M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les orateurs qui m’ont précédé se sont tous accordés pour le souligner : la délinquance des mineurs constitue un véritable problème, il faut le traiter et, pour cela, un débat est nécessaire. C’est ce que vient encore d’affirmer à l’instant Jean-Marie Bockel, qui avait été chargé d’une mission sur ce sujet par le Président de la République.

Or, monsieur le garde des sceaux, nous nous trouvons de nouveau confrontés à un texte pour lequel la procédure accélérée a été engagée, et même doublement accélérée puisqu’il s'agit d’une proposition de loi et qu’aucune concertation n’a donc pu avoir lieu.

Où est l’urgence de ce texte ? Pourquoi apporter aussi vite des réponses partielles et ne répondant pas au but visé aujourd'hui ? On se le demande ! La réponse à cette question, c’est que décidément le Gouvernement, y compris vous-même, monsieur le garde des sceaux, qui en faites partie, n’a aucun respect pour le Parlement, qui est bien le cadet de vos soucis.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Voyons !

M. Jean-Pierre Michel. Et votre mine renfrognée ne prouve absolument rien, sinon que vous êtes solidaire de cette façon de traiter le Parlement. Car, franchement, quelle est l’utilité de cette procédure accélérée ? Qu’est-ce qui la motive ? Où est l’urgence ?

Je formulerai quelques remarques sur la proposition de loi initiale, puis sur son article 6, dont vous êtes pleinement responsable, malheureusement pour vous, monsieur le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. L’article 6, j’en suis très fier !

M. Jean-Pierre Michel. C’est dommage pour vous, car il n’est vraiment pas glorieux.

La caractéristique première de ce texte est qu’il est mensonger, et cela à plusieurs titres.

Tout d'abord, son intitulé lui-même est mensonger : il laisse croire que les mineurs délinquants vont effectuer un service civique, du type de ce qu’avaient proposé Martin Hirsch ou Ségolène Royal. Or il n’en est rien, puisqu’il s’agit ici de placer les mineurs délinquants dans les centres EPIDE, des établissements publics d’insertion – et non pas militaires –, placés sous la tutelle des ministères de l’emploi et de la ville, qui les financent, et du ministère de la défense, qui a fourni, à l’origine, les bâtiments et les terrains. Ce sont donc des établissements d’enseignement en internat, alors que l’exposé des motifs évoque – cela n’étonnera pas, venant de M. Ciotti ! – les effets attendus « d’une discipline stricte, mais valorisante, inspirée de la rigueur militaire ».

Tout le monde sait que, dans les centres EPIDE, les encadrants militaires sont en minorité.

M. Louis Nègre. Mais ils y sont ! C’est cela la différence.

M. Jean-Pierre Michel. Je crois donc que, ici aussi, il s'agit d’un grave mensonge.

M. Jean-Pierre Michel. Il en va de même dans les objectifs du texte, car l’auteur, dès l’exposé des motifs de la proposition de loi, persiste, une fois encore, à présenter la délinquance des mineurs comme un phénomène en augmentation débridée, alors que sa part dans la délinquance générale reste stable, à 18 %.

Il y a mensonge aussi sur les effectifs concernés, car cette mesure pourrait concerner tout au plus 200 à 250 mineurs délinquants, alors que 160 000 mineurs environ sont traduits chaque année devant les tribunaux.

Il y a mensonge encore dans les dispositions mêmes du texte. En effet, l’ordonnance du 2 février 1945 permet déjà le placement de mineurs délinquants dans des établissements habilités. Les centres EPIDE pourraient très bien s’insérer dans ce cadre, par le biais de conventions signées entre le ministère de la justice et les ministères de tutelle de ces établissements. Pourquoi n’avez-vous pas emprunté cette voie, monsieur le garde des sceaux, plutôt que de soutenir ici la proposition de loi de M. Ciotti, même si je reconnais que vous avez fait tout à l'heure le service minimum à cet égard ?

Le juge des enfants peut prendre une décision de placement dans tout établissement « habilité » pendant toute la durée de la procédure. Dès lors, pourquoi un nouveau texte ? Il suffirait de signer des conventions et, surtout, de financer de nouvelles places dans ce cadre.

Il y a mensonge encore pour ce qui est du financement, car rien n’est prévu à ce titre. Monsieur le garde des sceaux, nous avons déjà examiné le projet de budget de votre ministère – nous dirons ce que nous en pensons le moment voulu –, ainsi que celui de la PJJ, qui est en grande difficulté. Tous les crédits sont affectés aux centres fermés.

Pourquoi prendre le risque, qu’ont souligné avant moi mes collègues, de déstabiliser les centres EPIDE, qui fonctionnent plutôt bien aujourd'hui en tant qu’écoles de la deuxième chance, en plaçant au sein de ces établissements des populations très différentes de celles qui y sont déjà accueillies ?

Tout cela est jugé dangereux par ceux qui dirigent les centres – peut-être leur réaction est-elle quelque peu corporatiste, je veux bien l’admettre –, mais aussi par ceux qui les fréquentent.

Je laisse à d’autres orateurs le soin de développer les difficultés que pose ce texte et j’en viens à l’article 6 de la proposition de loi, introduit par le Gouvernement.

En effet, au travers d’un amendement visant à modifier l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire et les articles 13 et 24-1 de l’ordonnance du 2 février 1945, le Gouvernement a – paraît-il – voulu tirer les conséquences, en réalité de façon hâtive et sans aucune concertation préalable, de la décision du 8 juillet 2011 du Conseil constitutionnel. Ce dernier avait estimé que le juge des enfants ne pouvait, sauf à violer le principe d’impartialité – nous sommes totalement dans le cadre du droit européen et non plus dans celui du droit français, mais passons ! – présider le tribunal pour enfants lorsqu’il a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et renvoyer le mineur devant cette juridiction.

Quelle est la portée de cette décision ? Quels sont ses contours ? Il y a discussion.

D'ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans sa sagesse, une fois n’est pas coutume (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV.),…

M. Jean-Jacques Hyest. Quel éloge !

M. Jean-Pierre Michel. … avait laissé un délai courant jusqu’au 1er janvier 2013 pour réformer la loi. Mais non, monsieur le garde des sceaux, immédiatement, vous êtes au rendez-vous ! Vos amendements le prouvent, vous avez fait le choix d’un expédient, qui apparaît dès la lecture du texte : « Lorsque l’incompatibilité prévue à l’alinéa précédent et le nombre de juges des enfants dans le tribunal de grande instance le justifient, la présidence du tribunal pour enfant » – ou du tribunal correctionnel des mineurs – « peut être assurée par un juge des enfants d’un tribunal pour enfants sis dans le ressort de la cour d’appel et désigné par ordonnance du premier président ».

Belle usine à gaz et beau casse-tête pour l’organisation judiciaire dans le ressort de la cour d’appel !

La décision du Conseil constitutionnel appelait pourtant une réflexion approfondie au regard du bouleversement qu’elle entraîne dans le traitement spécialisé de la délinquance des mineurs, tel qu’il résulte de l’ordonnance de 1945. En effet, ce bouleversement est encore plus radical que les ajouts au texte sur les jurés populaires assesseurs auxquels vous avez procédé, monsieur le garde des sceaux.

Le maître mot du traitement de la délinquance des mineurs, donc de la procédure mise en œuvre dans ce cadre, était la continuité : le même magistrat accueillait le mineur, assumait les fonctions de juge d’instruction, de juge de jugement et même de juge de l’application des peines.

Il aurait été possible également de distinguer les dossiers où la culpabilité est discutée de ceux où elle ne l’est pas. Mais non ! Vous balayez tout cela par des amendements hâtifs.

Par ailleurs, vous envisagez de mutualiser les tribunaux pour enfants, sans envisager là non plus des moyens supplémentaires, naturellement, et en éludant, puisqu’il s'agit d’une proposition de loi, toute étude d’impact – il y a longtemps que ce genre de document a disparu de votre ministère, monsieur le garde des sceaux. Bravo !

Or ce texte fait l’économie de deux paramètres.

Tout d'abord, vous ne vous interrogez pas sur la manière dont les juges des enfants, déjà asphyxiés, et dont les greffes sont insuffisants, pourront aller se prononcer sur les dossiers dans des tribunaux distincts. En effet, on suppose que ce sont non pas les mineurs délinquants mais les juges qui se déplaceront, se rendant par exemple, dans le département dont je suis l’élu, de Vesoul à Besançon. Mes chers collègues, je vous laisse imaginer ce qui va se passer !

Ensuite, vous ne vous demandez pas plus comment ces magistrats trouveront le temps indispensable pour préparer les dossiers et se coordonner avec leurs collègues qui les ont « instruits » – pour employer un terme inexact, mais que tout le monde comprend –, et cela afin de juger des mineurs qu’ils ne connaissent pas et qu’ils n’ont jamais vus.

Monsieur le garde des sceaux, vous me direz peut-être que les magistrats jugent des majeurs qu’ils n’ont jamais vus et qu’ils ne connaissent pas. À cela je vous répondrai que, précisément, l’une des spécificités du droit des mineurs tient au fait que le magistrat juge des jeunes qu’il connaît et qu’il a suivis.

Bien plus grave encore, au travers d’un second amendement, dont les dispositions ont été glissées au sein du cinquième paragraphe de l’article 6 de la proposition de loi, vous tentez carrément de contourner la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 4 août 2011 et invalidant la saisine directe du tribunal correctionnel des mineurs par le procureur de la République.

Le Conseil constitutionnel avait en effet estimé que, dans la mesure où le tribunal correctionnel des mineurs appelé à juger les jeunes de plus de seize ans récidivistes n’était pas « une juridiction spécialisée », il faudrait recourir à des procédures spécifiques et qu’il devait donc être saisi « selon des procédures appropriées à la recherche du relèvement éducatif et moral des mineurs ».

Qu’à cela ne tienne, vous revenez à la charge : la proposition de loi amendée prévoit désormais que le Parquet – encore lui ! –, dans le cadre de la procédure de présentation immédiate définie par l’article 8-2 de l’ordonnance du 2 février 1945, pourra requérir du juge des enfants qu’il renvoie le jeune devant le tribunal correctionnel des mineurs dans un délai de dix jours à un mois, ce qui équivaut exactement à la procédure de convocation par officier de police judiciaire qui a été censurée par le Conseil constitutionnel !

Il vous reste à nous expliquer, monsieur le garde des sceaux, quelles procédures « adaptées » à la recherche du « relèvement éducatif et moral » pourront être menées en dix jours, voire en un mois ? Bien entendu, tout cela n’est que littérature !

La méthode est d’autant plus scandaleuse – le mot n’est pas trop fort – que cette modification est introduite en catimini, sous une formulation très technique, au sein d’un article portant sur un autre objet.

Mais je félicite les rédacteurs de la Chancellerie : depuis trente ans, ils ont bien progressé dans l’écriture subreptice de textes destinés à enfumer les parlementaires. (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV. – Exclamations sur les travées de lUMP.)

Toutefois, malheureusement pour vous, monsieur le garde des sceaux, le lièvre a été débusqué. De la même manière, avait été révélée naguère la véritable démolition des principes fondateurs de l’ordonnance du 2 février 1945 à laquelle se livrait subrepticement la loi sur la participation de citoyens assesseurs au fonctionnement de la justice.

Monsieur le garde des sceaux, si votre passage Place Vendôme laisse une trace, ce sera bien celle-ci : vous resterez comme le démolisseur du droit des mineurs et de l’ordonnance de 1945 !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. N’en faites pas trop !

M. Jean-Pierre Michel. Peut-être en êtes-vous ou en serez-vous fier. En tout cas, c’est exactement ce que vous aurez fait. Et on sera heureux de l’apprendre au-delà des cercles étroits du Sénat et de la capitale, par exemple dans votre département !

Les décisions du Conseil constitutionnel appelaient une réflexion approfondie au regard des bouleversements qu’elles apportent dans le traitement de la délinquance des mineurs, qui, je le répète, suivait une logique de continuité, contrairement à la délinquance des majeurs, traitée différemment.

D'ailleurs, je remarque que, en 2004, quand vous étiez déjà au pouvoir, monsieur le garde des sceaux – ou du moins vos amis, et en tout cas pas la gauche ! –, ce principe de continuité a été encore accentué, le juge des enfants étant désormais chargé de l’application des peines des mineurs, y compris en milieu fermé.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Michel. J’en aurai terminé, monsieur le président, quand j’aurai dit qu’au surplus cet article 6 est un cavalier législatif.

Dans ces conditions, nous ne pouvons que rejeter en bloc ce texte mensonger, inquiétant, dangereux pour le bon fonctionnement des centres EPIDE, et dont l’article 6 est d’une constitutionnalité douteuse.

La délinquance des mineurs appelait d’autres réponses en matière de prévention, notamment pour les mineurs qui, sans être délinquants, sont addictifs et se trouvent dans une situation de marginalité. Ces mineurs ont besoin d’un véritable traitement, sans quoi ils tomberont dans la délinquance.

Mais, de tout cela, vous vous souciez comme d’une guigne ! En effet, vous défendez un texte très inquiétant et très dangereux. C'est la raison pour laquelle notre groupe, n’ayant pas trouvé le moyen de l’amender, le rejette en bloc. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, en mai dernier, le Sénat examinait un projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.

Moins de six mois plus tard, voici que notre assemblée est saisie d’un nouveau texte modifiant l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante, déjà révisée à trente-cinq reprises.

On assiste, depuis 2007, à un véritable emballement législatif, puisque l’ordonnance est désormais modifiée tous les ans, et même, à mesure que l’élection présidentielle approche, plusieurs fois par an.

Manifestement, la cohérence entre ces différentes révisions importe peu au Gouvernement. Le but est d’accréditer, auprès des électeurs, l’idée d’une hyperactivité gouvernementale en matière de lutte contre l’insécurité. Peu importe alors, je le répète, que cette surchauffe législative n’ait pas d’effet avéré sur l’évolution de la délinquance.

Après l’excellent rapport de Virginie Klès, je concentrerai mon propos sur l’article 6, qui illustre tout à fait le caractère désordonné et bâclé de cette initiative législative. Cet article a certes été excellemment traité par notre collègue Jean-Pierre Michel, mais certaines choses nécessitent, pour être bien entendues, d’être énoncées plutôt deux fois qu’une !

L’article 6, introduit par la commission des lois de l’Assemblée nationale sur amendement du Gouvernement, entend tirer les conséquences de deux décisions récentes du Conseil constitutionnel en matière de droit pénal des mineurs.

Considérons d’abord la décision du 8 juillet 2011, aux termes de laquelle l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire est déclaré contraire à la Constitution. Le Conseil constitutionnel a estimé que le principe d’impartialité, indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles, interdit au juge des enfants qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider la juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines.

Alors que cette décision laisse au Gouvernement jusqu’au 1er janvier 2013 pour réformer la loi sur ce point, la Chancellerie a préféré agir dans la précipitation, quitte à tirer des conséquences manifestement excessives de la décision du Conseil constitutionnel.

De fait, le Gouvernement souhaite édicter un principe d’incompatibilité très rigide, selon lequel le juge des enfants qui a renvoyé l’affaire devant le tribunal pour enfants ne pourra plus présider cette juridiction. Or, dans sa décision, le Conseil constitutionnel semble limiter le principe d’incompatibilité au cas où le juge des enfants a été chargé, dans le cadre de son instruction, d’accomplir les diligences utiles à la manifestation de la vérité.

La décision du Conseil constitutionnel ne fait donc pas obstacle, de mon point de vue, à ce qu’on distingue deux situations : celle où le juge instruit pour la manifestation de la vérité – l’incompatibilité trouverait alors à s’appliquer –, et celle où la culpabilité est reconnue et où la logique d’assistance, de surveillance ou d’éducation prévaut – le principe d’un juge des enfants référent garderait alors tout son sens.

En allant trop vite, monsieur le garde des sceaux, vous allez trop loin.

L’interdiction faite au juge des enfants qui a renvoyé l’affaire devant le tribunal de présider la juridiction conduira à une mutualisation des tribunaux pour enfants, dont je me demande si vous mesurez bien toutes les conséquences. La présidence du tribunal pour enfants devra en effet être assurée par un juge des enfants d’un tribunal pour enfants sis dans le ressort de la cour d’appel. On imagine déjà les complications pratiques que cela entraînera pour les juges des enfants, qui seront contraints d’aller juger les dossiers dans des tribunaux distincts. On imagine également l’allongement des délais de jugement qui ne manquera pas d’en résulter, puisqu’il faudra donner aux juges le temps d’étudier des dossiers qu’ils n’ont pas instruits.

Les juges des enfants, déjà asphyxiés, ont-ils vraiment besoin qu’on leur impose de nouvelles contraintes ?

J’en viens à la décision du Conseil constitutionnel du 4 août 2011 sur les modalités de saisine du tribunal correctionnel pour mineurs. Le Conseil a déclaré que le tribunal correctionnel pour mineurs ne pouvait être saisi selon les procédures de convocation directe par le procureur et de présentation immédiate. En effet, il a considéré que ces dispositions, qui permettent de convoquer le mineur ou de le faire comparaître directement devant la juridiction de jugement sans instruction préparatoire, étaient contraires aux exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs.

Le Conseil constitutionnel a estimé, à juste titre mais sans, à mon sens, en tirer toutes les conséquences, que le tribunal correctionnel pour mineurs ne pouvait être considéré comme une « juridiction spécialisée ». Le Conseil s’est demandé si ce tribunal était saisi selon des procédures appropriées au regard des exigences du droit pénal des mineurs ; à l’évidence, ce n’est pas le cas s'agissant des procédures d’urgence que je viens d’évoquer. Or le dispositif prévu au paragraphe II de l’article 6 vise, tout simplement, à réintroduire ces procédures d’urgence, ce qui traduit la volonté du Gouvernement d’imposer à tout prix la possibilité, pour le parquet, d’une saisine rapide du tribunal correctionnel pour mineurs.

Très concrètement, le Gouvernement offre au procureur de la République, dans le cadre de la procédure de présentation immédiate, la possibilité de requérir du juge des enfants qu’il ordonne la comparution de mineurs dans un délai compris entre dix jours et un mois. La procédure peut donc fort bien, comme l’a souligné Jean-Pierre Michel, être comparée à celle qui a été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 mars 2011 relative à la loi dite « LOPPSI 2 ».

Et peu importe, ici, que le juge des enfants remplace aujourd’hui l’officier de police judiciaire. L’essentiel demeure : les procédures et les délais ne permettent pas au tribunal de disposer d’informations récentes sur la personnalité du mineur, des informations pourtant nécessaires pour rechercher son relèvement éducatif et moral.

Les dispositions introduites à l’article 6 ont en commun de rompre avec l’ensemble des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République qui fondent le droit pénal des mineurs : la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, le principe d’une juridiction spécialisée s’appuyant sur un juge référent qui favorise le suivi du mineur et la garantie de procédures appropriées.

Mis bout à bout, les différents projets de loi présentés par le Gouvernement s’apparentent à une véritable entreprise de démolition du droit pénal des mineurs de seize à dix-huit ans, dont le régime se rapproche dangereusement de celui des adultes, projet de loi après projet de loi.

La façon de procéder du Gouvernement est, je le dis très nettement, tout à fait détestable. Ces coups de boutoir sont opérés par amendement du Gouvernement en commission, autant dire en catimini. Non seulement il n’existe aucune concertation préalable avec les organisations syndicales de magistrats, d’avocats et de spécialistes, mais en outre ces derniers ne sont pas même informés des initiatives du Gouvernement ! Du reste, compte tenu de l’accueil très critique qu’ils ont réservé aux dispositions de l’article 6, je comprends tout à fait que vous ayez souhaité tenir les professionnels à distance…

Au-delà de ces dispositions, votre méthode pose la question du « bien légiférer ».

La multiplication des questions prioritaires de constitutionnalité, les QPC, entraînera sans aucun doute une multiplication des décisions d’inconstitutionnalité ; en réalité, c’est d’ores et déjà le cas. Dans ces conditions, il y a sans doute mieux à faire, pour améliorer la qualité de la loi, que d’opérer des replâtrages hâtifs qui se révèlent être des cavaliers législatifs et des actes de pure communication.

Les décisions du Conseil constitutionnel contiennent en germe de sérieux changements en matière de droit pénal des mineurs. Cela nécessite, à l’évidence, de prendre le temps de la concertation, comme le permet tout à fait, du reste, le délai laissé par le Conseil au Gouvernement pour tirer les conséquences de ses décisions – la date limite, je le rappelle, est fixée au 1er janvier 2013. Tel est le sens de la motion tendant à opposer la question préalable que notre commission a votée.

Afin de nourrir la réflexion du Gouvernement, je lui rappellerai ses engagements ; j’en terminerai par là.

Dans les premiers temps du quinquennat de Nicolas Sarkozy, monsieur le garde des sceaux, votre prédécesseur, Mme Rachida Dati, avait mis en place la commission Varinard, en lui confiant la mission de formuler des propositions pour créer un code de justice pénale applicable aux mineurs.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Tout à fait !

Mme Catherine Tasca. Cette initiative s’appuyait sur un diagnostic clair : la multiplication des révisions de l’ordonnance de 1945 nuit à sa clarté, à sa compréhension et à sa cohérence.

Mme Alliot-Marie semblait vouloir mener à son terme ce projet, qu’elle jugeait utile pour clarifier cette ordonnance devenue illisible. Toutefois, le temps politique, pour ne pas dire le temps électoral, a ensuite pris le pas sur le temps législatif : le projet de code de justice pénale des mineurs a été enterré – momentanément, peut-être – et le droit pénal des mineurs est devenu l’instrument d’une stratégie politicienne qui traduit votre enfermement dans une logique purement répressive à l’égard des mineurs.

Nous réprouvons la société que vous dessinez, au fil des projets de loi. Une société – et un gouvernement - qui se trompe aussi lourdement sur ses propres responsabilités, sur son devoir de prévention et de protection à l’égard des mineurs, ampute son avenir. Notre motion tendant à opposer la question préalable vise à mettre un terme à cette politique régressive. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, si, en ma qualité de rapporteur pour avis de la commission des lois pour le programme « Protection judiciaire de la jeunesse », j’estime être astreint à une certaine retenue, cette dernière ne saurait m’interdire de vous livrer quelques réflexions sur la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Celle-ci vise à « élargir la palette » de solutions offertes aux juridictions pour mineurs, en leur permettant de placer un mineur délinquant dans un centre relevant de l’EPIDE. Toutefois, pour le dire clairement, cette proposition repose sur deux contrevérités – certains pourraient parler de mensonges, mais je m’en tiens à cette expression – et introduit une confusion majeure.

Première contrevérité : la délinquance des mineurs « exploserait », malgré la dizaine de réformes de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante qui ont été adoptées depuis 2002.

Contrairement aux idées reçues, la délinquance des mineurs n’explose pas. On constate certes une augmentation en valeur absolue du nombre de mineurs interpellés par les services de police et de gendarmerie, mais – notre collègue Jean-Pierre Michel l’a rappelé à l’instant – la part des mineurs dans la délinquance globale a plutôt tendance sinon à diminuer, du moins à rester stable.

En outre, on sait que les forces de police et de gendarmerie interviennent davantage que par le passé, y compris pour constater des infractions de faible gravité ; il faut donc prendre ces chiffres avec précaution

Seconde contrevérité : les juges des enfants ne disposeraient pas de suffisamment de solutions pour adapter la sanction à la personnalité du mineur.

Pourquoi une telle affirmation alors qu’il suffirait d’augmenter leurs moyens ? En réalité, il existe une grande diversité de mesures en milieu ouvert – mesures d’aide ou de réparation, travail d’intérêt général, stages de citoyenneté, etc. – ainsi que d’établissements prêts à accueillir le mineur délinquant pour un temps plus ou moins long. Je pense notamment aux foyers « classiques », aux centres éducatifs renforcés et aux centres éducatifs fermés.

L’exécution des mesures ordonnées par les juridictions pour mineurs relève exclusivement de la compétence de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui dispose d’un savoir-faire reconnu mais manque de moyens.

À cet égard, je vous alertais l’an dernier, monsieur le garde des sceaux, sur la diminution continue des moyens alloués à la PJJ depuis 2008, diminution qui met en danger la rapidité et la qualité de la prise en charge des mineurs.

Sur le fond, le texte que nous examinons prévoit, ni plus ni moins, de détourner un dispositif d’insertion qui fonctionne en lui confiant une mission totalement étrangère aux objectifs qui lui sont fixés.

L’EPIDE a vocation à aider des jeunes en grande difficulté, volontaires, à s’insérer ou à se réinsérer dans la société et à trouver un emploi, comme l’a souligné Mme le rapporteur. L’intensité des programmes qu’il propose suppose une détermination sans faille du jeune stagiaire. Il est donc évident que la formule n’est pas adaptée à l’accueil de mineurs délinquants.

Je sais bien que la proposition de loi prévoit que le mineur devra donner son accord. C’est partir de l’idée que ce consentement ne sera jamais donné et, dès lors, en déduire qu’aucun contact ne se produira jamais entre un jeune en difficulté et un mineur délinquant.

J’ajoute qu’un accord donné sous la menace d’une peine n’en est pas véritablement un.

Beaucoup d’erreurs ont été proférées à propos de ce dispositif. On nous a parlé d’encadrement militaire des délinquants, concept qui est dans l’air du temps,…