M. Robert Tropeano. Tout à fait !

M. Alain Néri, rapporteur. À travers notre discussion et notre vote, nous allons faire en sorte qu’aucune douleur ne soit oubliée ni ignorée. Il n’y a pas de hiérarchisation dans les douleurs, les peines et les deuils : la France rassemblée doit rendre hommage à toutes les victimes de la guerre d’Algérie, cette guerre cruelle qui, trop longtemps, n’a pas osé dire son nom.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Alain Néri, rapporteur. Une date historique et symbolique doit enfin être trouvée aujourd’hui pour que la troisième génération du feu soit traitée à égalité avec ses deux devancières. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous passons à la discussion des motions.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mme Garriaud-Maylam et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n° 4.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (n° 61, 2012-2013).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, auteur de la motion.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, trois interrogations m’amènent ce matin à considérer, avec mes collègues du groupe UMP, que ce texte n’est pas constitutionnel (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.), qu’il est, en fait, contraire aux principes édictés par la constitution de notre pays.

M. Roland Courteau. Ce n’est pas vrai !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Alors que la France traverse une très grave crise et que le calendrier législatif ne semble pas moins chargé que d’habitude, je m’interroge sur la pertinence du vote d’une proposition de loi dont les dispositions sont déjà satisfaites par le dispositif législatif en vigueur.

M. Roland Courteau. C’est faux !

M. Bernard Piras. Il s’agit d’un décret et non d’une loi !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. L’article 1er de ce texte tend à instituer une journée d’hommage à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Or, celle-ci existe depuis 2003. Le décret du 26 septembre 2003 a en effet institué « une journée » (Protestations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Guy Fischer. Cette journée ne correspond à rien !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Le décret du 26 septembre 2003, je le répète, a institué « une journée nationale d’hommage aux morts pour la France durant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie ». Ses dispositions ont été complétées deux ans plus tard par la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

M. Guy Fischer. Ce texte est un scandale !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cette loi rend solennellement hommage aux personnes disparues et aux populations civiles victimes de massacres ou d’exactions commis durant la guerre d’Algérie et après le 19 mars 1962 en violation des accords d’Évian, ainsi qu’aux victimes civiles des combats de Tunisie et du Maroc.

M. Guy Fischer. Il faut parler de son article 4 !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Elle reconnaît ainsi les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d’indépendance de ces anciens départements et territoires.

La finalité de l’article 1er de la présente proposition de loi est donc d’ores et déjà satisfaite ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Parlez de l’article 4 de la loi précitée !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Quant au second article du texte dont nous débattons ce matin, il prévoit de fixer la date de cette commémoration au 19 mars.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Si la journée d’hommage national est actuellement célébrée le 5 décembre, rien n’empêche les associations qui le souhaitent d’organiser par ailleurs des cérémonies le 19 mars et d’y associer si nécessaire des représentants de l’État. Nul besoin d’une nouvelle loi pour les y autoriser ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. Mais cela n’a aucune valeur historique !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’estime donc que les dispositions de la présente proposition de loi sont déjà satisfaites par le cadre légal actuel et que ce texte encombre inutilement un calendrier parlementaire déjà bien trop chargé. (M. Marcel-Pierre Cléach applaudit.)

M. Guy Fischer. C’est la droite de l’extrême droite !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ma deuxième objection à l’examen de ce texte concerne le respect de la procédure de la navette parlementaire, telle que décrite à l’article 45 de la Constitution.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Constitutionnellement, qu’est-ce qui justifie l’immortalité d’une « petite loi » ?

M. Roland Courteau. Pourquoi « petite » ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il me semblerait utile que le Conseil constitutionnel se prononce sur la validité du vote par le Sénat d’une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale plus de dix ans auparavant… En effet, nous exhumons aujourd’hui une « petite loi » votée par l’Assemblée nationale le 22 janvier 2002, soit voilà plus de dix ans ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Ronan Kerdraon. Il n’y a pas de petite loi !

M. Guy Fischer. Il y a la loi tout court !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Sans vouloir retracer l’histoire parlementaire et institutionnelle de la ve République, je rappellerai que, depuis cette date, trois élections présidentielles ont eu lieu, ainsi que trois élections législatives et un renouvellement total du Sénat.

M. Alain Néri, rapporteur. Et alors ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. La représentation nationale n’étant donc plus du tout la même qu’il y a dix ans (M. Bernard Piras rit.), de lourdes incertitudes pèsent sur la valeur juridique de ce texte !

M. Alain Néri, rapporteur. C’est vous qui le dites !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. De ce fait, nous devons nous interroger sur la pérennité ou la caducité des textes déposés sur le bureau de l’une des deux assemblées parlementaires, et ce point de vue dépend de la chambre dans laquelle nous siégeons.

À chaque renouvellement de l’Assemblée nationale, la coutume veut que les textes transmis par le Sénat lors de la précédente législature soient frappés de caducité.

M. Gérard Larcher. Bien sûr !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mais l’inverse n’est pas vrai. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

Certains me répondront que c’est parce que le Sénat est une chambre pérenne. (Oui ! sur les travées du groupe socialiste.) Cet argument serait défendable si le délai entre l’examen des textes par l’Assemblée nationale et l’examen des textes par le Sénat était restreint. Mais, je le répète, depuis dix ans, le Sénat a été renouvelé totalement. (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.)

Un autre argument justifiant l’« immortalité » d’une loi tient au fait que le vote des parlementaires traduit une « volonté générale » placée hors du temps. L’expression de la volonté générale prime évidemment sur toute technique procédurale. Mais le texte dont nous discutons aujourd’hui n’est que la « petite loi » votée par l’Assemblée nationale en 2002 ; il ne reflète donc en rien l’expression de la volonté générale ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

Comble des paradoxes, notre rapporteur, sénateur depuis le mois de septembre 2011, a été, préalablement à son élection à la Haute Assemblée, député de 1988 à 1993 puis sans discontinuer depuis 1997 jusqu’à son arrivée au sein de la Haute Assemblée. (M. Ronan Kerdraon s’exclame.)

M. Alain Néri, rapporteur. Et alors ? Vous avez quelque chose contre le suffrage universel ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je vous félicite au contraire, monsieur le rapporteur !

Mme Christiane Demontès. Est-ce anticonstitutionnel ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mes chers collègues, vous l’aurez compris, en 2002, lors du vote par l’Assemblée nationale du texte qui nous est présenté aujourd’hui, Alain Néri était législateur et par conséquent auteur du texte ! Comment peut-on démocratiquement expliquer qu’une loi puisse être votée dans une chambre puis dans l’autre par les mêmes parlementaires ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Roland Courteau. N’importe quoi !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ce délai de dix ans entre le vote à l’Assemblée nationale et l’examen du texte par le Sénat est d’autant plus contestable sur le plan constitutionnel qu’entre-temps une autre loi a été adoptée par le Parlement : celle du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. L’existence d’une « petite loi » votée uniquement par l’une des deux chambres voilà une décennie permettrait-elle de justifier la remise en cause d’une loi plus récente, votée, elle, par l’ensemble des parlementaires ?

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Guy Fischer. Elle n’a aucune légitimité historique !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Le texte dont nous débattons aujourd’hui, qui prétend instituer une journée d’hommage alors que celle-ci existe déjà, est donc mensonger.

Il eût été intellectuellement plus honnête et juridiquement plus rigoureux de déposer une proposition de loi visant à décaler du 5 décembre au 19 mars la date de la commémoration.

Rien n’empêche les socialistes de détricoter la loi de 2005 ! Mais une éthique parlementaire minimale voudrait qu’ils suivent pour cela la procédure parlementaire normale, décrite à l’article 45 de la Constitution.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cela supposerait de rédiger une nouvelle proposition de loi tenant compte du dispositif législatif en vigueur, notamment de la loi de 2005, et de la faire voter par les deux assemblées.

Une telle démarche aurait d’ailleurs parfaitement pu être adoptée puisque Alain Néri lui-même avait déposé une proposition de loi en ce sens le 5 janvier dernier ! Alors, pourquoi ne pas avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour du Sénat à la place de cette « petite loi » de dix ans d’âge, au statut juridique douteux ? Pourquoi même avoir cherché à cacher cette proposition de loi en omettant de la joindre à la discussion ?

Tous ces indices nous montrent que le Gouvernement et la majorité sénatoriale sont bien conscients du caractère constitutionnellement douteux de leur manœuvre.

M. Roland Courteau. Au contraire !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Conscients que leur proposition divise profondément la nation, ils refusent de prendre le risque de son examen par l’Assemblée nationale, espérant réussir à forcer la main au Sénat.

M. Christian Cambon. Belle démonstration !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est d’ailleurs cette même logique du passage en force qui a conduit le Gouvernement à avancer l’examen du texte du 20 au 8 novembre.

M. Christian Cambon. Comme par hasard !

M. Alain Néri, rapporteur. Mais non ! Et vous en connaissez la raison !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Elle a d’ailleurs été indiquée hier lors de la conférence des présidents !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le ministre, voilà deux semaines, dans cette enceinte même, vous nous aviez déclaré vous en remettre à la sagesse du Sénat « dans le plein respect des prérogatives du Parlement, car c’est à ce dernier qu’il incombe d’achever un processus législatif qu’il a lui-même engagé, et ce sans aucune ingérence ni interférence de la part de l’exécutif. » C’était un acte courageux et digne que je tiens à saluer.

Mais quelques jours plus tard, le Gouvernement vous a contredit en faisant inscrire en catimini cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée sur le créneau qui lui est réservé, au lieu de maintenir son examen le 20 novembre, comme initialement prévu.

M. Christian Cambon. Cela évite de parler de la crise !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Quelle raison impérieuse a pu pousser à une telle modification ? S’agissait-il simplement de prendre de court les nombreuses associations du monde combattant qui préparaient une mobilisation de grande ampleur pour le 20 novembre ? Peut-être...

M. Alain Néri, rapporteur. Quelle mauvaise foi !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mais au-delà de cela, cette précipitation me semble avoir un lien avec l’agenda diplomatique du Président de la République… (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Henri de Raincourt. Voilà les vraies raisons !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’en viens maintenant à ma troisième objection.

La présente proposition de loi ne porte pas sur des matières relevant du domaine de la loi, tel que défini à l’article 34 de la Constitution.

M. Pierre Charon. Absolument !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je dénonce donc une instrumentalisation de la loi à des fins de politique politicienne et de gouvernance diplomatique. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Et je m’explique.

M. Roland Courteau. Ce n’est pas la peine !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je comprends que cela vous gêne, mon cher collègue !

En réalité, quel est l’objet du texte que nous examinons ? La réponse paraît simple : commémorer la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats ayant eu lieu en Tunisie et au Maroc. Ceux qui s’opposeraient à un projet de mémoire si légitime ne seraient donc que d’affreux révisionnistes, niant les drames engendrés par cette guerre de décolonisation.

Mais, comme je vous l’ai indiqué précédemment, une telle journée d’hommage existe déjà depuis 2003…

M. Guy Fischer. Elle n’a aucune légitimité historique !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. … et, actuellement, rien n’empêche les associations de commémorer le 19 mars. Sans que cela soit clairement indiqué dans le texte, la polémique porte non pas sur cette journée de commémoration mais bien, à travers elle, sur une possible réinterprétation officielle par la France de la portée des accords d’Évian.

C’est d’ailleurs ce qui avait poussé François Mitterrand à déclarer : « s’il s’agit de décider qu’une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie […] cela ne peut être le 19 mars car il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple. »

M. Christian Cambon. Très bien !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Via l’instrumentalisation d’une journée mémorielle, la présente proposition de loi tente de réécrire l’Histoire. En effet, elle vise à raviver les clivages en essayant d’imposer une relecture simpliste de l’histoire franco-algérienne, dont la repentance française serait le seul axiome,…

M. Roland Courteau. Au contraire !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. … et en faisant passer pour des révisionnistes postcoloniaux les tenants d’une approche moins idéologique.

M. Alain Néri, rapporteur. Ce n’est pas idéologique ce que vous dites ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. La guerre d’Algérie est une page tragique de notre histoire dont il est important de garder la mémoire. Mais les commémorations ne doivent pas être utilisées pour diviser, pour raviver les blessures. Elles doivent au contraire être l’occasion d’aborder l’histoire dans toute sa complexité. Algériens et Français ont une longue histoire commune, faite de souffrances mais aussi de belles réalisations.

Enfin, je voudrais souligner le contexte international dans lequel intervient ce débat. Le Président de la République se rendra le mois prochain en Algérie.

M. Christian Cambon. Voilà la raison !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il semble que ce soit pour utiliser le présent texte à des fins politiciennes et diplomatiques qu’il en brusque l’examen (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), au mépris de l’esprit du processus de la navette parlementaire. (M. Pierre Charon acquiesce.) D’autant que notre débat intervient alors que le ministre algérien des anciens combattants annonce que les Algériens veulent « une reconnaissance franche des crimes perpétrés à leur encontre par le colonialisme français ».

Mes chers collègues, n’est-il pas dangereux d’instrumentaliser ainsi l’Histoire et la Mémoire ?

M. Roland Courteau. C’est vous qui le dites !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Quels impératifs justifient aujourd’hui un tel mépris pour la procédure parlementaire, un tel déni de démocratie ?

Si ce texte d’ores et déjà périmé est voté au terme d’une procédure intrinsèquement viciée, nous saisirons le Conseil constitutionnel…

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. … afin qu’il en apprécie la validité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, contre la motion.

M. Jean-Jacques Mirassou. Cela va être d’un autre niveau !

M. Henri de Raincourt. Ne soyez pas désobligeant, quand même !

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme M. le rapporteur l’a très bien indiqué et comme l’a démontré M. le ministre au mois d’octobre dernier, les débats du type de celui que nous avons aujourd'hui ne doivent pas conduire à des divisions.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Nous sommes d’accord !

M. Didier Guillaume. Pour ma part, il me paraît normal de respecter les positions adoptées par les uns et les autres.

M. Didier Guillaume. Mais, mes chers collègues de l’opposition, admettez tout de même que la majorité de la Haute Assemblée puisse avoir une opinion différente et l’exprimer.

M. Roland Courteau. Bien sûr !

M. Didier Guillaume. En revanche, je trouve surprenant de vouloir saisir le Conseil constitutionnel à la seule fin de mener un combat politique ! (Mme Joëlle Garriaud-Maylam s’exclame.)

M. Pierre Charon. Vous ne l’avez jamais fait, vous ?

M. Didier Guillaume. Par ailleurs, j’ai entendu les mots « mensonge », « honnêteté », « éthique », « passage en force », « petite loi »,…

M. Didier Guillaume. … « caractère douteux de la manœuvre ».

M. Didier Guillaume. Je pense à ces jeunes qui sont partis de chez eux pour effectuer une opération de maintien de l’ordre : plusieurs milliers d’entre eux ne sont jamais revenus, tandis que d’autres ont été blessés à vie dans leurs corps et dans leurs têtes. Lorsque nous voulons rendre hommage à ces jeunes, ce n’est pas de mensonge, d’éthique ou d’honnêteté qu’il s’agit, mais tout simplement de réconciliation nationale et de devoir de mémoire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Contrairement à ce qu’a affirmé Joëlle Garriaud-Maylam, nous ne voulons pas diviser ni raviver les blessures, mais rassembler et refermer les plaies.

Il n’y a pas de petite loi. Je ne suis qu’un jeune parlementaire, mais j’ai été choqué que certains d’entre vous parlent de « petite loi ».

M. Jean-René Lecerf. La « petite loi », c’est simplement le texte adopté par l’Assemblée nationale !

M. Didier Guillaume. Il n’y a pas de petite loi : toutes les lois sont celles de la démocratie française, qu’elles soient adoptées par l’Assemblée nationale ou par le Sénat. Une loi en vaut une autre. Quand une loi est votée de manière démocratique par les représentants du peuple, il n’est pas acceptable que certains la qualifient de « petite loi. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Au Sénat, les lois ne sont pas purgées. C'est la raison pour laquelle notre groupe est défavorable à cette motion.

J’ai bien entendu ce que vous avez dit, madame Garriaud-Maylam : si cette proposition de loi est adoptée, vous déposerez un recours devant le Conseil constitutionnel. Les recours de ce type sont fréquents, et le Conseil fera ce qu’il a à faire.

Mes chers collègues, franchement, comment aborder cette proposition de loi sans ressentir le poids de l’Histoire ? Je crois d'ailleurs que, les uns et les autres, vous vous êtes tous exprimés avec la même honnêteté quelle que soit votre opinion. Sur un sujet comme celui-là, il peut y avoir des visions totalement différentes. Mais la guerre d’Algérie a marqué notre mémoire collective : nous avons tous vécu cette guerre, de près ou de loin.

M. Marcel-Pierre Cléach. Nous l’avons même faite !

M. Didier Guillaume. Nous en avons entendu parler à la maison ; ou plutôt nous en avons assez peu entendu parler, parce que ceux qui sont revenus de la guerre ne voulaient pas en parler. Certains membres de ma famille ont fait cette guerre. J’ai beaucoup de respect pour tous ces « p’tits gars », comme les appelait le général Bigeard, qui sont partis pour l’Algérie et sont trop nombreux à ne pas être revenus.

La guerre d’Algérie a contribué à diviser des familles pendant des années. J’ai une pensée pour ces familles, pour ces jeunes appelés, pour leurs enfants. Tous ceux qui ont été envoyés en Algérie ont été meurtris dans leurs corps et dans leurs têtes, ils en ont gardé des séquelles définitives au fond d’eux-mêmes. Ces atrocités ont été gravées en eux à jamais.

Nous devons honorer tous ceux qui sont morts ou ont été blessés, au combat ou lors d’un attentat, et tous ceux qui ont été torturés. Il n’y a pas de hiérarchie à faire entre les morts et les blessés : nous devons avoir une pensée pour chacun d’entre eux, qu’il s’agisse de militaires français, de harkis, d’Algériens ou de Français d’Algérie ; c’est cela le rassemblement républicain. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Longtemps, cette guerre n’a pas voulu dire son nom. Lorsque, par la loi du 18 octobre 1999, le gouvernement de Lionel Jospin a reconnu que c’était bien une guerre et non une opération de maintien de l’ordre ou de simples « événements », il a accompli un acte fort, symbolique, un acte de rassemblement de notre nation. Oui, tous ces jeunes qui ont pris un bateau pour l’Algérie y sont bien allés pour faire la guerre. Nous avons tous pensé que la reconnaissance intervenue en 1999 était une bonne chose. Tout à l'heure, Jean-Marc Todeschini a évoqué le rôle de Jean-Pierre Masseret, alors secrétaire d’État. L’adoption par le Parlement de la loi du 18 octobre 1999 a constitué un événement très important.

Les accords d’Évian ont été signés il y a cinquante ans. Pourtant, nombre d’entre nous continuent à entendre parler de la guerre d’Algérie et de ses conséquences.

Madame Garriaud-Maylam, vous avez cité François Mitterrand. Je pourrais pour ma part citer le général de Gaulle, qui a recouru à deux reprises au référendum s'agissant de l’Algérie ; il était visionnaire : il avait vu ce qui se passerait après la guerre.

Le 8 janvier 1961, lors du premier référendum, 75 % des Français – plus de dix-sept millions de personnes – ont répondu « Oui » à la question suivante : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l’autodétermination des populations algériennes et l’organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l’autodétermination ? »

Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. Christian Cambon. Ce n’est pas le sujet !

M. Didier Guillaume. Le 8 avril 1962, le général de Gaulle a organisé un second référendum pour demander aux Français d’approuver les accords d’Évian et le cessez-le-feu du 19 mars 1962. La question était celle-ci : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant les accords à établir et les mesures à prendre au sujet de l’Algérie sur la base des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 ? » Le « Oui » l’a emporté avec 90 % des suffrages exprimés.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Didier Guillaume. Bien entendu, tout ne s’est pas achevé le 20 mars 1962 au matin ; vous l’avez tous souligné, et nous le reconnaissons tous. Il y a eu encore des drames humains qui ont marqué l’histoire de France.

Le prochain voyage du Président de la République en Algérie a été évoqué. Les relations franco-algériennes ont parfois été tumultueuses. Tous nos présidents de la République ont rencontré leur homologue algérien et se sont rendus en Algérie. J’en profite pour saluer Claude Domeizel, qui préside le groupe interparlementaire d’amitié France-Algérie. Oui, nous avons besoin des relations politiques et citoyennes les plus fortes possible entre les deux rives de la Méditerranée. La visite du Président de la République servira à renforcer ces relations, et ce n’est pas la future loi qui ajoutera quoi que ce soit.

Des deux côtés de la Méditerranée, des femmes et des hommes ont souffert ; mais il faut aujourd'hui regarder vers l’avenir, aller de l’avant et écrire le futur, tout en appréhendant le passé.

Je voudrais saluer notre rapporteur, M. Alain Néri, qui a défendu les mêmes convictions depuis de nombreuses années, d'abord à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Il n’y a d'ailleurs rien d’anormal à devenir sénateur après avoir été député ; plusieurs d’entre nous sont dans ce cas. Où est le problème ? C’est la démocratie : ce sont les électeurs qui décident.

Il est indispensable de faire du 19 mars la journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Comprenons-nous bien : cette reconnaissance ne vise pas à imposer le 19 mars 1962 comme date de la fin de la guerre d’Algérie. Le 19 mars 1962, c’est d'abord et avant tout le lendemain du 18 mars et de la signature des accords d’Évian ; le 19 mars, c’est l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Cependant, comme M. le rapporteur l’a rappelé, les combats ne se sont pas arrêtés le 19 mars 1962. Mais – M. le rapporteur l’a également souligné – ils ne s’étaient pas davantage arrêtés le 11 novembre 1918 ou le 8 mai 1945 !

Il s’agit donc non pas de commémorer la fin de la guerre d’Algérie, mais de fixer une date qui permette d’honorer toutes les victimes – sans exception – de cette guerre.