compte rendu intégral

Présidence de Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jacques Gillot,

Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-sept heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt de rapports

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 67 de la loi n° 2004–1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2012–1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

Il a été transmis à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et, pour information, à la commission des finances.

M. le président du Sénat a également reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en œuvre du programme national pour l’alimentation établi en application de l’article L. 230–1 du code rural et de la pêche maritime.

Il a été transmis à la commission des affaires sociales ainsi qu’à la commission des affaires économiques.

Enfin, M. le président du Sénat a reçu le rapport d’information de l’Agence de la biomédecine, établi en application de l’article L. 1418–1 du code de la santé publique.

Il a été transmis à la commission des affaires sociales.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

3

Communications du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 14 novembre 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 5125–31 et L. 5125–32 du code de la santé publique (Pharmacie d’officine) (2013–364 QPC).

Le texte de décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

M. le président du Conseil constitutionnel a également informé le Sénat, le 14 novembre 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 80 quinquies du code général des impôts (Déclaration des indemnités journalières versées par les organismes de sécurité sociale) (2013–365 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de ces communications.

4

Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 15 novembre 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 621–2 et L. 622–1 du code de commerce, « dans leur rédaction applicable en Polynésie française » (n° 2013–352 QPC).

Acte est donné de cette communication.

5

Débat sur la politique d’aménagement du territoire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la politique d’aménagement du territoire, organisé à la demande du groupe UDI-UC.

La parole est à M. Hervé Maurey, au nom du groupe UDI-UC.

M. Hervé Maurey, au nom du groupe UDI-UC. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC a souhaité inscrire aujourd’hui à l’ordre du jour du Sénat ce débat sur l’aménagement du territoire, car, vous le savez, c’est un sujet au cœur des préoccupations de notre assemblée, et tout particulièrement de notre groupe politique.

Nous avons également souhaité ce débat car, dix-huit mois après la création d’un ministère de « l’égalité des territoires » et votre arrivée à la tête de ce ministère, le temps nous semble venu de faire un premier bilan de l’action du Gouvernement sur ce sujet.

Je le ferai, vous le savez, avec objectivité car j’ai la chance d’appartenir à un groupe politique où les positions ne sont pas fonction du fait que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition.

J’avoue à cet égard que je suis surpris de l’attitude de certains de mes collègues, dont je ne reconnais pas les prises de position depuis quelques mois tant elles ont évolué.

Pour ce qui me concerne, j’ai critiqué l’absence de politique ambitieuse en matière d’aménagement du territoire du gouvernement Fillon, déclarant même sur ce sujet qu’il n’y avait « plus de pilote dans l’avion ». Et lorsque vous êtes venue pour la première fois devant notre commission en 2012, je vous ai indiqué partager un certain nombre de vos appréciations sur le constat que vous dressiez quant à la situation de notre pays en matière d’aménagement du territoire.

J’avais également exprimé le souhait que la disparition du concept d’« aménagement du territoire » au profit de celui d’« égalité des territoires » ne soit pas une simple évolution sémantique, mais la marque d’un véritable changement, terme qui, à l’époque, avait encore du sens, et donnait encore de l’espoir.

Cela semble bien loin, je vous l’accorde.

Alors, où en sommes-nous aujourd’hui ?

Madame la ministre, j’aurais vraiment aimé, dans l’intérêt du pays, pouvoir observer une évolution positive en matière d’égalité des territoires. Mais, très honnêtement, ce n’est pas possible.

Je tiens d’ailleurs par avance à exprimer ma compassion à l’égard de mes collègues socialistes – je pense notamment à mon ami Pierre Camani – qui vont tenter de démontrer l’inverse en indiquant que l’État est de retour dans nos territoires.

Je leur exprime mes encouragements, car l’exercice sera hélas ! difficile pour eux ; il leur faudra beaucoup de militantisme, d’imagination et un brin de mauvaise foi, voire beaucoup, pour affirmer cela.

En effet, madame la ministre, force est de constater qu’il n’y a pas un domaine dans lequel l’égalité des territoires a progressé en dix-huit mois.

Si je prends l’exemple du département dont je suis élu, et que par définition je connais le mieux, aucun progrès n’est à observer.

Aucun progrès en matière de couverture en téléphonie mobile, malgré mes courriers, mes interpellations, mes questions orales et mes réunions aux cabinets des ministres concernés, Mme Pellerin et vous-même ! Il n’y a pas un endroit dans l’Eure où le téléphone passe mieux que le 6 mai 2012 !

Quand donc l’État s’attaquera-t-il enfin à cette insupportable situation où des citoyens contribuables à part entière entendent à la radio des publicités vantant les avantages de la téléphonie mobile de quatrième génération alors qu’ils n’ont pas la moindre connexion ?

M. Hervé Maurey. Comment pouvez-vous tolérer cela, madame la ministre ?

Sur le haut débit et le très haut débit, même chose : aucune amélioration n’a été concrètement observée sur le terrain, au-delà des critiques du gouvernement précédent, des déclarations, des feuilles de route et autres missions.

Pire, les socialistes ont montré leur duplicité sur le sujet lorsque, après avoir adopté, ici même, en février 2013, la proposition de loi que j’avais déposée avec Philippe Leroy visant à assurer l’aménagement numérique des territoires, ils ont voté contre à l’Assemblée nationale quelques mois plus tard.

Entre-temps, les socialistes étaient passés de l’opposition à la majorité et, à ce titre, obtempéraient à la nouvelle ministre chargée du numérique, qui reprenait mot à mot les termes de son prédécesseur, Éric Besson, c’est-à-dire ceux des opérateurs.

En matière de démographie médicale, où sont les dispositions de la proposition de loi de Jean-Marc Ayrault sur le bouclier rural, qui visait, en 2011, à soumettre l’installation des médecins à une autorisation préalable ? Elles sont, comme tant d’autres, oubliées !

Sur ce sujet aussi, le parti socialiste recule et Mme Touraine, dont nous connaissons bien, dans cette assemblée, l’arrogance, critique ses prédécesseurs mais ne propose que des mesurettes qui ont prouvé, en vingt ans, leur inefficacité.

En matière d’infrastructures, le Gouvernement a enterré ou reporté aux calendes grecques, à la suite du rapport Duron, nombre de liaisons autoroutières, ferroviaires ou fluviales, invoquant le fait qu’elles ne seraient pas rentables, notion, vous en conviendrez, mes chers collègues, quelque peu antinomique avec celle d’égalité des territoires.

Autre sujet qui montre que l’égalité des territoires non seulement ne progresse pas, mais au contraire régresse : la réforme des rythmes scolaires. Peut-on imaginer réforme plus inégalitaire ?

Car si cette réforme peut, certes avec difficulté, s’appliquer dans les grandes villes disposant de personnels et de locaux, elle est tout simplement inapplicable dans nos petites communes.

Comment organiser des activités périscolaires dans un village où il n’y a pas d’autres salles que la salle de classe ?

Comment trouver du personnel compétent pour uniquement quarante-cinq minutes par jour ?

Je sais que cette réforme n’est pas la vôtre, madame la ministre, mais je ne crois pas vous avoir entendu émettre la moindre réserve sur ce sujet !

Enfin, la politique de matraquage fiscal et social mise en place par le Gouvernement porte atteinte à l’égalité des territoires dans la mesure où ce sont les entreprises les plus fragiles qui sont les premières victimes de cet acharnement du Gouvernement.

Les territoires qui s’en sortent le mieux sont ceux qui étaient les plus dynamiques, et ceux qui souffrent le plus sont ceux qui étaient déjà les plus faibles.

En période de crise, l’aménagement du territoire doit tout particulièrement se concentrer sur la création d’emplois dans les zones les plus fragiles.

Je n’aurai pas la cruauté, madame la ministre, de vous demander votre bilan sur ce point, alors que chacun observe que le Gouvernement en est réduit à saupoudrer les millions, parfois même les milliards, pour éteindre le feu dans les territoires. Voilà quelques jours, nous avons atteint le record de 4 milliards d’euros dispersés en une journée dans les territoires !

Cette situation est aggravée par un mal-être des territoires ruraux, qui observent que le Gouvernement n’aime pas la ruralité.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le combat permanent du Gouvernement pour réduire le poids du monde rural dans les assemblées départementales et, ici même, au sein de la Haute Assemblée.

Face à cette réalité, vous allez certainement vous féliciter de la création d’un Commissariat général à l’égalité des territoires, dont on nous dit dans le « bleu » budgétaire que « cette nouvelle organisation sera un instrument de justice territoriale et de lutte contre les inégalités spatiales ».

Comme c’est joli ! Mais, en réalité, il n’aura guère plus de pouvoir ni de moyens que l’actuelle DATAR, la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale.

J’ai assisté à l’audition du futur commissaire général devant notre commission le 14 octobre dernier : M. Delzant a été bien en peine d’expliquer la différence entre ce commissariat à l’égalité des territoires et la DATAR !

Madame la ministre, il ne suffit pas de changer le nom d’un organisme, ou même d’en créer un, comme Mme Pellerin, qui nous annonce une agence du numérique, pour être dans le concret et dans l’action.

De même qu’il ne sert à rien de multiplier les commandes de rapports, d’annoncer des schémas et de confier des missions, si ce n’est pour créer l’illusion et, par là même, la déception.

Vous avez demandé à Éloi Laurent un rapport sur le concept d’égalité des territoires ; j’ai d’ailleurs accepté d’y apporter ma contribution, prouvant ainsi ma bonne volonté... Et après ?

Quid de ce rapport, qui avait d’ailleurs juste oublié de traiter du numérique ? Même mes collègues socialistes s’en sont offusqués, c’est vous dire…

Ce rapport s’interroge sur le fait de savoir si la France en 2040 sera hyperpolisée, postpolisée, régiopolisée ou dépolisée ! Est-ce vraiment la question ?

Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. Oui !

M. Hervé Maurey. Et puisque l’on parle de prospective, comment ne pas s’étonner ici que les conclusions du séminaire gouvernemental sur la France à l’horizon 2025 n’évoquent pas, même d’un mot, l’égalité des territoires ?

Cette échéance serait-elle trop proche ? Ne s’intéresse-t-on à l’égalité des territoires dans ce gouvernement qu’à l’horizon 2040 ?

Ces changements de façade, ces rapports ne masquent pas, madame la ministre, l’échec du Gouvernement en la matière.

Alors, pourquoi cet échec ? Car c’est bien d’un échec dont on peut parler aujourd’hui ! Je ne suis d’ailleurs pas le seul à le dire puisque, pas plus tard que la semaine dernière, le Conseil économique, social et environnemental a plaidé pour un renouveau de la politique d’aménagement du territoire et vous a demandé de préparer une loi cadre et de programmation sur l’égalité des territoires qui, je cite le rapporteur, « sanctuariserait la politique d’aménagement du territoire, tout en promouvant une meilleure transversalité de l’État en parallèle d’une déconcentration accrue ».

La raison de cet échec est très simple : la politique d’aménagement du territoire n’est pas une priorité de ce gouvernement.

Nous le voyons dans le budget : moins 14 % depuis 2012 en autorisations d’engagement et moins 12 % en crédits de paiement pour la mission « Politique des territoires » alors que dans le même temps les dépenses de l’État diminuent de seulement 1,7 % en volume.

Nous le voyons plus encore dans les arbitrages sur tous les sujets que j’ai évoqués il y a quelques instants – le numérique, la santé, les infrastructures, l’emploi –, le critère de l’égalité des territoires n’est jamais prépondérant.

Sur le numérique, on privilégie les opérateurs. Sur l’accès aux soins, l’intérêt des médecins. Sur les infrastructures, la rentabilité. Sur l’emploi, le matraquage fiscal. Sur les rythmes scolaires, j’avoue ne pas comprendre le critère qui a prévalu, à part la volonté d’un ministre de faire la une des médias et, de ce point de vue, c’est un succès.

J’ajoute une raison structurelle, que j’avais d’ailleurs déjà soulignée sous le précédent gouvernement : un ministre chargé de l’aménagement du territoire, s’il est en charge d’autres missions qui se gèrent au quotidien ou dans l’urgence, est accaparé par celles-ci au détriment de l’aménagement du territoire qui est une action de moyen et de long terme.

En clair, et je ne vous en fais pas le reproche, vous êtes bien plus ministre du logement que ministre de l’égalité des territoires.

Alors, comment s’en sortir et comment mettre enfin en place une vraie politique d’aménagement du territoire ?

Tout d’abord, arrêtons les rapports et les comités Théodule. Il y a, notamment dans notre assemblée, suffisamment de travaux pour savoir ce qu’il faut faire, ou ne pas faire.

Permettez-moi de vous livrer quelques pistes de réflexion.

Premièrement, il faut un vrai ministère de l’aménagement du territoire qui n’ait pas d’autres missions que l’aménagement du territoire, mais qui ait, en revanche, de vrais pouvoirs en la matière.

M. Hervé Maurey. Un ministère qui dispose d’une véritable transversalité et qui soit associé à toutes les décisions ayant un impact sur les territoires.

Tous les projets de loi, toutes les décisions doivent intégrer le critère d’aménagement du territoire ; leur impact au regard de l’égalité des territoires doit être évalué comme on le fait aujourd’hui en ce qui concerne la parité. Si nous mettions la même énergie à faire de l’égalité des territoires un devoir politique et moral que nous le faisons – à juste titre – pour la parité entre les hommes et les femmes, la situation s’améliorerait.

Deuxièmement, il faut que l’État se recentre sur ses vraies missions, qu’il s’occupe moins de la sphère économique, qu’il laisse les entreprises se créer, se développer et qu’il allège leurs contraintes. L’État, lui-même ainsi allégé de tâches qui ne sont pas les siennes, pourra se concentrer sur ses missions régaliennes, parmi lesquelles figure, au premier rang, l’aménagement du territoire.

À ce titre, il doit s’investir réellement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, sur le déploiement des réseaux, c’est-à-dire des infrastructures routières, ferroviaires, fluviales et numériques.

Je rappelle qu’en matière de très haut débit le Gouvernement a confirmé le choix de son prédécesseur – après l’avoir critiqué – de laisser l’initiative du déploiement aux opérateurs privés et la liberté pour eux de déployer uniquement là où ils ont envie de le faire. Comme ce sont des entreprises privées, elles déploient uniquement dans les secteurs rentables, obligeant les collectivités locales à intervenir dans les zones non rentables.

Ce système est totalement antinomique avec la notion d’égalité des territoires.

Tout d’abord, parce que c’est dans les départements les plus ruraux, c’est-à-dire les plus pauvres, que les opérateurs investissent le moins, voire pas du tout, obligeant par là même les collectivités à investir, à un coût élevé pour le contribuable. Il l’est également puisque, selon la capacité financière des collectivités locales et leur volontarisme en la matière, le déploiement des réseaux sera extrêmement différent d’un département à l’autre.

En matière de numérique, les inégalités vont donc continuer à croître.

Il faut sortir de cette logique. Il faut également que l’État s’attache à assurer une véritable couverture de notre territoire en téléphonie mobile, ce qui, je l’ai dit, n’est toujours pas le cas aujourd’hui.

Troisièmement, l’État doit veiller à ce que nos territoires puissent, pour être vivants, bénéficier non seulement d’infrastructures, mais aussi de services. Des services, ce sont d’abord des services publics, notamment en milieu rural.

J’observe à cet égard que le seul projet concret du Gouvernement qui nous a été présenté dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2014, c’est la généralisation, à l’horizon 2017, du dispositif « + de services publics », expérimenté par notre collègue Michel Mercier lorsqu’il était ministre.

J’ajoute, sur un autre sujet, que c’est également sur l’initiative de notre groupe politique que l’on a instauré dans la loi postale le principe des 17 000 points postaux présents sur le territoire.

Les services, c’est également l’accès aux soins. Je me permets à cet égard de vous rappeler les conclusions de notre groupe de travail sur la démographie médicale adoptées à l’unanimité et qui prônent des mesures ambitieuses en termes de régulation de l’installation des médecins, mesures indispensables si l’on veut un jour mettre un terme à la désertification médicale.

Quatrièmement, l’État doit tout mettre en œuvre pour favoriser la création d’emplois dans les zones fragiles. Les infrastructures et les services publics y contribuent. Il faut que des politiques incitatives le permettent également, et il faut que l’État employeur, comme cela s’est fait dans le passé, donne l’exemple et n’hésite pas à délocaliser certains de ses services pour dynamiser des territoires.

J’évoquais ainsi, voilà quelques jours, avec mon collègue Henri Tandonnet, l’exemple réussi de l’implantation de l’École nationale d’administration pénitentiaire dans le Lot-et-Garonne. Cette implantation décidée en septembre 1994 a permis de dynamiser un territoire en renforçant la présence étudiante. Il y a 6 000 étudiants par an à Agen grâce à cette école, ce qui a indubitablement des conséquences sur l’économie locale.

Cinquièmement, à une époque où l’argent public est rare, je ne vous dirai pas qu’il faut injecter plus d’argent, je vous dirai, au contraire, qu’il faut optimiser les crédits.

À quoi sert de dépenser des sommes élevées pour créer des maisons de santé subventionnées par le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire sans être certain que des médecins viendront s’y installer et sans que le ministère de la santé ou le vôtre ne s’en préoccupe ?

Le moins que l’on puisse exiger lorsque l’on finance une maison de santé, c’est de s’assurer que cet équipement réglera le problème de l’accès aux soins, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas ; je connais un certain nombre d’exemples qui l’attestent.

Sixièmement, sur la méthode, l’État doit veiller à travailler en étroite collaboration avec les élus et non contre eux. Quel que soit le rôle de l’État, qui est primordial, en matière d’égalité des territoires, ce ne doit être à aucun moment l’État contre les collectivités locales.

Je voudrais à cet égard prendre l’exemple du développement de l’éolien.

Comment accepter que des permis de construire soient attribués pour des éoliennes contre l’avis unanime des communes concernées ? Il faut une vision nationale du déploiement de ces infrastructures, qui n’existe pas aujourd’hui, et ensuite une déclinaison locale en concertation avec les élus locaux.

Il n’est pas acceptable que des décisions qui impactent l’avenir d’un territoire soient prises contre la volonté de ceux qui en ont la responsabilité.

L’ambition de l’État ne doit pas aboutir à déposséder les élus locaux des projets de leur territoire.

Voilà, madame la ministre, quelques axes de réflexion qui me semblent prioritaires.

La mission, j’en conviens, n’est pas mince, nous avons cependant la conviction profonde que cette tâche est non seulement nécessaire mais indispensable si nous souhaitons sortir de cette crise et faire de l’égalité des territoires non pas un slogan pompeux mais une réalité concrète.

Il faut simplement, oserais-je dire, une vraie volonté politique, que le Gouvernement ne semble pas avoir.

En conclusion, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais vous citer ces quelques mots prononcés par Georges Pompidou, alors Premier ministre, devant l’Assemblée nationale. Pour présenter l’action de son gouvernement – qui créa la DATAR, il y a tout juste cinquante ans – pour lutter contre l’inégalité entre les territoires, il disait : « Le but de l’action gouvernementale est de remédier à cette inégalité et de tendre vers l’équilibre. Nous en avons tous conscience et nous devons nous pénétrer de l’idée que, de notre action, nous ne tirerons aucune autre satisfaction que celle d’avoir contribué de notre mieux à préparer une France plus harmonieuse ».

Madame la ministre, travailler à préparer une France plus harmonieuse, cet objectif est plus que jamais d’actualité. Nous apprécierions qu’il inspire l’action du Gouvernement dont vous êtes membre et qu’ainsi vous puissiez vraiment agir dans cette direction. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand.

M. Jean-Claude Lenoir. Il va être encore plus sévère !

M. Alain Bertrand. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, compte tenu du peu de temps qui m’est imparti, je serai bref.

Je ne partage pas tous les propos tenus par notre collègue Hervé Maurey. Je partage ce qu’il a dit sur la téléphonie ou l’implantation de certaines écoles, comme l’École nationale d’administration pénitentiaire, dans les milieux ruraux.

En revanche, je ne le suis pas sur les rythmes scolaires, lorsqu’il affirme que l’indigence qui serait appliquée à la ruralité date de l’élection de M. Hollande. C’est, cher collègue, en somme, ce que vous nous avez dit au début de votre intervention.

M. Hervé Maurey. Pas du tout !

M. Alain Bertrand. Nous ne sommes pas la même ruralité. Il y a longtemps que la ruralité est mal comprise à Paris.

M. Hervé Maurey. C’est ce que j’ai dit !

M. Alain Bertrand. Cela s’explique par de nombreuses raisons, notamment le fait qu’une large part de notre Haute Assemblée soit élue à la proportionnelle. S’il n’y avait pas de proportionnelle, la ruralité serait beaucoup mieux comprise.

Madame la ministre, vous avez dit récemment que l’aménagement du territoire devait viser à réparer les territoires meurtris et à mettre fin aux inégalités. C’est effectivement le cœur du sujet.

Comme le Président Hollande, vous avez vous-même, madame la ministre, des attaches rurales. À l’instar de mon collègue Maurey, je demanderai également, à la fin de mon intervention, qu’une loi de programmation advienne. Pourquoi une telle loi doit-elle intervenir rapidement et est-elle importante ?

Tout d’abord, nous sommes nombreux à souhaiter mettre toute notre intelligence au service de la ruralité ou de l’hyper-ruralité. À cet égard, je rends hommage au groupe centriste d’avoir demandé ce débat.

Toutefois, dans cette loi que nous appelons de nos vœux, il nous faudra distinguer ruralité et hyper-ruralité. En effet, 80 % des territoires français sont ruraux. Or nous n’aurons pas les moyens de nous attaquer à de nouvelles actions, de nouvelles intelligences, de nouveaux crédits sur 80 % du territoire de notre pays ; nous ne serions pas efficaces.

Nous sentons que la fracture se creuse.

Le 13 décembre 2012, les membres du groupe RDSE et moi-même avions présenté une proposition de résolution. Depuis lors, est intervenue l’importance loi sur le logement, sur laquelle vous avez travaillé. Aussi, désormais nous attendons le volet sur l’égalité des territoires.

Il est vrai que, sur le terrain, le service public et le service au public se réduit. La téléphonie est un excellent exemple. Le débat sur la téléphonie est surréaliste. Alors que l’on entend parler de la 4G, de la 5G, voire de la 38G (Sourires.), nous, nous n’aurons bientôt même pas le téléphone fixe, car les lignes sont si mal entretenues que les poteaux et les câbles gisent souvent sur le sol. Ne parlons pas du mobile, il ne passe pas.

À cela s’ajoutent la DDE, les fermetures de succursales de la Banque de France, les problèmes de services de santé, les problèmes de l’offre de transport – de nombreux petits trains sont menacés –, la réduction des crédits concernant les infrastructures, et le débat sur l’écotaxe ne va rien arranger puisqu’elle devait apporter une part de crédits à nos infrastructures.

Parfois, les ruraux voient leurs espoirs déçus. Par exemple, dans le Massif central, le projet de ligne reliant Clermont-Ferrand et Paris en TGV, qui desservirait quinze départements ruraux, bien qu’annoncé, a été reporté.

Les choix collectifs ne nous sont pas toujours favorables. Souvent, la route est la seule possibilité pour se déplacer. Nous n’avons pas de liaisons aériennes. Les liaisons ferroviaires peuvent également être insuffisantes. Ainsi, je le dis souvent parce que c’est risible, il faut dix-huit heures pour faire l’aller-retour entre Mende et Paris, et neuf heures pour l’aller-retour entre Mende et Montpellier !

Certes, les ressources financières sont maigres. Pour autant, l’intelligence commanderait que tout ne soit pas concentré dans les capitales régionales. Il faut déconcentrer depuis les capitales régionales vers les départements n’ayant pas d’agglomérations.

Comme diraient les enfants, ça tourne au foutage de gueule. (Sourires.) Voilà trente ans, il nous a été dit : on fait de la décentralisation, ce qui implique de quitter Paris. Or, désormais, tout est entassé dans les capitales régionales ! Les autres, les petits départements ruraux et hyper-ruraux sont complètement délaissés. Il faut remédier à cette situation. Le chantier est immense. Il faut inventer des procédures, revoir les problèmes de dotation, de mise en œuvre des deniers publics, et de zonage. Nous avons besoin de nouvelles stratégies, notamment dans l’hyper-ruralité. Enfin, la stratégie d’accueil des entreprises doit aussi être revue.

L’aménagement du territoire et, surtout, l’égalité des territoires, c’est la solidarité, la République, et cela devrait donc couler de source.

Je vous fais confiance, madame la ministre. Le sujet que nous abordons est essentiel, mais il ne sera jamais prioritaire, car les maires ou les sénateurs des villes de 200 000 habitants, 500 000 habitants ou 1 million d’habitants sont toujours privilégiés. Nous, les petits, les ruraux, les sans-grades, nous passons après les autres. Pourtant, il s’agit d’une grande tâche !

J’ai confiance en M. Hollande, en Jean-Marc Ayrault et en vous-même, madame la ministre. Nous demandons une loi de programmation, qui devra être élaborée avec toute l’intelligence qu’elle mérite.

Une telle loi de programmation ne peut être produite dans la précipitation. Il faut distinguer les zonages, et étudier ce qu’il est possible de faire.

Notre sujet porte notamment sur la question des infrastructures. Il est important de rappeler que, sur cette problématique, certains pays comme le Canada réservent un pourcentage de leur budget à l’hyper-ruralité. En France, nous pouvons faire aussi bien.

Cette loi bien élaborée, bien pensée, prenant en compte les attentes des ruraux, je vous sais capable, madame la ministre, de la mettre en œuvre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe UDI-UC, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)