M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’économie sociale et solidaire.

6

Demande de procédure simplifiée pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. Au cours de sa réunion de ce jour, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a demandé que le projet de loi autorisant la ratification de la convention du travail maritime de l’Organisation internationale du travail soit examiné selon la procédure simplifiée, le mardi 9 octobre prochain.

Le délai pour revenir, le cas échéant, à la procédure normale pourrait être fixé au vendredi 5 octobre, à dix-sept heures.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Charles Guené.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

Débat sur l'application de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’application de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois (rapport d’information n° 572, 2011-2012).

La parole est à M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, presque quatre ans après le dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, nous sommes amenés à parler de la loi qui en est issue pour contrôler son application.

La caractéristique majeure de ce texte est qu’il a fait couler une mer d’encre avant, pendant et après son adoption ! On a ainsi vu s’affronter ou, à tout le moins, débattre, d’une part, ceux qui prétendaient que la suppression de la publicité sur France Télévisions allait libérer le groupe d’une aliénation commerciale et, d’autre part, ceux qui considéraient que le groupe France Télévisions allait en sortir extrêmement fragilisé et qu’il se retrouverait en difficulté pour mener à bien les missions de service public qu’il remplissait de mieux en mieux.

Aujourd'hui, je puis vous dire que tout ce qui s’est passé avait été prédit et annoncé ; il suffit de relire le compte rendu des débats pour s’en rendre compte. Il n’en reste pas moins que tout ce qui a été annoncé ne s’est pas forcément déroulé comme prévu, et que le devoir de procéder à une analyse précise nous incombait.

Je suis donc particulièrement satisfait, en tant que président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, qu’un rapport exhaustif ait pu être publié sur cette question et qu’un débat soit organisé aujourd’hui dans l’hémicycle pour voir ensemble les conclusions que nous pouvons en tirer.

Concernant la question de la méthodologie, je me réjouis que deux rapporteurs représentant respectivement la majorité et l’opposition aient pu élaborer un rapport commun et nuancé. Certes, vous pourrez le constater, nos analyses peuvent diverger, mais M. Legendre et moi-même sommes parvenus à donner à chacun les outils nécessaires pour avoir une opinion éclairée sur le bilan d’application de la loi.

À ce stade du débat, il n’est pas inutile de faire un bref rappel historique de cette loi-surprise, qui ne résultait ni d’un engagement de campagne ni d’une réflexion approfondie.

Cette loi a sans doute été pensée quelques jours avant le 8 janvier 2008 par un conseiller du Président de la République, qui a annoncé ce jour-là, à la surprise générale – on dit même que le Premier ministre n’était pas au courant ! –, la suppression de la publicité sur France Télévisions.

Après cette déclaration initiale, le projet a été mené au pas de charge.

Trois mois plus tard, la commission dite « Copé » a été mise en place et a lancé la concertation.

Trois mois plus tard encore, la polémique s’engageait, car la commission Copé butait sur le mode de financement de la suppression de la publicité, qui était déjà érigée en un dogme intangible et incontestable, le maintien en l’état de la redevance en étant un autre. M. Copé disait : « Moi vivant, la redevance n’augmentera pas ! » Vous l’avez remarqué, M. Copé est toujours vivant et la redevance a augmenté un peu ! Certains membres de ladite commission, dont moi-même, ont démissionné.

Trois mois plus tard enfin, nouvelle surprise : le projet de loi adopté en conseil des ministres prévoyait que les présidents de l’audiovisuel public seraient nommés par le Président de la République. Là encore, on était loin des débats de la commission Copé et des idées qui avaient émergé, parfois très intéressantes, en tous les cas sur toutes les questions de fond.

Un peu moins d’un an après le discours du Président, la publicité était supprimée – au moins en journée sur les antennes de France Télévisions –, alors même que la loi n’était pas encore votée !

Trois mois plus tard, la loi a été promulguée après plus d’une centaine d’heures de débats parlementaires.

Ce n’est cependant pas seulement parce que cette loi est née de manière improbable et dans des conditions aussi difficiles que ses conséquences sont néfastes ou que son bilan est négatif.

Ce n’est pas non plus parce que M. Legendre et moi-même avons été des acteurs importants de la discussion, forcément subjectifs, que nous avons abandonné l’idée de produire un rapport de vérité sur le sujet.

Le bilan est, je le crois, précis et le plus factuel possible.

Afin de mesurer la pertinence de la mise en œuvre de la loi, nous avons mené un travail d’archéologie, en étudiant et en reconstituant l’histoire de celle-ci, qui va de l’annonce aux réalisations concrètes auxquelles elle a donné lieu, en passant par sa conception et son examen. Nous avons jugé les effets constatés de la loi non pas à l’aune de notre avis sur le projet de loi, ni au vu du contexte actuel, mais bien au regard des intentions et des souhaits exprimés initialement.

C’est donc un rapport détaillé, précis et balancé que la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a adopté.

Si je me suis abstenu d’émettre une quelconque opinion au moment de rendre le rapport sur les modifications à apporter à la loi, estimant que cette méthode permettrait de neutraliser les jugements portés, il n’en sera pas de même aujourd’hui : l’heure a sonné, il convient de tirer des conclusions et d’apporter des réponses, que j’évoquerai à la fin de mon propos.

À quelle conclusion sommes-nous parvenus l’été dernier ?

Il nous est apparu, trois ans après son adoption, que le bilan de la mise en œuvre de cette loi est très mitigé. Il ne l’est pas au sens où toutes les dispositions qu’il contient auraient moyennement atteint leurs objectifs. Au contraire, la mise en œuvre de certaines mesures a été particulièrement efficace et pertinente ; je pense notamment à la modernisation des règles applicables à l’ensemble des médias audiovisuels.

En revanche, d’autres dispositions n’ont absolument pas atteint l’objectif recherché, certaines d’entre elles ayant même été totalement contre-productives.

La réforme de l’audiovisuel public a ainsi peiné – c’est un euphémisme – à être mise en œuvre et a largement fragilisé le groupe France Télévisions.

Parlons tout d’abord de la mesure phare : la suppression de la publicité.

Cette mesure avait été présentée comme étant emblématique de l’ambition du Président de la République d’alors pour la télévision publique. Or elle est, à mon sens, emblématique de son échec.

La suppression de la publicité en journée a été rapide, tellement rapide qu’elle est intervenue avant l’adoption de la loi. D’ailleurs, cette décision a été a posteriori jugée illégale par le Conseil d’État.

Comme vous le savez, la suppression de la publicité en soirée aurait dû intervenir à la fin de l’année 2011. Or elle n’a pas eu lieu pour des raisons de financement. L’actuel gouvernement devra d’ailleurs régler cette question pendante : à un moment donné, il faut trancher !

En outre, quelle a été la conséquence de la suppression de la publicité ?

On était supposé assister à la fin « de la dictature de l’audience », ce qui impliquait qu’il y en avait une auparavant et que la réforme allait changer en profondeur le modèle culturel de France Télévisions.

La vérité est que les programmes n’ont pas changé de nature, et ce pour trois raisons.

Premièrement, le cahier des charges est resté très peu contraignant.

Deuxièmement, les yeux des dirigeants sont restés rivés sur la courbe d’audience. Quand un groupe dépense 2,5 milliards d’euros pour ses programmes, on peut comprendre qu’il souhaite avoir des téléspectateurs. Toutefois, il n’en demeure pas moins que l’objectif initial était tout autre.

Troisièmement, enfin, il est objectivement difficile d’allier programmes exigeants et audience forte. À cet égard, la suppression de la série « Chez Maupassant » nous a surpris, monsieur Legendre et moi-même,…

M. Jacques Legendre, rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Oui !

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. … dans la mesure où elle faisait partie de ces programmes rares qui réussissaient à concilier ces deux exigences.

Dans le domaine de l’information politique, reconnaissons, en revanche, l’engagement pertinent et réussi de France Télévisions en faveur d’un renforcement de l’offre de programmes. À l’époque, rappelez-vous, il n’y avait plus d’émissions politiques. Certes, la campagne électorale y a peut-être été pour quelque chose, mais force est de constater que, dans le paysage audiovisuel, c’est France Télévisions qui a assumé cette tâche. Je ne souhaite pas juger les émissions ni me constituer en énième programmateur de France Télévisions – tel n’est pas mon rôle ; je suis là pour légiférer –, mais je considère, au vu des rapports relatifs à l’exécution des contrats d’objectifs et de moyens depuis 2011, que, globalement, France Télévisions n’a pas changé fondamentalement de couleur, alors que la réforme l’envisageait avec enthousiasme.

À cet égard, on doit se poser la question de la capacité du législateur à influencer réellement la programmation culturelle et celle de sa légitimité pour le faire.

Le rôle de la commission que j’ai l’honneur de présider est aussi, parfois, de souligner les limites de l’action du législateur. Dans le cas de la programmation télévisuelle, les interrogations peuvent être fortes.

De ce point de vue, la question de l’heure de début des programmes est tout à fait symbolique.

France Télévisions n’a pas respecté la règle de vingt heures trente-cinq fixée par le cahier des charges et invoquée de manière incantatoire par l’ancienne majorité pour justifier la réforme. Les programmes commenceraient plus tôt, disait-on, de sorte qu’il y aurait désormais deux tranches de programmes, alors que, dans les grilles des autres chaînes, les programmes du soir commençaient à vingt et une heures.

Le groupe a enfreint cette règle en conscience, parce qu’il a considéré que, non pertinente pour le téléspectateur, elle était en outre contre-productive pour son audience. Il assume pleinement ce choix cette année en ne respectant même plus le décret.

Indépendamment du jugement que l’on peut porter sur le fait que France Télévisions ait pris cette liberté, la question se pose : jusqu’à quel point peut-on lui imposer ce type de règles par la loi ?

Le rôle du législateur n’est-il pas plutôt de fixer les grands principes et de s’en remettre à des personnes responsables pour leur mise en œuvre ?

Ne vaut-il pas mieux prévoir un mode de nomination efficace – j’y reviendrai –, qui permette de désigner des personnalités compétentes, lesquelles seront jugées sur pièces, sur la réussite de leur action ? C’est cela qui est nécessaire.

Mais revenons à la suppression de la publicité. Ce n’est pas qu’elle ait été sans effet ; elle a bien eu des conséquences, mais très dommageables.

D’abord, elle a changé le modèle économique de France Télévisions. D’un diptyque composé de la redevance et de la publicité, qui garantissait l’indépendance du groupe à l’égard du commerce comme de l’État, ce modèle est devenu un triptyque formé d’une dotation publique, de la publicité et d’une dotation budgétaire. Or ce nouveau modèle de financement s’est révélé beaucoup plus fragile.

En effet, la dotation budgétaire a été chaque année diminuée en exécution. Le fameux contrat d’objectifs et de moyens n’a pas joué son effet bouclier et la dotation promise pour 2012 a déjà été largement rabotée. Cette situation n’est bonne ni pour l’indépendance de France Télévisions ni pour son équilibre économique.

Lors du débat sur la loi du 5 mars 2009, j’ai dit dans cet hémicycle, avec beaucoup d’autres, que si France Télévisions dépendait entièrement de la dotation publique, lorsque l’État aurait moins de moyens, le problème se poserait de la réduction de cette dotation et, par conséquent, de la fragilisation du groupe. Peut-être même nous proposerait-on, en pareille situation, de réduire le périmètre de France Télévisions ? Cela, nous nous refusions tous à l’envisager.

Nous y sommes aujourd’hui. Sans anticiper le débat que nous aurons bientôt lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2013, je veux dire que France Télévisions est dans une situation d’asphyxie et que l’État, compte tenu de ses propres problèmes, ne pourra pas, sans de grandes difficultés, justifier le maintien de sa dotation au même niveau.

La suppression de la publicité a produit un deuxième effet, qui concerne les caisses de l’État.

Le financement de la réforme par la mise en place de nouvelles taxes a été un échec. Alors qu’on attendait 450 millions d’euros de recettes, on a levé seulement 270 millions d’euros.

La suppression de la publicité représente donc un coût net de 180 millions d’euros par an, alors même que la publicité a finalement été maintenue en journée, contrairement à ce qui était prévu !

En quatre ans, la réforme a eu un coût de 628 millions d’euros pour l’État. Cette somme, auparavant fournie par la publicité, aurait à mon sens été mieux employée au profit de nombreux programmes culturels qui en auraient bien eu besoin – je ne voudrais pas qu’elle ait servi à autre chose.

Pis : la taxe télécoms, qui est la plus rentable pour l’État puisqu’elle rapporte environ 350 millions d’euros par an, est contestée à Bruxelles. Le verdict tombera au cours du premier semestre de l’année prochaine.

Si cette taxe était déclarée incompatible avec le droit de l’Union européenne, nous aurions besoin de trouver 350 millions d’euros supplémentaires chaque année. De plus, il faudrait rembourser environ 1 milliard d’euros aux opérateurs, s’ils en faisaient la demande. Terrible perspective !

En pareille hypothèse, le bilan de la loi, que j’ai jugé tout à l’heure mitigé pour accepter une expression commune avec M. Legendre, deviendrait franchement catastrophique !

Ainsi, la loi qui ambitionnait de révolutionner le modèle culturel et le modèle financier de France Télévisions a profondément miné le second sans améliorer le premier.

J’en viens à la question de l’entreprise unique, dont la création était l’autre grande ambition de la loi du 5 mars 2009.

Sur ce point, il me semble que le bilan doit être relativisé au vu de la lourdeur de la mission. Le problème de cette réforme est que le traitement n’a pas encore eu d’effets positifs mais que les effets secondaires, en revanche, ont été rapides et assez visibles.

Parmi les effets secondaires figurent les multiples changements d’organigrammes que le projet d’entreprise unique a provoqués et qui ont désorganisé le groupe pendant quatre ans. Les questions relatives à la rédaction de France Télévisions sont aujourd’hui une conséquence directe de cette désorganisation.

Par ailleurs, la remise en cause des accords collectifs a eu pour conséquence de focaliser l’ensemble des débats sur le dialogue social, au détriment des enjeux culturels qui étaient pourtant au cœur de la réforme.

On pourrait dresser exactement le même constat pour l’audiovisuel extérieur de la France, qui se trouve dans une situation très compliquée que nous connaissons tous.

À cet égard la publication très tardive du cahier des charges de la société AEF n’a pas franchement facilité un projet déjà très mal engagé. Sans parler du contrat d’objectifs et de moyens, obligatoire selon la loi et qui n’est jamais sorti…

Reconnaissons néanmoins quelques effets positifs au projet d’entreprise unique.

D’abord, si les synergies n’ont pas encore été complètement réalisées, la Cour des comptes estime qu’elles produiront inévitablement des effets dans les prochaines années. Qui sait ? Nous ferons un nouveau bilan le moment venu.

Ensuite, les inquiétudes sur la question dite du guichet unique ont été levées ; c’est toujours un progrès, qu’il faut mettre à l’actif de l’actuelle direction.

En outre, le média global a été lancé. On ne sait pas si c’est la conséquence de la mise en place de l’entreprise unique ou d’une prise de conscience du groupe, mais c’est un fait et cela fonctionne. Malheureusement, les moyens manquent – nous savons pourquoi.

Enfin, la création d’un conseil d’administration unique, dont je ne juge pas l’action quotidienne, a amélioré la gouvernance de l’entreprise et l’a rendue plus rationnelle.

S’agissant de la gouvernance, nous avons aussi souhaité évoquer la question du mode de nomination des présidents de l’audiovisuel public, dont le changement était inscrit dans la loi.

Il faut bien constater que le mode de nomination de ces présidents, quels que soient leur professionnalisme et leur indépendance, a handicapé leur action, parce qu’il a fait naître un soupçon, une suspicion, un doute, sur chacun de leurs faits et gestes importants.

La mise sous surveillance du pouvoir politique par l’opinion publique a été le seul frein à un interventionnisme qui, s’il avait eu libre cours, aurait pu être de grande ampleur. Mais le mal était fait et la crédibilité du groupe entamée.

Mes chers collègues, les mois et les années à venir seront très difficiles pour France Télévisions, en grande partie à cause de sa fragilisation par une réforme complexe et coûteuse.

L’impasse budgétaire dans laquelle se trouve le groupe justifie qu’on s’attache à définir des solutions de court et de moyen terme.

Au-delà du maintien nécessaire de la publicité en journée, dont je proposerai d’inscrire le principe dans la loi, le rétablissement de la publicité en soirée sera forcément à l’ordre du jour si l’Europe nous condamne et qu’il nous faut trouver les 350 millions d’euros dont j’ai parlé. Je n’en dis pas plus pour le moment ; ce débat est devant nous.

Il reste que le marché publicitaire n’est pas le même aujourd’hui qu’en 2009 et que l’introduction inopportune de six nouvelles chaînes sur la télévision numérique terrestre à partir du mois de décembre ne favorisera pas le dynamisme des recettes publicitaires.

C’est d’autant plus vrai que même les groupes privés, comme TF1 ou M6, sont aujourd’hui en grande difficulté. La manne publicitaire ne peut pas se démultiplier, ce poste étant assez fixe dans les budgets des entreprises.

J’ai parlé tout à l’heure des deux jambes sur lesquelles repose le financement de France Télévisions : la publicité et la contribution à l’audiovisuel public. C’est évidemment sur cette seconde recette qu’il faut jouer.

La contribution à l’audiovisuel public est déjà indexée sur l’inflation. Le Gouvernement a apporté pour l’année 2013 une réponse qui, à mon avis, va dans le bon sens : il a proposé une hausse de 2 euros de cette contribution.

La décision d’augmenter la contribution à l’audiovisuel public est courageuse et le Sénat l’a toujours souhaitée : j’espère que la commission des affaires culturelles, gauche et droite confondues, continuera de juger cette mesure positive.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Et le centre aussi ! (Sourires.)

Il reste qu’à moyen terme cette augmentation ne suffira pas à compenser la suppression brutale de la publicité en 2009.

Je propose donc que le rétablissement des résidences secondaires dans l’assiette de la redevance soit envisagé. (M. André Gattolin applaudit.)

Non pas forcément pour le mettre en œuvre immédiatement, ce qui serait un peu rapide, mais pour programmer dans le projet de loi de finances pour 2013 son entrée en vigueur en 2014, ce qui laisserait aux services de l’État le temps de s’organiser.

Cette proposition sera probablement examinée au cours du prochain débat budgétaire.

Quant à la nomination des présidents de l’audiovisuel public, vous connaissez ma position : il faut qu’une instance totalement indépendante en soit chargée. Ce sera le chantier audiovisuel du printemps prochain.

Je veux conclure sur une note positive. La modernisation des règles relatives à l’ensemble des médias audiovisuels avait une ambition limitée, mais elle constituait une partie importante de la loi du 5 mars 2009. À cet égard, les décrets ont été pris rapidement, les objectifs atteints et l’esprit du législateur bien souvent respecté.

Je crois, au vu du bilan global, que ces dispositions auraient dû former le cœur de la loi audiovisuelle de la précédente législature.

Le seul décret qui n’a pas été pris à ce jour concerne le comité de suivi de la loi. Compte tenu du bilan que je viens de dresser, on peut comprendre pourquoi…

Mais l’absence de ce comité a été compensée par le travail de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, que je préside, et elle rend d’autant plus utile le débat de ce soir !

Je considère que le débat est bien lancé. Mon collègue Jacques Legendre va maintenant poursuivre la présentation de notre rapport. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Legendre, rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous ne serez guère surpris que je ne partage pas bon nombre des analyses de mon collègue et corapporteur David Assouline.

Sur bien des mesures, il fait un constat en demi-teinte ; considérant pour ma part le verre à moitié plein, j’estime que le bilan de la loi du 5 mars 2009 est positif.

À titre liminaire, je souhaite apporter deux précisions méthodologiques qui me paraissent essentielles.

D’une part, l’analyse exhaustive d’une loi nous conduit et conduira l’ensemble de nos collègues de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois à mettre en relief un bilan incomplet.

La première raison en est que, dans l’enthousiasme des débats, on place toujours beaucoup d’espoirs dans l’adoption de mesures qui, sur le terrain, se heurtent forcément à des difficultés.

La deuxième raison est que, comme on parle davantage des trains qui arrivent en retard que de ceux qui arrivent à l’heure, les dispositions qui peinent à être mises en œuvre, systématiquement mentionnées dans les auditions ou les commentaires, sont naturellement celles que l’on met en relief.

D’autre part, cet effet structurel s’est, selon moi, fortement renforcé d’un biais conjoncturel dans la rédaction de ce rapport.

En effet, il se trouve que les deux rapporteurs du bilan d’application de la loi du 5 mars 2009 ont été deux des principaux acteurs de sa discussion parlementaire.

Il a donc forcément été difficile, tant pour l’un que pour l’autre, de prendre le recul nécessaire pour analyser de manière apaisée et sereine l’application d’une loi que l’un a férocement contestée et l’autre pleinement soutenue…

Néanmoins, et en dépit de ces difficultés méthodologiques, nous avons essayé de dresser un bilan objectif et exhaustif de l’application de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

J’espère qu’à travers des lectures contrastées, voire contradictoires, d’un même bilan, l’ensemble de nos collègues pourront se faire une opinion étayée par des analyses et des faits précis ; c’est du moins la raison d’être de ce débat.

J’estime, tout d’abord, que l’application de la loi au sens strict doit être appréciée de manière positive.

Aujourd’hui, en effet, douze décrets ont été pris sur les treize requis. Le précédent gouvernement a donc fait un réel effort d’application dans des délais très raisonnables.

S’agissant du seul décret qui n’a pas été pris, relatif au comité de suivi de la loi, le précédent gouvernement a apporté des réponses précises et argumentées sur son choix assumé de ne pas le publier : la conformité de certaines dispositions de la loi au droit de l’Union européenne était selon lui à ce prix.

En outre, je considère que le travail que nous avons mené, David Assouline et moi-même, est la meilleure réponse à l’absence de comité de suivi. Libre enfin à l’actuel Gouvernement de le mettre en place – il n’est pas trop tard ! – quand vous estimerez, et je le comprendrai tout à fait, qu’il est opportun de le faire.

Les trois ordonnances prévues ont également été adoptées dans l’année suivant l’adoption de la loi. Enfin, la quasi-intégralité des rapports demandés ont aussi été rendus. On permettra à la représentation nationale d’y être évidemment sensible.

Bref, le service « après-loi » a été rapide et efficace. Après tout, on ne peut pas toujours en dire autant ; il est donc bon de le souligner.

Je commenterai ensuite à la fois l’application de la réforme de l’audiovisuel public, qui faisait l’objet de la première partie de la loi, et les dispositions sur l’évolution du paysage audiovisuel français.

S’agissant de la suppression de la publicité, mes commentaires seront beaucoup plus modérés que ceux de mon collègue. Je note, en effet, que son impact sur le visage éditorial de France Télévisions n’a pas été majeur. Admettons-le, la suppression de la publicité n’a pas suffisamment permis jusqu’ici de relativiser la contrainte d’audience et de modifier la programmation en profondeur. Force est de penser que la culture de l’audimat imprègne si fortement les esprits des dirigeants de l’audiovisuel public que la suppression de la contrainte publicitaire ne suffit pas à infléchir ce tropisme.

Est-ce pour autant qu’il fallait y renoncer ? Nous sommes nombreux sur ces travées, j’en suis sûr, à dire que le « qualimat » nous paraît beaucoup plus important que l’audimat ! Voilà bien ce que nous attendons des dirigeants de nos chaînes de télévision.

Je tire cependant de la situation actuelle les conclusions suivantes.

Certes, les programmes ne débutent pas à vingt heures trente-cinq, mais, grâce à la loi, ils commencent bien plus tôt que sur les chaînes privées. Selon moi, il s’agit d’un atout majeur et il ne faut pas revenir en arrière.

Le confort de vision est largement amélioré. Le sondage réalisé à la demande de l’Assemblée nationale, abondamment cité dans le rapport, montre que les téléspectateurs sont, pour une grande majorité, pleinement satisfaits de cette suppression de la publicité en soirée. Pour faire court, la réforme a suscité l’adhésion du public, même si l’on a pu constater parfois des dérives avec un parrainage parfaitement ambigu.

Il s’agit, en outre, d’un élément très fort de différenciation avec l’offre télévisuelle privée, ce qui légitime à mes yeux pleinement la réforme. Regardez la télévision publique au Royaume-Uni ; vous constaterez que l’absence de publicité constitue un atout de programmation et de différenciation très puissant.

L’engagement de France Télévisions en faveur de la création, corollaire de la loi, à hauteur de 420 millions d’euros en 2012 est, enfin, un atout majeur de promotion de la culture française. L’ensemble des acteurs l’a reconnu et a insisté sur cet aspect. Je crois que l’on n’en parle pas assez, les engagements du groupe en faveur de la création n’ont jamais été si importants.

Les effets seront constatés à moyen terme, car créer une politique ambitieuse de fiction et de documentaire, c’est long ! Notre rapport arrive trop tôt pour qu’un jugement soit porté sur ce point. Mais donnons à France Télévisions le temps de la stabilité et de la confiance, et je suis certain que les résultats seront au rendez-vous.

À cet égard, la suppression de la contrainte publicitaire mettra du temps à marquer les esprits en dépit de la modification subséquente du cahier des charges. Mais je suis convaincu que des résultats positifs sont déjà à l’œuvre. Je suis d’autant plus optimiste que la suppression de la publicité ne peut que favoriser ce que nous attendons, à savoir de l’audace et de l’ambition.

En outre, fondamentalement, la qualité ne rime pas avec une baisse d’audience. La télévision populaire de qualité est donc un objectif à la mesure du groupe. Une émission – allez, je vais en citer une ! – comme Secrets d’histoire, présentée cet été, en était un bon exemple.

Enfin, je regrette que, pour des raisons économiques, le report de la suppression totale de la publicité ait été nécessaire. Mais je me félicite, en revanche, que ce report ait été rendu possible par la stratégie consistant à mettre en œuvre la suppression de la publicité en deux étapes. Cela a été une grande force de cette loi que de laisser la place à l’expérimentation et à la prudence. Après tout, on ne fait pas toujours appel à l’expérimentation dans les actions de réforme. Ici, au contraire, l’expérimentation est à l’ordre du jour. C’est une leçon qu’il faudra probablement retenir pour l’avenir.

Je ferai un constat un peu similaire sur le parrainage. Son maintien après vingt heures était une erreur, j’en suis convaincu, car je pense qu’il ne doit pas y avoir de publicité du tout en soirée sur France Télévisions, quelle que soit sa forme.

France Télévisions a entendu cette critique et a compris que l’esprit de la loi devait parfois prendre le pas sur sa lettre. Elle nous a donc proposé d’établir une charte sur le parrainage assez efficace, garantissant son utilisation raisonnée. J’espère qu’une suppression pourra advenir quand les temps seront meilleurs. On comprend bien que tout ne peut pas être fait en même temps.

Sur la question de l’entreprise unique, la loi était forcément brève. Il s’agissait surtout de la mettre en œuvre. Et, comme l’ont souligné les commissaires aux comptes de France Télévisions que nous avons auditionnés, cette œuvre est tout bonnement gigantesque. Une telle fusion est extrêmement rare dans le paysage industriel français, avec 11 000 salariés à réunir sous une bannière unique. Le constat qu’ils font est que la fusion poursuit sa route dans de bonnes conditions.

Je tiens au demeurant à souligner que sa légitimité n’a jamais été contestée, pas plus par l’opposition de l’époque que par la majorité d’aujourd’hui. Si la mission est de longue haleine, elle est donc à la fois utile et nécessaire. Je remarque à cet égard que cette fusion a été accompagnée financièrement de manière substantielle : les crédits dédiés à France Télévisions ont ainsi augmenté régulièrement depuis 2009 avec une hausse toujours supérieure à l’inflation. Le budget qui nous est proposé pour 2013 ne sera peut-être pas – attendons la discussion – à la hauteur de l’ambition que nous avons pour l’audiovisuel public.

David Assouline a mentionné à juste titre la question de la gouvernance du groupe.