M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je n’ai guère à ajouter aux explications très claires et parfaitement fondées fournies par M. le rapporteur de la commission des lois.

En effet, il faut distinguer entre les deux articles. L’article 11 traite du témoin, de la façon dont il doit être entendu et de la façon dont il peut être retenu afin de fournir les renseignements dont il dispose. Le Conseil constitutionnel a certes censuré l’ensemble de l’article 62 du code de procédure pénale, mais il n’en a tiré aucune conséquence sur chacun de ses alinéas. Il apparaît indispensable de reprendre certaines dispositions pour que le rôle de témoin soit encore défini. C’est précisément l’objet de l’article 11.

C’est pourquoi je propose aux auteurs des amendements de les retirer et émets un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Mme Virginie Klès. Il s’agit moins d’une explication de vote que d’une question, que je me pose et que je vous pose, en espérant obtenir une réponse.

Une personne, après avoir été retenue quatre heures à titre de témoin, peut donc ensuite être placée en garde à vue. Les quatre heures de retenue s’imputent sur la durée de la garde à vue ; mais sont-elles prises en compte également dans le décompte du délai de deux heures laissé à l’avocat pour arriver sur les lieux ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Je pense que non, dans la mesure où le délai de deux heures commence à courir à partir du moment où la personne est placée en garde à vue.

Les quatre heures viennent s’imputer a posteriori sur la durée de la garde à vue. Cependant, les deux heures permettant à l’avocat d’arriver sur les lieux doivent, à mon avis, être décomptées à partir du moment où est notifiée la garde à vue.

La question que vous posez ne manque cependant pas d’intérêt, madame Klès. Je vous ai confié mon sentiment, mais il serait important de connaître la position officielle du Gouvernement, que je sollicite en ce sens.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. M. le rapporteur a donné la bonne réponse. Bien entendu, le délai d’attente pour l’avocat commence à courir au moment de la notification de la garde à vue. Les quatre heures ne comprennent pas ces deux heures.

Au moment où l’on notifie à la personne son placement en garde à vue, un délai de deux heures court pour permettre à l’avocat de se rendre sur les lieux de la garde à vue. C’est du moins ce que le Sénat a voté. J’avais moi-même proposé un délai d’attente réduit de moitié, estimant que, dans notre pays, tout allait vite, mais le Sénat a refusé ce délai d’une heure.

Les quatre heures seront imputées sur la totalité du délai de garde à vue.

Je tiens à ajouter que, de surcroît, l’officier de police judiciaire qui mènera l’enquête devra être extrêmement précautionneux parce qu’il sera impossible de retenir contre le témoin ce qu’il aura dit hors la présence d’un avocat. Dans ce cas particulier, il sera donc de l’intérêt des enquêteurs de ne pas transformer un témoin en gardé à vue si une telle issue peut être anticipée.

Il convient donc de distinguer deux cas : celui où un témoin, dont la présence est utile aux besoins de l’enquête pendant quatre heures, est interrogé et celui où l’individu est réellement suspecté d’être l’auteur de l’infraction, auquel cas il faut le placer en garde à vue si les conditions de la mise en œuvre de cette mesure sont réunies.

Donc, madame Klès, pour répondre de la manière la plus claire à une question qui ne manque pas de pertinence, je vous confirme que les quatre heures comptent dans le délai de garde à vue, mais que le délai de deux heures ne commence à courir qu’à partir de la notification de la garde à vue.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Je suis extrêmement troublé, mais je souhaiterais aller dans le sens de M. le garde des sceaux.

La logique voudrait qu’une personne qui a été entendue comme témoin ne puisse pas immédiatement être placée en garde à vue. Sinon, cela signifierait que l’avocat ne peut intervenir qu’au bout de six heures, ce qui est tout à fait contraire au principe que nous avons voté.

Il est donc de l’intérêt de tous non seulement de ne pas abuser de cette possibilité, mais même de ne pas en user du tout. En effet, s’il n’y a pas de solution de continuité entre la position de témoin et celle de placé en garde à vue, s’écoulent obligatoirement, au minimum, six heures pendant lesquelles la personne est sans avocat.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. À l’occasion de cette discussion, nous pouvons tous constater combien le travail des enquêteurs est ardu. Ils doivent ainsi faire preuve d’un discernement que je serais tenté de qualifier d’exceptionnel. Il est en effet difficile de savoir, dans un certain nombre de cas, s’il faut auditionner la personne en tant que témoin ou en tant que suspect.

Les articles 11 et 11 bis ont précisément pour objet d’opérer le maximum de clarifications dans un contexte où les situations sont souvent difficiles à apprécier.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Nous abordons l’un des points fondamentaux de ce projet de loi, comme Robert Badinter l’avait excellemment relevé en défendant la motion tendant au renvoi à la commission.

Oui, les enquêteurs peuvent éprouver des difficultés, mais ils ne sont pas les seuls, et la tâche de notre rapporteur n’a pas été simple devant un tel texte, qui prévoit notamment que le témoin peut être placé en garde à vue. Là se situe le problème posé par l’article 11 et le suivant.

Aux termes de l’article 61 et des quatre alinéas de l’ancien article 62 que vous insérez à l’article 61, il est possible de recourir à la force publique pour amener le témoin et de le retenir ensuite durant quatre heures. Ne tournons pas autour du pot : nous savons pertinemment que les enquêteurs, en chasseurs qu’ils sont, font leur métier de chasseurs, et pourront par conséquent utiliser la position de témoin pour obtenir un certain nombre de déclarations qui seront ensuite utilisées. Certes, on m’objectera l’article 1er A, mais, s’il interdit de condamner une personne sur le seul fondement de déclarations faites hors l’assistance de l’avocat, rien n’interdit d’obtenir la condamnation de la personne sur le fondement de ces déclarations complétées par d’autres preuves.

Le délai de quatre heures ouvre donc la voie à un système hybride parce que, une fois de plus, nous avons avancé à reculons, sans purger le texte, loin s’en faut, de tous les défauts qui l’affectent. Le régime du témoin sera dans certains cas problématique et les enquêteurs, très certainement, en useront, ce qui est normal, mais, encore plus sûrement, en abuseront.

M. le président. La parole est à M. Richard Tuheiava, pour explication de vote.

M. Richard Tuheiava. Je m’interroge sur ce qui constitue pour moi un paradoxe.

Certes, le texte en lui-même contient un certain nombre de clarifications et d’avancées en termes de garanties et de respect des droits des futurs gardés à vue. Mais, en insérant ces deux articles 11 et 11 bis, ne revenons-nous pas à un état du droit antérieur, dans lequel l’atteinte policière à la liberté de l’individu se situerait en amont de la garde à vue et sans les garanties qui s’y attachent désormais ?

Je pose la question au Sénat, car les amendements que nous allons présenter sur ces deux articles prouvent notre préoccupation. Il s’agit en fait de savoir si les garanties de la garde à vue ne devraient pas remonter jusque dans cette phase quelque peu floue de la pré-garde à vue.

Je ne veux pas remettre en cause le travail de nos enquêteurs. Toutefois, nous sommes ici réunis non pas uniquement pour faciliter leurs investigations, mais aussi pour établir les garanties des futurs gardés à vue.

Je souhaiterais beaucoup que M. le garde des sceaux nous livre les réflexions que lui inspire cette question et la position du Gouvernement en la matière.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je crois qu’il faut savoir raison garder en tout. Nous sommes en train de construire un nouvel équilibre concernant la garde à vue. Depuis le début de l’examen de ce texte, nous avons introduit un certain nombre de nouveautés dans notre droit : une définition claire de la garde à vue, les cas dans lesquels elle peut être décidée, la définition de la personne qui en a le contrôle, ses conséquences et la privation de libertés qu’elle constitue.

L’article 11 dispose qu’un témoin, peut, pour les nécessités de l’enquête, rester à la disposition des enquêteurs durant quatre heures, durée qui ne peut être prorogée. Pendant ces quatre heures, le témoin n’est pas placé en garde à vue et ne peut faire l’objet d’aucune des mesures prévues au titre de la garde à vue, mesure qui relève d’un régime procédural tout à fait différent.

Parfois, comme l’a évoqué M. Jacques Mézard, des témoins pourront être placés en garde à vue, parce que l’enquête aura progressé et aura permis de montrer que les personnes étaient en fait des suspects. Toutefois, un tel placement ne sera possible que si la mesure de contrainte répond aux conditions que fixe désormais la loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le but n’est pas de placer tout le monde en garde à vue. Je rappelle à ce sujet que l’un des objectifs du législateur, soutenu et partagé par le Gouvernement, est de réduire le nombre de placements en garde à vue. Par conséquent, il n’est pas souhaitable de recourir systématiquement à une mesure de contrainte privative de liberté, même si des garanties sont fixées par la loi.

Si un témoin peut, il est vrai, être retenu, c’est simplement parce qu’il a assisté peut-être à un crime et qu’en l’invitant à en faire le récit, on lui fait accomplir un véritable acte civique.

Si le texte soumis au Parlement aujourd’hui joue véritablement en faveur des libertés garanties, il permet également la sécurité et la sûreté. Il n’y aurait pas d’équilibre si nous ne marchions pas sur ces deux jambes, les libertés mieux garanties qu’elles ne l’étaient auparavant, la sûreté en tant qu’objectif constitutionnel de l’enquête.

Il me paraît étrange de tout faire pour que les personnes gardées à vue ne soient soumises à aucune coercition. Si elles sont dans cette situation, c’est parce que, je le rappelle, elles sont suspectées d’avoir commis une infraction grave, passible d’emprisonnement. On leur accorde, et c’est tout à fait naturel, de très nombreuses garanties, mais il faut aussi que l’enquête suive son cours, en dépit des privations de libertés que cela implique.

Au demeurant, l’article 11 ne vise pas du tout cela. Il mentionne seulement l’apport des témoins, dont nous avons besoin. Nous savons tous qu’il est en parfois nécessaire, en pratique, d’amener les témoins à comparaître, car l’efficacité de l’enquête en dépend. Imaginez que tout le monde s’égaille dans la nature…

Par conséquent, le Gouvernement confirme qu’il est opposé, comme la commission, aux amendements tendant à modifier cet article, qui apporte une vraie clarification et une réelle garantie.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 47.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 130 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 6, première phrase

Remplacer le mot :

plausibles

par le mot :

sérieuses.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Il est prévisible que cet amendement ne sera pas accepté puisque notre proposition a déjà été maintes fois repoussée.

Par conséquent, je retire l’amendement n° 130 rectifié, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 130 rectifié est retiré.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 95, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 6, première phrase

Remplacer les mots :

d'une peine

par les mots :

de trois ans

L'amendement n° 131 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 6, première phrase

Après les mots :

d’une peine

insérer les mots :

supérieure ou égale à trois ans

L’amendement n° 95 n’a plus d’objet.

M. François Zocchetto, rapporteur. En effet, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour défendre l’amendement n° 131 rectifié.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il est tombé aussi !

M. Jacques Mézard. Avec cet amendement n° 131 rectifié, nous restons dans la logique que nous avons toujours adoptée par rapport à la garde à vue.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Défavorable !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je considère que l’amendement est tombé depuis longtemps. Je demande donc au Sénat de le confirmer et émettrai, au surplus, un avis défavorable.

M. le président. L’amendement n° 130 rectifié n’a en effet plus d’objet.

L'amendement n° 132 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Au cours de l’audition, la personne peut également demander, par un document écrit, à être placée à la disposition des enquêteurs sous le régime de la garde à vue. S'il n'est pas donné suite à cette demande, la personne peut immédiatement quitter les lieux où elle est entendue. S'il est donné suite à cette demande, la garde à vue est réputée avoir débuté dès transmission de cette demande à l’officier de police judiciaire. »

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Comme nous l’avons déjà dit en défendant notre amendement de suppression, l’article 11 crée une espèce de zone de « non-droits » pour la personne qui est gardée, selon les modalités que nous venons de rappeler, à la disposition des enquêteurs. Cette personne est tout de même formellement privée de liberté ; pourtant, il n’est pas obligatoire de lui notifier son droit de partir ou son droit de se taire.

Cet article crée donc une situation de fort déséquilibre auquel il ne peut, en pratique, être remédié que par le départ de la personne ou son placement en garde à vue, à la seule diligence de l’OPJ. Cela nous évoque immanquablement l’état du droit antérieur à 1993, lorsque les enquêteurs étaient autorisés à garder à leur disposition toute personne utile, suspect comme témoin, ce que la Cour de cassation avait expressément qualifié de « maintien à la disposition des enquêteurs ».

On le sait, la création du statut de témoin assisté n’a permis de remédier à cette situation que dans un nombre très limité de cas.

Aujourd'hui, une personne peut solliciter sa mise en examen pour bénéficier des droits particuliers qui sont attachés à ce statut. De la même façon, nous proposons, par notre amendement, de remédier au flou juridique de la situation de témoin susceptible d’être placé en garde à vue en lui permettant de demander sa mise en garde à vue pour bénéficier des garanties qui sont attachées à ce statut. Cette demande est faite par écrit et une réponse doit y être apportée dans les plus brefs délais, pour prévenir tout abus.

Dès lors, deux situations se présentent : soit la mise en garde à vue n’est pas prononcée, et la personne peut quitter les lieux où elle était entendue ; soit la mise en garde à vue est ordonnée, et celle-ci est réputée avoir débuté dès que la personne en avait formulé la demande.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Monsieur Mézard, à force de tourner le texte dans tous les sens, vous arrivez à des conclusions paradoxales, voire absurdes !

Tout d’abord, la personne qui est auditionnée ou mise en garde à vue ne conduit pas l’enquête : ce n’est donc pas à elle de décider a priori de son statut – témoin ou gardé à vue.

Ensuite, le dispositif que vous proposez revient à faire reconnaître par le témoin qui demande sa mise en garde à vue qu’il peut être soupçonné d’avoir commis l’infraction. Reconnaissez que votre raisonnement est quelque peu tordu ! C’est à l’enquêteur de déterminer s’il a suffisamment de soupçons.

Nous ne pouvons vous suivre dans cette voie : elle nous amènerait à compliquer un cadre que nous essayons, au contraire, de simplifier avec ce projet de loi.

La commission a donc émis un avis défavorable sur votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je suis quelque peu perplexe face à l’amendement présenté par Jacques Mézard. Je crois comprendre, même s’il ne l’a pas dit expressément, que son objectif est de donner au témoin un statut de gardé à vue pour qu’il puisse bénéficier des garanties afférentes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, faut-il rappeler ici que la garde à vue est une mesure de contrainte très grave, qui est décidée par un officier de police judiciaire lorsqu’une personne est suspectée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction passible d’emprisonnement ? Si le témoin en est réduit à demander sa mise en garde à vue, il vaudrait mieux pour lui reconnaître sa culpabilité et bénéficier des garanties figurant à ce titre dans le code de procédure pénale…

Prévoir la possibilité pour la personne de demander à être placée en garde à vue pose un certain nombre de problèmes, notamment de compétence. Avec l’adoption de l’article 2 tant par l'Assemblée nationale que par le Sénat, l’article 63 du code de procédure pénale dispose désormais que seul un OPJ peut, d’office ou sur instruction du procureur de la République, placer une personne en garde à vue : il n’est pas prévu que l’on puisse « s’auto-placer » en garde à vue !

Mais la difficulté devient dirimante quand on considère un droit fondamental reconnu par la CEDH, celui de se taire. Demander à être placé en garde à vue revient à reconnaître en effet que l’on se soupçonne d’être coupable. Si tel n’est pas le cas, il suffit de se taire et, une fois le délai de quatre heures écoulé, on peut partir, l’affaire est terminée, sauf si l’enquêteur décide un placement en garde à vue.

Je n’ai pas été convaincu par les arguments présentés par M. Mézard. J’émets donc un avis défavorable sur son amendement.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour explication de vote.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le ministre, je voudrais faire deux observations.

D’une part, notre amendement tend à prévoir que le témoin « peut » demander à être mis en garde à vue : ce n’est pas lui qui se place en garde à vue, monsieur le garde des sceaux.

D’autre part, vous avez souligné, longuement et à plusieurs reprises depuis le début de ce débat, le rôle protecteur de la garde à vue. Je voudrais justement insister sur ce point : si elle a véritablement un rôle protecteur, elle est aussi là pour protéger la personne entendue comme témoin qui, pendant quatre heures, ne peut pas disposer de l’assistance d’un avocat.

Telles sont les raisons pour lesquelles je soutiens très fortement cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Mme Virginie Klès. J’approuve totalement les propos qu’a tenus à l’instant ma collègue Anne-Marie Escoffier.

On peut très bien être témoin et sentir tout à coup, pour différentes raisons, que l’on est soupçonné alors que l’on n’a rien fait et que donc l’étau se resserre. Demander à être placé en garde à vue permet de bénéficier de l’assistance d’un avocat et de disposer ainsi d’une aide dans ces circonstances qui peuvent susciter chez les personnes une véritable panique.

Le citoyen lambda n’est pas au courant de la législation et ne sait pas qu’il a le droit de se lever et de partir. Il le fera d’autant moins lorsqu’il aura été amené par les gendarmes dans le lieu de garde à vue, surtout s’il se sent à tort soupçonné.

Vous n’avez pas voulu lui donner la possibilité d’être assisté par un avocat dès son arrivée dans les locaux de la police ou de la gendarmerie ; alors donnons-lui au moins le droit d’y avoir recours dès qu’il en ressentira le besoin !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois aux vertus du débat parlementaire, qui est toujours extrêmement passionnant. Je remercie tous ceux d’entre vous, quelle que soit leur appartenance politique, qui font vivre aujourd'hui nos échanges.

J’observe qu’aussi bien Mme Klès que Mme Escoffier ont relevé que le projet de loi relatif à la garde à vue établissait un statut protecteur. C’est un aveu qui ne peut que nous conforter…

Mme Virginie Klès. Ce n’est pas un aveu !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Si ce statut n’est pas protecteur, alors ne demandez pas que le témoin puisse en bénéficier ! (Mme Virginie Klès proteste.) Madame Klès, vous venez pourtant bien de dire que vous faisiez vôtres les propos de Mme Escoffier, laquelle a réclamé – je prête toujours attention à ce que disent les parlementaires ! – le statut « protecteur » de la garde à vue.

Toutes celles et tous ceux qui ont travaillé sur ce texte sont confortés par le soutien que vous venez d’apporter à la commission des lois et, si je peux me permettre, au Gouvernement, qui se réjouit que vous le souteniez enfin ! (Sourires.) Nous espérions cela depuis de nombreux mois, voire des années, mais c’est enfin arrivé ! (Nouveaux sourires.)

Plus sérieusement, mesdames, messieurs les sénateurs, au bout de quatre heures, il n’est plus possible de garder la personne entendue comme témoin : soit elle est placée en garde à vue, soit elle repart libre chez elle. Je ne vois pas pour quelles raisons nous devrions aller plus loin.

Honnêtement, je ne comprends pas cet amendement, car il sous-entend que, dès son arrivée, le témoin demande à être placé en garde à vue. S’il devait en être ainsi sur l’ensemble du territoire, nous serions confrontés à d’énormes problèmes de locaux, sans parler des avocats !

Le dispositif que vous proposez n’est donc pas satisfaisant. Nous avons, pour notre part, un système dans lequel l’article 11 est consacré aux seuls témoins, et tous les témoins ne sont pas les coupables que l’on recherche. Parfois les personnes entendues peuvent prendre peur et vouloir partir, et il est normal que les enquêteurs essayent de les garder à leur disposition. (Marques de scepticisme sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.) Non, mesdames, messieurs les sénateurs, il ne s’agit pas d’autre chose.

Il faut bien que l’on puisse prouver que telle ou telle personne est l’auteur de l’infraction et, si l’on recherche des preuves, on a aussi besoin de témoins. On ne peut pas passer d’une culture de l’aveu à une culture de la preuve sans essayer d’établir les faits non seulement par des moyens scientifiques, mais aussi par des témoignages.

L’article 11, qui va en ce sens, constitue un progrès important. C’est la raison pour laquelle je maintiens l’avis défavorable du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Toute la difficulté de notre discussion vient de l’ambiguïté de l’article 11. On finit par se demander quelle est la différence entre le statut du gardé à vue et celui du témoin qui ne peut pas partir, sinon que l’un peut demander l’assistance d’un avocat et l’autre pas. C’est tout de même paradoxal !

Si le Gouvernement trouve son bonheur dans ce texte, qu’il nous le fasse partager en accordant au témoin un statut qui, s’il n’est pas beaucoup moins contraignant que celui de gardé à vue, lui offre au moins plus de garanties qu’en l’état.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, nous avons tous reconnu que votre projet de loi sur la garde à vue constituait un progrès par rapport à la législation existante. Nous n’allons pas dire le contraire aujourd’hui, mais, pour vous faire plaisir, je vais le répéter : oui, votre texte constitue une avancée !

Malheureusement, vous n’allez pas jusqu’au bout du chemin, et vous faites même une partie du trajet à reculons !

On le comprend bien, l’article 11 ne posera de réelles difficultés que dans un nombre très minoritaire de cas, dans lesquels une personne sera auditionnée en qualité de témoin alors qu’un certain nombre de charges pèseront déjà sur elle.

Ne serait-il pas normal que cette personne puisse anticiper ce passage de la qualité de témoin à celle de gardé à vue ? Monsieur le rapporteur, il n’y a là rien d’original par rapport aux dispositions du code de procédure pénale : aux termes de l’article 113-6, il est possible de demander au juge d’instruction, entre autres mesures, de passer du statut de témoin assisté à celui de mis en examen. Le juge peut refuser, ce qui est d’ailleurs assez fréquemment le cas.

Ici, nous souhaitons simplement que le témoin puisse demander à être placé en garde à vue. Cela ne signifie pas que le placement en garde à vue sera automatique. Cette demande vise simplement à éviter que le dispositif relatif au témoin ne remplace celui de l’audition libre.

Vous le savez comme nous, voilà la difficulté. D’ailleurs, je le répète, le texte n’est pas bien ficelé sur ce point. Il tente juste de parer au plus pressé compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel et de l’abrogation de l’article 62 du code de procédure pénale.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Mézard, partons d’une idée simple : les enquêteurs n’ont aucune raison de détourner la procédure. Ils savent bien que le non-respect des dispositions très formalistes du code de procédure pénale entraînerait la nullité de leurs actes et rendrait donc impossible la poursuite d’une personne peut-être coupable.

Admettez qu’agir autrement n’aurait aucun sens. Un enquêteur cherche en effet à découvrir la vérité pour ensuite la soumettre au juge.

Ce que vous avez dit sur le juge d’instruction est exact. Reste qu’un juge d’instruction est une juridiction, ce qui n’est pas le cas d’un OPJ. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas lui accorder les mêmes pouvoirs.

Ce sont les constatations qu’il a pu faire ou les preuves qu’il a pu recueillir qui conduisent un OPJ à placer en garde à vue. Un officier de police judiciaire ne peut donc pas répondre à une demande comme le ferait un magistrat, car ce n’est pas son rôle.

Je réaffirme donc la position du Gouvernement.