M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le Gouvernement est du même avis que la commission, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, je rappellerai que des dispositions concernant les délais de reprise ont déjà été prises dans un certain nombre de cas très ciblés, notamment grâce au travail du rapporteur général de la commission des finances. Dans les cas de demande d'entraide administrative, le délai de reprise a, par exemple, été allongé de deux ans.

Il est, par conséquent, toujours possible, sur des sujets particuliers et dans des conditions spécifiques, de procéder à l'allongement du délai de reprise. Des mesures ont déjà été adoptées par votre assemblée ; cela pourrait se reproduire aussi souvent que nécessaire pour faire face à des situations spécifiques.

Par ailleurs, comme vient de l’indiquer M. le rapporteur, en cas de fraudes de grande ampleur impliquant des trusts ou des comptes à l'étranger, les délais de reprise sont portés à dix ans.

Ensuite, nous sommes réticents, car un tel allongement du délai de reprise irait de pair avec un allongement des contrôles effectués par l'administration fiscale, et donc avec une diminution de leur nombre. Nous devons trouver un équilibre entre l’indispensable régularité des contrôles et la nécessité que l'administration fiscale dispose du temps requis pour certains cas particuliers.

La pratique actuelle permet d'atteindre les deux objectifs : il n'est donc pas nécessaire de déséquilibrer l'existant. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite le retrait de cet amendement ; sinon, il y sera défavorable.

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.

M. Thani Mohamed Soilihi. Je comprends les préoccupations de notre collègue. La question de la prescription est importante. Cependant, il ne faut pas procéder à des modifications parcellaires. Si cela est nécessaire, un projet de réforme globale devra être envisagé.

Notre groupe ne votera donc pas cet amendement.

M. Jean-Jacques Hyest. On en a fait des rapports sur la question des prescriptions !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 68.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 43, présenté par M. Bocquet, Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 1er quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le 5° de l’article 435-9 du code pénal, il est inséré un 6° ainsi rédigé :

« 6° Toute personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public, »

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Avec cet amendement, qui fait référence à l’article 435-9 du code pénal, nous tenons bel et bien à réparer une des lacunes de notre droit.

Il s’agit d’incriminer la corruption menée et accomplie auprès de ressortissants étrangers, dès lors que ceux-ci présentent la particularité d’exercer une fonction élective ou publique. En clair, este visé ici le fait de s’assurer du concours d’un fonctionnaire, d’un parlementaire, d’un responsable gouvernemental d’un pays étranger, singulièrement pour mener des actions de fraude fiscale.

Une telle démarche ne peut évidemment qu’être condamnée, d’autant qu’elle est, hélas, parfaitement probable. Il suffit par exemple de se rendre compte de ce que l’on peut trouver comme « incitations » à l’évasion fiscale sur les sites de certains gouvernements étrangers pour se rendre compte de quoi il s’agit et pour comprendre comment des phénomènes allant bien au-delà de la simple évasion peuvent très vite se produire.

C’est donc pour réparer ce manque de notre droit que nous vous proposons d’adopter cet amendement de bon sens.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Anziani, rapporteur. Sur la forme, j'avais indiqué en commission que l'amendement aurait dû viser l'article 435-4 du code pénal, et non l'article 435-9.

Sur le fond, le trafic d'influence commis à destination d'un agent public d'un État étranger n'est aujourd'hui pas pénalisé et cette lacune s’explique certainement. C'est la raison pour laquelle je serais heureux de connaître la position du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Vous le savez, nous avons toujours souhaité faire en sorte que la corruption d'agents publics étrangers soit combattue. C'est la raison pour laquelle le gouvernement de Lionel Jospin avait pris, au début des années deux mille, des dispositions en ce sens, qui avaient constitué un progrès important.

Nous sommes cependant confrontés à une difficulté : le trafic d'influence est une qualification juridique qui n'a pas de contenu international. Si nous adoptons une mesure au plan français sans qu’il y ait de définition internationale, la disposition ne serait pas efficiente.

C'est la raison pour laquelle je propose au Sénat de ne pas retenir cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 43.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 123, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l'article 1er quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l’article 495-7 du code de procédure pénale, la référence : « à l’article 495-16 » est remplacée par les références : « aux articles 321-1, 321-2, 324-1, 324-2, 432-10 à 432-15, 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10, 445-1 à 445-2-1 et 495-16 du code pénal, des infractions réprimées par le code électoral ».

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise à exclure les infractions qui relèvent des questions de corruption ou celles qui sont réprimées par le code électoral de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou CRPC.

En effet, cette procédure présente deux inconvénients.

D’une part, elle ne fait que rarement l’objet de publicité. Notre amendement tend à donner davantage de visibilité à ces affaires.

D’autre part, cette procédure pourrait donner lieu à des atténuations de peine, ce qu’il s’agit d’éviter.

Notons que l’inclusion des délits de corruption était l’une des principales critiques portées à cette procédure du « plaider-coupable » lors de sa création. C’est peut-être le moment d’y mettre fin.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Anziani, rapporteur. Sur le premier point soulevé par Mme Benbassa, j’indique que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité donne lieu en réalité à une décision publique : l’ordonnance d'homologation, rendue en audience publique. Il y a donc bien publicité de la décision.

En termes d'opportunité, les auditions que nous avons pu effectuer ont montré que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité était utile dans tous les domaines.

La commission est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je comprends parfaitement la préoccupation de Mme Benbassa et, pour parler très franchement, je la partage. Mais cette demande émane essentiellement des organismes internationaux – je pense notamment à l’OCDE, à l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, et au GRECO, le Groupe d’États contre la corruption, qui traitent de la corruption internationale et de ses ramifications. Il y a bien un rapprochement entre le droit anglo-saxon et notre droit continental. Nous avons tenu à prendre en considération cette demande.

Dans le même temps, vous avez raison, madame Benbassa, il est important de dire très clairement, et je le fais ici au nom du Gouvernement pour que cela soit consigné dans le compte rendu intégral des débats, que cette procédure, à laquelle nous consentons pour faire droit à cette demande internationale, ne doit pas concerner les délits graves ou des personnes dont il serait plus fondé qu'elles comparaissent devant le tribunal correctionnel.

Par circulaire, je veillerai à demander que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, qui est homologuée par le juge mais proposée par le procureur de la République, soit réservée aux faits les moins graves. Même dans ces cas, si la nature du préjudice ou la qualité de l'auteur le justifient, la procédure doit être renvoyée devant le tribunal correctionnel.

Pour cette raison, je vous suggère, madame Benbassa, de retirer votre amendement, auquel je suis défavorable. Cependant, je tenais à ce que le Journal officiel atteste la pertinence incontestable de votre proposition.

Mme Esther Benbassa. Je retire mon amendement, monsieur le président !

M. le président. L'amendement n° 123 est retiré.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Merci, madame la sénatrice.

M. Jean-Jacques Hyest. C'est pourtant dommage !

Chapitre II

Blanchiment et fraude fiscale

Articles additionnels après l’article 1er quater
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
Articles additionnels après l’article 2

Article 2

(Non modifié)

Au second alinéa du I de l’article 28-2 du code de procédure pénale, après le mot : « impôts », sont insérés les mots : « et le blanchiment de ces infractions ». – (Adopté.)

Article 2
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Article 2 bis (supprimé)

Articles additionnels après l’article 2

M. le président. L'amendement n° 81, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le deuxième alinéa de l’article 324-1 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L'origine des biens et revenus est présumée illicite. »

Cet amendement a été retiré.

L'amendement n° 44, présenté par M. Bocquet, Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 8 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« En cas de dissimulation de l’infraction, le délai de prescription de l’action publique commence à courir au jour où l’infraction a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites. »

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Cet amendement participe des mêmes préoccupations que celles que nous venons de développer au regard du délai de reprise.

Il s’agit ici de mettre en place un dispositif, de caractère évidemment exceptionnel, qui fasse partir le délai de prescription d’une date différente de celle qui est a priori retenue par le droit.

Le point de départ de la prescription – normalement, le ixième jour de l’année civile ordinaire retenu par principe pour un délai de trois années révolues en matière de délits -, a été mis en question, à plusieurs reprises, par la jurisprudence

En effet, comme on peut le lire sur le site de la Cour de Cassation, de longue date, la chambre criminelle admet que le point de départ de la prescription de l’action publique peut être reporté au-delà du jour de la commission des faits lorsque l’infraction, bien qu’instantanée, s’accompagne de manœuvres de dissimulation de nature à faire obstacle à sa révélation.

Relèvent notamment de cette jurisprudence, dit la Cour, les infractions d’abus de biens sociaux, d’atteinte à la liberté d’accès et d'atteinte à l’égalité dans les marchés publics – dont les exemples sont nombreux.

Dans un arrêt du 20 février 2008, la chambre criminelle a, pour la première fois, décidé qu’il en était également ainsi en matière d’entente et a approuvé une cour d’appel qui, pour écarter la prescription de l’action publique, avait retenu que le délit d’entente poursuivi n’avait été révélé, dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, qu’au jour de la dénonciation des faits par des élus du conseil régional, l’existence de l’entente étant dissimulée par la régularité apparente des procédures d’appel d’offres restreint et par la collusion relevée entre les entreprises, les partis politiques et l’exécutif régional.

De façon également novatrice, la chambre criminelle a jugé, dans un second arrêt du 19 mars 2008, que le délai de prescription de l’action publique en matière de trafic d’influence ne commence à courir, en cas de dissimulation, qu’à partir du jour où l’infraction a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites.

La portée de cet arrêt doit être bien comprise : cette décision ne constitue pas un revirement de la jurisprudence bien établie de la chambre selon laquelle, lorsque le délit de trafic d’influence ou de corruption est caractérisé par la perception illicite d’avantages, le délai de prescription peut être reporté au-delà du jour où a été scellé le pacte de corruption jusqu’au jour du dernier versement ou de la dernière réception des choses promises.

Elle offre la possibilité aux juges du fond de fixer le point de départ de la prescription postérieurement à cette dernière date, dès lors qu’ils constatent que les faits litigieux ont été dissimulés, ce qui en l’espèce était établi par le fait que l’infraction avait été dissimulée par la conclusion d’un contrat fictif et par l’utilisation d’une structure écran.

La solution retenue, qui permet d’accroître l’efficacité des poursuites des faits de corruption ou de trafic d’influence, conformément aux engagements internationaux souscrits par la France – notamment dans le cadre de l’OCDE, du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne ou des Nations unies – se justifie pleinement par la nature même du délit, généralement occulte.

Le report du point de départ de la prescription de l’action publique est également admis par la chambre criminelle lorsque l’infraction instantanée s’exécute sous forme de remises successives de fonds ou d’actes réitérés.

Dans la mesure où ces différents actes réitérés, tous identiques, se rattachent, dans l’esprit de l’agent, à une opération délictueuse d’ensemble, ils se fondent en une infraction unique, la prescription ne commençant à courir qu’à compter du jour de la consommation de la dernière infraction, ce qui permet d’allonger le délai de prescription.

M. le président. Cher collègue, veuillez conclure.

M. Éric Bocquet. Pour toutes ces raisons, nous soumettons cet amendement à la réflexion de tous, en espérant qu’il sera adopté.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Anziani, rapporteur. Vaste débat ! L’Assemblée nationale avait effectivement formalisé un article tendant à généraliser la jurisprudence de la Cour de cassation à tous les délits, puisque l’article 8 du code de procédure pénale ne vise que les délits.

En commission, un amendement du Gouvernement tendant à revenir sur cette généralisation a été adopté, considérant que beaucoup d'attention et de réflexion étaient requises pour légiférer en matière de prescription et qu’il conviendrait même de s'appuyer préalablement sur une étude d'impact. On ne pouvait donc, à l'occasion d'un texte sur la fraude fiscale, généraliser la prescription en matière d'infraction occulte à tous les délits.

Après avoir adopté l'amendement de Mme la garde des sceaux, la commission a logiquement rejeté celui de M. Bocquet.

J’indique en outre que, si l'on retenait votre amendement – ce qui n’est pas la position de la commission –, il serait étrange de ne viser que les délits, et pas les crimes. Ainsi, la corruption de magistrat, qui est un crime, ne serait pas concernée, même si elle était révélée après avoir été dissimulée. On peut aussi penser à un assassinat, qui serait dissimulé, jusqu’à ce qu’on retrouve le corps… Il apparaîtrait alors anormal que le délai de prescription soit beaucoup plus long pour les délits que pour les crimes.

Quoi qu’il en soit, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. M. le rapporteur a dit l'essentiel. Nous avons déjà eu ce débat à l’Assemblée nationale, et il ressurgit ici. Notre jurisprudence sur la prescription, de l'avis général des magistrats, fonctionne bien et a permis, jusqu'à maintenant, de sanctionner lorsque nécessaire.

Certes, il ne s'agit que d'une jurisprudence et je comprends la préoccupation des parlementaires qui souhaitent la consolider en lui donnant une base législative. Mais il me paraît délicat, au stade actuel – c'est ma seule réserve, je l'ai également émise à l’Assemblée nationale –, d'introduire ces dispositions sans travailler l'économie générale du droit de la prescription.

Je ne voudrais pas que nous prenions des risques et que demain, comme le rapporteur vient de l'envisager, les magistrats ne soient plus en mesure de sanctionner adéquatement, avec la souplesse que permet aujourd'hui la jurisprudence.

Je propose que nous travaillions ensemble puisque se manifeste, dans les deux chambres, un souci de consolidation de cette jurisprudence. Mais ne prenons pas le risque de la fragiliser en cherchant à la consolider ! Différons plutôt cette consolidation, pour y travailler ensemble…

Je demande donc le retrait de cet amendement.

M. le président. Monsieur Bocquet, l'amendement n° 44 est-il maintenu ?

M. Éric Bocquet. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 44 est retiré.

Articles additionnels après l’article 2
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
Article 2 ter (nouveau) (début)

Article 2 bis

(Supprimé)

M. le président. L'amendement n° 58, présenté par M. Bocquet, Mme Beaufils, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

À l’article 324-3 du code pénal, les mots : « jusqu’à la moitié de » sont remplacés par le mot : « à ».

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Cet amendement participe de la logique de dissuasion à l'œuvre dans notre démarche vis-à-vis des opérations de fraude diverses et variées. Il vise ici, en particulier, le blanchiment de sommes illégalement perçues.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 324-3 du code pénal est ainsi rédigé : « Les peines d’amende mentionnées aux articles 324-1 et 324-2 peuvent être élevées jusqu’à la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment », ce qui signifie, pour être concret, que le tribunal peut prononcer une peine d’amende de 375 000 ou de 750 000 euros, selon les cas de figure, dans les affaires de blanchiment ponctuel, avéré, régulier ou dissimulé.

Une peine d’amende complémentaire peut être prononcée, à raison sans doute du montant de l’opération de blanchiment et de la valeur des biens et des fonds faisant l’objet de l’opération. Elle est aujourd’hui « plafonnée », si l’on peut dire, à la moitié de la valeur de ces biens ou fonds.

On rappelle cependant qu’il ne s'agit là que d'une simple latitude laissée à l'appréciation du tribunal compétent, comme pour les peines d’ores et déjà prévues aux articles 324-1 et 324-2.

Nous proposons, pour notre part, de relever le niveau de la peine d’amende complémentaire à la valeur des biens ou des fonds, en vue de conférer une vertu encore plus dissuasive aux dispositifs en vigueur. Le blanchiment de fonds occultes s’inscrivant délibérément dans une sorte de carrousel de fraudes fiscales que nous pourrions qualifier de « complémentaires », il convient de le pénaliser plus fortement et de créer les conditions du prononcé de sanctions plus sévères en ces matières.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Anziani, rapporteur. En cas de blanchiment, l'amende peut aujourd'hui atteindre la moitié de la valeur des biens ; les auteurs de l'amendement proposent d'aller jusqu'à la totalité. Si je n’ai pas, à titre personnel, de position tranchée sur cet amendement, la commission a, pour sa part, émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne suis pas loin de rejoindre les sentiments partagés du rapporteur : j’entends l'argument favorable à la moitié, mais je ne serais pas choquée par une saisie de la totalité…

Si l'on sanctionne pour dissuader, autant, peut-être, ne pas le faire à moitié…

Mais je ne suis pas censée réfléchir à haute voix ! (Sourires.) Je m'en remettrai donc, à cette heure tardive, à la sagesse du Sénat !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 58.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 2 bis est rétabli dans cette rédaction.

Article 2 bis (supprimé)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
Article 2 ter (nouveau) (interruption de la discussion)

Article 2 ter (nouveau)

I. – Le dernier alinéa de l’article 1741 du code général des impôts est complété par une phrase et trois alinéas ainsi rédigés :

« Toutefois, les poursuites sont engagées dans les conditions prévues par le code de procédure pénale :

« - lorsque les faits ont été portés à la connaissance de l’autorité judiciaire dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction ouverte pour d’autres faits ;

« - lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou lorsqu’il existe des présomptions caractérisées qu’ils résultent d’un des comportements mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales.

« L’administration est informée sans délai des poursuites engagées dans ces conditions. »

II. – Après l’article L. 227 du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 227-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 227-1. – Pour le délit de fraude fiscale prévu à l’article 1741 du code général des impôts, l’administration fiscale a le droit, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, de transiger, après accord du procureur de la République ou du procureur de la République financier, dans les conditions définies aux articles L. 247 à L. 251 du présent livre, lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou lorsqu’il existe des présomptions caractérisées qu’ils résultent d’un des comportements mentionnés aux 1° à 5° du présent livre.

« L’acte par lequel le procureur de la République ou le procureur de la République financier donne son accord à la proposition de transaction est interruptif de la prescription de l’action publique.

« L’action publique est éteinte lorsque l’auteur de l’infraction a exécuté dans le délai imparti les obligations résultant pour lui de l’acceptation de la transaction. »

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.

L'amendement n° 110 rectifié bis est présenté par MM. Delahaye et Arthuis.

L'amendement n° 114 rectifié est présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Collin, Fortassin, Baylet, Chevènement et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi.

L'amendement n° 143 est présenté par M. Marini.

L'amendement n° 147 est présenté par M. Marc.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean Arthuis, pour présenter l'amendement n° 110 rectifié bis.

M. Jean Arthuis. Cet amendement a pour objet de permettre à l'administration fiscale de conserver la plénitude de ses compétences en matière de poursuites pour fraude fiscale.

Nous pensons que ces poursuites nécessitent une expertise et une expérience avérées, et que ces compétences sont rassemblées autour de Bercy et du réseau des directions départementales des finances publiques. Il nous semble très important d'assurer une homogénéité de traitement, s'agissant notamment des entreprises.

Les magistrats, dont nous apprécions particulièrement l'autorité et les compétences, risquent, à un horizon de moyen terme sinon de long terme, de ne pas disposer des moyens matériels et humains nécessaires pour faire diligence.

Donc, par souci d'efficacité, nous pensons qu’il est judicieux de maintenir ce qu’il est convenu d'appeler le « verrou de Bercy ».

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 114 rectifié.

M. Jacques Mézard. Notre amendement répond aux objectifs qui viennent d'être exposés, et bien exposés, par Jean Arthuis.

En cette matière, il est absolument indispensable que ce que l’on appelle improprement le « verrou de Bercy », mais qui est en fait le pouvoir de l'administration fiscale, soit maintenu en l'état.

Il s’agit, en matière de fraude fiscale, de partir des articles 1741 et suivants du code général des impôts. L’article 1741, en particulier, dispose en substance que sont susceptibles de sanctions pénales tous ceux qui opèrent une dissimulation volontaire de sommes sujettes à l’impôt.

Dans notre pays, le juge de l’assiette et du recouvrement de l’impôt est le juge administratif. C’est notre réalité depuis fort longtemps, et cela fonctionne relativement bien. Les dispositions pénales prévues en particulier à l’article 1741 du code général des impôts sont forcément très larges. Cet article permet de poursuivre au pénal tous ceux qui, d’une manière volontaire, échappent à l’impôt.

Or, dans l’immense majorité des contrôles, on découvre une dissimulation volontaire, ce qui veut dire que des dizaines de milliers de cas sont susceptibles d’aller devant les tribunaux.

La Commission des infractions fiscales a été créée en 1977 pour éviter ce que l’on appelait à l’époque – je plaidais alors des affaires pour l’administration – « l’arbitraire de Bercy ». Elle opère un tri selon un certain nombre de critères pour faire en sorte que soient renvoyés devant les juridictions pénales des dossiers considérés comme très importants ou, il faut le dire, exemplaires – et l’exemplarité n’est pas forcément la même dans un petit département qui abrite peu d’activités économiques et dans un grand département. Pour cela, madame la garde des sceaux, il n’est nul besoin d’adaptation d’instruction générale (Sourires.), cela fonctionne depuis fort longtemps.

Cette solution est raisonnable. Sans ce tri, je ne sais vraiment pas comment on ferait pour traiter tous les dossiers, et les conséquences seraient catastrophiques, y compris pour le ministère de la justice.

Il me paraît donc indispensable de maintenir le régime actuel, qui fonctionne tout de même dans de bonnes conditions et qui, de surcroît, facilite pour l’administration fiscale les recherches, la transaction et le recouvrement de l’impôt.

M. le président. L'amendement n° 143 n'est pas soutenu.

La parole est à M. François Marc, pour présenter l’amendement n° 147.

M. François Marc. Le présent amendement vise à supprimer l’article 2 ter. Il s’agit d’une initiative personnelle ; toutefois, les échanges qui ont eu lieu hier après-midi en commission des finances laissent penser qu’elle est soutenue par la grande majorité de ses membres.

L’article 2 ter tend à lever partiellement le « verrou de Bercy ». Ainsi, il autorise l’engagement de poursuites pour fraude fiscale directement par l’autorité judiciaire lorsqu’une fraude fiscale est apparue à l’occasion d’une instruction portant sur d’autres faits ou lorsqu’elle est commise en bande organisée.

Les dérogations qui sont proposées au « monopole » de l’administration peuvent paraître limitées. Toutefois, elles remettent en cause le principe même d’une organisation déjà ancienne et qui a démontré sa pertinence.

À l’appui de cet amendement, je rappellerai brièvement les trois arguments que j’ai développés dans mon intervention générale.

Premier argument : l’administration sanctionne déjà lourdement la fraude par le biais des sanctions fiscales. D’ailleurs, la poursuite systématique par le juge pénal de la fraude fiscale pourrait fragiliser le principe de proportionnalité des peines. C’est pourquoi les poursuites pénales doivent être réservées aux fraudes les plus graves, ce à quoi l’administration s’attache, déposant près de mille plaintes par an au titre du délit de fraude fiscale.

Deuxième argument : l’engagement de poursuites pénales parallèlement aux procédures de redressement pourrait freiner le recouvrement des impôts éludés et des pénalités appliquées. Je précise, mes chers collègues, que le montant des pénalités notifiées s’est élevé à 2,5 milliards d’euros en 2012.

Troisième argument : seule l’administration fiscale dispose des compétences et, nous semble-t-il, des moyens humains pour faire face à une fraude d’une complexité croissante. En outre, l’autorité judiciaire verrait sinon son « stock » d’affaires augmenter substantiellement, ce qui pourrait nuire à son bon fonctionnement et à la sanction effective de la fraude fiscale.

Je précise enfin que l’autorité judiciaire a la possibilité de prendre directement l’initiative de poursuites concernant les délits de blanchiment de fraude fiscale.

Pour l’ensemble de ces motifs, je propose la suppression de l’article 2 ter.