en particulier au Gabon et à la République centrafricaine. Il ne nous semble pas opportun de ratifier aujourd’hui les accords qui concernent ces pays, au vu de leur situation politique intérieure actuelle. Il en est de même à l’égard du Togo et du Cameroun.

En effet, au Gabon, lors de la dernière élection présidentielle, des voix s’étaient élevées pour s’inquiéter d’un résultat qui désignait comme chef de l’État un candidat choisi par moins de la moitié de la population. Et plus récemment, la modification de la Constitution laisse craindre un report des élections législatives prévues en 2011. On assiste depuis à une rapide dégradation du climat politique, avec, notamment, la formation d’un gouvernement alternatif et la dissolution de l’Union nationale.

Dans un tel contexte, seules des élections nationales incontestables seraient susceptibles de donner une légitimité au gouvernement de ce pays. Il ne saurait y avoir de démocratie réelle sans non seulement une opposition autorisée et respectée, mais également un système électoral qui donne à chaque homme et à chaque femme une voix de valeur équivalente. Le mode de scrutin actuel et le découpage des circonscriptions ne permettent pas le respect de ces principes démocratiques.

Pour ce qui concerne la République centrafricaine, là aussi, on peut légitimement s’interroger sur la situation intérieure, après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle et du premier tour des élections législatives qui ont eu lieu le 23 janvier dernier. En effet, les principales forces d’opposition, regroupées au sein du Collectif des forces du changement, ou CFC, n’ont eu d’autre choix que d’appeler au boycott du second tour des élections législatives qui se déroulera le 20 mars prochain.

On peut d’ailleurs s’étonner du soutien manifeste des autorités françaises à ces résultats : le Quai d’Orsay s’est en effet contenté de prendre note de la réélection du président sortant dès le premier tour, en dépit des nombreuses irrégularités dénoncées tant par les observateurs indépendants, notamment européens, que par les principales forces d’opposition : bureaux de vote fictifs, listes électorales truquées, électeurs porteurs de plusieurs cartes.

Monsieur le ministre, les principes démocratiques ne sauraient être à géométrie variable. Il ne saurait y avoir deux poids deux mesures, en Afrique comme ailleurs. Partout, la France doit défendre le droit, la démocratie et la justice. C’est ce que j’ai cru entendre avant-hier soir à la télévision.

Or le népotisme du régime Bozizé est particulièrement caricatural. Outre le président élu au premier tour, son épouse, deux de ses fils, son neveu, son cousin et de nombreux autres proches ont été élus députés dès le premier tour.

M. Roland Courteau. Ça fait beaucoup !

M. Didier Boulaud. J’espère que les télex de l’ambassadeur de France à Bangui informant le Gouvernement de ces faits sont arrivés jusqu’au Quai d’Orsay, sinon il risque d’y avoir de la mutation dans l’air…

Notre inquiétude peut être élargie et viser le fonctionnement démocratique à la fois au Cameroun et au Togo, même si les dernières consultations électorales qui ont eu lieu dans ces pays sont un peu plus anciennes.

Monsieur le ministre, quand bien même je disais tout à l’heure que les accords de partenariat de défense dont il nous est demandé aujourd’hui d’autoriser l’approbation pouvaient paraître anodins et même si les principes proclamés qui les guident sont satisfaisants – adapter les accords de défense existants aux réalités du temps présent en tenant le plus grand compte de la volonté des pays africains, afin d’établir un nouveau partenariat en matière de sécurité ; agir en toute transparence, en rendant ces accords publics et en impliquant réellement notre Parlement comme c’est désormais le cas, en espérant qu’il en aille de même pour les parlements des pays partenaires ; aider l’Afrique à bâtir son propre dispositif de sécurité collective ; faire de l’Union européenne un partenaire majeur de l’Afrique en matière de paix et de sécurité –, il convient toutefois de s’assurer que ces principes s’appliquent bien à ces accords. Et j’insiste en particulier sur le premier d’entre eux : la prise en considération de la volonté des pays africains. Il ne s’agit pas que notre volonté de partenariat soit confisquée par des autorités mal élues et/ou illégitimes.

Ainsi, pour aider l’Afrique à bâtir son propre dispositif de sécurité collective, nous aimerions connaître le détail du diagnostic de sécurité, l’état des menaces, pays par pays, et les solutions proposées par la France et par l’Union européenne. Or nous ne voyons aucun plan d’ensemble en la matière. On navigue un peu à la godille. On en revient à mon avocat d’affaires évoqué précédemment.

Pour finir, « faire de l’Union européenne un partenaire majeur de l’Afrique en matière de paix et de sécurité » est certes un objectif louable, mais nous souhaiterions disposer, avant d’aller plus loin, d’un bilan précis du dispositif RECAMP – Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix –, de l’action de l’Union européenne en Afrique en matière de sécurité. Notre interrogation semble en effet légitime quand on observe l’essor d’AQMI sur le continent.

D’une manière générale, nous considérons que nous manquons, malgré tout, d’informations importantes pour adopter ces accords instituant de nouveaux partenariats : nous ne connaissons pas, en particulier, l’état des négociations sur des accords de partenariat avec les organisations régionales, aucun point sur l’analyse du dispositif français en termes de coûts complets – surcoût des forces, permanentes et tournantes, coût des rotations, entretien des infrastructures, transport, loyer des bases, impositions locales, etc. – n’a été réalisé,…

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Didier Boulaud. … et nous ne connaissons pas non plus l’état des engagements capacitaires résultant des accords de défense conclus avec les États du Golfe.

Avant de conclure, je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur quelques points particuliers auxquels M. le rapporteur a fait allusion et qui concernent également l’Afrique, même s’ils ne visent pas directement les quatre accords dont nous débattons cet après-midi.

En effet, il nous semble que la politique que la France doit mener en Afrique se doit d’être une politique globale, notamment au regard de l’histoire qui unit notre pays à ce grand continent si proche, si essentiel pour notre avenir.

Peut-on aujourd’hui aborder ces accords de la même façon que par le passé, après avoir constaté depuis quelques années la montée du terrorisme lié à la mouvance AQMI ?

Mes interrogations sont simples.

Premièrement, quelle place est consacrée au renseignement dans ces partenariats ? Je n’ai pas trouvé grand-chose, et pourtant il y a là matière et urgence à renforcer nos coopérations.

Deuxièmement, qu’en sera-t-il, dans l’avenir, de notre déploiement en Afrique, en raison de la forte diminution de la présence militaire française permanente qui contribuera à changer la nature de nos relations avec les États africains concernés ?

Eu égard à l’état du budget de la défense après les passages Alliot-Marie, Fillon et Sarkozy, il paraît inévitable de s’attendre à de nouvelles réductions. Cela nous conduit à nous interroger réellement sur la réalité de l’investissement en Afrique promis par le Gouvernement. La future révision obligée du Livre blanc se fera-t-elle « sur le dos » de notre présence en Afrique ?

Troisièmement, est-il, par exemple, envisageable de reconsidérer l’effort porté vers Abu Dhabi, point également évoqué par M. le rapporteur, alors que nous manquons cruellement de moyens en Afrique subsaharienne, particulièrement au Sahel, où nous sommes affrontés directement à AQMI ? Faut-il rappeler que la décision d’implanter la base française d’Abu Dhabi s’est faite sans concertation, que le Parlement a été écarté du débat et que l’on s’interroge encore aujourd’hui sur l’empressement du chef de l’État à mettre la France en position aussi avancée face à l’Iran ? Que cherche-t-on réellement ? À être plus royalistes que les Américains sur ce sujet ? Mesure-t-on les risques qu’une telle attitude ferait prendre à notre pays en cas de crise majeure dans cette région ?

M. Roland Courteau. Bonne question !

M. Didier Boulaud. Quatrièmement, qu’en sera-t-il également de notre présence en Côte d’Ivoire, alors que la situation est en train de se dégrader dangereusement de jour en jour ?

Cinquièmement, qu’en sera-t-il au Tchad, alors que le Président Déby manifeste des signes d’impatience quant au maintien de la mission Épervier, en place depuis 1986 ?

Ce sont autant d’interrogations que l’on ne saurait passer sous silence si l’on veut retrouver de la cohérence à notre présence en Afrique.

Par ailleurs, nous ne saurions ignorer qu’existent d’autres accords, dont certains très anciens, de coopération certes, et non pas de défense, qui lient la France à d’autres pays africains : le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée équatoriale, le Mali, le Niger et, justement, le Tchad. Ne serait-il pas temps et opportun de les remettre aussi à plat, notamment ceux qui ont été passés avec les trois derniers pays cités, au vu de la situation dans le Sahel ?

Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, la présentation de ces quatre accords est une occasion unique de poser le problème du lien qui unit la France à l’Afrique.

Ce lien a besoin d’être rénové, dépouillé des oripeaux fanés de la Françafrique, d’autant plus que la société africaine elle-même est en train de changer. Avant 2002, avait été esquissée, dans le contexte difficile de la cohabitation, une autre vision de la relation avec l’Afrique. Or la politique de M. Sarkozy, hésitant en permanence entre normalisation et interventionnisme, s’est ancrée de nouveau dans des logiques traditionnelles ; elle est marquée par un soutien appuyé à des régimes douteux du pré carré ; elle renoue avec les accents paternalistes, et j’en veux pour preuve l’inacceptable discours de Dakar, sur « l’Homme africain jamais entré dans l’Histoire ».

Je crains, hélas ! que ce ne soit la France qui, elle, sorte de l’histoire de l’Afrique.

C’est la raison pour laquelle les membres du groupe socialiste se prononceront contre les quatre accords qui nous sont proposés. Pour autant, ceux-ci seront adoptés, et il restera malgré tout à les évaluer en permanence à la lumière de la politique africaine du Président Sarkozy qui est loin de nous satisfaire, je viens de le dire.

Une très grande prudence s’impose donc. Nous jugerons aux actes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Billout applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Guerry.

M. Michel Guerry. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet après-midi, nous examinons quatre accords instituant un partenariat de défense avec quatre pays d’un continent, l’Afrique, dont il convient d’admettre qu’il n’est plus seulement en devenir.

Mon intervention, courte, sera surtout pour moi l’occasion de vous faire part de quelques réflexions sur les liens en matière de défense de la France avec ces pays.

Lors de la Coupe du monde de football, une chanson populaire annonçait : « it’s time for Africa ». Il semble, à cette heure, que nous n’en ayons pas complètement pris la mesure. Pour autant, – et j’ai déjà eu l’occasion d’intervenir sur ce sujet dans cet hémicycle – le réveil des pays de ce continent ne remonte pas aux seuls événements qui se sont déroulés ces deux derniers mois au Maghreb.

Ces accords de partenariat de défense sont nécessaires pour les quatre pays visés. C’est pourquoi les membres du groupe UMP les voteront. Mais d’abord et avant tout, ces accords incarnent une double volonté : participer à la stabilité des zones concernées et créer les conditions de sécurité et de paix durable garantes d’un véritable développement à long terme.

Je ne reviendrai pas sur les particularités de ces accords, que mon collègue Philippe Paul a remarquablement présentées.

M. André Trillard. C’est vrai !

M. Michel Guerry. Permettez-moi toutefois d’évoquer, en tant que sénateur des Français établis hors de France, outre la présence économique de la France, celle de nos ressortissants dans ces quatre pays. Plus de 10 500 Français vivent au Gabon, 5 600 au Cameroun, 2 800 au Togo et 1 200 en République centrafricaine. Plus de 20 000 de nos concitoyens sont donc établis dans ces pays.

Il s’agit d’accords bilatéraux de partenariat de défense. Quelle meilleure garantie pouvons-nous donner à nos ressortissants que ces accords pour assurer leur sécurité sur place ?

Permettez-moi également d’évoquer la menace terroriste qui est aux portes de ces pays, et qui prend notamment la forme de mouvements apparentés à Al-Qaïda. Pour ne citer que ce pays, le Tchad ne touche-t-il pas la République centrafricaine ? Ces accords sont donc vitaux, car ils concernent des pays parfois directement limitrophes de ceux qui sont frappés par les actes terroristes, nouveau fléau dans cette zone.

Or nous n’avons pas la capacité d’exercer un réel contrôle sur le terrorisme international. De plus, l’un des atouts les plus efficaces dont disposerait tout groupe terroriste consisterait à convaincre sa prochaine cible qu’elle n’est plus en danger. Mais ces pays sont plus que potentiellement en danger. Nous devons les aider à hausser leur vigilance et leur capacité de réaction face à ces groupuscules, encore peu nombreux, mal organisés, qui agissent dans la zone subsaharienne et qui sont très mobiles.

Voilà bientôt deux ans avait lieu au Gabon un séminaire sur « le développement des plans de sûreté interne et la protection des infrastructures critiques et des sites sensibles ». Il regroupait des experts civils et militaires de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, la CEEAC, et du Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme, le CAERT. La menace terroriste est désormais permanente pour ces États et nous devons nous-mêmes en tirer toutes les conséquences.

Ces accords bilatéraux ont donc pour objet d’indiquer aux autorités des pays concernés que nous nous soucions bien de leur sécurité et du terrorisme auquel ils sont confrontés et que nous les soutenons. Nous devons envoyer le message le plus clair possible sur ce sujet, tant à ces pays et à la communauté internationale qu’aux groupes terroristes en cause.

Pour conclure, je souhaite attirer votre attention sur un point qui m’est cher et qui relève d’une volonté délibérément optimiste de voir cette zone évoluer.

À l’heure où le continent entier connaît une forte croissance – 5 % à 6 % chaque année –, il n’est pas acceptable que nous assistions depuis la vieille Europe à ces crises politiques sur fond de violences, mères de toutes les misères. Aussi, l’essor de l’Afrique ne saurait se bâtir à la lecture des seuls critères que sont les indices de développement. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)