compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

Secrétaires :

M. Alain Dufaut,

M. Jacques Gillot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à établir un contrôle des comptes des comités d'entreprises
Discussion générale (suite)

Contrôle des comptes des comités d’entreprise

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi visant à établir un contrôle des comptes des comités d’entreprise, présentée par Mme Catherine Procaccia (proposition de loi n° 679 [2011-2012], texte de la commission n° 15, rapport n° 14).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la proposition de loi et rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à établir un contrôle des comptes des comités d'entreprises
Article 1er

Mme Catherine Procaccia, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, il m’est particulièrement agréable, en tant que rapporteur de la commission des affaires sociales, d’ouvrir la discussion générale sur la proposition de loi visant à établir un contrôle des comptes des comités d’entreprise, dont je suis également l’auteur.

Nos concitoyens attachent une grande importance à cette institution représentative du personnel, née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui a pour objet d’assurer l’expression collective des intérêts des salariés dans la vie de l’entreprise, et, le cas échéant, de gérer les activités sociales et culturelles.

Mais il est vrai que les comités d’entreprise sont restés à l’écart de la dynamique de transparence financière qui touche tous les secteurs d’activité. La certification des comptes par un commissaire aux comptes concerne un très grand nombre d’entreprises privées, d’établissements publics, des organismes de sécurité sociale, des associations, les syndicats depuis la loi du 20 août 2008, et très prochainement certains établissements publics de santé. Peut-on laisser les comités d’entreprise en dehors de cette dynamique alors que le budget de certains d’entre eux est parfois conséquent, avoisinant plusieurs dizaines de millions d’euros par an ?

Les prestations assurées par certains comités d’entreprise correspondent à du salaire mutualisé et constituent parfois des facteurs importants d’attractivité sur le marché du travail : que l’on songe aux voyages organisés, aux arbres de Noël, à la gestion des restaurants d’entreprise ou encore à la création de bibliothèque. Les salariés sont en droit de disposer d’outils pour apprécier et contrôler leur gestion.

La transparence des comités d’entreprise s’impose également pour une deuxième raison, liée à la recodification du code du travail en 2008. En effet, la nouvelle rédaction de l’article R. 2323-37 du code du travail a abouti, en théorie, à rendre obligatoire la certification des comptes dans tous les comités d’entreprise, quelle que soit leur taille, ce qui, chacun le comprendra, n’est pas vraiment réaliste.

En tant que rapporteur de la loi recodifiant le code du travail, j’avais été saisie par des organisations syndicales et des employeurs de cette rédaction problématique. Dès le 21 décembre 2010, j’ai ainsi demandé par courrier au cabinet du ministre du travail de se pencher sur les difficultés soulevées par cette nouvelle rédaction.

Enfin, les comportements de quelques comités d’entreprises de grande taille, dénoncés par la Cour des comptes et les médias, comportements qui ont parfois donné lieu à des poursuites judiciaires, ont alimenté un climat de suspicion injustifiée à l’égard de l’immense majorité des autres comités d’entreprise. J’avais d’ailleurs interrogé le gouvernement précédent, ici même dans cette enceinte, sur l’état d’avancement du chantier de la transparence financière de ces organismes.

À la suite de ce triple constat, j’ai présenté la présente proposition de loi le 18 juillet 2012 afin d’imposer aux comités d’entreprise des règles simples en matière d’obligations comptables annuelles, de communication, de publication et de certification des comptes. Notre collègue Caroline Cayeux ici présente a eu un objectif très proche en déposant également une proposition de loi sur la gestion des comités d’entreprise le 27 juillet 2012.

Ma démarche est claire, pragmatique, dépourvue d’arrière-pensée et d’animosité : je souhaite simplement renforcer la légitimité des comités d’entreprise en instaurant des règles de transparence financière, pour que l’on ne jette plus l’opprobre sur les quelque 53 000 comités d’entreprise que compte notre pays.

Lors des auditions des partenaires sociaux, j’ai appris qu’un groupe de travail tripartite sur la transparence financière des comités d’entreprise avait été mis en place par le précédent gouvernement en décembre 2011 et qu’il avait rendu ses conclusions par consensus en ce début d’année 2013.

Ce groupe de travail, qui avait été demandé au ministre du travail par la CGT, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC dans un courrier du 7 février 2011, a été animé par la Direction générale du travail. Il était composé de fonctionnaires du ministère de la justice et du ministère de l’économie ainsi que de représentants des partenaires sociaux, sur le modèle de la Commission nationale de la négociation collective, autrement dit des cinq syndicats représentatifs de salariés au niveau national, et, côté patronal, du Medef, de la CGPME, de l’UPA, de l’UNAPL et de la FNSEA.

Les partenaires sociaux ont choisi de mettre en place un groupe de travail tripartite, qui leur paraissait plus adapté qu’une négociation dans le cadre d’un accord national interprofessionnel.

Les conclusions de ce groupe reprennent l’essentiel des recommandations émises par la Cour des comptes dans son rapport sur le comité d’entreprise de la RATP de novembre 2011, et ne sont guère éloignées des principales dispositions de la proposition de loi de Nicolas Perruchot sur le financement des comités d’entreprise, telle qu’adoptée en séance publique par l’Assemblée nationale le 26 janvier 2012. En outre, un groupe de travail piloté par l’Autorité des normes comptables a travaillé entre septembre 2012 et février dernier à l’élaboration du futur, et indispensable, référentiel comptable pour les comités d’entreprise.

Dès lors, que faire ? Maintenir ma proposition de loi dans sa rédaction initiale, ou tenter de l’améliorer à l’issue de mes auditions ? Après réflexion, et en concertation avec ma collègue Caroline Cayeux, il m’a semblé préférable de proposer à la commission des affaires sociales sept amendements visant à reprendre le plus fidèlement possible les conclusions du groupe de travail tripartite de la Direction générale du travail.

Ces amendements ont tous été adoptés mercredi dernier en commission, et je tiens ici à remercier les groupes UMP, UDI-UC et RDSE pour leur soutien. Je remercie également le groupe socialiste et le groupe communiste, républicain et citoyen d’avoir bien voulu ne pas prendre part au vote pour nous permettre de débattre aujourd’hui d’un texte refondu et consolidé qui correspond à mes attentes.

Je voudrais maintenant vous présenter rapidement la proposition de loi issue de nos travaux, qui compte désormais trois articles, et vous en indiquer les justifications et les enjeux.

Le premier article a désormais cinq objectifs principaux.

Premier objectif : créer des obligations comptables annuelles différenciées selon la taille du comité d’entreprise.

La rédaction de ces dispositions reprend les mesures en vigueur pour les syndicats, tout en les adaptant. Ainsi, en dessous d’un seuil de ressources qui pourrait être fixé par le pouvoir réglementaire à 153 000 euros, le comité d’entreprise pourrait avoir recours à une comptabilité ultra-simplifiée. Les comités dépassant ce seuil et remplissant au moins deux des critères suivants seraient soumis à la certification de leurs comptes : employer au moins cinquante salariés en équivalent temps plein, disposer d’un bilan supérieur à 1,5 million d’euros et posséder plus de 3,1 millions d’euros de ressources. Dans tous les autres cas de figure, les comités pourraient recourir à une comptabilité avec présentation simplifiée.

Compte tenu de l’absence de données consolidées au niveau national sur les ressources des comités d’entreprise, on ne connaît pas aujourd’hui exactement le budget moyen des comités d’entreprise. On peut toutefois, à grands traits, estimer que 90 % d’entre eux pourraient utiliser la comptabilité ultra-simplifiée et 5 % la comptabilité avec présentation simplifiée, tandis que 5 % des comités d’entreprise – les plus gros – seraient soumis à la certification des comptes.

Le texte prévoit enfin que les conditions d’application de ces dispositions seront fixées par décret et par un règlement de l’Autorité des normes comptables.

Deuxième objectif : préciser les modalités de la certification et de la consolidation des comptes.

Tout comité d’entreprise soumis à la certification de ses comptes nomme au moins un commissaire aux comptes et un suppléant, qui ne peuvent pas contrôler simultanément les comptes de l’entreprise afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêt. Par ailleurs, tout comité qui contrôle une ou plusieurs personnes morales devra consolider ses comptes.

Troisième objectif : instaurer une procédure d’alerte spécifique pour le commissaire aux comptes. Cette procédure s’inspire de celle qui est actuellement prévue dans le code de commerce, et prévoit une liste d’obligations et de réponses graduées si le commissaire estime que la continuité des missions du comité d’entreprise est compromise. Si les difficultés persistent malgré tout, le commissaire aux comptes devra saisir le président du tribunal de grande insistance.

Quatrième objectif : instituer une commission des marchés dans tout comité d’entreprise soumis à la certification de ses comptes. Son existence, ses missions et ses procédures devront être définies dans le règlement intérieur du comité d’entreprise. L’objectif est de renforcer la transparence des procédures relatives au paiement des travaux et à l’achat de biens et de services, sans imposer aux gros comités d’entreprise les règles très lourdes issues du code des marchés publics.

Cinquième et dernier objectif de l’article 1er : clarifier les règles de communication et de publicité des comptes et du rapport de gestion.

Ce rapport constitue une innovation importante, car son contenu, qui sera fixé par décret, ira plus loin que l’actuel compte rendu détaillé. Son objectif étant de rendre compréhensible par tout salarié les choix et orientations du comité d’entreprise, il comprendra une présentation de ses missions, un bilan de l’année écoulée, un bilan financier et un volet ambitieux sur les activités sociales et culturelles.

Le texte de la commission prévoit que le comité d’entreprise devra assurer la publication de ses comptes et du rapport de gestion auprès de tous les salariés, sans obligation ni interdiction de les publier en dehors de l’enceinte de l’entreprise. Nous n’avons pas tous eu la même approche sur ce point en commission et nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir au cours de notre discussion.

J’en viens au deuxième article, qui étend les nouvelles règles de transparence financière posées par l’article 1er de la proposition de loi à toutes les entités assimilables à un comité d’entreprise, comme par exemple les comités de groupe et les comités centraux.

Il aurait été pour le moins paradoxal que la proposition de loi ne traite que des petits comités d’entreprise, alors que ce sont les grands comités centraux qui sont souvent – et c’est un euphémisme ! – montrés du doigt. Par ailleurs, le texte étend les nouvelles règles de transparence financière aux institutions sociales du personnel des industries électriques et gazières, afin de répondre à la recommandation du rapport public de la Cour des comptes d’avril 2007.

Enfin, le dernier article prévoit que l’obligation de tenir des comptes annuels s’appliquera à partir de l’exercice comptable de 2015, tandis que l’obligation de certification et, le cas échéant, de consolidation des comptes concernera l’exercice comptable de 2016.

Tel est, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le fruit des travaux de notre commission. Si ces derniers sont sans doute perfectibles, ils témoignent de notre souhait de reprendre l’essentiel des conclusions du groupe de travail tripartite de la Direction générale du travail.

Notre présidente Annie David, dans le cadre du protocole adopté par le bureau du Sénat le 16 décembre 2009 sur la concertation des partenaires sociaux, a saisi l’ensemble des organisations représentatives de salariés et d’employeurs au niveau national et interprofessionnel. Tous rappellent leur attachement aux conclusions du groupe de travail.

J’avoue que, depuis que j’ai l’honneur de siéger au Sénat, j’ai rarement eu l’occasion d’observer un tel consensus entre partenaires sociaux sur un texte relatif au droit social et au droit du travail. Tous souhaitent que ces conclusions prennent rapidement force de loi, en se fondant sur la feuille de route de la dernière grande conférence sociale des 20 et 21 juin 2013, laquelle prévoit, sur la base du relevé de conclusions du groupe de travail animé par la Direction générale du travail, que des dispositions législatives sur la transparence des comptes des comités d’entreprise seront proposées au Parlement avant la fin de l’année.

J’observe qu’un engagement similaire avait été pris lors de la première grande conférence sociale, en vain, sans doute à cause de l’encombrement du calendrier parlementaire.

Monsieur le ministre, le calendrier de la session parlementaire 2013-2014 ne me paraissant pas beaucoup moins chargé, cette proposition de loi pourrait être le véhicule législatif opportun. Cela éviterait que nous nous heurtions à l’encombrement de l’ordre du jour de nos travaux. Par ailleurs, la navette parlementaire pourrait améliorer et enrichir ce texte.

En outre, monsieur le ministre, vous le savez, certaines organisations syndicales ne veulent pas que ces dispositions législatives sur les comités d’entreprise soient agglomérées à un autre texte social, qu’il s’agisse de dialogue social, de représentativité sociale ou de formation professionnelle. Cela pourrait en effet les affaiblir, alors qu’il existe depuis longtemps un consensus politique sur la nécessité de rendre plus transparente la gestion des comités d’entreprise.

Puisque le dialogue social a eu lieu au sein du groupe de travail de la Direction générale du travail et que l’indispensable travail technique pour élaborer un nouveau référentiel comptable est quasiment achevé, retrouvons-nous aujourd’hui sur ce sujet qui dépasse les clivages politiques. Les partenaires sociaux attendent avec impatience cette transcription législative. Quant aux salariés et au grand public, ils ne comprennent pas pourquoi l’État et le législateur restent passifs sur un point somme toute technique et facile à résoudre.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, je me permets encore d’espérer que vous profiterez de la fenêtre législative que vous offre le groupe UMP pour respecter, dans les délais, les engagements que vous avez pris lors des conférences sociales de 2012 et de 2013.

Malgré ce que j’ai lu dans la presse ou ce que m’ont affirmé certains journalistes, je ne veux pas croire que vous vous apprêtiez à repousser ce texte sans même que votre cabinet, qui connaît l’état d’esprit qui est le mien, ait pris soin de m’en informer. (M. le ministre sourit.) Je vois que cela vous fait sourire, monsieur le ministre !

M. Gérard Longuet. Il est vrai que c’est un ministre souriant ! C’est méritoire, d’ailleurs ! (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. La vie est plus heureuse quand on sourit ! (Nouveaux sourires.)

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Cette proposition de loi modifiée, présentée ce matin, est tout autant la mienne, la vôtre que celle des partenaires sociaux et de la Direction générale du travail. En permettant son adoption, nous renforcerons, ensemble, non seulement la légitimité des comités d’entreprise et les droits des salariés, mais aussi la démocratie sociale et parlementaire.

En conclusion, je ne puis que réitérer le souhait que j’ai exprimé la semaine dernière en commission. J’appelle les élus, de la majorité comme de l’opposition, et le Gouvernement à adopter une « attitude constructive, ouverte et bienveillante » qui permettra de ne pas encore repousser aux calendes grecques un texte, certes très technique, mais attendu par tous. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine aujourd’hui la proposition de loi visant à établir un contrôle des comptes des comités d’entreprise.

Vous savez à quel point je suis personnellement attaché à la question de la transparence, exigence démocratique aussi légitime qu’incontournable. Cette exigence n’est pas nouvelle : elle fait partie de notre histoire collective comme de mon histoire personnelle, ce qui me donne de temps en temps l’occasion, dans le cadre de mes responsabilités, d’appliquer une loi qui porte mon nom sur la transparence dans le domaine économique ! (Sourires.)

La société évolue et l’exigence de transparence se renouvelle, s’étend, se déplace vers les autres sphères de la vie publique. C’est un mouvement que je soutiens et que j’encourage. Voilà quelques semaines, vous examiniez dans cette enceinte le projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique, qui a donné lieu à des débats importants.

M. Gérard Longuet. Et à une décision du Conseil constitutionnel !

M. Michel Sapin, ministre. Ce texte a constitué un pas supplémentaire, non pas forcément pour moraliser la vie publique – elle n’est évidemment pas majoritairement immorale –, mais tout simplement pour répondre à une demande sociale nouvelle et à un niveau d’exigence supérieur vis-à-vis de nous-mêmes.

La démocratie sociale ne saurait rester en marge de ce mouvement général. Au contraire, le dialogue social a trop longtemps souffert d’apparaître comme une sorte de « boîte noire », aiguisant la suspicion, au demeurant le plus souvent fort illégitimement. Il doit aujourd’hui entrer dans un nouveau cycle.

J’emploie fréquemment l’expression de dialogue social « à la française » pour nommer les nouvelles attentes de la société en la matière : attente, d’abord, de parvenir à davantage de compromis féconds permettant à chacun de s’y retrouver, attente, ensuite, d’une plus grande association des partenaires sociaux à la vie économique des entreprises, attente également d’un cadre clair et protecteur pour mener des négociations dans lesquelles, inévitablement, les forces des salariés et des employeurs ne sont pas égales, attente encore d’une meilleure représentativité des syndicats et des organisations patronales pour que le dialogue social repose davantage sur des bases solides et légitimes, attente aussi d’une articulation subtile, délicate, mais nécessaire, entre démocratie sociale et démocratie politique, attente, enfin, d’une plus grande transparence.

Ces différentes attentes de la société à l’égard de la démocratie trouvent des aboutissements concrets dans les politiques que nous menons. L’accord national interprofessionnel du 11 janvier et la loi relative à la sécurisation de l’emploi donnent par exemple aux partenaires sociaux les pouvoirs de négocier et de fonder des compromis novateurs dans une logique gagnant-gagnant et dans un dialogue social cadré et transparent.

Ainsi, en tant que principe, la transparence ne se divise pas : elle se décline et progresse pas à pas.

C’est tout le sens de l’agenda ambitieux dont s’est doté le Gouvernement en matière de renforcement de la démocratie sociale à l’issue de la grande conférence sociale du mois de juin dernier à laquelle vous avez fait allusion, madame la rapporteur. Avant de le rappeler, je tiens à insister sur un point : cet effort vers davantage de transparence doit se faire avec les partenaires sociaux et non pas contre eux. Madame la rapporteur, ces propos ne s’adressent pas à vous, qui avez au contraire cherché à associer le plus possible les partenaires sociaux à vos réflexions. Je connais trop cette petite musique qui vise à jeter le trouble et le doute au nom de la transparence, comme si tout n’était qu’arrangement ou détournement. Loin de renforcer la démocratie sociale, cette approche la minerait en discréditant ses acteurs.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l’un des principaux écueils sur la voie de la transparence dans ce domaine.

La transparence n’est pas une sanction contre une gestion frauduleuse et fantasmée. C’est un effort collectif et porteur d’une exigence qui confortera la démocratie sociale comme ses acteurs ; c’est une dynamique positive qui se construit.

Cela étant, je veux indiquer les étapes de notre agenda, arrêté avec les partenaires sociaux, pour la construction d’une démocratie sociale plus forte et donc plus transparente.

En premier lieu, la transparence, c’est la question de la représentativité des partenaires sociaux, pour que celle-ci soit fondée sur des critères objectifs, connus de tous, légitimes et, de ce fait, transparents. La réforme de la représentativité des organisations syndicales a été menée à son terme. Elle sera évaluée et les évolutions nécessaires complémentaires seront apportées. Le chantier de la représentativité patronale est, quant à lui, engagé ; le directeur général du travail me rendra son rapport sur ce point dans les tout prochains jours. Sa traduction législative interviendra dans le cadre du projet de loi qui sera élaboré à l’issue de la négociation en cours sur la formation professionnelle. Il s’agit là d’une opportunité législative qui concernera non pas seulement la formation professionnelle, mais aussi les fondements mêmes de la démocratie sociale, à savoir la représentativité et la transparence.

En deuxième lieu, la transparence, c’est la question des ressources des organisations syndicales et patronales. En effet, les acteurs du dialogue social doivent bénéficier de ressources stables, solides et pérennes qui garantissent leur fonctionnement et qui évitent toute dérive ou toute compromission. Sans pérennité et sans garantie, la transparence n’est pas possible. Tel n’est pas le cas aujourd’hui, puisque les financements sont éclatés, parfois directement rattachés aux politiques publiques et perçus, à tort ou à raison, comme imparfaitement maîtrisés.

Dans la droite ligne des engagements pris lors de la grande conférence sociale, j’ai écrit à l’ensemble des organisations – vous en avez eu connaissance, madame la rapporteur – pour engager une large concertation sur ce point, lever ces incertitudes et clarifier la question des moyens des organisations. Nous le devons à la démocratie sociale, pour garantir son bon fonctionnement ; nous le devons aussi aux salariés et aux citoyens, qui, à bon droit, ne peuvent supporter des dérives dans ce domaine. Là encore, les dispositions législatives qui traduiront les résultats de ces travaux sur l’ensemble des conditions de financement des organisations syndicales et patronales figureront dans le projet de loi qui sera élaboré à l’issue de la négociation en cours sur la formation professionnelle.

En troisième lieu, la transparence se joue au niveau des institutions représentatives du personnel dans l’entreprise. Cela m’amène au sujet qui nous intéresse aujourd’hui.

Madame la rapporteur, je tiens à saluer votre travail. Depuis plusieurs années, vous travaillez en effet pour que des avancées soient réalisées avec un esprit de responsabilité que je veux souligner et qui s’est encore une fois exprimé à l’instant à cette tribune. Je ne peux que regretter que vous n’ayez eu l’opportunité de le faire plus tôt ! (M. Jacky Le Menn rit.) S’il y avait tant de scandales à dénoncer, pourquoi certains n’ont-ils pas pris la responsabilité d’y mettre fin ? (M. Jean Desessard s’exclame.)

Mais venons-en au sujet des comités d’entreprise.

Les comités d’entreprise sont dotés de la personnalité morale et disposent de ressources financières prévues par la loi : 0,2 % de la masse salariale au titre du budget de fonctionnement, montant auquel s’ajoutent les sommes versées au titre de la prise en charge des activités sociales et culturelles dans l’entreprise.

Dans ce contexte, la question de l’établissement des comptes répond à une double exigence : celle de participer à une gestion saine et efficace de ces ressources et celle de garantir la transparence de l’action du comité d’entreprise devant les salariés qui en sont les bénéficiaires.

Ce sont les organisations syndicales elles-mêmes qui, en 2011, ont souhaité que soit engagé un chantier dans ce domaine pour moderniser les dispositions du code du travail en la matière. Là encore, les travaux ont été menés en toute transparence dans le cadre d’un groupe de travail associant les organisations syndicales et patronales ainsi que les associations et les ordres fédérant les experts-comptables et les commissaires aux comptes. Un relevé de conclusions unanime a eu lieu qui a, à juste titre, beaucoup inspiré vos travaux, madame la rapporteur.

Les grands principes posés sont simples : l’obligation d’établir des comptes et d’en assurer la publicité à l’égard des salariés. Des exigences concrètes en découlent.

Première exigence : la prise en compte des ressources de fonctionnement et des ressources issues de la gestion des activités sociales et culturelles du comité d’entreprise.

Deuxième exigence : une structure de comptabilité adaptée à la taille du comité d’entreprise. Je tiens à souligner ce point. Assez naturellement, la question des ressources des comités d’entreprise est abordée avec le prisme des quelques très gros comités d’entreprise, ceux des très grandes entreprises, dont le budget se chiffre en millions d’euros. Ce prisme est trompeur, car, même si cela correspond à une réalité, il ne faut jamais oublier les dizaines de milliers de petits comités d’entreprise, aux petits budgets, qui ne disposent ni des ressources ni du temps pour gérer une comptabilité aussi exigeante que celle d’une entreprise.

Troisième exigence : l’obligation de consolidation et de certification des comptes par un commissaire aux comptes pour les plus gros comités d’entreprise.

Quatrième exigence : la publicité des comptes et du rapport de gestion vis-à-vis des salariés.

Cinquième exigence : la création d’une commission des marchés pour les comités d’entreprise qui sont amenés à en passer.

Sixième exigence : l’existence d’une procédure d’alerte à la disposition des commissaires aux comptes lorsqu’un problème est identifié.

Madame la rapporteur, dans le cadre des travaux en commission, vous avez fait évoluer votre texte pour reprendre ces principes et ces exigences.

Vous comprendrez que, si je suis naturellement et logiquement favorable sur le fond, je ne peux pas émettre, au nom du Gouvernement, un avis favorable, et ce au regard d’un enjeu de méthode ; ce n’est en effet que de cela qu’il s’agit. Dès le départ, un travail partenarial a été conduit avec les partenaires sociaux sur ce dossier ; il doit évidemment être mené avec eux jusqu’au bout. Le plus sûr levier du changement est d’impliquer les acteurs : c’est ainsi que se construisent la responsabilité et la légitimité. Madame la rapporteur, je sais que, comme bien d’autres ici, vous y êtes attachée. Je vous demande de vous inscrire dans ce processus, dans la mesure où vous en partagez l’esprit. Nous le renforcerions si nous étions unis sur le sujet.

Je présenterai aux organisations syndicales et patronales les dispositions législatives transcrivant les travaux du groupe de travail dans le cadre de la concertation que j’ai engagée, sur l’ensemble des sujets que j’ai décrits, concernant la démocratie sociale, qu’il s’agisse de la représentativité, en l’occurrence patronale, ou du financement de ces organisations, et donc de la transparence d’un certain nombre d’organismes comme les comités d’entreprise.

Et c’est l’ensemble de cette concertation allant donc de la représentativité au financement des organisations qui constituera le volet « renforcement de la démocratie sociale » du projet de loi sur la formation professionnelle.

Ce texte sera élaboré à l’issue de la négociation. Vous en connaissez, madame la rapporteur, le calendrier : les partenaires sociaux ont fixé la fin de ces négociations au début du mois de décembre ; le Gouvernement lui-même a réservé pour le mois de janvier et le mois de février le temps nécessaire à la discussion de ce texte. Je ne sais encore, à ce stade, où se situent les calendes grecques ; il me semble cependant qu’elles sont largement au-delà du mois de février de l’année 2014. Nous n’aurons donc pas à attendre jusqu’aux calendes grecques pour que ces dispositions, comme beaucoup d’autres, dans leur cohérence d’ensemble, puissent se traduire. Et je ne doute pas que nous pourrons bénéficier, madame, de votre soutien, et, au-delà de votre soutien personnel, du soutien de tous ceux qui, ici, s’intéressent à une bonne qualité de la démocratie sociale et donc à une transparence de l’ensemble de sa vie.

Ainsi, avec ce texte global, la transparence fera un nouveau pas en avant, non par une loi qui pourrait être considérée de circonstance – au bon sens du terme –, mais par un processus global et ambitieux. C’est ce à quoi je vous invite à participer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)